Chapitre III. Lieux de l’histoire
p. 81-101
Texte intégral
Espaces visibles
1Dans le théâtre qui nous intéresse ici, il apparaît patent que l’espace scénique, celui que voit le spectateur et dans lequel évoluent les personnages, n’est pas un lieu « historique » important. Comme on l’a vu précédemment dans l’exemple issu de la pièce À Sainte-Hélène, Waterloo n’est pas représenté sur scène, mais n’existe que dans le discours du personnage qui s’y est rendu après la bataille pour y faire son deuil (qui plus est hors scène, avant que ne débute le temps de la pièce). Le lieu de l’Histoire est un lieu de récit, il n’est présent que dans les souvenirs des personnages et par le relais de certains objets : galerie de tableaux permettant au roi déchu de relater à sa femme la saga de sa famille et ses heures glorieuses dans La saga des Folkungar d’August Strindberg, objets conservés en vue de re-convoquer par le discours un passé éclatant et l’on trouve une grande quantité d’argenterie, meubles et portraits Empire dans L’Aiglon par exemple. Le lieu historique, cadre d’un grand événement du passé, ne peut exister sur scène que par des objets-relais montrant que l’histoire au théâtre est toujours affaire de reconstitution mentale, de convocation de souvenirs et, somme toute, de re-présentation. Mais l’histoire, elle, a eu lieu ailleurs et ne peut qu’être objet de récit théâtral, comme le souligne le personnage de comédien, Labussière, dans Thermidor de Victorien Sardou, qui fait de la Terreur un spectacle tragique :
Labussière, allant à lui – Ah ! mon bon Martial, tandis que nous sommes seuls, dans ces bureaux déserts, quelle tragédie on joue là-bas, dans l’ancien théâtre du Palais !… (Il s’assied sur le tabouret laissé libre par Martial et nettoyant ses ongles avec un grattoir pris sur la table.) J’ai vu la salle avant le spectacle. Les tribunes regorgeaient de tout l’arrière-ban de la cabale robespierriste, dévots et dévotes, tricoteuses et tape-dur à vingt-quatre sous par jour, embrigadés pour acclamer leur acteur favori et couvrir de huées toute voix qui s’élèverait contre lui. Les députés arrivaient insultés, menacés et prenaient place à leurs bancs, par petits groupes, anxieux, penchés, se parlant bas, sachant bien qu’ils vont jouer la suprême partie. À présent, la pièce est commencée. Dans un long frémissement de l’auditoire, le glacial Saint-Just est monté à la tribune, et il parle, impassible, à la façon du chœur antique, exposant l’argument du drame, qui va dérouler ses péripéties inconnues, jusqu’au dénouement, heureux ou fatal, que nul ne saurait prédire !… Et, dans cette salle surchauffée, où tous les fronts sont ruisselants, tous les esprits surexcités par l’orage, une autre tempête humaine se prépare, qui tout à l’heure éclatera, foudroyant coup sur coup bien des têtes… mais lesquelles ? (Il jette le grattoir sur la table 1.)
2Le théâtre fin-de-siècle déjoue les attentes du spectaculaire et se refuse à imiter les grands événements de l’histoire ; d’une part, c’est un drame historique prévu pour la scène et qui amoindrit les difficultés potentielles de mise en scène, d’autre part, il se propose explicitement comme une représentation, un regard postérieur et apaisé sur l’histoire. Ainsi l’Acte V de Paris de Paul Meurice, intitulé « Révolution », contourne les attentes en faisant débuter la première partie en 1778 et en montrant, non une insurrection populaire, mais un « embarras », une foule attendant devant la Comédie-Française :
Le péristyle de la Comédie.
Foule en attente, emplissant la rue, Babet la bouquetière, Jacques Bonhomme, Patouillet, Turcot, Franklin, Calas, Sirven, Mme Dupuis (Mme Corneille), etc. (Un peu avant la sortie du spectacle.)
Sirven, sortant du théâtre –
La représentation est finie ; on vient de baisser le rideau. Voltaire va descendre 2.
3En revanche, ce qui est vu sur scène participe souvent d’une esthétique de la ruine, de la mise en évidence de la finitude : Napoléon dans la pièce À Sainte-Hélène vit dans une « salle carrée, vaste et d’aspect minable » dotée de « vieux meubles, chaises dépaillées et boiteuses » et signalant de façon redondante la vétusté et la médiocrité des lieux : « À terre, mauvais tapis. Lustre auquel il manque une branche. […] Planchers, plafond, tentures (papier jaunâtre) dévastés par l’humidité3. » La didascalie liminaire au premier Acte de Charles XII (Karl XII) d’August Strindberg montre un espace dévasté, portant trace et mémoire de l’événement passé :
Un matin de décembre 1715, sur la côte de Scanie. Le vent souffle avec violence.
À gauche, en ruines, l’une de ces chaumières qui ont été abandonnées lors de l’épidémie de peste de 1710. Les fondations sont à demi recouvertes par le sable, les fenêtres sont des trous béants, les tuiles ont été arrachées et la porte a disparu. Derrière la façade écroulée, on aperçoit la cheminée et l’âtre noirci par le feu. Devant ces ruines, un pommier tordu par le vent : il n’a plus de feuilles, mais une pomme pend encore à l’une de ses branches.
À son pied, un tas de décombres et des bardanes desséchées.
À droite, les ruines incendiées d’une église et de plusieurs maisons.
À l’arrière-plan, la mer d’un noir d’encre.
À l’horizon, bande gris clair : le jour point. Un homme, vêtu de loques, fouille dans les décombres.
Un garde-côte paraît 4 .
Det är en blåsig morgon i december 1715, på Skånska kusten. En stuga, förfallen och övergiven underpesten 1710 står medgrunden nerbäddad i flygsanden. Fönsterna äro utslagna, takpannorna avrivna, dörren avlyftad. Spisen och skorstenen synas sotiga genom den nerramlade framsidan. Utanför stugan står ett avlövat utblåst äppelträd med ett enda kvarsittande äpple som skakas av vinden. Därinvid är en skräphög med vissna kardborrar.
Till höger om stugan synas brända tomter av en kyrka och flera boningshus. Utanför ligger havet mörkt ; i horisonten synes en ljusgrå strimma av dagningen.
En man klädd i trasor går och letar i ruinerna.
En Kustbevakare kommer in 5 .
4Ou encore on a affaire à un espace d’une certaine banalité, qui n’est pas désigné par l’exception de l’événement historique : La pièce Éric XIV est située par Strindberg à l’Acte I sur « une terrasse de château de Stockholm », sans détermination particulière ; à l’Acte II, il s’agit d’un espace privé « une grande pièce chez Göran Persson », et à l’Acte III d’un espace extérieur « Au fond, un panorama du lac Maelar. C’est le soir. Au loin, on aperçoit le château de Gripsholm. Au milieu de la scène, un pont, à droite, la cabane du gardien du pont au pied d’un coteau couvert de chênes et de noisetiers. Sur le rivage, une cabane de pêcheur, un bateau, des filets » et enfin à l’Acte IV on a de nouveau un espace privé banal « La cuisine chez Mans le soldat (le père de Karin Mansdotter6). » L’espace de décision et d’événement (le château) est toujours vu de loin, de l’extérieur, alors que ce sont les espaces de l’intime et du quotidien qui se trouvent présentés sur scène. L’espace visible est décevant pour qui s’attend dans un drame historique à la virtuosité spectaculaire d’une reproduction de la prise de la Bastille ou de la bataille de Waterloo. L’espace visible est déserté par l’événement et présente un cadre postérieur au déchaînement de celui-ci ; il en est ainsi par exemple dans Paris, de Paul Meurice, où l’espace scénique ne propose aux yeux des spectateurs que le résultat de l’événement, non son déroulement :
Le théâtre change et représente la Grève devant le Louvre, pendant la nuit de la Saint-Barthélemy. – Le cours de la Seine éclairé de lune. – Les fenêtres du Louvre toutes resplendissantes de lumière. – La cloche d’argent, sonne encore au loin quelques faibles tintements ; à ce bruit près, silence absolu.
