Chapitre III. Noms de pays ou pays des noms ? Toponymie et référence dans les récits de fiction
p. 45-62
Texte intégral
1Étudiant la cartographie fictionnelle, Rachel Bouvet a montré que celle-ci est tendue entre une géographie et une linguistique1. C’est cette dichotomie que reprend mon titre, lequel fait bien entendu allusion au fameux diptyque de la Recherche du temps perdu où, à la troisième partie de Du côté de chez Swann, « Noms de pays : le nom », répond la deuxième partie d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, « Noms de pays : le pays ». Car cette dualité des mots et des choses, des noms de localité et des lieux eux-mêmes – cause, on s’en souvient, de la première désillusion du narrateur –, informe depuis toujours l’étude de la géographie romanesque. Les toponymes fictionnels réfèrent-ils à l’espace réel ou ne sont-ils que des noms ? Telle est bien la question qui, depuis un siècle, occupe la plupart des travaux de géographie littéraire. En rouvrant ici le dossier de la toponymie romanesque, c’est donc sur ce débat que je tenterai de faire le point, un débat qui oppose les tenants d’un ancrage de la fiction dans le monde empirique – position traditionnelle – aux modernes, pour qui la seule réalité du roman est verbale et qui dénoncent les naïvetés de « l’illusion référentielle ». Cette controverse est d’autant moins négligeable qu’elle participe d’une problématique plus générale qui a structuré, avec quelques autres, l’histoire de la critique littéraire depuis ses débuts : celle des rapports de la fiction au réel.
Histoire de la question
2Longtemps l’enquête de terrain a prévalu, qui tâchait de retrouver, derrière les toponymes fictionnels, une cartographie réelle. C’était appliquer à la géographie romanesque les méthodes documentaires de l’ancienne critique positiviste. Dans la lignée du biographisme, des générations d’érudits, souvent affiliés aux « sociétés des amis de… », se sont ainsi employés, en suivant les pas de tel ou tel écrivain, à reconstituer la carte réelle dont ses romans n’offraient que le puzzle. Dans le cas de Proust – pourtant adversaire fameux d’une telle méthode2 –, on peut citer, pour illustrer ce genre d’approche, la thèse d’André Ferré, consacrée sous la direction de Jean Pommier à la Géographie de Marcel Proust 3. Dans cet ouvrage, Ferré constate, pour commencer, que l’espace proustien est ontologiquement hybride : d’un côté (si l’on ose dire) Paris et Venise, qui ont « leur place sur les atlas » et dont « le narrateur a respecté [la] réalité jusque dans les détails », n’y mêlant « aucune fantaisie topographique, aucune nomenclature forgée par lui » ; de l’autre, Combray et Balbec, « pays “inventés” ». Selon Ferré, ce sont ces derniers qui font difficulté, « le problème de leur identification » (entendons : leur localisation) pouvant « même être considéré comme un des problèmes-types de la géographie littéraire4 ».
3Au terme de son ouvrage – informé, méthodique, argumenté –, Ferré se refuse à identifier Combray et Illiers (la bourgade d’Eure-et-Loir où le jeune Proust passait ses vacances), de même qu’il se refuse à confondre Balbec et Cabourg. Prudemment, il tire du texte proustien la conclusion que « tout est agencé pour que nous nous bornions à être sûrs que le pays de Balbec est situé aux confins de la Bretagne et de la Normandie maritimes », de même que le pays de Combray « se situe quelque part aux confins de l’Ile-de-France5 ». Et pourtant, que d’ironie de la part des modernes ! En témoigne par exemple l’appareil critique de Sodome et Gomorrhe dans l’édition de la Pléiade de 1988. Dans une longue note typique d’un certain dogmatisme du signe, Antoine Compagnon, s’en prenant à André Ferré, assure que « les noms de lieu [sic] de la région de Balbec représentent non pas une géographie réaliste et vraisemblable mais un système de noms ». Déclarant « illégitime » tout essai de cartographie du monde proustien, il conclut en indiquant que ses « commentaires sur les noms de lieu renverront désormais non pas aux référents géographiques mais aux analyses étymologiques6 ». Il est vrai qu’A. Compagnon, par une palinodie révélatrice de l’évolution du fictionalisme, a depuis désavoué, comme on sait, ce « postulat de la non-référentialité de la littérature7 ». Aussi serait-il plus juste d’illustrer cette hostilité de la sémiotique à toute référence extra-linguistique en se reportant à Michael Riffaterre, qui en fut l’un des principaux doctrinaires, à en croire Compagnon lui-même8. Pour prouver que « le référent n’est pas pertinent à l’analyse » et qu’« il ne nous reste donc que les signifiants et les signifiés », Riffaterre a procédé de façon expérimentale sur une page de La Débâcle en y remplaçant les toponymes de la région de Sedan par des noms de localités landaises, concluant que « l’altération de la référence au réel n’a pas menacé la mimésis du réel9 ». Telle était donc l’orthodoxie structuraliste, qui proclamait le caractère purement verbal de la géographie fictionnelle, réduite à un glossaire de toponymes imaginaires. Et de substituer ainsi aux noms de pays une sorte de pays des noms, introuvable sinon dans un univers parallèle au nôtre.
4Si l’on considère aujourd’hui cette polémique d’il y a vingt ou trente ans, il faut reconnaître que des travaux comme la Géographie de Marcel Proust ont été volontiers caricaturés. S’il y a certes des naïvetés dans ce livre, il s’abstient pour autant de donner dans cette illusion référentielle que les formalistes étaient si prompts à dénoncer. Loin de trouver dans la Recherche le décalque d’un atlas, André Ferré se montre attentif aux processus de transposition, aboutissant à des résultats nuancés qu’on peut aujourd’hui encore tenir pour valides et même pour un modèle du genre : il est ainsi le premier à parler de noms « émigrés » ou « immigrés10 », vocabulaire qui préfigure celui de Terence Parsons11 ; Ferré note aussi qu’en dépit de certaines « divergences » de détail, dues à « l’échelonnement de la rédaction sur plusieurs années », la cartographie proustienne reste dans l’ensemble « cohérente12 » et, partant, vraisemblable ; il observe surtout qu’une « analogie de nomenclature » (entre la fiction et la réalité) n’implique « aucune identité de topographie13 », et encore moins une identification ; le point essentiel est en effet de voir que les pays proustiens forment « un réel composite », résultant de la « fusion intime de réalités disparates14 ».
