À la recherche de l’origine perdue : la fiction documentaire révélatrice de mythes
p. 119-134
Texte intégral
1Par ce terme oxymore de fiction documentaire, j’entends me pencher sur des œuvres filmiques de fiction qui se présentent au public sous les aspects d’un documentaire, livrant de façon plus ou moins explicite les indices de sa supercherie1. Ma présente thèse est que cette forme particulière de fiction, parce qu’elle joue de la tension entre plusieurs modes de discours et de croyance, est propice à la fois à la réactivation de mythes et à leur déconstruction. J’appuierai ma démonstration sur l’analyse de ces deux cas exemplaires de fictions documentaires que sont The Falls de Peter Greenaway (1980) et Forgotten Silver de Peter Jackson et Costa Botes (1995). Ces deux films sont en effet largement basés sur l’agencement de mythes, classiques ou nationaux, que vient valider la forme du documentaire. Celle-ci se révèle constituer le support d’un mythe plus tenace encore qui est celui de l’enregistrement et de la restitution im-médiats de la réalité. Dans ce dernier cas, la notion de mythe rejoint l’acception barthésienne de discours qui se donne comme « naturel », oblitérant sa nature de discours2. Il me semble que la tension créée par la multiplicité des discours participe d’une réflexion sur le mythe comme instance majeure de l’imaginaire, matrice génératrice de sens. Dans les deux films, l’activité mythopoïétique propre au genre de la fiction documentaire est mise en évidence par la réflexivité de l’œuvre, ouvrant ainsi un espace de jeu incompatible avec l’adhésion qu’implique le mythe.
2The Falls comme Forgotten Silver se présentent comme une enquête, qui se double d’une quête des origines. Forgotten Silver relate la vie de Colin McKenzie, pionnier du cinéma néo-zélandais jusque là inconnu. Dans un récit d’apparence historique, Colin condense à lui tout seul l’histoire des origines du cinéma et celle de la nation néo-zélandaise. Le film déploie une rhétorique emphatique des origines. Colin McKenzie doit être le premier en tout : génie précoce, il conçoit lui-même sa première caméra à l’âge de 12 ans, est l’auteur du premier long métrage, du premier film sonore, du premier film couleur, de la première grande production sur trame d’épopée biblique, invente le travelling et le gros plan, est enfin, selon l’historien Leonard Maltin, le précurseur de la caméra cachée et de l’affaire Rodney King3. Bien plus, son destin est étroitement lié à la naissance de la Nouvelle-Zélande comme nation. McKenzie filme ainsi le vol de son compatriote Richard Pearse, vol attesté dans l’histoire de l’aviation mais dont la date est contestée. Grâce aux techniques d’agrandissement numérique qui permettent aux auteurs du film de mettre en évidence la date d’un journal dépassant d’une poche, la Nouvelle-Zélande peut désormais s’enorgueillir d’avoir vu naître le tout premier homme à voler dans les airs, quelques mois avant l’exploit répertorié des frères Wright aux Etats-Unis. Colin est également l’inventeur d’une caméra portative qu’il confie à son frère lorsque celui-ci s’engage dans le premier conflit mondial et est donc à l’origine de l’unique documentaire qui montre les soldats néo-zélandais débarquant à Gallipoli. Or la bataille de Gallipoli a acquis un statut proprement mythique en Nouvelle-Zélande (et en Australie), comme un des lieux où s’est constituée la nation. Enfin, le personnage de Colin condense une série de figures archétypales qui trouvent une résonance particulière dans les stéréotypes nationaux de Nouvelle-Zélande. Colin McKenzie, fils d’un paysan émigré d’Ecosse, est la figure par excellence du pionnier, bricoleur ingénieux et défricheur d’espaces vierges. Il choisit de tourner sa grande épopée dans la jungle néo-zélandaise, ce lieu-frontière qui est censé avoir forgé le caractère néo-zélandais4. Comme le soulignent les photos montrant l’artiste perdu dans ses pensées, l’air ténébreux et déterminé, Colin est une figure de visionnaire que l’accumulation exponentielle d’obstacles transforme en artiste maudit.
3The Falls, quant à lui, a pour sous-titre « An Investigation into biography » et présente un échantillon de 92 fiches biographiques tirées d’un annuaire consacré aux 19 millions de victimes d’un étrange événement5, la sélection n’ayant retenu que les noms propres commençant par les lettres FALL. A travers ces notes biographiques, le récit transversal est donc celui de cet étrange événement connu sous le nom de VUE (Violent Unknown Event). Ce phénomène fonctionne comme l’énigme structurante du récit filmique, énigme dont la signification est d’ordre eschatologique, puisqu’elle marque l’avènement d’une ère et d’une espèce humaine nouvelles. Cette irruption du surnaturel dans l’ordre logique des choses, qui entraîne une rupture dans la chaîne causale du monde, devient la condition d’être du récit alors que l’événement lui-même reste irreprésentable. Les premières images montrent la caméra en pleine errance filmant au ras du sol un terrain rocailleux et inhospitalier, comme une planète déserte à peupler, sorte de « tabula rasa ». Le titre même The Falls ne peut manquer d’évoquer la Chute biblique, mais aussi les chutes d’eau (l’eau étant l’un des motifs dominants) et plus largement le schème archétypal de la verticalité, la chute s’opposant ici à l’ascension. La plupart des personnages se définissent justement dans leur rapport au vol, source de fascination ou de phobie, expérience vécue ou rêvée et étroitement associée aux nappes d’eau. Il n’est donc pas surprenant que le mythe d’Icare constitue l’une des trames du récit. Mentionné à plusieurs reprises6, il fait également l’objet d’une transposition historique, ou prétendument telle, avec l’évocation des premiers exploits en matière de vol. Car ces récits de pionniers volants ne résistent pas à l’examen critique et fonctionnent en définitive comme autant de versions modernisées du mythe classique. L’anecdote de la tour Eiffel en est la parfaite illustration. Dès la deuxième biographie, on apprend que Constance Fallabur a nommé sa maison le « Nid » d’après les initiales de Nathan Isole Dermontier qui a sauté du haut de la Tour Eiffel en 1870, même si son mari fait judicieusement remarquer que la dite tour n’existait pas avant 1889. Musicus Fallantly (n° 12), chanteur de son métier, dédie son œuvre chorale, écrite en hommage à 92 pionniers de l’aviation, à Van Riquardt, « patriote français et pionnier de l’aviation qui s’élança du haut de la Tour Eiffel en 1889 », son épouse objectant toutefois que le reportage filmé qui l’atteste est un faux, le cinéma n’existant pas avant 1895. Le jeune Vaceta Fallbutus (n° 45) a pour héro « Reichfeldt, le patriote aviateur qui s’est jeté du haut de la Tour Eiffel en 1909 ». Enfin Crasstranger Fallqueue (n° 78), journaliste, spécialiste d’aéronautique et historien du vol, prétend détenir la version définitive :
His knowledge of the facts, figures and feats of air pioneers were rarely contested. He knew for example that the man who threw himself off the Eiffel tower in April 1911 was not the patriot airman Nathan Isole Dermontier, nor the Welsh baritone called Van Riquardt, but was in fact an Austrian clothing manufacturer called Richelt, testing a parachute coat of his own design.