Deux hommes sont étendus à terre. – Entre Jean Goujon, éperdu.
Jean Goujon – Oh ! ce massacre ! cette nuit d’horreur ! et à présent ce silence ! Oh ! tout cela, est-ce que c’est bien réel7 ?
5Même esthétique pour la représentation de la Bastille qui figure l’état de la place trois ans après l’événement et n’est plus guère que le lieu d’un bal populaire en guise de souvenir atténué des événements, non d’une insurrection :
31 juillet 1792
En place de la Bastille. – Au fond, les débris de la Bastille. – Une vaste tente en occupe une partie. On y lit ces écriteaux : Bal de la Bastille ; et, plus loin : Ici on danse . Sur le devant, estrade des enrôlements, exhaussée de quelques degrés, ornée de banderoles tricolores et de larges couronnes de chêne. Un officier municipal et quelques notables siègent autour d’une table jetée sur des caisses de tambour. À droite, à gauche, les drapeaux gardés par les hommes du bataillon du faubourg. – Musique au centre. – Le canon retentit au loin par intervalles 8.
6Ces lieux d’histoire n’existent que par le discours, ils sont totalement diégétiques dans les pièces, et leur sont préférés, visuellement parlant, sur la scène visible, des espaces de l’intimité et de l’individualité. Il arrive d’ailleurs que les petites gens jugent sévèrement les lieux du pouvoir situés hors scène et témoignent plutôt de leur effondrement et de leur invalidité :
Labussière – Ah ! vous êtes heureux, vous autres soldats. Vous ne voyez de la Révolution que ses grandeurs et ses vertus, nos armes triomphantes et les aigles royales fuyant partout devant le drapeau tricolore. Retourne à l’armée, va ! C’est là qu’est le pur patriotisme ! Tu ne verras ici9 que de quoi désoler une âme vraiment républicaine comme est la tienne.
Martial – Hélas ! que tu dis vrai ! Je suis allé à la Convention, j’y ai cherché vainement les grands hommes de cette Assemblée nationale qui a sapé l’ancien régime, les héros de la Constituante qui a fondé le nouveau, les girondins qui nous ont conquis la liberté, les dantonistes qui nous ont conquis la république ! (Il s’assied sur le bord du canot.) Tous disparus, fugitifs, égorgés ! Je suis allé aux Jacobins. J’y ai entendu le doucereux Couthon réclamer le supplice des indulgents, et d’autres forcenés renchérir sur ces insanités sanguinaires. J’ai parcouru la ville… Sur tous les murs, des affiches de ventes ; à toutes les portes, des mobiliers à l’encan et partout des mendiants, des « enragés » déguisés en galériens avec leurs cheveux gras, leurs bonnets rouges, leurs carmagnoles et leurs gourdins. Dès la tombée du jour, les boutiques fermées, les places vides, les rues silencieuses et sombres ; à chaque pas une patrouille exigeant la carte civique, et, pour tout bruit, la voix des crieurs hurlant la liste des gagnants du jour à la loterie de Sainte-Guillotine ; car tous les jours, à quatre heures, six, sept charrettes suivent les quais, menant à la boucherie hommes, femmes, vieillards, jeunes filles, enfants ; hier encore, un de quinze ans. Et c’est Paris cela, notre beau, notre glorieux Paris, le Paris du quatorze Juillet, le Paris de la Fédération !…
Labussière – Ah ! mon cher Martial, il est loin le jour où, si joyeusement, nous roulions la brouette au Champ-de-Mars ! Quel enthousiasme alors de tout un peuple affranchi de ses lisières ! Et les beaux rêves d’avenir ? Plus d’arbitraire, ni de privilèges ! Plus de grands humiliant les petits, de riches oppresseurs du pauvre ! La justice pour tous, le pouvoir aux meilleurs, les honneurs aux plus dignes, la guerre à tous les abus, la place à tous les droits, l’appel à tous les devoirs ! O lune de miel de la liberté, où es-tu ?… Un si beau rêve finir dans l’horrible !… En être venus là !… À ces mœurs de cannibales, à ces abattoirs de chair humaine !… Quel écœurement10 !
7Le drame historique fin-de-siècle convoque une évaluation des lieux, une comparaison entre leur représentation scénique et leur représentation diégétique, qui prend part à un regard critique sur le passé.
8Afin de contourner les lieux de l’Histoire et d’assurer la distance nécessaire à cette dimension critique, le drame emprunte également au mélodrame qui aime les scènes de genre, et les décors d’intérieur : Madame Sans-Gêne qui a pourtant suivi son époux sur les champs de bataille ne se montre au théâtre que dans des espaces privés : boutique de blanchisseuse, salon privé, cabinet de l’Empereur. Le lieu intime ne change pas et, en le regardant, on peut évaluer les excès des autres lieux ; dans Thermidor, alors que le citoyen Bérillon, membre d’un comité révolutionnaire sous la Terreur, vocifère pour ne pas être suspect, son épouse vit tranquillement dans leur appartement ainsi meublé :
Une chambre Louis XVI, simplement, mais très proprement meublée. Panneaux de boiseries peints en gris. Au fond, alcôve et lit de bois Louis XVI. À droite, premier plan, porte d’entrée. Au fond, de chaque côté de l’alcôve, portes d’intérieur, vitrées à petits carreaux avec rideaux cramoisis. Entre l’angle de la pièce et la fenêtre à gauche, chiffonnier Louis XVI à garnitures de cuivre. Entre la porte d’entrée à droite et l’angle : un secrétaire avec son siège. Deux chaises de chaque côté de l’alcôve. Toutes les étoffes drapant le lit, la fenêtre et recouvrant les sièges, sont en cretonne Louis XVI. Au milieu, une table ovale de bois gris. Au-dessus et à gauche de la table, chaises. À droite, avant-scène, fauteuil ; à gauche, idem, fauteuil et petit guéridon 11.
9Cette invasion de la cretonne Louis XVI dans l’appartement d’un membre de « comité de quartier » qui s’emploie à arrêter diligemment tout suspect désigné par la Terreur prête évidemment à sourire dans une pièce par ailleurs plutôt sombre ; mais elle dit aussi que l’espace ne ment pas : les personnages qui prônent la Révolution à l’extérieur ont un intérieur qui doit tout à l’Ancien Régime et révèlent leur opportunisme politique. Par conséquent, le drame historique fin-de-siècle, dans une logique d’évitement de l’événement, présente des lieux qui, pour signifiants qu’ils soient, ne sont jamais les lieux de l’Histoire. On assiste à un processus de symbolisation de l’espace qui n’est pas celui où se prennent les décisions. La mise à mort du Duc d’Enghien a lieu hors scène, tandis que tout ce qui est donné à voir au spectateur est un appartement privé puis une cellule. C’est l’intimité du personnage qui occupe les devants de la scène. Le spectateur assiste à la réaction émue d’un proche, non à la mort elle-même. Ce théâtre présente l’historique sous l’angle de sa réception par un « lecteur » impliqué ; c’est le cas de la princesse de Rohan, épouse du Duc d’Enghien, qui assiste de loin à la mise à mort ; dans un premier temps elle ne comprend pas ce qui a lieu (alors que le spectateur a vu dans une scène précédente le procès et son issue). Puis elle prend conscience des faits mais ne peut les voir : les éléments qui retardent l’appréhension de l’événement et qui diffèrent et fragmentent l’émotion en plusieurs étapes sont soigneusement établis pour créer un spectacle de la tension nerveuse dans lequel l’espace visible montre des personnages effondrés, inquiets et surtout impuissants, alors que l’événement décisif a lieu dans l’espace invisible du spectateur (et du personnage) et est seulement audible : Madame Harel, épouse de l’un des geôliers qui par compassion a fait venir l’épouse du Duc d’Enghien pour une dernière entrevue, ment à la princesse afin de lui épargner de voir la mort de son mari et tente de la faire partir ; mais celle-ci comprend peu à peu que quelque chose est en train de se passer « hors scène » ; l’espace est une énigme à décrypter, comme l’indique sa composition (brouillard, nuit, difficulté à voir puisque tout est caché, secret, interdit) :
La Princesse – Je vous dis que c’est sa voix ! Je suis sûre que c’est sa voix, maintenant ! Que me contiez-vous donc ?… Écoutez plutôt… Écoutez. (Allant vers madame Harel et lui prenant la main.) On n’entend plus rien.
