Chapitre 4. Le travail de la forme
p. 79-98
Texte intégral
La langue de Martial
1La langue des épigrammes est riche et variée, et diffère beaucoup d’une pièce à l’autre. Martial use aussi bien d’un registre élevé que de mots familiers ou populaires. Ainsi l’adjectif bellus et l’adverbe belle, fréquents chez lui, sont-ils de la langue parlée, de même que sophos, « bravo », qu’il emploie généralement comme un neutre substantivé (I, 3, 49, 76, etc.), ou les substantifs bucca, « bouche » et caballus, « cheval » (I, 41 ; III, 75 ; XII, 24, etc.), ou plus largement les diminutifs ; merda, « merde » (I, 83 ; III, 17), et cacare, « chier » (I, 92 ; IX, 69), sont de registre vulgaire.
2Martial ne refuse pas la précision du mot technique rare et non poétique, notamment pour les vêtements, les mets et la vaisselle, ainsi bardocucullus (I, 53 ; XIV, 128), « manteau grossier avec capuche », gausapina (VI, 59), « manteau de laine épaisse » et gausapinus (XIV, 145 et 147), « en laine épaisse » (les deux mots sont des hapax en latin littéraire mais ne sont sans doute pas des créations de Martial), amictorium (XIV, 149), « soutien-gorge », bardaicus (IV, 4), « chaussure de soldat », oxygarum (III, 50), « saumure mêlée de vinaigre », prototomus (X, 48), « variété de chou », epidipnis (XI, 31), « dessert », dulciarius (pistor dulciarius XIV, 222), « qui confectionne des friandises », dentiscalpium (VII, 53 ; XIV, 22), « cure-dent » (hapax en latin littéraire) ; mais on en relève également dans d’autres domaines, ainsi helciarius (IV, 64), « haleur », ilicetum (IV, 55 ; XII, 18), « bois de chênes verts », paganica (VII, 32), « balle » (hapax en latin littéraire), galbulus (XIII, 68) et catta (XIII, 69), deux oiseaux mal identifiés (là encore il s’agit d’hapax), uertagus (canis uertagus, XIV, 200), une espèce de lévrier.
3Le livre XIV constitue de ce point de vue un cas extrême. Il dresse une sorte de catalogue des objets de la vie quotidienne, dont les auteurs anciens ne nous parlent habituellement pas (à la fois parce qu’ils choisissaient des sujets plus nobles et qu’il ne leur venait logiquement pas à l’idée d’évoquer ce que tout le monde connaissait). Aussi abonde-t-il en mots rares ou qu’on ne lit nulle part ailleurs. Il était exclu de les répertorier ici (nous renvoyons à l’édition commentée de T.J. Leary, London, Duckworth, 1996).
4Martial n’hésite pas non plus à créer des mots, généralement à visée expressive : citons les noms d’agent basiator (XI, 98), « qui aime à embrasser » (on connaît les plaintes de Martial contre les embrasseurs), esuritor (III, 14), « homme affamé », masturbator (XIV, 203), « qui se masturbe », sciscitator (III, 82), « inspecteur » (en l’occurrence esclave chargé d’inspecter la verge de son maître pour l’aider à uriner) ; les diminutifs panariolum (V, 49), « petite corbeille à pain », sestertiolum (I, 58), « petit sesterce », togatulus (X, 74 et XI, 24), « misérable client », putidulus (IV, 20), « répugnant » ou « affecté », en parlant d’une vieille qui veut faire la jeune ; le composé copulatif domicenium (V, 78), « repas chez soi » ; le substantif apinae (I, 113 et XIV, 1), « futilités », d’étymologie obscure ; les adjectifs et participes composés trinoctialis (XII, 77), « qui dure trois soirs », trifilis (VI, 74), « qui a trois cheveux » (pour un chauve), semifultus (V, 14), « à moitié appuyé, installé » ; les adjectifs et substantifs féminins sudatrix (XII, 18), « trempée de sueur » (il s’agit de la toge du client), ructatrix (X, 48), « qui donne des renvois » (un effet de la menthe), tractatrix (III, 82), « masseuse » ; l’adjectif delebilis (VII, 84), « qui peut être détruit », qu’on retrouvera en latin médiéval ; les verbes fréquentatifs cenaturire et cacaturire (XI, 77), « avoir envie de dîner, de chier », nupturire (III, 93), « avoir envie de se marier », qui sera repris par Apulée ; les adjectifs descriptifs baeticatus (I, 96), « vêtu de laine de Bétique », galbinatus (III, 82), « vêtu d’un tissu vert pâle » (couleur normalement réservée aux femmes), canusinatus (IX, 22), « vêtu de laine de Canusium », qui sera repris par Suétone, coccinatus (I, 96 ; V, 35), « vêtu d’écarlate », également repris par Suétone. Sont particulièrement remarquables perticatus (V, 12), « muni d’une perche » (pour qualifier le front d’un équilibriste), cathedralicius (X, 14 ; c’est le texte des manuscrits, souvent corrigé il est vrai), « fait pour les fauteuils, mou, délicat », semitatus (VI, 74), « qui a des sillons de parfum sur la tête » (en parlant d’un chauve), glabraria (IV, 28), soit « femme épilée, dégarnie », c’est-à-dire qui se dépouille de ses biens par les cadeaux qu’elle fait à son amant, soit plutôt « femme qui aime les peaux lisses », c’est-à-dire les jeunes gens à peau lisse, lecticariola (XII, 58), « femme qui aime les porteurs de litière (comme partenaires sexuels) », infantaria (IV, 86), « femme qui aime les enfants », sellariolus (V, 70), « où l’on boit et mange assis » (et non allongé comme le veut l’habitude romaine), aduentoria (XII, praef.), doublet (critiqué par le grammairien Caper, GLKVII, 107) de aduenticia, « cérémonie d’accueil », clancularius (X, 3), « qui se cache, anonyme » (pour un poète qui veut faire passer des vers injurieux comme étant de Martial), qui sera repris par Tertullien, carnarius (XI, 100), « qui aime la chair (les femmes bien en chair) », pinguarius (XI, 100), « qui aime le gras (les femmes grasses) », refibulare (IX, 27), « délivrer de la fibule » (allusion à l’infibulation, pratique qui consistait à faire passer une fibule à travers le prépuce des adolescents pour leur empêcher toute relation sexuelle), sabbataria (IV, 4), « femme qui fête le sabbat, juive ».
5Sont transcrits pour la première fois du grec ou créés à partir du grec orthopygium (III, 93), « croupion » (pour une vieille comparée à un canard), eschatocollion (II, 6), « membre final » (composé de deux mots grecs), gelasinus (VII, 25), « pli causé sur les joues par le rire », lydgos (VI, 13 et 42), « variété de marbre blanc », sophos (VII, 32), « sage », rhoncus (I, 3 et III, 82), « ronflement » et par extension « ricanement », ascaules (X, 3), « joueur de cornemuse », pityon (XII, 50), « lieu planté de pins, forêt de pins », copta (XIV, 69), « variété de gâteau très dur », parazonium (XIV, 32), « ceinturon de soldat », polymyxos (lucerna polymyxos XIV, 41), « à plusieurs mèches ou plusieurs becs », leucophaeatus (I, 96), doublet de leucophaeus, « qui a un vêtement gris cendré », sardonychatus (II, 29), « orné d’une sardoine », spleniatus (X, 22), « couvert d’un emplâtre », entheatus (XII, 57), doublet de entheus, « possédé par la divinité », tyrianthina (I, 53), « vêtements de couleur pourpre violet », qui sera repris dans l’Histoire Auguste, diatreta (XII, 70), « vases ou coupes artistiquement travaillés », qu’on retrouve chez Ulpien, chrysendeta (II, 43 et 53 ; VI, 94), « plats ornés de ciselures en or », que reprendra Isidore, tropa (IV, 14), « à la fossette », à propos d’un jeu où il faut jeter dans un trou des noix, des cailloux ou des osselets.