4Un deuxième mythe parcourt The Falls. Parce que les victimes de la VUE se mettent toutes à parler de nouvelles langues (Curdine, Caspitan, Katan, Karnash, ItinoRe, Betelgeuse, Allow-ease etc), ce qui entraîne une prolifération d’experts linguistes et de traducteurs, le mythe de Babel offre une structure narrative idéale pour rendre compte de la naissance d’une multiplicité de langues. L’une des victimes, Bwythan Fallbutus (n° 42), expert linguiste, a d’ailleurs écrit un livre intitulé A View of Babel, dans lequel il tente d’expliquer le don des langues des victimes de la VUE et la fragmentation du langage.
5Ces récits répondent ainsi pleinement à la définition du mythe comme récit des origines7, fondateur d’une époque, d’une nouvelle espèce (imaginaire) dans The Falls, ou d’une identité nationale (dont la nation est cette fois réelle) dans Forgotten Silver. De plus, l’aspect biographique des récits répond à l’une des caractéristiques du récit mythique qui est la personnification d’instances phénoménales ou historiques8. Dans Forgotten Silver, le mythe s’incarne dans l’histoire des hommes. Ici, « le mythe est consubstantiel à l’Histoire, et réciproquement : l’imaginaire d’une société, c’est précisément la façon dont ces différentes instances s’organisent9 ». Dans The Falls, les personnages sont tous victimes de transformations physiques et linguistiques qui les rapprochent des oiseaux, si bien que ces derniers sont accusés d’être responsables du phénomène resté inexpliqué. En élaborant une théorie de la responsabilité des oiseaux, les victimes peuvent ainsi non seulement incarner l’événement mais également établir des liens d’apparence causale entre eux-mêmes et l’événement. De fait, le champ sémantique des oiseaux s’insinue dans toutes les strates du discours (scientifique, mythologique, linguistique, jusqu’aux contes et nursery rhymes)10. Ainsi, à l’encontre du mode classificatoire qu’implique le catalogue, l’utilisation généralisée du champ sémantique aviaire engendre une mise en réseau de toutes les données, permettant la visée d’un sens global et originaire11. The Falls opère ici comme les récits mythiques qui « mettent en scène des connexions, des réticulations, qui lient ensemble des êtres, des événements, et des choses, que nous ne rencontrons qu’isolés, que dissociés, dans l’expérience empirique comme dans l’explication analytique de la raison12 ».
6Cependant, dans les deux films, le discours analytique de la raison ne s’oppose nullement au discours mythique mais cherche au contraire, et de façon ironique, à le valider. En fait, plusieurs stratégies de validation sont mises en œuvre : le recours à des mythes reconnus, l’autorité du discours provenant d’instances officielles, enfin le recours à la forme documentaire comme discours « naturel ».
7Ces trois éléments expliquent d’ailleurs le malentendu qui a caractérisé la réception de Forgotten Silver lors de sa première diffusion sur la chaîne néo-zélandaise NZTV1. De nombreux spectateurs, qui s’étaient réjouis de la découverte d’un nouvel héros national, ont vivement protesté que l’on puisse ainsi mettre des canaux d’informations « objectifs » au service d’un canular. De fait, Forgotten Silver utilise un large éventail de techniques documentaires : insertions de photographies en noir et blanc, d’articles de journaux, d’archives filmiques, témoignages de personnes ayant connu Colin, telle son épouse Hannah, prise en charge du récit par Peter Jackson à qui Hannah s’est adressée, parce qu’elle habitait près de la maison des parents du cinéaste, interviews d’experts reconnus (Jonathan Morris, archiviste de films, Costa Botes, cinéaste, Harvey Weinstein de la société Miramax et Leonard Maltin, historien du cinéma), analyses d’extraits des films inédits de McKenzie, références à l’Histoire officielle (Gallipoli, le premier Ministre Joseph Gordon Coates, en exercice de 1925 à 1928, le krach boursier de 1929, la guerre civile d’Espagne). Les spectateurs abusés ont également critiqué la caution que l’épitexte apportait13. Seuls apparaissaient avant le début du film le nom de la société de production et surtout ceux de la New Zealand Film Commission et de New Zealand On Air, deux institutions réputées pour leur sérieux. Cependant, au-delà de l’apparente authenticité qu’apportent les instances officielles, pour Jane Roscoe et Craig Hight, c’est bien le recours aux mythes qui expliquerait le succès inattendu rencontré par le film :
Other aspects of McKenzie’s character also draw upon stereotypes established by the colonial period of New Zealand history. He is one of the legendary backyard inventors supposedly at the heart of New Zealand’s development, and both he and his brother Brooke serve as soldiers in the various conflicts claimed to have forged the beginnings of the nation itself. It is Brooke, with a camera built by his brother, who provides the first footage from the very cradle of the nation itself : Gallipoli. Forgotten Silver succeeds here by not just appealing to an important myth of the origin of the birth of the nation but reinforcing this myth by providing the first “documentary” evidence /…/ of the hardships suffered by New Zealand soldiers14.
