Chapitre XIV. Jouer le Moyen Âge : Gustave Cohen et la troupe théophilienne1
p. 255-281
Texte intégral
1« Un cabotin » : c’est ainsi qu’Edmond Faral, philologue qui se désintéressait de tout ce qui n’était pas texte, décrivait son collègue Gustave Cohen. Soixante ans plus tard, Paul Zumthor, penseur précoce de la théâtralité, se rappelait que « Cohen, sur la scène, était vraiment le metteur en scène, avec toutes les réactions d’un homme de théâtre2... »
2Présenter Gustave Cohen comme une figure phare du théâtre médiéval, c’est prendre la mesure de son travail de vulgarisateur — avec toutes les connotations positives et négatives que comporte l’épithète. Il est important de montrer à quel point ses recherches, dans l’histoire de la mise en scène du théâtre du douzième au seizième siècle, ont touché un public plus large que celui des érudits, un public qui dépassait largement l’enceinte universitaire. Cohen, avec le charisme qui lui était propre, a inlassablement misé sur la popularisation, adaptant les miracles, les jeux, ainsi que les dits pour les rendre plus accessibles. Adapter la littérature médiévale, lui donner un langage frais et pourvu d’une nouvelle actualité, ne fut pourtant pas la seule démarche capitale de ses travaux ; inciter ses étudiants de la Sorbonne à la « performer » constitua également sa véritable originalité. Selon Cohen, la troupe d’amateurs qu’il a fondée avec eux avait pour but de monter les œuvres de Rutebeuf, Adam de la Halle, Arnoul Gréban ainsi que de Jean Michel, entre autres, comme partie intégrante de leurs études ; jouer ce Moyen Âge, de 1933 à 1939, pour les spectateurs de diverses régions, avait confirmé aussi la place de ce théâtre dans la cité3. Pour nous, les représentations de cette troupe d’acteurs, les Théophiliens qui reçut son nom d’après leur première mise en scène présentent un cas exemplaire qui permet d’envisager l’engagement théâtral de Cohen dans toute son ampleur.
3Afin de saisir le mobile de la performance théophilienne, on choisira un critère de signification théâtrale à dimension sociale et psychologique. Le jeu de rôle nous amène au cœur du débat sur la diversité des techniques de création et d’incarnation d’un personnage, sujet longuement discuté tout au long des années trente par le Cartel, la famille de théâtre parisien, de Jacques Copeau à Louis Jouvet4. Mais le jeu de rôle comprend également une dynamique interne qui détermine et donne forme à l’action des individus. Incarner un personnage et adopter ses comportements peut, selon certains socio-psychologues dans la lignée de Jacob Moreno, nourrir les tentatives d’adopter un mode de vie différent ; cela réactive une théorie du comportement individuel et collectif, aux liens trop souvent oubliés avec le renouveau du théâtre médiéval autour de 19005.
4On considère aujourd’hui Nicolas Evreinov comme un des pionniers à avoir mis en avant la dimension théâtrale du développement humain6. Vers 1900, cet homme de théâtre d’origine russe avait enquêté sur le processus de la création des personnages, sur la scène et bien au-delà, dans la vie quotidienne. En 1907, à Saint-Pétersbourg, il a redonné vie, entre autres, au Miracle de Théophile de Rutebeuf, et à Robin et Marion d’Adam de la Halle, dans son collectif baptisé « Théâtre ancien7 » [figure 1]. Il enquêtait sur des performances occidentales parmi les plus anciennes pour en saisir l’importance dans la création à son époque, mais son travail de reconstitution constituait également un laboratoire où l’on pouvait expérimenter le jeu de rôle. Toutes ses recherches sur ce jeu lui a suggéré qu’il existait un sens psychophysique aussi puissant que la vue ou l’ouïe : un sixième sens théâtral. Il pouvait le cerner dans toutes sortes d’activités ordinaires, dans les expressions du visage et les gestes des habitants, aussi bien dans sa ville natale que quand il voyageait en Europe et en Afrique. Aux yeux d’Evreinov, qui possédait un sens aigu de la créativité, cela montrait à quel point les hommes et les femmes ne cessaient d’improviser de nouvelles gestuelles et de nouveaux modes de comportement dans leur quotidien, d’une manière qui lui semblait proche d’une action à proprement dire théâtrale. « L’instinct de théâtralisation peut être décrit comme un procédé consistant à s’imaginer différemment », déclarait-il, « c’est un des ressorts principaux de notre existence, de ce que nous appelons progrès, ainsi que du changement, de l’évolution, et du développement présents dans presque chaque domaine de la vie8 ». S’inspirant du darwinisme, Evreinov reformulait l’instinct de survie, de manière théâtrale. Son Homo sapiens avait survécu à travers les âges grâce à sa capacité à inventer des moyens d’agir qui s’adaptaient aux besoins et aux défis que présentait chaque situation. Ce faisant, il s’était ainsi créé plusieurs représentations de lui-même.
5Evreinov replaçait son specimen d’Homo theatralis dans plusieurs contextes qui représentent les premières phases de développement, qu’il s’agisse de la prime enfance ou de l’environnement primitif de l’Homo sapiens. Cependant le modèle d’un homme de vie théâtralisée qui s’avérait particulièrement prometteur, selon son hypothèse, était l’acteur médiéval9. Car ces hommes, et en certains cas rares, ces femmes, incarnaient ceux qui s’étaient construits tout seuls à travers une variété de personnages, chacun suscitant des émotions, des sensations et une conception du monde nouvelles.
6Aujourd’hui, il nous paraît certes contestable — non seulement infondé historiquement mais tiré par les cheveux — de tenter d’imaginer la socio-psychologie des acteurs médiévaux10. Notre regard sur leur métier a beaucoup évolué depuis, surtout à la suite des recherches de Michel Rousse à Véronique Dominguez, qui révèlent une conception du jeu éloignée du primitif ainsi qu’une pratique ancrée dans des représentations finement réglées11. Il en va de même de nos jours quand on débat des mobiles psychologiques de l’art de jouer. Les réflexions d’Evreinov ont pourtant largement contribué à ouvrir une nouvelle voie à la compréhension des mécanismes vitaux du jeu théâtral. Ses intuitions critiques audacieuses ont permis une approche combinée de la méthode théâtrale et de la fonction socio-psychologique moins connue et aussi importante que celle de son contemporain, Constantin Stanislavski12. Le résultat expérimental auquel il est parvenu en 1910 est une notion du jeu de rôle à la fois sociologique et psychologique, imprégnée de culture médiévale théâtralisée.
7Il est difficile de savoir avec certitude si Gustave Cohen connaissait ou non le concept du jeu de rôle d’Evreinov lorsqu’au début du siècle il effectuait ses premières recherches sur la mise en scène médiévale. On ne trouve aucune mention de Cohen dans les archives d’Evreinov à Moscou à l’époque de son Théâtre Ancien, comme on ne trouve aucune référence explicite aux travaux d’Evreinov dans les premières écrits de Cohen13. On sait cependant que vingt ans plus tard, lorsque Evreinov a émigré à Paris et rencontré Gustave Cohen, aux alentours de 1934, le directeur et le professeur ont travaillé ensemble pendant quelque temps, avec les étudiants14.
8Ce qui suit ne retracera que les grandes lignes de ce phénomène théophilien : incarner des douzaines de personnages médiévaux devant des centaines, sinon des milliers de spectateurs à une époque rythmée douloureusement par deux grandes guerres15. S’interroger sur leur jeu de rôle dans une enquête qui mêle récit et critique, c’est commencer à démêler toutes les conséquences de leur travail — pour le maître ainsi que pour les quelques acteurs amateurs sous sa direction.
Le Mystère de la Grande Guerre
9Une dizaine d’années après avoir rédigé son Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen-Age (1906), Cohen, professeur de littérature française à l’université d’Amsterdam, servait la France sur le champ de bataille16. En mai 1915, lors de l’assaut d’un champ de mines allemand près de Verdun, à Vauquois en Argonne, il est gravement blessé17. Comme les quatre millions de soldats français ayant combattu pendant la Première Guerre mondiale, et les quelque huit millions d’Allemands et d’Austro-hongrois, il devient alors un mutilé de guerre18. Mais contrairement à bien de ses confrères, le lieutenant Cohen, alors âgé de 36 ans, était particulièrement fier de son statut ; quelque temps avant sa blessure, il avait déjà exhorté ses hommes à méditer l’exemple que représentaient leurs compagnons déjà disparus :
C’est une chose affreuse que la mort de ces jeunes hommes beaux, intelligents et bons, fleur de la jeunesse de France et âme même du pays renouvelé. Quand ils nous quittent ce n’est pas eux-mêmes seulement qu’ils sacrifient — c’est le Cœur de leurs parents qu’ils offrent en holocauste sur l’autel de la patrie. Demain ce sera mon tour peut-être et c’est pourquoi j’ai le droit de vous supplier de ne pas faiblir, d’accepter avec une résignation torturée et angoissée le foudroyant et nécessaire sacrifice.
Lettre au 46e Régiment, Compagnie 5, 19 mai 1915
10Dans un style ampoulé, Cohen présente le combat comme une sorte de devoir religieux. La religion en question, c’est l’Union sacrée promulguée par le Président de la République Raymond Poincaré. On retrouve dans ce que dit Cohen la rhétorique d’une mystique nationale terriblement performante qui transforma ces milliers de combattants français en figures de martyrs, des hommes de dix-huit ans ainsi que ceux d’âge mûr comme lui-même19. Cohen rendait également théâtral ce devoir national quasi-religieux. Il voyait ses hommes luttant dans les tranchées comme les personnages de drames très anciens, redevenus actuels à la faveur des circonstances historiques, et il les appelait à s’offrir d’eux-mêmes en un sacrifice scellé par les blessures. Cohen s’acharnait à transformer le vécu de la guerre de manière non seulement à justifier le massacre qui eut lieu au cours de cette première année de combats, mais également à le consacrer. Pour lui, la Première Guerre mondiale représentait une guerre sainte, et la France la nation élue dont l’avenir dépendait du sacrifice de ces hommes. C’est dans cet esprit que des décennies plus tard, en 1938, il fit don de sa radiographie aux Archives nationales. Pour nous, il s’agit d’un geste étrange, voire macabre ; pour lui, il s’agissait de placer de manière délibérée sa blessure dans le domaine public20.
