Chapitre XIV. De l’homme marié au philosophe : les effets de la compassion1
p. 271-287
Texte intégral
1Dans le cas d’Ariste, le mariage a déjà eu lieu. L’inversion est totale, dans cette comédie, par rapport à la comédie classique qui organise toute l’intrigue autour de la difficulté de marier les jeunes gens. L’obstacle, ici, est à la fois extérieur (la colère du père, jointe au fait que l’oncle désavouerait ce mariage et le déshériterait), mais surtout intérieur comme le souligne Ariste :
Ariste.
[…] Entre nous, ma faiblesse
Est de rougir d’un titre et vénérable et doux,
D’un titre autorisé, du beau titre d’époux,
Qui me fait tressaillir lorsque je l’articule,
Et que les mœurs du temps ont rendu ridicule.
Ce motif, je le sens, n’est pas des plus sensés ;
Mais…
Damon.
C’est avec raison que vous vous dispensez
À tout autre que moi d’en faire confidence ;
Et ce serait à vous une grande imprudence,
Si vous n’appuyiez pas sur un autre motif
Dicté par l’intérêt et bien plus positif,
Celui de ménager un oncle fort avare,
Quoique puissamment riche ; assez dur et bizarre
Pour vous déshériter indubitablement,
S’il vous sait marié sans son consentement.
Voilà pour votre femme une raison puissante2.
2Ce refus de s’exposer, de se faire railler par le monde qui n’admet pas que l’on aime sa femme, conduit Ariste à un mensonge et à une comédie permanente, très étranges pour un amoureux de la sagesse : jouant à n’être pas marié, il fait passer sa femme et sa belle-sœur pour des nièces, et répète sans arrêt à Céliante et Finette de ne pas prononcer le terme de « femme », dans un comique de répétition des plus efficaces3. Au cœur de l’obstacle intérieur, par conséquent, se trouve l’amour-propre : le désir de n’être pas raillé par la société, qui a rendu ridicules les maris aimant leur femme. Ainsi le philosophe est marqué au sceau du déchirement interne : le goût pour l’étude et la morale ne permet pas que soit surmonté l’amour-propre et Ariste affirme clairement, dans le monologue d’ouverture, son ambivalence :
[…]
Hors de mon cabinet je ne suis plus le même.
Dans l’autre appartement, toujours contrarié :
Ici, je suis garçon : là, je suis marié.
Marié ! C’est en vain que l’on se fortifie,
Par le grave secours de la philosophie,
Contre un sexe charmant que l’on voudrait braver :
Au sein de la sagesse il sait nous captiver.
J’en ai fait, malgré moi, l’épreuve malheureuse4.
3Or la comédie se déroule justement dans le cabinet d’Ariste, dont la didascalie initiale précise le décor :
Le théâtre représente un cabinet de livres. Ariste est assis vis-à-vis une table, sur laquelle il y a une écritoire et des plumes, des livres, des instruments de mathématique et une sphère5.
4Autrement dit, la dichotomie est indiquée par les adverbes (« Ici, je suis garçon : là, je suis marié »), mais le choix du décor fait de l’Ariste philosophe le personnage central, l’identité surplombante et à même de résoudre la contradiction. L’identité de philosophe est donc capitale, chez Destouches, qui permet de réfléchir sur la « connaissance de soi-même », indique Michèle Bokobza-Kahan6.
5Or, l’étrangeté de cette meilleure connaissance soi vient du fait qu’elle ne peut advenir qu’indirectement, par le détour du jeu dans le jeu, de la comédie donnée aux autres et à soi-même. Pourquoi ?
6Il ne s’agit pas là à proprement parler d’un échange d’identités qui pourrait faire progresser Ariste grâce au passage par le point de vue de l’autre, dont Michèle Bokobza-Kahan affirme qu’il constitue le pivot du dénouement de l’Homme singulier.
7Dans Le Philosophe marié, Ariste joue à n’être pas marié, il dénie, en somme, sa situation réelle et vit une situation imaginaire de philosophe célibataire7. Nous sommes ainsi confrontés à un personnage qui refuse de perdre ce qu’il possède (sa liberté, la bonne opinion que le monde a de lui), qui veut et ne veut pas le mariage, qui a pris une décision sans l’assumer. Cela nous conduit à une scène insolite, où Mélite cherchant à voir Ariste nous fait songer à Esther, osant se rendre près du trône de son époux et craignant d’y trouver la mort. Cette association est d’autant plus justifiée que Mélite elle-même compare l’attitude de son mari à celle d’un tyran – et nous retrouvons là un parallélisme avec le despotisme de Léandre, tandis que le vocabulaire de la tragédie imprègne le début de la scène et que le « cabinet » devient le lieu interdit, sacré :
Ariste, apercevant sa femme.
Comment ! c’est vous !
Mélite.
Mon Dieu ! d’où vient cette frayeur ?
Est-ce donc que ma vue inspire tant d’horreur ?
Ariste.
Eh ! non, vous m’êtes chère autant qu’on puisse l’être :
Mais, dans mon cabinet, désirez-vous paraître ?
Je vous ai fait prier de ne pas y venir.
Mélite.
Oui : mais j’avais dessein de vous entretenir
Sur un fait important, auquel il faut mettre ordre.
Ariste.
De ce que vous voulez rien ne vous fait démordre.
Mélite.
Devez-vous me blâmer, si je cherche à vous voir ?
Je contente mon goût, et je fais mon devoir.
