La Douleur, le "journal intemporel" de Marguerite Duras
p. 195-215
Texte intégral
1Un an après L’Amant, couronné par le prix Goncourt et vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, paraît en 1985, dans un contexte de gloire médiatique pour son auteur, La Douleur.
2Ce livre de Marguerite Duras est en réalité un recueil. Chaque texte qui le compose est introduit par un avertissement solennel, destiné à déclarer son appartenance à une catégorie exclusive, celle du témoignage ou de la fiction. Les quatre premiers, « La Douleur », éponyme, « Monsieur X. dit ici Pierre Rabier », « Albert des Capitales » et « Ter le milicien », se présentent comme des textes authentiques, ceux au regard desquels, dit l’auteur, « la littérature m’a fait honte » ; les suivants, « L’Ortie brisée » et « Aurélia Paris », beaucoup plus minces, sont introduits par la mention sans équivoque : « C’est inventé. C’est de la littérature1 ». Si les textes se situent tous à Paris, sous l’Occupation, au moment de la Libération, leur genèse est en réalité assez différente et c’est seulement le texte éponyme, en relation avec « Albert des capitales », qui retiendra ici notre attention.
3Le journal qui, en 1985, ouvre La Douleur a en effet déjà une histoire éditoriale. En 1981, dans Outside, le lecteur peut reconnaître, parmi des articles publiés par Marguerite Duras entre 1957 et 1980, un court papier paru anonymement en 1976 intitulé « Pas mort en déportation2 ». Cinq ans plus tard, Duras assume le texte et dit l’avoir « retrouvé dans un cahier, une sorte de journal intemporel », tenu « pendant la fin de la guerre3 ». « […] Écrit pour ne pas oublier. Ce qu’un homme peut devenir, ce qu’on peut lui faire subir4 », ce mémoire renvoie en fait à des pages réécrites, extraites de ce même cahier5, qui deviendront pour le lecteur de 1985 celles de « La Douleur ». Dédié à l’attente, puis au retour de Robert Antelme, l’époux de Marguerite Duras, ici « Robert L. », ce court journal est tenu par la « petite Marguerite », une certaine « madame L.6 ». Bien qu’Antelme ait été arrêté en juin 1944, puis envoyé comme déporté politique en Allemagne, le texte couvre une période qui va d’avril 1945 à l’été 1946. « Journal intemporel », le qualificatif frappe : tout journal est journal d’être une écriture du jour – qu’il consigne l’ordinaire du quotidien ou témoigne d’une situation inhabituelle dont le diariste veut garder trace. Journal de vie ou journal de bord, l’écriture de l’intime et du vécu s’inscrit dans un temps auquel elle donne forme. De cette manière, le présenter comme « intemporel » paraît un défi au genre. C’est d’autant plus vrai que, artefact, le journal dissimule en fait un récit écrit « plusieurs mois après le retour de Robert Antelme7 », conçu à partir d’une fin connue, celle qui donne au texte de 1976 son titre, « Pas mort en déportation ».
4Ce qui sous couvert de journal est en réalité récit trouve-t-il alors qualité fictionnelle ? On sait que Duras exclut avec force ce texte de la sphère littéraire. Pourtant, la facture fait appel à des procédés poétiques, comme à des topiques, qui défient la confession ou le témoignage, à caractère anecdotique ou historique. Si, dans ce pacte de lecture ambigu, elle réaffirme la volonté de déclarer les faits, et le texte, intangibles, c’est sans doute parce que ce journal rivalise avec un autre journal d’avril 1945, celui qui venait conclure L’Espèce humaine de Robert Antelme écrit à son retour de déportation8.
L’attente, le journal
5Si l’on en croit la préface à « La Douleur », ce « Journal » a été « retrouvé » par Marguerite Duras dans « deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le – Château9 ». La formule déréalise : la préposition « de », au lieu du « dans » attendu, l’indécision du pluriel – y avait-il donc un cahier par armoire ? –, la métonymie qui donne à la maison la noblesse du toponyme, et installe le manuscrit au « Château », conduisent à se demander si ce ne sont pas les armoires elles-mêmes qui ont livré ces cahiers, et leurs secrets, intacts. Cette indécision, qui flirte avec le merveilleux, s’accorde ici avec le topos du manuscrit retrouvé qui, depuis les innombrables préfaces des romans mémoires et épistolaires, fait désormais signe à la fiction.
6Car il faut dire que « La Douleur » n’est pas seulement un journal « retrouvé », il est aussi un journal retravaillé, un journal réécrit. Il n’y a d’ailleurs là rien d’extravagant : comme le confirment tous ceux, et Lejeune10 en particulier, qui se sont intéressés à cette écriture de soi qu’est le journal, il est très rare qu’un auteur ne modifie pas son texte en vue ou à l’occasion de la publication. Le journal publié est donc rarement l’exacte réplique du journal écrit. Cette loi se vérifie également lorsque c’est un proche qui retrouve le journal à la mort du diariste et en soumet la publication à un éditeur.
7Toutefois l’avertissement de Duras insiste sur autre chose de capital pour le sujet qui nous intéresse :
Quand l’aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelle maison ? Je ne sais plus rien.
Ce qui est sûr, évident, c’est que ce texte-là, il ne me semble pas pensable de l’avoir écrit pendant l’attente de Robert L.11.
8En dépit d’une annonce construite pour affaiblir ce qu’elle asserte (on lit tour à tour « je ne sais plus rien », « ce qui est sûr », « il me semble »), on comprend que le journal est écrit a posteriori : la rédaction n’est pas contemporaine des faits. En bref, l’écriture n’est pas du jour. Les interviews de Duras, les biographies qui lui sont consacrées, celle de Laure Adler et de Jean Vallier12, l’édition des Cahiers manuscrits de l’auteur, établissent que Duras tient ce journal dans l’immédiat après-guerre, c’est-à-dire dans une période relativement proche des événements qu’elle consigne, vraisemblablement en 1946-1947, tandis que Robert Antelme écrit L’Espèce humaine. Des anachronies présentes dans les Cahiers sont d’ailleurs reprises telles quelles dans le journal : le « 27 avril » 1945, on trouve une prolepse qui porte atteinte au genre : « Si j’étais vraiment malade, je crois que Mme Kats penserait moins à sa fille. […] Mme Kats a attendu six mois, d’avril à novembre 1945. Sa fille était morte en mars 1945, on lui a notifié la mort en novembre 194513. »
9Que cette écriture soit une écriture rétrospective est déterminant pour la qualité générique du texte : on l’a dit, un journal ne peut être dit tel s’il n’est pas une écriture inscrite dans un temps vécu à qui, en définitive, l’on confie le soin de distinguer les réalités insignes. Dans ses réflexions sur le journal intime, en avril 1955, Maurice Blanchot trace une démarcation entre le journal qui « rapporte » et le récit qui « raconte14 ». Là réside assurément la différence entre la passivité d’une écriture soumise à la consignation des faits et la mise en forme, le processus actif, que sous-tend l’élaboration d’un récit porté par une configuration. Ainsi un journal ne saurait être écrit en fonction d’une fin : les événements relatés ne s’agencent pas en une résultante capable d’offrir au texte une conclusion. Un jour, tout simplement, le diariste s’arrête d’écrire. Or, ici, le fait que Marguerite Duras a tenu ce journal après le retour et le sauvetage de Robert L. signifie qu’il est écrit à la manière d’un récit, c’est-à-dire à partir d’une fin connue, comme à rebours. Le texte restitue donc un épisode du passé dont le dénouement est sans équivoque pour la diariste : Robert L. a survécu aux atrocités nazies. Quoique Duras veuille – et réussisse sans doute pour le lecteur – à se replacer dans les conditions d’actualité, et d’incertitude, assignées à l’écriture du journal, la perspective est modifiée. Duras a écrit à partir de la vie15. Le journal est ce texte composé qui s’ouvre avec une et une seule expectative, « j’attends Robert L. qui doit revenir », et s’achève sur l’obsédante pensée de la narratrice, « "il n’est pas mort au camp de concentration"16 ».