6On constate que certaines épigrammes accumulent les mots rares ou les hapax, ainsi I, 53 (tyrianthina, bardocucullus), I, 96 (baeticatus, leucophaeatus), III, 82 (galbinatus, rhoncus, sciscitator, tractatrix), III, 93 (orthopygium, nupturire), VI, 74 (trifilis, semitatus), X, 3 (clancularius, ascaules), X, 48 (ructatrix, prototomus), XI, 31 (epidipnis, gabata), XI, 77 (cenaturire et cacaturire), XI, 100 (carnarius, pinguiarius), XII, 77 (domicenium, trinoctialis) ; on pourrait multiplier les exemples.
7Curieusement aussi, sont attestés pour la première fois chez Martial plusieurs mots qui connaîtront une abondante utilisation ultérieure, notamment en latin chrétien, ainsi buccella (VI, 75), « petite bouchée », gabata (VIII, 48 ; XI, 31), « écuelle », botryo (XI, 27), « grappe de raisin ».
8Martial aime les expressions imagées, ainsi nasum rhinocerotis habere (I, 3), « avoir le goût difficile » ; aurem Batauam habere (VI, 82), « avoir le jugement grossier », expression qui fournit à Érasme, hollandais comme on sait, l’occasion d’un long commentaire dans les Adages (n° 3535) ; se in pellicula tenere sua (III, 16), « se tenir dans sa condition » ; aliquem natum esse non putare (VIII, 64 ; X, 27), « faire aussi peu de cas de quelqu’un que s’il n’existait pas » ; fames amicorum (III, 7), « amis affamés ». Il recourt souvent à la métaphore : Cordus est alpha paenulatorum (II, 57), « le premier parmi ceux qui portent un manteau » ; un tel tergeminum mugiet ille sophos (III, 46), « mugira un triple bravo » ; les pieds de qui est atteint de la goutte sont pour lui des bourreaux, carnifices pedes (XII, 48). On trouve chez lui quelques métonymies remarquables : Nestor (post hunc Nestora, X, 24) pour « une longue vie », Astyanax (Astyanacta bibes, VIII, 6) pour « un vin jeune », Mentor (qui Mentora frangis, XI, 11) pour « une coupe ciselée » (Mentor était un ciseleur illustre), Néron (immodico sexta (hora) Nerone calet, X, 48) pour « la chaleur » (les thermes de Néron étaient célèbres pour leur splendeur et la chaleur de leurs eaux, cf. III, 25), les hommes du sabbat (ieiunia sabbatariorum, IV, 4) pour les juifs ; du cuir mou (aluta, XI, 60) pour la verge impuissante du vieux Priam ; la chaste Laevinia, arrivée Pénélope à Baies, lieu de plaisir, en est repartie Hélène (Penelope uenit, abit Helene, I, 61). Parmi les emplois figurés, notons epaphaeresis (facitque longam / detonsis epaphaeresin capillis, VIII, 52), terme médical (« évacuation répétée des humeurs ») qui signifie ici « action d’enlever à plusieurs reprises », ou cucuma (X, 79), « récipient de cuisine », qui qualifie de petits bains. En XII, 37, Martial oppose le lecteur nasutus, « pourvu de flair », à celui qui est polyposus, au propre « affligé d’un polype du nez », au figuré « excessivement critique » : le nasutus a un odorat subtil pour flairer ce qui est bon ou mauvais, le polyposus, à cause du polype qui lui obstrue le nez, renifle sans cesse. Relevons enfin quelques formulations paradoxales : le corps d’un condamné déchiré par un ours n’a plus rien d’un corps (inque omni nusquam corpore corpus erat, Spect. 7) ; les boutiques de Rome, débordant sur la chaussée, n’ont plus leur seuil à l’intérieur du seuil (inque suo nullum limine limen erat, VII, 61).
9Ces quelques éléments (par lesquels nous ne prétendons évidemment pas à l’exhaustivité ; il manque au reste une étude sur la langue de Martial) suffisent pour montrer que la langue des épigrammes est soigneusement travaillée et que les mots ne sont pas choisis au hasard ; ils concourent par leur rareté plus ou moins grande, leur registre bas ou élevé, leur statut poétique ou non-poétique, les connotations qui leur sont attachées, leur éventuel emploi métaphorique ou métonymique, leur sonorité aussi, à enrichir et préciser le sens de chacune des pièces.
10On notera, enfin, que certaines créations verbales de Martial ou certains mots rares qu’il emploie ont été repris par Juvénal. Martial forge par exemple le féminin ludia (V, 24), qui désigne une femme de gladiateur ou une femme aimant les jeux de gladiateurs. Juvénal reprend le terme dans sa célèbre satire contre les femmes (Satires VI, 104 et 266). Il montre par là qu’il a avec Martial une certaine communauté d’inspiration, dont nous avons déjà parlé.
Les procédés stylistiques
11Dans ce domaine le travail essentiel est celui de Pierre Laurens (L’abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme de l’époque alexandrine à la fin de la renaissance), auquel nous empruntons certains éléments. Vu l’ampleur du sujet, nous ne pouvons ici que donner un aperçu.
12On a beaucoup raisonné sur la structure de l’épigramme. Les théoriciens considèrent généralement qu’elle est composée de deux parties : prémisses ou exposition et conclusion, Erwartung et Aufschluss dans la terminologie désormais classique de Lessing (tirée de ses Zerstreute Anmerkungen uber das Epigramm) : la première partie a pour but d’alerter la curiosité du lecteur, la deuxième de la satisfaire. Cette structure bipartite est réelle, mais, outre qu’elle vaut presque uniquement pour l’épigramme satirique, elle prend des formes variées. Majoritairement, on a un énoncé plus ou moins développé et une sententia ou trait. Tout doit être fait pour que le lecteur ne devine pas l’idée sur laquelle va s’achever le poème et qui le prend au dépourvu : c’est la figure dite de l’aprosdokèton (« l’inattendu »), comme en VII, 20 où Santra, invité à dîner, emporte chez lui toute la nourriture qu’il a réussi à rafler… et le lendemain va la vendre, ou en II, 11 (traduit en Annexe), où Selius a une mine lugubre… parce qu’il dîne chez lui, ou encore en IX, 57, où Martial, après avoir montré par une série de comparaisons que rien n’est plus usé que le manteau d’Hedylus, conclut que rien n’est plus usé… sauf son cul.
13La structure de l’épigramme est d’autant plus importante que celle-ci, par sa brièveté, ne souffre pas l’imperfection. « Il est permis dans un ouvrage de longe haleine de sommeiller quelquefois. On pardonne alors un moment d’oubli : souvent même une petite tache ne s’aperçoit point. Mais dans une épigramme on ne pardonne rien, et le moindre défaut saute aux yeux sur le champ. On veut que toutes ses parties soient liées entre elles intimement ; qu’elles jouent avec aisance ; que l’oreille ne soit surchargée d’aucun mot, d’aucune syllabe ; qu’elle ne soit offensée d’aucun son dur, sec, traînant, sifflant ; que l’esprit ne soit embarrassé d’aucune construction peineuse, d’aucune ellipse forcée, d’aucune idée inutile ou trop recherchée ; en un mot, que la pensée soit habillée d’une façon décente et serrée, et que cependant elle soit à son aise. Cela doit être dans tout ouvrage bien écrit : mais on l’exige surtout dans l’épigramme. D’où il suit qu’il n’est point juste de dire que, pourvu que la pointe soit rendue heureusement, tout est fait dans l’épigramme. La pointe est la partie principale, il est vrai ; mais elle doit néanmoins quelque chose de son mérite aux autres parties qui la préparent et qui l’annoncent. » (Abbé Batteux [1713-1780], Principes de littérature, nouvelle édition Lyon, A. Leroy, 1802, 6 vol., t. III, p. 345-346).