Ariste.
Le devoir d’une femme est d’être complaisante.
Mélite
Tranchez le mot, mon cher, dites obéissante.
Vous n’aimez d’un mari que son autorité ;
Je lui dois immoler toute ma liberté8.
8Mélite, dans cette dernière réplique, réduit le sens du mariage à un pur acte d’autorité, assertion qui éclaire la pièce d’un autre jour, et transforme le philosophe en despote. En effet, Ariste demande à sa femme de ne pas lui rendre visite la journée, et de ne pas dire qu’elle est son épouse. Il lui demande donc d’agir exactement comme s’ils n’étaient pas mariés, ce qui est d’autant plus amusant qu’Ariste fait comme s’il demandait au fond peu de choses. De la sorte se mêlent dans cette scène de confrontation des aspects tragiques et des traits vraiment comiques :
Ariste.
[…]
Cachez votre secret par des soins circonspects ;
C’est tout ce que je veux de votre complaisance,
Et vous obtiendrez tout de ma reconnaissance.
Mélite.
Vous distraire un moment, est-ce vous offenser ?
Ariste.
Si quelqu’un survenait, que pourrait-il penser ?
Mélite.
Eh, mais ! il penserait. Après tout, que m’importe ?
Ariste.
Ciel ! peut-on de sang froid m’assommer de la sorte ?
Que vous importe ! Eh quoi ! pouvez-vous oublier
Le motif qui m’engage à ne rien publier ?...
Que dis-je ? qui me force à tout mettre en usage
Pour ôter tout soupçon de notre mariage ?
Mélite.
Cela ne se peut pas9.
9La dernière réplique de Mélite rappelle le principe de réalité, auquel Ariste paraît totalement étranger. Le déni qui est à l’œuvre ici évoque celui qui anime les personnages marivaudiens des Surprises de l’amour, qui refusent d’admettre qu’ils aiment. Ce qui est troublant pourtant, c’est qu’Ariste reconnaît qu’il ne supporterait pas la raillerie. D’un côté le déni, de l’autre la lucidité : le personnage est complexe et finalement la connaissance de soi est déjà bien avancée dès la scène d’exposition. Jamais le philosophe ne se leurre sur les motifs qui lui font refuser d’exposer au grand jour ce mariage.
10Quelle est alors la connaissance de soi dont il s’agit ? Pourquoi doit-elle en passer par la comédie et le déni pour advenir ?
11Le premier grand moment qui marque une évolution dans le mode d’être d’Ariste advient lors du monologue qui clôt le premier acte. Moment par excellence où l’âme du personnage se met à nu, le monologue dévoile ici l’inavouable :
Ariste, seul.
Attendez… Elle fuit. Quel embarras maudit !
Dois-je donner croyance à ce qu’elle me dit ?
Cela ne peut pas être ; et le marquis. je gage
Qu’elle invente ce trait pour. Non, elle est trop sage,
Et je lui ferais tort d’oser la soupçonner.
Mais enfin, que conclure et que déterminer ?
Le marquis amoureux ! dans le fond de mon âme
Je suis ravi… De quoi ? Qu’il en conte à ma femme !
Cela n’est point plaisant. Mon honneur effrayé…
Mon honneur… Qu’on est sot, quand on est marié !
Allons voir le marquis. Tâchons, avec adresse,
De lui faire à moi-même avouer sa faiblesse :
Plus elle sera grande, et moins je le craindrai.
Ensuite il faudra voir quel parti je prendrai10.
12Après avoir été tenté de soupçonner une infidélité de cœur de Mélite, Ariste finit par reconnaître combien il prend de plaisir, au fond, à l’idée d’une rivalité amoureuse : « Le marquis amoureux ! Dans le fond de mon âme/Je suis ravi. De quoi ? Qu’il en conte à ma femme ! » L’interrogation montre combien la pensée progresse, jusqu’à l’aveu final, auquel fait suite une auto-condamnation morale (« Cela n’est point plaisant. ») cherchant à modérer la force de la révélation, mais en vain.
13Bien sûr, au premier chef on peut comprendre que ce qui réjouit Ariste, c’est que le marquis lui-même ait succombé à l’amour, fût-ce avec sa propre femme. Ainsi Ariste ne serait pas le seul à avoir dû s’incliner devant « la nature ». Cependant, Ariste dit littéralement aussi qu’il est heureux de cette situation. Et effectivement, le fait de ne pas dire publiquement que Mélite est sa femme et de la voir courtisée par d’autres, est aussi une manière de chercher à se prouver qu’il a fait le bon choix, de se conforter dans l’opinion qu’il a de sa femme, tout en se gardant libre lui-même, en apparence. Le renversement de situation est tel qu’à la scène ii de l’acte III le marquis, ayant avoué à Ariste son amour pour Mélite, et son ami l’ayant conforté dans l’idée que « Mélite est [son] amie et rien de plus », donne au philosophe une leçon de courage et d’humilité en affirmant sa décision d’épouser la jeune femme malgré les rieurs :
Le marquis.
D’un grand bien, d’un grand nom, je suis seul héritier ;
De choisir un parti ma famille me presse ;
Ces prétextes sauront excuser ma faiblesse.
Et d’ailleurs je suis homme à rire effrontément
Avec ceux qui riront de cet événement.
Trêve donc d’arguments. La chose est résolue,
Et, si vous m’appuyez, sera bientôt conclue11.