Bruit de baguettes résonnant dans des fusils qu’on charge. La princesse se met à trembler convulsivement.
Madame Harel – Allons, madame, venez, venez.
La Princesse – C’est là… tout près.
Madame Harel – Je vous en supplie, madame… C’est une nouvelle garnison qui vient d’arriver au château. On l’attendait. C’est même pour cela que nous n’avons pu reprendre le chemin par lequel vous êtes venue.
La Princesse – Puisque je vous dis que j’ai reconnu sa voix !
Elle se précipite vers la fenêtre et l’ouvre.
Voix du Duc – Allons ! messieurs, faisons tous notre devoir.
Madame Harel – Mais vous allez vous perdre, madame ! Mais vous allez attirer toutes sortes de malheurs sur mon mari !
La Princesse – On ne nous verra pas… Voyez comme il y a du brouillard… J’aperçois une lueur sur la droite.
Une voix, éclatant soudain au dehors – Il veut mourir comme un capucin !
La princesse, terrifiée, après s’être retournée vers Madame Harel.
Est-ce de lui qu’on parle ?… Madame… dites, madame, est-ce lui qui va mourir ?
Madame Harel se met à sangloter.
Voix du Duc d’Enghien – Mes amis…
La même voix que précédemment, lui coupant la parole – Tu n’as pas d’amis ici.
La princesse, défaillant contre la fenêtre – Moi, si, si… Mon Dieu ! mon Dieu !
La voix du Duc – Eh bien ! qu’on m’indique la place où je dois mourir… (Court silence.) Non, pas de mouchoir. Je ne veux pas de mouchoir. J’ai vu la mort d’assez près sans être intimidé.
Voix de l’adjudant qui commande le peloton d’exécution – Apprêtez vos armes.
La voix du Duc – Visez au cœur.
Voix de l’adjudant – En joue. Feu !
La voix du Duc, en même temps – Vive le roi !
Roulement de fusillade.
La princesse, tombant à genoux – Henri… mon Henri… mon pauvre Henri12 !
10Il s’agit donc là bien plus de la mort du « pauvre Henri » que de la mort du dernier héritier possible au trône de France, de même que la mort du fils unique de Napoléon Bonaparte chez Edmond Rostand est la fin d’un « pauvre enfant » ou que l’abdication de la reine Christine de Suède amène sur elle le commentaire « pauvre Christine ». Le spectateur accompagne les personnages dans une sorte de voyeurisme de l’émotion qui donne à celle-ci plein espace d’expression (elle investit totalement l’espace ludique comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessus avec le jeu très spectaculaire de la comédienne qui pleure, supplie, regarde par la fenêtre, tombe à genoux) alors que l’événement historique en lui-même se trouve relégué à l’espace invisible. C’est dire en somme que le fait historique relève de l’imaginaire collectif. D’une part, il n’est pas représentable concrètement, chacun est invité à voir dans le brouillard tomber le dernier des Bourbon à sa guise, et surtout, d’autre part, la vérité de cet événement se trouve précisément dans l’émotion, dans sa convocation mentale et affective. Derrière le brouillard, derrière les rideaux, dans les coulisses, a lieu le véritable événement comme par exemple chez Strindberg :
Une salle du château d’Uppsala. Les fenêtres du fond, qui donnent dans la cour, laissent voir les fenêtres éclairées et ouvertes de la grande salle du château. On distingue de vagues silhouettes qui bougent. Ceci seulement lorsqu’on écarte les rideaux 13 .
Sal i Uppsala Slott. Fondfönstren som vetta åt gården giva utsikt åt Rikssalens fönster som synas upplysta och stående öppna. I Rikssalen skönjas otydliga gestalter röra sig. Detta endast när gardinerna skjutas åt sidan 14.
11Aussi la convocation d’un espace « historique » est-elle aussi rare dans le drame historique fin-de-siècle qu’elle est spectaculaire dans L’Aiglon d’Edmond Rostand, seul exemple exceptionnel de traitement de l’espace qui rend hommage à la virtuosité romantique dans ce domaine, mais aussi emprunte aux dramaturgies spectrales symbolistes. À la fin de la pièce, en effet, le fils de Napoléon a rendez-vous avec ses admirateurs à Wagram : mais il n’est pas à la hauteur du lieu et le complot prévu échoue, faute pour l’archiduc de pouvoir prendre une décision à temps. L’espace est donc vide, ce n’est plus le champ de bataille de juillet 1809, mais un simple champ « et c’est tout », en juillet 1832 :
Une plaine. Quelques buissons bas ; un tertre dont l’herbe frissonne d’un vent éternel ; une petite cabane construite de débris d’affûts et de caissons et qu’entourent de maigres géraniums ; la route qui passe ; le poteau de la route, rayé des couleurs autrichiennes ; et c’est tout. Des champs et du ciel, des épis et des étoiles. Une plaine. Une plaine immense. La plaine de Wagram 15.
12Il faut la mort d’un vétéran de la Grande Armée aux pieds du fils de Napoléon pour que la plaine s’anime de façon surnaturelle et rejoigne l’imaginaire collectif. L’espace dramaturgique visible (le décor d’un simple champ) se trouve investi par l’invisible (les voix des spectres, les plaintes des innombrables soldats morts dans la bataille de Wagram) et l’espace imaginaire devient visible. L’espace s’anime tout d’abord par un récit, dont la didascalie souligne qu’il s’agit bien d’une illusion :
Le Duc, d’une voix pressante, essayant de ramener dans le passé cette âme qui vacille –
Vois-tu Wagram ?… Reconnais-tu
La plaine, la colline et le clocher pointu ?
Flambeau – Oui…
Le Duc – Sens-tu, sous ton corps, la terre qui tressaille ?
C’est le champ de bataille !… Entends-tu la bataille ?
Flambeau, dont les yeux se réveillent – La bataille !…
Le Duc – Entends-tu ces confuses rumeurs ?
Flambeau, se cramponnant à cette belle illusion –
Oui… Oui… c’est à Wagram, n’est-ce pas, que je meurs ?
Le Duc – Vois-tu passer, traînant son cavalier par terre,
Ce cheval schabraqué d’une peau de panthère ?
Il se lève, et il raconte à Flambeau couché dans l’herbe :
Nous sommes à Wagram. L’instant est solennel.
Davoust s’est élancé pour tourner Neusiedel.
L’Empereur a levé sa petite lunette.
On vient de te blesser d’un coup de baïonnette.
Je t’ai transporté là sur ce talus, et j’ai16…
13Mais on n’évoque pas sans danger un lieu d’histoire ; la plaine s’anime et le champ redevient bataille, Wagram rejoint son histoire et le passé17 investit la scène du présent. C’est la fameuse fin de scène des spectres revenant sur la plaine :
Le Duc – Ah ! je comprends !… plainte, râle, sanglot,
C’est Wagram, maintenant, qui se souvient tout haut !
