Chapitre XII. Aucassin et Nicolette : une pièce de théâtre médiéval ?
p. 213-229
Texte intégral
1Par le titre énigmatique que lui donne son avant-dernier vers, la célèbre cantefable pose un problème de définition, pour ne pas employer le terme de « genre2 », que ce colloque, en revenant aux origines de l’expression « théâtre médiéval », essaie d’interroger3. « Hapax legomenon4 » de la littérature médiévale selon Gustave Cohen, ce texte, qui fait alterner la prose et les vers, n’a ni généalogie ni descendance clairement identifiées. Et si le prosimètre, autre entrelacs de la prose et du vers, représente une forme poétique importante au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance5, personne avant Robert Desnos, n’a eu l’idée, gracieuse ou audacieuse, d’appeler l’une de ses œuvres « chantefable6 » !
2Que le « mystère Aucassin » ait à voir avec une interrogation sur le théâtre, c’est ce que montre l’histoire de ce texte. En effet, celle-ci est aussi riche dans la littérature savante que sur la scène théâtrale, la première ignorant, contestant ou cautionnant les pratiques de la seconde. Cependant, pour tourmentée qu’elle soit, cette histoire semble postérieure à l’époque où le texte fut composé, puis copié, probablement dans l’Artois : le xiiie siècle7. Après avoir retracé l’histoire critique et dramatique de la cantefable, nous aimerions interroger les rapports entre la théâtralité évidente de ce texte et l’éventualité de sa performance médiévale8 , en étudiant Aucassin dans le contexte matériel, historique et textuel de son unique témoin actuel, le manuscrit BnF, f. fr. 21689, anciennement coté 79292. Autrement dit, Aucassin et Nicolette est-il une pièce de théâtre médiéval ?
Taxinomie, théâtralité et performance
3Quand Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye entreprend de traduire dans le Mercure l’Histoire ou Romance d’Aucassin et Nicolette en février 1752, il donne probablement au terme de « romance » son sens historique de « vieille historiette écrite en vers simples, faciles et naturels… chant[ée]... divisée par stances10 », auquel s’ajoute celui de « chanson sur un sujet tendre et touchant » acquis du Moyen Âge au xviiie siècle11. Du texte qu’il rend accessible, Sainte-Palaye souligne avant tout la probable performance à l’époque même de sa composition :
« Il fut composé vers le temps de S. Louis pour être récité et chanté dans les cours des rois, des princes et des seigneurs Le trouverre ou Jongleur qui faisoit le premier rôle récitoit à voix haute et sonore l’histoire ou la fable en prose qui est toujours précédée par ces mots : “on dit, on conte, on fabloye”. Ce qui est en vers, précédé des mots “on chante”, étoit mis en musique, et se chantoit sans doute par la troupe des chanteurs a qui le chef donnoit le ton. un nombre infini d’instruments de toutes especes joués par les jongleurs et les ménestriers de la même bande, formoit l’accompagnement12... »
4À partir des célèbres formules qui scandent le texte d’Aucassin, et surtout des divers sens du mot « romance » à son époque, Sainte-Palaye propose une interprétation de type historique, mais sans preuve. Poème chanté comme toute romance du xviiie siècle, Aucassin était manifestement destiné à la performance, même si aucun document n’atteste celle-ci, ni ne précise a fortiori sa forme. De toute façon, là n’est pas pour Sainte-Palaye l’intérêt majeur de ce texte, auquel lequel il dit trouver un « but moral » – mais une telle caution n’est-elle alors pas nécessaire au récit d’amours scabreuses ou de sujets simplement divertissants ? Il reste que selon lui, « l’Amour. [y est] présenté comme une passion qui, renfermée dans de justes bornes, peut être le principe des plus éclatantes vertus et des plus grandes actions [...] mais [...] peut être la source d’une infinité de désordres et de calamités ». Même l’épisode de Torelore, si décrié que bien des médiévistes, de Gaston Paris à Albert Pauphilet, l’ont supprimé de leurs éditions d’Aucassin, trouve grâce à ses yeux comme leçon aux « seigneurs des fiefs [...] que se montrer seulement à [la] tête de [leurs sujets], c’est en assurer le succès13 ». Aucassin, fable de l’amour et du pouvoir au Moyen Âge, que Sainte-Palaye reprend en 1756 dans Les Amours du Bon Vieux Temps, dans une section intitulée « Romances ou Fabliaux14 » : telle est la version que le xviiie siècle français aurait eue de la cantefable.
5Est-ce pour éviter le « vide scientifique » autour de la question de la performance que les éditeurs de ce texte dans sa langue d’origine ne le désignent pas, eux non plus, comme une pièce de théâtre ? En 1808, le premier, Dominique Méon « finit [son volume] par le fabliau d’Aucassin et Nicolette ». Cette appellation, qui retient du titre donné par Sainte-Palaye à son recueil de 1756 la seconde moitié, « fabliau », lui est aussi dictée par la logique de son ouvrage, une réédition des Fabliaux et contes des poètes français de Barbazan15. Pour Louis Moland et Charles d’Héricault en 1856, c’est l’une des Nouvelles françoises du xiiie siècle16, « nouvelle » qu’ils appellent aussi « conte17 ». En 1866, Alfred Delvau l’appelle « pastorale », et, en souvenir de Beaucaire, où l’histoire se déroule, l’intitule Roman de chevalerie provençal-picard18. Après le « conte », qui désigne comme « l’histoire » le déroulement d’une fable, dispositif narratif dont la dimension fictive est accentuée sans que soit précisée sa forme en prose ou en vers, la « pastorale » et surtout le « roman » évoquent la forme littéraire majeure dont le sort de deux biax enfanspetis (v. 3) porte le souvenir : le « roman courtois » pour Robert Bossuat, ou « roman d’aventures » pour Edmond Faral19. De la même façon, Aucassin est pour Gaston Paris soit un « récit » ou « fiction », soit un « roman20 », tandis que pour Bédier, c’est avant tout une « idylle21 ». Enfin, en 2001, le Corpus de la Littérature médiévale en langue d’oïl des origines à la fin du xve siècle22 la classe dans le « genre narratif », aux côtés du « roman » et du « conte », et par opposition à la « poésie » ou au « théâtre ».
