Le romance au cœur des jeux poétiques courtois
p. 217-235
Texte intégral
1Les figures utilisées, au service d’une thématique parfois uniformisée par le biais de la réécriture d’un texte plus ancien, conduisent à classer les romances au rang des formes poétiques savantes. D’autres manifestations poétiques courtisanes confirment la pleine intégration de la forme dans la mémoire collective des classes les plus aisées. Les jeux poétiques font partie de la vie de cour. C’est la place que les romances y prennent que nous allons maintenant examiner, afin de déterminer s’ils figurent comme forme savante à part entière ou comme élément populaire que les hommes de lettres introduisent par goût du contraste, d’un certain exotisme. Nous étudierons en particulier les sátiras de disparates et ensaladas. Il conviendra également de mesurer l’importance des envois et des gloses qui accompagnent les romances et qui – dans le cas des gloses – s’y substituent parfois. Ces pièces ne sont généralement pas prises en compte au moment d’étudier le Romancero viejo. Il convient pourtant de s’interroger sur leur présence et sur leur rôle dans la caractérisation des premiers textes romanceriles.
2« De par son caractère aulique, la poésie cancioneril, poésie de cour, réalise d’abord une certaine manière d’être ensemble : la poésie fait partie du spectacle, des divertissements d’une cour qui se passe difficilement de poésie, tout comme cette poésie ne peut se passer de la cour1 ». À quel titre les romances y sont-ils intégrés2 ? On peut se demander s’il s’agit de formes poétiques pratiquées à la cour et dont la transcription par les poètes qui y vivent est en quelque sorte naturelle et simple, ou s’il faut envisager l’adoption par les courtisans d’une forme d’expression poétique issue d’une autre couche de la société. Il faudrait voir là un phénomène du même type que celui que Margit Frenk Alatorre a décrit au sujet de la canción populaire : « a nosotros hoy, que conocemos las canciones de Lope de Vega, de García Lorca o Alberti, nos puede parecer natural ese aprovechamiento de la canción popular. Pero pensemos en lo que significó en pleno siglo XIII y en un ambiente cortesano3 ». Nous avons pu remarquer précédemment que l’usage de parallélismes et de reprises dans certains romances peut être rattaché à une tradition propre à la lyrique populaire. Le contact entre les différents groupes sociaux est assuré au xvie siècle par la vie commune dans les châteaux et par les jongleurs qui, à l’exception de quelques-uns qui ne sont attachés qu’à une personne ou qu’à une cour, se louent tantôt à des nobles, tantôt à une ville. La circulation des compositions de type populaire pouvait donc parvenir jusqu’aux milieux les plus favorisés. Un détail cependant nous rend réticente au moment d’accueillir cette théorie : tous les poètes de cour qui ont produit des pièces poétiques évoquent la versification particulière des romances comme un trait de composition des anciens et non comme une marque du caractère poétique populaire. Il faut imaginer que ces tours poétiques que nous associons à des pratiques populaires peuvent fort bien être nés de la plume d’un lettré de la Renaissance4.
3En effet, le public nobiliaire n’est pas passif. Il est tout d’abord un destinataire privilégié des pièces poétiques, qui entrent dans sa formation5. Dès les Partidas d’Alfonso el Sabio, il est recommandé aux nobles non seulement d’écouter les compositions poétiques mais aussi d’apprécier la musique qui les accompagne ou l’air sur lequel elles sont chantées. Les romances sont cités au nombre des passe-temps agréables. Même si nous pouvons ici conserver un doute sur le sens à donner au terme associé à hestorias, il n’en reste pas moins que les cantares mentionnés plus haut dans le texte peuvent eux aussi dissimuler des romances6. Ceux qui interprètent la poésie chargée de distraire le roi et sa cour ne sont pas seulement des jongleurs. Comme le rappelle Aurélia Leyva, les hommes de cour font partie des exécutants7. Ils composent, entendent et participent activement à l’élaboration poétique, comme en témoigne Alonso de Baena lorsqu’il parle de l’agrément de la poésie :
Es dulçe e muy agradable a todos los oponientes y respondientes d’ella e componedores e oyentes8.
4La pratique de véritables cours littéraires dans lesquelles les nobles comme les poètes rivalisent de talent est attestée. Enrique de Villena donne une description très détaillée de la joute poétique organisée chaque année à Barcelone après la fondation du consistorio de la gaya sciençia :
E luego uno de los vergueros dezía que los trobadores allí congregados espandiesen y publicasen las obras que tienen fechas de la materia a ellos asignada. E luego levantávase cada uno e leía la obra que tenía fecha en boz intelligible. E traíanlas escritas en papeles damasquines de diversos colores, con letra de oro e de plata e illuminaduras fermosas, lo mejor que cada uno podía. E desque todas eran publicadas, cada uno la presentava al escrivano del consistorio […]. E leídas puntualmente por el escrivano, cada uno d’ellos apuntava los viçios en ella contenidos […]. E todas así requeridas, a la que era fallada sin viçios o a la que tenía menos, era judgada la joya por los votos del consistorio 9
5Il s’agit là d’une survivance des assemblées poétiques des troubadours provençaux. D’autres témoignages manifestent l’existence de semblables joutes en dehors de toute référence au gai savoir. Nancy F. Marino signale ainsi en 1532 un concours poétique organisé à Valence en l’honneur de l’immaculée Conception sous le patronage du duc de Calabre et de son épouse Germaine de Foix10. Les Grands sont au centre de l’organisation de débats poétiques. D’autre part, comme nous l’avons évoqué plus haut, les nobles sont aussi les acteurs de duels de poésie plus informels, comme ceux que reproduit El Cortesano de Luis Milán dans lequel les nobles se querellent et se répondent par l’intermédiaire de pièces versifiées11. Il faut faire la part de l’idéalisation, mais il n’en reste pas moins que le souci des courtisans est de se peindre comme des familiers de la poésie.
6Le romance apparaît comme jeu de cour à double sens même au-delà de ces premiers textes des chansonniers manuscrits. Charles Vincent Aubrun a consacré un article à trois d’entre eux : il s’agit des aventures du Marquis de Mantoue « De mantua salió el marques » (CI-1547-2), « De mantua salen apriessa » (CI-1547-3) et « En el nombre de Iesus » (CI-1547-4) racontées tout au long des mille cinq cent vingt-deux vers répartis entre les trois textes. Ils n’ont pas été édités avant le Cancionero de Romances, si ce n’est à travers des pliegos sueltos, mais C. V. Aubrun note qu’ils peuvent difficilement avoir été composés après 1520 car Charles V fit duc le marquis de Mantoue cette année-là. Le romance correspond selon lui à un jeu de rôle dans lequel chaque personnage doit être interprété par un membre de la cour. Il présente des épisodes découpés comme des scènes théâtrales et la multiplication des passages de lamentations ne peut qu’évoquer les effets du drame. Le mélange de noms de personnages historiques ou légendaires liés à des époques et à des aires géographiques différentes confirme la nature ludique de ces textes où le Marquis est associé à Ogier le Danois12. L’hypothèse de C. V. Aubrun trouve une confirmation dans El Cortesano de Luis Milán. Ce dernier, à la demande des dames de la cour, compose une série de romances qui devront être récités et joués devant le duc de Calabre par des personnes masquées13. Ce jeu sur les romances est présenté comme un divertissement noble qui reconstitue les grands épisodes de la guerre de Troie, utilisée comme prétexte à une débauche de costumes plus brillants les uns que les autres14 et à une démonstration du talent du poète.