La plaine, longuement – Ah !…
Le Duc, regardant Flambeau qui s’est raidi dans l’herbe –
Il ne bouge plus !
Avec terreur – Il faut que je m’en aille !
Il a vraiment trop l’air tué dans la bataille !
Sans le quitter des yeux, il s’éloigne, à reculons, en murmurant :
Ce devait être tout à fait comme cela !
Cet habit bleu… ce sang…
Et tout d’un coup il prend la fuite. Mais il s’arrête, comme si le soldat mort était encore devant lui.
Un autre…
Il veut s’enfuir d’un autre côté, mais il recule encore en criant :
Un autre, là !…
Une troisième fois il est arrêté. Là…
Il regarde autour de lui.
Partout, s’allongeant, les mêmes formes bleues…
Il en meurt !…
Reculant toujours comme devant un flot qui monte, il s’est réfugié au sommet du tertre d’où il découvre toute la plaine.
Il en meurt pendant des lieux !…
Toute la plaine – Je meurs… Je meurs… Je meurs…
Le Duc – Ah ! nous nous figurions
Que la vague immobile et lourde des sillons
Ne laissait rien flotter ! Mais les plaines racontent,
Et la terre, ce soir, a des morts qui remontent !
La terre, sourdement – Ah !…
Un murmure de voix indistinctes grossit, se rapproche dans les herbes mystérieusement agitées 18.
14Si les soldats que voit le jeune prince affolé laissent penser à des visions d’un être très fragile, les didascalies néanmoins actualisent les cris de la terre et de la plaine, qui sont donnés comme devant être entendus du spectateur, et n’existant pas seulement dans l’esprit maladif du jeune homme. Cette présence de spectres pour figurer la conscience de l’histoire est récurrente dans le théâtre post-romantique. Si le drame historique romantique connaît bien les troubles intérieurs du remords, et leur exposition dans des monologues douloureux, le théâtre fin-de-siècle rend visibles et tangibles ces débats de la conscience. Il utilise le surnaturel sur scène pour montrer que l’histoire somme toute, relève du domaine de l’imaginaire et de l’irreprésentable. Ainsi dans Paris, de Paul Meurice, les crimes de la Saint Barthélemy ne sont certes pas représentés sur scène, mais la fin de l’Acte III montre Catherine de Médicis sur un balcon du Louvre recevant les reproches de foules mortes sortant de la Seine :
Catherine, aux seigneurs,
Qu’est-ce que c’est ? On dirait que vous frissonnez tous comme lui [Olivier d’Herminge qui vient de tuer le sculpteur Jean Goujon] ! Rentrez, messieurs, puisque vous avez peur comme des enfants dans l’obscurité. (Tous se retirent en silence, excepté Catherine.) Les faibles cœurs ! Tout est fini ! la nuit est calme, le fleuve tranquille. à sa surface ! Moi-même je ne vois rien de ce qu’il charrie, rien ! (Tout à coup, des eaux du fleuve sortent, s’élèvent et s’accumulent de longues files de fantômes menaçants, montrant leurs plaies sanglantes ou étendant la main vers Catherine. Elle pousse un cri terrible.) Ah ! à moi ! ah ! je ne peux pas m’en aller ! je ne peux pas ! Allons donc, Catherine ! romps ce charme ! (Avec un rire strident.) Oh ! je ne t’aurais jamais crue capable d’avoir peur de ton crime ! (Elle finit par s’arracher d’un effort violent au balcon et rentre dans le Louvre. Les spectres disparaissent 19.)
15Ressort habituel de l’introspection et de l’examen de conscience, le monologue se trouve ici déployé en une double énonciation : d’une part, il va de soi que Catherine se parle à elle-même (« romps ce charme ») et se refuse au monologue en tant qu’aveu de faiblesse ; mais, d’autre part, la phrase « je ne t’aurais jamais crue capable d’avoir peur de ton crime » renvoie à ce qu’est invité à penser le spectateur. Le théâtre juge l’histoire en se plaçant dans un espace d’observation critique.
L’histoire en coulisses
16Il existe aussi, et souvent, au théâtre un espace imaginaire, celui qui est référé uniquement dans le discours des personnages et n’est pas visible par le spectateur. Cet espace invisible peut se présenter sous deux formes : soit il figure une illusion référentielle hors scène, c’est-à-dire qu’il prolonge l’espace scénique en lui donnant en quelque sorte un gage d’authenticité. C’est le cas lorsque le personnage indique que derrière la porte de l’antichambre se trouve une salle de conseil, au-delà de la place un port ou tout autre lieu en relation de contiguïté spatiale et de cohérence logique avec l’espace visible. Soit il est totalement imaginaire, convoqué par les souvenirs d’un personnage, nullement référé « en coulisses » mais bien dans un tout autre espace : c’est le cas dans un discours du souvenir, du rêve ou du projet par exemple. Aussi est-ce bien l’ambiguïté (entre garantie d’authenticité et subjectivité déclarée) de cet espace invisible qui nous intéresse ici, d’autant qu’il se pose comme complètement fictionnel et échappe de ce fait aux catégories du « vrai » et du « vivant » entrevues précédemment comme constitutives du projet dramatique de ce théâtre. L’espace invisible est une construction du discours et, de ce fait, totalement soumis à la subjectivité du personnage qui en parle : on peut appeler « espace diégétique » cette catégorie d’espace discursif qui veut que le personnage convoque dans l’imaginaire collectif des champs qui relèvent de sa seule subjectivité. Et si l’on peut convenir que « l’espace diégétique, au contraire [de l’espace dramatique], étant tout simplement référé dans le discours des personnages, se limite à une existence verbale20 », force est de constater que dans le théâtre fin-de-siècle cette « limite » investit un champ très large qui est systématiquement exploité. Ainsi au début de Bonaparte en Égypte, l’Acte I s’ouvre sur l’Ile de Malte, dans le port, et « des Maltais, hommes et femmes, sont groupés ça et là, et parlent avec animation ou semblent préoccupés d’événements qu’ils paraissent suivre du regard21 ». Or ce qui est référé ainsi verbalement est historique, c’est le « lieu de la catastrophe » dont parle Victor Hugo dans la préface à Cromwell comme étant indispensable à tout drame historique :
On commence à comprendre de nos jours que la localisation exacte est un des premiers éléments de la réalité. Les personnages parlants ou agissants ne sont pas les seuls qui gravent dans l’esprit du spectateur la fidèle empreinte des faits. Le lieu où telle catastrophe s’est passée en devient un témoin terrible et inséparable ; et l’absence de cette sorte de personnage muet décompléterait dans le drame les plus grandes scènes de l’histoire. Le poète oserait-il assassiner Rizzio ailleurs que dans la chambre de Marie Stuart ? poignarder Henri IV ailleurs que dans cette rue de la Ferronnerie, tout obstruée de haquets et de voitures ? brûler Jeanne d’Arc autre part que dans le Vieux-Marché ? dépêcher le duc de Guise autre part que dans ce château de Blois où son ambition fait fermenter une assemblée populaire ? décapiter Charles Ier et Louis XVI ailleurs que dans ces places sinistres d’où l’on peut voir White-Hall et les Tuileries, comme si leur échafaud servait de pendant à leur palais22 ?