8C’est que le style documentaire est perçu comme l’exhumation d’une histoire déjà là. Non seulement le récit, à l’instar du mythe, semble « se présente[r] à la conscience imaginante comme une suite d’images, indépendantes du sujet qui leur sert de révélateur, comme une histoire qui se déroule selon une nécessité transpersonnelle, méta-historique15 », mais l’agencement des documents se double d’une expédition destinée à retrouver la « cité perdue », « reproduction fantasque de la Jérusalem antique » que Colin McKenzie a érigée pour y tourner son chef d’œuvre Salome, cachée dans une vallée isolée « au cœur de la dernière grande région inexplorée de Nouvelle Zélande ». La métaphore de l’archéologie fait coïncider géographie et histoire : l’exploration de la frontière devient l’excavation d’un récit des origines que le film est censé reconstituer. L’image archéologique se cristallise d’ailleurs en épiphanie lors de la découverte finale des bobines du film Salome conservées dans une crypte, éblouissantes comme des pièces d’or, et fait écho à la révélation que reçut Colin McKenzie en découvrant le cinéma au printemps 1900, que son épouse décrit comme « une révélation céleste surgie de l’obscurité ». Enfin, les limites mêmes de l’enquête viennent en dernière instance valider l’authenticité du récit. Peter Jackson explique :
C’est tellement frustrant. La piste s’arrête en 1937. On a une dernière photo de Colin McKenzie en compagnie de soldats. Nous avons contacté tous les musées cinématographiques, tous les endroits inimaginables sans que le nom de Colin McKenzie n’apparaisse, comme s’il avait disparu de la surface de la terre.
9De façon similaire, The Falls est en large partie un agencement de traces chargées d’appréhender l’événement qui les fonde. Le film est un véritable catalogue des techniques documentaires et fait appel à des supports très divers : dessins, cartes, diagrammes, peintures, manuscrits, tapuscrits, photographies, images d’archives, films amateurs en vidéo ou super 8, reportages documentaires, reconstructions criminelles, interviews en présence ou par téléphone, reporters face à la caméra, interviews d’experts (en linguistique, étiologie, psychiatrie, ornithologie, musicologie) et un commentaire en voix-off. Celui-ci est caractérisé par une diction et un ton du plus pur BBC English, incarnant traditionnellement la voix de l’autorité. De même, la Commission de la VUE, du fait qu’elle reste en retrait, est investie d’une aura d’autorité qui caractérise toute instance bureaucratique.
10Mais, ironiquement, ce sont les difficultés rencontrées par la commission dans sa collecte d’informations, sa capacité à repérer des erreurs et à les reconnaître, qui renforcent son autorité. Le commentaire souligne à de nombreuses reprises les limites de l’enquête : certains sujets ont disparu16, d’autres sont classés documents confidentiels pour raisons juridiques ou médicales17, John Fallicary (n° 66) s’avère être le nom d’un lieu non d’une personne, Wrallis Fallinway (n° 69) est une erreur de frappe, Ascrib Fallstaff (n° 80) « l’inclusion pernicieuse d’un personnage de fiction ». Tout en cherchant à isoler le réel supposé du fictif, la commission fait appel à une multiplication de discours d’experts émettant chacun leur hypothèse. Chacun s’attache à interpréter la VUE selon les grilles dont il dispose : mythes grecs, histoire devenue mythique des pionniers de l’aviation, histoire de l’art18... Le discours « scientifique » semble ainsi cautionner les différentes structures narratives mises en œuvre. Cette activité ressemble fort à l’activité mythopoïétique qui, selon Jean-Jacques Wunerburger, « relève d’un mode de production qu’on peut nommer symbolique, dans lequel le donné empirique est pris en charge par des structures narratives a priori19 ».
11Si la forme du documentaire fictionnel semble particulièrement propice à une activité mythopoïétique, inscrivant dans une forme de discours « naturel » un « donné empirique pris en charge par des structures narratives a priori », il apparaît cependant très vite que cette activité, poussée à l’extrême, devient parodique. Malgré un ensemble de facteurs contextuels qui peuvent expliquer que de nombreux spectateurs n’ont pas vu la nature fictionnelle du film, Forgotten Silver joue ouvertement de la surenchère parodique. Un des nombreux fax envoyés par les spectateurs aux producteurs du film résume toute l’ironie de la méprise : « It was such an amazing story that I half expected to find out at the end of the programme that it was fictional !20 ». La parodie découle de l’accumulation même des inventions, toutes relatées selon une rhétorique emphatique et superlative21 alors que leurs circonstances sont très souvent saugrenues22, mais aussi de l’accumulation des obstacles où l’ironie dramatique fonctionne à chaque fois comme un gag. Ainsi, Hannah explique lors d’une interview le procédé que Colin McKenzie avait inventé pour fabriquer lui-même sa pellicule : il utilisait des feuilles de lin bouillies pour en extraire du nitrate de cellulose et du blanc d’œufs en guise d’émulsion. Elle ajoute : « L’ennui, c’est qu’il fallait douze œufs pour une minute de film ». Suit alors un insert sur une coupure de presse titrée « 2000 Dozen Eggs Stolen ». Alors que Colin apporte une révolution technologique avec The Warrior Season, qui en 1908 peut se targuer d’être non seulement le premier long métrage de l’histoire du cinéma mais encore le premier film parlant, l’historien Leonard Maltin explique :
Il n’avait oublié qu’une chose. Tous ses acteurs étaient Chinois et alors même qu’il avait trouvé un moyen de les enregistrer il n’avait pas pensé aux sous-titres. Le public affluait en masse et ne comprenait pas un traître mot. La nouveauté du son les amusait pendant quelques minutes mais comme ils ne comprenaient pas ce qui se disait, ils se lassaient très vite.
