Chapitre XIII. Lectures de Protée dans les commentaires serviens : entre silence et saturation
p. 293-312
Texte intégral
1Que Virgile choisisse d’accorder presque la moitié du dernier livre des Géorgiques à l’épisode d’Aristée et d’Orphée n’a pas manqué d’intriguer les chercheurs. Le personnage de Protée s’y avère particulièrement énigmatique, même si on lui a rarement consacré une étude spécifique. C’est un fait connu que la rencontre entre Aristée et Protée imite en de nombreux points celle de Ménélas et du dieu marin au chant IV de l’Odyssée1, mais l’on peut s’interroger sur le rôle du second dans les Géorgiques puisque, s’il énonce bien la cause du malheur d’Aristée – celui-ci serait puni pour avoir involontairement provoqué la mort d’Eurydice, épouse d’Orphée –, c’est sa mère Cyréné qui lui explique comment remédier à la perte de ses abeilles, Virgile dédoublant ainsi le personnage prophétique tel qu’il apparaît dans le poème homérique2. Pour tenter de justifier les différences que l’on peut relever entre les deux passages ou la présence même de Protée dans un poème géorgique, certains chercheurs ont vu par exemple en lui un dieu infernal3, une nécessaire épreuve à affronter pour Aristée et même une « clé […] essentielle du poème4 » ou encore la marque indéniable d’un remaniement de la fin des Géorgiques5.
2Devant une telle variété d’interprétation, il peut paraître judicieux de se tourner vers le célèbre commentateur ancien de Virgile, Servius, afin de prendre en considération la vision d’un fin connaisseur du poète, qui est d’ailleurs à l’origine de la thèse d’un remaniement de cette partie des Géorgiques. Or, loin de répondre à nos attentes, le grammaticus n’évoque nulle part l’imitatio Homerica si flagrante qui sous-tend ce passage ni même les changements que Virgile aurait opérés ici pour éliminer des louanges de Gallus, comme il l’annonçait lui-même dans la première scholie du livre IV ou ad Buc. X, 1. En revanche, il propose une figure de Protée inattendue, construite grâce à un jeu d’échos et de rapprochements avec son commentaire du chant VI de l’Énéide. Si l’on peut s’étonner de l’absence de remarques à propos des points pourtant essentiels que nous avons soulignés, on ne le sera pas moins en constatant qu’à l’unique et brève référence faite à Protée au chant XI de l’Énéide, répondent trois longues scholies aux livres I, II et XI des commentaires, qu’ils soient de la main de Servius ou issus du Servius Danielis.
3Avant de poursuivre, il est nécessaire de rappeler brièvement les enjeux de ce que l’on a appelé la « question servienne6 ». Le grammaticus Servius a écrit, sans doute dans le premier tiers du ve siècle, des commentaires aux trois œuvres de Virgile qui connurent un succès immédiat. Pourtant, en 1600, l’orléanais Pierre Daniel publia une version étendue de ces commentaires, qu’il considérait comme originale, soutenant que ce que l’on connaissait jusque-là n’était qu’un abrégé. Ce nouveau texte, que l’on nomma Servius Auctus ou Servius Danielis, donna lieu à des discussions infinies et fort variées jusque dans les années vingt du siècle dernier, au cours desquelles l’hypothèse émise par E. Rand allait balayer toutes les autres : un compilateur médiéval aurait complété les commentaires de Servius, issus presque intégralement de celui de Donat, par sa source même, reconstituant en quelque sorte le commentaire virgilien aujourd’hui perdu du célèbre scholiaste du ive siècle. À partir de cette époque, Servius se verra réduit au rang de vil compilateur, à peine capable de remarques originales. Depuis quelques années cependant, les chercheurs se sont éloignés de cette thèse sévère et par trop réductrice. Pour notre part, nous estimons que le commentaire de Donat doit être considéré comme une source de celui de Servius, importante certes, mais loin d’être unique. De même, nous pensons que le Servius Danielis est l’œuvre d’un compilateur du viie siècle, d’Irlande ou d’Angleterre, qui enrichit les commentaires grâce à d’autres, plus anciens, mais aussi grâce à des textes variés comme Les Saturnales de Macrobe, Les Nuits attiques d’Aulu-Gelle ou l’abrégé de Festus, n’hésitant pas à insérer de plus quelques remarques personnelles. À cela sont venus s’agglomérer des ajouts interlinéaires et marginaux, jusqu’à l’époque de l’imprimerie. Au cours du présent article, nous indiquerons bien évidemment si les scholies étudiées relèvent du commentaire de Servius ou du Servius Danielis, que nous désignerons sous forme abrégée par les lettres DS7.
4Ces précisions sur le statut hétérogène des commentaires serviens soulignent la difficulté que nous allons rencontrer dans notre étude de Protée : au problème inhérent au genre éclaté des commentaires s’ajoute ainsi la variété des auteurs des scholies. Nous tenterons donc de dégager, tout au long de cet article, les différences de traitement susceptibles d’exister entre Servius et DS. De plus, ces écrits ne manquent pas de déconcerter le lecteur moderne : on constate une ampleur remarquable des explications liées à Protée, parfois pour des passages du texte virgilien qui ne semblaient pas mériter a priori semblable développement ; au livre IV des commentaires aux Géorgiques, Servius construit, par un effet d’échos, une figure quelque peu originale du devin, sans se priver cependant de recourir à l’interprétation allégorique pour expliquer un aspect du personnage ; enfin, le scholiaste nous frustre parfois par une absence de commentaires, notamment sur le problème des laudes Galli. Autant de points sur lesquels nous nous arrêterons, tout en nous interrogeant sur la cohérence de la figure de Protée dans les commentaires, si tant est qu’elle existe.
Le commentaire saturé : Justification de Virgile, justification du mythe
5Le traitement de Protée dans les commentaires à l’Énéide nous semble tout à fait exemplaire de la méthode exégétique de Servius, mais aussi plus largement de l’exégèse antique, puisque l’on peut constater la même inflation dans les explications au sein de DS. Comme nous l’avons signalé plus haut, c’est au vers XI, 262 du poème virgilien que l’on trouve l’unique référence faite à Protée : Diomède rappelle les malheurs des Grecs et notamment celui de Ménélas, exilé « près des colonnes de Protée ». Si Servius souligne que cette expression désigne bien l’Égypte, il livre au lecteur, pour justifier cette formule originale, une explication quelque peu spécieuse construite sur un syllogisme : Virgile ne parle pas de « colonnes d’Hercule », lesquelles, précise-t-il, se situent aussi bien en Hispanie que dans le Pont, tout simplement parce que le nom de ce héros désigne également Protée. On sait en effet que ce dernier était très fort ; or les êtres forts sont appelés « Hercule » ; donc Protée était également surnommé Hercule. Ce développement guère convaincant n’est là que pour légitimer l’expression surprenante employée par Virgile : comme bien souvent, il s’agit pour le grammaticus de montrer combien le poète a raison d’écrire comme il l’a fait.