5Parallèlement, on doit convenir que le discours des modernes sur la géographie romanesque présente certaines inconséquences. Pour s’en tenir à l’orthodoxie structuraliste, ne peut-on pas relever quelque contradiction entre l’axiome qui prive les toponymes fictionnels de toute fonction référentielle et le rôle « capital » que Barthes accorde à l’onomastique dans « l’illusion réaliste15 » ? Soucieux de maintenir un équilibre entre mimesis et semiosis 16, Henri Mitterand (qui fut beaucoup moins dogmatique que sa génération) écrivait en 1980 :
C’est le lieu [en l’occurrence Paris] qui donne à la fiction l’apparence de la vérité. […] Le nom du lieu proclame l’authenticité de l’aventure par une sorte de reflet métonymique qui court-circuite la suspicion du lecteur : puisque le lieu est vrai, tout ce qui lui est contigu, associé, est vrai17.
6C’est cependant d’illusion référentielle qu’il est ici question sous la plume d’H. Mitterand, non de référence proprement dite. En fait, les formalistes les mieux disposés admettent la valeur référentielle des noms de lieux, mais en maintenant la plupart du temps infranchissable la frontière qui sépare le monde du texte du monde empirique. Leur embarras sur cette question se mesure à leur abandon de la toponymie, à laquelle ils ne se sont guère intéressés, préférant réserver leurs analyses à la seule sémantique des noms de personnages – ces personnages dont le statut fictionnel ne souffre aucune équivoque. Ainsi Alain Roger a-t-il pu consacrer un ouvrage entier à l’onomastique proustienne sans rien dire ou presque des noms de lieux18.
7Une génération plus tard, où en sommes-nous de ce débat ? Quel est, en matière de toponymie et de référence géographique dans la fiction, le discours dominant de notre postmodernité ? Quand on dresse le bilan de l’ère formaliste, il est d’usage de constater un reflux théorique qui aurait débouché sur un empirisme généralisé. Cet empirisme serait-il synonyme d’une sorte de consensus mou ? À lire les plus récents travaux de géographie littéraire, proustienne en particulier, on a plutôt le sentiment d’une pétrification des positions théoriques antérieures.
8D’un côté, aussi surprenant que ceci puisse paraître, l’approche positiviste qui rattache, dans la tradition du biographisme, l’espace romanesque à l’espace vécu de l’auteur et donc à la cartographie réelle, n’a pas été anéantie par les attaques de la sémiologie et semble même parfois en avoir été à peine ébranlée19. Parmi les proustiens, l’exemple le plus récent en est la série d’articles consacrés par Shinya Kawamoto au problème de la localisation de Balbec20 : s’appuyant sur les données génétiques, ce chercheur s’avoue impuissant à décider si la station balnéaire proustienne se situe en Normandie ou en Bretagne, concluant à une « mystification21 ».
9D’un autre côté, l’essentiel des publications actuelles sur les noms de lieux fictionnels considèrent avant tout les toponymes comme des signes, dont on analyse les remotivations en fonction de la sémantique du texte. Cette persistance d’une conception purement linguistique de la toponymie repose, explicitement ou non, sur le postulat « ségrégationniste22 » d’une incommunicabilité de principe entre le monde du texte et le monde réel. Alors que le principe de l’hybridité générique est désormais admis par tous, la thèse d’une hybridité ontologique du roman se heurte toujours aux plus vives réticences23, comme s’il s’agissait de préserver la fiction, telle une vestale, de tout contact avec le monde extérieur.
Le modèle du feuilletage
10Entre ces deux positions extrêmes, les travaux les plus nuancés s’emploient à sortir des antinomies schématiques construites par les anciennes querelles théoriques, et cela à la faveur de plusieurs avancées : l’abandon par une nouvelle génération de chercheurs, plus pragmatiques, des postulats les plus rigides de l’ère structuraliste ; les apports de la logique modale et de la sémantique des mondes possibles, qui ont assoupli les positions rigoristes de la philosophie analytique ; les progrès de la linguistique du nom propre, qui ne tient plus pour indiscutable la thèse de Stuart Mill selon laquelle les noms propres « n’ont, à strictement parler, aucune signification24 ». C’est dans cet esprit qu’on peut espérer sortir de l’alternative que j’ai décrite, en montrant que la fonction référentielle et la fonction sémiotique des noms de lieux ne s’excluent nullement, et qu’elles ont toutes deux leurs degrés. La référence elle-même n’est pas affaire de tout ou rien : elle est graduée (Balbec n’a pas le même coefficient référentiel que Paris ou Venise). Le modèle ici proposé est donc celui d’un feuilletage : à leur valeur référentielle les toponymes romanesques ajoutent des valeurs sémantiques, qui s’y superposent sans l’effacer.
11Cependant tous les toponymes ne fonctionnent pas sur le même modèle : certains sont plus référentiels que signifiants, et pour d’autres c’est l’inverse. Il y a ainsi toute une gamme d’usages, toute une typologie de cas de figure qui invalident les doctrines trop générales. En somme, il s’agit d’introduire des courbes de niveaux dans la cartographie fictionnelle.
12Sur la compatibilité, dans la sphère romanesque, des fonctions référentielle et sémantique du nom propre, bien des chercheurs – et non des moindres – se montrent moins dogmatiques que la théorie littéraire :
- Du côté des poéticiens, et même si l’ouvrage ne porte pas sur le roman, pensons à Poétique et onomastique, ce modèle de rigueur méthodologique publié en 1977 par François Rigolot. Si, en structuraliste, il accorde toute son attention à l’insertion phonique, morphologique et sémantique des noms propres dans la texture du poème, Rigolot ne sacrifie pas la référence à la signification. Dans telle épigramme de Clément Marot, par exemple25, « Montfaulcon » s’inscrit dans un « jeu allitératif et rythmique » qui voit le référent « annexé à la poétique », sans l’annuler26.