14Le plus philosophe ici c’est au fond le marquis, qui est capable d’affronter le regard de l’autre, et d’accepter la force de son désir. Cette comédie est suffisamment surprenante pour qu’à la scène suivante, le marquis passe à l’action et fasse sa déclaration à Mélite devant Ariste. La rivalité œdipienne12 entre le père et le fils, se déplace ici pour s’instaurer entre deux amis.
15La structure triangulaire, digne de celle de Tartuffe, est donc en quelque sorte revue et corrigée. Le mari observe paradoxalement sans avoir à se cacher, car finalement c’est le mari qui sait – que l’amant s’est déclaré – et l’amant qui ne sait pas – que le prétendu ami est le mari. Alors que chez Molière, le mari apprenait ce qui se passait en se cachant sous la table, pendant que Tartuffe, se croyant seul, cherchait à profiter de la situation, au contraire chez Destouches, la scène s’organise en deux temps. Durant le premier, le marquis demande à Mélite de l’épouser devant un Ariste qui encourage vivement sa femme à jouer la comédie (ce qu’indiquent les didascalies) et accepte ainsi de la voir courtisée sous ses yeux. Par un système d’inversion, le mari devient alors simple ami, et l’amant un mari potentiel :
Mélite, bas à Ariste.
Vous l’entendez.
Ariste, bas à Mélite.
Paix donc.
Le marquis, à Mélite.
Si c’est témérité
Que de vous immoler jusqu’à ma liberté,
Que de vous protester que mon cœur ne respire
Que pour vivre à jamais sous votre aimable empire…
(Mélite veut parler, et ariste lui fait signe de se taire.)
Quoi ?…
Le marquis.
Que de vous offrir et ma vie et mes biens,
Et de m’unir à vous par d’éternels liens :
Recevez donc enfin mes vœux et mon hommage.
(Il se jette aux genoux de Mélite.)
Ariste, à part.
Je joue ici vraiment un joli personnage13 !
16Le commentaire d’Ariste souligne le caractère déplacé de son attitude – littéralement déplacé : il joue un rôle qui devrait être dévolu à l’autre. Le cœur du mensonge, le plus fort moment usant de la métathéâtralité est constitué par une scène de déclaration amoureuse qui n’a pas de sens, sauf à considérer que, selon la formule d’André Green, Ariste et le marquis sont, en réalité, « les deux faces d’un seul personnage14 » : d’un côté le mari, amoureux mais incapable de le dire ; de l’autre l’amant, ne rêvant que de déclamer son amour. Tous deux ayant échangé leurs rôles à l’instigation du philosophe. Le marquis fait publiquement ce qu’Ariste a fait secrètement. Tout se passe comme si, aux yeux du public, était donnée à voir l’avant-scène, l’histoire d’amour dont nous avons, lorsque la pièce commence, la conclusion. Comme si, par conséquent, Ariste devenait spectateur de sa propre histoire15. La mise en abîme peut alors être analysée à la lumière des propos de Georges Forestier, s’appuyant sur les travaux de Dallenbach pour conclure au sujet du Véritable saint Genest :
La place qu’occupe la mise en abyme dans la chaîne dramatique peut lui conférer une fonction supplémentaire, comme c’est le cas dans le domaine narratif. L. Dallenbach a ainsi attribué aux réduplications situées au milieu des récits qu’elles reflètent une fonction « rétroprospective ». Résumant ce qui précède, elles poussent le lecteur à déduire de cette conformité rétrospective la fin du récit.
Le même phénomène se produit dans Le Véritable saint Genest. Le début de la représentation intérieure paraît être le reflet des récentes paroles qu’à la suite de la répétition Genest adressait à Dieu. À partir de là, le spectateur peut supposer que le destin de Genest va se mettre à ressembler à celui du personnage qu’il représente, ce qui ne manque pas de se passer, les différences entre les deux pièces étant, nous l’avons vu, très minimes. Tel est donc le sens de la place centrale de la réduplication : faire deviner au spectateur la suite du déroulement de la pièce-cadre, et, ainsi, détourner son intérêt de l’intrigue proprement dite pour le centrer sur l’évolution psychologique du héros et les rapports ambigus entre le théâtre et la réalité16.
17La fonction « rétrosprospective » se manifeste nettement, puisque c’est à un véritable récit des origines de l’amour qu’Ariste propose au marquis de se livrer, de sorte qu’il devient spectateur d’une histoire parallèle à la sienne et qui remplace aux yeux du spectateur l’histoire d’Ariste et de Mélise :
Ariste, se mettant entre eux deux.
Tant mieux. Pour me donner de plus sûres lumières,
Dites si ses discours, ses regards, ses manières,
Quand vos empressements l’obligeaient à vous voir,
Ont pu, dans votre cœur, exciter quelque espoir.
Pour bien juger, il faut d’exactes connaissances ;
Ainsi, n’oubliez pas les moindres circonstances17.
18Confronté à cette mise en abyme, le spectateur « peut supposer que le destin » du personnage va être de déclarer publiquement son amour, et que par conséquent le marquis offre le spectacle de celui qu’Ariste doit devenir pour être enfin conforme à sa philosophie.
19Cependant, sommé par le marquis de se livrer également, Ariste se dérobe sans pitié. Il conserve du coup une emprise sur le marquis, laquelle fait de lui un personnage marqué par « une soif de maîtrise » qui n’est pas sans faire songer à l’« envie », dont parle Green au sujet d’Iago. Sous couvert de compassion, Ariste pourrait bien envier l’aisance et la liberté du marquis indifférent à la moquerie, tout en se réjouissant secrètement de sa défaite. Le fait même qu’il ne lui avoue rien est bien une manière de le tenir sous sa coupe :
Le marquis.