10Entièrement écrit a posteriori, et relevant à ce titre tout entier de la catégorie du récit, « La Douleur » n’est pourtant pas un texte dont la loi poétique est uniforme. On y trouve d’abord, dans une première partie, sur les deux tiers du texte17, ce journal, ou plutôt son imitation18, doit-on dire, conduite à travers une datation volontairement désinvolte, jusqu’au retour de Robert L. à Paris. Cette découpe du calendrier concerne en réalité une très courte période, celle qui va du 20 au 28 avril : c’est un temps étiré, comme suspendu par l’attente, où une seule journée peut donner lieu à divers moments d’écriture que le journal restitue19. Puis, alors qu’on pense être encore dans la consignation des faits survenus le 28 avril, après un blanc typographique en pleine page, on lit :
Je ne sais plus quel jour c’était, si c’était encore un jour d’avril, non c’était un jour de mai, un matin à onze heures le téléphone a sonné. […] « Écoutez-moi bien. Robert est vivant »20.
11L’annonce d’un Robert en vie fait immédiatement cesser l’écriture diariste – quoique l’attente ne soit pas encore rompue et que, vivant, le déporté ne soit pas sauvé. Il faut attendre le retour du camp, puis engager « la lutte […] avec la mort », celle qui « après dix-sept jours » seulement « se fatigue[ra]21 ». Encore et toujours dénombrés, les jours ne donnent plus lieu cette fois à la comptabilité du journal : le goutte-à-goutte de l’attente a cessé ; le temps, déglacé, s’écoule de nouveau.
12Dans son œuvre, ainsi que le fait remarquer Sylvie Loignon22, Duras n’a donné spontanément au livre qu’une autre fois la forme du journal, pour faire paraître en 1995 un très court texte, le dernier, intitulé C’est tout23. Fait des brèves et fortes impressions qui surgissent à l’approche de la mort, ce journal n’accueille pas comme chez tant d’autres écrivains le cours ordinaire de la vie24 ou le labeur de l’écriture. Noter le temps qui passe signifie en réalité pour Duras décompter celui qui reste à vivre : le journal est ici la forme dédiée à une attente funeste. On pourrait alors penser que L’Eté 825, présenté par son auteur comme étant le « seul journal de [sa] vie », occupe dans l’œuvre une place à part. Chronique d’un été, ce « journal de la mer et du temps26 », écrit sur commande pour le quotidien Libération, consigne, pour la vie personnelle, sous couvert d’un « vous » anonyme, l’arrivée de Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras. Toutefois, parce qu’il est aussi, nous explique la diariste, le journal « de [sa] perdition près de la mer dans le mauvais été de 198027 », on voit que le genre ne surmonte pas réellement l’écriture de la peur et de l’abandon du sujet.
L’attente, la douleur
13« La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie » annonce Marguerite Duras en ouverture du journal28. Corollaire de l’attente, décrite comme un « combat sans nom », la douleur s’est installée : pour mener la lutte, elle a fait le siège du sujet en ayant soin de prendre la « place », toute la place dont « elle a[vait] besoin29 ». D’abord vécue sous les symptômes de la fatigue intense, de l’insomnie et de l’inappétence, elle est devenue la fièvre qui fait naître jusqu’au vertige les images morbides. Car celle qui attend Robert L. ne se contente pas de mettre son corps au « supplice », elle cherche l’anéantissement, y compris par l’ » exorbitation de la raison », et suscite la réprobation : « “en aucun cas, on a le droit (sic) de s’abolir à ce point” », proteste D. [Dionys Mascolo] qui vient chaque jour la voir et la soutenir30. Si la diariste « n’existe plus à côté de cette attente », c’est que Robert L. mourant a pris possession de son corps ; par un « battement dans les tempes », sourd, régulier, elle comprend : « sa mort est en moi31 ». Chez Duras, la douleur se porte au cœur32 et lorsque « tout à coup » jaillit « la certitude, la certitude en rafale : il est mort. Mort. Mort », alors tout s’arrête : « Plus de battement aux tempes33. » Sous la plume de celle qui écrit « Je ne sens plus mon cœur […] Plus de douleur. […] Je n’existe plus » disparaît tout aussi brutalement la première personne qui coïncidait avec le sujet : « Qui est-elle ? » est l’interrogation inquiète qui surgit34.
14Toute grandiloquence est ridicule : la vie est d’abord celle du corps et de ses besoins. « Je voudrais pouvoir lui donner ma vie. Je ne peux pas lui donner un morceau de pain » est une formule du désespoir qui se moque de l’hyperbole, car entre Robert L. et la « petite Marguerite », le corps de l’un fait la vie de l’autre : ce qui doit coûte que coûte être maintenu à Paris est l’» enchaînement […] qui relie leur corps à notre vie », assure-t-elle35. Mais si la douleur occupe le sujet, cet occupant n’est pas un ennemi. Elle donne à l’attente un emploi, celui de la compassion. La diariste a fait place nette « pour le supplice », elle lui a « gard[é] toutes ses forces » ; avec une complaisance certaine, elle retrouve « tous les soirs » ce « fossé noir » auquel elle appartient36. C’est ce qui fait sa folie (« "Vous êtes une malade, vous êtes une folle" », assène D.37) ; c’est ce qui fait sa grandeur.
15Gérard Darnou voit en Duras une « mystique sans dieu38 ». « Sans dieu » : le journal n’est pas religieux assurément ; l’appel à Dieu y résonne comme une superstition. Mme Bordes, « la concierge de l’école » de la rue Saint-Benoît, attend elle aussi : « nous pouvons prévoir un jour de plus à vivre. […] prévoir dans trois jours […] serait quant à nous faire injure au bon plaisir de Dieu. Nous sommes scellées à Dieu, accrochées à quelque chose comme Dieu », énonce la diariste. La réponse de D. est cinglante39 : « "Toutes les conneries […], toutes les idioties, vous les aurez dites40..." ». Mme Kats, venue habiter chez Marguerite, est aussi l’une de ces femmes qui, à sa manière, ne veut pas entendre raison : elle prépare minutieusement le retour de sa fille infirme, déportée41 : « "Tout son linge est lavé, raccommodé, repassé. J’ai fait doubler son manteau noir, j’ai fait remettre des poches […] tout est prêt. […] j’ai mis un point à ses bas. Je crois que je n’ai rien oublié" », énumère-t-elle. Le diagnostic de la diariste tombe : « Mme Kats défie Dieu42. » Dans sa lutte contre l’inexorable, par l’accumulation méthodique et soignée de ces tout petits riens, Mme Kats donne à son espoir une expression parfaite, le caractère d’un absolu. Dans « La Douleur », où le nom de Dieu n’est ni invoqué, ni maudit, l’énormité du « crime nazi43 » perpétré contre les Juifs conduit toutefois Duras à ironiser. Dieu, qui aurait fait l’homme à son image, la figure transcendante du Bien, est raillé : « Le monde entier regarde la montagne [des] […] onze millions d’être humains [assassinés], […] la masse de mort donnée par la créature de Dieu à son prochain44 ». Pour elle, « la pensée de Dieu » est enterrée « dans la grande fosse commune européenne, avec les millions de juifs45 ».