6Du xviiie au xxie siècle, l’alternance de la prose et du vers et l’éventualité d’une performance d’Aucassin semblent donc reléguées au second plan dans la définition et le classement de ce texte. De la cantefable, la critique retient d’abord l’argument, « l’histoire », vraie ou feinte. Si classement il y a, c’est par analogie avec le roman – un roman d’aventures, amoureuses et contrariées. La position de Gustave Cohen, qui aborde Aucassin dans le cadre de son cours de 1937 sur le théâtre comique23, est donc neuve, quoiqu’elle reflète cet inconfort critique. S’il aborde d’emblée la question délicate posée par le terme cantefable, Cohen évoque en même temps celle de son mode de représentation. « Il s’agit en effet d’un texte dont la récitation est certaine, mais sans qu’on puisse affirmer que celle-ci a été faite par un seul ou par plusieurs jongleurs, devant un décor sommaire ou sans décor aucun. » Cependant, il réagit à ces hésitations en amateur passionné de théâtre, et ses Théophiliens ont proposé plusieurs types de représentations dramatiques d’Aucassin, d’une mise en espace sommaire en amphithéâtre dans le cadre du cours de 1937 à un spectacle à grand succès sur les scènes françaises, européennes et brésiliennes, après la seconde Guerre Mondiale24.
7Mais Gustave Cohen est loin d’être le seul, ou le premier, à avoir mis Aucassin en scène. Depuis le xviiie siècle, la scène française s’est plue à transformer ces strophes – ces laisses25 ? – en un texte à plusieurs actes, interprétés par plusieurs personnages. Pour honorer la traduction de Sainte-Palaye, Sedaine a « travesti le fabliau d’Aucassin en Opéra Comique », et il compose deux adaptations de la cantefable, accompagnées par la musique d’André Grétry. Son premier Aucassin, en quatre actes, est joué pour la première fois le 30 décembre 1779 à Versailles devant leurs Majestés, puis le 3 janvier 1780 à l’Opéra-Comique26. Le second, une version réduite en trois actes, au langage châtié et à la progression dramatique simplifiée27, répond-il à la critique du parterre, qui a jugé immoraux certains aspects de la pièce, et notamment le mensonge d’un père à son fils ? Mais le public royal, et le ton acide de Sedaine, qui dénonce lui-même cette réception morale de sa pièce28, attestent le succès de celle-ci, de même que Marcassin et Tourlourette, sa parodie, jouée dès avril 1780 pour le même public29.
8Au xxe siècle, on recense en France de nombreuses récritures d’Aucassin pour la scène. En 1922, Marcel Sarthou, inspecteur d’Académie du Pas-de-Calais, écrit pour un public scolaire une adaptation en alexandrins, en quatre actes et en vers, d’après la chantefable du xiie siècle30, où Nicolette-Alix fait partie d’un groupe de jeunes esclaves, et où Aucassin est le meneur de jeunes gens qui les sauvent de l’exil, sous la bienveillante houlette de deux ridicules, dame Nicole et le majordome Thibaut… Moins scolaire, mais tout aussi loin de l’original, Charles Gailly de Taurines, qui produisit plusieurs adaptations de pièces médiévales pour les scènes parisiennes de la Belle-Epoque31, tente sans succès de faire jouer sa Cantefable d’un jongleur à l’Odéon. Mais elle est montée au Théâtre des Arts le 8 mars 1910, avec une musique de Simon Loen32. Dans cette version, dont Mme Lherbay et Georges Baillet, sociétaires de la Comédie-Française, jouent les rôles principaux, une belle châtelaine s’ennuie à la fenêtre avec son page. Elle fait entrer un jongleur au château. Accompagné d’une chanteuse, celui-ci raconte les principaux épisodes de la chantefable, lesquels émeuvent et amusent la châtelaine jusqu’au retour de son amant. Enfin, pour la saison 1979-1980, Jean-Luc Jeener a mis en scène au Théâtre-13 à Paris La belle Sarrasine, une comédie-opérette tirée de la chantefable33.
9Mais bien avant, la scène allemande a suivi, donnant souvent du xixe au xxe siècle à Aucassin la forme d’un opéra34. Dox est li cans (v. 8) : à l’instar du Jeu de Robin et Marion, autre ancêtre médiéval de l’opéra-comique, ces adaptations semblent voir dans la musique un aspect majeur de l’œuvre, dont témoignent les deux phrases mélodiques inscrites sur des portées de musique dans le manuscrit. On songe alors à la partition musicale de Paul Le Flem, disciple de César Franck, « écrite pour orchestre à cordes, harpe chromatique, piano, orgue, chœurs mixtes et solistes, ces derniers au nombre de cinq : le meneur de jeu (mezzo-soprano), Nicolette (soprano), Aucassin (ténor), Garin (basse), un pastoureau (soprano) », qui accompagnait la pièce d’ombres de Géo Dorival et Marc Bordry35. Quant à la scène américaine, elle a produit d’Aucassin une version enfantine, au King-Coit Children’s Theatre, où l’on joua à New York en 1910, puis pendant les fêtes de Noël de 193636, une adaptation de la version anglaise d’Andrew Lang37.
10Opéra-comiques agrémentés d’ariettes38, comédies, tragiques ou comiques des Lumières à aujourd’hui en passant par la Belle Epoque, les mises en scène d’Aucassin sont-elles des dérives, qui mettent imprudemment de côté les conclusions des spécialistes ? Rien n’est moins sûr, puisque c’est bien comme pièce de théâtre que certains l’ont aussi considéré. Non que les précédents n’aient pas été sensibles à son potentiel dramatique. Gaston Paris va même jusqu’à envisager l’existence d’un genre de la « chantefable », dont nous n’aurions conservé qu’un témoin, et qui serait démarqué du modèle italien de la cantafavola39.
Les chantefables se débitaient en public, et étaient vraisemblablement exécutées par plusieurs personnes. [...] Mais il est clair qu’au besoin un seul jongleur pouvait se charger et de réciter la prose et de chanter les vers. [...] Cette prose a été faite pour être récitée, presque jouée, et non pour être froidement lue40.
11Presque ? En 1910, Meyer-Lubke propose de lire Aucassin comme une véritable pièce de théâtre. Il rappelle la région d’origine du manuscrit qui le contient : l’Artois, et les nombreuses attestations de représentations de textes qui y sont rattachées, de Robin et Marion à la Feuillée. Il propose en outre un parallèle avec un autre texte assimilé au drame, religieux cette fois : le Sponsus. Et il analyse quelques moments de la narration comme indications de mise en scène, peut-être pour un seul acteur41. L’année suivante, il est sévèrement critiqué par S. Aschner, qui souligne des effets de parole identiques dans les « dits42 ». Mais en 1932, Grace Frank reprend et complète les analyses de Meyer-Lübke, pour une défense et illustration de la performance d’Aucassin43. Et en 1954, Carl J. Stratman, dans sa Bibliography of Medieval Drama retient la cantefable sans hésiter dans les œuvres dramatiques dont il fait le recensement44, ce que faisait déjà Albert Henry dans sa Chrestomathie de la littérature en ancien français45.