11En tant qu’érudit, Cohen s’est consacré à la dramaturgie du mystère du Moyen Âge tardif, analysant le rôle du meneur de jeu, sa « patience à toute épreuve et une abnégation complète », et ceux de tous les acteurs qui s’engagèrent auprès des foules de spectateurs à travers l’Artois, la Picardie, la Flandre et la Wallonie21. Il s’est inspiré de Marius Sepet et de son examen des procédés scéniques du théâtre religieux, d’Arsène Darmesteter et de sa linguistique rigoureuse, de Gaston Paris, ainsi que du baron James de Rothschild, mécène et bibliophile qui avait publié dans les années 1860 un cycle de pièces intitulé le Mystère de l’Ancien Testament22. Grâce à eux, Cohen avait appris la valeur potentielle de son érudition de médiéviste dans les débats qui portaient sur la laïcisation au sein du discours assimilationniste de la Troisième République23. Il entrevoyait également la façon de l’inclure dans un argumentaire plus agressif lié à la raison d’État, dans la lutte qu’il importait de poursuivre contre le militarisme allemand.
12En tant que soldat, Cohen donna vie à ce patrimoine imaginaire. Lorsqu’il exhortait ses hommes à faire leur devoir et à se sacrifier, il dépassait une simple invocation de la rhétorique nationaliste. Il se représentait en effet une scène de la Passion dont la reprise avait attiré les foules de Paris grâce à André Antoine et, de Berlin à Londres, grâce aussi à Max Reinhardt24. De la même manière que Charles Péguy marchait au front la tête remplie des mystères de Jeanne d’Arc, Cohen se construisait sa propre situation à travers une scène et un personnage issus des mystères qu’il connaissait à fond : l’agonie de Jésus25. Il s’en inspirait tout en œuvrant pour entraîner ses troupes à exprimer leur zèle de patriote à travers cet épisode.
13En tant qu’intellectuel d’origine juive, Cohen a parié hardiment sur la scène de la Passion. Avoir recours à « cet holocauste sur l’autel de la patrie » pour dramatiser un engagement national représentait un risque à une époque où, à la suite de l’Affaire Dreyfus, beaucoup d’intellectuels du milieu parisien constataient un nouvel essor de l’antisémitisme26. Son personnage, le Jésus des mystères médiévaux, faisait l’objet à la fois de caricatures antidreyfusardes représentant Dreyfus comme une victime sacrifiée et de représentations dreyfusardes le transformant en héros juif d’un drame de la Passion27. Cohen était évidemment au courant de ce scandale et il en contourna les obstacles. Son patriotisme était farouche, et il était fier de se placer dans la lignée de Darmesteter et de Rothschild dont la fidélité à la République s’était exprimée, selon Gaston Paris, dans son travail sur des mystères28. Cohen, issu d’une famille belgo-française conservatrice, éloignée de la religion, a travaillé les formes médiévales théâtrales pour rendre les événements intelligibles, vivables, et pour y entrer lui-même. Il a adopté lui aussi la cause républicaine du drame médiéval.
14La Première Guerre Mondiale fut pour Cohen l’occasion d’activer des scénarios qu’il avait si parfaitement intégrés. Par sa manière subtile d’en assumer le rôle principal, il put donner une nouvelle signification au carnage ; de quelque chose d’inconcevable il fit quelque chose qu’il devenait possible d’imaginer, et d’imaginer de manière familière et rassurante. Confronté à une hécatombe aux proportions inconnues jusque-là, il se tourna vers le mystère et ses scènes de la Passion, et s’en servit comme d’un outil qui donnait un sens à tout ce sang versé. Il était loin d’être le seul. Pour des milliers de soldats et d’intellectuels plus ou moins connus, d’un bord politique à l’autre, d’un culte à l’autre, comme nous l’a appris l’historienne Annette Becker, les intrigues et les personnages des rituels chrétiens, tel l’Imitatio Christi, agirent comme une ressource salvatrice29. J’ajouterais : leurs versions théâtrales aussi. Pour ceux qui nombreux ont assisté aux reprises de mystères sur les planches européennes dans ces années-là, ces intrigues étaient d’autant plus puissantes qu’elles étaient personnifiées, personnalisées viscéralement. Une fois leur imagination imprégnée de rôles de combattants héroïques ayant enduré mille souffrances, il ne fallait pas longtemps pour qu’ils calquent leurs actions sur ces rôles. Ils les avaient intégrés à un degré tel qu’ils étaient capables de les projeter sur leurs propres expériences, de vivre à travers eux. Ce modèle d’action théâtrale fut pour eux comme pour le médiéviste un soutien dans des circonstances extrêmes où ils jouaient sans cesse avec la vie et la mort.
15Ce modèle de comportement qu’affichait Cohen ne constituait en rien un accès de nostalgie. Il ne s’agissait pas de l’obsession paralysante d’un passé bien-aimé et contesté à travers l’Europe. Au contraire, il s’agissait d’une activité qui permettait à des milliers de combattants et de civils de puiser un soutien dans l’inspiration de modèles fictifs comme le remarquait son collègue-camarade, le sociologue Robert Hertz, dans une lettre datée du 18 décembre 1914 :
Avec quelle facilité nous [les combattants] communiquons avec les héros du temps passé. Nous entendons enfin leur langage — et je pense surtout à ces maîtres de vertu, de haute et de virile noblesse, de la Grèce et de Rome — mais je pense aussi à Roland et à ses preux — mourant avec joie pour déconfire le barbare sarrasin et délivrer la « doulce France » de leurs pilleries30.
16Roland ou bien d’autres guerriers des chansons de geste, Jésus, ou bien d’autres personnages du théâtre religieux, ceux-ci les aidèrent à survivre aux menaces physiques et sociales que présentait la guerre. Bien loin d’un nouvel élan de lyrisme mystique ou d’un renouveau purement esthétique, il s’agissait d’un acte d’imagination, d’un jeu de rôle permettant de vivre jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice même de sa vie. Hertz cita bien le cas de ce « brave Gustave » dont la transformation par la foi en la guerre se remarqua31. Examiner les actions du combattant Cohen et de ses confrères soldats sous l’angle du jeu de rôle médiéval dans les deux sens, c’est commencer à considérer aussi leurs effets à long terme.
Une Jeunesse à l’heure médiévale
17Les étudiants qui sont arrivés à Paris dans les années trente n’étaient pas mieux lotis que leurs parents. Ils représentaient une génération coincée entre deux guerres, prise de malaise, obligée d’apprendre, selon les mots de Claude Roy, l’écrivain et confrère des Théophiliens, à « conjuguer le verbe : "nous sommes la génération sacrifiée, vous êtes la génération perdue, ils sont la génération oubliée"32 ». Pendant des années, ces jeunes s’étaient organisés en groupes, en associations politiques, en troupes de scouts, en sociétés d’art, répondant à leur désir de créer33. Leurs aînés se tournèrent vers eux, vers une force de vie qui promettait le renouveau.
18Cohen, un professeur au charme avéré, reconnut le dénuement de ces étudiants et comprit vite l’importance pédagogique de tels rassemblements [figure 2]. Dès qu’il fut nommé en 1932 titulaire de la chaire de littérature médiévale de la Sorbonne, il s’apprêta à accueillir plusieurs étudiants qu’il initia à la mise en scène des miracles et des mystères34. En véritable pater familias, il se fit leur mentor dans un style qui allait complètement à l’encontre des codes formels de la vie universitaire. Dans une ambiance familiale, il chargea le groupe d’aller à la cathédrale Notre-Dame pour qu’il découvre lui-même, sculptés sur le portail nord, le drame de Théophile, un clerc désespéré pactisant avec le diable et son émissaire, Salatin, ainsi que de la sainte femme qui le protège. Le but de Cohen : transmettre le pouvoir de création que pouvait posséder l’incarnation de ces rôles, ici et maintenant, de manière totale et physique. « Si vous donniez vie aux personnages en les incarnant sur scène pour lesquels ils ont été crées », leur disait-il, « qui sait si un véritable miracle de restitution ne se réaliserait pas par et pour vous35 ? » Cohen donnait une interprétation littérale au jeu théâtral, bousculant la distinction fondamentale entre acteur et personnage soutenue par la quasi-unanimité des hommes de théâtre, de Stanislavski à Artaud. De manière radicale, il tendait vers une sorte de cohabitation, souhaitant rapprocher sans cesse davantage l’expérience de l’acteur d’un processus d’identification.
19La première mise en scène de ces étudiants, celle du Miracle de Théophile de Rutebeuf, représentait le dilemme d’un jeune clerc36 [figure 3]. Prisonnier de « la pauvreté et du besoin », il est tiraillé entre les différents univers qui s’offrent à lui ; d’un côté, le discours suave et attirant de l’étranger, aux sonorités exotiques, qui l’appelle à jouer le tout pour le tout dans ce pacte maléfique ; de l’autre, l’autorité établie de l’Église et de la ville37.
20Au centre de ce miracle, Cohen avait placé la relation tendue entre Théophile et Salatin [figure 4]. Au xiiie siècle, dans l’univers de Rutebeuf, l’envoyé du diable représenta une figure juive38. Sans en être marqué explicitement dans le Miracle, il incarnait tout de même un personnage reconnu de mage ou de sorcier qui fut longuement identifié, voire stigmatisé comme adversaire. Son nom fait écho aussi à Salatin, Yusef el Salatin le redoutable guerrier vainqueur des Croisés qui inspira encore les appels à la Croisade comme celui de Rutebeuf. Cohen plaça son Salatin sur scène dans un temple surmonté du croissant fléché de l’Islam, en même temps qu’il l’identifiait par son vêtement jaune safran et son casque à un personnage d’origine juive. Cohen sollicite par conséquent un ensemble de types orientalisants dans un décor qui rappelle certains éléments de celui de Valenciennes en 1547, qu’il a étudié soigneusement dans son Histoire. Son personnage gardait néanmoins son allure dite juive car, selon Cohen, il ensorcelait le clerc par une version tordue de la langue biblique : un fatras d’hébreu39. Théophile, par contre, chez Rutebeuf, n’avait ni langue ni type ethnique particuliers. Cohen en fit un personnage dont l’aspiration principale — devenir clerc — faisait de lui, selon le jargon de la Sorbonne au haut Moyen Âge, un « Parisien ».
21Dans la mise en scène théophilienne, le conflit entre les deux personnages accentuait de manière évidente les problèmes de type, voire de caractérisation ethnique et religieuse, montrant également comment un discours moral s’appropriait à son tour ces stéréotypes. Une fois que Théophile avait succombé à la tentation de Salatin, il apparaissait doublement allié aux adversaires orientaux, musulman et juif. Après avoir triomphé grâce à une intervention divine, il devenait un Parisien à part entière, c’est-à-dire un membre de l’Eglise. Personnifier le choix moral entre deux modes de vie — juste ou diabolique — soulignait les conflits d’ordre religieux dans le Paris de Rutebeuf. Et une fois que l’on situe ce Miracle de Théophile dans son cadre universitaire, il fait encore écho aux Disputations cléricales qui opposèrent les personnages symboliques, l’Église contre la Synagogue, débats véhéments qui furent dans les années 1242-1244, accompagnés de la condamnation du Talmud ainsi que d’un autodafé des manuscrits40. Pourtant cet ensemble de types véhiculé par le texte de Rutebeuf que l’on reconnaît, ranimé par le jeu, ne se remarquait pas en 1933 ; ces raccourcis idéologiques qui nous mettent mal à l’aise aujourd’hui, paraît-il, ne faisaient pas l’objet de commentaire, ni dans le cercle théophilien ni dans son premier public.