Morbleu !… Mais j’ai tout dit : imitez ma franchise.
Ariste, est-ce pour vous que je suis maltraité ?
Ariste.
Je vous laisse avec elle en pleine liberté.
Voyez si vos efforts pourront, en mon absence,
Attirer plus d’égards et de reconnaissance18.
[…]
20D’un côté, le principe de plaisir est incarné par Ariste, qui refuse d’inscrire dans le réel son choix, forçant sa femme à vivre son mariage dans l’ombre, l’obscurité, comme un « simulacre » platonicien. De l’autre, le principe de réalité, incarné par le marquis, prêt à endosser les conséquences de ses actes. Sommant Ariste de déclarer s’il est marié ou non, il constitue une « figure du père-rival19 » facile à berner, mais qui inverse aussi la situation à la fin de la comédie, contraignant le philosophe à affronter le principe de réalité20. À ce moment, la gémellité se confirme entre les deux hommes, mais le triomphe est du côté du marquis : alors qu’il déclare vouloir prendre pour femme la jeune fille proposée à Ariste, celui-ci « accepte » de la lui céder. Le marquis prend alors l’avantage dans un coup de théâtre où il révèle à Ariste qu’il sait tout, ce qui cause la déconfiture de ce dernier et sa tentative de fuite.
21C’est bien en dernier ressort l’angoisse de la perte, de la dépossession, dont Mauron souligne la force dans les comédies de Plaute qui paraît fonder le renversement d’attitude d’Ariste lequel, prêt à déguerpir pour éviter les quolibets, s’affirme d’un coup plein de dignité à l’annonce que son oncle veut faire casser le mariage, dans un célèbre revirement :
Mélite.
Et dans un tel péril Ariste m’abandonne ?
Ariste.
Non. L’éclat que j’ai craint n’a plus rien qui m’étonne :
Votre péril me rend la noble fermeté
Qui des cœurs vertueux fait la félicité.
Je vais d’un front serein faire tête à l’orage.
Que le public surpris fronde mon mariage,
Que mon oncle irrité me prive de son bien,
On veut nous séparer, je ne ménage rien.
Je vais trouver mon oncle, et moi-même lui dire
Qu’à m’arracher à vous c’est en vain qu’il aspire ;
Et je lui ferai voir, en bravant son courroux,
Que rien n’est à mon cœur si précieux que vous.
Mélite.
Je reconnais Ariste, et n’ai plus rien à craindre.
Mais au premier abord tâchez de vous contraindre,
Et souffrez tout le feu du premier mouvement.
Ariste.
C’est mon dessein. Allez à votre appartement,
Et ne paraissez plus qu’on ne vous avertisse21.
22On voit combien à ce moment Ariste est sûr de lui, et clame à tous vents sa volonté de faire céder oncle et père. Or, si Mélite est rassurée, non seulement elle l’engage à laisser d’abord parler l’oncle, mais en outre c’est en réalité elle qui obtiendra tout22. Lors de la scène de confrontation « aux pères », la didascalie « à Lisimon » indique combien Ariste cherche essentiellement le soutien de son père sans « braver le courroux » de Géronte ; en outre, lorsqu’il s’adresse à lui ce n’est pas en première personne, pour affirmer sa volonté ni son désir ; au contraire, la deuxième personne met en scène l’oncle pour l’amadouer et susciter sa compassion devant le portrait engageant d’une femme capable de désarmer tous les hommes :
[…]
Si vous connaissiez bien celle que je défends,
Loin de vouloir, mon oncle, armer la loi contre elle,
Vous-même vous seriez son défenseur fidèle.
Aussitôt qu’on la voit, tout parle en sa faveur,
Ses traits, sa modestie, et surtout sa douceur23.
23C’est ainsi que nous rejoignons ici encore Charles Mauron, qui rapproche « angoisse d’abandon » et « vantardise » (« fanfaronnade ») :
Enfin l’angoisse d’abandon est compensée par des fantaisies de triomphe spécifiques. Celles-ci peuvent se mêler aux phantasmes recouvrant l’angoisse du conflit œdipien, mais il faut les en discerner, parce qu’elles nourrissent un comique distinct. Les principales formes d’un tel triomphe illusoire sont le mensonge à soi-même, la vantardise, le souci exagéré des biens, du prestige, du corps. Les images traditionnelles du parasite et du fanfaron recouvrent déjà, nous l’avons dit, deux angoisses narcissiques : la peur d’être abandonné par la mère, source de nourriture, et l’humiliation d’une défaite24.
24Et en effet, le leitmotiv de la peur de la « défaite » traverse autant cette comédie que celui de la prétention, fondé sur la crainte narcissique d’être « tympanisé » par le public. Même Jean Seroy et Michel Gilot soulignent le narcissisme dont fait preuve le philosophe dans sa présentation initiale de soi25. La définition que donne ensuite Ariste de la philosophie souligne l’écart qui l’en sépare et qui s’avère d’autant plus drôle qu’on reconnaîtrait davantage son portrait au miroir coléreux tracé par Géronte, que dans sa propre description exaltée :
Géronte.[…]
Qu’est-ce qu’un philosophe ? Un fou, dont le langage
N’est qu’un tissu confus de faux raisonnements ;
Un esprit de travers, qui, par ses arguments,
Prétend, en plein midi, faire voir des étoiles ;
Toujours, après l’erreur, courant à pleines voiles,
Quand il croit follement suivre la vérité ;
Un bavard, inutile à la société,
Coiffé d’opinions, et gonflé d’hyperboles,
Et qui, vide de sens, n’abonde qu’en paroles.
