Lire et écrire le mythe
p. 7-8
Texte intégral
1Fruit de la décision de chercheurs d’écrire ensemble un ouvrage qui rendrait compte de leur réflexion au cours des réunions de leur laboratoire, l’ouvrage interroge les rapports d’écart et de proximité de la littérature avec le mythe. Il part d’un examen de la notion de mythe dont la complexité et les définitions divergentes ne manquent pas de frapper.
2L’ambiguïté commence avec le support du mythe, peu interrogé par les anthropologues quand ils renvoient à un ensemble de récits à caractère sacré, bien qu’à l’occasion, ils en analysent les versions successives, à l’instar de Jean-Pierre Vernant, faisant implicitement du texte qui le fixe le support du mythe ou tout du moins du sens qu’il prend en une époque donnée. Les affinités du mythe et de la littérature sont là d’emblée, à tel point que les grands mythes classiques sont tenus pour partie prenante de la tradition littéraire.
3Pousser plus loin l’analyse confronte à la difficulté de comprendre ce qu’est un mythe dont Mircea Eliade relève l’impossible définition :
D’ailleurs, est-il même possible de trouver une seule définition susceptible de couvrir tous les types et toutes les fonctions des mythes, dans toutes les sociétés archaïques et traditionnelles ? le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut-être abordée et interprétée dans des perspectives multiples et complémentaires1.
4Du mythe, nous n’avons que des approches, des interprétations, et paradoxalement la notion semble emprunter deux voies difficilement réconciliables quand, de récit à caractère sacré, elle a pu en venir à désigner la fausseté d’une conception. Si l’on conçoit comme Jean-Pierre Vernant le Mythos comme un mode de pensée archaïque, détrôné par le Logos, ou comme Lévi-Strauss que le mythe est une solution à une contradiction, et qu’il prend appui pour ce faire sur l’imaginaire du récit, de la fiction qui peut conduire à interpréter celui-ci en termes d’idée fausse, comment concilier en revanche la fixité idéologique du mythe selon Roland Barthes, et sa puissance, sa capacité à toucher au sacré selon Paul Ricœur, ou son rapport à la vérité selon Lacan ? Peut-être convient-il de distinguer, comme le fait ce dernier, le contenu manifeste du mythe (sa dimension d’idéal, prise à l’occasion dans l’idéologie), de son contenu latent, emportant un savoir parfois subversif, contradictoire par rapport au premier, dépassant le plan de la fixité des images pour toucher à un point de vérité, ne serait-ce que sur le versant de l’impossible, des limites du langage, du réel ?
5S’arrêtant sur les points de croisement de la littérature et du mythe à travers la littérature anglo-saxonne, riche de recours au mythe, les travaux de ce volume démontrent la variété des formes qu’ils peuvent prendre : de la production de grands mythes littéraires qu’il convient de cerner dans leur spécificité (Pascale Renaud-Grosbras, Sophie Marret, Anne-Laure Fortin, Sterenn le Coadou), à la dénonciation des constructions idéologiques qu’ils servent (Émilienne Baneth), en passant par les mythologies propres à l’expérience littéraire ou cinématographique, comme le réalisme (Anne-Claire Le Reste) et le documentaire (Nicole Cloarec), ou encore la subversion des idéaux du mythe par le texte (Hettie Le Pennec) et les rapports de rivalité que la littérature peut entretenir avec le mythe (Nicolas Boileau). A l’inverse, le texte littéraire prend parfois appui sur le mythe et sa poétique à des fins de subversion (Delphine Lemonnier, Maria Tang), pour en retrouver la puissance symbolique au-delà du chaos de la modernité (Thierry Goater). Ainsi le mythe peut-il prendre valeur de modèle (Jean-Pierre Juhel), et le texte trouver appui sur son mode d’énonciation pour revivifier la langue (Claudia Desblaches), renouer avec sa capacité à toucher au hors-sens de la vérité (Claude Le Fustec, Sébastien Dauguet). Ce parcours illustre dès lors les différents visages sous lequel se présente le mythe et convie le lecteur à réfléchir plus avant sur ce que l’écriture littéraire lui emprunte, en quoi elle reste en deçà du mythe ou nous porte au-delà de lui selon qu’il intervient sur le versant de la fixité des images ou de la force d’une vérité au-delà des mots.
6L’ouvrage résulte des travaux du laboratoire de recherche « Lectures et Langages Critiques », de l’équipe Anglophonie Communautés et Écritures.
Notes de bas de page
1 Mircea Éliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard (Folio), 1963 p. 16.
Auteur
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