7D’autres manifestations poétiques collectives utilisent des romances. C’est le cas du jeu rimé de Pinar reproduit dans le Cancionero General d Hernando del Castillo15. Le titre de la pièce annonce qu’il s’agit d’un jeu dont les cartes sont remplacées par des copias que les dames de la reine devront chanter tour à tour. Le terme regroupe en lait des textes de natures différentes, parmi lesquels Pinar désigne des cantares, des canciones et des romances. Nous retrouvons dans ce cas la même apparente confusion des termes qui tend en fait à donner une unité à l’ensemble. La date présumée du jeu peut être déduite des personnages qui y participent. La princesse du Portugal – veuve en 1491 du prince du Portugal – n’est pas encore désignée comme la femme du roi don Manuel qu’elle épouse en 1497. Doña Juana n’a pas encore rejoint l’archiduc qu’elle ne retrouve qu’en 1496, un an après son mariage. Le jeu a donc probablement eu lieu en 1495. Plusieurs textes de romances sont proposés aux dames sur les cartes qui portent chacune le titre d’une composition poétique. Ils sont groupés puisque les neuf dernières pièces poétiques du jeu sont des romances. Ils représentent plus du quart des pièces choisies, ce qui manifeste à la fin du xve leur parfaite intégration dans le domaine courtisan. Comme pour les autres pièces poétiques, seul le premier vers est cité, ce qui suppose que les textes étaient connus dans leur intégralité. Un proverbe et des mots clefs leur sont associés. Leur traitement est donc celui d’une forme poétique savante à part entière, mise en équivalence avec les canciones.
Les romances cités dans des ensaladas et autres compositions ludiques
8Les romances apparaissent également dans des jeux poétiques où ils ne figurent que sous forme de citations. Il ne s’agit pas dans ce cas d’un recours à une quelconque autorité représentée par les romances mais de l’appropriation d’un texte considéré comme appartenant au domaine commun16. On peut imaginer une élaboration à plusieurs, sur le modèle d’une joute comparable à celle qui est décrite dès l’Antiquité par Athénée de Naucratis :
Answering the first guest who recited an epic or iambic line, each one in turn capped it with the next verse ; or, if one recited the gist of a passage, another answered with one from some other poet to show that he had spoken to the same effect ; further, each in turn would recite an iambic verse. In addition to this, each in turn would recite a metrical line containing, as many syllables as were prescribed, or as many as kept to the correct theory of letters and syllables 17 .
9Il y a là la trace d’un jeu qui utilise la mémoire poétique de chacun afin d’élaborer une nouvelle série versifiée. Sans remonter si loin, J. Battesti Pélegrin rappelle qu’il serait grave d’oublier la dimension ludique et collective de la composition de certaines pièces poétiques18. Elle pense tout particulièrement aux preguntas y respuestas très nombreuses dans les chansonniers. On peut y ajouter d’autres formes moins cérébrales dans lesquelles l’improvisation semble tenir une place importante. Ce qui caractérise le poète de cour, c’est une capacité à citer d’autres textes, à les utiliser et à les combiner. Comme le rappelle Victor Infantes, le courtisan qui compose de la poésie est d’abord un lecteur19. Il faudrait ajouter qu’il est aussi un auditeur particulier, dont la mémoire est au service de l’inspiration et du jeu. Indirectement, les textes dont les vers sont utilisés permettent d’en déduire la popularité. Il arrive même que l’on découvre ainsi l’existence de textes par ailleurs perdus20.
10Quelques textes ont conservé trace de ces jeux fondés sur la citation de vers de romances : il s’agit des ensaladas, disparates ou disbarates ou encore glosa peregrina. « Allí donde crece la letra, crece la cita », n’hésite pas à déclarer Víctor Infantes21. C’est bien le cas des textes ludiques dans lesquels apparaissent au détour des copias des vers romanceriles. Giuliana Piacentini s’est intéressée aux pratiques de l’ensalada et de ses variantes dans le but d’identifier les romances utilisés et de dresser en quelque sorte le palmarès des textes les plus souvent cités et donc logiquement des plus ancrés dans la mémoire de celui qui improvise ou qui compose22. Elle étudie treize compositions dont les dates s’échelonnent entre 1500 et 1600. Pour la période qui nous intéresse, nous relevons une sátira de disparates que G. Piacentini ne prend pas en considération – sans doute parce qu elle appartient à un recueil manuscrit – deux disparates, un chiste, une œuvre intitulée disbarates deux ensaladas et une glosa peregrina. Il n’est pas indifférent de remarquer que six d’entre eux sont publiés dans des pliegos sue/tos, ce qui représente une majorité23. L’aspect ludique est souligné dans le titre. Le nombre de romances auxquels sont empruntés des vers est variable.
11Si l’on compare le nombre de vers de romances utilisés avec celui des occurrences de romances identifiés, l’on s’aperçoit que l’auteur reproduit de un à quatre vers à chaque apparition. La pratique la plus courante est la reprise de distiques, qui se rapproche de la technique de la glose24. La sátira de disparates l’illustre pleinement, dans la mesure où c’est un seul romance qui est majoritairement repris. Dans « El conde partinuples » (CM-XV-XVI-2), on retrouve avec une grande régularité à la fin des copias deux vers du même romance « O belerma : o belerma » (CI-1547-120) ; les apparitions de personnages ou de vers empruntés à d’autres textes ne sont que ponctuelles. Cependant, nous pouvons remarquer une certaine liberté dans l’ordre des vers glosés. Les seize premiers respectent l’ordre du romance, mais ce n’est pas le cas dans la suite, puisque la glose des vers 17-18 est intercalée entre celle des vers 21-22 et celle des vers 23-26. De plus, le poète prend des libertés avec l’association en distiques. Le vers 27 de l’original est groupé avec le 34 et le vers 40 avec le 32. On peut également noter que seuls vingt-six vers sont empruntés à un romance dont nous conservons une version de quarante-quatre. La sâtira de disparates se présente donc comme une glose débridée25, une version ludique d’un exercice ordinairement plus figé.