12L’autre révolution, apportée par la pellicule couleur, ne connaît pas davantage de reconnaissance. Parce que l’ingrédient principal, la photinia aquefolium, ne pousse que dans l’archipel d’Haïti, Colin y effectue ses premiers tests, filmant la flore colorée de l’île quand la scène est perturbée par une, puis deux Vahinés aux seins nus, forçant Colin à décadrer. C’est ainsi que la presse ne retient que la sombre affaire de mœurs en titrant : « Local Men Arrested. Smut charges brought ». Le 9 juin 1912, Colin McKenzie et son frère comparaissent devant la Haute Cour de Dunedin. Le jury, entièrement composé d’hommes, après avoir consciencieusement réclamé des projections répétées du film incriminé, condamne Colin et Brooke à six mois de travaux forcés. On peut multiplier les exemples. À chaque fois, le mythe se constitue contre l’Histoire qui devient la grande conspiration nécessaire à son émergence. L’acharnement du sort contre McKenzie sert ainsi de causalité transcendantale pouvant à la fois lier entre eux les événements de l’Histoire officielle et expliquer l’oubli dont le cinéaste a été victime. C’est pourtant à une récriture parodique de l’Histoire sous forme de poncifs que procèdent Peter Jackson et Costa Botes.
13Les codes narratifs et représentationnels sont en effet clairement identifiables. La représentation est gouvernée par le principe d’iconicité, qui se rattache encore une fois à des modèles connus. Si la reconstitution des documents d’époque est beaucoup plus difficile à discerner, vu la qualité même du pastiche23, c’est bien la concentration de l’Histoire du cinéma et du monde en une seule personne qui est suspecte. Les tribulations de Colin pour terminer sa grande épopée tiennent autant du mélodrame le plus pur que du burlesque. Le tournage est d’abord suspendu par la crise de désespoir que traverse Colin lorsque l’actrice dont il est éperdument amoureux épouse son frère, puis par la première guerre mondiale, enfin et surtout par le manque chronique de financements. Après la collaboration avec Stan Wilson, comique pitoyable, McKenzie trouve l’appui du producteur hollywoodien Rex Salomon, « autodidacte qui avait fait fortune en vendant des bibles et des accessoires bibliques », et dont les studios, spécialisés dans le film biblique, arborent un lion pour logo. À la suite du krach boursier d’octobre 1929, Colin accepte le financement des Soviétiques. En témoigne l’interview d’une attachée culturelle de Russie, qui s’appelle rien moins qu’Alexandra Nevsky et qui explique que l’argent devait servir à « terminer l’épopée révolutionnaire dépeignant la lutte des classes dans l’Antiquité ». Hannah ajoute : « Colin put reprendre le tournage mais dut supprimer toutes les références religieuses : Jean-Baptiste devint un dissident socialiste, Hérode un usurier fasciste et Salomé une prostituée retrouvant le droit chemin et s’initiant au collectivisme ». Entretemps, Colin reçoit des menaces de la Palermo Motion Picture Company, une société dirigée par « des hommes d’affaire brutaux et sans scrupules » qui détiennent à présent les actifs de Rex Salomon et exigent la restitution de Salomé...
14Et si l’absurde de ces péripéties n’est pas assez manifeste, la découverte finale du film Salome s’effectue sous le signe du taureau (bull story), alors que l’expédition contemporaine dans la jungle reprend l’esthétique du film de Spielberg, Les Aventuriers de l’Arche perdue, lui-même pastiche des films d’aventures24. Le couronnement de cette saga fait éclater la réflexivité de l’œuvre : c’est l’envoi d’Espagne, quasi-miraculeux, du dernier film tourné par McKenzie pendant la guerre civile espagnole et filmant sa propre mort25 ! Le caractère réflexif est emblématisé dans la toute dernière image du film où Colin McKenzie est montré en train de se filmer lui-même dans un miroir, image sur laquelle défile le générique de fin avec les noms des scénaristes et metteurs en scène Peter Jackson et Costa Botes.
15Contrairement à ce qui se passe dans Forgotten Silver, le caractère fictif des événements relatés dans The Falls ne fait aucun doute. Mais Peter Greenaway, qui a travaillé pendant plusieurs années au Central Office of Information, organe de la BBC chargé de produire des documentaires éducatifs sur la Grande Bretagne et destinés aux pays étrangers, s’ingénie à présenter une suite de propositions non-sensiques selon le modèle de présentation factuelle qui caractérise le mode documentaire :
Here were people collating absurd statistics about the number of sheepdogs in South Wales or Japanese restaurants in Ipswich, so I thought I could put the classic BBC techniques, the paraphernalia of apparently « real » information, to entirely fictional ends. [The Falls ] is a total travesty of the documentary tradition26.