Ariste.
Modérez, s’il vous plaît, cette injuste fureur :
Vous êtes je le vois, dans la commune erreur ;
Vous peignez un pédant, et non un philosophe.
Géronte.
Mais je les crois tous deux taillés en même étoffe.
Ariste.
Non, la philosophie est sobre en ses discours,
Et croit que les meilleurs sont toujours les plus courts ;
Que de la vérité l’on atteint l’excellence
Par la réflexion et le profond silence.
Le but d’un philosophe est de si bien agir,
Que de ses actions il n’ait point à rougir.
Il ne tend qu’à pouvoir se maîtriser soi-même :
C’est là qu’il met sa gloire et son bonheur suprêmes.
Sans vouloir imposer par ses opinions,
Il ne parle jamais que par ses actions26.
25Le « silence » d’Ariste est en effet mensonge, désir de dérober une vérité dangereuse pour son amour-propre ; ses « actions » sont marquées par la fuite, qu’il s’agisse d’éviter les commentaires du monde, ou de partir ensuite « dans un séjour tranquille27 » ; enfin, la « maîtrise de soi » et les « actions » menées relèvent, par le biais de la mise en abîme, du désir de ne jamais affronter directement la vérité.
26Le comique naît, ici, de la vérité qui perce à travers la confrontation entre le neveu et l’oncle. Lisette, déjà, raillait franchement les contradictions d’Ariste, qui se dit philosophe et s’affirme « ambitieux », cherchant à préserver l’héritage. Ensuite, suppliant son père de l’aider Ariste reconnaît sans pouvoir la justifier aucunement, la « bizarrerie » de son attitude et l’impossibilité de s’en départir28. Répétons-le : point de vérité, de maîtrise de soi, d’exemple par l’action. Cherchant à fuir lorsque son secret est découvert, il avoue lui-même qu’il ne sait si c’est « folie ou sagesse29 ». Ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’Ariste est toujours le premier à reconnaître l’écart qui le sépare de la philosophie, tenant ainsi sur lui-même des discours antithétiques, philosophe dans l’intimité, néophyte en présence d’autrui. À son oncle déjà il avouait son impuissance :
Ariste.
[…]
Humble dans le bonheur, grand dans l’adversité,
Dans la seule vertu trouvant la volupté,
Faisant d’un doux loisir ses plus chères délices,
Plaignant les vicieux et détestant les vices :
Voilà le philosophe ; et s’il n’est ainsi fait,
Il usurpe un beau titre en n’en a pas l’effet.
Géronte.
Êtes-vous fait ainsi ?
Ariste.
Non : mais j’aspire à l’être.
Lisimon.
Mon fils gagne toujours à se faire connaître :
Il est donc philosophe, ainsi que je disais30.
[…]
27Notons ici qu’Ariste est pris entre deux regards portés sur lui : celui de son père, qui le considère comme un « philosophe », sans du reste en avoir la moindre preuve ; celui de son oncle, qui le prend pour un « fou » et un « pédant ». C’est à l’entrecroisement de ces deux jugements que la vérité est à chercher ; on a là la preuve, sans doute, que l’identité personnelle est insituable, née de l’intersubjectivité et de l’expérience.
28Si l’on en revient par ailleurs à la théâtralité de la pièce, au sujet de laquelle nous avons constaté qu’Ariste, jouant le rôle d’un simple ami, devient témoin et spectateur farcesque des amours de sa femme, on peut également en conclure, en rapprochant l’analyse de celle de David Trott au sujet de Marivaux31, que si, selon la structure du « double registre » (Rousset), Ariste progresse sous le regard de « personnages-spectateurs », il est aussi, et surtout, spectateur de sa propre évolution. C’est même là ce qui, selon nous, fait véritablement sa grandeur et sa force et qui justifie l’assertion de Michèle Bokobza-Kahan, selon qui Ariste évolue vers une meilleure « connaissance de soi-même ».
29Malgré tout, cette connaissance, sujette à caution, nous paraît davantage devoir s’assimiler, en dernier ressort, à une reconnaissance de sa vacuité philosophique qu’à une véritable appréhension de son être. Après s’être défini comme souverain (« Ma retraite est mon Louvre, et j’y commande en roi. »), Ariste avait dès la scène d’exposition rappelé la faiblesse de la philosophie devant l’amour et mis en évidence par conséquent le déchirement interne qui l’habitait, ainsi que les limites de sa souveraineté32, réduisant l’imitation stoïcienne à une parodie : car qu’est-ce qu’un stoïcien qui ne règne sur ses passions que seul avec soi et dans la mesure où il n’est aucunement confronté à l’autre ? Relisant le monologue initial, nous pouvons alors le comprendre comme la revendication philosophique de l’homme pascalien, qui voulant faire l’ange fait la bête et qui, déchiré par des passions antagoniques, pris entre le désir d’aimer l’autre et celui de s’aimer soi-même, fait l’expérience d’un moi instable, mouvant. Ainsi, lorsque son ami Damon cherche à le dissuader de fuir, en s’appuyant sur l’exemple des stoïciens, Ariste se dissocie nettement de ce noble modèle :
Damon.