6C’est la même volonté qui pousse Servius ainsi que le scholiaste de DS à lier à toute force l’île de Carpathos à l’Égypte ad Georg. IV, 386. Depuis Homère, Protée est de fait associé à ce pays, puisque le poète présente l’île de Pharos comme son lieu de résidence habituel, élément qu’ont souvent repris les auteurs anciens, d’Euripide à Nonnos de Panopolis par exemple8, en passant par Servius lui-même ad Aen. XI, 262. Même si, pour Hérodote, Protée vit à Memphis au lieu de Pharos9, les auteurs font en effet de l’Égypte la terre natale de celui-ci. Or, dans les Géorgiques, Virgile situe la rencontre entre le devin et Aristée sur l’île de Carpathos et mentionne Pallène comme sa ville d’origine. Nulle référence à l’Égypte donc. En réaction à cette localisation peu habituelle, immédiatement après le lemme, le scholiaste de DS pose l’identité Carpathos/Egypte « car Carpathos est une île d’Égypte » (Carpathos enim insula est Aegypti). Cette affirmation, difficile à soutenir dans la mesure où l’on sait que cette île, appelée de nos jours Scarpento, se trouve entre Rhodes et la Crète, se voit adjoindre une autre explication permettant de sous-entendre un lien entre Protée et l’Égypte : la mer de Carpathos s’étendrait jusqu’à Alexandrie. Quant à Servius, il signale dans la même scholie que l’île elle-même se situe en face de ce pays – Strabon la plaçait, pour sa part, en face d’un promontoire de la côte libyenne dans sa Géographie (X, 17) – et que la mer qui porte son nom borde précisément l’Égypte.
7Ces remarques insistantes, que viennent contredire les géographes, sont révélatrices du désir des exégètes antiques de justifier en tous points les choix du poète qu’ils expliquent, d’où une surabondance d’arguments, parfois spécieux, pour rendre compte ici de l’absence de mention faite de l’Égypte10. Le scholiaste de DS procèdera de même ad Georg. IV, 390 pour commenter la référence à Pallène, reprenant une tradition que l’on trouve dans l’alexandra (v. 115-127) de Lycophron, mais aussi différemment développée chez Apollodore (Bibliothèque, II, 5, 9) et Conon (Narrations, 136b) : Protée aurait quitté Pallène, en Chalcidique, à la mort de ses fils, Télégonos et Polygonos. Ceux-ci obligeaient les étrangers de passage à lutter contre eux et les tuaient avant qu’Hercule ne leur réservât le même sort. Ébranlé par cette perte, Protée implora Neptune – présenté comme son père chez Lycophron et Apollodore –, qui lui ouvrit un passage sous la mer pour qu’il regagnât l’Égypte. Notons que cette version ne justifie qu’en partie le texte virgilien puisque l’origine de Protée demeure égyptienne. La scholie de DS se termine en effet par l’exposé de la raison pour laquelle le devin avait quitté son Égypte natale pour la Chalcidique : il aurait fui le cruel Busiris. Il est intéressant de constater comment l’auteur de cette notice cherche à donner une cohérence au mythe de Protée en reconstituant la chronologie et les causes de ces différents changements de lieux.
8L’attention portée par l’Antiquité tardive11 à ce mythe apparaît de façon frappante dans les scholies concernant Protée sans que rien dans le texte de Virgile n’en exigeât la présence. Ainsi, ad Aen. XI, 262, Servius élucide l’origine du mot « Atride » puis s’intéresse aux errances de Ménélas, retenu en Égypte. Le grammaticus évoque alors une tradition que l’on ne retrouve dans aucune autre source : Hélène aurait été confiée à Protée par Thésée lorsque celui-ci l’eut enlevée. Le rapt de la fille de Tyndare a souvent été repris par les auteurs antiques : Thésée et Pirithous enlèvent Hélène, laquelle échoit au premier, soit par tirage au sort (Plutarque, Thésée, 31) soit parce que l’autre convoite la déesse des enfers. Ils la conduisent à Aphidnes et chargent Aethra, la mère de Thésée, de la garder. Tandis que les héros poursuivent leurs aventures, les Dioscures entrent en guerre pour libérer leur sœur, la renvoient finalement à Lacédémone et font d’Aethra une captive12. Or il est indéniable que la tradition rapportée par Servius ne peut venir d’un lapsus ou d’une étourderie puisque nous l’avions déjà rencontrée, exposée en termes semblables, ad Aen. II, 601. Dans les deux cas, le scholiaste mentionne diverses sources sans les nommer, selon l’habitude antique.
9De même, ad Aen. I, 651 et II, 601, les développements sur Protée s’avèrent liés dans les deux cas à une évocation d’Hélène : dans le premier passage virgilien, Énée offre à Didon des présents, parmi lesquels un voile et un manteau ayant appartenu à la fille de Tyndare ; dans le second, le héros, errant dans les ruines de Troie, croit la reconnaître alors qu’il s’agit de Vénus, laquelle lui confie que cette guerre dévastatrice est due aux dieux et non à la « beauté détestée » (facies invisa) d’Hélène. La scholie portant sur le vers du livre I ne se trouve que dans DS. Si la mention de la jeune femme donne étonnamment lieu à des remarques concernant Protée dans l’une et l’autre versions des commentaires, preuve de l’intérêt que nous signalions plus haut pour ce personnage à la période tardive, le traitement diffère cependant entre les deux, particulièrement pour son statut ontologique. Servius, nous l’avons vu, s’attache à rappeler que Thésée confia Hélène à Protée après l’avoir enlevée, précisant que ce dernier est un « dieu marin » (deus marinus). En revanche, le scholiaste de DS, jugeant inutile de rapporter dans le livre I les raisons de l’enlèvement de la jeune femme par Pâris, « légende connue de tous » (nota fabula omnibus), propose à son lecteur « la véritable histoire » (uera historia) : le prince troyen prit d’assaut la ville en l’absence de Ménélas, enleva Hélène contre son gré puis, par crainte d’être suivi, s’arrêta en Égypte. Là, le roi Protée, poussé par son respect des dieux – il est qualifié de « sacrificus » –, garda la fille de Tyndare et donna à Pâris un fantôme. Ainsi, bien que le texte virgilien renvoyât au voyage d’Hélène jusqu’à Troie, le scholiaste choisit une version héritée d’Euripide et qui remonterait à Stésichore voire à Hésiode selon certains13, en constituant cependant Protée en créateur du fantôme14. On retrouve la même tradition dans DS ad Aen. II, 601, l’auteur de la scholie jouant sur le mot inuisa « détestée » et invitant son lecteur à comprendre in-uisa « que l’on n’a pas vue », ce qui lui permet de réintroduire cette référence au fantôme et à Protée.