12Les disparates écrits disbarates de Gabriel de Sarauia procèdent différemment, puisque jamais plus d’un distique d’un même romance n’est utilisé. On note ainsi que G. de Sarauia ne cite pas moins de vingt-quatre romances dans sa composition. Il en utilise par ailleurs très souvent l’incipit, qui vient logiquement tout d’abord à l’esprit, surtout lorsqu’il s’agit de textes très longs comme les romances d’inspiration carolingienne majoritairement repris. L’ensalada de la collection de Prague procède de façon comparable. Le cbiste de Francisco de Arguello utilise relativement moins de romances puisqu’ils ne sont que six, annoncés dès le titre, mais il en utilise systématiquement les quatre premiers vers. Cela peut sans doute être rapproché de la réalisation musicale de ces textes. En effet, le pliego de Londres indique explicitement dans son titre qu’il s’agit de textes destinés au chant. La glosa peregrina, quant à elle, possède la double originalité d’être très longue et de citer plusieurs lois le même romance dans le cours du texte, ce qui renforce l’effet d’écho si l’on considère que les romances auxquels sont empruntés des vers sont bien souvent les mêmes. On remarque en effet qu’au total de cent vingt-trois occurrences de vers romanceriles dans les compositions considérées ne correspondent que cinquante-huit romances différents. Parmi eux, trente-six ne sont cités qu’une fois, mais vingt-deux sont repris dans plusieurs compositions. Au sommet de ce palmarès apparaissent des textes dont des vers sont utilisés de trois à neuf fois26.
13Si le Cancionero de Hixar n’avait pas conservé la trace d’une composition de ce type, nous pourrions imaginer qu elle est de pratique relativement tardive. En effet, les autres exemples recensés datent de la fin de la première moitié du xvie siècle. Comment l’expliquer, si ce n’est par le caractère éphémère du jeu de cour, conçu pour le divertissement d’un jour et jouant sur les goûts d’un moment ? La mise par écrit ne s’impose pas lorsque l’improvisation domine, et que l’auteur, professionnel ou amateur, puise à loisir dans les textes qui viennent spontanément à sa mémoire et dont son public partage le souvenir. Il serait erroné cependant de limiter la vogue de cette pratique aux seuls cercles courtisans. Nous remarquons qu’une seule composition est recueillie dans un chansonnier de cour, tandis que les autres ont été conservées par des pliegos sueltos27. Le public en est différent. Cela manifeste la perméabilité des différentes couches de la société. Antonia Martinez Pérez a d’ailleurs mis en évidence ce phénomène pour Juan del Encina. Elle rappelle que le poète musicien était essentiellement connu de ses contemporains et de la génération immédiatement postérieure pour les disparates qu’il avait écrits et non pour les autres compositions plus sérieuses28. La musique qui accompagne souvent les pièces comme les ensaladas à la Renaissance n’est sans doute pas étrangère à ce succès29. Comme le remarque Paloma Díaz-Mas, « cuando hablamos de los que el público conocía y apreciaba, no sólo nos referimos a lo que leía sino también a lo que se sabía de memoria, por ejemplo, por haberlo aprendido a cantar30 ».
Les romances glosés
14Les ensaladas, nous l’avons vu, se rapprochent souvent de la pratique de la glose, même si elles se permettent davantage de libertés avec le texte de départ. Cela n’est guère surprenant, puisque la glose constitue le jeu de mémoire le plus représenté dans les chansonniers de cour. Son origine pourtant n’est pas courtisane, mais religieuse : la théologie repose en effet sur la citation et le commentaire31. La mise par écrit de la glose précède souvent celle du romance lui-même dans les chansonniers, comme le rappelle justement Francisco López Estrada32. Le romance apparaît alors davantage comme une forme prétexte pour un exercice rhétorique tel que la glose, que comme un genre pratiqué à part entière. Nous relevons dans le corpus romanceril des chansonniers un total de vingt et une gloses dont certaines sont reprises dans deux à trois compilations avec des variantes. D’autre part, les romances glosés ne sont que vingt-quatre car certains textes sont repris dans plusieurs exercices de plume. Deux gloses développent ainsi le romance dont le premier vers est Durandarte Durandarte33. Leurs premiers vers sont :
El pensamiento penado dont nous conservons une version (CM-1510-16),
Dolor del tiempo perdido repris deux fois34.
15Le romance « Maldita seas ventura » (CM-1510-7) est pour sa part glosé à deux reprises. Les textes sont présents dans notre corpus de textes manuscrits : le premier dans le Cancionero de Rennert « De chica culpa gran pena » (CM-1510-8) avec pour incipit De chica culpa gran pena, le second dans le Cancionero General de 1511 « Partido de mi bevir » (CI-1511-10) avec un incipit différent (Partido de mi vivir). Deux sont également les gloses conservées du romance Tiempo bueno tiempo bueno (CI-1516-11-1). La première suit le texte original dans le Cancioneiro Geral ; la seconde, « O enganosa e inconstante » (CI-sa-II-1), appartient au Cancionero de obras diversas compilé par Velazquez de Mondragon entre 1535 et 1540. On peut en dire autant de Rosafresca rosa fresca (CI-1511-6) dont deux gloses sont parvenues jusqu’à nous : l’une est manuscrite et s’intitule Quandoyo os quise querida (CM-1510-10) et l’autre, Si bay amor que muerte sea, est incluse dans l’édition de 1511 du Cancionero General (CI-1511-28). Un dernier texte suscita trois gloses. Il s’agit de celui connu jusqu’à notre xxe siècle comme Romance delprisionero35. Les premiers vers des trois gloses qu’il inspire sont les suivants :
En mi desdicha se cobra36,
Si de amor libre estuviera37,
Silibres mispensamientos (CI-1517-1).
16Le fait qu’une seule version des autres gloses se soit conservée n’exclut pas la possible existence aux xve et xvie siècles de textes aujourd’hui disparus, sans compter les éventuelles improvisations que personne n’a pris la peine de transcrire.
17Ces gloses romanceriles sont concentrées dans les chansonniers manuscrits et imprimés antérieurs aux premiers cancioneros de romances, desquels elles sont totalement absentes. Les pliegos sueltos où puisent les compilateurs des chansonniers consacrés aux romances avaient pourtant prolongé cette diffusion particulière des romances. Soixante-dix des pliegos comportant des textes romanceriles comptent au moins une nouvelle version d’une glose, voire une glose nouvelle parmi les pièces reproduites. Peut-on voir ici un indice du rôle que la glose a joué dans l’introduction des romances au sein de la poésie de cour ? Observe-t-on un glissement de la thématique comparable à celui que nous avons remarqué lors des réécritures ? Nous relevons à l’origine des gloses treize romances lyriques traditionnels, treize lyriques d’inspiration courtoise, deux historico-légendaires et un historique38. L’inspiration des poètes semble donc utiliser de façon équivalente sources traditionnelles et sources savantes. Il faut cependant remarquer que deux romances courtois donnent lieu à deux gloses et un troisième à trois, tandis qu’un seul romance traditionnel est glosé deux fois. Au niveau des gloses, nous relevons vingt-six textes d’inspiration lyrique courtoise, un historico-légendaire, un historique et un dernier pour lequel on peut hésiter. Il s’agit de la glose de Yo me era mora morayma (CI-1511-24). Le ton et le vocabulaire de la glose sont d’une grande simplicité qui peut laisser perplexe. Aucun des parallélismes de la lyrique traditionnelle n’apparaît et nous ne retrouvons pas non plus les figures favorites de l’inspiration courtoise. Il s’agit là sans doute de l’exception qui confirme la règle : le glossateur a respecté la nature du texte d’origine. Cela n’empêche pourtant pas une écrasante majorité de compositions tendant à utiliser les techniques d’écriture de la poésie de cour pour gloser des textes dont l’inspiration n’est pas au départ ancrée dans la veine amatoria.
