Chapitre IV. La transformation des associations de sauvegarde en CREAI
p. 97-140
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Les ARSEA ont été mises en place en faisant appel au cadre juridique de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Pour autant, dès le départ, l’esprit même de cette loi a été assez largement dénaturé. Ainsi, l’adoption de statuts types, imposés aux administrateurs des différentes associations régionales, prévoyait l’obligation de se conformer à toutes sortes de modalités de contrôle qui dépassaient sans conteste les seules règles d’informations légales portant sur la composition d’un bureau ou sur les délibérations des assemblées générales annuelles ou extraordinaires. Les pouvoirs publics n’hésitaient d’ailleurs pas, par le biais de circulaires, à rappeler aux présidents des ARSEA que rien ne devait se faire sans leur aval, qu’il s’agisse de l’ordre du jour des réunions prévues ou de la prise de décisions importantes. Cette immixtion était à la mesure d’une instrumentalisation qui n’est cependant pas allée, au fil des années, sans poser bien des problèmes, sans que des voix s’élèvent de différents côtés pour en dénoncer les limites voire les dérives.
2Cette contestation, qui provient tant de certaines sphères étatiques (ministères de l’Intérieur, de l’Éducation nationale, de la Justice) que d’associations gestionnaires d’équipements sociaux, paraît prendre une ampleur particulière à la fin des années 1950. Pour autant, ce qui apparaît bien avoir été déterminant renvoie aux inflexions consécutives à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, et aux premiers gouvernements de la Ve République. Coordination renforcée entre ministères, mise en place, après une période probatoire, d’administrations déconcentrées aux pouvoirs fermement définis, notamment les Services régionaux de l’action sanitaires et sociale (SRASS), l’heure des changements a sonné et l’UNAR comme les ARSEA vont bon gré mal gré devoir s’adapter à cette nouvelle donne. Un premier train de réformes, en mai 1962, puis un second, au tout début de 1964, laissent clairement entrevoir que l’État entend bien reprendre la main. L’Union nationale des associations régionales va alors être transformée en une instance de seule expertise aux missions assez floues ; les ARSEA, et avec elles leurs équipes techniques, vont, de leur côté, devenir de ces Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) aux prérogatives singulièrement limitées. En Bretagne comme ailleurs, des délégations régionales de grandes fédérations qui ne se privaient pas de critiquer les ARSEA vont faire leur entrée dans ces nouvelles instances. En l’espace de quelque trois années, c’est bien à un véritable basculement que l’on va assister.
Les relations ARSEA-État au tournant des années 1960
3À la toute fin des années 1950, d’aucuns, à l’image de Pierre Meignant, prédisent que la situation d’entremêlement inextricable public/privé qui caractérise les relations ARSEA-État ne va pas pouvoir durer encore longtemps, du fait des écarts exorbitants avec le droit commun de ces montages atypiques. À la limite, reconnaissait-on à l’unisson, s’il était concevable qu’il en eût été ainsi dans le tout premier moment de création, il devenait urgent que tout cela débouche désormais sur des formes institutionnelles stabilisées et mieux assurées sur le plan juridique.
4Quels étaient donc les points d’achoppement sur lesquels se cristallisaient nombre de critiques ?
5Celles-ci portaient en premier lieu sur la présence imposante de membres de droit, délégués par leurs administrations pour veiller à la conformité des activités des ARSEA. Le risque était grand en effet que s’instaure une certaine confusion des rôles dès lors que des fonctionnaires pouvaient se révéler en quelque sorte juge et parti. L’absence de statuts légaux était aussi soulignée, les circulaires qui servaient de cadre juridique étant en l’occurrence une base extrêmement fragile et discutable.
6Bernard Lory se plaira d’ailleurs régulièrement à en souligner les limites :
« L’incertitude juridique des Associations régionales provient du fait qu’elles ont comme base une circulaire ministérielle, mais une circulaire ministérielle, si elle est incontestablement un acte juridique, ne crée du moins pas nécessairement de droit et par conséquent peut aussi faire naître la contestation et donner prétexte à des critiques1. »
7L’existence d’assemblées générales de pure forme, le financement quasi intégral des ARSEA par l’État étaient soulignés. La position de « faux arbitre » d’une instance pseudo collégiale – les bureaux des différents conseils d’administration – mais en mesure de peser lourd sur des décisions de financement ou d’habilitation d’établissements, éclairait enfin d’une lumière crue sa dépendance vis-à-vis de pouvoirs publics qui savaient jouer éventuellement sur tous les tableaux.