12L’histoire critique et dramatique d’Aucassin trahit plus qu’elle ne résout le problème posé par ce texte. Ce problème relève moins du « genre » auquel appartiendrait Aucassin que du mode d’existence de ce texte à l’époque de sa composition, et dont les deux formules introduisant les strophes suggèrent l’éventuelle performance. Or se cante et or dient, content et f(l)abl(oi)ent sont en effet les formes les plus évidentes de la « théâtralité » d’Aucassin. Ce terme, qui appartient à la critique contemporaine, désigne au sens premier le « caractère de ce qui se prête adéquatement à la représentation scénique46 », et notamment la propension d’un texte a priori non théâtral à être mis en corps et en voix – une propension que Paul Zumthor a aussi appelée « performativité », et étendue à l’ensemble de la production médiévale47. Mais de la théâtralité à la mise en scène effective, c’est-à-dire à la mise en voix et en gestes d’un texte par un ou plusieurs protagonistes, il y a un pas : celui qui sépare le « chant » ou le « dit » du texte « par personnages ». Dans quelle mesure l’examen d’Aucassin dans son contexte manuscrit permet-il de le franchir ?
Une pièce dans son manuscrit
13À examiner le manuscrit BnF, fr 216848, anciennement coté 79292, unique témoin connu d’un texte qui s’y intitule C’est d’Aucassin et de Nicolete, rien ne permet de décider que ce texte ou ceux qui l’entourent reproduisent des actes de parole, ni a fortiori la forme, gestuelle ou non, à un ou à plusieurs personnages, que ces derniers auraient pu prendre. Ainsi, le texte occupe les folios 70 à 79 d’un manuscrit dont le plus long morceau est une version de l’Âtre Périlleux, un témoin de la tradition romanesque. Le reste du manuscrit réunit un Bestiaire, qui n’est autre que l’Ysopet de Marie de France, de nombreux lais qui lui ont ou non été attribués, quelques fabliaux, et quelques textes connus appartenant à la tradition morale, comme Le devision des quinze Signes, l’Image du Monde, ou encore un Lucidaire en romans.
14Disparate est donc sa caractéristique. Mais on a pu récemment montrer que la disparité n’était que de façade dans les manuscrits médiévaux, et qu’un ordre profond en régit la structure49. Pour l’heure, ce texte prend place entre un roman, des fabliaux, et des morceaux très connus de la littérature édifiante – on ne compte pas moins de vingt-deux manuscrits de la Devision des Quinze Signes50. Les œuvres de ce recueil semblent donc toutes avoir une fonction sociale et réflexive, en tout cas celle que l’on attribue aux textes édifiants mais aussi aux fabliaux51. Or, chacun sait à quel point Aucassin est démarqué de la courtoisie, de la chevalerie et des modèles d’écriture qui les accompagnent, et la portée réflexive de ses traits parodiques ressort renforcée de ce voisinage52. Parodie et réflexivité en revanche ne nous disent absolument rien de la performance éventuelle d’Aucassin, ni d’ailleurs de celle des autres textes du manuscrit.
15Qu’à cela ne tienne : qu’en est-il de l’histoire du manuscrit ? Dans le « catalogue des manuscrits de feu M. l’Abbé Baluze, acquis par le Roy et transportés en sa Bibliothèque au mois de septembre de l’année 1719 (957 n°s) », au n° 572, les titres sont glosés de la façon suivante : « Roman de latre perilloux. Un roman où le commencement manque, mais au second feuillet il y a un titre qui porte : C’est li lais de Gugemer. Li Favliaus d’enfer. Le livre de clergie ou image du monde. Le Bestiaire. Le lucidaire de Saint Anselme. Vers de la vieille truande53. » Il semble donc que pour un bibliophile du xviiie siècle, Aucassin soit une œuvre très secondaire, qui n’a guère retenu l’attention de la personne chargée de décrire les richesses que la Bibliothèque du Roi avait réussi à acquérir de la prestigieuse collection Baluze. Cette personne, qui ne cite ni l’Âtre Périlleux, ni Aucassin. S’intéresse surtout aux morceaux connus de la littérature édifiante, et au recueil de fabliaux, que ce soient ceux qu’on attribuera bientôt à Marie de France, ou celui de la Vieille truande, connu aussi par d’autres manuscrits54.
16Quant à l’abbé Baluze, ce n’est ni Soleinne ni Auguste Rondel, dont la passion pour le théâtre a marqué les collections55 ! Rien de la façon dont ce collectionneur privé a constitué et légué sa collection ne dit qu’il ait particulièrement aimé le théâtre ou attaché de l’importance à la relation entre les textes et leur performance. Cet « ancien professeur en droit canon au Collège royal de France », « bibliothécaire de feu M. Colbert56 », se signalait plutôt par des travaux d’historien. Épris de culture locale, il met ainsi au point une généalogie de la maison d’Auvergne. Si le Moyen Âge l’a intéressé, c’est pour son histoire religieuse, dont quelques pièces du manuscrit font assurément partie. Mais dans son testament, Baluze accorde plus d’importance à sa collection de livres qu’à ses manuscrits, « volant que [la première] soit vendue en détail au plus offrant et dernier enchérisseur, afin que les curieux puissent en avoir leur part, y ayant une très-grande quantité de livres rares, difficiles à trouver, que les gens de lettres seront bien aises d’avoir occasion d’acquérir. J’excepte néanmoins de cette prohibition ma bibliothèque de manuscrits, au cas qu’il se trouve quelqu’un qui les veuille acheter en gros et en donner un prix raisonnable57 ». Par conséquent, il accordait à ses manuscrits une valeur surtout marchande, plutôt qu’il ne s’intéressait à leur contenu. Partant, il est très probable qu’il n’avait pas remarqué la présence d’Aucassin dans l’un d’entre eux.
17Et puis, pour qui escrivez vous ? Posée à notre manuscrit, il semble enfin que la question de Montaigne reste pour l’heure sans réponse, cinq siècles séparant la collection Baluze de la composition du manuscrit fr. 216858. Car nous ne savons pas pour qui le manuscrit a été composé, ni les circonstances qui ont entouré cette commande, lesquelles permettraient mieux d’envisager d’éventuels modèles de mise en corps et en voix contemporains de cette composition, ou bien de les exclure.