10Si celui-ci apparaît chez Homère et Virgile comme une divinité marine, capable de se métamorphoser et douée de pouvoir prophétique, il est présenté comme un humain, roi d’Égypte vivant à l’époque de la guerre de Troie, chez Hérodote, Euripide ou Diodore de Sicile. Or, tandis que le scholiaste de DS semble insister à plusieurs reprises sur l’humanité de Protée – le fantôme qu’il façonne provient de pratiques magiques plutôt que d’une volonté divine –, Servius l’identifie à un dieu, contractant en quelque sorte les deux traditions habituelles. Si nous considérons que les scholies du Servius Danielis sont plus anciennes que celles du grammaticus, nous pouvons peut-être expliquer cette recherche de cohérence, d’homogénéité dans la figure de Protée par l’époque d’écriture des commentaires. Servius vit des temps de bouleversements profonds, tant d’un point de vue politique que culturel – surtout si, comme nous le pensons, les commentaires furent écrits après 410, c’est-à-dire après le sac de Rome par Alaric. Il s’agit donc pour lui de préserver, de cristalliser le savoir ancien, menacé par les invasions barbares et la suprématie du christianisme, et de lui donner une cohérence qui n’existe pourtant pas dans les mythes, particulièrement pour celui de Protée. Les scholies portant sur ce personnage, trop développées si l’on ne prend en considération que le seul aspect de l’explication du texte virgilien, permettent cependant d’apporter au mythe une apparence plus lisse et de lui offrir ainsi une plus grande légitimité.
Protée dans les commentaires aux Géorgiques : un prêtre inspiré
11Alors qu’il n’est nul besoin de montrer à quel point Virgile suit le modèle homérique dans l’épisode de la rencontre entre Aristée et Protée, Servius ne se réfère à aucun moment au passage mettant en scène Ménélas et la divinité marine dans les commentaires aux Géorgiques. La raison en est peut-être que cette source lui semble relever de l’évidence, mais nous ne trouvons pas plus mention d’autres personnages avec lesquels Protée partage des points communs, le dieu Nérée ou sa fille Thétis15 par exemple. Encore plus curieusement, le grammaticus n’établit aucun rapprochement entre Protée et Silène, pourtant présent dans la sixième églogue des Bucoliques. Des parallèles se manifestent pourtant dès l’abord, en des termes identiques, puisqu’il s’agit dans l’un et l’autre poèmes de deux divinités à la sagesse immense, associées à la vieillesse, qui ne consentent à délivrer leur savoir ou leur chant aux hommes que sous la contrainte : il convient de profiter de leur sommeil pour les lier et les obliger ainsi à parler. Ad Buc. VI, 13, le scholiaste de DS rapporte bien l’épisode lors duquel des bergers attaquent Silène endormi et l’attachent afin que le roi Midas puisse l’interroger et, malgré cela, aucun rapprochement avec le livre IV des Géorgiques n’est établi. Le seul élément commun sur lequel s’arrête Servius dans les deux commentaires, sans qu’il fasse toutefois l’objet d’une mise en perspective, concerne son interrogation à propos de la possibilité pour des humains de voir la divinité. Ainsi, ad Buc. VI, 24, le grammaticus précise-t-il que « les demi-dieux, comme les faunes, les nymphes, Silène, ne sont vus que lorsqu’ils le veulent16 ». On retrouve semblable précaution ad Georg. IV, 414, lorsque le scholiaste comprend que Cyréné répand de l’ambroisie sur son fils Aristée afin de le rendre capable de voir le dieu. Servius cherche, comme souvent, à justifier un détail qui pourrait soulever un problème : comment un humain pourrait-il voir la divinité sans l’aide d’un dieu, comme il apparaît par exemple dans l’Iliade (V, 127-128), lorsqu’Athéna chasse des yeux de Diomède le nuage qui l’empêche de distinguer la présence des Olympiens sur le champ de bataille17 ?
12En revanche, une étude comparée des scholies serviennes concernant d’une part la Sibylle au chant VI de l’Énéide et d’autre part Protée dans les Géorgiques nous semble fort révélatrice de la façon dont Servius appréhende ce dernier. On a souvent noté les parallèles qui lient l’épisode d’Aristée et de Protée à celui de la descente aux enfers d’Énée. Deux héros d’origine divine, comme ils le rappellent eux-mêmes l’un et l’autre18, attendent une révélation qui viendra mettre un terme à leurs malheurs. Nombre de critiques ont par ailleurs souligné que la descente d’Aristée auprès de sa mère s’apparente à une catabase et Servius lui-même rapproche les deux épisodes dans la scholie ad Aen. VI, 659 lorsqu’il évoque l’Éridan : après avoir affirmé que ce fleuve prendrait sa source aux enfers avant de jaillir sur terre, le grammaticus cite un vers des Géorgiques (IV, 366) dans lequel est signalée l’existence d’un immense réservoir souterrain d’où tous les fleuves tireraient leur origine, liant ainsi le royaume où vivent Cyréné et les nymphes au monde infernal. De même, le commentateur met en évidence l’insensibilité des mânes aux prières par une citation du vers IV, 489 des Géorgiques au sein de la scholie ad Aen. VI, 405, mais évoque également celle de Protée dans des termes proches ad Georg. IV, 397. On peut déceler un autre lien unissant les deux passages : la descente aux enfers d’Orphée, narrée par Protée dans les Géorgiques, puis son séjour dans les Champs Élysées sont mentionnés à deux reprises dans le chant VI, aux vers 119-120 et 644-647. Notons enfin que la Sibylle et Cyréné sont présentées chez Virgile comme des agents prescripteurs du rite à effectuer, concernant le rameau d’or pour l’une, la bougonie pour l’autre, et le poète souligne dans les deux cas, en usant de la même expression, le fait que les héros s’empressent d’exécuter les conseils qui leur sont prodigués19.
13Dans un article ancien20, J. Chomarat a étudié en détail les convergences entre deux triades : Énée, la Sibylle et Anchise, correspondant respectivement à Aristée, Cyréné et Protée. Or il nous semble que les rapprochements entre la prêtresse d’Apollon et le uates marin s’avèrent bien plus marqués dans les commentaires, du fait de la similitude des éléments sur lesquels Servius a décidé de s’arrêter. Ce choix met souvent en évidence des points de contact entre Protée et la Sibylle, même si le scholiaste ne signale à aucun moment de façon explicite que les deux personnages offrent nombre de caractéristiques communes. Ceux qui connaissent les habitudes d’écriture de Servius ne s’étonneront pas de ce procédé, conforme au caractère allusif des commentaires, lequel ne fait que s’accroître lors de l’étude des Géorgiques. Il n’en demeure pas moins que le fait que le grammaticus décide de développer des détails identiques au sujet de l’un et l’autre personnages nous semble particulièrement signifiant.
14Ainsi, s’il ne s’arrête pas sur l’antre immense21 dans lequel Aristée et Énée pourront les trouver ni sur le fait que la prêtresse est présentée comme la fille de Glaucos22, il justifie en revanche l’idée de vieillesse qui leur est attachée, en rappelant, ad Aen. VI, 321, l’amour d’Apollon pour la Sibylle. Le dieu lui promit de lui offrir ce qu’elle souhaitait et lui accorda donc de vivre autant d’années que de grains de sable qu’elle tenait dans sa main. Pour Protée, le grammaticus explique que « presque tous les dieux marins sont vieux23 » à cause de l’écume qui blanchit leur tête. On notera que le statut de dieu de Protée est encore une fois affirmé, aussi bien dans les commentaires aux Géorgiques – dans la scholie ad Georg. IV, 400, le devin se voit évoqué parmi les numina –, que dans ceux à l’Énéide, ce qui semblait plus surprenant. Servius insiste d’ailleurs sur la nature respective de la prêtresse d’Apollon et de Protée au moment où ils vont commencer leur discours prophétique, signalant que la voix des mortels diffère de celle des dieux : la mortelle Sibylle ne s’exprime alors plus d’une voix humaine – pour poser cette différence, Servius renvoie à un vers de l’Énéide (I, 328) dans lequel le héros s’étonne de l’intonation d’une jeune femme qui n’est autre que Vénus (nec uox hominem sonat : « et ta voix ne sonne pas comme celle des hommes ») –, tandis que Protée, lorsqu’il recouvre sa forme initiale après ses vaines métamorphoses, parle « d’une voix humaine » (ad Georg. IV, 443 : humana scilicet uoce), donnant à penser qu’il ne s’agit pas de celle qui lui est habituelle par essence.