A. L’anaphore
14Un des principes de composition les plus caractéristiques est l’anaphore, qui prend plusieurs formes. Ce peut être la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots autour desquels se construit l’épigramme : ainsi I, 68, où la répétition de Naevia traduit l’obsession du jeune homme ridiculement amoureux ; II, 7, contre un certain Attalus, qui fait tout joliment (répétition de bellus-belle, mots généralement péjoratifs chez Martial), mais ne fait rien bien (bene) ; III, 26 (traduit en Annexe), contre Candidus, qui possède certes à lui seul (répétition de solus habes) quantité de choses, mais partage sa femme avec tout le monde, comme nous l’apprend la pointe finale ; XI, 32, où la répétition de nec illustre l’ignoble pauvreté de Nestor ; XI, 46, où la répétition de nunc scande les diverses manifestations de la cupidité de Phyllis ; XI, 80, où la répétition de Baias souligne l’amour du locuteur pour cette ville balnéaire de Campanie ; ou XII, 79, où la répétition symétrique des verbes donare et rogare traduit la cupidité d’Atticilla, une courtisane. Dans VII, 92, c’est un vers entier (Audis et nescis, Baccara, quid sit opus, « Tu entends cela et tu ignores, Baccara, ce dont j’ai besoin ») qui est repris dans chacun des pentamètres intérieurs du poème ; et dans IX, 32, le groupe Hanc uolo, « Je veux une jeune fille qui », ouvre chacun des vers du poème à l’exception du distique final. La pièce III, 65 repose sur la répétition à chaque vers du pronom quod, dont l’antécédent n’apparaît que dans l’avant-dernier vers (voir aussi I, 41, II, 11 et IV, 4). Même principe en VII, 87, où la conjonction si est répétée à chaque vers, le dernier distique constituant la principale ou apodose.
15Souvent le mot ou groupe répété occupe la même place dans le vers : ainsi I, 39, où le groupe si quis (« si quelqu’un ») commence chacun des hexamètres ; I, 77, où le groupe et tamen pallet (« et cependant il est pâle ») termine tous les vers ; II, 33, où l’interrogation Cur non basio te, philaenis ? (« Pourquoi je ne t’embrasse pas, Philaenis ? ») ouvre trois des quatre vers ; ou XI, 47, où le groupe ne futuat, « pour ne pas baiser » ferme chacun des pentamètres. Dans ce schéma le groupe se modifie parfois légèrement au fil du poème. Ainsi dans XI, 94, contre un poète juif, le groupe uerpe poeta (« poète circoncis », au vocatif) est répété dans le deuxième hémistiche de chacun des pentamètres, mais se raccourcit en uerpe dans le dernier vers. Dans VII, 10, contre Olus, qui se mêle des affaires des autres, qui ne le regardent pas, mais feint d’ignorer ses propres affaires, qui le regardent, le groupe Ole, quid ad te ? (« Olus, que t’importe ? ») termine chacun des hexamètres mais subit quelques modifications à partir du vers 9.
16L’épigramme XII, 28 constitue un cas mixte : elle commence et finit par le même mot (Hermogenes) en une composition annulaire, mais en même temps ce nom d’Hermogenes termine chaque pentamètre à partir du vers 8. La pièce III, 63 est construite autour de l’anaphore du relatif qui, répété dans presque tous les vers, et de plus elle commence et finit par le même groupe de mots (Cotile, bellus homo, « Cotilus, petit-maître »).
17Il arrive que le retour concerté d’un mot ou d’un groupe de mots en tête de chacun ou presque des vers détermine un axe vertical : ainsi dans I, 109, sur la chienne Issa, où les cinq premiers vers commencent par Issa est ; IX, 57, où les neuf vers centraux commencent par la négation coordinative nec. La pièce V, 24 systématise le procédé : le nom d’Hermes, gladiateur qui y est glorifié, ouvre chacun des vers, en une discrète parodie, peut-être, d’hymne divin.
18Le procédé de la boucle ironique exploite l’équivalence rythmique entre le premier hémistiche de l’hexamètre et le second hémistiche du pentamètre ; on parle alors de vers serpentins : ainsi dans IX, 97, contre un quidam jaloux de Martial, où le groupe rumpitur inuidia (« il en crève de jalousie ») est répété à cette place dans chacun des distiques. Plus simplement, certains poèmes ont une composition circulaire, commençant et finissant par les mêmes mots : ainsi I, 67, II, 6, II, 43, III, 28 (voir aussi II, 41 ; IX, 100). Un autre type de boucle consiste en la répétition d’un ou de plusieurs mots à la fin du premier vers et à celle du dernier : ainsi dans XI, 55 (patrem) ou XII, 72 (Iouem salutat).
19Il y a également des cas où l’anaphore se double d’un parallélisme dans la structure des deux vers du distique : ainsi VII, 3 : Cur non mitto meos tibi, Pontiliane, libros ? / Ne mihi tu mittas, Pontiliane, tuos (traduit en Annexe) ; ou XII, 16, en forme de syllogisme : Addixti, Labiene, tres agellos ; / emisti, Labiene, tres cinaedos ; / pedicas, Labiene, tres agellos. « Tu as vendu, Labienus, trois petits champs ; tu as acheté, Labienus, trois mignons ; tu sodomises, Labienus, trois petits champs ».
20Certaines épigrammes reposent sur la reprise d’un mot ou d’un groupe de mots en écho : ainsi I, 32 : Non amo te, Sabidi, nec possum dicere quare : / hoc tantum possum dicere, non amo te. « Je ne t’aime pas, Sabidius, et je ne peux dire pourquoi : je peux seulement dire ceci, que je ne t’aime pas ». Il en va de même de II, 55, III 48, V, 83 et VI, 40 (traduit en Annexe), si ce n’est qu’il n’y a pas de composition annulaire comme ici.
21À côté de l’anaphore, certaines épigrammes reposent sur le principe de l’accumulation. Ainsi dans VI, 93, les vers énumèrent un par un les moyens par lesquels Thaïs cherche à dissimuler sa mauvaise odeur, tout cela sans succès, comme nous l’apprend la pointe finale (Omnia cum fecit, Thaida Thais olet, « Quand elle a tout essayé, Thaïs sent encore Thaïs »). En XI, 18, Martial exprime par une série d’affirmations comiques le caractère infiniment petit de la propriété que lui a offerte Lupus (il ne s’agit pas du domaine de Nomentum).
22L’accumulation est un procédé typiquement épigrammatique pour cerner le réel. On trouve notamment des accumulations de plats (on a donné des exemples précédemment) ou d’objets (ainsi IX, 59), détails qui donnent l’impression de réel. Dans ce domaine, la capacité créative de Martial aboutit parfois à une sorte de fantastique baroque. C’est une des limites de son réalisme.