Quoi ! cet esprit nourri de la sagesse antique,
Se perd quand il s’agit de la mettre en pratique ?
Ariste.
Je vous l’ai dit souvent : les sages autrefois,
De la seule vertu reconnaissant les lois,
Loin de fuir la douleur comme un affreux supplice,
Non contents de la vaincre, en faisaient leur délice.
Les plus sanglants affronts, les plus cruels mépris,
Ne pouvaient un instant ébranler les esprits.
Immobiles rochers, ils défiaient l’orage ;
J’admire leur exemple, et n’ai pas leur courage33.
30Défini par « l’admiration », qui le jette hors de lui, Ariste avoue son propre néant. Pourtant, cette vacuité va trouver à se remplir, soudainement, lorsque sa femme lui demande de ne pas la laisser seule, devant la menace faite par l’oncle de casser le mariage, et la question pressante de Mélite, déjà évoquée :
Mélite.
Et dans un tel péril Ariste m’abandonne ?
Ariste.
Non. L’écart que j’ai craint n’a plus rien qui m’étonne :
Votre péril me rend la noble fermeté
Qui des cœurs vertueux fait la félicité34.
[…]
31Le phénomène qui se produit ici et qui nous paraît expliquer la naissance d’une force d’âme inattendue de la part d’un Ariste si prompt à fuir, nous paraît se fonder sur la compassion, qui à compter de ce moment affecte chaque individu au point que Céliante elle-même n’y échappe pas, et déclare à la scène suivante : « L’état où je les vois me fait compassion./ Malgré moi je prends part à leur affliction./Il faut que je sois folle35. [… »
32Nous avons affaire, dans cette réaction d’Ariste à la dépossession absolue dont est menacée Mélite, à une véritable réaction cathartique : la représentation du dépouillement de l’autre (Mélite), conduit Ariste, privé jusque-là de toute force morale, à « devenir autre que soi », c’est-à-dire véritablement philosophe. Or, Martin Rueff souligne la parenté profonde entre compassion et « catharsis théâtrale » au siècle des Lumières :
La compassion sera pensée sur le modèle de la catharsis théâtrale que les Lumières n’auront cessé d’interroger, en faisant même le lieu privilégié d’une interrogation sur l’identité personnelle. Il y a là un paradoxe métaphysique, une énigme morale et une affaire de mœurs.
Que la modernité des Modernes soit affaire d’imitation, de mimesis, la question n’est pas seulement esthétique : elle ne l’est même qu’en dernier lieu, tant il est vrai qu’elle est d’abord métaphysique et morale. Le paradoxe sur le comédien acquiert ici valeur de modèle : pour tout imiter, il faut n’être rien par soi-même. À la question de la Marianne de Marivaux « comment être soi quand on n’est personne ? », Diderot répond en formulant la loi d’impropriété selon laquelle pour être bon à tout, il faut n’être propre à rien. […] Ce paradoxe métaphysique porte à la limite toute enquête sur une nature humaine et se décline selon trois figures : l’être hors de soi, la propulsion dans un autre monde, le devenir autre que soi. Paradoxe donc, si ces états seconds sont l’état premier du sujet. Énigme morale ensuite qui fait du théâtre non l’occasion mais la structure même de l’expérience morale. Affaire de mœurs enfin qui porte très haut l’exigence de l’artiste qui doit les informer36.
33Le sujet émerge, en conséquence, au moment de cette expérience qui le pousse « hors de soi », « dans un autre monde » et la proclamation de cette nouvelle identité est un véritable acte de naissance de l’homme sage, capable désormais de faire passer les intérêts d’autrui avant les siens propres. Seule l’expérience de la dépossession totale de sa femme rend Ariste à lui-même par le double travail de la compassion et du spectacle du malheur de l’autre. On mesure, en ce cas, l’enjeu de l’autoréférentialité, ou de la mise en abyme dans le théâtre de Destouches, qui acquiert une tout autre portée à la lumière de cette lecture.
34Si le théâtre peut être considéré comme « la structure même de l’expérience morale » en tant qu’il procure au spectateur cette « propulsion dans un autre monde » nécessaire au devenir-sujet, alors il est possible d’affirmer que la représentation offerte par un Ariste masqué, cachant son mariage et qui fait de lui le spectateur des amours de sa femme, est aussi et surtout le lieu et la structure à la faveur desquels peut se constituer le sujet.
35S’identifiant au marquis amoureux de sa femme, le mari honteux, qui voit jouer son rôle par l’autre, acquiert peu à peu son identité de philosophe (« d’homme maître de soi ») au fil des représentations qui lui donnent à voir « l’autre monde » auquel il aspire, celui dans lequel un mari pourrait déclarer à voix haute et sans honte son amour pour sa femme. Le travail de la « compassion » fait ainsi forcément retour, d’ailleurs, dans la relation d’Ariste qui déclare in fine au marquis :
Ariste.
[…]
Vous voulez l’épouser. Je vous jure d’honneur
Que, si cela se peut, j’y consens de bon cœur.
Mais je connais Mélite ; et si quelqu’un possède
Son estime et son cœur, vous souffrez sans remède,
À moins que, résolu de n’aimer plus en vain,
Vous n’offriez ailleurs vos vœux et votre main.