15On sait que Virgile s’est éloigné du Protée homérique en qualifiant le dieu de uates, suivant en cela Callimaque, qui, dans un fragment que nous avons évoqué plus haut, utilise le terme de μάντιν. Considérant la nature du chant du dieu, Richard Thomas24 propose de voir dans ce mot, qui apparaît précisément au moment où Protée prend la parole, une référence à la poésie. De même, Alain Deremetz discerne dans la prédiction de la Sibylle une dimension poétique, voire méta-poétique indéniable25. Pour convaincantes que soient ces hypothèses de lecture, on ne peut bien évidemment pas tenter de les retrouver chez Servius, d’autant qu’à aucun moment de son commentaire du passage des Géorgiques, il n’a eu recours à ce terme de uates : pour se référer à Protée, le scholiaste va utiliser le mot même qu’il emploie couramment afin de désigner le personnage prophétique de l’Énéide, celui de sacerdos. Si c’est bien ainsi qu’est mentionnée la Sibylle lors de sa première évocation au chant VI, « prêtresse d’Apollon et de Trivia » (Aen. VI, 35 : Phoebi Triuiaque sacerdos), Virgile ne qualifie à aucun moment Protée de « prêtre ». Servius s’était déjà joué de nos attentes en s’abstenant de rapprocher le dieu de son équivalent homérique ou d’autres divinités prophétiques, alors que, pour souligner son omniscience, il le comparait au meilleur des augures, Calchas, en citant le texte d’Homère (Il., I, 70) ad Georg. IV, 392. Or nous allons montrer qu’il n’aura de cesse dans la suite des commentaires de présenter le personnage de Protée comme un prêtre inspiré, qui reçoit temporairement la divinité26 – idée sur laquelle il insiste lourdement, pour une raison que nous évoquerons plus bas –, en s’arrêtant sur des points qu’il avait déjà développés au sujet de la Sibylle. Le scholiaste de DS distinguait, ad Aen. III, 443, deux types de devins : « parce qu’il y a deux sortes de prophéties, l’une simple, comme celle d’Hélénus, l’autre par le délire, comme celle de la Sibylle27 ». Ou de Protée, pourrait-on ajouter.
16Certes, Virgile ne manque pas de souligner dès l’abord le caractère sauvage et farouche de la divinité puisque la description du cadre dans lequel évolue le devin n’est pas sans nous rappeler celui du cyclope Polyphème dans l’Odyssée, absent de la grotte où il vit au moment où apparaît Ulysse parce qu’il fait paître ses moutons, tout comme Protée, occupé à son troupeau de phoques, l’un et l’autre fermant leur antre à l’aide d’un énorme rocher28. Mais c’est bien entendu lors de l’assaut d’Aristée que cette sauvagerie s’avère la plus manifeste et nous pouvons tout naturellement la rapprocher de la réaction de la Sibylle saisie par le délire prophétique, comme nous y invite d’ailleurs implicitement Servius. De fait, la prêtresse paraît résister à la possession divine et tente « de faire sortir le grand dieu de sa poitrine » (Aen. VI, 78-79 : magnum […] pectore […] excussisse deum). Le scholiaste précise que ce verbe s’emploie au sens propre à propos des chevaux rétifs que l’on souhaite dompter, assimilant donc la Sibylle à un cheval furieux, Apollon au cavalier. Il cite d’ailleurs fort pertinemment les vers 100-101 de ce même livre de l’Énéide, dans lesquels le poète évoque le frein (frena) et l’aiguillon (stimulos) qu’inflige le dieu à sa prêtresse. Cette image d’un animal refusant de se laisser dominer convient également à Protée, que l’on doit véritablement contraindre et soumettre afin d’obtenir de lui un discours prophétique. Si des devins comme Tirésias ou Phinée peuvent se révéler parfois réticents à l’idée de délivrer leur message divinatoire29, nous sommes bien loin de la fureur qui saisit Protée. Certaines de ses métamorphoses (Georg. IV, 406 : ora ferarum « gueules de bête sauvage » ; IV, 442 : horribilem feram « effrayante bête sauvage ») ne manquent pas d’évoquer le « cœur farouche » de la Sibylle (Aen. VI, 49 et 80 : fera corda).
17Tant dans l’Énéide que dans les Géorgiques, on peut également constater chez les deux personnages des transformations physiques au moment de livrer le discours prophétique : le visage, le teint et la voix de la Sibylle s’altèrent, ses cheveux se dénouent, la fureur possède son cœur et « elle paraît plus grande » (Aen. VI, 47-50 : maiorque uideri). Servius s’arrête sur ce dernier point ad Aen. VI, 49 pour expliquer que, lors de cette possession, la divinité se joue de l’apparence humaine. On pourrait formuler semblable commentaire au sujet des métamorphoses de Protée. En tout état de cause, pour Servius, il s’agit bien, dans l’un et l’autre cas, de possession d’un corps par une puissance divine. À plusieurs reprises, le scholiaste explique les mots de furor ou furens (ad Aen. VI, 102 et 262) comme une marque claire de la domination du corps de la Sibylle par Apollon, mais il considère que Protée reçoit pareillement en lui la divinité, qu’il n’accepte pas sans chercher à lui résister. Après ses métamorphoses inutiles, le devin va en effet accepter de parler, mais laissera à nouveau paraître des signes de résistance : le poète signale sa « grande violence » (ui multa), ses « yeux brûlants » (ardentis oculos) « à l’éclat verdâtre » (lumine glauco). Il ne s’agirait plus de lutter contre Aristée, mais bien contre la divinité qui le saisit.