- Du côté des philosophes du langage, on note pareillement que Searle, qui compte parmi les tenants d’une démarcation rigoureuse entre les discours fictionnels et les propositions factuelles, et qui considère, suivant l’orthodoxie anglo-saxonne, le roman comme une assertion feinte, concède néanmoins que « toutes les références qui sont faites dans une œuvre de fiction ne sont pas des actes feints de référence ; certaines sont des références réelles27 » (ainsi les toponymes non forgés). S’agissant de la philosophie américaine, on sait toutefois que c’est surtout à Thomas Pavel28 que revient le mérite d’avoir promu, face au courant dominant, les « épistémologies tolérantes » de théoriciens comme John Woods – le principal indice de l’existence de ce que celui-ci appelle des « propositions mixtes29 » étant justement la mention de noms de lieux réels dans les textes de fiction – ou Terence Parsons et sa fameuse typologie des « objets non existants », qui ne met pas les entités extra-textuelles (le Paris de Balzac, par exemple) sur le même plan que les entités purement imaginaires, dites « autochtones30 ».
- Chez les linguistes, l’influence pétrifiante et longtemps hégémonique, de la Logique des noms propres de Kripke31, qui revient à corréler rigidité de la désignation et vacuité sémantique, a progressivement cédé la place, dans les années 1990, à la description d’un « fonctionnement sémantique du nom propre32 » et à des modèles qui font droit, notamment, à un « contenu33 » sémantique des toponymes : or, pour Kerstin Jonasson, par exemple, l’« interprétation » des noms de lieux se fonde principalement sur « la connaissance du réfèrent34 », en tout cas pour les noms « incarnés35 ».
- Du côté des onomasticiens, en se reportant à une synthèse comme celle de Vicent Salvador, qui pose la question du « statut » du toponyme, on constatera qu’aux yeux de la linguistique historique elle-même la thèse générale de J. S. Mill n’est valable qu’en principe : si les noms de lieux sont « des unités lexicales » dépourvues d’un « signifié codifié dans le système de la langue », ils peuvent cependant « recouvrer » une valeur sémantique qui aille au-delà de la « pure désignation » d’un référent, notamment « dans la sémiotique du discours littéraire » et à la faveur de processus comme l’« expressivité phonique », la « remotivation sémantique » et la « sémiotique culturelle » (lorsque l’information provient d’une « encyclopédie collective36 »).
- Du côté des sciences cognitives (sur lesquelles s’appuie Kerstin Jonasson) et en particulier des théories de la lecture, l’idée semble désormais prévaloir que « l’identification des référents » est à la base de la construction du sens et constitue « la première étape » de « tout processus cognitif37 ».
- Du côté des littéraires, on ne peut qu’être frappé par le spectaculaire retournement illustré par l’un des principaux ouvrages de géographie littéraire de ces dernières années, l’Atlas du roman européen de Franco Moretti. Certes, admet l’auteur pour commencer, Paris dans La Comédie humaine « est dans une large mesure imaginaire38 », mais tout le reste du livre va à l’encontre de cette concession initiale. Tout en étudiant, de façon somme toute classique, les structures signifiantes des espaces romanesques, Moretti ne discute jamais l’ancrage géographique du roman, sans lequel son livre n’aurait pas de sens. Et de dresser nombre de cartes : celle de l’Angleterre, par exemple, avec indication des localités où se déroulent les œuvres de Jane Austen, ou celle des « lieux de l’action du roman hellénistique39 » (Syracuse, Antioche, Alexandrie…), s’opposant en cela à Bakhtine, pour qui le chronotope de l’aventure, « parfaitement abstrait », fait que « les aventures du roman grec sont transférables : ce qui se passe à Babylone pourrait avoir lieu à en Egypte, à Babylone ou l’inverse40 ».
13La double fonctionnalité des toponymes fictionnels – à la fois référentiels et signifiants, sans incompatibilité – ainsi établie, examinons de plus près ces deux fonctionnements : d’abord les noms de pays, puis le pays des noms.
Les noms de pays : fonction référentielle des toponymes fictionnels41
14Moretti n’est pas loin d’inscrire Verrières sur une carte. Que la ville natale de Julien Sorel soit imaginaire ne nous interdit nullement, en effet, de prendre acte du fait qu’elle est explicitement située sur le Doubs, et dans une province repérable : la Franche-Comté. Or tel est le cas de figure le plus fréquent en matière de géographie romanesque, et pas seulement dans la veine réaliste : la fiction se déroule le plus souvent dans une contrée identifiable. À défaut d’être toujours désignés par leur nom, comme à l’incipit du Rouge et le Noir – « La petite ville de Verrières peut passer pour l’une des plus jolies de la Franche-Comté » –, cette région ou ce pays réels sont évoqués par synecdoque : si le théâtre du récit est une localité fictive, la mention d’une capitale ou d’une préfecture voisines suffisent à rattacher au monde connu cette bourgade introuvable. Ces chefs-lieux correspondent à ce que Kerstin Jonasson appelle des « Npr de lieux culturellement saillants », équivalents de ce que sont les « Npr historiques42 » pour l’anthroponymie. Ces noms de villes en principe connus de la communauté des lecteurs s’interprètent comme des métonymies. Ainsi les déplacements des Swann à Reims et à Laon ancrent sans ambiguïté Combray en Champagne : comme le notait déjà Ferré, il s’agit de « tirer parti des références aux lieux réels pour situer par rapport à eux les lieux fictifs43 ». L’ancrage référentiel du texte implique alors de remonter à un repère empirique antécédent, suivant un processus comparable à celui décrit par Kripke dans sa théorie causale des noms propres. À l’instar du Paris de Balzac, dans le roman les métropoles fonctionnent donc à l’évidence comme des lieux, et pas seulement comme des noms, authentifiant la fiction. Bien souvent, ce procédé d’enracinement régional du récit repose en outre sur une admissibilité morphologique, qui réclame de l’écrivain onomaturge quelque compétence en matière de toponymie : ainsi Proust bricole-t-il des noms en -ville ou en -bec, finales typiquement normandes (Arembouville, Egleville, Maineville, Marcouville…)44. En somme, l’allusion à un territoire réel, qui est courante, peut se passer de métonymie et s’attacher aux paradigmes du code onomastique, dont Lévi-Strauss, reprenant l’exemple de Popocatepetl, cher à Gardiner (qui n’y voyait pour sa part que « dénotation pure »), a souligné la fonction classificatoire45.