18L’exemple de « Con muy crescida agonia » (CI-sa-III-3) est particulièrement éclairant : le romance dont le premier vers est Riberas de Duero arriba est inspiré de l’épisode du défi (riepto) lancé aux habitants de Zamora suite à l’assassinat du roi Sanche III de Castille qui assiégeait la ville39. Les deux personnages cherchent à venger leur honneur sali. Dans la glose est introduit un personnage qui parle à la première personne et que ses errances d’amoureux désespéré conduisent à être témoin de la colère des deux hommes en armes. Le contexte historico-légendaire est évacué pour laisser place à un épisode digne des romans de chevalerie et proche de romances comme « Gritando va el cauallero » (CI-1511-20). Plus nombreux encore sont les exemples de déplacement de thématiques folkloriques – où les éléments naturels sont très présents – vers des représentations métaphoriques ou symboliques plus familières de la poésie des chansonniers. Un exemple : la prison du romance « Que por mayo era por mayo » (CI-1511-25) et le motif folklorique de l’oiseau qui éclaire la vie de l’homme privé de liberté en saluant chaque jour le lever du soleil deviennent dans la glose prison d’amour et oiseau symbolique de l’espérance perdue. Les vers 7 à 9 de « Si libres mis pensamientos » (CI-1517-1) disent ainsi :
Lo que me da mas desmayo
en las carceles de amores
ser perpetuos los dolores40.
19Au-delà de la thématique, c’est à l’insertion des romances dans une forme littéraire bien représentée dans les chansonniers que nous assistons. Nous avions pu remarquer les confusions qui apparaissent parfois entre la versification des copias et celle des romances. Dans le cas des gloses, nous observons une réelle fusion du texte original dans sa glose. Cela se fait parfois au prix de modifications du texte d’origine, comme le note Jesús Antonio Cid : « Para integrar el romance antiguo, que sirve de base, en una nueva estructura métrica, el glosador necesita, muchas veces, forzar los versos para ajustarlos a una estrofa y a una sintaxis nuevas, introduciendo, por ejemplo, nexos gramaticales antes innecesarios41 ». Ces déformations du texte original semblent parfois être causées par le peu de souci que l’auteur a de reprendre un texte supposé connu. Cela semble être le cas de Tapia lorsqu’il glose Fonte frida fontefrida (CI-sa-I-6). Le vers 7 de la glose (CM-1510-8) est en effet :
Fonte frida la fonte frida.
20Le rajout de la provoque une hypermétrie, qui ne semble pas préoccuper l’auteur de la glose. Il fait d’ailleurs suivre ce vers imparfait de points de suspension, invitant son lecteur à compléter lui-même le texte et sans doute, au besoin, à le corriger. À l’inverse, l’auteur de la glose préfère remplacer au vers 8 du romance l’adjectif traydor par malo, qui lui permet de conserver un octosyllabe42. Le vers 21 du romance est celui qui subit la plus grande adaptation. En effet, Tapia change la forme verbale afin de mieux l’intégrer à la glose. Le romance dit ainsi :
Que no quiero auer marido
por que hijos no aya no
no quiero plazer con ellos
ni menos consolacion (v. 19-22)
21La glose le reprend comme suit :
Mas quiero penar sin ellos
mas quiero mi perdicion
que no auerplazer con ellos
ni menos consolacion (v. 44-47).
22Une autre des transformations du texte tout à fait notable est la réduction du texte d’origine. Comme le souligne J. A. Cid, le poète, contraint de gloser chaque vers ou chaque distique dans une strophe, ne peut se permettre de composer une œuvre trop longue. Il est donc parfois amené à sélectionner une partie du texte. Lorsque le romance est court, il est glosé intégralement43.Il est cependant laissé au libre choix du poète de choisir les vers qui lui conviennent. Le cas du romance Durandarte durandarte est éclairant. Les vingt-deux vers réapparaissent dans la glose de Soria qui le suit dans le Cancionero general de 1511. La glose anonyme du même romance transcrite dans le Cancionero de Rennert « El pensamiento penado » (CM-1510-16) ne reprend que les seize premiers vers. Quant à celle du Cancionero manuscrito de Pedro del Pozo « Gran dolor es la memoria » (CM-1547-17), elle ne cite que les vers 1 à 12.
23C’est au niveau du jeu de la métrique que l’insertion du romance dans la glose se fait la plus complète, venant appuyer les transformations du texte qu’imposent parfois la grammaire et la patience des futurs lecteurs ou auditeurs. Les auteurs semblent se préoccuper d’annoncer dans la glose l’assonance – ou, le cas échéant, la consonance – du romance. Le cas de la Glosa del Romance de por aquella Sierra muy alta que fizo diego de Seuilla illustre parfaitement cette tendance. Contrairement aux autres gloses, elle ne présente pas une suite régulière de copias chacune terminée par un ou deux vers du romance44. Bien plus, elle ne possède pas de consonance mais une assonance irrégulière aux vers pairs. Les vers 2, 4 et 6 sont assonancés O-I. Cette assonance disparaît ensuite jusqu’au vers 20 où elle est curieusement seule. Tous les autres vers pairs sont assonancés E-I. Le romance original indiqué dans le titre ne figure pas dans le corpus des vieux romances conservés. Les vers 9-10 de la glose correspondent cependant aux vers 1 -2 de « Reniego de ti amor » (CI-1511-12). Là s’arrête tout rapprochement possible. Il est bien difficile dans ces conditions de retrouver le romance dans la glose et l’on peut voir là un cas de parfaite intégration du texte dans une composition lyrique courtoise.