16« Mystique », Duras ? On voit que ce n’est pas Dieu qu’elle trouve dans l’attente et la découverte des horreurs de la guerre. Il y a néanmoins dans ce texte une mystique de la douleur dont les vertus de connaissance et de partage sont révélées par l’épreuve que le sujet s’impose. Hors de soi, emportée par la douleur, c’est « là-bas avec lui, dans cette zone inaccessible aux autres, inconnaissable aux autres, là où ça brûle et où on tue » qu’elle est conduite et, au retour, c’est à la « passion de sauver Robert L.46 » qu’elle est initiée. S’est-elle entraînée à la souffrance comme tout bon dolorisme l’impose ? Certes pas, mais comme Dionys Mascolo, le dira, elle « n’était occupée que de cela47 ». Durant les dix-sept jours de la Passion de Robert L., elle approche le mystère de la vie qui lentement s’arrache à la mort, tandis qu’elle-même « se sen[t] très près de la mort […]48 ». Cette fois, cependant, « la douleur est implantée dans l’espoir49 » : Robert L. sauvé n’est pas loin d’être ressuscité50.
17La douleur est fondamentalement pour la diariste une expression de l’attente. Si elle permet au sujet de repousser les limites du soi, d’abolir le temps et l’espace, comme de le faire vivre dans un présent absolu, enfermé dans l’écriture diariste, elle ne se limite pas toutefois à l’expérience personnelle. Dans le Paris de la proche Libération, « la petite Marguerite » n’est pas seule. Elle fait partie de toutes les femmes plongées dans cette « attente de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre51 ». Autour d’elle, on trouve Mme Bordes, Mme Kats, les femmes des déportés, les volontaires STO rapatriées dans la honte et la peur, les gradées du « personnel gaulliste52 »… Mais au-delà, dans ce journal d’avril 1945, la douleur devient celle du peuple français durement éprouvé, selon elle, par les décisions de De Gaulle, ce général qui « n’attend plus rien, que la paix53 ». La diariste condamne son refus d’» intégrer la douleur du peuple dans la victoire, […] de peur d’affaiblir son rôle à lui54 ». Comme chef du Gouvernement provisoire, il veut, à l’entendre, tirer un trait sur les souffrances de la guerre, reléguer « "les jours des pleurs" » pour célébrer les « "jours de gloire" » et envisage, dès le 3 avril, d’organiser les élections municipales. Parce qu’il n’attend pas le retour des prisonniers de guerre et des déportés, « on le hait aussi, les femmes55 », ajoute-t-elle. Par ses choix politiques, De Gaulle nie la « force vive » du peuple dont il cherche à affaiblir le rôle historique : pour lui, conclut la rédactrice de Libres, « le deuil du peuple ne se porte pas56 ».
18Ici, Duras s’accorde avec l’idée commune que faire son deuil permet d’en finir avec la douleur. Revendiqué et magnifié à titre collectif, en signe de dignité et en gage de reconnaissance, le deuil reste, on le sait, bien plus difficile à faire individuellement pour le sujet durassien. Dans cette œuvre, où tout personnage est mis au défi de surmonter une expérience traumatisante, il devient un enjeu personnel rarement relevé. Soit, à l’image de la Lol V. Stein du Ravissement, le sujet confronté à une « étrange omission de [l]a douleur57 » reproduit des conduites d’exclusion où se rejoue la perte originaire. Soit, à l’exemple de la Française d’Hiroshima mon amour, il entretient une douleur telle58 que le processus de deuil est différé ; lorsque l’abréaction se produit, retardée, elle conduit à une nouvelle séparation : la Française ne restera pas à Hiroshima.
Le retour, le récit
19Robert L. « vivant », c’est donc le récit qui, pour le lecteur, prend le relais59 et l’écriture qui redonne aux faits le recul du passé. Dans son parallèle entre journal et récit, Blanchot précisait, « on raconte ce que l’on ne peut rapporter. On raconte ce qui est trop réel […]60 ». « Trop réel » était sans doute cette arrivée de Robert L. à Paris :
J’ai entendu des cris retenus dans l’escalier, un remue-ménage, un piétinement. Puis des claquements de portes et des cris. C’était ça. C’était eux qui revenaient d’Allemagne. […] Je ne sais plus exactement. Il a dû me regarder et me reconnaître et sourire. J’ai hurlé que non, que je ne voulais pas voir61.
20Voir, avoir sous les yeux, celui qu’on ne « reconnaî[t] pas » est d’une brutalité sans commune mesure avec les « images du fossé noir » où elle s’imaginait, le soir, en rêve, s’endormir « près de lui […] mort62 ». Il faut donc convenir que, paradoxalement, le journal est la forme de l’absence, tandis que la présence imposera la reprise, par la distance du récit.
21Cette deuxième partie de « La Douleur » comprend en réalité trois épisodes bien différents, rédigés à l’aide de brefs paragraphes entrecoupés de blancs. Leur enchaînement n’est plus seulement temporel, mais répond à un ordre logique : le récit retrouve l’efficacité chronologique du post hoc ergo propter hoc lié à la dimension rétrospective. C’est d’abord le sauvetage de Robert L., retrouvé par « Beauchamp et D. » à Dachau, traité comme un bref sommaire, contenu dans deux pages et demie : « Beauchamp et D. sont partis de Paris le jour même, au début de l’après-midi. C’était le 12 mai, le jour de la Paix63 » et sont revenus deux jours plus tard. Lui succède l’épisode des soins qu’on apporte au survivant, de retour chez lui, à Paris, rue Saint-Benoît64. Le récit fait alors place à la description du corps malade, à ses fonctions vitales altérées, à cette « peau […] devenue du papier à cigarettes […], [à] cette chose gluante vert sombre qui bouillonnait […], que personne n’avait encore vue. […] On lui donnait de la bouillie jaune d’or […] et elle ressortait de lui vert sombre comme de la vase de marécage65 ». Pour reprendre les termes de Blanchot, on peut comprendre que ce « trop » de réalité ait fait basculer le corps de Robert L. vers « l’espace du récit », là où les faits « ne peuvent être ni atteints ni dépassés ni trahis ni oubliés66 », et le nom vers l’indéterminé. Le journal, ou plutôt son artefact formel, ne pouvait tenir pour ce récit de la Passion qui paraît seul relever de l’écriture du contrecoup, au sens de ces écritures du trauma qui ont besoin du recul temporel pour être élaborées67.
22Enfin, une troisième partie, avec son épilogue, conclut l’histoire. Robert L. a vaincu la mort : les « forces [sont] revenues », puis « revenues encore davantage68 ». C’est le moment pour le lecteur de découvrir que l’issue de l’histoire n’est pas celle, heureuse, d’un couple réuni en dépit du « pire69 », mais l’annonce d’une séparation :
Les forces sont revenues encore davantage. Un jour je lui ai dit qu’il nous fallait divorcer, que je voulais un enfant de D., que c’était à cause du nom que cet enfant porterait. Il m’a demandé s’il était possible qu’un jour on se retrouve. J’ai dit que non, que je n’avais pas changé d’avis depuis deux ans, depuis que j’avais rencontré D.70.
23La femme, protagoniste et narratrice, celle qui projette ici la séparation, révèle dans le même temps que cette fin de l’histoire avait un caractère inéluctable. Ce dénouement, reconnu comme indépendant de l’issue du drame – Robert L. mort ou vif ? –, donne au texte le profil des grands romans de Marguerite Duras, de ces histoires d’amour où il ne s’agit jamais pour les protagonistes que de rejoindre une fin déjà posée, et marquée par la séparation, la disparition ou la mort. Qu’il vive et c’est la séparation ; s’il meurt, celle qui attend veut mourir aussi71.