15Si son insertion dans un territoire localisable, sinon familier, est donc l’usage ordinaire du roman, doit-on pour autant suivre Moretti dans ses déambulations à travers les rues de Londres et d’ailleurs ? À l’en croire, il semblerait qu’on puisse aller visiter tous les lieux fictionnels, comme si la cartographie du roman n’était pas trouée de zones inaccessibles, à l’image du fameux 221B Baker Street, exemple canonique de ces endroits introuvables où se rendent les personnages de romans. De fait, même lorsque la diégèse se déroule dans une ville connue, le détail des lieux demeure invérifiable : Odette, à l’époque où elle rencontre Swann, a beau demeurer rue La Pérouse, à quel numéro exactement ? et où retrouver, à Paris, la maison de la rue Taitbout où Herrera installe Esther (Splendeurs et Misères des courtisanes) ? Appréhendée dans son détail, la topographie romanesque résiste à Google maps et à l’affichage des images satellite. Ainsi sa référentialité, indéniable, demeure-t-elle néanmoins asymptotique, comme un point de fuite inaccessible. Quand ce n’est pas le cas, du reste, la fiction produit un stupéfiant effet de vérité comme on peut en juger chez Jules Verne, habitué à donner dès l’incipit l’adresse exacte de ses héros46.
16Le romancier, de façon générale, n’est cependant pas tenu de pousser aussi loin les procédés de l’illusion référentielle. Au lecteur, qui sait bien que le pacte fictionnel n’implique aucune créance littérale, il suffit que l’histoire qu’il va lire soit située approximativement, c’est-à-dire à l’échelle d’une aire géographique qu’il puisse reconnaître (c’est pourquoi la plausibilité des noms compte plus que l’authenticité des lieux). Et s’il n’est pas en mesure de localiser exactement Balbec, il ne s’en sent pas pour autant mystifié, admettant fort bien l’hybridité de l’espace fictionnel.
17Mais cette implantation régionale du roman n’est pas seulement suffisante, elle est à mon sens nécessaire. Car la fiction obéit à un principe d’équilibre entre le vérifiable et l’invérifiable : gageant le principe de plaisir sur le principe de réalité, elle fait reposer la réussite de l’évasion sur un socle de crédibilité (inversement, il se pourrait bien que mon plaisir soit affecté par les facilités d’une topographie entièrement fantaisiste). La validité de cette loi, manifeste dans le cadre du roman réaliste (novel), se vérifie par la contre-épreuve du romanesque (romance). Dans le cas du roman grec, réputé fabuleux mais dont Moretti dresse la carte, ou de L’Astrée, qui se déroule dans le Forez, on peut certes discuter de l’exactitude de la mimesis, et tenir pour mythique ou romancée la vision qui est donnée des lieux évoqués, il n’en reste pas moins qu’« identité n’est pas ressemblance », pour reprendre le théorème de Philippe Lejeune47. Autrement dit, la nature chimérique de leur représentation (que d’Urfé assume dans son adresse liminaire à Astrée) n’empêche pas de reconnaître que nous avons affaire à des contrées localisables. La position contraire, qui postule que le caractère « irréaliste » ou « contrefactuel » de la Babylone de Chariton (Chéréas et Callirrhoè) interdit de l’identifier à la Babylone historique est une thèse dogmatique, « ségrégationniste », qui refuse de penser l’hybridité de la fiction.
18Un autre cas limite qui permet d’examiner la pertinence de cette pression référentielle qui s’exerce sur la cartographie romanesque est celui des « pays imaginaires » auxquels Audrey Camus a consacré une étude approfondie. Dans la modélisation qu’elle propose des espaces fictionnels selon leur degré de coïncidence avec le « monde zéro », ces pays, « imaginaires au carré48 », appartiennent par définition à un univers qui, loin de se confondre avec le nôtre, ne lui est même pas sécant. On songe notamment à certains genres pour lesquels le dépaysement radical est topique, comme la science-fiction ou l’heroic fantasy, univers « étanches49 » et de « substitution ». Mais pour le tout-venant du genre romanesque, qui répond à d’autres règles, les univers « disjoints » du monde zéro sont-ils rigoureusement parallèles ? Ma conviction est ici que, lorsqu’un lien de contiguïté fait défaut, c’est la morphologie des noms qui, en général, supplée à l’absence de métonymie. On pourrait aisément le montrer chez Volodine, ou sur bien des romans au décor réputé imaginaire (L’Atlantide, Sur les falaises de marbre, Le Désert des Tartares, Le Pays où l’on n’arrive jamais, 53 Jours…) et qui n’en présentent pas moins de nombreuses connexions avec le monde connu, ne serait-ce qu’à la faveur de noms évocateurs.
19Si la fonction référentielle s’applique donc à tous les styles du romanesque, même a priori les moins conformes au paradigme réaliste, c’est en vertu d’un théorème formulé à l’origine par Marie-Laure Ryan et devenu depuis un classique de la sémiotique littéraire : le « principe de l’écart minimal50 ». Thomas Pavel rend volontiers hommage à cette « remarquable51 » contribution à la théorie de la fiction, et c’est sur elle qu’il s’appuie pour affirmer, se plaçant en amont du texte, que « l’économie de l’imaginaire obéit » à des « restrictions cognitives […], telle la règle compositionnelle qui exige que les êtres non empiriques soient formés en majorité d’éléments empiriques52 », ou que « les ontologies secondaires doivent respecter autant que possible […] les ontologies primaires qui leur servent de fondement53 ». Sans doute est-il maladroit de parler ici de règles de composition alors que le processus de l’induction référentielle, pour l’appeler ainsi, relève surtout d’une phénoménologie de la lecture. À ceux qui jugent trop spéculatives les formulations théoriques, on peut alors proposer la méthode expérimentale qui les vérifie : à retrancher d’un roman tous les toponymes, on constatera qu’il est plus facile de concevoir une histoire où manquent les noms de personnages qu’un récit entièrement « délocalisé ». époque de la littérature de laboratoire, Robbe-Grillet en a fait l’épreuve, Dans le labyrinthe thématisant la vacuité toponymique : nous voici dans une ville inconnue et dont les plaques de rues sont illisibles. Toute l’action consiste à retrouver une rue dont on a oublié le nom. Mais alors que le narrateur réussit à maintenir jusqu’au bout ou presque l’anonymat des personnages54, en matière de toponymie il ne tient pas la distance, évoquant dès la page 57 des noms de rues, fussent-ils conjecturaux55, et livrant pour finir le nom exact : Bouvet (p. 217)… Ainsi, non seulement nous sommes en terre francophone, mais l’écrivain, renonçant in fine à son système privatif comme pour s’amuser à satisfaire notre avidité référentielle, finit par lâcher un nom de ville : la mention tardive de l’héroïque combat de Reichenfels (p. 174 sq.), qui connote à l’évidence la fameuse bataille de Reichshoffen, nous fait finalement sortir du labyrinthe pour retrouver le contexte familier des guerres franco-allemandes.