B. La désignation de la victime. L’apostrophe
23La personne qui est le sujet – c’est-à-dire en général la victime, vu la prépondérance de l’épigramme satirique – de l’épigramme peut être désignée à la troisième personne. La pièce III, 9 en fournit un exemple simple : Versiculos in me narratur scribere Cinna. / Non scribit, cuius carmina nemo legit. « On raconte que Cinna écrit des petits vers contre moi. Il n’écrit pas, celui dont les poésies ne sont lues de personne ».
24Plus souvent la cible de la raillerie, désignée à la deuxième personne, est l’allocutaire (dans le schéma de communication, l’allocutaire est celui à qui le locuteur s’adresse et qui est le destinataire du message). On en a vu de nombreux cas.
25Mais le destinataire de l’énonciation (l’allocutaire) peut être différent du destinataire de l’énoncé (la personne cible). Prendre à témoin un tiers auquel on s’adresse à la deuxième personne permet d’intégrer ce destinataire dans le propos. Le tiers est désigné par son vrai nom, contrairement à la victime. Il forme par son caractère et ses mœurs un contraste typique avec l’individu dont Martial se moque ou qu’il décrie, et reçoit par là un hommage indirect. Ce tiers peut être aussi une sorte de dédicataire du poème, à qui Martial offre un échantillon de son talent. Citons parmi tant d’autres la pièce I, 24, contre un homosexuel passif anonyme :
« Tu vois, Decianus, cet homme aux cheveux négligés,
dont tu crains toi-même le front sévère,
qui ne parle que des Curius et des Camilles, défenseurs de la liberté ?
Ne te fie pas à son apparence : il a pris hier un mari ».
26Un intéressant cas d’inversion est constitué par les pièces III, 47 et 58 : dans III, 47 Faustinus est le témoin et Bassus la cible, dans III, 58 c’est l’inverse.
27Il y a chez Martial un usage élaboré de l’apostrophe (l’apostrophe étant le mot au vocatif, presque toujours un anthroponyme). L’apostrophe donne une unité ou un rythme à l’épigramme, et permet des effets de variation. Par exemple l’apostrophe peut se trouver au début et à la fin du poème en formant une boucle ; cette fermeture donne plus de force à la pointe : ainsi en III, 10 et III, 75. En III, 95, les cinq apostrophes (Naeuole) sont en même position métrique (dactyle cinquième de l’hexamètre et premier dactyle du second hémistiche du pentamètre) ; cette répétition structure le poème. En III, 92, l’apostrophe sert à mettre en relief et à isoler deux groupes symétriques : Ut patiar moechum, rogat uxor, Galle, sed unum. / Huic ego non oculos eruo, Galle, duos ? « Ma femme me prie de lui permettre un amant, Gallus, un seul. Et moi je ne lui arrache pas les yeux, Gallus, les deux ? ».
28L’apostrophe porte en germe le dialogue, élément de dramatisation (par exemple III, 38 ; VI, 56 ; XII, 40). Il arrive aussi que Martial prête une question à l’interlocuteur et l’épigramme adopte alors le rythme de la conversation. Ainsi en I, 10 (traduit en Annexe), ou en III, 8 : Thaida Quintus amat. Quam Thaida ? Thaida luscam. / Unum oculum Thais non habet, ille duos. « Quintus aime Thaïs. Quelle Thaïs ? Thaïs la borgne. Thaïs a perdu un œil, lui les deux ». Mais souvent cette interrogation fictive est un pur procédé rhétorique (ainsi, I, 96 ; II, 31 ; III, 98 ; IV, 65 ; VI, 53 et 78 ; X, 22 et 102 ; XI, 60, où le quaeris ou requiris, « tu demandes », sert en fait à introduire ou relancer le discours).
C. Les jeux de mots
29Ils sont très nombreux, notamment (mais pas seulement) dans la pointe des épigrammes. On peut distinguer les calembours, les plaisanteries, les jeux sur les noms propres.
30Les calembours reposent sur une paronomase, une homonymie ou le double sens d’un mot. En I, 84 Quirinalis, qui fait des enfants à ses servantes, n’est pas pater familias, « père de famille », mais pater familiae, « père d’une domesticité ». La pièce V, 29 repose sur la croyance populaire qui voulait que manger du lièvre rendît beau pour une semaine, croyance qui a elle-même pour base la paronomase lepus (« lièvre »)-lepos (« charme »). En VIII, 74 un personnage anonyme, qui était gladiateur (hoplomachus) est devenu oculiste (ophthalmicus) : il n’a pas changé d’activité (puisqu’il tue autant qu’avant !). L’épigramme IX, 21 oppose Calliodorus, qui laboure les champs, à Artemidorus, qui se livre à l’amour (Artemidorus amat, Calliodorus arat). Philaenis en IX, 62 porte de la pourpre pour couvrir par cette odeur la puanteur qui émane de son corps : elle aime l’odeur de la pourpre, non sa couleur (delectatur odore, non colore). À Lupus qui lui offert une propriété de campagne (praedium) tellement petite qu’elle ne mérite pas ce nom, Martial déclare en XI, 18 qu’il aurait préféré un repas (prandium). En XI, 100 il déclare aimer les femmes bien en chair, mais non les femmes grasses (carnarius sum, pinguiarius non sum). Vacerra en XI, 77 passe toute sa journée aux latrines, non qu’il ait envie de chier (cacaturit ; le mot est un hapax), mais parce qu’il cherche à se faire inviter à dîner (cenaturit ; hapax également). En XII, 58 Alauda et sa femme sont semblables : lui aime les servantes (ancillariolus), elle les porteurs de litières (lecticariola ; encore un hapax). En XII, 81, Umber quand il était riche offrait au narrateur pour les Saturnales un manteau léger (alicula) ; devenu riche il lui offre une boisson à base d’orge (alica) ; l’humour consiste dans le fait que alicula peut sembler un diminutif de alica et donc désigner un objet de valeur moindre, alors qu’en réalité il en a davantage.
31En VII, 79, Martial déclare avoir bu un vin mis en bouteille prisco consule, « sous un consul ancien » (les vins vieux étaient plus prisés), mais Prisco consule signifie aussi « sous le consulat de Priscus », Priscus (dont on ignore l’identité exacte) semblant être un consul récent ! En IV, 28, Chloé, qui couvre de cadeaux (consistant notamment en vêtements) son amant Lupercus, finira, elle, par se retrouver nue ; il y a ici une allusion à la fête des Lupercales, où les Luperques couraient nus dans Rome et flagellaient toutes les femmes qu’ils rencontraient. En VIII, 5, Macer, à force de donner des anneaux à ses maîtresses, perd son anneau de chevalier (anulos, dans les deux cas), c’est-à-dire son patrimoine. En V, 11, la main de Stella est parée (culta) de pierres précieuses, mais sa vraie parure (culta encore) consiste dans les beautés (gemmas) dont elle (la main en tant qu’organe de l’écriture) émaille les poèmes qu’elle compose. En IX, 97, Martial invite un quidam qui crève d’envie (rumpitur inuidia) devant son succès à crever vraiment (rumpatur). En X, 27, le sénat entier vient fêter l’anniversaire (natalis) de Diodore, mais on fait aussi peu cas de lui que s’il n’était pas né (Nemo tamen natum te, Diodore, putat ; thème proche en VIII, 64). En I, 98, un avare souffrant de podagre (podagra, « goutte des pieds ») ne donne rien à son avocat : c’est de la chiragre (cheragra, « goutte des mains ») ! En I, 67 Martial joue sur le double sens de liber, « libre, licencieux » et « de naissance libre », en I, 79 sur celui de agere, « plaider » et « faire », en III, 30 sur celui de ratio, « calcul » et « raison », en III, 33 sur celui de ingenuus, « de naissance libre » et « fin, délicat », en III, 75 sur celui de stare, « se tenir dressé » et « coûter », en VI, 9 sur celui de suscitare, « réveiller » et « faire se lever », en VI, 39 sur celui de liberi, « libres » et « enfants », en VII, 75 sur celui de dare, « donner (de l’argent) » et « se donner », en VIII, 12 (traduit en Annexe) sur celui de par, « égal » et « époux(se) », en VIII, 61 sur celui de auersus, « qui est derrière » et « hostile, contraire », en X, 86 sur celui de pila, « balle » et « mannequin », en I, 65, VII, 71 et XII, 33 sur celui de ficus, « figue » au féminin et « hémorroïdes » au masculin (avec l’idée implicite que la sodomie provoque des hémorroïdes). Enfin en VII, 62 il exploite l’homonymie entre testis, « témoin » et testis, « testicule » (traduit en Annexe, mais le jeu de mots est impossible à rendre).