18Il est intéressant de noter que, de cette description physique, Servius n’a retenu qu’un seul élément que nous n’avons pas encore rappelé, le fait que Protée se mette à grincer des dents (frendens) « avec un immense fracas » – c’est du moins ainsi que le scholiaste entend le mot graviter. Or, après avoir remarqué que les yeux du devin ne sont pas sans évoquer le regard des fous (le verbe intorquere utilisé par Virgile dans ce vers serait à rapprocher de la torvitas liée à la folie), Jackie Pigeaud30renvoie très judicieusement à une étymologie proposée par Isidore de Séville. Dans un passage du livre IV des Origines consacré à la médecine31, l’évêque affirme en effet que différentes affections tirent leur nom des manifestations physiques qui les accompagnent : febris « fièvre » dériverait ainsi de feruor « ardeur » car elle consiste en un excès de chaleur. L’exemple qui suit nous intéresse davantage puisqu’Isidore soutient que la frenesis, que l’on peut traduire par « démence » ou « délire », viendrait du grec θρήν « esprit » (mens) ou bien de ce que les personnes atteintes de frenesis « grinceraient des dents » (dentibus infrendant). Il ajoute que cette maladie se caractérise également par le délire et une agitation violente. La description de ces manifestations physiques nous semble correspondre en tout point à ce qu’écrit Virgile au sujet de Protée lorsqu’il va prendre la parole. Même si Servius ne signale pas cette étymologie, il nous est loisible de penser que le scholiaste pourrait l’avoir à l’esprit pour deux raisons : il s’agit du seul élément de la description du devin sur lequel il décide de s’arrêter, ce qui tendrait à prouver son importance, et l’on connaît la place privilégiée qu’occupe l’étymologie non seulement dans les commentaires serviens, mais, d’une façon plus large, dans le monde antique32. Loin de fournir une simple explication lexicale, elle offre en effet un sens bien plus riche au texte par le jeu de rapprochements et de résonances qu’elle implique. Les occurrences du motphrenesis dans la littérature latine s’accompagnent souvent de celui de furor33 ou d’insania34. Or il s’agit là des termes exacts que Virgile utilise au sujet de la Sibylle35 pour rendre compte de la prise de possession de son corps par la divinité. Ainsi ces différentes réflexions nous permettent-elles de mieux comprendre pourquoi Servius fait de Protée un sacerdos inspiré, saisi d’un délire prophétique.
19Il convient d’autre part de ne pas oublier que nombre de scholies sont écrites dans le but de défendre le poète contre ses contempteurs : suivant en cela la tradition des commentaires homériques – on dit même que c’est là que se trouve l’origine de l’exégèse –, Servius cherche à répondre aux critiques et à justifier le moindre détail du poème susceptible d’être blâmé. C’est sans aucun doute pour cette raison que le scholiaste insiste tant pour que son lecteur suive avec précision le déroulement de la possession du corps du prêtre par la divinité, aussi bien dans les commentaires à l’Énéide que dans ceux aux Géorgiques. Il précise ainsi ad Aen. VI, 50 que la Sibylle n’a pas encore reçu le dieu, ad Aen. VI, 46 qu’elle parlera de Misène après son délire prophétique, ad Aen. VI, 102 que l’emprise du dieu a certes quelque peu diminué, mais qu’il n’est pas tout à fait sorti du corps de la prêtresse. De même, le scholiaste de DS signale ad Georg. IV, 449 que « c’est à cet endroit que Protée reçoit la puissance divine36 ». Ces précisions servent surtout à résoudre un problème que Servius n’énoncera pas clairement, mais dont il livrera la solution : il peut sembler curieux que ces deux personnages, censés connaître toutes choses, fassent preuve d’ignorance en ne décelant pas la présence d’Aristée et de Cyréné pour l’un ou en interrogeant Musée parce qu’il ne sait pas où trouver Anchise pour l’autre. Le grammaticus offre une réponse commune en insistant sur la nécessité de bien tenir compte de ce point : sciendum « il faut savoir » introduit les deux scholies explicatives, tant pour la Sibylle que pour Protée. Pour la première, on doit comprendre que la divinité ne la possède plus « et c’est pourquoi elle pose une question, ce qu’elle ne faisait pas les autres fois37 ». Quant au devin, « il faut aussi savoir que Protée reçoit la puissance divine de façon temporaire ; sans quoi il aurait pu également savoir qu’Aristée se cachait avec Cyréné38 ». Cette explication permet à Servius de ne pas avoir à revenir sur ce point lorsque Protée demandera à son agresseur ce qu’il veut. Ainsi considérer le devin comme un prêtre inspiré, possédé « de façon temporaire » par la puissance divine permet-il de justifier pleinement le texte de Virgile et de s’opposer aux détracteurs du poète.
Protée et la physica ratio
20De fait, répondre aux critiques émises contre les poètes a toujours été une préoccupation majeure de l’exégèse antique, dès les premiers commentateurs homériques. Ceux-ci devaient en effet tenter de contrecarrer les accusations d’impiété formulées contre celui qu’ils considéraient comme la source de tous les savoirs. Pour ce faire, ils ont souvent recouru à l’interprétation allégorique, comme il apparaît encore par exemple chez Héraclite Pontique, un grammairien du ier siècle de notre ère, auteur des Allégories homériques. Après avoir rappelé les critiques qu’ont pu essuyer les textes homériques et le fait que l’allégorie est une figure couramment employée en littérature et en particulier par Homère, il propose de recourir à ce type de lecture chaque fois que l’on pourrait être frappé par ce qui est dit à propos des dieux39. Il s’arrête ainsi, au chapitre 64, sur l’épisode de Protée au chant IV de l’Odyssée et évoque, entre autres, les métamorphoses du devin, qui, lues au premier degré, peuvent être assimilées à des « fables invraisemblables » (τεράστιοι μῦθοι). Les trois chapitres suivants offrent alors une lecture allégorique du passage, lequel mettrait en scène les débuts du monde : Protée représenterait la matière informe (ἄμορθον), primitive et désorganisée. Sous l’action de sa fille Eidothée – étymologiquement « la déesse de la forme » ou « qui donne forme » –, Protée se change en des éléments identifiables40 : le lion désigne l’éther, le dragon la terre, etc. Héraclite conclut que, par cette évocation cosmogonique, Homère parle « en physicien » (θυσικῶς).
21Cette interprétation allégorique n’est qu’un exemple significatif de la riche tradition qui, depuis Homère, cherche à justifier notamment les transformations des dieux et à répondre à des critiques virulentes telles que celles que l’on peut lire dans La République (II, 381b-383c) de Platon : le dieu est parfait et se trouve ainsi l’être le moins susceptible d’altérations. Il convient donc de rejeter les fables sur les métamorphoses de Protée ou de Thétis, d’autant que l’on ne peut admettre que la divinité mente ou souhaite tromper, par ses paroles comme par son apparence. Servius va recourir à semblable lecture allégorique, qu’il qualifie lui-même de physica ratio (ad Georg. IV, 399). Se référant à des auteurs ou commentateurs qu’il ne nomme pas, selon son habitude, le scholiaste propose de comprendre ainsi le fait que Protée ne puisse rendre son oracle qu’après avoir été lié : « l’homme possède en lui le désir effréné, la déraison, la violence, la ruse » (habet homo in se libidinem, stultitiam, ferocitatem, dolum) ; lorsque ceux-ci le dominent, « cette part qui est proche de la divinité, c’est-à-dire la sagesse, ne se manifeste pas » (pars illa quae uicina est divinitati, id est prudentia non apparet) ; en revanche, elle devient toute puissante si l’homme « s’est tenu à l’écart de tous vices » (caruerit omnibus uitiis). Protée pourra donc livrer sa prophétie quand auront été liés « l’ardente41 envie, la dureté sauvage, l’égarement de l’esprit, semblable à la mobilité des eaux » (ignea cupiditas, silvestris asperitas, lapsus animi, aquarum mobilitati similis).