Le pays des noms : fonction sémantique des toponymes
20Que l’onomastique romanesque soit signifiante et généralement cratylienne, c’est ce qu’a amplement montré la sémiotique textuelle, dont l’apport reste à cet égard indéniable. La bibliographie sur le sujet est immense56, mais il faut reconnaître qu’elle porte surtout sur l’anthroponymie, comme si la doctrine de la clôture du texte semblait plus sûre d’elle-même en matière de prosopographie – le personnage, « être de papier » – que de toponymie, et la fictionalité des Champs-Elysées moins certaine que celle de Gilberte. Faute d’admettre que les noms de lieux puissent, dans l’espace du roman, recevoir à la fois une visée référentielle et une valeur expressive, la principale lacune de l’analyse textuelle (comme de l’érudition traditionnelle, d’ailleurs) reste toutefois de n’avoir pas suffisamment pensé l’articulation entre ces deux aspects de la toponymie narrative. Si la relation entre la mimesis et la semiosis n’est pas d’exclusion, est-il pour autant si simple de concilier le monde empirique et le monde des signes, la cartographie et la sémantique ?
21Un premier modèle pourrait consister à faire le départ entre les noms réels et les noms forgés, en attribuant aux premiers une fonction référentielle et aux seconds une fonction sémiotique. Ce serait toutefois sous-estimer la loi de cohésion générale qui impose au récit une redondance systématique. Dans le cas de la géographie, ce n’est pas parce qu’un nom de lieu réel émigre dans la fiction qu’il ne doit pas s’assimiler, au contraire. Non seulement il se colorera de l’imaginaire du texte et se fondra dans la vision de l’auteur, perdant peu à peu, dans ce remodelage, les qualifications que nous lui associions a priori, mais ses signifiants mêmes sont toujours susceptibles d’être remotivés. En situant Sous le soleil de Satan à Campagne, du nom de Campagne-lès-Hesdin (Pas-de-Calais), Bernanos nous promet à l’évidence un tableau de la France rurale qui annonce le Journal d’un curé de campagne ; la mutation du héros à Lumbres, pauvre hameau de la vallée de l’Aa, prendra à son tour une dimension symbolique par le jeu répété de la paronomase Lumbres/humble. Quant aux noms forgés, on a vu que le façonnage de leurs signifiants, souvent calqué, par métaplasme, sur des noms réels, répond le plus souvent – au moins à un premier niveau – à une exigence de plausibilité morphologique, elle-même liée à un effort d’ancrage réaliste dans une province repérable. En d’autres termes, des noms proustiens comme Arembouville ou Egleville ne désignent la Normandie qu’en la signifiant.
22Cette imbrication des fonctions de désignation et de signification peut s’interpréter de manière ambivalente. À propos des noms en -ville, on peut considérer que ces toponymes bricolés marquent la subordination de « l’ordre référentiel à l’ordre sémiologique57 », et la tutelle de la linguistique sur la cartographie ; mais d’un autre côté, le modelage des signifiants peut aussi s’analyser comme un procédé au service de la mimesis. Il est bien délicat, on le voit, de prétendre établir une hiérarchie, dans un sens ou dans l’autre, entre la logique du texte et la visée d’un hors-texte. Ontologiquement hybride par définition, le roman impose partout des compromis entre ces deux impératifs. En matière de géographie comme ailleurs, la forme la plus évidente de ce principe d’équilibre est la vraisemblance, où Aristote voyait déjà le propre de la fiction58. L’admissibilité morphologique des noms forgés (c’est-à-dire leur conformité à la compétence onomastique du lecteur), la localisation globale de la diégèse dans une région identifiable, la remotivation textuelle des noms réels insérés dans la fiction sont autant de modalités de cet eïkos qui préfère à l’exactitude de la référence l’approximation de la mimesis. C’est du reste un indice de la maturité d’un écrivain que son aptitude à s’affranchir d’une cartographie vérifiable au profit d’une toponymie évocatrice inscrite dans la sémantique du texte.
23Encore cette sémantique des noms de lieux présente-t-elle plusieurs niveaux. Faisant transition avec la fonction d’embrayage référentiel, il y a d’abord un socle de stylisation phonographémique qui confère au toponyme fictionnel une coloration territoriale par l’observance du code onomastique attaché à une zone ethnolinguistique donnée. Ainsi l’espace artésien de la plupart des romans de Bernanos fonde-t-il sa crédibilité sur le respect de l’origine essentiellement francique de la toponymie septentrionale de la France, que les noms de localités de la fiction soient fabriqués à partir de morphèmes caractéristiques (Héclin, Lambercke, Ouchy, Wambescourt) ou empruntés à d’autres départements eux aussi germanisés (Bazancourt, Caulaincourt, Vaubecourt), les noms tirés du Pas-de-Calais étant eux-mêmes choisis parmi les plus typiques : ainsi Ambricourt, Azincourt, Heuchin, Verchin, Wadicourt59…
24À un niveau qui n’est pas encore pleinement sémantique, on parle souvent, non sans un certain flou, de la richesse connotative des toponymes. Or, dans ce « pouvoir évocateur » il n’est pas toujours facile de démêler ce qui tient encore à une quasi-référence, par allusion à une aire géographique et culturelle – ainsi le Farghestan du Rivage des Syrtes, qui nous oriente vers l’Asie centrale –, et ce qui tient, d’autre part, au symbolisme des sons, à l’expressivité des phonèmes, à l’euphonie d’une syllabe, comme dans Wormsloe (décor de Chaque homme dans sa nuit, de Julien Green), ce nom enchanteur, d’une fluidité exceptionnelle, presque crémeuse. En vérité, ces fameuses valeurs poétiques du nom propre tiennent souvent au parasitage inaperçu d’associations de signifiants. Si Green trouve « doux et sauvage » le nom de Savannah, c’est certes que sa structure phonique, dépourvue d’occlusives, produit une impression suave, mais c’est aussi qu’une paronymie in absentia avec savane lui confère un parfum de grande Prairie.