24Même lorsque la métrique traditionnelle de la glose est respectée, les vers de romances sont parfaitement intégrés dans le texte qui les développe. La glose de Maldita seas ventura présente dans le Cancionero de Rennert45 utilise des rimes complexes qui annoncent l’assonance du romance. Les cinq premiers vers sont consonants ABAAB et sont suivis de cinq autres dont le schéma CDCCD englobe totalement le texte du romance. Les vers 6 et 8 annoncent la consonance du premier vers glosé, tandis que le vers 7 prépare celle du second vers glosé. Les deux vers du romance ferment la strophe. Il est vrai que cette pratique est permise par la nature consonante des rimes du romance d’origine, qui appartient déjà au domaine de la poésie lyrique de cour. On la retrouve cependant dans la glose d’un romance assonancé et traditionnel comme Fonte frida fonte frida. La glose qu’en propose Tapia s’ouvre sur les quatre premiers vers du romance, qui introduisent une assonance croisée I-A aux vers impairs/O-E aux vers pairs. Les deux strophes qui glosent les quatre premiers vers deux à deux respectent cette alternance. Tapia choisit ainsi de quatre vers en quatre vers l’alternance assonancée ou consonante selon les mots rimes du romance. Ce que l’oreille perçoit, c’est une continuité entre la glose et le texte d’origine.
25Dans le cas de la glose d’un texte proche de l’inspiration traditionnelle comme Por mayo era por mayo, on peut retrouver un procédé comparable. Le romance ne présente pas une consonance mais une assonance O-E. Celle que propose Núñez crée des effets de consonances entre la glose et le romance. Le mot rime du vers 2 du romance est son dont le E paragogique sous-entendu complète l’assonance. Dans la construction rimique de la strophe en ABBABCDDCD, Núñez utilise la consonance ON(E) en D et la consonance AYO en C : cela permet de lire les deux vers glosés terminés par mayo et par son comme s’ils étaient consonants. Nünez procède de manière identique dans la deuxième strophe avec les vers 3 et 4 du romance, terminés respectivement par enamorados et amores. Dans le système ABBABCDCCD, D correspond à la consonance ORES et C à celle de ADO. Toute la glose est construite ainsi46. L’impression de fusion des deux textes est parfois encore renforcée par la disposition des vers. Les gloses publiées dans le Cancionero de Pedro Manuel de Urrea offrent au lecteur un texte écrit d’un seul bloc, duquel ne se détache aucune strophe. L’enchaînement des vers glosés et de la glose se fait donc directement, sans que rien n’invite le lecteur éventuel à introduire une pause qui mettrait en relief l’élément original47. Garcia de Resende utilise cette disposition typographique dans la glose du romance Tyempo bueno tyempo bueno (CI-1516-II-2) qu’il reproduit. Juan Fernàndez de Constantina n’introduit pas non plus de séparation entre les strophes de la glose « Si libres mis pensamientos » (CI-1517-1) de Por el mes era de mayo qu’il publie, pas plus que Velàzquez de Mondragon lorsqu’il insère trois textes glosés48 dans son chansonnier. Les gloses contribuent donc, tout comme la réécriture et les compositions ludiques, à la pleine intégration du romance au rang des formes poétiques courtoises.
26Que dire maintenant sur leur disparition totale lors des compilations du milieu du xvie siècle ? On peut tout d’abord observer que la pratique de la glose n’est pas aussi familière au public des pliegos sueltos qui nourrissent les premiers cancioneros de romances qu’à l’auditoire courtois. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les titres des gloses romanceriles publiées par ce biais. On rencontre ainsi :
Comiença la glosa del coda dos pies del romance en una copia (Vienne)
Comiença la glosa de coda dos pies del romance en una copia (Paris)49
Glosa nueva sobre aquel romance que empieça/Gritos daba de passion aquella reyna troyanalsolo un pie en coda copia hecha (Madrid)
Va solamente la glosa del romance sin el : porque quien lo quissiere hallar le ha en los dos pies postreros de las copias (Madrid)
27Ces indications semblent destinées à un public peu familiarisé avec la manipulation des textes et de la glose puisqu’il faut lui indiquer où trouver les vers des romances. Ces remarques n’apparaissent jamais dans aucun recueil poétique complet, dont le destinataire était parfois le compilateur lui-même, ou encore un public habitué aux jeux sur la langue. Ces quelques titres disséminés dans des pliegos sueltos traduisent peut-être un certain essoufflement de la mode des gloses et aident à comprendre pourquoi ces jeux d’écriture n’entrent pas dans les chansonniers. C’est le romance qu’attend désormais le public, plus que la démonstration de l’habileté d’un poète qui s’en servait comme prétexte à des effets de plume. Quoi qu’il en soit, nous pouvons mesurer à quel point la pratique de la glose romanceril a fait entrer les romances, même issus de la tradition populaire, dans le domaine des formes poétiques courtisanes. L’affranchissement de ce support est un nouveau signe de l’évolution de cette forme appréciée et pratiquée dans les milieux cultivés vers un genre à part entière.
Les romances avec envoi
28Un dernier élément permet de mesurer l’insertion des romances dans les chansonniers de cour : la présence d’un envoi. Dans le cas des copias, il s’agit généralement de la dernière ou des dernières strophes séparées par un terme qui signale la proximité de la fin de l’œuvre. Il peut également s’agir d’une pièce plus brève – villancico, canción ou mote-qui résume l’idée générale du texte principal. Dans le cas des romances viejos, il semble tout d’abord régner une certaine confusion dans la pratique de l’envoi, surtout avant la réalisation des cancioneros de romances dans lesquels ces pièces conclusives disparaissent totalement. On pourrait déjà penser que le romance comme genre ne retient pas comme critère distinctil la présence d’un envoi. Il faudrait ajouter que ce n’est pas le cas pour les premiers textes recensés. Doit-on parler d’irrégularités ou d’exceptions, ou encore d’imperfections à leur sujet ? Ne faut-il pas y voir une marque nouvelle de la nature de forme poétique jouissant au sein des chansonniers du même statut que les autres formes pratiquées par les poètes ?
29Nous relevons un ensemble de cinquante-deux textes romanceriles dotés d’un envoi, ce qui représente un peu plus du tiers50 des cent quarante-trois versions de romances recensées dans les manuscrits et les imprimés antérieurs au Cancionero de romances. La présence des envois en fin de romances est relativement faible si on la compare à celle des strophes ou villancicos conclusifs des gloses romanceriles. En effet, pas moins de 76 % de ces textes s’achèvent sur un envoi : la proportion est presque inverse. Cependant, si l’on se reporte aux cancioneros de romances du milieu du xvie siècle, d’où l’envoi est totalement banni, les chiffres de ces tout premiers textes romanceriles sont très élevés. Pourtant, comme dans le cas des gloses et des ensaladas, les pliegos sueltos s’étaient fait largement l’écho des pratiques courtisanes de l’envoi. On compte en effet onze romances publiés dans des pliegos soulignant la présence d’une desecha, vingt-trois annonçant que le romance est accompagné d’un villancico et quinze qu’il est suivi d’un villancico et d’une canción. Il apparaît clairement que l’envoi n’entre pas dans la définition de la forme du romance, mais que sa présence permet d’assimiler le romance à d’autres formes poétiques courtoises qui en sont dotées, comme les copias et certains villancicos.