22Pour bien comprendre cette scholie très allusive, notamment en ce qui concerne la partie humaine « proche de la divinité », il est nécessaire de se reporter encore une fois au livre VI des commentaires à l’Énéide et en particulier à la notice du vers 724, qualifiée de véritable « traité sur l’âme » par Aldo Setaioli, qui s’en est d’ailleurs servi pour former l’armature même de son ouvrage sur les conceptions philosophiques de Servius42. Le scholiaste pose à plusieurs reprises comme acquis l’origine divine de l’âme et son immortalité. Setaioli43 rapproche ainsi la pensée de Servius de celle d’auteurs comme Tertullien ou Arnobe44, pour lesquels toutes les âmes sont égales entre elles dans la mesure où elles dérivent d’une origine unique et divine. C’est donc l’incarnation, le corps qui constituerait le principe d’individualisation. Tertullien invoque l’influence des climats et la qualité même du corps, tandis qu’Arnobe en appelle au rôle des astres lors de la descente de l’âme, du ciel vers la terre. Or, dans ad Aen. VI, 714, on retrouve précisément ce point qu’a retenu Servius pour expliquer pourquoi l’humain a perdu sa connaissance de toutes choses : pour s’incarner, l’âme traverse les sphères célestes, siège de celle-ci selon une représentation commune à l’époque du scholiaste, laquelle tire bien évidemment son origine des écrits de Platon. Lors de ce voyage, l’âme connaît la déraison ainsi que l’oubli et chaque planète contribue à en altérer la pureté : de Saturne, elle reçoit la torpeur, de Mars le penchant à la colère, de Vénus le désir effréné, de Mercure la cupidité, de Jupiter la soif de pouvoir. À cela s’ajoutent les thèmes, également platoniciens, du corps prison de l’âme et, par conséquent, de la nécessaire purification de celle-ci après la mort, afin qu’elle puisse retrouver sa force (uigor) primitive45, engourdie par l’incarnation. Cette idée de purification est récurrente à travers l’ensemble des commentaires, même dans ceux aux Géorgiques46, où les remarques d’ordre philosophique se révèlent pourtant bien plus rares.
23Dans la scholie consacrée à l’interprétation allégorique des métamorphoses de Protée, Servius semble revenir sur cette idée d’altération de l’âme et infléchir sa pensée, faisant ainsi cohabiter des conceptions philosophiques contradictoires, comme il arrive souvent dans ses commentaires, et sans pour autant chercher à assurer une cohérence d’ensemble. Il affirme donc ici que le corps ne parvient pas à altérer l’essence profonde de l’âme, c’est-à-dire la partie rationnelle restée « proche de la divinité », qui permet de ce fait à l’homme de connaître la sagesse. Cette concession offre la possibilité de contrebalancer les défauts acquis lors de la descente de l’âme à travers les régions célestes et d’obtenir une purification dès la vie terrestre, en dépit du corps, pourrait-on dire. Ce serait donc par une vie ascétique et vertueuse que l’on pourrait débarrasser l’âme de ce qui a pu l’altérer. Aldo Setaioli a montré de façon convaincante que cette conception semble dériver du De regressu animae de Porphyre47, tout comme bon nombre de représentations serviennes. Ainsi que l’écrit le scholiaste ad Aen. VI, 730, la part divine de l’âme peut être pleine de force en l’homme, à condition que le corps le permette : ce serait donc d’ascèse dont il s’agit. Quant aux défauts évoqués par Servius, ils correspondent aux métamorphoses de Protée, non pas telles qu’elles sont décrites par Cyréné, des vers 407 à 410, avec une énumération des différentes bêtes sauvages dont le devin endossera l’apparence, mais telles qu’on les trouve condensées au vers 442, « l’ardente envie » renvoyant au feu – le compilateur du Moyen Age a jugé bon d’ajouter l’adjectif qualificatif pour plus de clarté dans son édition du Servius Danielis –, « la dureté sauvage » aux bêtes féroces, « l’égarement de l’esprit » à l’eau, comme le précise le grammaticus lui-même par le biais d’une comparaison avec la mobilité de l’eau. Chaque point reçoit donc une explication naturelle, ainsi que nous l’avions vu avec l’exemple d’Héraclite Pontique.
Une autre absence : les laudes Galli
24Parmi les absences que nous notions en introduction, figure celle concernant les louanges à Gallus. Il est notable en effet qu’au moment d’aborder le discours de Protée dans les Géorgiques, Servius ne formule aucun commentaire sur ces laudes Galli qu’il avait pourtant signalées précédemment à deux reprises, ad Buc. X, 1 et ad Georg. IV, 148. Ces louanges ont constitué la matière de tant d’articles – M. Bettini parle d’» ossessivi fantasmi delle laudes Galli49 » –, que nous ne résumerons que brièvement le problème qu’elles soulèvent. Il ne s’agit pas moins en effet que de la remise en question de l’unité même de cette quatrième géorgique. Virgile était un ami de Gallus, figure de l’élégie romaine, qu’il fait apparaître dans la Bucolique VI et à qui il dédie la dixième. Le poète élégiaque était également l’ami intime d’Auguste qui, en récompense du rôle qu’il avait joué dans la prise d’Alexandrie, le nomma à la prestigieuse charge de premier préfet d’Égypte. Cependant, à cause de son comportement orgueilleux et mégalomane qui le poussa à ériger nombre de statues à sa propre effigie et à se faire dédier d’imposants monuments, voire à commettre des exactions et des pillages50, il fut disgracié, menacé d’un procès et se donna la mort en 26. Servius affirme que Virgile, sur l’ordre d’Auguste, remplaça des louanges à Gallus par l’histoire d’Aristée – ou d’Orphée, selon la scholie des Géorgiques – après la mort de son ami.
25Les détracteurs du grammaticus se sont emparés de cette contradiction sur le passage concerné pour réduire à néant la pertinence de ces remarques. Peut-être ont-ils raison, mais l’on peut aussi envisager la possibilité que seule l’une de ces affirmations s’avère pertinente. En tout état de cause, la scholie des Bucoliques s’avère moins fiable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il paraît difficile de penser que l’éloge de Gallus occupait la moitié du quatrième livre des Géorgiques, « du milieu jusqu’à la fin ». Ensuite, il aurait certes pu commencer au début de l’histoire d’Aristée et de l’évocation de l’Égypte, autour des vers 280-290, mais ce personnage semble trouver une place naturelle en cette fin de poème et l’on ne peut imaginer que Virgile n’ait pas conçu sa présence dès la première version supposée de son œuvre didactique. Ainsi que le montre avec pertinence G. B. Conte51, Aristée, l’inventeur de l’agriculture à l’origine de la bougonie, incarne le parfait agricola, tel qu’il apparaît dans l’ensemble des Géorgiques, et vient synthétiser les thèmes qui sous-tendent le poème : comme chez Platon, le mythos viendrait illustrer le logos dans le finale. De plus, autre preuve de la légitimité d’Aristée dans la construction du poème, J. Fabre-Serris affirme que les deux qualités romaines louées tout au long des Géorgiques, le labor et la pietas, se trouvent en quelque sorte réparties dans les personnages du vieillard corycien pour l’une, d’Aristée pour l’autre52.