32Les plaisanteries consistent à retourner le sens d’une phrase pour lui faire dire autre chose. Par exemple Caecilianus ne mange pas sans qu’il y ait au menu un sanglier ; le narrateur feint de prendre le sanglier pour le convive de Caecilianus (VII, 59, traduit en Annexe). Chloé sur la tombe de ses sept maris a gravé que c’était son œuvre ; elle veut naturellement indiquer qu’elle a érigé les tombeaux, mais le narrateur feint de comprendre qu’elle a tué ses maris (IX, 15). Cyperus, un ancien boulanger devenu avocat, gagne beaucoup d’argent mais en dépense davantage ; il continue à faire du pain et à faire de la farine, c’est-à-dire, sans doute d’après un proverbe, à créer des ressources et à les volatiliser (VIII, 16). Lesbia jure qu’on ne l’a jamais besognée gratuitement, voulant dire par là qu’il faut lui offrir de l’argent pour obtenir ses faveurs ; le narrateur fait semblant de ne pas comprendre et explique qu’en effet, quand elle veut être besognée, elle paie (XI, 62, traduit en Annexe ; on a donné d’autres exemples de ce type dans la section « Le sexe et le registre bas »).
33On a déjà vu quelques cas de jeux sur les noms propres, on en verra d’autres plus loin dans une réflexion générale sur les anthroponymes. Souvent il s’agit de jouer sur la signification du nom. Sextilianus (dont le nom est proche de la racine de « six ») boit à lui seul autant que cinq rangs de chevaliers (I, 26). À un certain Quintus (prénom qui signifie « cinquième »), qui s’estimait visé par une épigramme, Martial déclare qu’il peut substituer à son nom celui de Sextus (prénom qui signifie « sixième » ; III, 11 ; voir aussi V, 21). Cinnamus, un affranchi, se fait appeler Cinna (Cinna est le nom d’une grande famille romaine ; l’intéressé se rend donc coupable d’une usurpation) : si tu t’appelais Furius, lui dit Martial, il faudrait t’appeler Fur (« voleur » ; VI, 17). Artemidorus porte un manteau grossier : on peut à bon droit l’appeler Sagaris (de sagum, « manteau de laine grossière » ; VIII, 58). Liber ne devrait pas oublier le vin dans la sportule qu’il donne à Martial (Liber est un des noms de Bacchus ; IX, 72). Sabellus est bellus, c’est-à-dire qu’il est un petit-maître ou un bellâtre (XII, 39). Martial s’amuse parfois à des réinterprétations étymologiques plaisantes : il fait ainsi dériver le nom de Palinure, le pilote d’Énée, de palin ourein, traduit par meiere iterum, « uriner à nouveau » (III, 78) ; ou bien celui des Argonautes de argoi nautai, « marins paresseux » (III, 67).
D. La pointe
34La pointe est le trait d’esprit qui termine l’épigramme (selon le principe du in cauda venenum). Elle repose très souvent, on l’a dit, sur un jeu de mots ou une plaisanterie. Il existe cependant des schémas différents. Dans certaines épigrammes, le poète suppose une question de son destinataire, et la réponse est l’occasion de fournir la pointe : ainsi en II, 38 (traduit en Annexe), où la réponse, contraire à ce qu’on attendait, se retourne contre celui qui posait la question. Dans d’autres cas, la réfutation apparente d’une insulte permet d’en énoncer une plus grave, ainsi en I, 28 : « Si quelqu’un croit qu’Acerra sent le vin de la veille, il se trompe : Acerra boit toujours jusqu’au matin ». Il en va de même dans les pièces II, 56, IV, 43 et XI, 92. De manière analogue, l’acquiescement à une affirmation peut permettre de décocher une pointe, ainsi en V, 47 : « Philo jure qu’il n’a jamais dîné chez lui, et c’est vrai : il ne dîne pas, quand personne ne l’a invité » ; VI, 12 et XI, 62, déjà évoquée, fonctionnent de la même manière.
35La pointe peut consister dans l’hyperbole, ainsi en VI, 36 : « Ta verge, Papylus, est aussi longue que ton nez : tu peux la sentir, chaque fois qu’elle se dresse » ; XI, 51, sur le même sujet, obéit au même principe.
36La charge réside parfois dans un enchaînement implicite ou explicite de comparaisons. Ce type d’épigrammes a déjà été évoqué plus haut à propos de l’anaphore. En effet les vers, dans une telle amplification énumérative, sont généralement unis par l’anaphore de quod ou de quam. Ainsi dans IV, 4, chaque vers, sous la forme d’une relative par quod, évoque une odeur infecte, puis le poète, dans la pointe finale, déclare que celle de Bassa est plus exécrable encore ; les pièces I, 41 et II, 11 ont une structure approchante. Dans XI, 21, la vulve trop large de Lydia est caractérisée par une série de comparaisons désobligeantes, d’où une succession de quam (tam laxa… quam…, « aussi large que… »).
37C’est parfois une antithèse qui fait la pointe ou le trait final, ainsi en I, 4 où Martial souligne que ses épigrammes ne sont pas le reflet de ses moeurs : « Ma page est libertine, mais ma vie est honnête » (Lasciua est nobispagina, uita proba) ; ou en VII, 36, où il demande à son ami Stella, qui lui a offert une toiture pour sa maison de campagne, d’ajouter une toge pour lui-même : « Stella, tu couvres la maison de campagne, mais tu ne couvres pas l’agriculteur ? » (Stella, tegis uillam, non tegis agricolam ? ; que le vêtement demandé soit une toge, toga, se déduit de l’emploi du verbe tegere, de même racine) ; ou en VII, 77, où Martial refuse de faire don de ses livres à Tucca, parce que celui-ci veut les vendre, non les lire (nam uis uendere, non legere) ; voir aussi I, 41, III, 21, IV, 67, VI, 70.
38Il arrive également que la pointe repose sur un paradoxe. En V, 42, qui est une demande de cadeau, Martial passe en revue pour son destinataire les différentes façons dont on peut perdre ses biens (vol, incendie, etc.), et conclut que seuls les dons qu’on a faits restent votre possession (puisque votre générosité demeure vivace dans le souvenir de vos obligés).
39Enfin la pointe peut résulter de l’ironie. En V, 10 (traduit en Annexe), Martial, après avoir regretté que la célébrité ne vienne aux poètes qu’après leur mort, déclare préférer se passer de la gloire et rester bien vivant : si post fata uenit gloria, non propero, « si la gloire ne vient qu’après la mort, je ne suis pas pressé ».