18Nous devons donc nous contenter d’une analyse intrinsèque du manuscrit, texte et codex compris. Nous pouvons ainsi remarquer qu’Aucassin est copié comme le reste du manuscrit sur deux colonnes et trente-sept lignes, une portée de musique valant une ligne. Ses laisses s’ouvrent sur les deux formules or se cante, or dient et content et f(l)abl(oi)en(t). Mais que ces formules fassent référence à des actes de parole effectifs, et qu’on ait affaire à un morceau de « littérature comme conservation inspirée d’une parole vive59 », rien ne permet d’en décider – et encore moins, de répondre à la question de leur performance gestuelle. La lettre des textes qui entourent Aucassin dans le manuscrit fr. 2168 pas plus que leur accompagnement matériel ne nous renseigne précisément à cet égard. Aucun témoin n’existe de leur éventuelle représentation. Et aucun autre texte ne porte de signe particulier qui rappellerait les fameuses formules d’Aucassin, à l’exception toutefois de la portée de musique60 laissée en blanc qui précède au folio 65 le Lai de Graelent, et qui suggère l’accompagnement musical de cette pièce, souvent associé par ailleurs à la forme intitulée « lai61 ».
19Les seules questions possibles sont alors celles que la grand-mère du théâtre médiéval, Grace Frank, qui souligne avant Paul Zumthor la « dramatisation » toujours possible de la littérature médiévale narrative62, a posées à Aucassin, en prêtant attention à la matérialité du texte comme à son contenu. Elle a ainsi montré le fonctionnement de ces formules comme « envois » d’une parole entre, selon elle, deux « voix », l’une récitant la prose, l’autre chantant les vers sur la fameuse mélodie consignée dans le manuscrit : ainsi, une fois sa laisse exécutée, le jongleur chanteur se tait, parle à son acolyte pour qu’il se charge de la narration, la mimant peut-être pour la rendre plus vivante63.
20De fait, si l’on reprend la description du texte d’Aucassin dans le fr. 2168, la formule 1, or se cante est la plupart du temps écrite dans la continuation du texte en prose, comme si la ou les voix chargées de cette exécution signalaient elles aussi à leur(s) interlocuteur(s)-chanteur(s) qu’il(s) doi(ven)t intervenir. Une seule fois, au folio 72, avant la laisse VII, Aucasins s’en est tornés..., elle est justifiée à gauche, exactement sous le texte en prose. En revanche, la formule or dient et content et fabloient est la plupart du temps inscrite en colonne, un verbe sous l’autre, à la fin de la portée musicale, laquelle n’est pas remplie par les quatre syllabes du dernier vers. De cette façon, la formule 2 crée une rupture dans la continuité du texte, indiquant d’une manière visuelle nette le passage à un autre type de performance. Et sa copie, à la droite de la colonne du texte, qui tranche concrètement avec le reste de ce texte, n’est pas sans évoquer la notation des indications scéniques dans certains manuscrits de théâtre copiés plus tard. Cette particularité de la notation permet de tracer, peut-être, un lien entre cette pièce et des textes dramatiques médiévaux dont on sait qu’ils ont été représentés, et où les didascalies ainsi disposées dans la page indiquaient un changement, de place, de geste, de costume ou de ton, lors de leur performance64.
21Par conséquent, si l’on veut bien admettre que dans les laisses en vers, le vers bref et les portées de musique suggèrent une performance peut-être proche de celle des chansons de geste65, il ne reste à résoudre, si l’on ose dire, que le problème des passages en prose. Sur ces derniers, nous aimerions ajouter une remarque aux conclusions de Grace Frank, en examinant aussi le contenu des textes narratifs qui entourent Aucassin.
22Il a souvent été noté que les morceaux en prose d’Aucassin ne faisaient intervenir le plus souvent que deux protagonistes – parfois trois –, et l’on s’est beaucoup interrogé sur le singulier de or se cante et sur le pluriel de or dient et content et fablent. Ces formes ont-elles une valeur d’indéfini ? C’est la réponse parfois donnée66. Plausible, mais vague, celle-ci ne décide pas du nombre de voix qui s’y font entendre, et on peut tout aussi bien préférer avec Omer Jodogne67 ou Grace Frank que dient et content et fabloient et no cantefable désignent plusieurs voix – deux selon ces critiques. Que le manuscrit en question porte les traces récurrentes d’une éventuelle exécution des passages narratifs à deux voix, mais que celles-ci soient accompagnées d’une troisième voix, peut-être celle du chanteur, qui ferait ensuite office de narrateur : c’est ce qu’on propose ici68.
23En effet, le fait que la structure narrative repose sur un dialogue entre deux voix, qu’une troisième voix accompagne d’un commentaire critique et distancié, est commun à plusieurs pièces du recueil, et notamment aux plus proches d’Aucassin.
24Ainsi, ce manuscrit contient de nombreuses pièces attribuées à Marie de France, qui portent le titre de lais ou de fabliaux. Si on n’a jamais songé à lui attribuer Aucassin69, il reste que de nombreux textes dont elle serait l’auteure sont comme la cantefable des narrations scandées par des dialogues. Ceux-ci convoquent deux protagonistes, parfois trois, qui échangent deux à deux, tandis que la voix narrative coordonne et commente l’ensemble de l’histoire. On songe ainsi à Guigemar, averti par la biche qui le blesse des épreuves qui l’attendent, puis dialoguant avec son amie, en présence du mari de celle-ci ou de Mériaduc qui la retient prisonnière ; à Lanval, dialoguant avec sa belle ou avec la reine séductrice puis ulcérée de son refus70 ; mais aussi à Graelent, qui comme Lanval se refuse à la reine parce qu’il aime une belle fée des eaux, avec laquelle il dialogue, ainsi qu’avec la reine ou le souverain71. Si ce dernier texte n’est pas attribué à Marie de France, on ne peut qu’être frappée par sa grande ressemblance thématique et structurelle avec le Lai de Lanval, notamment au plan de l’importance des dialogues et de la distribution des voix dans la narration.
25Par ailleurs, l’un des fabliaux les plus connus du manuscrit, la Vielle Truande, fait dialoguer deux à deux trois personnages, la vieille, le bacheler et le castelain, « unz hauz hom [...] de Cort », (v. 140)72.