16La commission de la VUE postule en effet que l’accumulation systématique des données équivaut à une explication logique. L’application des méthodes statistiques et de la rhétorique d’investigation à un événement saugrenu fait apparaître l’absurde et l’arbitraire de tout le système classificatoire qui sous-tend le discours. The Falls procède ainsi à une archéologie foucaldienne du savoir, démythifiant les procédés rhétoriques et représentationnels du documentaire. Les systèmes de classifications adoptés, tels que le classement alphabétique ou le catalogue, sont en somme des manifestations très ordinaires et quotidiennes de ce que Michel Foucault appelle « représentation », c’est-à-dire les conditions originaires du savoir caractéristiques de l’episteme classique. Or selon le philosophe, cette dernière est incapable de justifier les fondements de la représentation qu’elle propose dans la mesure où celle-ci se donne comme duplication du réel27. Dans The Falls, alors que le discours est structurant à l’extrême, chaque cas présenté étant introduit par un numéro, identifié par le sexe, l’âge, les symptômes et la langue, jamais la nature des liens postulés entre la VUE et les symptômes, physiques et linguistiques, n’est explorée. De plus, il apparaît très vite que les assises mêmes de la taxinomie deviennent problématiques. Le genre échappe à la dualité masculin-féminin, la VUE provoquant de fait un quadrimorphisme sexuel. Le nom propre, clé de voûte de l’édifice classificatoire, devient fluctuant. Pas moins de cinq personnes répondent au nom d’Ostler Falleaver (n° 59), toutes dûment interviewées. La commission elle-même participe au flou général en offrant une sélection de pseudonymes et de dix photos en noir et blanc pour les victimes qui désirent rester anonymes28.
17En confrontant le cinéma avec les origines mythiques du documentaire, The Falls s’attaque à deux principes canoniques du genre. Le premier est le rôle déterminant du langage verbal qui sert d’ancrage interprétatif à l’image. Or, les images et leurs commentaires sont en fait soumis à des tendances contradictoires : les unes gouvernées par la plus grande hétérogénéité, les autres conçus de façon homogène, lus sur le même ton uniforme. Le second concerne l’incontournable voix-off, qui par définition provient d’un hors-champ garant de son autorité sinon de son objectivité. Ici elle entre dans le champ à plusieurs reprises lorsque les différents narrateurs sont filmés en train de lire leurs textes. La transgression qu’engendrent ces images, au-delà de l’effet comique que provoque leur trivialité, détruit la sphère mythique du documentaire perçu comme enchaînement de faits qui parlent d’eux-mêmes. Le commentaire verbal comme l’image sont rendus à leur opacité respective de signifiants, d’autant qu’une même image peut générer des discours divergents. Face à cette hétéroglossie, la prolifération des discours partage cependant le postulat du sens. Postulant du sens partout, les récits explicatifs laissent libre cours aux théories de la conspiration, seule garante d’une identité et d’une transcendance. En cherchant à tout prix des causes finales, les discours opèrent la conflagration des fins et de l’origine. « La grande songerie d’un terme de l’Histoire, c’est l’utopie des pensées causales, comme le rêve des origines, c’était l’utopie des pensées classificatoires29 ». La catastrophe de la VUE fonctionnerait comme le principe d’historicité qui selon Michel Foucault caractérise la pensée moderne.
Mais en se donnant pour tâche de restituer le domaine de l’originaire, la pensée moderne y découvre aussitôt le recul de l’origine ; et elle se propose paradoxalement d’avancer dans la direction où ce recul s’accomplit et ne cesse de s’approfondir ; elle essaie de la faire apparaître de l’autre côté de l’expérience, comme ce qui la soutient par son retrait même...
18The Falls illustre le paradoxe de la pensée historique écartelée entre la nécessité d’assigner une origine et la reconnaissance que cette dernière est insaisissable. Dans ces conditions, la théorie de la conspiration serait une version moderne, dégénérée, du mythe tombé dans l’histoire.
19Cependant, si la prolifération des discours entraîne l’entropie du sens, cette « chute » n’a rien de solennel ou de grave, mais au contraire engendre un jeu de réflexivité du film sur lui-même. Ainsi l’une des théories récurrentes est celle d’une conspiration cinématographique : pour Osbian Fallicutt (n° 68), la VUE est une supercherie dispendieuse et raffinée que perpétue A.J. Hitchcock afin de donner quelque vraisemblance à la fin troublante et peu satisfaisante de The Birds, autre film catastrophe qui laisse l’attaque des oiseaux largement inexpliquée30. La photo de Tippi Hedren, autre victime des oiseaux, est ainsi l’une des dix identités d’emprunt proposées aux victimes désireuses de garder l’anonymat. Les références ludiques abondent, qui englobent indifféremment œuvres de fiction31 et organismes officiels de production cinématographique dont les acronymes sont détournés32. Plus fondamentalement, le dispositif cinématographique lui-même est mis en abyme à travers ses deux constituants fondamentaux que sont le rai lumineux de la projection et la surface réceptrice de la lumière projetée, tous deux rendus à leur matérialité de signifiant vidé de signifié. À plusieurs reprises, la direction de la projection s’inverse vers la source du rayon lumineux, l’écran devient entièrement blanc ou noir33.
20Enfin, le film The Falls fait lui-même l’objet d’une mise en abyme. L’une des dernières biographies (n° 88) est consacrée à Erhaus Bewler Falluper, statisticien de métier, qui, afin d’évaluer les connaissances en histoire naturelle du grand public, avait entrepris, quelques 18 mois avant la VUE, de filmer 19 séries de 92 enquêtes. Ces enquêtes se trouvent avoir influencé la commission dans le choix des noms retenus, de même que des extraits d’enquêtes sont utilisés pour illustrer plusieurs des biographies34. Or, non seulement la commission reconnaît que les expériences ont une validité scientifique douteuse, mais des détracteurs accusent Falluper de forger des fictions et des identités propres à semer la confusion :
Ses partisans étaient certains que ces accusations pouvaient être fondées dans certaines circonstances, mais ils croyaient que les demi-fictions de Falluper étaient des sous-produits précieux et effervescents de sa compulsion à dresser des cartes, à indexer les catastrophes et à briser le chaos en mille morceaux qu’il pouvait ensuite arranger autrement, peut-être par ordre alphabétique.