E. Les sonorités
40Les épigrammes au départ étaient dites (cf. I, 38 ; VI, 1), sans qu’il s’agisse de recitationes (« lectures publiques »), ce qui est important pour tout ce qui est jeu sur les sonorités. En les considérant comme des textes écrits, nous les figeons.
41Martial use abondamment de l’allitération, de l’assonance et de l’homéotéleute. Ces figures peuvent d’ailleurs se combiner ou être associées à d’autres. Citons par exemple VII, 25, 2 : (epigrammata) cerussata candidiora cute, « des épigrammes plus blanches [= ternes] qu’une peau couverte de céruse » ; VII, 30, 1 : Das Parthis, das Germanis, das, Caelia, Dacis, « Tu te donnes aux Parthes, tu te donnes aux Germains, tu te donnes, Caelia, aux Daces » ; VIII, 64, 5 : (uultus leuior) tritis litoris aridi lapillis, « un visage plus lisse que les galets polis sur le rivage sec » ; XII, 50, 1 : daphnonas, platanonas et aerios pityonas, « des bois de laurier, des bois de platanes et de hautes pinèdes » ; III, 44, où l’homéotéleute prend la forme de la rime dans trois vers successifs (vers 14-16) dont elle souligne l’identité de structure. L’homéotéleute structure la pièce XI, 66, sans que la chose puisse aisément passer en français :
Et delator es et calumniator,
et fraudator es et negotiator,
et fellator es et lanista. Miror
quare non habeas, Vacerra, nummos.
« Tu es un délateur et un calomniateur,
un voleur et un spéculateur,
un fellateur et un maître de gladiateurs. Je m’étonne,
Vacerra, que tu ne sois pas riche ».
42La paronomase peut prendre la forme du polyptote (même vocable sous des actualisations différentes), et s’accompagner éventuellement d’autres figures, ainsi en IV, 81, 5 : negare iussi, pernegare non iussi, « je t’ai invitée à refuser, non à persister dans ton refus » ; IX, 68, 10 (traduit en Annexe) : nam uigilare leue est, peruigilare graue est, « car veiller un peu est facile, mais veiller continuellement est pénible ».
43On a vu plus haut que la paronomase était généralement utilisée pour faire une pointe satirique ou au moins un jeu de mots. Mais Martial peut aussi s’amuser à exploiter le pur comique des sons, ainsi dans I, 100, où il reprend des mots enfantins, ou dans IV, 55, où il passe en revue les noms barbares des petites villes d’Espagne en les opposant aux hauts lieux de la culture classique (voir la fine analyse de C. Notter, « Martial et l’hispanité : réflexions sur une identité poétique », à paraître dans Identités romaines, Paris, Éditions Rue d’Ulm).
F. Le principe du contraste, de la variation
44On a indiqué que le principe d’alternance et de variété gouvernait la composition de chacun des livres I-XII. Ce principe joue également au sein des épigrammes elles-mêmes. Par exemple la pointe repose parfois sur un effet de surprise, développant une idée que le lecteur n’attendait pas. La variation peut consister aussi en l’irruption d’un mot ou d’une expression en grec (Spect. 21 ; I, 27 et 45 ; II, 43 ; III, 77 ; IV, 9 ; V, 78 ; VII, 46 et 57 ; X, 68 ; XIV, 171. Nous renvoyons à notre article « Martial et le grec »). Le contraste est quelquefois de ton ou de registre : en III, 7, qui traite du rétablissement par Domitien de la sportule sous forme de repas, l’apostrophe o fames amicorum, « ô amis affamés », est de registre élevé et contraste avec le dernier vers, où strophae, « détours, artifices », désigne à la fois les ruses des patrons et les détours poétiques de l’épigramme ; en III, 65, qui décrit le parfum délicieux des baisers de Diadumenus, le dernier vers est une réalité triviale qui contraste avec ce qui précède.
Conclusion sur les procédés stylistiques
45Les traits les plus caractéristiques de l’épigramme de Martial sont : l’art de la composition ; l’usage de la parataxe, combiné avec des phrases courtes ; la concision verbale (on a signalé dans la section « Le sexe et le registre bas » les omissions expressives de IX, 40 et XI, 21) jointe au raccourci de la pensée ; le choix subtil de l’ordre des mots ; l’autonomie sémantique du vers (donc peu de rejets et d’enjambements) ; le sens de la pointe.
46Boileau, qui consacre au chant II de l’Art poétique une trentaine de vers à l’épigramme, considère qu’elle « n’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné ». Cette vision réductrice s’appliquerait très mal aux épigrammes de Martial, dont on a montré le degré d’élaboration. Par ailleurs, les procédés employés par Martial ne sont pas gratuits, mais subordonnés à l’efficacité. Il n’y a pas à s’en étonner de la part d’un poète qui a clairement exprimé sa défiance à l’égard des exercices purement formels (II, 86). Sur ce point Martial est incontestablement classique, et justifie le titre de l’ouvrage de J.-P. Sullivan (voir la Bibliographie).
L’intertextualité
47Martial a la culture qu’on attend d’un écrivain de son temps. Sont cités ou évoqués dans son œuvre Homère (I, 45 et 50 ; IX, 94 ; XIV, 183 et 184), Sappho (X, 35), Ménandre (V, 10 ; XIV, 187 et 214), Callimaque (IV, 23 ; X, 4), Ennius (V, 10) et les poètes latins archaïques (XI, 90), le satirique Lucilius (XI, 90 ; XII, 94), Cicéron (IX, 70 ; XIV, 188), Salluste (XIV, 191), Catulle et plusieurs épigrammatistes (voir plus haut), les poètes Helvius Cinna (X, 21) et Licinius Calvus (XIV, 196), Virgile (VIII, 55 ; XI, 52 ; XIV, 185 et 186), Horace (I, 107 ; VIII, 18 ; XII, 3 et 94), Tite-Live (I, 61 ; XIV, 190), Tibulle (IV, 6 ; XIV, 193), Properce (VIII, 73 ; XIV, 189), Ovide (I, 61 ; II, 41, où Martial cite approximativement l’Art d’aimer III, 281-282 ; XIV, 192), Sénèque (IV, 40), Lucain (VII, 22 ; XIV, 194). Et il connaissait, on l’a dit, la plupart des auteurs qui étaient ses contemporains, Silius Italicus, Quintilien, Pline le Jeune, Juvénal, etc.
48Si Martial répète que ses épigrammes sont l’image de la vie, cette vie passe à travers le filtre de la littérature. Autrement dit, d’une part il reprend des thèmes épigrammatiques traditionnels, d’autre part il semble s’inspirer parfois de poèmes antérieurs précis. Ceci est principalement le cas avec Catulle. On a noté, déjà, que Martial utilisait plusieurs mots importants du poème liminaire de Catulle pour qualifier sa propre production (lepidus, libellus, nugae), et qu’il revendiquait comme lui une distinction entre sa vie et ses écrits (Catulle 16, cf. I, 4). Si en III, 20 et IV, 23, il associe les mots sal (« sel, piquant ») et lepos (« grâce »), c’est par souvenir de Catulle, qui faisait de même dans la pièce 16 (d’autant que le substantif lepos, employé par Lucrèce et Catulle, disparaît de la poésie après eux, étant notamment inconnu de Virgile et des élégiaques). Par ailleurs en III, 12, contre un hôte avare, et XI, 52, plaisanterie à un ami, Martial fait allusion à la pièce 13 de Catulle, parodie d’invitation à dîner ; le vers initial de XI, 52 (Cenabis belle, Iuli Cerialis, apud me, « Tu feras un beau dîner, Julius Cerialis, chez moi ») est un calque du premier vers du poème de Catulle (Cenabis bene, mi Fabulle, apud me, « Tu feras un bon dîner, mon cher Fabullus, chez moi »), et signe la réminiscence. Mais ce sont surtout les deux séries sur le moineau de Lesbie (Catulle 2 et 3) et sur les baisers avec Lesbie (Catulle 5 et 7) qui ont nourri l’inspiration de Martial. Voici deux exemples.