26Surtout, dans la Bataille de Karesme et de Charnage73, les deux allégories éponymes disputent aussi âprement que le feraient dans un mystère les allégories du Procès de Paradis ou encore Justice et Synagogue !
Que est ce dont, vif déable, qu’est-ce,
Charnaige, me menaciez vos ?
Fuiez de ci, maleurox... (v. 98-100).
27Certes, les passages narratifs font intervenir des éléments qui n’ont guère la possibilité d’être incarnés. Ainsi, Karesme s’adresse « as chiens de mer et as balaines/ [...]/Et as saumons et as craspoies/As mulés et as heurespois » (v. 163, 165-166), tandis qu’à l’appel de Charnaige, « Primes vinrent crassesporées,/et après bonnes charbonées,/ char de porc à la vert savor/I vint por aidier son Seignor » (v. 211-214). Mais même ces éléments loufoques ne participent-ils pas de la richesse des formes dramatiques médiévales, laboratoires de figures gestuelles dont les textes ont parfois gardé le secret74 ? Et dans tous les cas évoqués, vient s’ajouter aux deux voix principales celle du jongleur-conteur, tel celui de Karesme et Charnaige – « Uns fablel vueil renoveler/ qui lonc tens a esté perdus » (v. 2-3) –, ou celui de la Vielle Truande : « De fables fet-l’en les fabliaus,/Et des notes les sons noviaux,/et des materes les chançons,/et des dras qauces et qauçons./Por ce vos voel dire et conter/D’un fablel que j’oï conter/d’une fable que jou oï,/Dont au dire moult m’esgoï./Or le vos ai torné en rime,/Tot sanz batel et totsanz lime... » (v. 1-10).
Conclusions, hypothèses
28Certes, dans le manuscrit fr. 2168, seul Aucassin, avec ses deux formules bien connues, exhibe des marques textuelles qui, ajoutées aux portées de musique et au vers bref, forment un ensemble de signes susceptible d’avoir suscité une performance dépassant le simple chant75. Mais dans la mesure où sa composition narrative et dialogique globale est similaire à celle des textes qui l’entourent, lais ou fabliaux, on est tentée de proposer, plus qu’une conclusion, des hypothèses sur le titre et la théâtralité « effective » d’Aucassin et de ses voisins.
29D’abord, une lecture globale du dispositif narratif et dialogique des textes qui l’entourent dans le manuscrit confirme plutôt qu’elle n’infirme une lecture d’Aucassin et Nicolette comme texte destiné à la performance. Selon cette lecture, no cantefable pourrait impliquer trois voix – une voix pour le chant, deux autres pour les dialogues dans les récits, dont la première quand elle ne chante pas ferait le commentaire.
30Ensuite, si le dispositif narratif d’Aucassin le rattache aux textes de son entourage, et qu’un bon nombre d’entre eux sont intitulés ou désignés ultérieurement comme des fabliaux, pourquoi ne pas le nommer fabliau, après bien d’autres, comme Sainte-Palaye, Sedaine ou Méon, mais d’après l’étude du fonctionnement interne des narrations du même codex ? Le rapprochement a déjà tenté Rita Lejeune, via Joufroi de Poitiers, un roman réaliste du xiiie siècle que Per Nykrog a pu assimiler à un fabliau76, et qui fait penser « à un Aucassin et Nicolette dénué de poésie, et grossi jusqu’au sarcasme77 ».
31Mais alors, si tous ces « fabliaux », « lais », ou dénommés tels peuvent être interprétés soit par deux soit par trois personnes, pourquoi ne pas appliquer les indications données dans Aucassin aux autres textes du codex ? Ceux-ci pourraient ainsi être, ou avoir été « performés » par une troupe de nombre réduit, comprenant trois acteurs plutôt que deux, qui devaient être capable de jouer différents personnages. Aucassin dans le manuscrit fr. 2168 renseignerait alors non seulement sur sa propre exécution, mais sur la façon d’exécuter les textes appelés fabliaux ou lais78 – laquelle n’est pas sans rappeler celle des farces, telle que Michel Rousse l’a mise au jour79. Plus évidente pour la Bataille de Karesme et de Charnage, qui deviendra texte « par personnages » sous la forme d’un jeu de carnaval80, cette hypothèse conduit à une autre : fabliaux et lais seraient-il des formes possibles du théâtre médiéval ? Que les deux ou trois voix orchestrées dans un bon nombre des narrations du manuscrit aient été incarnées, voilà ce que nous ne saurions dire, et la question de l’investissement de corps dans une « personation » des rôles d’Aucassin ou de ses voisins reste pour l’heure en suspens. Mais au final, une question de genre devient peut-être une question de nombre, et le « mystère Aucassin », un problème mathématique. Aucassin fabliau, ou la multiplication des témoins du théâtre médiéval ? À la mesure du corpus des fabliaux et des lais, l’opération reste une hypothèse, mais elle fait rêver…
Notes de bas de page
2 Voir H. R. Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », Poétique 1, 1970, p. 79-101.
3 Voir aussi sur cette question M. Bouhaïk-Gironès, « Qu’est-ce qu’un texte de théâtre médiéval ? Réflexions autour du Jeu de Pierre de La Broce (xiiie siècle) », Drama, Performance and Spectacle in the Medieval City : Essays in Honor of Alan Hindley, C. Emerson, M. Longtin & A. Tudor (éd.), Louvain, Peeters, 2010 (sous presse).
4 Dans G. Cohen, Le Théâtre comique au Moyen Age, Paris, coll. « les cours de Sorbonne », CDU, Tournier et Constans, 1939, 4 fascicules, fascicule I, p. 28.
5 Voir N. Dauvois (éd.), Le prosimètre à la Renaissance, Paris, éditions des Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 2005.