22La troupe continua à travailler par la suite la mise en scène du théâtre religieux. Le choix du Jeu d’Adam s’imposa pour plusieurs raisons. Ce drame liturgique est censé fonder selon la tradition critique, le théâtre en langue vulgaire — français et anglais41. Son unique manuscrit, Tours 927, comportait aussi les premières véritables indications de mise en scène et proposait donc des clés pour l’interprétation des personnages42. Dans l’intrigue, à base biblique, représentant la perte d’un idéal de liberté et l’obligation de travailler, Cohen trouvait un personnage féminin hors pair qui gagne dans son adaptation intitulée Le Jeu d’Adam et Ève, un rôle prédominant sinon déterminant43. Les acteurs amateurs trouvaient de leur côté un échange en langage familier entre l’homme et la femme originels44. Lorsque ces derniers discutent avec les figures surhumaines incarnant le bien et le mal, ils ont l’air d’être un couple marié depuis trop longtemps, selon Auerbach, « des bourgeois45 ». Figura, l’envoyé de Dieu, et Satan doivent respectivement parler comme un dévot, « attencius », et un charmeur, « hylaris et gaudens ».
23Dans une mise en scène signée Maurice Jacquemont, protégé de Léon Chancerel, les membres de la troupe jouèrent des rôles qui tournent autour de deux séductions46 [figures 5, 6]. La première oppose le diable, en Protée androgyne, à une jeune fille impressionnable, selon la didascalie de Tours, « muliebri vestimento albo... parum demissiori ». Cohen adapta ce dialogue de séduction dans un langage succulent : « Satan : Et le secret ? Ève : Oui, par ma foi. S : Sera découvert ? E : Pas par moi. S : En ta parole me mettrai. Autre gage je n’en prendrai47. » Le Satan théophilien appâtait la première femme avec des mots enjôleurs, promettant des fruits à la « dame de ce monde » [figure 7]. L’Ève théophilienne incarnait elle aussi à sa manière une séductrice, déambulant lentement devant Adam. Dans la deuxième scène, c’est la jeune fille qui mène la danse. « E : Mange, Adam, tu ne sais ce qu’est. Prenons ce bien qui nous est prêt. A : est-il si bon ? E : Tu le sauras ; Mais d’abord tu en goûteras. A : J’ai peur. E : Fais-le ! Ne le ferai ! E : Tu hésites par lâcheté. A : Je le prendrai. E : Mange-le, tiens ! » (Cohen p. 49-50)48. Exprimant un eros encore plus extravagant que celui de son double médiéval, elle aguiche Adam et l’attendrit par des cajoleries à connotation sexuelle. Mais contrairement à Satan, Eve s’exprime par injonctions. Sa séduction se termine mal, ainsi que cette première partie du scénario qui trouve sa fin dans une expulsion rude du Paradis : la faiblesse humaine se manifeste de façon exemplaire. Le Jeu d’Adam du xiie siècle, lui, se déroule autrement, passant de ce drame du premier couple à ceux de leurs fils, Caïn et Abel, pour s’achever impitoyablement sur une disputation entre le prophète Isaïe qui prévoit l’arrivée de Jésus et le personnage de Judeus qui, ne voyant rien, est sévèrement jugé pour son erreur. L’adaptation de Cohen conserva cette tonalité moralisatrice sans garder la deuxième et troisième parties du Jeu et donc le personnage de Judeus : à la fin de sa représentation, tous les personnages quittaient la scène, Adam se repentant [figure 8], Eve se lamentant, tous enchaînés, poursuivis par la clameur de voix latines sentencieuses aux accents implacables49. Pourtant, les rôles d’humains accablés de défauts par la faute, sur qui reposait la lourde tâche d’aller de l’avant, n’en étaient que plus touchants. En 1935, le jeu théophilien fut apprécié par la critique, quelque fût le bord politique. À l’extrême droite, Robert Brasillach de l’Action Française loua « le spectacle le meilleur et le plus original de Paris », tandis qu’à gauche, l’éminent critique de la Nouvelle Revue Française Benjamin Crémieux écrivit : « Le Jeu d’Adam et Ève rejoint les plus fortes émotions que le théâtre nous ait données depuis dix ans »50.
24De tout leur répertoire, néanmoins, le spectacle qui eut le succès le plus retentissant, ne fut finalement pas de caractère religieux51. Il s’agit du Dit de l’herberie de Rutebeuf, une sorte de sketch profane vraisemblablement joué avec d’autres jeux ou bien déclamé à tue-tête au coin des rues. L’Herberie présente un colporteur à la langue bien pendue :
Voyez mon herberie. Je vous le dis par sainte Marie/ce n’est pas le marché aux puces, /mais des produits de qualité./J’ai l’herbe qui redresse les bittes/et celle qui rétrécit les cons sans peine. /De toute fièvre, sauf la fièvre quarte/je guéris en moins d’une semaine/à coup sûr52.
25Il compatit avec son public, offrant des remèdes à tous ses maux, et l’instant d’après, il le réprimande sévèrement, le menaçant de douleurs terribles s’il ne se montre pas vigilant. Au xiiie siècle, dans les pays du nord de l’Europe, le personnage de l’herbier incarnait un être à part, un individu isolé à l’ironie mordante parce qu’il n’avait de toute façon rien à perdre53. Quelque sept cents ans plus tard, les Théophiliens furent sensibles à cette attitude « du tout pour le tout ». Un de leurs acteurs principaux, Moussa Abadi, a joué le rôle plus de deux cents fois ; « il utilisait tout ce comique pour en faire quelque chose de tragique… », selon Paul Zumthor, son confrère théophilien, « l’assistance était prise à la gorge54 ». Son jeu a réussi à exprimer une partie de l’angoisse collective : l’acteur travailla à communiquer une anxiété ressentie par tant de Parisiens à la fin des années trente, alors que la capitale se remplissait de réfugiés juifs venus de l’Allemagne de Hitler et de chômeurs.
26Les étudiants et étudiantes qui commencèrent à travailler sous la tutelle de Cohen étaient d’origines très diverses. C’étaient à la fois des Parisiens issus de familles bourgeoises, des Alsaciens et des Bretons peinant à joindre les deux bouts dans la capitale, et des « métèques », selon le jargon de l’époque, les étrangers qui arrivaient de Russie, de Madagascar, et même du Proche Orient encore sous mandat français. Dès le départ donc, les Théophiliens ressemblaient à une Ligue des Nations de la jeunesse, aux croyances et aux parcours variés.
27Ensemble, ils se formèrent au style particulier de jeu de rôle qui leur demandait d’absorber complètement mais momentanément le personnage. Cet investissement profond, cette priorité donnée à son rôle de Théophile ou d’Eve, se rapprochaient d’une expérience mystique. Ce processus, un véritable « devenir médiéval », constituait une mise en pratique de ce que Louis Jouvet nommait « la religion du personnage », sur laquelle il travaillait à l’époque au Conservatoire55.
28Il nous est difficile de suivre ce processus intense de jeu de rôle médiéval ainsi que de préciser avec exactitude ce que cette véritable évolution socio-psychologique a pu provoquer. Il nous paraît d’autant plus douteux que cette pratique va à l’encontre de toutes les techniques et méthodes qui font autorité dans les théâtres aujourd’hui. Comment repérer au juste ses répercussions ? Certains penseurs de l’époque, pourtant, peuvent nous aider à travailler, voire à nuancer le modèle d’Evreinov. D’après des propos du linguiste Émile Benveniste, datant du milieu des années trente : « Entre les membres des groupements fermés [équipe, cercle, club, troupe, classe], le lien du jeu peut être plus fort qu’une parenté de sang56. » Il est évident pour Benveniste que le jeu libre permet de créer des liens entre les individus. Lorsque ce sont de jeunes acteurs, passionnés et impressionnables, qui s’investissent ainsi de manière fondamentale dans leur rôle, ces liens deviennent rapidement très forts. Le jeu est alors créateur d’affinités. C’est ainsi que des groupes tels que les Théophiliens de Cohen se construisirent et renforcèrent leurs liens, à travers la pratique du jeu théâtral. Ce faisant, ils se sont forgés une sorte d’identité collective qui à son tour est parvenue à provoquer des changements d’ordre individuel.
29Le théâtre religieux offrait un modèle de ce changement qui donne une coloration particulière à l’importante fonction du jeu de rôle théâtral. On connaît bien le personnage de Genest, mime romain que l’on retrouve dans un mystère du quinzième siècle qui se convertit au christianisme par le jeu de rôle57. Après que Dioclétien lui a ordonné de se cacher s’il veut apprendre à jouer au chrétien, le personnage qu’au départ il imitait prend peu à peu le dessus dans sa vie. « Empereur, » dit Genest, « je ne puis croire qu’il soit comme tel qu’il veuille changer notre loi. Mais il le fait pour vous changer et il le fait à travers maintes guises ». Plus il incarne le rôle sur scène, plus il a envie de le vivre véritablement.
30Pour plusieurs hommes de théâtre parisiens depuis Jean Rotrou, ce personnage jouissait d’une véritable aura car il constituait l’illustration vivante des risques et des atouts du jeu théâtral vécu et incarné. « Notre métier n’est pas uniquement un jeu », déclare le personnage de Genest dans une pièce du dramaturge catholique Henri Ghéon de 1925, Le Comédien pris par son propre jeu, « mais encore et surtout une façon de vivre. Et peut-être sans paradoxe, ne nous enfermons-nous par vocation dans la fable que pour vivre plus fortement, plus diversement, plus réellement58 ».
31Jeu de rôle et conversion religieuse ? Ce que Ghéon, confrère de Cohen, explorait dans sa pièce, certains Théophiliens en faisaient l’expérience. Le jeu théâtral pouvait servir de révélateur à un mode de vie. Pour deux comédiens amateurs, comme pour Genest, la rencontre entre leur manière d’exercer l’art du jeu et le personnage a été décisive et intimement créatrice. Les deux comédiens, en interprétant ces personnages du théâtre médiéval profondément empreints de l’esprit chrétien, avaient développé une recherche personnelle, et se sont laissés surprendre par cette ouverture du sens qui avait guidé leur conversion religieuse59. Pour Cohen lui-même, la mise en scène de cette pièce fut une révélation. Des années plus tard, après s’être converti au catholicisme, il déclarait : « mon attitude est une conséquence directe du Miracle60 ».