24Le récit se résout avec la fin de la vie commune entre Duras et Antelme. Cette conclusion trouve place dans le contexte de l’Europe libérée, de la convalescence d’Antelme et de l’écriture de L’Espèce humaine, explicitement mentionnée par le texte72. En Suisse, sur le lac d’Annecy, en août 1945, ils apprennent le bombardement américain sur Hiroshima, puis voici l’été 46, « le premier été de la paix ». Une longue dernière scène de cinq pages, située sur « une plage en Italie, entre Livourne et La Spezia73 », qui sert d’épilogue au texte, se conclut sur un irréel :
Nous avons remis nos maillots, nous avons traversé la plage en courant. […] Je suis restée au bord.
Le Libeccio était tombé. Ou bien c’était un autre jour sans vent.
Ou bien c’était une autre année. Un autre été. Un autre jour sans vent.
La mer était bleue, même là sous nos yeux […]. Lui s’est levé et il a avancé vers la mer. Je suis venue près du bord. Je l’ai regardé74.
25La conclusion, et sa scène au caractère intemporel, actualise néanmoins très exactement une rêverie à laquelle la diariste s’abandonnait, un jour d’» Avril » 1945, dans son journal : « S’il revient nous irons à la mer. Ce sera l’été, le plein été. […] il atteindra la plage, il restera debout sur la plage et il regardera la mer. Moi, il me suffira de le regarder, lui75. »
26L’important, toutefois, n’est pas tant que la réalité finisse par s’accorder au rêve, comme l’espoir en son accomplissement réalisé, ni même qu’on puisse trouver là l’indice d’une intrigue soigneusement ficelée. Il faut plutôt lire ce Moi qui le regarde regardant la mer comme l’image paisible venue remplacer l’hallucination morbide du côte à côte dans le « fossé noir76 ». Cependant le nom, comme identité fixée, n’a pas le pouvoir consolateur des images et celle qui porte son nom en « horreur77 » donne ses larmes à l’infini de la mer par lui seul regardé pour énoncer que « dès ce nom, Robert L., je pleure. Je pleure encore. Je pleurerai toute ma vie78 ».
Des Cahiers de la guerre à « La Douleur »
27Dire avec Marguerite Duras que « La Douleur » est un « journal intemporel » ne signifie donc pas qu’il est un texte étranger au temps qui passe et se fige lorsque l’attente s’installe. Différemment, on peut concevoir qu’il est intemporel de n’être pas journal, mais un récit émancipé de l’écoulement des jours. Cette dimension narrative l’inscrit-elle de facto dans un registre fictionnel ? Indépendamment de la question de savoir si tout récit – et singulièrement le récit de soi79 – a qualité fictionnelle, il faut remarquer que, face à ce texte, Marguerite Duras prend soin d’indiquer que « la littérature [lui] […]fait honte80 ». Or la « littérature », celle qui « fait honte », n’est pas seulement un ensemble de procédés esthétiques. Au regard de la réalité à laquelle il se confronte, et cherche à s’émanciper en devenant fiction, l’exercice poétique est, pour suivre Aristote, invention et composition. À ce propos, l’on se souvient que Duras oppose strictement les deux derniers textes du recueil aux précédents, par un avertissement qui établit une équivalence entre littérature et invention : « C’est inventé. C’est de la littérature81 », prévient-elle.
28Inventer, ce peut être créer ex nihilo des lieux, des personnages, des situations : de ce point de vue, « La Douleur » n’est évidemment pas une histoire inventée, et elle échappe à cette définition du littéraire. Mais inventer consiste aussi bien à transposer des réalités connues ou vécues, par déplacement, substitution ou intégration. Aussi, puisque par sa fonction d’étiquetage, le nom propre est un lieu de véridiction qui se rapporte au registre historique, et à ses dimensions de singularité et d’exactitude, il faut se demander si l’usage, à première vue incongru, qui en est fait ici, relève d’un régime de transposition propre à la fiction.
29Si l’on s’en tient aux trois personnes principales du texte, on voit que « Robert L. » et « D. » sont les dénominations retenues par la diariste-narratrice tandis qu’elle-même fait apparaître son nom à l’intérieur de citations. Pour D., elle est « "ma petite Marguerite" », à l’intérieur d’une adresse par deux fois semblable ; pour la concierge, elle apparaît dans l’apostrophe « Bonjour madame L.82 ». « Robert L. » est le nom de Robert Antelme, « D. », celui de Dionys Mascolo, et la « petite Marguerite », cette « Madame L. », est Marguerite Donnadieu, épouse Antelme, dite Leroy pour la résistance, tout comme son mari ; elle est aussi en 1945 la Marguerite Duras des couvertures des Impudents et de La Vie tranquille, parus en avril 1943 et décembre 1944. Si les dénominations choisies ne relèvent pas à proprement parler de la transposition, où un nom est donné pour (en cacher) un autre, leur usage est d’ordre poétique. D’une part, elles assignent strictement la personne à une fonction à travers une nomination attachée à l’énonciation ; d’autre part, tronquées, elles corrompent l’identification. De ce point de vue, le cas d’Antelme est le plus marquant. Celui que la narratrice attend n’est jamais « Robert » ou « Robert Antelme » ou « Antelme », il est toujours désigné, d’une manière qui distend l’intimité dans la langue, sous son nom de résistant – ou plutôt sous l’initiale qui l’indétermine : « Robert L. ». On connaît l’importance de l’établissement des noms pour la célébration de la mémoire des morts, des victimes de la guerre ou de la barbarie : sur les monuments aux morts des villages français, au mémorial de la Shoah à Paris, sur le mur des Noms, les Juifs de France morts déportés ont leur identité gravée. Mais, on le redit, Robert Antelme « n’est pas mort en déportation » et le texte n’est ni une plaque commémorative, ni un tombeau.
30« Robert L. » n’est-il alors qu’un déporté politique parmi d’autres ou plutôt, faut-il dire, parmi les autres ? La dialectique du singulier et de l’universel dans l’expérience vécue, et sa restitution, est en tout cas l’une des grandes topiques du texte : « ceux qui vivent de données générales n’ont rien de commun avec moi. Personne n’a rien de commun avec moi83 » dit celle qui, on l’a vu, s’inclut cependant de manière très affirmée dans la condition de toutes ces femmes dans la guerre, soumises à l’attente. De même, Robert en tant que « Robert L. » se distingue invariablement de tous les autres : « […] à la fois contenu dans les milliers des autres, complètement distinct, seul », il est celui qui porte « cette grâce à lui particulière mais faite de la charge égale du désespoir de tous84 ».