49En VII, 14, Martial explique que sa maîtresse (puella) a perdu ce qui faisait son divertissement et ses délices (lusus deliciasque ; on trouvait ludere et deliciae dans les poèmes 2 et 3 de Catulle), non pas un moineau comme l’amie du tendre Catulle (teneriplorauit amica Catulli) ou une colombe comme Ianthis, la femme d’Arruntius Stella (cf. I, 7), mais un esclave de douze ans dont le membre n’atteignait pas encore un pied et demi (mentula cui nondum sesquipedalis erat ; cela fait quarante-cinq centimètres !). Martial transforme le badinage de Catulle en un poème obscène, et l’animal domestique en un esclave domestique. Il peut y avoir été aidé par la connotation amoureuse du moineau : passer est un terme de caresse en latin et le moineau, animal salace (Pline l’Ancien, Histoire naturelle X, 107), est logiquement consacré à Vénus (Sappho, fragment 1) ; certains modernes considèrent d’ailleurs qu’il y a un double sens dans le poème de Catulle, passer signifiant à un second degré mentula, « verge ».
50En VI, 34 (traduit en Annexe), Martial invite un jeune garçon nommé Diadumenus à lui donner des baisers appuyés (Basia da nobis, Diadumene, pressa). Combien ? demande celui-ci (Quot ? inquis). Martial répond par une série d’adynata (ce serait compter les flots de l’océan, les coquillages sur le rivage de la mer Égée, les abeilles qui volent sur le mont Hymette, les applaudissements au théâtre quand le peuple voit soudain le visage de l’empereur) et conclut qu’il n’en veut pas autant que Lesbie en donna à Catulle, car c’est en désirer peu que de pouvoir les compter. Dans son poème 5, Catulle désirait que Lesbie lui donne mille baisers, puis cent, puis mille autres, etc. (Da mi basia mille, deinde centum ; / dein mille altera). Et dans le 7, il faisait parler Lesbie en un dialogue fictif : elle voulait savoir combien de baisers il lui faudrait pour qu’il en ait assez (Quaeris, quot mihi basiationes / tuae, Lesbia, sint satis superque ?). À quoi Catulle répondait par une série d’adynata (autant que les grains de sable en Libye et les astres de la nuit). Martial combine donc en un seul les deux poèmes de Catulle. Il en garde le dialogue fictif, l’impératif du verbe dare, la question par quot, la figure de l’adynaton, et reprend les substantifs basium et basiatio, qui sont des mots catulliens. Mais il transpose la relation amoureuse sur le mode homosexuel, très vraisemblablement sous l’influence des pièces 48 et 99 de Catulle, où Juventius remplace Lesbie ; et il joue plaisamment sur le thème du fini et de l’infini. Enfin, comme dans VII, 14 dont nous parlions auparavant, il adopte le distique élégiaque quand Catulle employait l’hendécasyllabe phalécien.
51Par ailleurs, on relève chez Martial, on l’a dit, des ressemblances avec certaines épigrammes de l’Anthologie Palatine qui pourraient l’avoir inspiré, ainsi entre VI, 19 et AP XI, 141, entre VI, 53 et AP XI, 257 (toutes deux de Lucillius), ou entre V, 34 et AP VII, 461 (de Méléagre ; le distique final de Martial reprend les termes de la pièce grecque). Il y a notamment des rapports avec les pièces de Lucillius, un Romain écrivant en grec qui vécut à l’époque de Néron (voir aussi II, 37 et AP XI, 207 ; IV, 53 et AP XI, 153 ; V, 53 et AP XI, 214 ; VI, 12 et AP XI, 68 ; XII, 23 et AP XI, 310 ; voir P. Laurens, « Martial et l’épigramme du Ier siècle après J.-C. », Revue des Études latines 44, 1966, p. 315-341). Mais le lien reste généralement thématique, il s’agit d’affinité plutôt que d’imitation à proprement parler. En effet pour conclure à l’imitation il faudrait que l’identité de thème se double d’une identité formelle, ce qui n’est pas le cas. La tendance à chercher à tout prix un modèle à l’épigramme latine repose souvent sur le préjugé que les Latins ne peuvent rien créer d’original. Cela dit, il semble difficile que Martial – même s’il ne les cite pas, par nationalisme romain – n’ait pas connu au moins les épigrammatistes grecs qui ont vécu à Rome ou en Italie du Sud, tels Philodème (au i er siècle avant notre ère), Crinagoras (sous Auguste) et Nicarque (sous Néron ou les Flaviens). On trouvera dans l’ouvrage de J.-P. Sullivan (voir la Bibliographie), p. 322-327, un tableau commode des rapprochements possibles entre Martial et l’Anthologie Palatine.
52Les phénomènes d’intertextualité ne concernent bien sûr pas seulement Catulle et l’épigramme grecque. Ainsi la pièce VI, 3, qui célèbre l’enfant à naître de Domitien, contient-elle trois réminiscences virgiliennes significatives : Énéide I, 288, où Jupiter dévoile les glorieuses destinées de la Rome future ; Bucoliques IV, 49 et 60, où Virgile associe le retour de l’âge d’or à la naissance d’un enfant. Ou encore dans la pièce XIV, 124, consacrée à une toge (vêtement remis à l’honneur par Auguste puis par Domitien), le premier vers est une reprise de l’Énéide I, 182 : chez Virgile Jupiter favorisait « les Romains maîtres du monde et la race qui porte la toge », ici c’est l’empereur, implicitement assimilé au dieu. Dans d’autres cas le texte virgilien est repris à contre-emploi, dans une pièce obscène par exemple, ou plaisamment modifié (ainsi en XII, 63, Martial qualifie de albus, « blanc » le fleuve Galaesus, qui dans les Géorgiques IV, 126 recevait l’épithète de niger, « noir, aux eaux sombres »). Les réminiscences virgiliennes ont donc deux fonctions opposées : une fonction parodique, dans les épigrammes comiques ou satiriques (il s’agit de désacraliser la poésie élevée, dont Virgile est le symbole) ; une fonction ennoblissante ou décorative, dans les épigrammes de célébration.
53Nous nous limitons à ces quelques exemples, qui mettent en évidence chez Martial à la fois la dette envers les modèles antérieurs et l’indépendance. Rien à voir par exemple avec un Ausone, dont une trentaine d’épigrammes sur 112 sont traduites d’originaux grecs.
Les noms propres de personnes
54Il y a trois espèces d’anthroponymes chez Martial : d’abord les personnages connus, contemporains ou non ; ensuite les amis, protecteurs et dédicataires ; enfin les victimes des épigrammes. Si les noms sont authentiques pour les deux premières catégories, ce n’est pas le cas pour la troisième. On a affaire à des noms fictifs. C’est un procédé à la fois prudent et habile, puisqu’il excite la curiosité sans la satisfaire et qu’il met le poète à l’abri des représailles. C’est aussi un procédé de moraliste (si l’on admet que Martial l’est) qui veut flétrir les vices sans toucher aux personnes : ces noms sont censés désigner des types et non des individus. En tout cas le retour des pseudonymes associés à des caractères déterminés réussit à créer l’illusion d’un petit monde comique.