26Si le fils de Cyréné nous paraît donc trouver toute sa place dans une première version du poème, il conviendrait de supposer que c’est l’histoire d’Orphée, narrée par le devin Protée, qui remplace les laudes Galli. Or aucune mention n’en est faite à cet endroit dans le commentaire servien. Si surprenant que cela puisse nous sembler, Servius ne procède pas autrement au début de son étude des Géorgiques : après avoir longuement souligné dans le prologue la dette de Virgile à l’égard d’Hésiode, le grammaticus cite ou fait allusion au poète grec dix fois dans le livre I, mais seulement une fois au livre II puis au livre III, aucune dans le dernier. Pour les anciens, il ne faisait nul doute que Virgile s’inspirait directement de son prédécesseur – nous pensons par exemple à ce vers d’une élégie de Properce (II, 34, 77) : tu canis Ascraei ueteris praecepta poetae « toi [Virgile], tu chantes les préceptes du vieux poète d’Ascra » – et Servius paraît ne pas chercher à prouver un point qui lui semble connu de tous : sans doute doit-on ainsi interpréter l’absence de référence au poème des Travaux et des Jours dans le commentaire des vers 131 ou 299 du livre I, par exemple, qui renvoient clairement au poème d’Hésiode. De même, il nous faut noter que Servius insiste sur l’importance pour son lecteur de connaître l’existence passée des laudes Galli : sane sciendum. Le grammaticus ne fait que rappeler des choses connues et n’estime pas nécessaire d’y revenir encore une fois, nous privant ainsi d’une explication qui aurait pu nous éclairer davantage sur le regard que l’Antiquité tardive posait sur le remaniement du poème et le rôle de Protée dans les Géorgiques.
27Lire les commentaires serviens s’apparente souvent à une entreprise déroutante pour le lecteur moderne, parfois déçu dans ses attentes, parfois surpris par les observations qu’il y trouve. De fait, ces écrits paraissent en proie à des mouvements contradictoires. Nous avons vu avec Protée que Servius et les scholiastes de DS n’hésitent pas à développer des remarques sur ce personnage, même lorsqu’il n’apparaît pas dans le texte virgilien, s’attardant ainsi sur un mythe particulièrement populaire dans l’Antiquité tardive. L’on ne peut que ressentir une impression de foisonnement, de surabondance devant ces scholies, sentiment que vient contrebalancer leur caractère allusif ainsi que l’absence de rapprochements avec d’autres personnages prophétiques ou dotés de la faculté de se métamorphoser, de références au célèbre passage de l’Odyssée mettant en scène Ménélas et le dieu marin ou encore d’explications supplémentaires au sujet des laudes Galli. De même, et c’est surtout le cas pour Servius pour des raisons historiques, on assiste à une accumulation d’interprétations, parfois sans que le scholiaste n’exprime sa préférence, destinées à justifier un choix poétique ou un point que l’on pourrait juger contestable. À cela s’opposent une volonté de « lissage » du mythe, surtout concernant le statut ontologique de Protée, un désir d’en gommer les aspérités et de tendre à une certaine simplification pour lui assurer une plus grande cohérence. En fait, il ne s’agit pas de mouvements contradictoires, mais seulement contraires, puisqu’ils procèdent tous d’une même volonté : justifier en tous points le poème étudié et les choix de son auteur. La saturation venant parfois contrebalancer le silence, toujours au service du savoir antique et de Virgile.
Notes de bas de page
1 Odyssée, IV, 351-570.
2 Sur ce point, on pourra se reporter à l’article d’Andrew Wallace, « Placement, Gender, Pedagogy : Virgil’s Fourth Georgic in Print », Renaissance Quarterly, 56 (2), 2003, p. 377-407.
3 Chomarat J., « L’initiation d’Aristée », REL, 52, 1974, p. 185-206.
4 Segal Ch., « Orpheus and the Fourth Georgic : Vergil on Nature and Civilization », AJPh, 87 (3), 1966, p. 307-325. Citation p. 314 : « Proteus is an evasive, but essential key of the poem, indeed more important than most commentators have seen » (« Protée est une clé difficilement saisissable mais essentielle du poème, plus importante en fait que ne l’ont perçu nombre de commentateurs »).
5 Coleiro E., « Allegory in the IVth Georgic », dans Bardon H. et Verdiere R. (éds), Vergiliana. Recherches sur Virgile, Leiden, Brill, 1971, p. 113-123.
6 Pour un exposé survolant les différentes hypothèses émises à ce sujet depuis 1600 jusqu’à nos jours et une présentation argumentée de notre position sur la question servienne, nous renvoyons à notre thèse de doctorat non encore publiée, « Traduction annotée des commentaires de Servius aux Géorgiques de Virgile », sous la direction de J. Fabre-Serris, soutenue en décembre 2007, vol. 1, p. 16-35. À paraître aux Presses du Septentrion, coll. « Mythographes ».
7 Même si nous sommes persuadée de l’origine hétérogène des scholies du Servius Danielis, nous parlerons dans le présent article du « scholiaste de DS », par souci de simplification : il faudra entendre « l’auteur de ce passage précis de la scholie ».
8 Euripide, Hélène, 4-5 ; Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques, I, 13 sq.
9 Herodote, l’Enquête, II, 112.
10 On sait à présent, d’après un fragment du poète alexandrin, que Virgile se serait référé à Callimaque pour associer Protée à Pallène. Sur ce point, voir le bref article de R. F. Thomas, « Prometheus the Sealherd (Callim. SH, Frag. 254.6) », CPh, 81, 4, 1986, p. 319.
11 Voir, par exemple, Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques.
12 Outre Plutarque, on pourra se reporter entre autres à Apollodore (Bibliothèque, III, 10, 7 et Épitomé, I, 23) et Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 63).
13 Christopoulos M., « Discours odysséen de Protée », Kernos, 16, 2003, p. 35-41.
14 Cette version se trouve chez les auteurs tardifs car Euripide présentait le fantôme de la fille de Tyndare comme l’œuvre d’Héra dans Hélène, de Zeus dans Électre.
15 Il est vrai que, si Thétis apparaît quatorze fois dans les commentaires serviens, c’est le plus souvent en tant que mère d’Achille, son pouvoir de métamorphoses ne se voyant aucunement signalé.
16 Hemithei cum uolunt tantum uidentur, ut fauni, nymphae, Silenus. On notera cependant une certaine contradiction puisque Servius voit dans les jeunes Chromis et Mnasyle, les assaillants de Silène, des faunes ad Buc. VI, 13 et donc, selon sa définition, des demi-dieux eux-mêmes.
17 On retrouve là un procédé habituel chez les commentateurs, antérieur à Aristote qui l’a cependant posé en système. Il s’agit de la quaestio ou problema, qui consiste en l’exposition d’un problème suivie de sa résolution, solutio ou lusis. Servius fait bien souvent l’économie de la première partie de cette procédure.