21On ne peut trouver de description plus adéquate pour rendre compte du film de Peter Greenaway.
22De façon ironique, la déconstruction du mythe que constituent la forme documentaire et ses présupposés épistémologiques assimilant le discours au réel aboutit dans The Falls à l’élaboration d’une mythologie personnelle35. Outre les références obsessionnelles au vol, à l’eau et à l’ornithologie, The Falls regorge de personnages qui traversent l’œuvre entière de Peter Greenaway : Tulse Luper, véritable alter ego36, les trois Cissie Colpitts (n° 27) de Drowning by Numbers, Van Hoyten, chef du département ornithologique du zoo d’Amsterdam, puis historien dans la biographie 70, et de nouveau gardien de zoo dans A Zed and Two Noughts. On remarque un accident de voiture percutant un cygne (n° 28) similaire à celui de A Zed and Two Noughts, un sujet frappé par la foudre (n° 79) comme sorti du court métrage Act of God, un développement allégorique sur les défenestrations politiques (n° 78) qui rappelle le thème de Windows et le thème musical omniprésent, tiré du deuxième mouvement de la symphonie concertante de Mozart, que l’on retrouvera dans Drowning by Numbers. Enfin, on peut voir distinctement de larges extraits de A Walk through H (n° 56) et de Vertical Features Remake (n° 67), deux moyens-métrages dans lesquels Peter Greenaway s’amuse à saper la rhétorique analytique d’une vision structuraliste du monde.
23Films exemplaires du genre de la fiction documentaire, The Falls et Forgotten Silver s’emparent tous deux de mythes existants pour les ouvrir au jeu des références intertextuelles. L’espace mythique devient un espace de jeu. Davantage encore que les mythes culturels, c’est l’origine documentaire du cinéma comme mythe, comme mode im-médiat d’enregistrement et de restitution du monde où les choses coïncident parfaitement avec leurs représentations, que la fiction documentaire s’ingénie à déconstruire. Ironiquement, il apparaît que la forme de la fiction documentaire, tout en dévoilant les mécanismes de la croyance mythique, génère une propre puissance mythopoïétique. Jane Roscoe et Craig Hight notent plusieurs cas où les personnages de fictions documentaires ont développé une existence en dehors des films. A la suite du succès remporté par Man with a Plan (John O’Brien, 1996), fiction qui relatait la campagne électorale au Congrès de Fred Tuttle, un fermier du Vermont à la retraite, le metteur en scène John O’Brien et Tuttle lui-même ont entrepris une carrière politique. Des électeurs ont également utilisé le nom de Tuttle en signe de protestation dans des élections locales du Vermont. Un autre cas est fourni par This is Spinal Tap (Rob Reiner, 1984), modèle du sous-genre qualifié de « mock-rockumentary ». Le succès du film a conduit le groupe de rock fictif, jouant pourtant de façon exécrable, à jouer effectivement en concerts et à sortir des albums. En témoignent également le malentendu qui a marqué la réception de Forgotten Silver, ou l’élaboration d’une mythologie personnelle chez Peter Greenaway. Si « le paradoxe de la création est que le mythe ne devient créatif qu’en faisant l’objet d’une démythologisation37 », la force de la déconstruction du mythe est à la mesure de la puissance du mythe lui-même. En d’autres termes, la croyance, tout aussi indispensable aux récits mythiques qu’aux récits cinématographiques, n’est pas tant dépréciée qu’articulée à l’univers de fiction.
Notes de bas de page
1 Ces films ont rarement l’intention délibérée de tromper, même s’ils provoquent parfois des malentendus, comme le montre le cas de Forgotten Silver.
2 Roland Barthes dans Mythologies (Paris, Seuil, 2001 [1957]), définit le mythe comme « système sémiotique second », c’est-à-dire un signifiant associé à un signifié qui deviendra le signifiant d’un signifié second qui va le naturaliser en lui déniant sa nature de signe (p. 187). Plus loin, il ajoute : « En fait, ce qui permet au lecteur de consommer le mythe innocemment, c’est qu’il ne voit pas en lui un système sémiologique, mais un système inductif : là où il n’y a qu’une équivalence, il voit une sorte de procès causal : le signifiant et le signifié ont, à ses yeux, des rapports de nature. On peut exprimer cette confusion autrement : tout système sémiologique est un système de valeurs ; or le consommateur du mythe prend la signification pour un système de faits : le mythe est lu comme un système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique » (p. 204).
3 En mars 1991, lors d’une arrestation à Los Angeles, quatre policiers frappent violemment un jeune Afro-Américain une cinquantaine de fois avant de lui passer les menottes. Le scandale éclate lorsque la scène, filmée par hasard en vidéo, est diffusée sur les chaînes américaines, dénonçant le racisme et la violence des forces de police.
4 « In New Zealand popular culture, the native bush and its associated landscape plays something of a similar function as the Western frontier in American folklore. Here is the bush which served as a frontier for early European colonialists, and as the place where the more admired aspects of a supposed New Zealand character was forged. The resilience, independence and persistence of McKenzie in the face of natural obstacles provided by the West Coast bush appeal to such well-established stereotypes in New Zealand culture ». Jane Roscoe & Craig Hight, Faking It : Mock-documentary and the Subversion of Factuality, Manchester University Press, 2001, p. 118.
5 Ce sont les premiers mots du film, inscrits à l’écran après la liste des noms propres.
6 Melorder Fallabur (n° 3), spécialiste d’histoire comparée du vol, interrogé sur ses propres tentatives, déclare : « We all know there has been a conspiracy. Only the failures have been recorded. We are all too interested in Icarus and not enough in his father ». À la fin de la biographie 12, un expert explique : «’Guller’we are told is an Allow word meaning flight over water. Icarus was a guller ». Lors de l’interview d’Armeror Fallstag (n° 81), à la question « Did you fly too near the sun ? », le chanteur répond « No, My hero is Daedalus ».