6 R. Desnos, 30 chantefables pour les enfants sages, à chanter sur n’importe quel air, illustrations de (sic) O. Kowalewsky, Paris, Gründ, 1945. En revanche, le terme est utilisé après lui pour des écrits où alternent la prose et le vers, les parties chantées et les parties récitées. Voir par exemple les œuvres d’A. Mathieu, auteur-éditeur de ses propres textes, dont Maladresses d’Amour, chantefable dramatique, [s. l.] 1986. Par ailleurs, le terme générique de « chantefable » désigne dans la tradition africaine, notamment malienne et camerounaise, « de courts récits souvent dramatisés et contenant une morale. [...] Mais toute l’originalité de ces récits est qu’ils sont entrecoupés d’une partie chantée introduite dans le texte par “Ici on chante” [...] rythmées comme des comptines… » – S. Martin, et E. Bellinga, Chantefables d’Afrique, Versailles, Les Classiques africains, 1999, p. 7-8. Ce type littéraire aurait-il trouvé une forme dans la littérature folklorique alsacienne ? On peut se le demander avec Cl. Vigée, Le Feu d’une nuit d’hiver – chantefable, Paris, Flammarion, 1989. Cette œuvre en vers libres ne fait aucune allusion à une quelconque origine médiévale, et ne sacrifie guère aux alternances sus-citées. En revanche, l’auteur décrit ainsi la Wenderôwefîr, version dialectale de son texte : « Rires et pleurs, tendresse et moquerie se mêlent au drame, dans cette chantefable alsacienne bouffonne et funèbre, dont la facture baroque dévoile quelque sens de notre multiple destin. » Pourtant, selon G. Cohen, « l’excellent écrivain régionaliste Henri Pourrat a publié cependant dans Le Jour du 16 décembre 1937 un article intitulé la Chantefable », Le Théâtre comique au Moyen Age, fasc. 1, note 2 p. 28. Mais Pourrat est auvergnat… La chantefable, genre folklorique français – affaire à suivre ?
7 Voir H. Suchier (éd.), Aucassin et Nicolette, texte critique accompagné de paradigmes et d’un lexique, (1878 pour la version en allemand), 7e édition, Paris, Ferdinand Schoeningh, 1909, p. vi-vii, et Fr. W. Bourdillon, C’est d’Aucasin et de Nicolete, reproduced in photo-facsimile and typetransliteration from the unique manuscript in the Bibliothèque Nationale at Paris, fonds français 2168, Oxford, Clarendon Press, 1896, p. 10. Ils remettent en question la datation du xiie siècle proposée notamment par Gaston Paris.
8 Sur cet aspect, voir E. Birge Vitz, « Variegated Performance of Aucassin et Nicolette », dans Cultural performances in medieval France. Essays in honor of Nancy Freeman Regalado, E. Doss-Guinby, R. L. Krueger et E. J. Burns (éd.), Cambridge (GB), D. S. Brewer, 2007, p. 235-245.
9 Le contenu du manuscrit est également décrit dans la Bibliothèque impériale. Catalogue des manuscrits français, tome I, Paris, Firmin Didot, 1868, p. 366-368.
10 Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Neufchastel, Samuel Faulche, 1765, t. 14, p. 343.
11 Larousse. Grand dictionnaire universel du xixe siècle, 1866-1879, t. XIII, 2e partie, p. 1333. L’article retrace l’histoire de ce genre musical du xe siècle aux grands succès de son époque.
12 Édition de 1752, p. 3-4.
13 Ibidem, citations p. 5-7.
14 J.-B. Lacurne de Sainte-Palaye, Les Amours du Bon Vieux Temps, Vaucluse/Paris, Duchesne, 1756.
15 E. Barbazan, Fabliaux et Contes des poètes françois, nouvelle édition revue et augmentée sur les manuscrits de la Bibliothèque Impériale par Dominique Méon, 4 vols., Paris, B. Warée/ Imprimerie de Crapelet, 1808, vol. 1, citation p. xvii.
16 L. Moland et Ch. D’Héricault, Nouvelles françoises du xiiie siècle. Publiées d’après les manuscrits, Paris, Jannet, 1856.
17 Ibidem p. xxxix.
18 A. Delvau, Aucassin et Nicolette, roman de chevalerie provençal-picard, Paris, Bachelin-Deflorenne, 1866, p. v.
19 Voir E. Faral qui classe Aucassin aux côtés de Floire et Blanchefleur dans J. Bédier (dir.), Littérature française, Paris, Larousse, 1948, p. 58 ; R. Bossuat, Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Age, Melun, Librairie d’Argences, 1951, p. 120-122. Dans le Grundriss, H. R. Jauss et E. Köhler (dir.), vol. IV/1, Le roman au xiiie siècle, p. 118, 267. Aucassin est aussi comparé à Floire et Blanchefleur.
20 G. Paris, Poëmes et légendes du Moyen Age, Paris, Société d’édition artistique, 1909, 3e édition, respectivement p. 98, 103, 104, repris dans sa préface à Aucassin et Nicolette : chantefable du xiie siècle, traduction dA. Bida, suivie d’une révision du texte original, Paris, Hachette, 1878. Paris appelle de ses vœux une édition française de « notre roman » dans son compte-rendu élogieux de la 2e édition Suchier (1899), Romania 29, 1900.
21 Aucassin et Nicolette, chante-fable du xiie siècle, mise en français moderne par G. Michaut, Paris, Fontemoing, 1901. Dans cette préface, Joseph Bédier cherche autant à définir Aucassin qu’à encourager le retour aux sources d’une poésie nationale auquel l’entreprise de Michaut, philologue grec et latin de Fribourg, apporterait sa contribution.
22 CDRom, D. Boutet, E. Gaucher, et E. Lalou (éd.), Paris, Champion, 2001.
23 Cohen, Le Théâtre comique au Moyen Age. Le cours sur Aucassin y est annoncé dans le programme pour le 23 décembre 1937.
24 Voir mon article, « Gustave Cohen et les Théophiliens d’après-guerre : l’Aucassin et Nicolette de René Clermont (1947-1955) », à paraître dans les Mélanges Alan Hindley.
25 Pour un parallèle entre Aucassin et la chanson de geste, voir J. Chailley, « Études musicales sur la chanson de geste », Revue de Musicologie XXIX, 1948, p. 1-27.
26 Aucassin et Nicolette ou les Mœurs du Bon vieux Temps, comédie, en quatre actes et en vers dont une partie est mise en musique, Paris, veuve Ballard et fils, 1780.
27 Paris, Brunet, 1782. Nous l’avons lue dans sa réédition du xixe siècle, Suite du Répertoire du Théâtre français, opéras-comiques en vers, tome II, Paris, veuve Dabo éd., 1822, p. 267-322.
28 Aucassin et Nicolette ou les mœurs..., 1780, préface p. i-xi.
29 Parodie d’Aucassin et Nicolette en 3 actes, en vers et en vaudevilles, représentée devant leurs Majestés en avril 1780, et imprimée la même année.
30 Angers, Hudon, 1923.
31 Voir son Vray mistère de la Passion, adapté de Gréban avec Léonel de la Tourrasse, Paris, Belin, 1901, et monté à l’Odéon en 1906 puis sur le parvis de Notre-Dame de Paris entre 1936 et 1939 ; ou son Estoire de Griseldis, mistère par personnages (1395) restauré avec le même collaborateur, Paris, Hachette, 1910.