30La fusion dans le domaine de la poésie de cour est d’autant plus grande que l’envoi est souvent assimilé à un élément du texte romanceril l ui-même. Il est très généralement annoncé par une série de termes : villancico apparaît à quatorze reprises, desecha et ses dérivés une fois de moins, la combinaison des deux termes est présente onze fois. On note par ailleurs deux occurrences de fin, une de última et trois adaptées au contexte du romance51. Cependant, à huit reprises, l’envoi n’est introduit par aucun mot et ne se détache que par le système de rimes différent qu’il introduit. Dans ce cas, la fusion est totale entre le texte et son envoi. Nous pouvons rappeler ainsi que le final de « Por una selva damores » (CM-1465-1-1) manifeste une autre pratique de cour, qui revient à résumer en une formule rapide la teneur d’une poésie. Le romance se termine en effet par les vers :
Y por esto sin ventura
es mi mote guay de mi52.
31Ce romance est pour sa part très riche en manifestations courtoises et cela peut sans doute expliquer qu’il ait été désigné par glosa dans son titre. On relève une autre pratique du même type dans le Romance del comendador auila, dont les vers 46 à 50 enchaînent l’annonce du mote courtois final et le mote lui-même :
Por armas y por ditado
de letras negras escritas
aqui yaze sepultado
quien murio en mi servicio
y nunca le vieron mudado53.
32Même lorsque les envois sont dissociés des romances par la disposition graphique, cela ne signifie pas toujours qu’ils n’y soient pas étroitement liés. L’exemple de (CM-1510-3) est particulièrement éclairant. En effet, le romance n’est pas complet si l’on ne lui associe pas le villancico qui lui sert d’envoi. Le texte finit par ces mots :
Si lo creeys vos señora
escuchame este cantar.
33Le terme employé pour désigner le villancico qui suit restitue la dimension orale et même chantée de la fin du texte. Cette dimension musicale de l’envoi est d’ailleurs particulièrement importante si l’on considère les rapports étroits que le villancico entretient avec le chant. Lorsque Juan del Encina ajoute au romance Ques de ti desconsolado mis en musique dans le Cancionero Musical de Palacio le villancico Levanta Pascual Levanta, qui y figure également, on ne peut que supposer que les deux textes connaissaient une réalisation chantée.
34L’étude des romances mis par écrit avant les chansonniers de romances a permis de mettre en évidence la place que ces textes occupent au sein de la production poétique écrite. Ils sont en effet présents dans toutes les manifestations littéraires ludiques des milieux courtisans, ils font l’objet de gloses, sont dotés d’envois qui les fondent dans le panorama de la production poétique cancioneril. Cela n’exclut aucunement la possibilité d’une existence antérieure des romances hors du domaine savant. Les réécritures et les déplacements thématiques comme sémantiques qu’elles opèrent semblent même laisser supposer que certains textes sont empruntés à une tradition plus populaire. Cependant, il est clair que les plus anciens romances conservés correspondent à une forme poétique parmi d’autres orientées vers la relation d’événements de caractère historique ou vers l’exaltation de l’amoureux courtois, avec quelques incursions de motifs plus folkloriques. Le genre n’est pas encore constitué mais prend la forme que lui confèrent les poètes de cour qui mettent les romances au service de leur activité créatrice. Et cette création ne fait pas l’économie de l’oralité que nous avons rencontrée au détour des jeux de cour, des ensaladas, des gloses et des envois.
Notes de bas de page
1 J. Battesti Pélegrin, « La dramatisation de la lyrique cancioneril dans le théâtre d’Encina », Juan del Encina et le théâtre au xve siècle, Actes de la Table Ronde Internationale (France-Italie-Espagne) organisée les 17 et 18 octobre 1986 à l’Université de Provence, Presses de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1987, p. 57.
2 Comme le rappelle P. Zumthor, la cour est comparable à une scène : « lieu théâtral par excellence, la cour est centre et emblème de l’univers en sa pérennité » (Le Masque et la lumière, op. cit., Seuil, p. 39). Les rôles y sont donc distribués et fixés de façon rigoureuse. On peut alors se demander quel est celui que jouent les romances cancioneriles.
3 Lírica española de tipo popular, Cátedra, Madrid, 1977, p. 14. On pourrait faire une remarque similaire pour les romances, pratiqués eux aussi par les poètes contemporains. Les poètes de la génération de 27 ont presque tous écrit des romances. Le cas de Lorca et de son Romancero Gitano (Busma, Madrid, 1983) est le plus connu, mais Alberti, Aleixandre, Gerardo Diego, Jorge Guillén, Miguel Hernández et Antonio Machado en ont également composé (J. B. Hall, « Lorca’s “Romancero Gitano” and the Traditional “romances viejos” with special reference to “San Rafael” (Córdoba) », Studies of the Spanish and Portuguese Bailad, Tamesis Book, London, 1972, p. 141). Gerardo Diego écrit l’élégie funèbre A Enrique Menéndez (Gerardo Diego, Manual de Espumas, « Versos cantábricos », ed. Milagros Arizmendi, Cátedra, Madrid, 1986, p. 110) sous la forme assonancée E/E du romance heptasyllabique. Vicente Aleixandre, dans ses Retratos y dedicatorias (Poesías completas, ed. Carlos Bousoño, Aguilar, Madrid, 1960) écrit plusieurs romancillos, dont Ofrecimiento hexasyllabique assonancé I/A (p. 623-625). Jorge Guillén, dans Clamor, Tiempo de Historia (Obra Poética Antología, ed. Joaquín Casalduero, Alianza Editorial, Madrid, 1970), écrit Muerte en la escalera sous la forme d’un romance octosyllabique assonancé I/O (p. 134). Antonio Machado utilise le romance dans Campos de Castilla : le poème El sueño est ainsi octosyllabique assonancé aux vers pairs AJA (Obras. Poesía y prosa, ed. d’Aurora de Albornoz et Guillermo de la Torre, Losada, Buenos Aires, 1964, p. 70). Miguel Hernández, quant à lui, écrit un Cancionero y romancero de ausencias, dans lequel le romance est utilisé plusieurs fois. Il apparaît donc clairement que le romance perdure par sa dimension orale jusqu’à notre siècle dans la tradition, qu’elle soit populaire et strictement orale, ou plus savante, recomposée par écrit.
4 Margit Frenk le rappelle dans son ouvrage sur la Lírica española de tipo popular (op. cit., p. 22).
5 García de Resende note dans le prologue de son Cancioneiro Geral que la poésie est indispensable aux princes : « Y nas cortes dos grandes prinçepes he muy neçessaria na jentileza. Amores, justas. Y momos. Y tambem para os que maos trajos y envençoes fazem. Per trovas sam castigados » (op. cit., p. 141). Juan del Encina expose la même conception dans Arte de poesía où il décrit la composition poétique comme un « gentil exercicio en el tiempo de ociosidad » (op. cit., p. 78).