31Dans cet avant-propos à « La Douleur », qui renvoie la littérature « à la honte », Duras dit aussi s’être trouvée devant ce texte, comme devant un « désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel [elle] n’a pas osé toucher85 ». Non retouché, car intouchable, le texte est présenté comme une sorte de relique, puisque l’auteur s’étonne : « Comment ai-je pu [l’] abandonner […] pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver86 ? ». Lui aussi a donc surnagé ; il a bravé le péril de l’inondation, comme son auteur a survécu à la guerre et à la déportation. Ainsi nous lirions dans « La Douleur » l’un des Cahiers de la guerre. On l’a dit, la réalité est tout autre : la lecture des Cahiers, aujourd’hui publiés87, nous apprend que ces textes ont été entièrement réécrits au point qu’il reste bien peu de phrases indemnes d’une retouche. On comprend pourquoi le lecteur familier de Duras s’est senti en 1985 de plain-pied avec cette écriture : « La Douleur » est un texte remanié, entièrement rewrité pour utiliser un anglicisme. Outre ces interventions constantes sur son texte, d’ordre stylistique, notamment par l’effacement d’un certain style télégraphique, propre à une écriture moins littéraire justement, Duras a procédé par soustraction, addition et remplacement. Certains passages ont été supprimés et, si l’on en croit l’auteur, « le principal [du] […] travail pour la publication a été d’enlever, par exemple ce qui avait trait à la religion, à Dieu88 ». Toutefois, cette déclaration ne rend pas justice à d’autres coupes, en particulier à celles qui – outre la référence à Dieu dont la connotation n’était dans les Cahiers ni mystique, ni métaphysique, mais brutalement anticléricale – renvoient au sentiment anti-allemand de l’époque. Ce sont ces « rêves d’assassins », portés par la vision « d’une ville idéale, brûlée, entre les ruines de laquelle coulerait le sang allemand […], plus rouge que le sang de bœuf89 », qui ont disparu. Quant aux autres suppressions, elles sont majoritairement reliées à la critique radicale de la politique gaulliste d’après-guerre. Ces développements, dont la brutalité s’exprime à l’aide de violents fantasmes, apparaissent synthétisés et remplacés dans le texte de 1985 par des versions édulcorées. L’adoucissement du texte concerne aussi des passages plus personnels où s’exprimait la peur de la mort atroce qui guettait Robert L. De la même manière, le texte définitif, thématiquement resserré autour de l’attente, ne décrit plus si longuement l’entourage de la diariste, dont l’évocation était digressive ou anecdotique : « Mme Bordes », « Mme Kats/Cats » occupent beaucoup moins de place dans « La Douleur » que dans les Cahiers.
32Outre ces modifications, les fragments introduits sont de la plus haute importance, car ceux-ci nous renvoient à une fabrique du texte qui met en évidence le caractère hétérogène de sa genèse. En effet, seul le journal mimé de l’attente de Robert L. a été écrit d’un seul tenant : on le retrouve, dans sa continuité, à l’intérieur du cahier intitulé « Presses du xxe siècle », et il se poursuit dans le « Cahier de cent pages », arrêté en date du « 28-29 avril90 ». On peut donc entendre à la lettre Duras quand elle dit « j’ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues », car tout ce qui ne répond pas à cet artefact, c’est-à-dire le récit engagé dès l’annonce d’un Robert « vivant91 », provient d’une autre source. Toutefois, l’épisode des soins donnés au survivant, réécrit pour Sorcières et Outside92, tout comme la dernière scène située sur une plage en Italie, relèvent de l’écriture de ces mêmes années. Ils figurent dans un autre cahier, le « Cahier beige », dont la « rédaction s’étale sans doute sur une assez vaste période (entre 1946 et 1949 environ) » et s’apparente à une écriture « discontinue93 » au regard de la précédente. En revanche, le récit du sauvetage à Dachau, la scène du retour dans l’appartement de la rue Saint-Benoît, ne se trouvent dans aucun des quatre « Cahiers » et appartiennent vraisemblablement à une écriture quasi contemporaine de la publication de La Douleur en 1985.
33La facture poétique est manifeste. Faisant suivre le mime du journal de l’attente par le récit du retour, le caractère composite du texte renvoie à une nature composée94 : « La Douleur » est fait de bouts, relevant de sources différentes, appartenant à des périodes d’écriture très éloignées dans le temps. L’importance que son caractère littéraire doit à la composition nous renvoie à la conception du livre comme recueil et impose de mettre « La Douleur » en regard d’» Albert des Capitales », pour s’intéresser moins à la période évoquée qu’à ces années 1980.
« La Douleur », « Albert des capitales »
34Outre les attaques contre De Gaulle, « La Douleur » passe de la dimension personnelle à la dimension politique à travers le grand sujet pour lequel Duras aura, ainsi que son œuvre en témoigne, la mémoire « inconsolable95 », celui de l’extermination des Juifs. Un long passage du journal daté du « 27 avril » est consacré à cette Europe devenue « un inextricable charnier » : « C’est en Europe que ça se passe. C’est là qu’on brûle les juifs, des millions. C’est là qu’on les pleure96. » Le journal n’est pas toutefois une prière des morts, destinée au salut de leur âme. Deviendrait-il en ces pages une homélie ? La voix de la diariste gronde pour exiger la solidarité entre les vivants et les morts des camps de concentration et d’extermination : « Nous sommes de la race de ceux qui sont brûlés dans les crématoires et des gazés de Maïdanek97 », assène-t-elle. Elle va même plus loin pour conclure que la « famille européenne », celle qui a en son centre l’Allemagne, « la capitale de la musique de tous les temps », est une famille où cohabitent victimes et bourreaux : « nous sommes aussi de la race des Nazis98 ». Tenant à la fois du supplicié et du tortionnaire, nul (Européen) ne peut alors s’exempter du « crime » : « La seule réponse à faire à ce crime et d’en faire un crime de tous. De le partager. De même que l’idée d’égalité, de fraternité. Pour le supporter, pour en tolérer l’idée, partager le crime99. »
35Sur quoi ce partage est-il fondé ? Est-ce là simplement une éthique de la responsabilité ? ou s’agit-il pour Duras de donner une expression morale et politique à une douleur qu’on a pu autrement qualifier de mystique ? Les phrases qui supportent l’idée du « partage du crime » n’appartiennent pas au journal tel qu’il se présente dans les Cahiers, mais ont été écrites dans les années 1980. De même que celle qui impose à tout Européen une proximité avec le Nazi (« nous sommes tous de la race des Nazis »). Elles sont caractéristiques de la place qu’occupe désormais dans la conscience historique le génocide des Juifs et, si elles renvoient à la nécessité d’honorer la mémoire des victimes, elles redisent la nécessité de pouvoir continuer à appartenir à la communauté des hommes : « Si ce crime n’est pas entendu à l’échelle collective » lit-on dans La Douleur, « il n’aura pas été digne de l’humanité de le vivre », ajoutaient les Cahiers100. Cette dernière proposition renvoie à la conviction d’une « unité101 » de l’espèce humaine soutenue en 1947 par Robert Antelme à son retour de déportation, à laquelle fait écho la formule de Mascolo quarante ans plus tard : « L’attentat contre l’espèce est l’œuvre de l’espèce. Le SS n’est pas différent de nous102. »
36L’humanisme est une question clé de l’après-guerre et la pensée qu’exprime Antelme, reprise ici par Mascolo, s’inscrit dans le contexte philosophique auquel Sartre et Heidegger apportèrent notoirement leur contribution103. Il reste que L’Espèce humaine a fait l’objet de lectures spécifiques, notamment inspirées par les catégories de Levinas, dont celle de Blanchot en 1969 dans L’Entretien infini104. Des controverses critiques plus récentes, qui incluent la réception de La Douleur, posent quant à elle la question de savoir quelle est la spécificité, et l’influence, de la pensée d’Antelme en matière d’humanisme, et si Duras s’y s’accorde105. Dans son ouvrage, L’Humanité irréductible, Martin Crowley montre que pour Antelme « l’unité de l’espèce se révèle à l’approche de ses limites, face, dit-il, à sa négation radicale106 » : dans ce cadre, on ne peut penser que l’humanité est faite des seules victimes. Les bourreaux, et leur violence, y compris dans son exercice paroxystique, n’ont rien de spécifiquement inhumains.