25C’est seulement à un dernier niveau, proprement dénotatif, que le signe onomastique reçoit un contenu pleinement sémantique. Le remplissage du nom par des associations lexicales, qu’on vient de mentionner, est le procédé le plus courant de cette remotivation, sans doute parce qu’il est aussi subtil qu’efficace : ainsi le choix de Terninques comme théâtre de l’Histoire de Mouchette nous plonge-t-il d’emblée dans un monde privé de lumière et de grâce. Le cas échéant, la signification du toponyme se fera plus appuyée – ainsi Mouchette fugue-t-elle par la forêt de Sauves60 –, voire carrément symbolique, à l’image du chemin de Paradis61 emprunté par le curé d’Ambricourt.
26Des noms de métropoles connus de tous, à la fonction d’embrayeurs, à ce chemin de Paradis plus transparent que plausible, le fonctionnement de la toponymie romanesque laisse donc apparaître une typologie où l’on peut schématiquement distinguer quatre catégories selon qu’on observe :
- une fonction référentielle quasi exclusive (les noms de pays, de provinces, de grandes villes) ;
- une fonction référentielle dominante (les noms réels moins connus mais vérifiables) ;
- une fonction sémantico-référentielle (les noms fictifs mais typiques, à connotation géographique, éventuellement remotivés) ;
- une fonction sémiotique dominante (les noms forgés, dont la signification est elle-même feuilletée, allant d’une simple coloration connotative à une pleine valeur symbolique).
Vers une typologie générique des toponymies fictionnelles
27Bien entendu, ce modèle théorique doit être compris comme essentiellement gradualiste, les sections n’en étant pas étanches. En fonction des écoles littéraires et des époques, selon que le genre romanesque se veut plus ou moins réaliste, et suivant l’idiosyncrasie des auteurs, sans parler des conventions propres aux sous-genres (roman d’anticipation, veines pastorale ou fantastique…), l’usage et la morphologie des noms de lieux obéiront plus ou moins aux lois du vraisemblable et aux règles du code onomastique, produisant autant de chatoiements et de nuances. Au-delà de ces évidences, je voudrais donc, pour finir, et conformément à l’esprit du présent ouvrage, me placer dans une perspective générique pour voir dans quelle mesure il est possible d’établir, au sein du corpus narratif, une corrélation entre le coefficient référentiel des toponymes et la répartition des genres, un peu dans l’esprit de Moretti, qui assigne à chaque type de roman une poétique spécifique de l’espace.
28En méditant sur cette question (que je ne fais ici qu’approcher), le résultat le plus net auquel je sois parvenu est que la toponymie et la géographie constituent un critère décisif – et pourtant négligé – de discrimination générique au sein de la nébuleuse des écritures de soi. Si l’on veut donner à autofiction, notamment, un sens rigoureux qui n’en fasse ni un synonyme extensif de l’espace autobiographique, ni le nom à la mode du roman autobiographique62, il faut en passer par les noms propres, critère indispensable selon Doubrovsky, qui n’a pas varié d’un iota sur ce point depuis 1977. Rappelons-nous du reste que, depuis Lejeune, c’est l’onomastique, bien plus que la friable jurisprudence des pactes, qui sert de pierre de touche à la taxinomie des discours du moi. Mais a-t-on jamais pensé à aborder ces questions de poétique et de théorie de la fiction sous l’angle de la toponymie ? Celle-ci, pour peu qu’on l’examine, apparaît pourtant comme un outil remarquablement fiable de délimitation du fictionnel et du factuel. Dans le cas d’À la recherche du temps perdu, par exemple, que de confusion, chez les spécialistes, qui l’ont successivement lu comme un livre de souvenirs, un roman autobiographique, une fiction (romanesque) puis une autofiction… Or, le seul fait que Balbec ne figure sur aucune carte suffit, à mon sens, à faire de la Recherche un roman (car dans l’autofiction, comme dans l’autobiographie, tous les noms de lieux sont vrais). La pertinence générique de la toponymie me semble donc sous-estimée, ce qui ne revient pas, bien entendu, à la tenir pour un critère universel et suffisant de délimitation des genres.
29Si l’on considère, d’autre part, le problème non moins disputé de la différenciation de la nouvelle et du roman, on observe que la nouvelle, dans l’ensemble, est pauvre en noms propres63. Dans le cas du fantastique (lequel, par nature fugitif, s’accorde mieux à la poétique de la nouvelle que du roman), cette raréfaction a une fonction marquée, car elle produit un effet cotonneux, favorable aux atmosphères troubles64. Plus un roman s’ancre dans la réalité, plus il multiplie les noms (et inversement) ; symétriquement, la nouvelle fantastique s’accommode parfaitement d’une quasi-absence de noms de lieux. Ces variations génériques s’observent fort bien, en particulier, chez Julien Green, selon que nous lisons ses nouvelles fantastiques65, ses romans66 et son œuvre autobiographique67. Dans le même esprit, on pourrait enfin montrer que, plus il comporte de noms forgés, au détriment des lieux réels, plus un récit est poétique, même si ce n’est pas toujours vrai (Nadja) : on peut en tout cas soutenir qu’il existe tout un éventail de la défamiliarisation (ostranenie) qui irait du roman au romanesque, et de la rationalité (référentielle) à la rêverie (imaginaire), pour reprendre cette distinction à Rachel Bouvet68.