6 Le texte dit ainsi : « Alegrías hi ha otras sin las que deximos en las leyes ante desta, que fueron falladas para tomar home conorte en los cuidados y en los pesares quando los hobiese : et estas son oir cantares et sones de estrumentos, jugar axedrez ó tablas ó otros juegos semejantes destos : eso mesmo decimos de las hestorias et de los romances, et de los otros libros que fablan de aquellas cosas de que los homes reciben alegria et placer » (Las siete partidas del rey don Alfonso el Sabio, édition de la Real Academia de la Historia, Atlas, Madrid, 1972, t. II, Partida II, Título V, Ley XXI, p. 40-41). Le terme romance est sans doute pris ici dans le sens de récit épique, dans la mesure où l’énumération qui suit parle de livres et non de compositions. Les romances entrent davantage sous le qualificatif de cantares associés à la musique.
7 « Cuando hoy día se habla de hombres de corte y de juglares, se está lógicamente diferenciando entre dos tipos de gentes que tenían, sin embargo, el mismo cometido : entretener e instruir al rey, como se ha dicho, y a otras personas que lo acompañaban » (« Juglares, hombres de corte y el Novellino », Medioevo y Literatura, op. cit., t. III, p. 26). La différence qu’elle souligne entre les deux types d’interprètes est la gravité obligée du courtisan qui s’oppose à la mise en scène et aux costumes plus importants pour le jongleur (p. 27).
8 Prologus baenenssis, op. cit., p. 37.
9 Arte de trovar, op. cit., p. 358.
10 « The literary court in Valencia, 1526-1536 », Hispanófila, 104, 1992, p. 7.
11 Nous ne citerons qu’un exemple, mais ils se multiplient tout au long des pages de l’ouvrage de L. Milán. Lorsque don Luis Margarite tue un sanglier qui les chargeait son épouse et lui-même, il accompagne son action d’un requiebro à son épouse. Celle-ci lui répond alors par un autre, après avoir déclaré : « no me ganaréis a requiebros más de lo que ya me habéis ganado » (op. cit., p. 30-31).
12 « Los romances del Marqués de Mantua : Ars poética y poeticidad », Actes du colloque Teoría y realidad en el teatro español del siglo XVII : la influencia italiana (Rome, 16-19 novembre 1978), Publicaciones del Instituto Español de Cultura y de Literatura de Roma, Rome, 1981, p. 247-256.
13 Le texte ne précise pas quels sont les intervenants, s’il s’agit de comédiens professionnels ou d’hommes de la cour. Cependant, tous les personnages des romances défilent tout d’abord devant le duc pour se présenter : « Porque vuestra excellencia mejor goce de ver las invinciones que traen los de la máscara, está ordenado que al pasar cada uno d’ellos Testará delante hasta que señale que pase » (op. cit., p. 428). Suivent les descriptions successives de tous les personnages, qui manquent dans le cas des romances del marqués de Mantua. On peut cependant imaginer une mise en scène comparable autour de ces trois textes.
14 La scène de présentation des différents personnages masqués donne lieu à une description des costumes et des attributs particuliers de chacun d’entre eux (op. cit., p. 429 sqq.).
15 Il s’agit du texte qui apparaît sous le titre « Comiençan las obras de Pinar y esta primera es un juego trobado que hizo a la Reyna doña Isabel, con el quai se puede jugar con dados o naypes, y con él se puede ganar o perder y echar encuentro o azar, y hazer pares. Las coplas son los naypes, y las cuatro cosas que van en cada una dellas han de ser las suertes ».
16 Antoine Compagnon rappelle que les guillemets auraient été inventés par un certain Guillaume, imprimeur au XVIIe siècle. On ne trouvait auparavant que des citations annoncées par « untel a dit » ou présentées sur le même plan que le reste du texte : ce que l’on appelle plagier aujourd’hui était écrire autrefois (La seconde main ou le travail de la citation, Seuil, Paris, 1979, p. 40).
17 Deipnosophistai, ou Banquet des sophistes, édition de C. B. Gulick, Classical Library, Londres, 1928, livre X, p. 457-458.
18 « Codes amoureux, coes poétiques dans la lyrique du xve siècle », Les Langues Néo-latines, 252, 1985, p. 63.
19 « En busca del lector perdido : la recepción de la poesía culta (1543-1600) », Edad de Oro, XII, 1993, p. 142. C’est pour cela que se répondent des échos à l’intérieur des chansonniers. Lorsque Sánchez de Lima, dans El arte poética en romance castellano (op. cit., p. 76), cite un exemple de madrigal, il donne comme premier vers « en un verde prado », qui se trouve être également l’incipit du romance « En un verde prado syn miedo segura » (CM-1465-II-3).
20 Alan Deyermond, dans La literatura perdida de la Edad Media castellana : catálogo y estudio (I. Epica y romances, Ediciones Universidad Salamanca, Salamanque, 1995, p. 161), signale ainsi que les vers utilisés dans les ensaladas permettent de suivre la piste d’un texte alors populaire mais dont nous n’avons pas conservé la trace. Cela nous invite à nuancer les conclusions que nous pourrions tirer de la conservation d’un texte par rapport à un autre. Il se peut que celui qu’un pliego suelto ou un manuscrit nous ont transmis ait connu moins de succès qu’un autre dont nous ne conservons qu’un vers au cœur d’un jeu poétique
21 « De Officinas y Polyantheas : los diccionarios secretos del Siglo de Oro », Homenaje a Eugenio Asensio, Credos, Madrid, 1988, p. 244. Les pratiques scolastiques favorisent la constitution et l’utilisation de répertoires alphabétiques, le catalogage systématique des données, des exemples, des termes et des rimes et leur influence ne s’arrête pas avec la Renaissance puisque l’on en trouve trace encore dans les écrits de Lope de Vega (Aurora Egido l’a montré dans son article « Lope de Vega, Ravisio Textor y la creación del mundo como obra de arte », Homenaje a E Asensio, op. cit., p. 181).
22 « Romances en ensaladas y géneros afines », Crotalón, I, 1984, p. 1135-1173. Elle declare au début de son article (p. 1136) : « El objeto de mis páginas […] es dar comienzo a una reseña de citas de romances y al mismo tiempo evaluar cuáles romances y cuáles temas gozaban de las preferencias de los autores y, probablemente, también de las del público ».
23 On pourrait ajouter que la sátira de disparates présente dans un chansonnier manuscrit connaît une version intitulée Glosa del Romance de Belerma publiée dans un pliego suelto (BN de Madrid, R-9462).
24 La régularité est parfois très grande, comme dans le cas du « Chiste nuevo con seys Romances » (collection de la British Library de Londres) où les douze vers romanceriles sont empruntés à six romances dont chacun fournit deux vers.
25 Ce n’est sans doute pas un hasard si cette composition est ensuite diffusée dans les pliegos sueltos sous le titre de glosa del romance de Belerma.