32Pour d’autres Théophiliens, ce lien créateur entre évolution personnelle et jeu de rôle prit un tour différent qui n’impliquait pas l’adhésion à une religion. Deux acteurs d’origine étrangère, Nicolas Weisbein, réfugié russe, et Moussa Abadi, émigré syrien d’origine juive, étaient avant tout en passe de devenir des républicains patriotes. Cette fois-ci, le jeu les menait à se forger une identité nationale, frottée de christianisme. Lorsqu’ils ont assumé les rôles d’Adam et du Diable dans une représentation ultérieure du Jeu d’Adam et Ève, sous l’égide du dernier ministre du Front Populaire, Jean Zay, à l’occasion, ils semblaient appartenir à une communauté où toutes les origines convergeaient vers une seule identité nationale61. En juillet 1938, la troupe fut invitée à jouer au nom de la Troisième République, et le premier gouvernement à faire appel à elle, contre toute attente, fut celui d’Édouard Daladier, le dernier gouvernement aussi avant la drôle de guerre. Les Théophiliens avaient été recrutés pour célébrer la restauration de la cathédrale de Reims après les bombardements allemands de la Grande Guerre, et pour la re-consécration de ce monument de guerre transformé en lieu saint. Weisbein et Abadi, entre autres, jouèrent Adam et Ève devant la façade ouest, sous le regard de l’ange souriant brisé qu’on avait remis dans sa niche, et devant un public de patriotes et de bureaucrates. Leur jeu de rôle médiéval dans un tel lieu ne faisait que renforcer les déclarations officielles selon lesquelles la vie de la nation était liée à ce matériau du douzième siècle, des paroles et des pierres, que des Théophiliens tout à coup rajeunissaient et rendaient familier. Ce jeu faisait d’eux aussi, peu à peu, de parfaits agents de la République avec tout ce que cela comportait de risques et de ferveur idéalistes. Pourtant, lorsque Weisbein a joué Théophile et Abadi Salatin tout au long des années trente, le jeu de rôle mettait en relief d’autres personnages qui — loin de sembler compatibles avec des valeurs républicaines — étaient affublés de costumes indiquant clairement une hiérarchie immuable à la fois religieuse et sociale.
33Improviser progressivement des identités publiques à travers ce jeu de rôle portait en lui les affrontements idéologiques de l’époque et fut donc exploité par toutes les factions politiques. Les partisans de l’Action Française dans la lignée de Robert Brasillach s’intéressèrent ainsi de près aux performances du Miracle, au Salatin d’Abadi, ainsi qu’à celles des mystères de la Passion, dans lesquelles ils voyaient l’exemple d’un nationalisme antisémite défini en termes religieux ; le gouvernement de Daladier, par son ministre Zay du Front Populaire, s’empara de la performance d’Adam et Eve pour renforcer son culte républicain62. Dans ce contexte mouvementé, le jeu de rôle des Théophiliens servit de laboratoire à toutes sortes de personnages et de comportements qui pouvaient être expérimentés sur la scène publique. Quant aux jeunes acteurs, le jeu théâtral leur offrait un cadre social et un éventail de comportements humains qui les aidait dans leurs explorations identitaires. Cependant, le processus raviva également des contradictions. Cette appropriation de personnages alimenta les conflits des années trente qui avaient fortement secoué la République : laïque ou catholique, égalitaire ou royaliste, moderne ou bien voué à la tradition médiévale. À partir de 1939, le groupe attira l’attention de membres officiels du parti nazi, qui les invitèrent à venir jouer en Allemagne ; mais Cohen déclina l’invitation63.
Jouer pour la vie
34Lorsque la guerre éclata à nouveau en France et que l’armée allemande occupa progressivement le pays, ce modèle d’action théâtrale — le jeu de rôle — fut soumis à de nouvelles pressions. Confrontés au fameux double jeu de Vichy, à la duplicité des relations aussi bien avec leurs semblables qu’avec les occupants, Cohen et son groupe vivaient à une époque particulièrement propice au jeu de rôle.
35Le maître quitta la capitale, descendant à Nice avec l’intention de rentrer dès que possible, mais dans le courant de 1940, à cause du choc violent de cette première année de l’occupation et des lois anti-juives de l’Etat français qui le privèrent de son statut ainsi que de sa chaire en Sorbonne, il s’éloigna de plus en plus, pour passer ses années de guerre aux Etats-unis où il ne cessa à dramatiser son culte de la France64. Les étudiants acteurs, eux, firent tout pour continuer, pour monter un Adam et Ève bien réduit lors de la désolante rentrée 40 et pour finir — suite à la débâcle — par se disperser. Pourtant d’autres jeunes dans la lignée des Théophiliens, y compris Maurice Jacquemont et quelques-uns de leurs confrères, se rassemblèrent pour improviser quelques mises en scène dans le cadre d’un nouveau mouvement, « Jeune France », prôné par la Révolution nationale65. Les citoyens ordinaires se tournèrent progressivement eux aussi vers le théâtre en quête d’évasion66. Les premiers prisonniers de guerre y cherchèrent un passe-temps67. Ainsi chercha-t-on à se stabiliser dans des circonstances inquiétantes qui marquèrent cette première année de l’Etat français sous le Maréchal Pétain.
36Même les réfugiés juifs dans les camps d’internement du Midi finissaient par prendre part à une activité théâtrale68. En 1940, l’un d’entre eux écrit un poème : « Nous avons joué la comédie Si vous savez ce que cela signifie… », disait un certain docteur Walfish dans son « Théâtre à Gurs ». « Nous avons joué pour la vie./Personne ne sait ce que cela signifie. Pour Ibsen, un seizième de pain,/Pour le Songe d’une nuit d’été, un œuf et,/par dédain, Une poignée de riz69. » Faire du théâtre : c’était quelque chose que les prisonniers pouvaient partager, un langage et un comportement qu’ils avaient en commun, et qu’ils avaient bien connu dans leur vie antérieure malgré tout ce qui les différenciait. Il leur offrait une alternative à l’insupportable attente de ce qui allait arriver, et qu’ils ignoraient. Jouer à Gurs, « jouer la comédie » même était une manière de réagir à leur emprisonnement.
37À cause des dures réalités de l’Occupation, le jeu théâtral était devenu, comme le dit ce prisonnier, le docteur Walfish, l’élément qui faisait la différence entre la vie et la mort — à la fois physiquement et psychiquement. Il nous est peut-être plus facile d’imaginer que la mise en scène d’une œuvre de Shakespeare, de quelque comédie imaginaire se prêtait mieux à la réalité des choix désespérants de l’époque, des trahisons, des attentats meurtriers. Autrement dit, le jeu de rôle comme refuge ou bien comme fuite. Pourtant, pour rendre compte du véritable potentiel que possédait le jeu de rôle médiéval en termes de développement et d’apprentissage, il nous faudrait aller plus loin. Il vaudrait mieux le considérer comme un modèle d’engagement, de vie au travers — au cœur des dangers et des peurs. La troupe théophilienne peut-elle nous en fournir des exemples ? Le jeu de rôle médiéval peut-il avoir sa fonction durant les années de Vichy ?
38En guise de conclusion, nous aborderons un seul exemple tiré du parcours d’un Théophilien, celui de Moussa Abadi. Lorsque Paris fut envahi par les Allemands, il dut quitter la scène et abandonner ses études. Mais en dépit des directives de Vichy, et l’offre officielle qu’on fit à ce boursier d’un billet de retour à Damas, sa ville natale, il décida de rester en France. Il se dirigea vers la zone non occupée dans le Midi, jusqu’à Nice où il pensait retrouver son maître.
39À ce moment d’accalmie irréelle, leurs retrouvailles lui permirent de travailler encore, d’accompagner Cohen dans ses lectures illustrées de Villon, parmi d’autres poètes médiévaux70. Il continua de jouer des rôles dont il fut parfaitement maître.
40La vie en zone libre, protégée un peu de la dureté de la vie à Paris et dans la zone occupée, s’assombrit toutefois lorsque les attaques allemandes semblèrent prendre le dessus et qu’arrivèrent les nouvelles du front de l’Est. D’autres événements de plus en plus menaçants se produisirent à Nice — au printemps 1942, d’autres agressions antisémites — qui obligèrent Abadi à admettre l’idée que les Juifs étaient pareillement persécutés à Paris et dans les autres régions de la France occupée71.
41Tel fut son souvenir de la situation à ce moment dangereux, une véritable scène qui décrit la façon dont il choisit d’aider les plus démunis :
C’était un matin d’avril, je me souviens très bien, 1942, comme tous les Juifs qui étaient là, je sortais faire quelques pas sur la Promenade par désœuvrement… l’angoisse me poussait dehors… J’étais sur le trottoir, côté rue. Je vois un attroupement sur le trottoir côté mer… peut-être une vingtaine de personnes. Par curiosité, j ai traversé la Promenade des Anglais et je me suis approché de ce groupe et j’ai écarté. Je me souviens, il y avait deux femmes qui étaient là. Et ce que j’ai vu était quelque chose d’assez horrible : il y avait une femme étendue par terre, il y avait un Milicien botté ;… la femme était par terre et avec le talon de sa botte, il était en train de cogner sur son crâne, il fracassait son crâne lentement, j’allais dire consciencieusement, méthodiquement. Et juste à côté, il y avait un gosse qui devait avoir dans les six ans, une jeune femme dans ma mémoire elle devait avoir dans les vingt ans. Elle lui tenait la main. Et l’enfant hurlait « Maman, Maman ! » devant le groupe. Et là, je demande à ma voisine « Qu’est-ce qui se passe ? » Et elle me dit : « Vous voyez bien, il est en train de corriger une juive. »
Alors je suis parti. Je retraversais la Promenade des Anglais, et là, j’ai été pris d’une crise de rage folle mais au sens strict du mot. Je ne me contrôlais plus. Je me mettais à crier dans la rue. Et je m’adressais à Dieu et je disais : « Mon Dieu, pourquoi l’as-tu abandonné ? Pourquoi l’as-tu abandonné ? C’est ce même cri qu’a nommé Jésus sur la croix, “Eli, Eli, lama sabachthani ?” et là je me suis dit, "et cet enfant. Il risque demain d’être pris lui-même, d’être torturé lui-même. Qu’est-ce qu’on peut faire72 ?" »
42Pour rendre compte de cette agression brutale dans la ville de Joseph Darnand, Moussa A. cite un vers et du Psaume en hébreu biblique. Il convoque aussi, chose surprenante, une scène montée tant de fois par la troupe de Gustave Cohen dès 1936, un personnage qui fait penser à leur mise en scène des épisodes du Mystère de la Passion73. Il endosse un rôle inhabituel, prononçant les célèbres dernières paroles de déréliction de Jésus sur la croix, en y apportant une légère modification cruciale74. Ce n’est pas Moussa A./Jésus qui est abandonné, mais quelqu’un d’autre. Sa manière de parler ne permet pas d’identifier clairement de qui il s’agit.