37Duras ne semble pas dire autre chose. Cependant, la présence dans le recueil d’» Albert des Capitales », présenté par l’auteur en 1985 comme un « texte sacré107 », trouble quelque peu les affirmations de « La Douleur ». Ce texte, qui figure dans « Le Cahier rose marbré » sous la forme d’une ébauche108, nous confronte à une séance de torture où les rôles sont bien tranchés. Nous sommes à la Libération, un 27 août 1944, Thérèse la résistante, « distraite, seule », dans l’attente d’» un homme qui peut-être a été fusillé », conduit la torture ; face à elle, un « donneur de juifs et de résistants109 », un homme sans nom, encaisse les coups. Du personnage de tortionnaire, Duras nous dit en préambule : « Thérèse c’est moi110. » Tandis que l’interrogatoire est mené, on trouve des formules qui, datant de la réécriture des années 1980, heurtent celles de L’Espèce humaine. À mesure que les coups tombent, le donneur devient, nous dit le texte, « un homme qui n’a plus rien de commun avec les autres hommes. À chaque minute, la différence augmente, s’installe » ; finalement, lit-on que, « même mort, il ne ressemblera pas à un homme mort. Il encombrera le hall », tel un déchet en somme111. L’infâme, le « donneur d’hommes […] n’était déjà pas un homme comme les autres » ; rendu « complètement hors d’usage112 » par la torture, est-il définitivement mis au ban de l’humanité ? On se souvient de L’Espèce humaine qui affirmait que le Nazi « peut tuer un homme, mais [qu’] il ne peut pas le changer en autre chose113 ».
38À dire vrai, dans La Douleur, toute thèse résiste à l’édification en raison du dispositif énonciatif choisi par l’auteur. Imitant dans son avant-propos Flaubert, et son célèbre « Madame Bovary, c’est moi », Duras qui dit « Thérèse c’est moi », sans faire toutefois de Thérèse le personnage éponyme, emprunte également au romancier du xixe siècle l’indirect libre. Ce qui est dit de l’homme sous la torture, est-ce le personnage ou le narrateur qui l’assume ? Ce procédé d’écriture qui, dans « Albert des Capitales », divise le moi-Duras est aussi le principe de composition à l’œuvre dans le recueil. L’épouse folle de douleur dans l’attente (« La Douleur »), le témoin à charge au procès d’un collabo trop bien connu et longuement fréquenté (« Monsieur X dit Pierre Rabier »), la tortionnaire revancharde (« Albert des Capitales »), celle qui, enfin, « a envie de faire l’amour114 » avec un milicien (« Ter le milicien ») sont autant de facettes qui font miroiter la figure ambiguë d’une Française sous l’Occupation. Sans doute pour les années 1980 le résistant n’est plus dans la conscience historique un héros positif, mais le texte est typique de cette période devenue, notamment avec le procès Barbie, celle de l’abandon définitif du mythe résistantialiste de la France de Vichy115. Jacques Vergès, l’avocat de Klaus Barbie, tentera d’ailleurs en mai 1987 de citer Duras comme témoin à décharge pour son client116.
39La Douleur, repris quarante ans après les faits, est une reconstitution confiée à l’élaboration narrative. Ce trait, propre à la littérature de témoignage, est ici hypertrophié, et exhibé. Duras s’accorde ainsi avec Antelme lorsqu’en préambule de L’Espèce humaine, il insiste sur « cette disproportion entre l’expérience que nous avions vécue et le récit qu’il était possible d’en faire117 ». C’est d’ailleurs une lecture possible de la phrase sibylline, que certains ont pensé assassine, où Duras affirme que Robert L. « a écrit un livre sur ce qu’il croit avoir vécu en Allemagne : L’Espèce humaine118 ». Ainsi La Douleur est tout autant une œuvre des années 1980 qu’un vestige de guerre et le phénomène est accentué par la position de Duras qui s’apparente en quelque sorte à celle du témoin de témoin. On se souvient de l’image finale de « La Douleur » où la narratrice regarde le survivant qui regarde la mer, lève les yeux sur elle et lui sourit en signe de reconnaissance.
40Toutefois, le texte appartient à un recueil et le fait que Duras a assumé un rôle de tortionnaire dans « Albert des Capitales » transforme quelque peu le côte à côte en face-à-face. Un face-à-face entre auteurs, par œuvres interposées. Comme le rappelle Delphine Hautois, si Robert Antelme a renoncé après ce livre à « toute forme d’autorité littéraire », voulant sans doute promouvoir une littérature, nous dit Michel Surya, « qui n’eût pas d’auteur »119, Duras signe ce livre au moment où sa reconnaissance littéraire est la plus forte et la plus entière, et doit-on ajouter, sans jamais (re) donner à Robert L. son nom d’auteur. Du haut de sa superbe auctoriale, elle nous livre son « journal intemporel » comme contrepoint de cet autre journal d’avril 1945 de L’Espèce humaine120. Plus encore, « La Douleur » s’octroie le privilège d’écrire une suite et une fin à ce dernier épisode de ce livre unique, débuté sur « La Route » un « 4 avril » pour s’achever le « 30 avril » à Dachau, dans une « chambrée121 », semblable à celle où Georges Beauchamp et Dionys Mascolo sont venus chercher « Robert L. »…
Notes de bas de page
1 Marguerite Duras, La Douleur (1985), Gallimard coll. « Folio », 1993, p. 12, p. 194 (par défaut, le lieu d’édition est Paris).
2 Marguerite Duras, « Pas mort en déportation », Outside : papiers d’un jour (1981), Gallimard coll. « Folio », 1995, p. 361-366. C’est pour la toute nouvelle revue féministe Sorcières que Marguerite Duras a donné ce texte, paru en deux fois dans les premières livraisons de janvier (p. 43-44) et mars (p. 53-54). Cette publication a conduit à la brouille entre Antelme et Duras : René-Louis des Forêts disait de son ami qu’» il ne pouvait souffrir qu’on rendît public ce qui est d’ordre privé, […] sur ce point il était d’une intransigeance sans concession », « Témoignages », in Robert Antelme, textes inédits sur L’Espèce humaine : essais et témoignages, présentés par Daniel Dobbels, Gallimard, 1996, p. 277.
3 Marguerite Duras, en introduction à « Pas mort en déportation », art. cité, p. 361.
4 Loc. cit.
5 Ce « cahier » renvoie en réalité à un ensemble de quatre cahiers conservés par Marguerite Duras sous le nom de « Cahiers de la guerre ». Cet ensemble fait partie des archives de l’auteur déposées dans le fonds de l’Institut de la Mémoire et de l’Édition Contemporaine et a été transcrit et édité par Sophie Bogaert et Olivier Corpet avec le titre Cahiers de la guerre et autres textes (POL/ IMEC, 2006).
6 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 42, p. 15.
7 Sophie Bogaert, Olivier Corpet, Préface aux Cahiers de la guerre et autres textes (2006), Gallimard coll. « Folio », 2008, p. 9.
8 Robert Antelme, L’Espèce humaine (1947), Gallimard coll. « Tel », 2007.
9 Marguerite Duras, op.cit, p. 12.
10 Philippe Lejeune, « Le Journal », Les Brouillons de soi, Le Seuil, 1998, p. 317-418.
11 Marguerite Duras, loc.cit.
12 Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard coll. « Biographies », 1998, p. 186 et sq. ; Jean Vallier, C’était Marguerite Duras, t. I (1914-1945), Fayard, p. 670 et sq.