Vous ne pourriez mieux faire, à vous parler sans feindre ;
Croyez-en un ami qui ne peut que vous plaindre37.
36Et Martin Rueff souligne assez combien la compassion est à relier à la construction de l’identité personnelle. Mais il faudra, de la compassion qui anime Ariste envers le marquis, à celle qui l’ébranle définitivement devant sa femme, une différence énorme de degré pour qu’advienne cette nouvelle identité, ce positionnement du « moi face à l’autre » qui fait d’Ariste un homme neuf.
Notes de bas de page
1 Rappelons que Le Philosophe marié consacre le succès de Destouches, que plusieurs, dont Fréron, considèrent comme une représentation de sa propre vie : « Nous voici à la pièce victorieuse de M. Destouches, Le Philosophe marié, c’est-à-dire son historie mise au théâtre le 15 février 1727. Il y a peint sa femme dans Mélite, sa belle-sœur dans Céliante, l’amant de cette dernière dans le rôle de Damon, dans Lisimon son père respectable, et lui-même dans Ariste. Caractères, action, style, excellent comique, la nature même et la vérité ; c’est sous ces traits qu’on doit envisager cette comédie. Il n’y a point de rôles inutiles ; ils sont tous intéressants pour le fond et par la manière dont ils sont rendus. Il fallait que monsieur Destouches eût dans son imagination bien des ressources pour tirer cinq Actes d’un pareil sujet, Le Philosophe marié étant un ridicule qui fournissait tout au plus une scène ou deux. Le caractère de Céliante est neuf ; il étincelle de saillies ; Mélite sait se faire aimer et estimer ; et Céliante plaît et séduit. Il n’y a pas jusqu’à Finette qui ne fasse au spectateur un plaisir singulier. La situation d’Ariste obligé d’entendre la confidence du marquis du Lauret amoureux de sa femme, et même de le servir auprès d’elle en apparence, est tout à fait neuve et comparable aux coups de théâtre les plus heureux. Le rôle de Lisimon est noble, honnête, touchant ; celui de Géronte, oncle du Philosophe marié, respire la bonne nature, comme disent les Anglais. Le portrait du philosophe est admirable dans sa bouche. » L’Année Littéraire, op. cit., p. 161-162.
2 Le Philosophe marié, Œuvres de N. Destouches, tome second, Paris, Tenré libraire, Paris, 1820, I, II, p. 8-9.
3 En I, iii, notamment.
4 I, i, p. 4.
5 I, i, p. 3
6 « Mutations culturelles et construction du personnage du philosophe chez Destouches », art. cit., p. 86 : « Ariste, seul, en « robe-de chambre », révèle avant Diderot un intérêt pour l’ensemble des signes iconiques de la représentation théâtrale, le décor et les costumes, les déplacements des personnages et leurs attitudes gestuelles. Une esthétique du tableau prend forme, qui produit un effet de réel et contribue à la matérialisation de l’espace du philosophe. Un espace qui s’élargit avec le mariage. Ce mariage qu’Ariste préfère garder secret pour des raisons d’héritage et d’amour-propre ne sert que de prétexte au développement du personnage du philosophe qui, à travers une série d’expériences, acquiert peu à peu une connaissance de soi-même qui est la pierre de touche de l’esprit philosophique du moraliste. De fait, le philosophe qui construit sa morale à partir de l’intellect n’est qu’un demi-philosophe, le reste du chemin doit se faire au sein de la société. »
7 Cailhava ne voit d’ailleurs pas l’intérêt d’avoir ajouté, dans cette comédie, au « caractère principal » un tel « caractère accessoire » : « Il est une manière bien précieuse de doubler, de tripler la force d’un caractère principal, l’Auteur, pour y réussir, doit d’abord avoir fait une étude particulière de l’homme. Il doit ensuite bien réfléchir sur le vice, le travers ou le ridicule qu’il veut peindre ; en connaître toutes les nuances, et donner pour épisode au caractère principal les caractères accessoires qui en dérivent. [...] Cette réflexion une fois faite, bien des gens penseront qu’il est très aisé de la mettre en pratique ; la chose doit pourtant avoir ses difficultés puisque des auteurs d’un vrai mérite et qui ont uni des caractères accessoires à des caractères principaux, ont eu rarement l’adresse de leur assortir ceux qui leur étaient propres. N’ai-je pas fait remarquer que Destouches dans son Philosophe marié ou son Mari honteux de l’être avait uni à la philosophie, principe de toute sagesse, le préjugé le plus ridicule ? » L’Art de la comédie, chapitre 25, « De l’art de renforcer, d’approfondir, d’épuiser un caractère principal », op. cit., p. 113. Il insiste également sur le fait qu’une telle étude de caractère la « resserre » : « Après avoir parlé des caractères qu’on compose dans la fausse idée de doubler leur force, il est à propos de dire quelque chose sur ceux qu’on décompose en les resserrant, et en se resserrant soi-même, dans des bornes plus étroites que celles qu’il sprésentent d’abord : tel est le caractère du Philosophe marié. Le titre de Philosophe me fait naître une foule d’idées, le mot marié qu’on y ajoute, met tout de suite mon imagination à l’étroit. L’auteur, me dira-t-on, a voulu peindre seulement un Philosophe placé dans la situation qu’il vous indique. À la bonne heure : mais je n’aime pas un auteur qui se resserre, qui s’emprisonne volontairement ; il faut voir un caractère en grand, saisir toutes les situations qu’il peut amener, et ne pas se borner à une seule, surtout quand on a l’ambition de faire cinq actes. » Ibid., p. 106.