43L’acteur théophilien n’avait jamais joué le rôle de Jésus dans le Mystère du quinzième siècle. En revanche, interprète de Judas Iscariote à maintes reprises, il avait souvent eu l’occasion d’étudier le personnage dans l’adaptation que Cohen avait tirée de la pièce de Jean Michel75. Sa mémoire, au moment où il propose cette version du rôle de Jésus, le remet spontanément à la place de ce personnage au moment de son agonie. Il s’approprie le scénario du sacrifice. En fait, il rejette l’idée du sacrifice individuel en modifiant la lamentation de « Jésus » — « Pourquoi /’as-tu abandonné » — et, ce faisant, il met l’accent sur la détresse et la vulnérabilité de l’enfant.
44Environ cinquante ans après les événements, Moussa A. se souvint avec éloquence. En 1995, à l’âge de quatre-vingts ans, il livra son souvenir à l’historienne Annette Wieviorka, dans le cadre de « L’Association Mémoire pour la Shoah. »76. Il évoqua à partir de cette scène sa décision de s’engager dans la Résistance juive, avec sa compagne et future épouse, le Docteur Odette Rosenstock77. Avec l’aide de l’Évêque de Nice, le Monseigneur Paul Rémond et celle de plusieurs pasteurs protestants, le couple mit sur pied un mouvement clandestin « le Réseau Marcel » qui eut pour but de mettre les enfants à l’abri de l’arrestation et de la déportation dès l’invasion allemande de Nice, le 8 septembre 1943. Environ deux cents enfants survécurent à des rafles particulièrement violentes grâce à leur action.
45Il nous importe de noter que l’épisode remémoré de l’enfant abandonné communique les expériences théophiliennes d’Moussa A. dans les années trente. Plus qu’un simple théâtre de mémoire, plus qu’une performance que constitue, selon Geoffrey Hartman, le genre du témoignage de la Shoah, ce que fait Moussa A. représente une structure profondément théâtrale78. Il en construit la dernière scène dans laquelle son jeu de rôle médiéval est mis en pratique. Contre toute attente, il joue de manière subtile et puissante, le rôle par excellence du théâtre religieux médiéval.
46En recourant au personnage de Jésus dans son témoignage, Moussa A. trouve un moyen tout à fait conscient, et provisoire, de se protéger. À des années de distance, ce procédé lui permet de ne pas prendre de plein fouet l’angoisse qui accompagne le souvenir de la femme rouée de coups et de l’enfant sanglotant. Et pourtant, en agissant ainsi, il fait encore preuve d’une grande créativité. Il y a de la provocation à imiter de la sorte les faits et gestes de Jésus car, brodant à partir du personnage créé par les Théophiliens, il en joue de manière critique, et inverse la position traditionnelle : le personnage lui sert à mettre en lumière la lâcheté des autres, ceux qui regardent la scène sur la Promenade de Nice, et son propre engagement après coup.
47Ce jeu de rôle médiéval chez Moussa A. parut maniériste. À l’exemple de son premier maître, Gustave Cohen, il adopta une attitude parfois mélodramatique. Pourtant, in extremis, en temps de guerre ainsi que des décennies plus tard, par une évocation de son action clandestine en 1942-1944, l’acteur-résistant Abadi signala son besoin de montrer son engagement ainsi que son réflexe de lui donner une forme théâtrale.
48C’est la manière de percevoir les événements et d’y répondre en prenant modèle sur des personnages familiers de son théâtre médiéval, religieux et profane, qui caractérise le témoignage de l’acteur-résistant. Il connaissait par cœur l’éventail de ses rôles, au point de pouvoir en jouer avec ironie. La tradition des mystères lui avait été d’une ressource dans son activité clandestine ; la tradition profane aussi. Pour relater son entretien avec l’évêque, le point de départ de leur réseau clandestin, Moussa A. empruntait le masque de son rôle médiéval préféré, celui du bonimenteur venu de nulle part, le personnage du Dit de l’Herberie qu’il avait joué maintes fois. À Nice, pendant la période incertaine de fin 1942-début 1943, il était lui aussi un étranger, et, à l’instar du poète Rutebeuf, il utilisa ses talents pour faire son chemin dans l’impénétrable hiérarchie catholique. Les rôles de Rutebeuf, et même celui de Jésus, lui avaient fourni une aide décisive pendant la guerre et, contre toute attente, ils l’avaient également aidé à témoigner. En se servant de ces personnages pour reconstituer ses souvenirs des années 1940, il en avait également tiré profit pour lui-même en 1995. Non seulement il avait pris plaisir à se remémorer les représentations des Mystères comme des Dits divers, mais il avait pu à nouveau exploiter ces rôles pour montrer comment certaines personnes avaient protégé les citoyens juifs et les réfugiés — et d’autres non.
49Loin dans le temps comme dans l’espace où l’on cherche d’habitude le théâtre médiéval, loin de l’estrade de Valenciennes en 1547, loin également des plateaux de Paris au xxe siècle, on pourrait cerner quelques traces de ses vies ultérieures. Fugaces mais performantes, elles font preuve de ce que l’on appela, à l’époque, une vocation théâtrale. Porteuses des leçons de son maître Gustave Cohen, elles peuvent donc surprendre. Quoiqu’elles nous semblent très éloignées sinon sans aucun rapport direct avec l’œuvre du médiéviste, elles s’inscrivent toutefois dans la lignée de ses activités auprès de la troupe d’amateurs. Par leur matière médiévale comme par l’esprit d’engagement, elles concrétisent un héritage.
50Le recours au jeu de rôle chez Moussa A. et la mise en scène qu’il en fait cinquante ans après dans sa mémoire : tels, me semble-t-il, sont, parmi d’autres, quelques résultats aussi inattendus qu’importants du travail de vulgarisation de Cohen.
Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier vivement Véronique Dominguez, Marie Bouhaïk-Gironès, et Jelle Koopmans pour tous leurs conseils ainsi que pour leur esprit de confraternité intellectuelle. A Paol de Kimerc’h, trugarez.
2 « Performer le passé : une rencontre avec Paul Zumthor », Paul Zumthor ou l’invention permanente, J. Cerquiglini-Toulet et C. Lucken (éd.), Genève, Droz, 1998, p. 122. Voir aussi S. Steele, « L’Après-guerre de Gustave Cohen et les institutions françaises », Nottingham French Studies 42, n° 2, automne 2003, p. 35. L’essai d’Ed. Faral, Les jongleurs en France au moyen âge, Paris, H. Champion, 1910, parut quatre ans après l’Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen-Age, Paris, Champion, 1906, de Cohen. La différence d’approche s’est accentuée au fil des années. Voir leur collègue, M. Halbwachs, « Ma campagne au Collège de France », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 1, 1999, p. 189.
3 Voir le Fonds Théophilien, Bibliothèque Nationale de France, Département des Arts du Spectacle et l’article de Gustave Cohen qui fait le bilan des premières représentations, « Expériences théophiliennes », Mercure de France 273, 1, 1er février 1937, p. 453-477. Voir aussi H. Solterer, « Jouer les morts : Gustave Cohen et l’effet théophilien », Équinoxe 16, automne 1996, p. 81-96. Véronique Dominguez poursuit un projet d’ensemble sur les mises en scène théophiliennes dont je cite tous les éléments à travers cet article.
4 La présentation de Copeau du Paradoxe du comédien de Diderot fit date en 1929 selon P. Fresnay, Je suis comédien, Paris, Éditions du Conquistador, 1954, p. 44 ; pour Jouvet, son « Cours au Conservatoire National d’Art Dramatique », Revue d’Histoire du théâtre, 1987, ainsi que le numéro spécial « Jouvet et l’acteur », Revue d’Histoire du théâtre 158, n° 2, 1988.
5 J.-L. Moreno, « Role Theory and Role Practice », Psychodrama, New York, Beacon House, 1946, vol. 1, partie C. Voir l’introduction d’A. Ancelin Schützenberger au Théâtre de la spontanéité de Moreno, Paris, Épi, 1984, p. 9-23, la traduction de l’original allemand (1924). Voir aussi A. Blatner, « Applied Role Theory », Foundations of Psychodrama : History, Theory, Practice, New York, Springer, 2000, p. 13. Jody Enders travaille un autre héritage médiéval de la psychologie moderne, le syndrome dit de « Münchhausen », par rapport au Mystère de la Sainte Hostie. Voir son article, « Dramatic Rumors and Truthful Appearances : Medieval Myth of Ritual Murder by Proxy », Rumor Mills : The Social Impact of Rumor and Legend, G. Alan Fine, V. Campion-Vincent, C. Heath (ed.), New Brunswick, New Jersey, Aldine Transaction, 2005, p. 18 ; ainsi que dans son Murder by Accident : Medieval Theater, Modern Media, Critical Intentions, Chicago, University of Chicago Press, 2009.
6 Une partie modeste de l’œuvre d’Evreinov existe en traduction française, notamment Le Théâtre dans la vie, Paris, Stock, 1930 et Histoire du théâtre russe, Paris, Éditions du Chêne, 1947. Pour certains inédits ainsi que des textes en russe, voir le Fonds Evreinov, Bibliothèque Nationale de France, Département des Arts du Spectacle ; Teatr kak takovoi [Le Théâtre en tant que tel], Berlin, Academia, 1923 [original 1912] ; Pro Scena Sua. Rezhissura. Litsedei. Poslednie problemy teatra [Derniers problèmes du théâtre], Saint-Pétersbourg, kn-vo “Prometei”, N. N. Mikhailova, 1915. Pour une vue d’ensemble de sa pensée, voir l’article à paraître de S. Lukanitschewa, « Sehnsucht nach Theatralität : die künstlerisch-rekonstruktive Methode von Nikolai Evreinov und ihre Realisierung am Petersburger Starinnyig Teatr », Maske und Kothurn 2-3 (2009). Vladislav V. Ivanov, Département de Théâtre, Institut national des Arts, Moscou, prépare actuellement l’édition des Œuvres Complètes.