7 « Le mythe, comme le vérifient l’anthropologie et l’herméneutique, s’apparente toujours, de près ou de loin, à un discours sur l’origine. L’histoire mythique nous fait assister à l’émergence d’un ordre, d’un monde, d’une série d’événements, d’un enchaînement de faits ». Jean-Jacques Wunenburger, « Images à l’œuvre » in La Vie des images, Presses universitaires de Strasbourg, 1995, p. 52. Ainsi pour Mircea Eliade le mythe relate « un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements » Aspects du mythe, Gallimard, 1958, p. 15.
8 « Le monde naturel est appréhendé à travers des manifestations phénoménales qui ne prennent sens que personnifiées ». Jean-Jacques Wunenburger, « Le Mythe ou la pensée par images » in La Vie des images, op. cit., p. 47.
9 Frédéric Monneyron & Joel Thomas, Mythes et littérature, Paris, PUF (Que sais-je), 2002, p. 25.
10 La contamination du langage par les oiseaux est thématisée dans la biographie 42 : le linguiste Bwythan Fallbutus, « dans sa quête parallèle d’un dénominateur linguistique commun, a démontré avec succès que les noms d’oiseaux étaient autant de mots-clés ».
11 La nécessité d’une origine fondatrice du sens de l’histoire a été commentée par Michel Foucault à propos de ce qu’il nomme « le retour et le recul de l’origine » qui caractérise la pensée moderne : « Ce n’est plus l’origine qui donne lieu à l’historicité ; c’est l’historicité qui dans sa trame même laisse se profiler la nécessité d’une origine qui lui serait à la fois interne et étrangère : comme le sommet virtuel d’un cône où toutes les différences, toutes les dispersions, toutes les discontinuités seraient resserrées pour ne plus former qu’un point d’identité, l’impalpable figure du Même, ayant pouvoir cependant d’éclater sur soi et de devenir autre ». Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 341.
12 Jean-Jacques Wunenburger, « Le Mythe ou la pensée par images », op. cit., p. 41.
13 On peut également relever le rôle du journal The Listener qui a bien voulu annoncer la diffusion du film comme documentaire authentique, bien que de nombreux éléments suggéraient déjà la nature fictive de ce dernier. L’article, publié le 28 octobre 1995, finit par une citation de Jackson : « There was some pressure on us at first to possibly dramatise some aspects of Colin’s life, but frankly, even though it’s a documentary, the events of his life were so dramatic that the word drama is not inappropriate », et Botes d’ajouter : « It’s as gripping as any fictional story ».
14 Jane Roscoe & Craig Hight, op. cit., p. 118-19.
15 Jean-Jacques Wunenburger « Le sens du mythe » in La Vie des images, op. cit., p. 33.
16 Par exemple pour la biographie 26 : « Pour l’heure aucune indication supplémentaire ne peut être publiée, diffusée ou utilisée de quelque autre manière tant que ne seront pas entièrement terminées les recherches sur Agropio Fallaver et sa langue unique », ou encore la biographie 89 : « Grastled Falluson a répandu tant de fictions sur son propre compte que l’annuaire ne saurait se porter garant d’aucune version de sa biographie. »
17 Les biographies 21, 29, 35 sont toutes devant la justice pour des motifs aussi variés que détournements de fonds appartenant à la Société de Protection des Oiseaux, cruauté envers les oiseaux et inconduite envers un mainate. Pour Allia Fallanx (bio 14) « la publication de détails biographiques personnels sur les employés de la Commission de la VUE est interdite ». La biographie 58 (Sitarch Fallding) est non disponible « compte tenu de la dispense spéciale plaidée par son conseillé juridique, la commission soupçonne que le sujet est victime d’une tentative de chantage de la part de la FOX ». Eric Fallfree (63) est sous contrat : « Tous les éléments de sa biographie sont la propriété exclusive d’une maison de production CROW film ». La biographie 65 (Zachia Fallgilot) a été « retirée de l’annuaire sur avis médical, le sujet étant allergique à toute apparition en public ».
18 Coppice Fallbatteo (30), historien d’art, recherche la signification des oiseaux dans la peinture occidentale et est remonté jusqu’à Piero della Francesca et sa peinture dite de « la Vierge de Brera » dans laquelle au-dessus de la Vierge est suspendu un œuf blanc. Coppice a étudié tous les aspects de la toile mais il n’est pas parvenu à trouver d’explication définitive à cet œuf suspendu, seul élément déroutant qui devint le symbole même de la VUE.
19 Jean-Jacques Wunenburger, « Le mythe ou la pensée par images », op. cit., p. 40.
20 Cité dans Roscoe & Hight, op. cit., p. 147.
21 À propos de la cité biblique que McKenzie érige dans la jungle : « Elle était censée abriter le tournage du plus grand film jamais produit en Nouvelle Zélande. » À la fin du film, un gala de première est organisé « pour le film le plus extraordinaire de Nouvelle Zélande ». Lindsay Shelton, de la New Zealand Film Commission, déclare avant la projection : « Jamais il n’a fallu autant de temps entre la conception d’un film et son achèvement. Jamais un film a emmené son public dans une quête telle que celle qui vous attend. » Le représentant de Miramax s’engage à convaincre la Film Academy d’accorder à salome le titre de meilleur film... (mes italiques).
22 Parce que le moteur à manivelle des caméras de l’époque ne lui convient pas, Colin mécanise sa caméra en roulant à bicyclette « créant ainsi les premiers travellings de l’histoire du cinéma ». Parce qu’il tombe éperdument amoureux de Mabel, l’actrice jouant Salome, « Colin rapprochait sans cesse la caméra de la jeune fille, inventant au passage le gros plan ».