32 C’est d’Aucassin et Nicolette, cante-fable d’un jongleur, Paris, Hachette, 1910.
33 Voir Dufournet, Aucassin et Nicolette, 1984, p. 36.
34 Voir Suchier, Aucassin et Nicolette..., 1909, qui recense dans sa préface les imitations d’Aucassin en France et en Allemagne jusqu’en 1907, p. ix sq.
35 Voir R. Charpentier, Comoedia du 21-5-1923, dans Paris, BnF, Arts du Spectacle, RF 256.
36 Ibidem, programme et article sur les représentations de 1936-1937.
37 Aucassin and Nicolette, done into English by A. Lang, London, David Nutt, 1897.
38 Celles d’A. Grétry ont été éditées à part, Ariettes détachées d’Aucassin et Nicolette, Paris, Houbaut, 1782.
39 Lequel selon Mario Roques signifie « balivernes », ne désigne pas de forme littéraire particulière, et « pourrait venir du français », Aucassin et Nicolette, chantefable du xiiie siècle, Paris, Champion (1925), 1929, note 2, p. iii. Certes, le substantif féminin cantafàvola est présenté comme issu « dal fr. ant. cantefable ». Mais il désigne aussi une pratique de type folklorique fondée sur le dialogue : « nella storia delle tradizioni popolari, racconto dall’andamento ritmico e di carattere piuttosto faceto, risultante da un insieme di domande e di riposte che si succedono a guisa di formule concatenate e che richiedono nella recitazione particolari cadenze di voce », Vocabolario della lingua italiana, Istituto della enciclopedia italiana (Roma),/Milan, Arti Grafiche Ricordi, 1986, t. 1, p. 605.
40 Paris, Poèmes et légendes…, p. 99-100 et 111. Rappelons que pour Albert Pauphilet, « ce texte était récité et mimé par un seul acteur, qui ne se sentait pas capable d’imiter de façon distincte et de faire reconnaître par ses auditeurs trois voix, trois personnages et trois caractères », Le legs du Moyen Age, Melun, Librairie d’Argences, 1950, p. 245. Mais pour Léo Spitzer, « la redondance de “or dient et content et fabloient” insiste sur le caractère conté de ces parties, sur l’activité du conteur… », qui lui permet d’y reconnaître avant tout la narration d’un Märchen avec ses reprises traditionnelles, « la brièveté de la seconde formule “or se cante” indiquant plutôt une interpolation, un élément accessoire ». Cependant Spitzer souligne au même moment qu’il réfléchit au « genre littéraire », qu’il dissocie sans explication du « mode de récitation » de l’œuvre. Leo Spitzer, « Le vers 2 d’Aucassin et Nicolette et le sens de la Chantefable », Romanische Literaturstudien 1936-1956, p. 49-63, citations p. 57 note 1.
41 W. Meyer-Lübke, « Aucassin et Nicolette », Zeitschrift für romanische Philologie, XXXIV, 1910, p. 513-522.
42 S. Aschner, « Zu “Aucassin et Nicolette” », Ibidem, XXXV, 1911, p. 741-743.
43 G. Frank, « The cues in Aucassin and Nicolette », Modern Languages Notes, XLVII, 1932, p. 14-16.
44 Édition révisée en 1972, New York, Frederick Ungar Publ., p. 767-769.
45 Berne, A. Francke (1953), 5e édition, 1970, t. I, p. 272-278.
46 Définition du Dictionnaire encyclopédique du théâtre, M. Corvin (dir.), Paris, Bordas, 1991, p. 820. Pour une réflexion sur cette notion paradoxale, voir Théâtralité et genres littéraires, A. Larue (dir.), Poitiers, publications de l’UFR de langues et littératures, La Licorne, 1996.
47 P. Zumthor, Essai de Poétique Médiévale, Paris, Le Seuil, 1972, p. 37-42.
48 Voir aussi le fac-similé de la partie qui contient Aucassin par Xavier Bourdillon, 1896, et sa copie microfilmée. Le contenu du manuscrit est également décrit dans la Bibliothèque impériale. Catalogue des manuscrits français, tome I, Paris, Firmin Didot, 1868, p. 366-368.
49 Voir D. Smith, Maistre Pierre Pathelin. Le Miroir d’Orgueil, Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, 2002, sur le manuscrit Bigot qui contient Pathelin et des textes édifiants, p. 38-161 ; G. Parussa, « Le manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris : un montage signifiant ? », dans Mouvances et jointures. Du manuscrit au texte médiéval, M. Mikhaïlova (dir.), Orléans, Paradigme, 2005, p. 229-251.
50 Voir E. von Kraemer, Les Quinze signes du Jugement Dernier, poème anonyme de la fin du xiie ou du début du xiiie siècle publié d’après tous les manuscrits connus, avec introduction, notes et glossaire, Helsinki, Helsingfors, 1966, liste des manuscrits p. 36-37, description du nôtre p. 41.
51 Sur ces derniers, voir J. Bédier, Les fabliaux. Étude de littérature populaire et d’histoire littéraire du Moyen Age, Paris, Champion, 1893, qui en fait un genre « bourgeois » destiné à « l’amusement » de tous, p. 434 ; et P. Nykrog, Les fabliaux, Genève, Droz, 2e éd., 1973, pour qui ils sont un « genre courtois burlesque », p. 227 et s., dont il étudie le fonctionnement littéraire parodique, montrant leur relation étroite avec toutes les couches de la société.
52 Pour une mise au point critique, voir Tony Hunt, « La parodie médiévale : le cas d’Aucassin et Nicolette », Romania 100, 1979, p. 341-381.
53 BnF, naf 5618, p. 196.
54 Ainsi pour éditer ce texte, Dominique Méon utilise surtout les manuscrits BnF fr. 6987, 7218 et 79892 (le nôtre), dans sa révision de Barbazan, Fabliaux et Contes des poètes françois…, vol. 1, 3, p. 153.
55 Voir entre autres A. Rondel, Conférence sur la bibliographie dramatique et sur les collections de théâtre donnée le mercredi 4 décembre 1912, extrait du Bulletin de la Société d’Histoire du Théâtre, janvier-mars 1913.
56 L. Delisle, « Testament d’Etienne Baluze », Bibliothèque de l’École des Chartes, vol. XXXIII, 1872, p. 3-11, citations p. 3, 4.