7 E. A. Stark, Starinnyi teatr [Le Théâtre Ancien], Petrograd, Tretia strahza, 1922 ; N. Weisbein, « Le Théâtre médiéval en Russie et en France », dans le numéro spécial, « Nicolas Evreinov : l’apôtre russe de la théâtralité », Revue des études slaves 53, 1981, p. 39-45 ; C. Moody, « The Ancient Theatre in St. Petersburg and Moscow, 1907-1908 and 1911-1912 », New Zealand Slavonic Journal 2, 1976, p. 33-54 ; et T. Victoroff, « Deux réécritures du mystère au xxe siècle : L’Action diabolique, « néomystère » d’Alexis Remizov et le Mystère de Saint Bernard de Menthon de Henri Ghéon », dans Renaissance du théâtre médiéval, V. Dominguez (dir.), UCL Presses Universitaires de Louvain, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie, Arts et Lettres, 2009.
8 N. Evreinov, Le Théâtre dans la vie, p. 23.
9 « L’Acteur médiéval », discours prononcé au Club « I. A. P. Polonskii » le 30 novembre 1908, Pro Scena Sua, p. 67-76.
10 V. Dominguez, La scène et la croix : le jeu de l’acteur dans les Passions dramatiques françaises (xive-xvie siècles), Turnhout, Brepols, 2007, p. 44, 231, 285 ; M. Rousse, « L’Acteur au Moyen Âge », dans D. Souiller et P. Baron (éd.) L’Acteur et son métier, Dijon, Éditions de l’Université de Dijon, 1997, p. 41-57.
11 Voir J. Enders, Death by Drama and Other Medieval Urban Legends, Chicago, University of Chicago Press, 2002, surtout chaps. 3, 5, p. 43-54, 67-78 ; S. Beckwith, Signifying God : Social Relation and Symbolic Act in the York Corpus Christi Plays, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 59, 64 ; J. R. Elliott, « Medieval Acting » dans Contexts for Early English Drama, M. G. Briscoe et J. C. Colewey (ed.), Bloomington, Indiana University Press, 1989, p. 243-44.
12 Léon Chancerel, chef de la troupe d’acteurs, les Comédiens Routiers et collaborateur de Cohen et les Théophiliens, a œuvré pour introduire la méthode de Stanislavski en France ; voir sa traduction faite avec Nina Gourfinkel de Ma Vie dans l’art, Paris, Editions Albert, 1934.
13 Archives du Theâtre d’Etat A. A. Bakhruskin, Moscou, Fonds Starinnyi teatr [Le Théâtre Ancien].
14 Archives Nationales, Paris, Papiers Gustave Cohen, 59 AP, 8, 1934-1936, Livre de Comptes, 1934-1935, « répétitions N. Evreinoff » le 13 février 1934 ; Nicolas Evreïnoff, 1879-1953, M.-F. Christout (éd.), Paris, Bibliothèque Nationale, 1981, p. ix.
15 Pour la version intégrale de cette enquête, voir H. Solterer, Medieval Roles for Modern Times : Theater and the Battle for the French Third Republic, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2010. La version française est en cours de préparation.
16 Ch. Charle, Les Professeurs de la faculté des lettres de Paris : Dictionnaire biographique, 1909-1939, Paris, Éditions du CNRS, 1986, p. 60-62.
17 Archives Nationales, Papiers Gustave Cohen, 59 AP, 1, 1914-1921.
18 J.-J. Becker, G. Krumeich, La Grande Guerre : une histoire franco-allemande, Paris, Tallandier, 2008, p. 160 ; France and the Great War, 1914-1918, L. V. Smith, S. Audoin-Rouzeau, A. Becker (ed.), New York, Cambridge University Press, 2003 ; S. Delaporte, Les Gueules cassées : les blessés de la face de la Grande Guerre, Paris, Noêsis, 1996, p. 16-19.
19 Pour toutes les rhétoriques de l’époque, voir Histoire culturelle de la Grande Guerre, éd. J.-J. Becker, Paris, A. Colin, 2005, p. 89-138 ; S. Audoin-Rouzeau, A. Becker, 14-18, Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, surtout la partie « Croisade », p. 129-230 ; Ch. Prochasson, 14-18, Retours d’expérience, Paris, Tallandier, 2008 ; « Sur les atrocités allemandes : la Guerre comme représentation », Annales 58, n° 4, juillet-août 2003, p. 879-94 ; J. Horne, « Soldiers, Civilians and the Warfare of Attrition : Representations of Combat in France, 1914-1918 », Authority, Identity and the Social History of the Great War, F. Coetzee, M. Shevin-Coetzee (éd.), Providence, Rhode Island, Berghahn Books, 1995, p. 223-50 ; et J. Winter, Sites of Memory, Sites of Mourning : The Great War in European Cultural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995. Annette Becker fait une analyse percutante de cette mystique dans La Guerre et la foi : de la mort à la mémoire, 1914-1930, Paris, Colin, 1994, p. 25-35. Pour celles des universitaires, voir Ch. Prochasson et A. Rasmussen, Au nom de la patrie : les intellectuels et la première guerre mondiale 1910-1919, Paris, La Découverte, 1996 ; et M. Hanna, The Mobilization of Intellect, French Scholars and Writers during the Great War, Cambridge, Harvard University Press, 1996, p. 6-7.
20 René Cassin, conseiller du Général de Gaulle (1942-1945), auteur de la Déclaration universelle des droits humains (1946), et lauréat du prix Nobel de la Paix (1988), lui aussi mutilé de la Grande Guerre, fit don de sa radiographie aux Archives Nationales. Selon l’historien Jay Winter son don témoigne de son pacifisme (communication au colloque « Theatres of Memory », Huizinga Instituut, Amsterdam, 28 janvier 2004). Pour les tentatives des anciens combattants de rendre compte de la mutilation, voir aussi L. V. Smith, The Embattled Self : French Soldiers’Testimony of the Great War, Ithaca, Cornell University Press, 2007, p. 87-88.
21 G. Cohen, op. cit., p. 171-174, surtout p. 171.
22 M. Sepet, « Essai sur les procédés scéniques dans les drames liturgiques et les mystères du moyen âge », thèse, Paris, École des Chartes, 1866. Dans la correspondance de Cohen se trouve une lettre de Sepet, datée du 19 avril 1916, qui fait référence aux « souffrances cruelles, bien glorieuses » de Cohen. Archives nationales, 59 AP, 1914-1921. Cohen cite Arsène Darmesteter dans sa « Leçon inaugurale, 1er décembre 1932, La Littérature française du moyen âge », Annales de l’Université de Paris (janvier-février 1933), p. 64. Voir aussi la correspondance entre le baron James de Rothschild et Gaston Paris, de 1875, date de la fondation de la Société des Anciens Textes Français (SATF), et 1881, date de la mort du baron ; Paris, BN naf 2455, fols. 425-429. Voir aussi M. Paillet, Le Baron James de Rothschild, Paris, Molteroz, 1882 ; B.-E. Susan, Un Bibliophile contemporain, Paris, Imprimerie A. Quantin, 1884, E. PICOT, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le baron James de Rothschil d, 5 vols., Paris, Damascène Morgand, 1884-1920.
23 U. Bähler, Gaston Paris et la philologie romane, Genève, Droz, 2004, p. 167, 175-79, et Gaston Paris dreyfusard : le savant dans la cité, Paris, Éditions du CNRS, 1999, p. 24-28.
24 Ch. Nozière, « Le Vray Mistère de la Passion par Arnoul Gréban », Le Censeur Politique et Littérature 1, n° 6, le 10 novembre 1906, p. 168. André Antoine travailla le texte du Vray Mistère de la Passion de Gailly de Taurines et de la Tourasse, auquel l’édition de Gaston Paris servit de base, Paris, Belin Frères, 1901. Voir V. Dominguez, « La réception du théâtre médiéval au xxe siècle : Le Vray Mistère de la Passion au théâtre de l’Odéon (Paris, 1906) », European Medieval Drama 10, 2006, p. 168-185, et « Le Théâtre médiéval au xxe siècle, résurrection du passé : sur les adaptations de la Passion de Gréban (1906 ; 1914 ; 1935 ; 1936 ; 1937), dans Images du Moyen Age, I. Durand-Le Guern (éd.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 245-256. Pour Max Reinhardt, voir S. Lukanitschewa, « Max Reinhardt. From Civil Theatre to Metropolitan Culture », Forum Modernes Theater 22, n° 1, 2007, p. 96-98 ; et H. Carter, The Theater of Max Reinhardt, New York, Benjamin Blom, 1914.
25 Pour Péguy comme homme du Moyen Age, voir le témoignage de son contemporain, L. Gillet, Amitiés littéraires, Paris, Perrin et Cie, 1928, p. 76 ; et A. Finkielkraut, Le Mécontemporain, Péguy lecteur du monde moderne, Paris, Gallimard, 1992, p. 30-31.
26 V. Duclert, Alfred Dreyfus : L’honneur d’un patriote, Paris, Fayard, 2006, p. 923. Ph.-E. Landau, Les Juifs de France et la Grande Guerre : un patriotisme républicain, 1914-1941, Paris, CNRS, 1999, p. 67-68.
27 J. Grand-Carteret, L’Affaire Dreyfus et l’image, Paris, E. Flammarion, 1898 ; Ch. Forth, « Bodies of Christ : Gender, Jewishness and Religious Imagery in the Dreyfus Affair », History Workshop Journal 48, automne 1999, p. 1739.
28 « Vrai Français de cœur, et s’intéressant à la France de toutes les époques, surtout de celle qui termine le moyen âge et ouvre les temps modernes, fidèle en même temps à la race dont son nom est une des gloires, il trouvait un attrait particulier à publier et illustrer cette grande œuvre, où se reflète la manière dont les Français d’autrefois ont compris l’histoire d’Israël. », Le Mystère de l’Ancien Testament, vol. III, p. III.
29 A. Becker, op. cit., p. 26.
30 Un ethnologue dans les tranchées : lettres de Robert Hertz à sa femme Alice août 1914-avril 1915, présentées par A. Riley et Ph. Besnard, Paris, Editions du CNRS, 2002, p. 153.
31 Ibid., lettre datée du 28 janvier 1915, p. 199.
32 C. Roy, Moi, je, Paris, Gallimard, 1978, p. 207.
33 Histoire des jeunes en Occident, G. Levi et J.-Cl. Schmitt (éd.), Paris, Le Seuil, 1996, vol. 1 ; et D. Fischer, L’Histoire des étudiants en France : de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000.
34 Existent plusieurs récits de la fondation de la troupe, celle que prôna Cohen et la concurrente de Maurice Jacquemont dans P. Rondin, « Maurice Jacquemont : un parcours », Recherche universitaire, Université de Paris-X, 1994, p. 19-23.