17Le théâtre qui nous intéresse ne nie pas cette obligation d’authenticité mais la contourne : ces lieux sont hors scène et n’existent que par les bruits qu’on en perçoit ou le discours des personnages. Le lieu le plus historique, celui qui est attesté par des monuments et des documents, celui qui est aussi le plus spectaculaire et le plus visible dans l’espace collectif devient au théâtre le moins tangible, le moins présent, existant uniquement par le discours, relevant du narratif et non de la virtuosité mimétique d’un décor. Le « personnage muet » qu’est le lieu reste ainsi dans les coulisses de la représentation ; sans doute y a-t-il part de pragmatisme financier dans ce choix qui évite aux metteurs en scène de coûteuses reconstitutions ; mais il fait aussi partie d’une réflexion plus large sur le réalisme au théâtre, car les dramaturges sont conscients des écueils du mimétisme : peu d’entre eux se risquent à voir leurs décors raillés faute d’être convaincants dans l’imitation de la place des Vosges ou de la plaine de Waterloo. Et Edmond Rostand qui ose Wagram sur scène le fait de façon fantasmatique, comme le douloureux mirage d’un jeune homme tenté par la folie, et non dans le souci d’une imitation de la réalité référentielle. Plus encore, il s’agit bien d’un parti pris, d’une part, de montrer qu’il est des lieux si chargés d’histoire qu’ils sont proprement inimitables et qu’il y aurait une indécence à les esthétiser sur scène, et, d’autre part, de désigner d’autres lieux, parallèles à ceux des grands événements et ayant existé en même temps qu’eux, pour mettre en lumière ce qui n’a jamais eu la faveur d’un regard.
18L’espace dans le drame historique fin-de-siècle remplit la fonction de « médiateur23 » en ce qu’il tente d’unifier l’imaginaire du spectateur (ce qu’il connaît des champs de bataille ou de la guillotine), l’espace culturel (autres représentations : gravures, tableaux célèbres, poèmes, théâtre romantique) et une scénographie présentée sur le plateau. Il doit faire le lien entre le visible et l’invisible afin que le spectateur ne soit pas troublé par une discordance rompant l’illusion référentielle.
19En effet, dans ce type de théâtre, le lieu dit « dramaturgique24 », c’est-à-dire « espace mimétique, représenté sur scène, et perçu par le public » interroge les capacités du théâtre à représenter ce qui a déjà une existence hors représentation : existence réelle du lieu mémoriel, parfois marqué par un monument commémoratif, existence culturelle et fantasmatique d’un lieu entré dans la mémoire collective. La mimesis en question dans le cas de la représentation d’un drame historique interroge à plein l’illusion référentielle. Verra-t-on la Bastille, Waterloo et les échafauds de la place de la Concorde reproduits « à l’identique ? » Or outre le fait que revendiquer cette véracité, cette authenticité de la re-présentation pose d’emblée des difficultés épistémologiques (en dehors de toutes celles d’ordre pratique !), on peut aussi se demander tout simplement « identique à quoi ? » Le drame historique se réfère à des événements qui ont dévasté les lieux-cadres (dans le sens où l’entend Catherine Naugrette de « paysages dévastés25 ») : la prison de la Bastille a été détruite, les villages suédois anéantis par la peste et les invasions, le champ de bataille de Waterloo n’existe plus. Le drame historique interroge les modalités du réalisme théâtral en impliquant des espaces dont la représentation fait problème.
20C’est là un glissement qui se dessine d’ores et déjà au cœur du drame romantique et se radicalise dans le drame historique post-romantique. L’histoire officielle se trouve chez Hugo ou Schiller confrontée à ses marges, qui viennent la bousculer et parfois prendre sa place dans l’espace scénique : ainsi, comme le montre Georges Zaragoza, voit-on évoluer deux espaces parallèles et hostiles l’un à l’autre, la cité et la forêt26. Il n’en demeure pas moins que leur conflit est dynamique et productif ; et surtout il existe une porosité entre les deux espaces : il est possible de quitter l’un pour l’autre, mais il est aussi possible de revenir. On pourrait même dire que les personnages aspirent à cette réintégration.
21En revanche, dans le drame historique post-romantique, l’espace de la marge a supplanté l’espace politique (l’espace où se font les décisions), de la même manière que les « petits personnages » ont pris le pas (et la parole) sur les « grands ». Qui plus est, il affirme son autonomie et n’aspire nullement à rejoindre l’espace quitté, qu’il considère avec méfiance voire mépris. La seconde lecture du cadre de l’événement que propose le théâtre est toujours un procès à charge, une façon de revenir sur les lieux pour en dénoncer les travers : Wagram n’est plus seulement le lieu de l’héroïsme (il l’est encore puisque Flambeau s’y suicide), car se superpose à cette première image une seconde, Wagram est aussi le lieu de l’expiation. Ce qui est là mis en œuvre constitue une forme d’esthétique du voyeurisme : la littérature populaire de la seconde moitié du xix e siècle est pleine d’épisodes historiques romancés sous l’angle de l’intimité. Le cabinet de l’histoire entr’ouvert27, les coulisses de la gloire témoignent du désir de porter sur l’histoire un regard en biais, un regard interdit, pour l’observer autrement et surtout d’un autre point. L’image du couloir commence alors à s’imposer dans la presse et au théâtre pour référer à la politique : il importe peu d’être dans les lieux officiels du pouvoir qui s’exhibe, il faut être dans les « couloirs » des assemblées, des salons ou des réceptions. Ce déplacement est très intéressant et touche toutes les sphères du pouvoir : au salon du xviii e siècle, lieu de la décision revendiquée, du débat exposé, de la personne regardée, se substitue le couloir, lieu de la conversation feutrée et des individus masqués. Le théâtre populaire prolonge l’obsession présente dans le roman populaire du « complot », de la décision prise par des forces opaques dans l’intimité de réunions non-officielles. Se propage l’idée que ce sont les « bruits de couloir » qui font la politique, on est déjà dans une forme de logique du « lobbying » que connaissent autant les imaginaires collectifs britannique qu’allemand ou français. Le théâtre exploite cette idée qu’il y a des dessous à un spectacle comme à un événement historique et que les véritables enjeux ont lieu dans les coulisses invisibles de l’histoire. Le drame historique s’emploie ainsi à inverser les espaces : les lieux célèbres se trouvent relégués au niveau du discours, devenant purement diégétiques et objets de culture, les lieux « oubliés de l’histoire », les espaces parallèles du quotidien et de la banalité se trouvent quant à eux projetés sur le devant de la scène. L’espace dramaturgique est investi par le « petit » tandis que le « grand » rejoint les livres d’histoire – parce qu’il est considéré comme un leurre monumental masquant la véritable identité de l’événement. Le célèbre « Bon appétit messieurs ! » de Ruy Blas raillant avec panache les compromissions des ministres n’a plus lieu ici. La « cuisine » est faite en coulisses et ne peut plus être dénoncée par un personnage, car personne n’y a plus accès. Ce que démontre un drame comme Ruy Blas, c’est que les hommes qui ont le pouvoir n’en sont pas dignes, et que d’autres, plus vertueux, plus honnêtes et idéalistes, y seraient davantage à leur place : mais ces derniers ont les moyens d’entrer dans les espaces de pouvoir et d’y exposer ce conflit. Toute la question du drame tourne autour de ce qu’Anne Ubersfeld nomme la légitimité du pouvoir :
La question clef est toujours la même, celle de la légitimité et des limites fixées aux droits du pouvoir. Où chercher la légitimité ? C’est la question que se posent tous les drames de Hugo28.
22La relation à l’historique est beaucoup plus pessimiste dans le théâtre fin-de-siècle. Le drame historique continue de poser l’exercice du pouvoir comme majoritairement illégitime, mais la défection des idéaux amène à ne pas poser de contrepoint critique explicite à cet état de fait. Les personnages du drame historique post-romantique ne mettent pas directement en accusation les espaces de pouvoir ; leur bon sens, leur désir d’équilibre les amènent à exercer leur esprit critique en dehors de lieux de décision auxquels ils ne s’opposent pas. Dès le prologue de Madame Sans-Gêne le ton est donné : l’histoire a lieu au loin, en dehors de la boutique de la blanchisseuse, qui elle, alors que les combats font rage, a déjà trouvé un mode de cohésion sociale sans conflit. Chez elle, sur le devant de la scène, Victorien Sardou place un cadre populaire hautement symbolique de la concorde véritable qui y règne :
Là, sur la rampe ou sur des cordes, linge étendu pour sécher, les jupons à raies tricolores voisinant avec les dentelles d’aristocrates.