13 Marguerite Duras, op. cit., p. 58.
14 Maurice Blanchot, « Sur le journal intime », Nouvelle Revue Française, n° 28, avril 1955, p. 683-691, repris sous le titre « Le Journal intime et le récit », dans Le Livre à venir (1959), Gallimard coll. » Folio », 1986, p. 254.
15 À la différence du journal d’Anne Frank qui nous est donné en quelque sorte à partir de la mort de la diariste. Si ce journal est tel que nous le connaissons, c’est en effet que le père de la jeune fille s’est donné la liberté d’y inclure des faits qu’Anne Frank avait prévu de censurer dans l’éventualité d’une publication, voir Philippe Lejeune, op. cit.
16 Marguerite Duras, op. cit., p. 14, p. 85.
17 La partie « journal » du texte couvre les pages 13-65, op. cit.
18 Leslie Hill en fait la remarque : « […] the text of the memoire is not stable. It begins as a diary, but so casually that one suspects this almost to be no more than a device, and its resembles a constructed retrospective narrative more than a series of discontinuous notations » (« […] le texte des mémoires n’est pas stable. Il commence comme un journal, mais avec une désinvolture telle qu’on pense à un simple procédé, et ressemble plus à une narration rétrospective qu’à une série de notations discontinues » je traduis), « Marguerite Duras and the Limits of Fiction », Paragraph, vol. 12, n° 1, march 1989, p. 7.
19 On trouve les mentions de date suivantes : « Avril » – « Avril » – « 20 avril » – « Avril » – » dimanche 22 avril 1945 » – « Avril » – « Dimanche » – « mardi 24 avril » – « 24 avril » – « jeudi 26 avril » – « vendredi 27 avril » – « 27 avril » – « 28 avril » – « 28 avril », La Douleur, op. cit., p. 13-65.
20 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 65.
21 Ibid, p. 71, p. 75.
22 Sylvie Loignon, « "Faire front" : La Douleur de Marguerite Duras », in Écrire la frontière, dir. par Sophie Le ménahèze et Nathalie Martinière, Limoges, PULIM, 2003, p. 274.
23 Marguerite Duras, C’est tout, POL, 1995.
24 Un « petit journal », comme l’appelait son auteur, a été tenu par Duras durant l’année 19311932, alors qu’elle avait 17-18 ans et était revenue en France préparer la première année du bac, v. Jean Vallier qui cite des extraits de ce journal tiré des Archives Mascolo, op. cit., p. 424-438.
25 Marguerite Duras, L’Été 80, Minuit, 1980. Écrits à Trouville durant l’été, les dix articles parus dans Libération mêlent l’actualité à la fiction, les réflexions politiques aux descriptions du paysage maritime, la vie rêvée et la vie vécue ; ils donneront lieu aux chapitres du livre qui paraîtra à l’automne de la même année.
26 Marguerite Duras, « L’Odeur chimique », La Vie matérielle : Marguerite Duras parle à Jérôme Beaujour (1987), Gallimard (Folio), 1994, p. 13.
27 Ibidem.
28 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 12.
29 Ibidem, p. 48, p. 16.
30 Ibid., p. 14, p. 15, p. 33.
31 Ibid., p. 46, p. 15.
32 « Ah ! Quelle douleur. Quelle douleur au cœur. C’est fou… » est l’exclamation de la Française dans Hiroshima mon amour (1960), cette autre écriture de la douleur, lorsqu’elle raconte au Japonais la mort de son premier amour, un « ennemi de la France », Gallimard coll. « Folio », 1977, p. 97.
33 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 49.
34 Ibidem., p. 49 sq.
35 Ibid., p. 46 sq.
36 Ibid., p. 14, p. 20.
37 Ibid., p. 33.
38 Gérard Darnou, « Discours sur la douleur et discours de la douleur (La Douleur de Marguerite Duras) », Le Corps souffrant : littérature et médecine, Champ Vallon, 1994, p. 44.
39 Comme le remarque Gabriel Jacobs, Dionys Mascolo, présent dans les quatre premiers textes de La Douleur, sous l’initiale D., fait office d’un « implicit standard by which she judges herself » (« une norme implicite qui lui sert de juge » : je traduis), « Spectres of Remorse : Duras’s War-Time Autobiography », Romance Studies, n° 30, « Images of War », autumn 1997, p. 55.
40 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 47.
41 C’est la version de « La Douleur » publiée en 1985 qui fait de la fille de Mme Kats une jeune fille juive.
42 Marguerite Duras, op. cit., p. 58-59.
43 Ibidem. p. 64.
44 Ibid., p. 64.
45 Ibid., p. 61.
46 Ibid., p. 62, p. 71.
47 Dionys Mascolo, « Autour de Robert Antelme », in Robert Antelme, op. cit., p. 261.
48 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 78-79.
49 Ibidem.
50 Pour Lynn A. Higgins, « the underlying matrix-narrative of Duras’s representations of the pain of war [is] the mater dolorosa. This is a drama in three moments : death and mourning, then ressurrection, and finally renunciation » : je traduis « la matrice narrative sous-jacente aux représentations durassiennes de la douleur de la guerre [est] la mater dolorosa. C’est un drame en trois temps ; la mort et le deuil, puis la résurrection et enfin la renonciation » New Novel, New Wave, New Politics : Fiction & ; The Representation of History in Postwar France, Lincoln and London, Univ. of Nebraska Press, 1996, p. 178.
51 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 60. L’article de Mary Jean Green, « Writing War in the Feminine : de Beauvoir and Duras », European Studies, XXIII, 1993, p. 223-237 et celui de Claire Gorrara, « Bearing Witness in Robert Antelme’s L’Espèce humaine and Marguerite Duras’s La Douleur », Women in French Studies, vol. V, winter 1997, p. 243-251, insistent sur ce point. Les révisions des années 1980 en vue de la publication de La Douleur renforcent ce trait.
52 Marguerite Duras, op. cit., p. 23.
53 Ibid., p. 60.
54 Ibid., p. 45.
55 Ibidem, p. 44 sq.
56 Ibid., p. 46.
57 Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V Stein (1964), Gallimard coll. « Folio », 1976, p. 24.
58 Selon Julia Kristeva, c’est en raison d’une « identification absolue et inéluctable avec l’objet du deuil [que celui-ci] devient impossible et métamorphose l’héroïne [d’Hiroshima mon amour] en crypte habitée par un cadavre vivant… », Soleil noir et mélancolie (1987), Gallimard coll. « Folio », 1989, p. 241.
59 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 65-85.
60 Maurice Blanchot, op. cit., p. 254.
61 Marguerite Duras, op. cit., p. 68.
62 Ibidem, p. 34, p. 20.
63 Ibid., p. 66. On peut lire le récit de cet épisode raconté par Dionys Mascolo au chapitre III de son livre Autour d’un effort de mémoire : sur une lettre de Robert Antelme, Maurice Nadeau, 1987, p. 45-59.
64 Marguerite Duras, op. cit., p. 68-79.
65 Ibidem, p. 73.
66 Cette remarque de Blanchot s’applique aux sentiments de Benjamin Constant (célèbre pour son journal) et de Madame de Staël, tels qu’on peut les lire dans Adolphe, le roman de Constant, op. cit., p. 254.
67 Voir à ce sujet, par ordre chronologique, les études de Lawrence D. Kritzman, « Duras’War » L’Esprit créateur, « The Occupation in French Literature and Film (1940-1992) », vol. XXXIII, n° 1, 1993, p. 63-73, Claire Gorrara, art. cit. et Emma Wilson, « La Douleur : Duras, Amnesia and Desire », in European Memories of the Second World War, ed. by Helmut Peisch, Charles Burdett, Claire Gorrara, New York, Berghahn books, 1999 qui se réclament toutes trois du livre de Soshana Felman and Dori Laub, Testimony : Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, New York, Routledge, 1992.