35 G. Cohen, « Expériences théophiliennes », p. 462.
36 Le Miracle de Théophile, transposition littéraire de G. Cohen, Paris, Delagrave, 1934. Pour les comptes-rendus des mises en scène, voir le Fonds Théophilien, BnF, Arts du spectacle, notamment A. Bellessort, Journal des Débats, 5 mars 1934, p. 3 ; M. Guillorit, Les Nouvelles littéraires, 10 mars 1934, p. 10 ; G. d’Houville, Revue des deux mondes, 15 mars 1934, p. 427-32 ; H. Parigot, Le Temps, 11 avril 1934, p. 3.
37 « Laz, chetis ! Et je sui es laz De Povreté et de Soufrete », Miracle de Théophile, M. Zink (éd.), Rutebeuf, Œuvres complètes, Paris, coll. Lettres Gothiques, 1990, v. 34-5, p. 536-37, 531-83. Pour les fictions de Rutebeuf, notamment les personnages de Théophile et de Salatin, voir A. Corbellari, La Voix des clercs : littérature et savoir universitaire autour des dits du xiiie siècle, Genève, Droz, 2005, p. 235-50 ; B. Ribémont, « La Légende de Théophile : une question du pouvoir », Europäische Literaturen im Mittelalter. Mélanges en l’honneur de Wolgang Spiewok à l’occasion de son soixante-cinquième anniversaire, Greifswald, Reinecke Verlag, 1994, p. 333-349 ; M. Zink, « De la repentance Rutebeuf à la repentance Théophile, » Littérature 15, 1986, p. 19-24 ; J. Dufournet, « Rutebeuf et le Miracle de Théophile », Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à A lice Planche, M. Accarie, A. Queffélec (éd.), Paris, Belles Lettres, 1984, p. 185-97 ; et G. Dahan, « Salatin du Miracle de Théophile de Rutebeuf », Le Moyen Age 32, 1977, p. 445-68.
38 Une génération avant Rutebeuf, Gautier de Coinci fut l’auteur d’une des premières versions en langue vulgaire, version anti-juive dans laquelle l’adversaire censé être juif emmena Théophile hors les murs à un endroit dangereux, à un château ou bien, selon les variantes, à un théâtre : « Bouter le fait en tele roie Ou perdera le cors et l’ame se Diex nel fat et Nostre Dame. », (« Il le pousse sur une voie néfaste Où Théophile se perdra corps et âme, Si Dieu et Notre-Dame n’interviennent pas », Le Miracle de Théophile ou comment Théophile vint à la pénitence, trans. A. Garnier, Paris, Champion, 1998, v. 292-299, p. 91), G. de Coinci, Les Miracles de Nostre Dame, V. F. Kœnig (éd.), Genève, Droz, 1955, v. 292-298, vol. 1, p. 68. Pour une étude systématique de la légende dès le ixe siècle, voir M. Lazar, « Theophilus : Servant of Two Masters. The Pre-Faustian Theme of Despair and Revolt », Modern Language Notes 87, n° 6, nov. 1972, p. 31-50 ; voir également J. Enders, Death by Drama and Other Medieval Urban Legends, p. 67. Gilbert Dahan souligne le profil fort ambigu du personnage ainsi que le caractère totalement fantaisiste de son langage : voir Les Intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Age, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 372, 377 ; et op. cit., p. 445-68. Pour les figures jumelées, Salatin/Satan, voir A. Boureau, Satan hérétique : naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, 1280-1330, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 97-100 ; M. Rubin, Gentile Tales : The Narrative Assault on Late Medieval Jews, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1999, p. 7-8 et dans leurs rapports à Marie, M. Rubin, Mother of God : A History of the Virgin Mary, New York, Allan Lane, 2009 ; V. I. J. Flint, The Rise of Magic in Early Medieval Europe, Princeton, Princeton University Press, 1991, p. 331-354.
39 Le Miracle de Théophile, transposition G. Cohen, p. 26. Selon Dahan, « l’invocation de Salatin (qui n’est pas juif) n’est pas en hébreu, quoi qu’on en ait dit. » Les Intellectuels chrétiens, p. 523.
40 Le Brûlement du Talmud à Paris, 1242-1244, G. Dahan (éd.), Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 16, 70-74 ; S. F. Kruger, The Spectral Jew Conversion and Embodiment in Medieval Europe, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2006, p. 173-177.
41 V. Luzarche, Adam, drame anglo-normand du xiie siècle : publié pour la première fois d’après un manuscrit de la bibliothèque de Tours, Tours, J. Bouserez, 1854, p. xliv ; M. Sepet, Les Prophètes du Christ : étude sur les origines du théâtre au moyen âge, Paris, Didier, 1878, p. 81, un jugement qui parut déjà dans sa thèse à l’École des Chartes ; et A. Jeanroy, Le Théâtre religieux du xie au xiiie siècles, Paris, De Boccard, 1923. Pour la tradition anglaise, voir E. K. Chambers, The Mediaeval Stage, Oxford, Clarendon Press, 1903. Pour un survol de cette tradition, voir C. Symes, « The Appearance of Early Vernacular Plays : Forms, Functions, and the Future of Medieval Theater », Speculum 77, 3, juillet 2002, p. 787, et sa conférence « Modern Origins of Medieval Drama : Toward a New History of Medieval Theater : Assessing the Written and Unwritten Evidence of Indigenous Performance Practices », au colloque de la SITM à Lille en juillet 2007.
42 Le Jeu d’Adam (Ordo representacionis Ade), W. Noomen (éd.), Paris, H. Champion, 1971 ou l’Ordo repraesentationis Adae, D. Bevington (ed.), Medieval Drama, Boston, Houghton-Mifflin, 1975, p. 78-121. Pour le manuscrit de Tours, voir C. Symes, op. cit., p. 803-5.
43 Le Jeu d’Adam et Ève, transposition littéraire de Gustave Cohen, adaptations musicales de Jacques Chailley, Paris, Delagrave, 1936. Le personnage d’Eve a suscité un débat vif ; voir surtout R. L. A. Clark, « Eve and her Audience in the Anglo-Norman Adam », Crossing Boundaries : Issues of Cultural and Individual Identity in the Middle Ages and the Renaissance, S. MacKee (ed.), Turnhout, Belgium : Brepols, 1999, p. 27-39 et E. J. Burns, Body Talk : When Women Speak in Old French Literature, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1993, p. 79-82, 97-102.
44 Pour l’histoire de ses représentations, M. Accarie, « La mise en scène du Jeu d’Adam », Mélanges de langue et littérature française du moyen âge offerts à Pierre Jonin, Senefiance 7, 1979, p. 1-16 ; R. Jones, « A Medieval Prescription for Performance : Le Jeu d’Adam » Performing Texts, M. ISSACHAROFF (ed.), Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1988, p. 101-15 ; J. Enders, The Medieval Theater of Cruelty, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1999, p. 210, et B. Cazelles, Soundscape in Early French Literature, Tempe, Arizona, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies in collaboration with Brepols, 2005, p. 31-34.
45 E. Auerbach, Mimesis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. C. Heim, Paris, Gallimard, 1968, p. 159, 171. Auerbach commenta le Jeu d’Adam pendant les années trente et quarante, une analyse dont Seth Lehrer dégage un récit figuratif de l’Occupation ; voir son « Philology and Collaboration : The Case of Adam and Eve », dans Literary History and the Challenge of Philology : The Legacy of Erich Auerbach, Seth Lerer (ed.), Stanford, Stanford University Press, 1996, p. 87.
46 Voir le cahier de Maurice Jacquemont qui détaille sa mise en scène : Fonds Maurice Jacquemont, Bibliothèque Historique de la ville de Paris. Je tiens à remercier Pierre Jacquemont et Geneviève Latour qui ont rendu cette collection accessible ainsi qu’à sa conservatrice Marie-Odile Gigou.
47 Le Jeu d’Adam et Ève, transposition littéraire de Gustave Cohen, p. 41. Et le texte anglo-normand : « Diabolus : Celeras m’en ?/Eva : Oïl, par foi !/Diabolus : Iert descovert !/Eva : Nenil/par moi !/Diabolus : Or me mettrai en ta creance, Ne voil de toi altre fiancé. », Le Jeu d’Adam (Ordo representacionis Ade), Noomen (éd.), v. 460-470.
48 « E : Manjue, Adam, ne sez quë est Prenum ço bien que nus est prest A : Est il tant on ? E : Tu le saveras : nel poez saver, si’n gusteras A : J’en duit. E : Lai le A : Nen f[e]rai pas. E : Del demorer fait u que las A : E jo le prendrai E Manjue. Ten », Le Jeu d’Adam (Ordo representacionis Ade), Noomen (éd.), v. 293-299.
49 Il est important de noter le choix de Cohen de supprimer les deux tiers du scénario. Pour la scène dans laquelle intervient la figure, Judeus, et ses rapports au genre chrétien, la disputation entre l’Église et la Synagogue ainsi qu’à l’exégèse juive de l’époque, voir R. Nisse, « Serpent’s Head/ Jew’s Hand : Le Jeu d’Adam and the Culture of Jewish-Christian Debate in Norman England », J. Wogan-Browne et al., Language and Culture in Medieval Britain :The French of England, c. 1100-c. 1500, York Medieval Press, Boydell & Brewer, à paraître ; Ch. Lee, « Jewish-Christian Debate and the Didacticism of Drama in the "Jeu d’Adam", Comitatus : A Journal of Medieval and Renaissance Studies 38, 2007, p. 19-41 ; J. R. Goodman, « Quidam de synagoga : The Jew of the Jeu d’Adam », Medieval Cultures in Contact, éd. Richard Gyug, New York, Fordham University Press, 2003, p. 161-188 ; et G. Dahan, Intellectuels chrétiens, p. 378.
50 R. Brasillach, « Critique théâtrale » 1935, Magazine d’aujourd’hui, 4 février 1935 ; B. Crémieux, « Miracle du théâtre en Sorbonne », Nouvelle Revue Française, vol. 44, 1er avril 1935, p. 650 ; Pour tous les comptes-rendus des mises en scène, voir le Fonds Théophilien, BnF, Arts du spectacle, notamment celui d’A. Bellessort, Journal des Débats, 5 mars 1934, p. 3.
51 Miracle de Théophile, 123 représentations ; Jeu de Robin et Marion, 21 ; selon le Fonds Théophilien, BnF, Arts du spectacle.