23L’événement, par contre, a lieu dans l’espace invisible et fait sursauter, réagir et surtout discourir les personnages de l’espace scénique.
(Toinon, Julie et la Roussotte, apprenties de Catherine, repassent, sans entrain. Dans la rue, les voisins et voisines, bourgeois, boutiquiers, gardes nationaux, montés sur les bornes et les marches, regardent du côté des Tuileries, vers la droite. Va-et-vient continuel, murmure de voix, exclamations… Au loin, à travers les coups de fusil et la canonnade, des tambours battent, de temps en temps, le rappel et la générale. Un coup de canon plus proche fait tressaillir tout le monde et provoque des cris.)
Toinon – Hein ! Entendez-vous ? C’est vers la rue de l’Echelle, à c’t’heure !
Julie – Oh ! que j’ai peur ! Oh ! que j’ai donc peur !
La Roussotte – Pourvu qu’ils ne viennent pas se battre de notre côté !
Julie, tombée à genoux et cramponnée à la table –
Oh ! là là ! Oh ! sainte Vierge !
Toinon – Rue Sainte Anne ? pourquoi faire ? ils n’en veulent qu’aux Tuileries, pour fiche le roi à la porte29 !
24Les personnages regardent constamment par la fenêtre, se tournent vers les coulisses au bruit du canon ou de la foule, en somme rendent constamment clair à la conscience du spectateur que l’événement a lieu hors scène et qu’ils ne sont que les témoins latéraux d’un déroulement qui les dépasse. Les indications scéniques « du seuil » ou « regardant par la fenêtre » sont récurrentes et montrent bien que les personnages ont un regard latéral sur l’événement, comme par exemple dans la didascalie liminaire à l’Acte I, scène 4 de Madame Sans-Gêne :
Le vacarme s’éteint un peu dans la rue, où l’on voit néanmoins aller et venir à travers le vitrage. Le bruit du combat, très lointain, continue par bouffées 30.
25Comme le dit Catherine à propos de son fiancé, le futur maréchal d’Empire Lefebvre : « Pourvu qu’mon Lefebvre n’soit pas fourré là-dedans [dans les combats du Carrousel du Louvre du 10 août], lui qu’a déjà pris la Bastille, et qu’est toujours où qu’on s’cogne31 ! » Il y a effectivement des personnages qui sont toujours « où qu’on s’cogne », à la prise de la Bastille, aux combats contre les gardes suisses ou à la bataille de Waterloo : mais ils ne sont pas sur scène et quand ils y reviennent, les événements appartiennent au passé et à l’ordre du discours. On leur délègue des messagers, qui sortent de l’espace scénique pour aller aux nouvelles de l’événement et en ramènent ensuite le récit aux yeux des spectateurs, comme en témoigne ce dialogue issu de Thermidor de Victorien Sardou. La fiancée de Martial, accusée d’être une religieuse royaliste, a été arrêtée alors qu’il la croyait en sécurité :
Labussière – […] Arrêtée.
Martial – Fabienne ?
Labussière, lui tendant la lettre, à Lupin – Où l’a-t-on conduite ?
Lupin – On n’en sait rien.
Martial – Mais il faut le savoir, et tout de suite !
Il va pour s’élancer dehors.
Labussière, le retenant – Voyons ! voyons ! ne perdons pas la tête. Nous saurons où elle est.
Martial – Ah ! mon Dieu ! arrêtée… et je n’étais pas là !
Labussière – Allons !… du calme !… je t’en prie ! Nous aviserons, nous agirons !…
mais rien à faire en ce moment ! Tout dépend de ce qui se passe là-bas. (À Lupin qui a gagné la gauche de la scène.) Cours à la Convention et rapporte-nous des nouvelles.
Lupin, courant vers la porte du fond, à gauche. Oui, patron !
Labussière – Reviens vite !
Lupin s’élance dehors.
Lupin, dehors – Tout de suite32.
26De fait, le personnage revient aux scènes 8 et 10 pour relater ce qu’il a vu à la Convention, celle-ci, et notamment son maître, Robespierre, étant dans toutes les conversations, mais jamais au cours de la pièce représentée sur scène. Aussi l’histoire événementielle n’est-elle jamais représentation spectaculaire, directe, scénique et collective mais témoignage postérieur, individuel. La prise du palais des Tuileries est relatée aux spectateurs comme aux personnages par un témoin :
Un voisin – Alors, il est pris, ce Palais ?
Vinaigre – Oh ! s’il est pris !
Catherine – Tu y es entré ?
Vinaigre – Des premiers, en battant la charge !… Et tout l’monde y entre, à présent. C’est un’cohue… On s’bouscule, on crie, on danse, on chante, on tue, on s’embrasse, on casse tout ! On flanque par les fenêtres les meubles, les bouteilles, les pendules, et les marmitons ! (Il avale une gorgée.) C’est d’un gai33 !
27Ce récit donne envie aux personnages d’aller eux aussi au devant de l’événement et d’entrer dans le palais investi par la foule. Ils quittent alors la scène à la fin de l’Acte I pour rejoindre un événement historique que le spectateur, lui, ne verra pas. Le commentaire « C’est d’un gai » néanmoins lui donne à réfléchir. Le récit au théâtre, fictionnalisant l’événement historique, le donne à être pensé ou repensé, en tout cas considéré comme un discours. Le théâtre échappe à la « surveillance » de l’histoire, pourrait-on dire, puisqu’il donne à voir, et impose comme aussi tangibles que les faits historiques, des espaces de liberté qui s’autonomisent de la représentation convenue des manuels d’histoire34. En 1911, Georg Simmel publie un célèbre essai sur les ruines qui célèbre, en digne héritier du romantisme, la ruine ; il y distingue une valeur esthétique, certes, mais aussi mémorielle, de la ruine, « sorte de réservoir d’un passé toujours présent » permettant, en suivant les analyses de Walter Benjamin le « télescopage du passé à travers la grille d’expériences du présent35 ». Le théâtre, spectacle vivant, désigne sur scène un lieu de vie dont la vie s’en est allée. « Il ne s’agit pas ici d’un processus purement négatif et réflexif, comme c’est le cas pour les innombrables objets jadis plongés dans le cours de la vie soudain rejetés à l’écart, dont on peut cependant ressaisir l’essence à partir du courant qui les entraînait. Il s’agit plutôt d’une vie riche et changeante qui a déjà habité ce lieu, dont la présence est immédiatement visible. La ruine crée la forme présente d’une vie passée, non pas à partir de ses contenus et de ses restes, mais à partir de son passé en tant que tel36. » Le théâtre fait l’éloge de la ruine et propose de considérer ce qu’ont été des lieux de Londres ou de Paris avant qu’ils ne soient ce que le spectateur connaît. Il opère la rencontre entre le lieu tangible et le lieu historique en posant celle-ci comme un questionnement sur la représentation. Car la période qui nous intéresse est entrée dans une ère de commémorations (fêtes du centenaire de la Révolution en France par exemple, fêtes de l’indépendance de la Suède à partir de la fin du siècle) et les contemporains découvrent que « l’art de la mémoire repose essentiellement sur un système stable des lieux 37 », autrement dit la mémoire opère un choix, singularise par le monumental un lieu (inauguré de façon pompeuse, doté d’une colonne, d’une plaque, d’une statue, figeant dans la pierre et dans les consciences qu’il est désormais la trace visible du passé)… qui en occulte de nombreux autres. C’est bien ce que dénonce Victorien Sardou, quand, décrivant l’espace scénique de l’Acte IV de Thermidor, pièce dont l’action a lieu en 1794, il indique que celui-ci n’a pas changé par rapport au temps de la représentation :
La petite cour d’entrée de la Conciergerie, telle qu’elle est encore aujourd’hui ; à droite du grand escalier du Palais de justice, dans la cour de Mai. À gauche, deuxième plan, l’arcade, la grille et les marches par lesquelles on monte de la petite cour à la grande. – À droite, premier plan, la fenêtre de la loge du concierge, avec pots de fleurs et capucines grimpantes ; en avant, un banc de bois adossé au mur, une table et trois chaises grossières. Au deuxième plan, l’entrée de la Conciergerie. Au delà, faisant pendant à la fenêtre de la loge, celle du greffe qui est ouverte. Au fond, faisant face au public, porte du corps de garde, affiches au mur, bancs de bois, etc. Au-dessus règne le mur bas qui se relie à l’arcade de gauche et flanque le grand escalier. Au delà, on aperçoit, à droite, la colonnade du pavillon central et, en face, par-dessus l’aile du Palais qui fait retour vers la place, la Sainte-Chapelle sans sa flèche. À gauche, bancs, escabeaux. Au fond, devant le corps de garde, chaises, bancs : à droite de la scène, à l’avant-scène, une table et des sièges 38 .