55Certains de ces noms fictifs ont un rapport avec le type qui est visé. C’est un critique nommé Velox qui reproche à Martial la longueur de ses épigrammes (I, 110). Vetustilla est une vieille libidineuse (III, 93), Dento un parasite (V, 44), Eulogus un héraut (VI, 8), Hypnus un esclave inactif (XI, 36) ; Hilarus possède des collines riantes (colles et iuga laeta, VI, 73). Fidentinus (I, 29, 38, 53, 72) est ainsi nommé par antiphrase : il est tout sauf loyal, puisque c’est un vil plagiaire. D’autres noms sont des pseudonymes traditionnels qu’on trouve déjà chez Catulle ou dans l’épigramme grecque : Candidus, Rufus, Zoilus, Thaïs. Le même pseudonyme peut d’ailleurs désigner d’un livre à l’autre des personnes différentes.
56Martial n’hésite pas à jouer sur ces noms : ainsi Chioné (« neige », en grec) mérite son nom parce qu’elle est froide, mais ne le mérite pas parce qu’elle a le teint noir (III, 34, traduit en Annexe). Certains cas sont plus complexes : dans l’épigramme II, 31, Martial vante, mais sans donner de précisions, les qualités dans l’amour de Chrestina. Quels peuvent bien être les dons particuliers de celle-ci ? Son nom, Chrestina, semble dérivé de l’adjectif grec chrèstos, qui, appliqué à une personne, signifie « serviable, complaisant ». Chrestina est complaisante dans l’ordre sexuel (c’est-à-dire vraisemblablement fellatrix). Son nom contient par lui-même le sens de l’épigramme. Autre cas différent : ce n’est sans doute pas un hasard si l’épigramme VIII, 55, où il est question de Mécène, protecteur de Virgile mais aussi d’Horace (Horatius Flaccus), est adressée à un certain Flaccus.
57Le public percevait-il des allusions ? En I, 96, Martial refuse de donner le nom du faux moraliste dont il vient de dénoncer l’hypocrisie, en II, 23, il déclare que, malgré les demandes qu’on lui a faites, il ne révélera pas qui est le Postumus de son livre, et en IX, 95 b il ne veut pas dire qui est l’Athenagoras de IX, 95. Cependant certains se sentaient visés (III, 11 et 99 ; voir aussi la section « La difficile condition de poète »). Il est évident que l’on cherchait des clés, comme on le fera plus tard pour les portraits de La Bruyère.
La métrique
58Les vers les plus utilisés par Martial dans les livres I-XII sont, par ordre de fréquence, les suivants :
- Le distique élégiaque (79 %). C’est, on le sait, une sorte de strophe où l’hexamètre dactylique est suivi d’un pentamètre dactylique. Le distique élégiaque est le vers traditionnel de l’épigramme, et c’est le vers de loin le plus fréquent dans les Épigrammes. Chez Martial, les épigrammes en distiques sont souvent par groupes, sauf dans le livre XII.
- L’hendécasyllabe phalécien (15 %). Comme son nom l’indique, c’est un vers de onze syllabes à schéma fixe (– –| – oo | – o | – o | – o, ou bien, selon une autre présentation, – – o| – oo – | o – o – o), dont le poète grec Phalaecos serait l’inventeur. Il a joui d’une assez grande vogue en latin ; avant Martial, on le trouve entre autres chez Catulle et dans les Priapées.
- Le trimètre iambique scazon ou choliambe (beaucoup moins fréquent que les deux précédents, il apparaît dans 74 pièces seulement ; en X, 9, Martial ne l’inclut pas dans les types de vers par lesquels il caractérise son œuvre). C’est un vers constitué de six iambes, mais où le sixième iambe est remplacé par un spondée ou un trochée ; d’où son nom de scazon (« boiteux »). Chacun des cinq autres pieds admet des substitutions. Avant Martial, il a été employé notamment par Catulle et dans les Priapées.
59Les autres types de vers n’apparaissent que sporadiquement. Ce sont l’hexamètre dactylique (II, 53 ; II, 73 ; VI, 64 [le poème VI, 65 montre que ce mètre était inhabituel pour l’épigramme] ; VII, 98), le trimètre iambique pur (VI, 12), le trimètre iambique archiloquien (XI, 77), le vers sotadéen (III, 29), le distique composé d’un trimètre iambique archiloquien et d’un dimètre iambique (I, 49 ; III, 14 ; IX, 77 ; XI, 59), le distique composé d’un trimètre iambique scazon et d’un dimètre iambique (I, 61).
60Si ces schémas métriques ne sont certainement pas choisis au hasard, il n’est pas facile pour un moderne de justifier leur emploi par rapport au sujet traité. Le distique élégiaque, mètre prédominant, est employé dans tous les types de contexte. Le trimètre iambique scazon est plutôt réservé à l’invective ou à la récrimination ; mais, comme chez Catulle qui l’emploie aussi dans le poème 31 pour décrire la presqu’île de Sirmio, il y a des contre-exemples, ainsi III, 58, description de la villa de Faustinus à Baïes. L’hendécasyllabe phalécien est associé à des poètes de ton plus léger. Des considérations métriques (regret par exemple de ne pouvoir inclure le nom d’un ami ; Martial fait allusion à ces contraintes de la métrique en IV, 31 ; IX, 11 ; XIV, 57) et le désir de variété peuvent parfois avoir orienté les choix. On remarquera, comme le soulignait Pierre Grimal (La littérature latine, Paris, Fayard, 1994, p. 458), que Martial a assez peu utilisé les vers iambiques, traditionnellement considérés comme ceux qui se prêtent le mieux aux attaques personnelles. Cela semble suggérer que pour lui l’épigramme n’est pas, dans sa nature même, une arme dirigée contre autrui.
61On notera par ailleurs que Martial, quand il réélabore des pièces de Catulle, n’utilise pas nécessairement le même mètre que lui : ainsi VI, 34, VII, 14 et XI, 52 sont en distiques élégiaques, tandis que les pièces 2 et 3, 5 et 7 et 13 de Catulle étaient écrites en hendécasyllabes.
62Dans le Liber de spectaculis et les livres XIII et XIV, le distique élégiaque est seul employé. Il y a deux exceptions dans le livre XIII (XIII, 61 et 81, respectivement en trimètres iambiques scazons et en hendécasyllabes phaléciens), et neuf dans le livre XIV (XIV, 8, 10, 37, 39, 40, 52, 56, 148, 206, en hendécasyllabes phaléciens), les unes et les autres difficilement explicables.
63Dans les autres livres règne, on l’a dit, la variété métrique. Il n’y a jamais plus de dix épigrammes de suite dans un mètre identique (qui est dans ce cas le mètre le plus neutre, c’est-à-dire le distique, voir par exemple X, 10-19). De même la succession de plus de deux poèmes composés d’un seul distique est rare. Un cas exceptionnel est constitué par les cinq poèmes de ce type de II, 78-82, qui viennent après une épigramme (II, 77) où Martial se défendait de l’accusation d’écrire des épigrammes trop longues ; cette série est donc une démonstration de la capacité du poète à composer aussi des épigrammes brèves.
64Le vers latin est soumis à d’autres règles que celles de la distribution des pieds : elles concernent la coupe, les élisions, la place de certains mots. Les poètes évitent par exemple de terminer l’hexamètre et le pentamètre par un polysyllabe. Quand c’est le cas chez Martial, cela correspond à un effet particulier. Ainsi en V, 50, 2, l’immense ressentiment (ingentes inimicitiae) qu’éprouve le destinataire de l’épigramme se traduit par un mot de six syllabes en fin de vers.
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