23 Peter Jackson explique qu’il voulait une patine plus élaborée que quelques griffures et le défilement accéléré de la pellicule. Son équipe et lui ont particulièrement soigné les « stigmates » du temps : grain de la pellicule, taches noires incandescentes, et « serpents lumineux » qu’accompagne le bruit du défilement de la bobine. Pour le vol de Pearse, Jackson explique le choix du cadrage un peu trop haut, caractéristique des films d’avant 1910. Salome, par sa démesure, fait référence aux épopées de D.W. Griffith et aux péplums muets italiens. Tous les signes iconiques des films muets sont présents : jeu outré des comédiens, formats circulaires de tailles variables, jeux de lumières proches de la surexposition, jeux de colorisations monochromes, intertitres décorés. Le test couleur tourné à Haïti est exemplaire d’un exotisme de pacotille. La série des films au comique de mauvais goût « Stan the man » est, elle, inspirée de vrais films d’époque néo-zélandais, appelés « communities’comedies ». L’équipe de tournage se déplaçait de ville en ville, tournait avec les habitants pendant les jours de la semaine et projetait le film pendant le week-end pour que les gens viennent se voir. Costa Botes explique : « People like Ruddall Hayward, he would go from town to town ; they shot movies with local people as performers. /.../ It was a good opportunity to pay a little homage to these people, these real pioneers. »
24 L’expédition s’accompagne d’une musique discrète évoquant le mystère (pulsations et distorsions mélodiques). L’équipe découvre un souterrain « sous les vestiges d’un temple en ruine marqué du sceau du taureau (Bull) », et parvient à une chambre forte secrète. À l’intérieur se trouve « une vision digne des tombes égyptiennes les plus riches ». Enfin une crypte révèle les bobines de Salome lumineuses comme des pièces d’or, le tout sur une mélodie aux voix lyrico-mystiques.
25 Costa Botes raconte : « Cette bobine fut confisquée par les fascistes à la bataille de Malaga en 1937, a séjourné dans les archives près de 60 ans, et est attribuée à un caméraman du nom de Colin McKenzie. /.../ En visionnant le film ce matin, nous n’en avons pas cru nos yeux ». On voit Colin qui filme un assaut, pose la caméra à terre pour porter secours à un combattant blessé et tombe à son tour sous les balles devant sa propre caméra !
26 Cité dans le texte introductif de la vidéo éditée par le BFI, 1994.
27 « Mais si les phénomènes ne sont jamais donnés que dans une représentation qui, en elle-même, et par sa représentabilité propre, est tout entière signe, la signification ne peut faire problème. Bien plus, elle n’apparaît même plus. Toutes les représentations sont liées entre elles comme des signes ; à elles toutes, elles forment comme un immense réseau ; chacune en sa transparence se donne pour le signe de ce qu’elle représente ; et cependant – ou plutôt par le fait même – nulle activité spécifique de la conscience ne peut jamais constituer une signification ». Michel Foucault, op. cit., p. 80.
28 Biographie 10 : « Rédiger la biographie d’une personne en vie est chose délicate, chacun en conviendra. Chaque fois que cela nous a paru nécessaire ou souhaitable, et chaque fois ou presque que le sujet l’a voulu, nous avons recouru à diverses formes d’anonymat. La commission de la VUE laissait le choix entre dix identités d’emprunt possibles ».
29 Michel Foucault, op. cit., p. 275.
30 « The VUE is a cinematic fraud, a hoax played out through cinematic means. /.../ In fact an elaborate and expensive hoax perpetrated by A.J. Hitchcock to give some credibility to the unsettling and unsatisfying ending of his film The Birds ».
31 Bird Raspara Fallicutt (67) est occupée à dresser une liste de titres de film comprenant un nom d’oiseau.
32 Le producteur du film même, le BFI (British Film Institute) devient dans la biographie n° 3 le « Bird Facilities Investment ». Le protagoniste fait part de sa confiance dans ses prochaines expériences de vol : « Besides if I fail it will ruin your producers. The BFI, the Bird Facilities Investment might never film again ».
33 C’est le cas dans la biographie 15 lorsque le film projeté dans le film s’arrête, laissant place à un écran blanc alors qu’on entend : « there will be innumerable chances to begin again ». Dans les biographies 16 et 45, un écran noir vient mimer les syncopes auxquelles les protagonistes sont sujets.
34 Notamment les n° 19, 46 et 49.
35 J’entends ici par mythologie personnelle la création d’un univers personnel élaboré à partir de schemes et figures récurrentes qui fonctionnent comme autant de mythèmes – unités de signification minimales – liés en un réseau relationnel mais qui perdurent en tant qu’unités autonomes, en dehors d’une œuvre spécifique. Peter Greenaway utilise quant à lui l’image de l’encyclopédie, qu’il convient de comprendre non comme ouvrage scientifique mais comme ouvrage totalisant les schèmes et figures qui caractérisent l’oeuvre passée ou à venir du cinéaste. (« I like to think of The Falls as my personal encyclopaedia Greenawayensis », cité dans le texte introductif de la vidéo BFI).
36 Peter Greenaway retrace sa biographie ainsi : « Au départ, c’est le copain invisible que l’on s’invente durant l’enfance. Quand j’ai commencé le cinéma, j’étais timide. Au lieu de dire : je pense que... c’est Tulse Luper qui le faisait pour moi. Puis il entré dans mes films : ornithologue (comme mon père) dans A Walk through H, écrivain dans The Falls, et même cinéaste d’un film disparu dans Vertical Features Remake. Dans Drowning by Numbers, on voit sa maîtresse, dans Z.0.0., son ennemi juré. ». Entretien donné à Télérama n° 2453, 15 janvier 1997. Tulse Luper est le héros éponyme du dernier long métrage Tulse Luper’s suitcases (2003).
37 Jean-Jacques Wunenburger, « Images à l’œuvre », op. cit., p. 54.
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