30L’affinement de la mise en relation des frontières génériques et des usages toponymiques conduirait en fin de compte, plutôt qu’à une typologie, à une topographie riche de ses courbes de niveaux : le modèle volontiers taxinomiste de la poétique classique le céderait à une graduation tout en dénivelés, suggérant qu’en matière de géographie à tout le moins, le caractère fictionnel vs. factuel d’un texte est moins une question de statut que de degrés et, pour tout dire, d’hypsométrie.
Notes de bas de page
1 R. Bouvet, « Cartographie du lointain : lecture croisée entre la carte et le texte », R. Bouvet et B. El Omari (dir.), L’Espace en toutes lettres, Québec, Nota Bene, 2003, p. 292.
2 Voir M. Proust, « La méthode de Sainte-Beuve », Contre Sainte-Beuve, B. De Fallois (éd.), Paris, Gallimard, « Idées », (1954) 1973, p. 150-180. Cf. Contre Sainte-Beuve précédé de Pastiches et mélanges et suivi de Essais et articles, P. Clarac (éd.) avec la collaboration d’Y. Sandre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 219-232.
3 A. Ferré, Géographie de Marcel Proust, avec index des noms de lieux et des termes géographiques, Paris, Sagittaire, 1939.
4 Ibid., p. 86.
5 Ibid., p. 111, 110.
6 A. Compagnon in Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, J.-Y. Tadié (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », III, 1988, p. 1444.
7 A. Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Le Seuil, coll. « La Couleur des idées », 1998, p. 127.
8 Voir ibid., p. 119-120, 127-128.
9 M. Riffaterre, La Production du texte, Paris, Le Seuil, 1979, p. 19, 25-27. J’ai discuté cette thèse dans « De la référence dans l’univers de fiction : problèmes de lisibilité du roman », La Lecture littéraire, n° 3, janv. 1999, p. 78-79.
10 A. Ferré, Géographie de Marcel Proust, op. cit., p. 98-99, 108.
11 T. Parsons, Nonexistent Objects, New Haven, Yale University Press, 1980. Pour Parsons toutefois, les immigrants sont des objets (des villes par exemple) transférés du monde réel dans la fiction, alors que pour Ferré c’est son déplacement des Vosges en Normandie qui fait de Doncières un « nom immigré » (p. 108).
12 A. Ferré, Géographie de Marcel Proust, op. cit.v, p. 118.
13 Ibid., p. 93.
14 Ibid., p. 86, 95. Proust a lui-même formulé cette idée en plusieurs endroits, notamment dans une dédicace à Jacques de Lacretelle : « […] pour l’église de Combray, ma mémoire m’a prêté comme “modèles” (a fait poser) beaucoup d’églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. Je ne me rappelle même plus si le pavage vient de Saint-Pierre-sur-Dives ou de Lisieux. Certains vitraux sont certainement les uns d’Evreux, les autres de la Sainte Chapelle et de Pont-Audemer » (dédicace de Du côté de chez Swann, citée par J. De Lacretelle, « Les clefs de l’œuvre de Proust », La NRF, XX, 1er janv. 1923, p. 201. Cf. Le Temps retrouvé, À la recherche du temps perdu, J.-Y. Tadié (éd.), op. cit., IV, 1989, p. 478, 482, 486).
15 R. Barthes, S/Z, Paris, Le Seuil, 1970, p. 364.
16 H. Mitterand, Le Regard et le Signe, Paris, PUF, coll. « Écriture », 1987, p. 7.
17 H. Mitterand, « Le lieu et le sens : l’espace parisien dans Ferragus, de Balzac », Communications, n° 27, 1977, repris dans Le Discours du roman, Paris, PUF, coll. « Écriture », 1986, p. 194.
18 A. Roger, Proust. Les plaisirs et les noms, Paris, Denoël, coll. « L’Infini », 1985.
19 Voir, entre autres, M. Chevalier, La Géographie, hors série, n° 1500 bis, Géographie et littérature, 2001.
20 S. Kawamoto, « Remarques sur la localisation géographique de Balbec dans À la recherche du temps perdu », 1, « Les propos de Legrandin : "dans la Manche, entre Normandie et Bretagne" », Symposion, numéro spécial, Festschrift in Honour of Professor Koichi Takaoka, Tokyo, Asahi Press, 2006, p. 195-204 ; 2, « L’itinéraire suivi par le héros », Gallia, Bulletin de la Société de langue et littérature françaises de l’Université d’Osaka, n° 45, 2006, p. 39-47 ; « Le réalisme géographique chez Proust : autour de la mystification du lecteur sur la situation de Balbec », Études de langue et littérature françaises, Société japonaise de langue et littérature françaises, n° 92, mars 2008, p. 68-83.
21 « Mystification » : c’est l’explication habituelle des positivistes (ainsi M. Chevalier, Géographie et littérature, op. cit., p. 21), à laquelle André Ferré se refuse (Géographie de Marcel Proust, op. cit., p. 89).
22 T. Pavel, Fictional Words, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1986 ; trad. fr. Univers de la fiction, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1988, passim.
23 Voir notamment D. Cohn, The Distinction of Fiction, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1999 ; trad. fr. : Le Propre de la fiction, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 2001.
24 J. Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive (1843), trad. L. Peisse, Bruxelles, Mardaga, coll. « Philosophie et langage », 1988, p. 35.
25 C. Marot, « Du lieutenant criminel de Paris et de Semblançay » in Les Épigrammes, C. A. Mayer (éd.), Londres, Athlone Press, 1970, XLIII, p. 129.
26 F. Rigolot, Poétique et onomastique, Genève, Droz, 1977, p. 78, 79.
27 J. R. Searle, « Le statut logique du discours de la fiction » (1975), Sens et Expression, Paris, Éditions de Minuit, 1982, p. 116.
28 T. Pavel, Univers de la fiction, op. cit.
29 J. Woods, The Logic ofFiction, La Haye, Mouton, 1974.
30 T. Parsons, Nonexistent Objects, op. cit.
31 S. Kripke, « Naming and Necessity », in Semantics of Natural Languages, D. Davidson et G. Harman (dir.), Dordrecht, Reidel, 1972, p. 253-355 ; trad. fr. La Logique des noms propres, Paris, Éditions de Minuit, 1982.