68 Marguerite Duras, op. cit., p. 80.
69 Dans « La Douleur », le pire est ainsi défini : « "Attendez-vous au pire, vous ne le reconnaîtrez pas" », op. cit., p. 67.
70 Marguerite Duras, op. cit., p. 80.
71 « Tu contiens ma vie. Ma fierté à moi c’est que je pense que je serais morte de ta mort », répond Marguerite Duras à Robert Antelme qui envoie début mai 1945 une lettre annonçant la libération de son camp, cité par Jean Vallier, op. cit., p. 672.
72 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 82.
73 Ibidem, p. 81.
74 Ibid. p. 84 sq.
75 Ibid., p. 39 sq.
76 Ibid., p. 20.
77 Ibid., p. 42.
78 Ibid., p. 84.
79 Si la perspective postmoderne, de Barthes à Derrida, établit l’équivalence entre récit et fiction, l’herméneutique de Paul Ricœur, influencée par la philosophie analytique, refuse quant à elle l’assimilation entre les deux concepts (voir Temps et récit, Seuil, t. 1-3, 1983-1985), mais concède que le récit de soi fait « de l’histoire d’une vie une histoire fictive, ou, si l’on préfère, une fiction historique », v. Soi-même comme un autre (1990), Paris, Points-Seuil, 1996, p. 138, n. 1.
80 Marguerite Duras, préambule à « La Douleur », op. cit., p. 12.
81 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 194.
82 Ibidem, p. 42, p. 51, p. 15.
83 Ibid., p. 17.
84 Ibid., p. 84. Pour Martin Crowley, « Robert L. embodies the problem posed to exemplarity by historical trauma, the impossible synecdoche of the traumatic event » (« Robert L. incarne le problème posé à l’exemplarité par le trauma historique, l’impossible synecdoque de l’événement traumatique » : je traduis), Duras, Writing and the Ethical : Making the Broken Whole, Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 154.
85 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 12.
86 Loc. cit.
87 Marguerite Duras, Cahiers de la guerre…, op. cit. On peut également se reporter à l’article de Delphine Hautois qui, avant la publication des Cahiers, a consulté les archives IMEC, « Robert Antelme et Marguerite Duras : le témoignage ou la littérature en question », in Écrire après Auschwitz : mémoires croisées France-Allemagne, textes réunis et présentés par Karsten Garscha, Bruno Gelas et Jean-Pierre Martin, Presses Univ. de Lyon, 2006, p. 135-158.
88 Marguerite Duras, « Entretien avec Marianne Alphant », Libération, 17 avril 1985.
89 Marguerite Duras, Cahiers de la guerre…, op. cit., p. 187.
90 Ibidem., p. 228.
91 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 12 (c’est moi qui souligne), p. 65.
92 Sur cette réécriture, voir Leslie Hill, Marguerite Duras : Apocalyptic Desires, London and New York, Routledge, 1993, p. 125 et s.
93 Sophie Bogaert, Olivier Corpet, introduction au « Cahier beige », in Marguerite Duras, Cahiers de la guerre…, op. cit., p. 233.
94 Gabriel Jacobs décrit la structure formelle du recueil comme le moyen pour la littérature de remplacer « the repugnant memories of the real self during the period of the Occupation and the Liberation » (« les mémoires répugnantes du vrai soi pendant cette période de l’Occupation et de la Libération » : je traduis), art. cit., p. 51.
95 « L’inconsolable mémoire » est un vocable qui appartient à Hiroshima mon amour, op. cit., p. 32.
96 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 60.
97 Ibidem, p. 61.
98 Ibid., p. 61, 64, 61.
99 Ibid., p. 65.
100 Marguerite Duras, Cahiers de la guerre…, op. cit., p. 229. Sur les différences de traitement de la question génocidaire dans les Cahiers et La Douleur, voir Carole Ksiazenicer-matheron, « Les Personnages juifs chez Marguerite Duras : une écriture d’après Auschwitz », La Revue des lettres modernes, Série Marguerite Duras, n° 4, « Le Personnage », dir. par Florence de Chalonge, 2010, à paraître.
101 Robert Antelme, L’Espèce humaine, op. cit., p. 241.
102 Dionys Mascolo, Autour d’un effort de mémoire : sur une lettre de Robert Antelme, Nadeau, 1987, p. 63. Quarante ans plus tard, Mascolo veut quant à lui préciser qu’il n’y avait « nul humanisme là. […] En cette reconnaissance de l’unité de l’espèce, qui la replace aussi dans l’inconnu, se trouve tout ce dont aura été fait notre communisme », op. cit., p. 63-64.
103 Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, conférence d’octobre 1945 (publiée chez Nagel en 1946) ; Martin Heidegger, à la demande de Jean Beaufret, publie en 1946 La Lettre sur l’humanisme laquelle est, à certains égards, une réponse à Sartre (voir trad. française de Roger Munier, Éditions Montaigne, 1957).
104 Maurice Blanchot, « L’Espèce humaine », L’Entretien infini, Gallimard, 1969, p. 191-200.
105 V. Colin Davis, « Duras, Antelme and the Ethics of Writing », Comparative Literature Studies, vol. 34, n° 2, 1997, p. 170-183, Martin Crowley, « "Il n’y a qu’une espèce humaine" : Between Duras and Antelme », in The Holocaust and the Text : Speaking the Unspeakable, ed. by Andrew Leak and George Paizis, Basingstoke, Macmillan, 2000, p. 174-192, Bruno Chaouat, « Ce que chier veut dire (Les ultima excreta de Robert Antelme) », Revue des Sciences Humaines, n° 261, janv.-mars 2001, p. 147-162.
106 Martin Crowley, Robert Antelme : l’humanité irréductible, L. Scheer, 2004, p. 31.
107 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 138.
108 Marguerite Duras, « Cahier rose marbré », Cahiers de la guerre…, op. cit., p. 111-127.
109 Marguerite Duras, La Douleur, ibidem, p. 148, p. 148, 150.
110 Ibid, p. 138.
111 Ibid, p. 158, p. 163.
112 Ibid., p. 162-163.
113 Robert Antelme, op. cit., p. 241.
114 Marguerite Duras, op. cit., p. 138.
115 Mythe instauré par De Gaulle à la Libération selon Henri Rousso, Le Syndrome de Vichy : de 1944 à nos jours, Le Seuil, 1987.
116 Duras s’explique : « Si je m’étais rendue lundi prochain devant la cour d’assise de Lyon, le président lui-même m’aurait refusé la parole. Car vous n’ignorez pas que l’article 331 du code de procédure pénale interdit aux témoins de déposer en dehors des faits et de la personnalité de l’accusé. Je ne sais rien des faits et je me félicite de n’avoir jamais rencontré Klaus Barbie »,
Le Matin, 8 mai 1987.
117 Robert Antelme, L’Espèce humaine, op. cit., p. 9.
118 Marguerite Duras, La Douleur, op. cit., p. 82.
119 Delphine Hautois renvoie à Michel Surya (« Une Absence d’issue », in Robert Antelme, op. cit., p. 116), art. cité, p. 148.
120 Robert Antelme, L’Espèce humaine, op. cit., « Deuxième partie. La route », p. 225-281 ; « Troisième partie. La fin », p. 285-321.
121 Ibidem, p. 320.
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