28Même désir de montrer que les lieux n’ont pas changé chez Paul Meurice dans la pièce intitulée Paris, et représentée à Paris en 1855. Que le premier Acte se passe en Gaule, en l’an 50 avant J.-C. (la didascalie liminaire indique « l’intérieur d’un tumulus39 »), importe peu puisque ce passé n’est convoqué que pour mieux comprendre le présent ; c’est alors l’espace géographique, devenu espace scénique, qui fait le lien entre les deux époques, en exhibant leur lien, non pas leur ressemblance mais leur identité :
Le théâtre change et représente les hauteurs du Chaillot actuel. À gauche, lisière de la forêt sacrée ; Dolmens et Menhirs. – Au fond, à perte de vue, le cours de la Seine et l’Île de Lutèce. – Soleil levant 40 .
29Ce désir de placer côte à côte l’espace tel qu’il était (et est représenté dans le temps de la représentation) et tel qu’il est devenu (et existe dans le temps de la représentation, à l’extérieur du théâtre) est récurrent dans les pièces fin-de-siècle : l’historique est ramené au quotidien, il n’a pas d’existence propre et arrêtée sur l’événement, il évolue et s’abolit dans un espace banal et identifiable ; ainsi par exemple de l’indication didascalique en forme de guide parisien « la tente du café du Caveau au Palais-Egalité, à la place où a été plus tard la Rotonde41 ».
30Le « lieu de l’Histoire » est explicitement un espace sémiotique, espace nettement délimité par la mémoire collective (qui retient par exemple uniquement la Bastille et non les nombreux combats de rue à Paris) et dont le théâtre s’emploie à abolir les contours. La définition du lieu selon Heidegger vaut par sa « frontière », le lieu est un espace cadré, intérieur, qui se comprend en opposition, en délimitation de ce qui l’entoure42. Or dans le théâtre fin-de-siècle le lieu est double : à la fois historique et quotidien. Les petites gens continuent de vaquer à leurs activités quotidiennes et nécessaires, pendant que d’autres au loin, hors scène, prennent en charge l’événement historique. Et la blanchisseuse de Victorien Sardou de commenter alors :
Tout ça, c’est bon !… Mais c’est pas une raison, parce qu’ils font leu’ lessive là-bas, pour qu’nous fassions pas la nôtre43.
31Le théâtre comique s’amuse au demeurant de cette fonction mémorielle qu’accapare la scène ; le théâtre re-présente, montre à ses spectateurs ce dont ils se souviennent par les livres d’histoire et ainsi prolonge, ravive leur mémoire. Il n’est pas rare que des scènes aient pour ressort comique le lien des individus à la mémoire, comme par exemple dans l’extrait suivant de Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou :
Fouche – […] comment l’appelez-vous, déjà ? Bouna… Boura ?
Catherine, de la cheminée – Buo… Buonaparte.
Fouché – Buonaparte, c’est ça. Timoléon Buonaparte.
Catherine – Non, pas Timoléon ! Napoléon !
Fouché – Non, Timoléon !… Napoléon, ça n’existe pas.
Catherine – Napoléon, j’vous dis !
Fouché – Oh ! Napoléon, si vous voulez… Fichus noms ! S’il est permis de s’appeler comme ça ? Comment, diable ! veut-il qu’on se rappelle des noms pareils44 ?
32Le spectateur sait bien que Fouché s’en est souvenu et est devenu le zélé ministre de la police de Bonaparte. La mémoire est un enjeu politique, national et collectif, mais aussi intime et personnel. C’est ce que démontre le personnage de l’Aiglon dans la pièce d’Edmond Rostand : l’histoire lui permet de mettre de l’ordre dans le déroulement du temps, mais aussi de se trouver lui-même, de se constituer une identité par ses lectures du passé. En définitive, ce que dit ce théâtre post-romantique, c’est la porosité des espaces, leur fragilité qui fait qu’un passage de l’un à l’autre est toujours possible. Parfois ces passages exaltent les valeurs de la République et le fait qu’une blanchisseuse ait pu devenir Maréchale d’Empire, que la France soit le lieu des possibles, ce dont joue largement le verbiage de Madame Sans-Gêne :
Eh ! y a pas de honte ça ! Au contraire. C’est ben leu’mérite, qu’y soient partis d’si bas pour monter si haut, par la seule force d’leu’vaillantise et des services rendus à la patrie !… Y z’ont ben d’quoi s’glorifier s’êt’les fils d’la Révolution, qui, de rien qu’y z’étaient, les a faits c’qu’y sont45 !
33Si selon Napoléon vu par cette dramaturgie « le passé fait la saveur du présent46 », force est de constater qu’il fait surtout la saveur d’un théâtre qui en convoquant des lieux de la mémoire collective en fait des espaces d’autonomie et de sens critique.
Notes de bas de page
1 Sardou Victorien, Thermidor, op. cit., Acte III, scène 3, p. 26.
2 Meurice Paul, Paris, op. cit., Acte V, scène 1, p. 116. La scène relate de façon très fantaisiste le triomphe de Voltaire à la Comédie-Française lors de la représentation de sa dernière tragédie, Irène. Non que la pièce fut admirable, puisqu’elle fut retirée au bout de 6 représentations, mais le récent retour de Voltaire après son exil suisse fut l’occasion le 30 mars 1778 d’une fête organisée en son honneur durant laquelle son buste en pierre fut couvert de lauriers. Paul Meurice en fait un exposé des idées de la révolution et une reconstitution de la vie de Voltaire par la présence de nombreux témoins appelés à relater leur relation avec le grand homme.
3 Séverine Mme, À Sainte-Hélène, op. cit., didascalie liminaire à l’Acte I, scène 1, p. 3. Les deux actes de la pièce se situent dans le même décor, mettant bien en valeur la détresse de l’empereur déchu, et cette abondance de signes visuels se trouve prolongée dans les dialogues par d’innombrables références aux draps troués, linge manquant, bougies rationnées, chambres humides, nourriture immangeable etc.
4 Strindberg August, Charles XII, Théâtre complet, tome 5, Paris, L’Arche, 1986, didascalie liminaire à l’Acte I, p. 127.
5 Strindberg August, Karl XII, Samlade Verk 47, op. cit., p. 15.
6 Strindberg August, Éric XIV, op. cit., didascalies liminaires à l’Acte I, (p. 5), à l’Acte II (p. 20), à l’Acte III (p. 32) et à l’Acte IV (p. 49).