57 Ibidem, citation p. 7.
58 Sur cette collection, voir l’introduction au Catalogue des Manuscrits de la collection Baluze, par L. Auvray et R. Poupardin, Paris, Ernest Leroux éd., 1921.
59 Voir Y. Foehr-Janssens, « Le Dit du Barisel et sa position initiale dans le manuscrit BnF f. fr. 837 », dans Mouvances et jointures…, p. 168.
60 Les seules autres marques extratextuelles que nous ayons relevées dans le manuscrit sont des schémas dans l’Image du Monde, fols 131v° à 134, lesquels ont moins de chance d’avoir suscité une performance !
61 Voir peu avant Aucassin, folio 44, le célèbre épilogue à Gugemer, « que hom dist en harpe et en rote/boine en est à oïr la note ».
62 G. Frank, The Medieval French Drama, Oxford, Clarendon Press, 1954, ch. XXIII, p. 237-242.
63 « À competent performer could readily mimic two people. The chante-fable was undoubtedly for performance, but it is not a play in the accepted sens of the word », p. 238 ; thèse déjà défendue en 1932, Frank, « The cues in Aucassin and Nicolette ».
64 On pense aux manuscrits de la Passion de Gréban. Dans le manuscrit BnF, fr. 815, copie de luxe où les didascalies sont écrites en rouge, elles sont notées, en ligne cette fois, soit sous les répliques et justifiées comme elles, soit légèrement ou franchement décalées vers la droite. Dans le BnF, fr. 15064 et 15065, petit opus au texte soigné où elles ne sont que soulignées en rouge, les didascalies sont systématiquement décalées à droite. Mais la qualité de leur écriture permet de supposer que ces deux manuscrits étaient surtout destinés à la lecture. En revanche, les manuscrits naf 12908 et naf 14043, mutilés, à l’écriture peu soignée, et qui ne contiennent que des fragments, entretenaient peut-être un lien plus étroit à la performance, et les didascalies y sont également décalées de façon à dépasser à droite la justification des répliques. Qu’elles s’adressent au lecteur ou au monde de scène ne change pas la probable fonction de ces didascalies et de leur place dans la page : suggérer, comme la formule 2 d’Aucassin, un changement dans le mode d’exécution du texte.
65 Voir Chailley, « Études musicales sur la chanson de geste ».
66 M. Roques, Aucassin et Nicolette (1925), 1929, p. vi.
67 « On ne peut expliquer que par un sujet pluriel cette formule-substitut de l’impersonnel on : “or dient…”… », O. Jodogne, « La parodie et le pastiche dans “Aucassin et Nicolette” », Cahiers de l’Association internationale des Études Françaises 12, juin 1960, p. 53-65, citation p. 54.
68 E. Birge-Vitz propose « four actors plus the narrator », mais elle souligne aussi les « key roles » comme étant ceux d’Aucassin, de Nicolette et du narrateur, et elle évoque pour les autres rôles « two more actors – augmented by the Aucassin or Nicolette actors when available (je souligne) – [who] could play in succession », « Variegated performance… », p. 245. Nous proposons un nombre minimal d’interprètes, où les rôles principaux, toujours au nombre de trois, sont tenus par les mêmes. L’hypothèse d’une performance avec des acteurs plus nombreux, notamment pour les éventuels mimes, danses ou chants (comme ceux des bergers), reste évidemment possible, mais elle est luxueuse dans la stricte logique des voix narratives observée ici.
69 Voir R. Baum, Recherches sur les œuvres attribuées à Marie de France, Heidelberg, 1968.
70 Lais de Marie de France, édition de K. Warnke présentée par L. Harf-Lancner, Paris, le Livre de Poche, 1990.
71 P. M. O’Hara Tobin, Les Lais anonymes des xiie et xiiie siècles, édition critique de quelques lais bretons, Genève, Droz, 1976, texte du lai p. 96-125.
72 Barbazan-Méon, Fabliaux et Contes des poètes françois, nouvelle édition revue et augmentée..., vol. 1, t. 3, p. 153-160.
73 Ibidem, t. 4, p. 80-99.
74 G. Lozinski remarquait que « n’importe qui les connaissait, et en outre, [qu]’elles sont dessinées avec une netteté remarquable : on oublie que ce sont des personnifications », La Bataille de Caresme et de Charnage, édition critique avec introduction et glossaire, Paris, Champion, 1933, p. 52. Sur l’opacité de certaines images de textes dramatiques ultérieurs, susceptibles d’une éventuelle traduction gestuelle, voir J. Koopmans, « Les modernités de la farce : modernité historique, modernité actuelle », La farce : un genre médiévalpour aujourd’hui ?, Études Théâtrales 14, 1998.
75 Et c’est ensemble que ces signes constituent un meilleur indice de performance « par personnages » que la portée du folio 65, laquelle permet seulement d’imaginer une mise en musique.
76 P. Nykrog, Les fabliaux, Genève, Droz, (1954), 1973, p. 196 et suiv.
77 R. Lejeune, dans « Jean Renart et le roman réaliste du xiiie siècle », Grundriß, IV/I, p. 421.
78 Au xviiie siècle, Legrand d’Aussy traduisant le Lai de Lanval souligne déjà le problème d’exécution concrète de chacune de ces formes à partir des ambiguïtés des titres et de la musique notée dans le seul texte d’Aucassin. « Il est vraisemblable que certains Fabliaux furent nommés Lais parce qu’ils se chantaient aussi. [...] Mais quel était ce chant ? Les Fabliaux ordinaires n’étaient-ils que déclamés, et les lais-fabliaux chantés en entier ? Pourquoi les manuscrits n’en offrent-ils aucun de noté, alors qu’on y trouve la musique [...] même d’un Fabliau ordinaire, (Aucassin) ? », Fabliaux ou Contes du xiie et du xiiie siècle, Paris, Eugène Onfroy, 1779, t. 1, p. 106.
79 « Propositions sur le théâtre profane avant la farce », La scène et les tréteaux. Le théâtre de la farce au Moyen Age, Orléans, Paradigme, 2004, p. 51-69, spéc. p. 66-69.
80 Voir J.-Cl. Aubailly, Deux Jeux de Carnaval de la fin du Moyen Age, La Bataille de Sainct Pensard à l’encontre de Caresme et le Testament de Carmentrant, Genève, Droz, 1977.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comparer l’étranger
Enjeux du comparatisme en littérature
Émilienne Baneth-Nouailhetas et Claire Joubert (dir.)
2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007