32 M.-N. Gary-Prieur, Grammaire du nompropre, Paris, PUF, coll. « Linguistique nouvelle », 1994, p. 11-62.
33 Ibid., p. 46-52.
34 K. Jonasson, Le Nom propre. Constructions et interprétations, Louvain-la-Neuve, Duculot, coll. « Champs linguistiques », 1994, p. 135.
35 La distinction entre noms propres incarnés et désincarnés vient bien sûr de Gardiner (A. H. Gardiner, The Theory of Proper Names : a Controversial Essay, Londres, Oxford University Press, 1954).
36 V. Salvador, « Sémiotique de la toponymie : analyse de quelques cas dans la littérature catalane », Nouvelle Revue d’onomastique, n° 21-22, 1993, p. 182, 187.
37 M. Issacharoff et L. Madrid, « Cognition, référence, lecture », Poétique, n° 102, avril 1995, p. 252-253 (cf., par les mêmes, De la pensée au langage, Paris, José Corti, 1995). Sur l’antécédence de cette « référenciation externe », voir aussi J.-L. Dufays, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994, p. 183.
38 F. Moretti, Atlas du roman européen [Atlante del romanzo europeo, Turin, Einaudi, 1997], Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2000, p. 9.
39 Ibid., p. 63.
40 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman (1975), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1978 ; coll. « Tel », 1996, p. 251. Moretti conteste cette thèse de Bakhtine p. 83.
41 Je m’appuie sur un corpus de romans français parus entre 1913 et 1960. Un autre corpus aboutirait probablement à des conclusions différentes. Cf. les récits antimimétiques retenus par F. Wagner (« Perturbations onomastiques : l’onomastique romanesque contre la mimesis », Y. Baudelle [dir.], « Onomastique romanesque », Narratologie, n° 9, Paris, L’Harmattan, 2008. p. 17-42) : Beckett, Pinget, Vian, Queneau, Perec, etc.
42 K. Jonasson, Le Nom propre, op. cit., p. 149, 137.
43 A. Ferré, Géographie de Marcel Proust, op. cit., p. 88.
44 J’ai étudié un peu plus longuement cette paradoxale fonction référentielle sans référent, fondée sur la seule coloration des signifiants, dans « Cartographie réelle et géographie romanesque : poétique de la transposition », G. Lavergne (dir.), « Création de l’espace et narration littéraire », Cahiers de narratologie, n° 8, Nice, 1997, p. 49-50.
45 C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 285.
46 Voir Voyage au centre de la terre ou Le Tour du monde en quatre-vingts jours : « En l’année 1872, la maison portant le numéro 7 de Saville-row, Burlington Gardens – maison dans laquelle Sheridan mourut en 1816, – était habitée par Phileas Fogg, esq., l’un des membres les plus singuliers et les plus remarqués du Reform-Club de Londres […]. » La mention d’une adresse exacte n’est toutefois pas si exceptionnelle que cela, du moins pour Paris. C’est ce que suggèrent deux ouvrages récents de D. Blonde, Répertoire des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature, Paris, éditions la Pionnière, 2010, et Carnet d’adresses, Paris, Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 2010.
47 P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1975, p. 35.
48 A. Camus, Le Pays imaginaire dans la littérature narrative française du xx e siècle, Thèse de doctorat, Paris, université Paris 3, 2006, dactyl., p. 25, 165 et passim.
49 R. Caillois, « Science-fiction », Obliques précédé de Images, images…, Paris, Gallimard, (1974) 1987, p. 147.
50 M.-L. Ryan, « Fiction, Non-Factuals and the Principle of Minimal Departure », Poetics, IX, 1980, p. 406.
51 T. Pavel, Univers de la fiction, op. cit., p. 110.
52 Ibid., p. 182.
53 Ibid., p. 79.
54 Le nom du soldat, Henri Martin, apparaît p. 215, le livre s’achevant p. 221 (A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, Paris, Éditions de Minuit, 1959).
55 Cf. p. 61, 82-86, 91, 95.
56 Voir Y. Baudelle, « Bibliographie », Onomastique romanesque, op. cit., p. 183-204.
57 Comme je l’écrivais dans « Cartographie réelle et géographie romanesque : poétique de la transposition », op. cit., p. 52.
58 Aristote, Poétique, 9, 1451 a.
59 Pour un relevé systématique, voir Y. Baudelle, « Une toponymie imaginaire du pays d’Artois », Europe, n° 789-790, janv.-fév. 1995, p. 48-51.
60 G. Bernanos, Sous le soleil de Satan, in Oeuvres romanesques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », (1926) 1961, p. 67.
61 G. Bernanos, Journal d’un curé de campagne (1936), ibid., p. 1181.
62 Sur cette question, voir Y. Baudelle, « Autofiction et roman autobiographique : incidents de frontière », R. Dion, F. Fortier, B. Havercroft et H.-J. Lusebrink (dir.), Vies en récit. Formes littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie, Québec, Nota Bene, coll. « Convergences », 2007, p. 43-70.
63 Comme j’ai tenté de le montrer dans « Nouvelles et noms propres (1920-1959) », B. Alluin et F. Suard (dir.), La Nouvelle. Définitions, transformations, [Villeneuve d’Ascq], Lille, Presses universitaires de Lille, 1990, p. 125-135.
64 Cf. Moretti, Atlas du roman européen, op. cit., p. 95-96.
65 Dans Le Voyageur sur la terre (1930), les noms de lieux sont remplacés par des périphrases ou des descriptions définies (« la petite ville où nous habitions », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », I, 1972, p. 29) ; dans Léviathan (La Traversée inutile), une seule mention de toponyme (Savannah, ibid., p. 277), comme par inadvertance.
66 La règle générale est celle de localités imaginaires situées dans des pays identifiés, tels Mont-Cinère, proche de Savannah (Mont-Cinère), ou La Tour-l’Evêque, près de Paris (Adrienne Mesurat).
67 À l’image de Mille Chemins ouverts, où l’on en trouve un par page, les quatre volumes de Jeunes Années abondent en toponymes réels, même dans Partir avant le jour, pourtant voué à la petite enfance de l’auteur.,
68 R. Bouvet, « Cartographie du lointain. », L’Espace en toutes lettres, op. cit., p. 279.
Auteur
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