7 Meurice Paul, Paris, op. cit., Acte III, scène 11.
8 Meurice Paul, ibid., Acte V, deuxième partie, didascalie liminaire, p. 121.
9 « ici » renvoie à « Paris, 9 Thermidor 1794 », voir didascalie liminaire à la pièce, op. cit., p. 2.
10 Sardou Victorien, Thermidor, ibid., Acte I, scène 3, p. 7.
11 Sardou Victorien, ibid., didascalie liminaire à l’Acte II, p. 12.
12 Hennique Léon, La mort du Duc d’Enghien, op. cit., troisième tableau, scène 9 et dernière, p. 122-125.
13 Strindberg August, Éric XIV, op. cit., Acte III, p. 37.
14 Strindberg August, Erik XIV, Samlade Verk 41, op. cit., p. 404.
15 Rostand Edmond, L’Aiglon, op. cit., Acte V, scène 1, didascalie liminaire à l’ensemble de l’Acte V, p. 316.
16 Rostand Edmond, ibid., Acte V, scène 5, p. 348-349.
17 Ce passé est double : d’une part, la plaine convoque le souvenir d’un lieu réel, les champs de bataille près de Wagram en Autriche ; d’autre part, l’utilisation constante d’un lexique de la contrition, de la faute appelle le souvenir littéraire. Le poème que Victor Hugo consacre à la plaine de Waterloo dans Les Châtiments (« L’expiation ») fait en effet appel aux spectres et ombres d’une armée en difficulté. Pour Napoléon, le temps de l’expiation n’est pas encore venu, puisque la voix de Dieu lui répond « non » à plusieurs reprises ; expiation différée à Waterloo, expiation effective à Wagram se répondent par l’intertexte littéraire.
18 Rostand Edmond, ibid., Acte V, scène 5, p. 353-354.
19 Meurice Paul, Paris, op. cit., Acte III, scène 11.
20 Issacharoff Michael, Le spectacle du discours, Paris, José Corti, 1989, p. 72.
21 Labrousse Fabrice, Bonaparte en Égypte, op. cit., Acte I, premier tableau, p. 2.
22 Hugo Victor, préface à Cromwell, op. cit., p. 82-83.
23 L’expression « l’espace médiateur » est de Georges Banu et Anne Ubersfeld dans l’ouvrage L’espace théâtral : « On s’aperçoit alors que, quel que soit le mode de représentation, l’espace théâtral est le seul élément unifiant possible, la seule médiation entre les éléments divers de la représentation :
– entre les spectateurs et les comédiens, comme baignant dans le même espace (avec des fonctions différenciées selon les sous-espaces), mais avec un indiscutable rapport spatial ;
– entre les divers codes de la représentation, qui tous trouvent leur place dans cet espace ;
– entre le texte (compris comme espace d’écriture) et la représentation comme espace de signes ; le dialogue (signes phoniques) et les signes visuels se retrouvant dans le même espace ;
– entre les personnages et les objets scéniques qui peuvent être perçus comme unités discontinues ;
– entre les différents moments de la représentation ; en ce sens l’espace théâtral fonctionne comme espace-temps unifiant les étapes successives du discontinu temporel. »
Banu Georges et Ubersfeld Anne, L’espace théâtral, CNDP, Actualité des arts plastiques n° 45, Paris, 1992 (1979), p. 16.
24 Suivant en cela la distinction entre trois espaces que pose Michael Issacharoff : « Quand on parle de l’espace théâtral, on s’aperçoit que pour éviter toute confusion, il faut s’entendre sur le domaine précis dont il est question, car il existe au moins trois possibilités :
1. le lieu théâtral (l’architecture),
2. le lieu scénique (la scénographie),
3. le lieu dramaturgique (l’emploi particulier du lieu scénique par tel ou tel dramaturge). » Issacharoff Michael, op. cit., p. 70.
25 Naugrette Catherine, Paysages dévastés. Le Théâtre et le sens de l’humain, Belval, Circé, coll. « Penser le théâtre », 2004.
26 Voir Zaragoza Georges, Faire jouer l’espace dans le théâtre romantique européen : essai de dramaturgie comparée, Paris, Honoré Champion, coll. « bibliothèque de littérature générale et comparée », 1999.
27 Le cabinet de l’Histoire entr’ouvert par un médecin, du Dr Cabanès, constitue une série d’anecdotes romancées de l’histoire de France, considérées sous l’angle de la pathologie (névrose, stérilité, handicaps physiques, phobies etc.) ; la série, dont certains volumes sont préfacés par Victorien Sardou (séries 1 à 4), fut extrêmement populaire en France avant la Première guerre mondiale et témoigne du goût de l’époque pour l’histoire considérée comme un secret dont une étude attentive et rigoureuse (un « diagnostic ») révèlerait la « vérité ».
28 Ubersfeld Anne, Le drame romantique, Paris, Belin, coll. « Lettres Sup », 1999, p. 148. Elle poursuit en indiquant : « chez Hugo le pouvoir est au centre ; même Angelo, tyran de Padoue ou Ruy Blas sont une interrogation sur la nature du pouvoir ; à plus forte raison Hernani ou Les Burgraves. Il est rarement présenté fort et positif, mais bien plutôt faible et mesquin – mais d’une efficacité meurtrière. Là est le sens profond du grotesque ; il est la loi d’un monde où le visage de la puissance est ridicule et dérisoire […] ».
29 Sardou Victorien (et Moreau Émile), Madame Sans-Gêne, comédie en trois actes, Paris, Librairie théâtrale, 1978, prologue, scène première, didascalie liminaire, p. 5-6.
30 Ibid., Acte I, scène 4, p. 11.
31 Ibid., Acte I, scène 3, p. 10.
32 Sardou Victorien, Thermidor, op. cit., Acte III, scène 4, p. 27.
33 Sardou Victorien, Madame Sans-Gêne, op. cit., Acte I, scène 4, p. 17.
34 Ce procédé culmine dans la comédie historique qui prend toutes les libertés, ainsi de l’évasion de Louis XVII dans Paméla, de Sardou, qui n’eut évidemment jamais lieu puisque le fils du souverain déchu mourut en prison.
35 Barck Karlheinz, Passions du passé, recyclages de la mémoire et usage de l’oubli, Huglo Marie-Pascale, Méchoulan Éric, Moser Walter (dir.), Paris et Montréal, L’Harmattan, 2000, p. 283.
36 Simmel Georg, Hauptprobleme der Philosophie. Philosophische Kultur (tome 14 des œuvres complètes en allemand), Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1996, p. 289. Traduit par nous.
37 Connerton Paul, « Lieux de mémoire, lieux d’oubli », Passions du passé, recyclages de la mémoire et usage de l’oubli, op. cit., p. 52.
38 Sardou Victorien, Thermidor, op. cit., didascalie liminaire à l’Acte IV, p. 33.
39 Meurice Paul, Paris, op. cit., didascalie liminaire à l’Acte I, première partie, p. 27.
40 Ibid., didascalie liminaire à Acte I, scène 8, p. 34.
41 Sardou Victorien, Les Merveilleuses, Théâtre complet, tome 15, Paris, Albin Michel, 1961, p. 563. La pièce indique « L’action est à Paris en Prairial an V (mai-juin 1797) sous le Directoire » et fut représentée pour la première fois à Paris, théâtre des Variétés, le 16 décembre 1873.
42 Voir Heidegger Martin, « Bâtir, habiter, penser », Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1984.
43 Sardou Victorien, Madame Sans-Gêne, op. cit., Acte I, scène 3, p. 10.
44 Sardou Victorien, ibid., Acte I, scène 4, p. 15-16.
45 Sardou Victorien, ibid., Acte II, scène 14, p. 60.
46 Severine Mme, À Sainte-Hélène, op. cit., Acte III, scène 6, p. 78.
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