8 I, vi, p. 19.
9 I, vi, p. 19.
10 I, vii, p. 24.
11 P. 57-58.
12 Cf. C. Mauron, Psychocritique du genre comique, Paris, Corti, 1985, p. 60 sq.
13 III, iii, p. 60.
14 Un œil en trop. Le complexe d’Œdipe dans la tragédie, Paris, Éditions de Minuit, 1969, p. 145 : « Nous croyons que les discussions sans fin sur la part respective d’Othello et de Iago dans la jalousie et dans l’issue tragique ne peuvent recevoir de solution que si l’on admet l’identité d’Othello et de Iago. Othello et Iago sont les deux faces d’un seul personnage. Aussi Shakespeare fait-il tout pour nous les présenter aussi dissemblables que possible, unis par la différence même qu’ils constituent ensemble. Tout les oppose comme le jour et la nuit. »
15 Ce qui permettrait de suggérer un lien direct entre ces « deux intrigues » que Cailhava trouve un peu étrangères l’une à l’autre, pur artifice du dramaturge ayant commencé une comédie là où elles ont eu coutume de finir : « Je ne prétends pas décourager les jeunes auteurs, qui, piqués de la noble émulation de se signaler, voudraient prendre une action à son dernier moment ; au contraire, ils feront très bien, et je les y exhorte, s’ils se sentent assez de ressources dans l’esprit pour féconder le peu de matière qui leur reste, et pour remplir leur tâche sans secours étranger. C’est le moyen le plus sûr pour surprendre les connaisseurs, et captiver leur suffrage ; mais je dois leur représenter en même temps que nos plus grands maîtres ont échoué lorsqu’ils ont poussé la témérité trop loin. Examinons de sang-froid toutes les pièces dont l’action ne commence qu’après la fin ordinaire des autres, c’est-à-dire, après le mariage des principaux personnages. Point de milieu, elles sont toutes un peu lestes, comme Georges Dandin, et Amphytrion ; ou bien l’Auteur a été obligé d’appeler à son secours des personnages étrangers, et de se sauver par une double intrigue, comme Destouches dans Le Philosophe marié, et La Chaussée, dans Le Préjugé à la mode. » De l’Art de la comédie, chapitre 31, « Du point où doit commencer l’action d’une fable comique », op. cit., p. 165-166.
16 G. Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du xvii e siècle, Genève, Droz 1981, p. 169.
17 III, iii, p. 61
18 III, iii, p. 65.
19 Cf. C. Mauron, Psychocritique du genre comique, op. cit., p. 61. Voir aussi p. 76 : « Sous couvert d’une intrigue dont le mélange de sens et de non-sens est attribué aux circonstances, (ce qui supprime ou diminue la culpabilité), le principe de plaisir, incarné par les amoureux affirme son droit de berner le principe de réalité. Car c’est bien ce dernier que le barbon représente. »
20 II, ix, p. 106.
21 V, v, p. 116.
22 V, ix, p. 128. Mélite adopte des arguments très féminins, incluant la possible posture de la suppliante. Allant même jusqu’à se soumettre au choix de Géronte, elle flatte sa « face positive » de telle sorte que le résultat soit forcément concluant :
« Pour vous fléchir, Monsieur, je n’ai point d’autres armes
Que ma soumission, mes soupirs et mes larmes.
Confirmez mon bonheur. Pour l’obtenir de vous,
Je ne rougirai point d’embrasser vos genoux.
Mais si je presse en vain, si votre aigreur subsiste,
Je ne veux point causer l’infortune d’Ariste.
En brisant nos liens, rendez-lui votre cœur ;
Un couvent cachera ma honte et ma douleur.
Géronte, attendri.
Qui pourrait résister à sa voix de sirène ?
Ma nièce, levez-vous. […] »
23 V, viii, p. 124.
24 Op. cit., p. 102.
25 La comédie à l’âge classique, op. cit., p. 303.
26 IV, iii, p. 91-92.
27 V, iv, p. 114.
28 IV, iv, p. 96.
29 V, i, p. 108.
30 IV, iii, p. 92.
31 Ce qui revient encore à insister sur la parenté entre les deux dramaturges. Citons ici David Trott, Théâtre du xviii e siècle, Éditions Espaces 34, p. 208 : « Alors que Marivaux n’inventa pas la batterie de procédés conventionnels associés à la théâtralité, sa combinatoire de moyens pour aiguiser la conscience du jeu mena cette qualité à un degré rare de perfection. Qu’il s’agisse de feintes, de rôles, de déguisements, de stratagèmes ou d’intrigues, ses pièces (surtout celles qu’il fit pour les italiens) reviennent constamment à l’écart des niveaux de conscience qui séparent des « personnages-spectateurs » de ceux que ces derniers observent. Cette disposition qui semble caractériser toute l’œuvre marivaudienne est à la base de ce que J. Rousset a identifié comme “la structure du double registre”. »
32 « Marié ! C’est en vain que l’on se fortifie,
par le grave secours de la philosophie,
Contre un sexe charmant que l’on voudrait braver :
Au sein de la sagesse il sait nous captiver. » I, i, p. 4.
33 V, i, p. 109.
34 V, v, p. 115-116.
35 V, vi, p. 116.
36 « Morale et mœurs », art. cit., p. 855-856.
37 III, iii, p. 65.
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