26 Il s’agit de « O belerma o belerma » (CI-1547-120) à neuf reprises, « Reuayda esta la infanta » (CI-1547-16) à sept reprises, « Media noche era por filo » (CI-1547-9) à cinq reprises, « De mantua salio el marques » (CI-1547-2) et « Cata francia Montesinos » (CI-1547-76) quatre fois, « Pesame de vos el conde » (CI-1511-2), « En las salas de paris » (CI-1547-6), « Ya questava don Renaldos » (CI-1547-17), « Morir vos queredes padre » (CI-1547-39) trois fois. « Yo niera mora morayina » (CM-1510-6), « Gritando va el cavallero » (CI-1511-20), « Assentado esta Gayferos » (CI-1547-5), « Mala la vistes franceses » (CI-1547-13), « Por aquel postigo viejo » (CI-1547-41), « De Antequera partio el moro » (CI-1547-58), « En Troya entran los griegos » (CI-1547-80), « Arriba canes arriba » (CI-1547-93) et « Domingo era de ramos » (CI-1547-97), font deux apparitions dans des compositions proches de l’ensalada.
27 Les pliegos sueltos conservés à Londres en sont d’ailleurs particulièrement pourvus, ce qui laisse penser que le collectionneur à l’origine de ce fonds affectionnait tout spécialement ce type d’écrit.
28 Elle note que le personnage de Juan del Encina, lorsqu’il apparaît dans la Visita de los chistes des Suenos de Quevedo, est présenté comme auteur de disparates (« Las Copias de Disparates de Juan del Encina dentro de una tipologia intertextual romanica », Medioevoy Literatura, op. cit., t. III, p. 261).
29 Pour ce qui est des ensaladas, Miguel Querol Gavaldá rappelle quelles étaient déjà chantées dans le théâtre de Gil Vicente, précisément dans l’Auto da fe d e 1510 et dans l’Auto de los físicos de 1512. La musique n’en a cependant pas été conservée. Celles qui accompagnent les ensaladas de Mateo Flecha el Viejo ont en revanche été éditées par son neveu à la fin du xvie siècle. Elles véhiculent également des vers de romances. El fuego utilise Mira Nero de Tarpeya et El Jubiate exploite En la ciudad de Toledo. On pourra pour plus de détail se reporter à l’article de M. Querol Gavaldá (« Las ensaladas de Mateo Flecha el Viejo (ca. 1481-1553) », Anuario Musical, 43, 1988, p. 75).
30 « Algo más sobre romances (y canciones) en ensaladas », Nueva Revista de Filología Hispánica, XLI, 1993, p. 232.
31 C’est à ce titre qu’A. Compagnon considère le Moyen Age comme l’époque où tout est citation (La seconde main ou le travail de la citation, op. cit., p. 158).
32 « El romance de El Prisionero en el cancionero folklórico de Antequera », Studia in honorem Prof. Martín de Riquer, Quaderns Crema, Barcelona, 1986, t. I, p. 379.
33 La première apparition de ce texte original est « Durandarte durandarte » (CI-1511-29).
34 « Dolor del tiempo perdido » (CI-1511 -30) et (CI-1535-12) : il s’agit de textes repris dans la première édition du Cancionero General ainsi que dans l’Espejo de enamorados.
35 C’est sous ce titre qu’une version de ce texte est affichée dans les wagons du métro madrilène depuis 1997 dans le cadre d’une campagne d’encouragement à la lecture.
36 Conservée dans deux versions : (CM-1510-15) et (CI-1511-26).
37 Également conservée dans deux versions : (CM-1510-2) et (CI-1514-4).
38 Nous tenons compte ici de tous les textes de départ, en incluant les reprises d’un même romance dans le calcul, afin de pouvoir comparer les résultats avec ceux des gloses. Si l’on ne tient pas compte des répétitions, les vingt-quatre romances se divisent comme suit : neuf d’inspiration lyrique courtoise, douze d’inspiration traditionnelle, deux historico-légendaires et un historique.
39 Cet épisode se situe historiquement en 1158.
40 La référence à la thématique de la prison d’amour dont l’illustration la plus complète est la Cárcel de amor de Diego de San Pedro est ici immédiate.
41 « Notas sobre la transmisión de la lírica culta en el Siglo de Oro : I, el romance “Oid, pastores de Henares’’y su autor ; II, para un catálogo de la obra poética de Montalbán », Cuadernos Bibliográficos, 40, 1980, p. 83.
42 On passe ainsi de « el traydor del ruyseñor » à « el malo del ruyseñor ».
43 Les seize vers de « Hallo ser siendo vencido » (CI-1513-5) sont glosés dans « Amor que siempre procura » (CI-1513-6). C’est également le cas des vingt-quatre vers de (CI-sa-I-6) dont nous avons étudié les modifications.
44 Les trente vers se répartissent en effet en trois quatrains suivis d’une tirade de dix-huit vers.
45 « De chica culpa gran pena » (CM-1510-8).
46 C’est également le cas de la glose de Paume de vos el conde (CI-1511 -3), de celle de sa contrefaçon (CI-1511-5) et de toutes les gloses retenues par Hernando del Castillo pour constituer son Cancionero General.
47 On observe cette disposition pour les gloses « Estando muy congoxado » (CI-1513-3) et « Anior que siempre procura » (CI-1513-6), mais aussi pour « Pues todos quantos padescen » (CI-1516-III-2) ajoutée dans la seconde édition de son chansonnier.
48 « O engañosa e inconstante » (CI-sa-II-1), « Por la clemencia ninguna » (Cl-sa-II-2) et « Las gracias que repartio » (CI-sa-II-3). On pourrait croire, en constatant que c’est également la disposition choisie pour reproduire les textes glosés dans l’Espejo de enamorados qu’il s’agit de la typographie utilisée à partir des années 1515. Toute règle générale connaissant des exceptions, c’est dans le Cancionero de galanes nuevamente impreso que l’on trouve trois gloses – « Con sobras de gran tristeza » (CI-sa-III-2), « Con muy crescida agonia » (CI-sa-III-3) et « Como deue de cumplir » (CI-sa-III-4) – découpées en strophes.
49 Il s’agit dans les deux cas de l’annonce de la glose Si damor libre estuviera (première apparition CM-1510-2). Un troisièmepliego reprend le texte précédé de la même formule.
50 37 % des romances sont dotés d’un envoi.
51 On trouve ainsi « Yda la carta y responde » comme envoi d’un romance où la jeune fille écrit au jeune homme qu elle désire. « Villancico suyo en oración » et sa variante « Villancico en oración » à la fin du romance consacré à l’éloge de la ville de Valence, offrent naturellement en conclusion une demande de bénédiction.
52 Il s’agit des vers 29 et 30. L’envoi qui suit semble développer à son tour ce mote, puisqu’il commence lui aussi par une exclamation de dépit et de désespoir : « ay amor ».
53 « Asonbrado el pensamiento » (CM-1510-19) conclut donc sur l’épitaphe que l’amant courtois désespéré réclame, sûr de sa mort prochaine.
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