18 Georg. IV, 322-324 (quid me praeclara stirpe deorum […] genuisti) et Aen. VI, 123 (et mi genus ab loue summo).
19 On trouve ainsi l’expression haud mora aux vers IV, 548 des Géorgiques et VI, 177 de l’Énéide.
20 Chomarat J., « L’initiation d’Aristée », art. cit. (n. 3).
21 Virgile insiste à plusieurs reprises sur la profondeur de ces antres et leur immensité, parfois dans les mêmes termes (ingens dans Aen. VI, 42 et Georg. IV, 418), caractéristiques que l’on peut rapprocher de la bouche des enfers au vers VI, 260 de l’Énéide.
22 Cette précision permet de rapprocher Protée de la Sibylle car le dieu fait partie du groupe des « Vieillards de la mer » avec Nérée et précisément Glaucos, auquel s’attache Servius ad Georg. I, 437. Le commentateur suit cependant la version offerte par Ovide, sans mentionner le don de prophétie de cet ancien pêcheur, métamorphosé en dieu marin sous l’action des herbes qu’il avait goûtées. Glaucos apparaît en revanche comme une divinité prophétique chez Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 13) ou Pausanias (Description de la Grèce, IX, 22, 7).
23 Ad Georg. IV, 402 : fere omnes dii marini senes sunt.
24 Thomas R. F., Virgil. Georgics, vol. 2, Cambridge University Press, Cambridge, 1988, p. 217.
25 On se reportera à son ouvrage, Le Miroir des Muses, Presses du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 1995, p. 161 par exemple.
26 Reste à connaître l’identité de la divinité qui prend possession du corps de Protée. On pense bien évidemment à Neptune, dont il serait le prêtre puisque Virgile signale sa soumission aux volontés du dieu de la mer : « ainsi en a décidé Neptune » (Georg. IV, 394 : ita Neptuno uisum est). De plus, dans l’Odyssée, Homère présentait Protée comme le « serviteur de Poséidon » (Od. IV, 386 : Ποσειδάωυο ὑποδμώς). Notons cependant que Neptune n’est pas connu pour son pouvoir prophétique.
27 DS, ad Aen., III, 443 : quia duo genera vaticinandi sunt, aut simplex, ut Heleni, aut per furorem, ut Sibyllae.
28 Pour l’absence des deux personnages, Od., IX, 216-217 et Georg., IV, 422 ; pour le bloc de pierre servant à obstruer l’entrée de la grotte, Od., IX, 240-241 et Georg., IV, 422. Notons que Servius s’arrête sur le vers des Géorgiques et commente ces deux points.
29 On pourra se reporter à cet égard à l’article de J. Boulogne, « La leçon de Protée », Uranie, 5, 1995, p. 9-32. Voir en particulier p. 18.
30 Pigeaud J., introduction, notes et postface des Géorgiques de Virgile, coll. « Classiques en poche », Les Belles Lettres, Paris, 1998, n. 20, p. 146.
31 Isidore de Seville, Origines, IV, 6, 2 et 3.
32 Nous renvoyons en particulier aux travaux fondamentaux de Maltby R., a Lexicon of ancient Latin Etymologies (F. Cairns Publications, Leeds, 1991) ainsi qu’à Michalopoulos A., Ancient Etymologies in Ovid’s Metamorphoses : a Commented Lexicon (ARCA, F. Cairns Publications, Leeds, 2001).
33 Juvenal, Satires, 14, 136.
34 Seneque, De la colère, 1, 13, 3.
35 Nous avons signalé plus haut quelques occurrences des mots furor ou furens ; la Sibylle est désignée par l’expression insanam uatem au vers 443 du chant III, que Servius commente en expliquant que certains comprennent que l’adjectif signifie « grande », mais qu’il est préférable d’entendre que le dieu est en elle. Notons que la même explication est donnée pour éclairer le sens de furens ad Aen. VI, 262.
36 DS, ad Georg. IV, 449 : hoc loco suscipit numen.
37 Servius, ad Aen. VI, 669 : unde et interrogat, quod alias non faceret.
38 Servius, ad Georg. IV, 422 : et sciendum, Proteum temporalem suscipere divinitatem ; alioquin potuit etiam Aristaeum cum Cyrene scire latitantem.
39 Héraclite Pontique, Allégories homériques, 4 et 6.
40 L. Morgan propose une interprétation tout à fait similaire du Protée virgilien dans Morgan L., patterns of Redemption in Virgil’s Georgics, Cambridge University Press, Cambridge, 1999 : Aristée contraignant le dieu marin signifierait « l’imposition de l’ordre au chaos » (« the imposition of order on chaos », p. 89).
41 Nous mettons en caractères gras l’ajout de la version longue des commentaires, qui n’est pas de Servius.
42 Setaioli A., La Vicenda dell’anima nel commento di Servio a Virgilio, coll. « Studien zur klassischen Philologie », Peter Lang Verlagsgruppe, Francfort, 1995, p. 1 : « trattato sull’anima ».
43 Ibidem, p. 18-19.
44 Tertullien, De anima, 20, 3 et 4 ; Arnobe, Ad nationes, 2, 11-66.
45 Voir Servius, ad Aen. VI, 714 et 724. Le grammaticus renvoie d’ailleurs lui-même au Phédon ad Aen. VI, 703.
46 Servius, ad Georg. I, 166 et 243 par exemple.
47 Setaioli A., op. cit., p. 139. Sur cette conception porphyrienne, on pourra se reporter à l’article de Guy Landreau, « La philosophie de Porphyre et la question de l’interprétation », qui sert d’introduction à l’Antre des Nymphes dans l’Odyssée de Porphyre, Verdier, 1989, p. 7-60. Voir en particulier p. 22-23.
48 Servius, ad Buc. X, 1 : fuit autem amicus Vergilii adeo, ut quartus georgicorum a medio usque ad finem eius laudes teneret : quas postea iubente Augusto in Aristaei fabulam commutavit « [Gallus] était un ami de Virgile, au point que le quatrième livre des Géorgiques contenait, du milieu jusqu’à la fin, ses louanges ; par la suite, sur l’ordre d’Auguste, Virgile les remplaça par l’histoire d’Aristée » et ad Georg. IV, 1 : sane sciendum, ut supra diximus, ultimam partem huius libri esse mutatam : nam laudes Galli habuit locus ille, qui nunc Orphei continet fabulam, quae inserta est, postquam irato Augusto Gallus occisus est « Il faut bien savoir que, comme nous l’avons dit plus haut, la dernière partie de ce livre a été transformée : des louanges à Gallus figuraient en effet à l’endroit où l’on trouve à présent l’histoire d’Orphée, insérée après que la colère d’Auguste eut poussé Gallus à la mort ».
49 Bettini M., « La folia di Aristeo. Morfologia e struttura della vicenda virgiliana al quarto delle Georgiche », MD, 6, 1981, p. 71-90. Citation p. 71, note 1.
50 Ammien Marcellin, Histoires, XVII, 4-5.
51 Conte G. B., « Aristeo, Orfeo e le Georgiche », art. cit., p. 109.
52 Fabre-Serris J., « Tibulle, 1, 4 : l’élégie et la tradition poétique du discours didactique », Dictynna, 1, 2004, p. 29-43. Voir en particulier p. 31.
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