52 « Veiz m’erberie./Je vos di par sainte Marie/Que ce n’est mie freperie/Mais granz noblesce./J’ai l’erbe qui les veiz redresce/Et cele qui les cons estresce/A pou de painne./De toute fievre sanz quartainne/Gariz en mainz d’une semainne,/Ce n’est pas faute ; » Rutebeuf, Œuvres complètes, Zink (éd.), vv. 58-67, p. 770-71. Voir M. A. Katritzky, « Text and Performance. Medieval Religious Quacks and the Commedia dell’Arte », Transformationen des Religösen : Performativität und Textualität im geistlichen Spie l, I. Kasten, E. Fischer-Lichte, E. Koch (ed.), Berlin, Walter de Gruyter, 2007, p. 99-126.
53 M. Rousse, « Le Théâtre des farces en France au Moyen Âge » thèse, Université de Rennes, 1983, vol. 1, p. 221 ; R. Brusegan, « La Farmacia del Giullare : Ricette, reliquie et discorsi da vendere, » dans Il Contributo dei giullari alla drammaturgia italiana delle origini. Atti del Convegno di Studi sul teatro mediœvale e rinascimentale, Viterbo 17-19 giugno 1977, Rome, Bulzoni, 1978, p. 259-75 ; A. Cowell, « Advertising, Rhetoric and Literature : A Medieval Response to Contemporary Theory », Poetics Today 22, 4 (hiver 2001), p. 819-822.
54 « Performer le passé : une rencontre avec Paul Zumthor », Paul Zumthor ou l’invention permanente, p. 133.
55 L. Jouvet, « Découverte de soi et du personnage » dans Le Comédien désincarné, Paris, Flammarion, 1954, p. 102. Cet article a été rédigé pendant les années trente dans le cadre de son travail au Conservatoire, transcrit par son assistante Charlotte Delbo, et publié ultérieurement.
56 E. Benveniste, « Le Jeu comme structure », Deucalion 2, 1947, p. 163. L’article a été rédigé dans le cadre de ses travaux avec le Collège de Sociologie dans les années trente, et dont la guerre a retardé la sortie.
57 L’Ystoyre et la vie de Saint Genis, W. Mostert, E. Stengel (ed.), Marburg, N. G. Elwert Verlag, 1895 ; « Imperator Je ne puis croire qu’il soit tieulx/Qu’il voulist nostre loy changier/Mais il le fait pour vous chanchier/Car il le fait en maintes guises », v. 1469-72, p. 69. Voir W. Egginton, How the World Became a Stage : Presence, Theatricality, and the Question of Modernity, Albany, State University of New York Press, 2003, p. 80-83 ; J. Enders, Death by Drama and Other Medieval Urban Legends, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 23. Pour le phénomène de la conversion des juifs, voir S. Kruger, op. cit., p. 76-80.
58 H. Ghéon, Le Comédien et la grâce, Paris, Plon, 1925, p. 84. Ghéon s’inscrit certes dans la lignée de dramaturges qui travaillent le personnage de Genest, de Rotrou jusqu’à Sartre et Genet. Voir C. Roy, L’Amour du théâtre, Paris, Gallimard, 1956 ; et Mary Ann Frese Witt, « From Saint Genesius to Kean : Acts, Martyrs, and Metatheater », à paraître.
59 « Quelques Théophiliens sont entrés en religion : de la Faculté aux ordres, en passant par le Miracle de Théophile ou le Jeu d’Adam » ; « Les Théophiliens joueront Jeudi à Chartres et à Reims en juillet », Liberté, 25 mai 1938. Il s’agit de Geneviève de Gentile et d’André Millot : voir Bulletin Théophilien, 1er décembre, 1939, Fonds Théophilien, BnF, Arts du spectacle ; et une lettre de Millot à Moussa Abadi, datée le 24 octobre 1937 ; Fonds Abadi, IMEC, dossier Théophiliens. À ce sujet, voir A. Villiers, Le Cloître et la Scène : Essai sur les conversions d’acteurs, Paris, A. Nizet, 1961.
60 Gustave Cohen, lettre à Johannes Tierlrooy, datée du 30 décembre 1949, BnF, naf 15009, n° 340.
61 « Le Jeu d’Adam et Eve », spectacle donné sur le parvis de la Cathédrale de Reims à l’occasion de son inauguration officielle, 8-9 juillet 1938 », programme dans les papiers de Jean Zay, Ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts, l’Inauguration de la Cathédrale de Reims restaurée. Paris, Archives Nationales, F17, 15726, dossier 15.
62 « Le Vray Mistère de la Passion d’Arnoul Gréban, Spectacles », Revue des deux mondes 34 (1936), p. 198-201 ; « La Chronique des théâtres, » Action française, 12 mars 1937 ; Discours de Jean Zay, Ministre de l’Education nationale, 10 juillet 1938, à l’occasion de l’Inauguration de la Cathédrale de Reims restaurée. Paris, AN, F17, 15726, dossier #15.
63 G. Cohen, Lettres aux américains, Montréal, Editions de l’Arbre, 1942, p. 95.
64 Ibid., p. 62. Pour l’ensemble de ses activités pendant la guerre, voir H. Solterer, « Gustave Cohen at Pont-Holyoke : The Drama of Belonging to France », Artists, Intellectuals and World War II, C. Benfey, K. Remmler (ed.), Amherst, University of Massachusetts Press, 2006, p. 145-61 ; S. Steele, « L’Après-guerre de Gustave Cohen et les institutions françaises », Nottingham French Studies 42, n° 2, automne 2003, p. 35-53.
65 Voir P. Rondin, op. cit., p. 49-51 ; Ph. Nord, « Pierre Schaeffer and Jeune France : Cultural Politics in the Vichy Years », French Historical Studies 30, automne 2007, p. 685-709 ; V. Chabrol, « L’Ambition de “Jeune France” », La Vie Culturel de Vichy, J.-P. Rioux (éd.), Paris, Éditions Complexe, 1990, p. 161-78 ; et D. Lindenberg, « Révolution culturelle dans la révolution nationale. De Jacques Copeau à “Jeune France” : une archéologie de la décentralisation théâtrale », Les Révoltes logiques 2, été 1980, p. 2-18.
66 À ce sujet, le travail de Serge Added fait date : Le Théâtre dans les années Vichy 1940-1944, Paris, Ramsay, 1992, p. 203-225.
67 P. Gillet, « Le théâtre dans les camps de prisonniers de guerre français, 1940-1945 », Théâtre et spectacles hier et aujourd’hui ; p. 265-274 ; voir également le roman Commandant Watrin d’Armand Lanoux, Paris, Julliard, 1956.
68 Pour des créations théâtrales et musicales dans les camps concentrationnaires en Pologne et en Allemagne, ainsi que dans les camps d’internement en France, voir, entre autres, le cabaret, sans date fixe, mais monté vraisemblablement en octobre 1943, de G. Tillion, Le Verfügbar aux Enfers : une opérette à Ravensbrück, Paris, Editions de La Martinière, 2005 ; et le récit illustré à Nice, de Charlotte Salomon : « Vie ou Théâtre ? », Paris, Centre Georges Pompidou, 1992, composé en 1941-1942, avant la déportation de l’artiste, le 23 septembre 1943. Les recherches se poursuivent : L. Peschel, « Nonsurvivor Testimony : Terezín Ghetto Theatre in the Archive and the Second Czech Cabaret », Theatre Survey 48, 1, mai 2007, p. 143-167, l’ouvrage d’ensemble, Theatrical Performance during the Holocaust Texts. Documents, Memoirs, R. Rovit and A. Goldfarb (ed.), Baltimore Johns Hopkins University Press, 1999 ; Art, Music, and Education as Strategies for Survival : Theresienstadt 1941-1945, A. D. Dutlinger (ed.), New York, Herodias, 2001 ; et M. Patterson, « The Final Chapter : Theatre in the Concentration Camps of Nazi Germany », Theatre in the Third Reich, The Prewar Years : Essays on Theater in Nazi Germany, G. W. Gadberry (ed.), Westport, Greenwood Press, 1995, p. 157-166.
69 Dans Dr J. Weill, Contribution à l’histoire des camps d’internement dans l’Anti-France, Paris, Editions du Centre de documentation juive et contemporaine, 1946, p. 102-103 ; et, une version légèrement différente, dans R. Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde guerre mondiale, Paris, Hachette, 1997, p. 235-236. Aucun détail n’est donné de l’auteur ni de l’original allemand du poème non daté.
70 « Nice la Marine devient capitale des lettres », 7 Jours n° 29, le 20 mai 1941, p. 12-13.
71 Voir J. Kleinmann, « Les étrangers dans les Alpes-Maritimes, 1938-1944 à travers les documents préfectoraux (1860-1944) », thèse, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2003, p. 314-18 ; R. Poznanski, op. cit., p. 187.
72 Témoignage recueilli pour « L’Association Mémoire pour la Shoah », le 18-19 avril 1995. Paris, Archives nationales, 8 AV 267, 269. Cette Association est l’antenne de la Fondation Fortunoff et ses « Archives for Holocaust Testimonies » dont le siège est la Yale University, New Haven, Connecticut, aux États-Unis. Je tiens à remercier l’archiviste, Mme Joanne Rudof pour l’autorisation de la Fondation de citer ce témoignage ainsi qu’à M. Julien Engel pour toute son aide. Selon les protocoles et les méthodes de la Fondation, toute référence fait allusion ensuite à Moussa A.
73 Mystère de la Passion des Théophiliens, transposition de Gustave Cohen, Paris, Richard-Masse, 1950.
74 Voir ces paroles, et la note en bas de page, « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné (en araméen) », Ibid., p. 152. Pour un deuxième exemple d’une réponse à cette scène du rituel et du théâtre religieux, voir É. Bloch-Dano, Madame Proust, Paris, Grasset, 2004, p. 124.
75 « Judas d’après La Passion de Jehan Michel (1486), transcription de Gustave Cohen », 19361937. Fonds Moussa Abadi, IMEC Quelques extraits de cette transcription se trouvent dans l’adaptation de Cohen, op. cit., « Deuxième Journée » scènes III, V-X, XII-XV ; p. 87-89, 93-101, 104-19, p. 123-141.
76 Voir note 71.
77 Les papiers des activités de son réseau clandestin, le Réseau Marcel, se trouvent dans le Fonds Abadi, Centre de documentation juive contemporaine, Paris. Dès l’après-guerre, les recherches se poursuivent ; D. Knout, Contribution à l’histoire de la résistance juive en France, 1940-1944, Paris, Éditions du CDJC, 1947, p. 40, 72 ; L. Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1986 ; L. Yagil, Chrétiens et juifs sous Vichy (1940-1944) : sauvetage et désobéissance civile, Paris, Éditions du Cerf, 2005, p. 262-268.
78 R. Samuel, Theatres of Memory, London, Verso, 1994, p. ix-x ; G. Hartman, « The Humanities of Testimony : An Introduction », Poetics Today, 27, n° 2, été 2006, p. 254.
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