8La présence de membres de droit était prévue dès l’origine des ARSEA. En principe, leur nombre était limité à 6 (sur un total de 20 à 30 membres), mais dans les faits il semble que ce chiffre ait été régulièrement dépassé. Il s’agissait, a minima, du délégué du préfet régional, du procureur général, du recteur d’académie, du directeur régional de la Santé, des délégués régionaux à la Famille et à la Jeunesse ; toutes dénominations qui évoluèrent certes mais sans que le principe de la présence de tous ces représentants soit remis en question. Ce qui était attendu d’eux, et ce explicitement, était qu’ils se comportent en sourcilleux contrôleurs, au point que l’on peut se demander si d’emblée on ne se méfiait pas, dans les couloirs ministériels, de quelques risques de partition ou de prise d’autonomie de ces associations aux statuts pourtant taillés sur mesure. Ainsi, par exemple, les procureurs de la République, membres de droit dans toutes les ARSEA, pouvaient être amenés ès qualités à annuler certains actes jugés illicites de ces associations dans lesquelles ils étaient par ailleurs engagés. Dans les faits, il semble bien que cela n’ait jamais été le cas. En revanche, la présence des inspecteurs de la Population, administrateurs de fait d’établissements et de services qu’ils étaient chargés par ailleurs de contrôler, s’est révélée bien plus gênante, à tel point, comme le rappelle le rapport Rauzy, « que par circulaire du 15 juillet 1955, le ministre de la Santé publique leur a demandé de se décharger de telles fonctions2 ». On ne tarda pas non plus à épingler leur présence dans des instances qui pesaient lourd dans l’attribution de subventions, les avis des ARSEA redoublant d’une certaine manière ceux d’inspecteurs qui avaient alors toute latitude pour imposer leurs visées sous couvert d’une instance « technique » à leurs ordres.
9De tels soupçons étaient d’autant plus justifiés que les décisions se prenaient plutôt en assez petit comité. En effet, curieusement, les statuts types étaient muets sur le rôle de l’assemblée générale qui, dans le cadre de la loi de 1901, devait bien être l’instance souveraine. Les différentes assemblées générales, quand elles étaient réunies, avaient un rôle, semble-t-il, sans réelle portée. De plus, le conseil d’administration déléguait fréquemment à un bureau restreint bien des responsabilités, du fait qu’en son sein des fonctionnaires délégués y émargeaient sans discontinuer.
10À l’instar de nombre d’associations, les ARSEA sollicitaient des subventions des pouvoirs publics. Cependant, en l’espèce, ces subventions, à l’automaticité bien réglée de part et d’autre, représentaient quasiment la seule source de financement de la majeure partie de ces associations régionales, en l’absence, sauf rare exception, de cotisants.
11Avant le tournant des années 1960, une conjonction de critiques se faisaient donc déjà entendre avec force et reprenaient tout ou partie des reproches précédemment cités. Elles provenaient d’ailleurs d’horizons très différents mais elles avaient en commun de considérer décidément bien ambiguës les missions de coordination des ARSEA.
12Par tel ou tel canal, ce sont d’abord les services de ministères autres que ceux de la Santé qui refusaient de se laisser déposséder d’une partie de ce qu’ils estimaient être leurs missions, qui réagissaient quelquefois vivement aux incursions d’organismes mi-publics mi-privés aux contours et aux desseins mal perçus. Se joignaient régulièrement à ces critiques celles d’associations, de fédérations aussi quelquefois. Les unes et les autres voyaient se profiler derrière les ARSEA des ententes partisanes entre gestionnaires d’établissements profitant de la situation qui était la leur pour s’arroger des prérogatives (en matière d’habilitation, de financement de nouveaux projets) et représentants des pouvoirs publics qui avançaient masqués et « faisaient la pluie et le beau temps ». Ces derniers pouvaient toujours se retrancher derrière les avis de ces coordinations régionales qui, à leurs yeux, sinon versaient dans le favoritisme, du moins pêchaient par manque de transparence. À partir de 1960, les services du ministère de la Santé et de la Population eux-mêmes laissent poindre un certain nombre de reproches et commencent à laisser penser que des réformes s’imposent.
13De fait, il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que sourdent, de la part de ministères eux aussi intéressés d’une manière ou d’une autre au domaine de l’enfance, des critiques en direction de ces ARSEA. Les prétentions de celles-ci de s’ériger, malgré leur statut privé et leur représentativité toujours sujet à caution, en organe coordonnant jusqu’aux initiatives d’administrations pas du tout prêtes à s’en laisser conter étaient rejetées. C’est probablement Jean Pinatel qui le premier a, si l’on peut dire, « ouvert le feu », et ce dès 1946, dans son article « Les patronages devant l’État » paru dans La Revue de l’éducation surveillée : ce dernier prend à partie les ARSEA, les accusant de « dirigisme », leur reprochant « d’excéder les limites assignées au contrôle administratif » et « d’amenuiser à l’extrême les droits de la puissance publique3 ». Plus tard, le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Justice entretiendront des relations plutôt distantes avec les ARSEA (notamment en se gardant fréquemment de siéger au bureau de ces associations régionales dont ils étaient pourtant membres de droit) mais aussi avec l’UNAR si l’on en croit Robert Lafon, et ce malgré les efforts qu’il s’efforçait de déployer en leur direction4. Visiblement le montage associatif élaboré par les services du ministère de la Santé n’était pas en cours au sein d’autres administrations qui ne voyaient pas d’un bon œil une telle imbrication public/privé et qui n’avaient sans doute pas les mêmes habitudes de composition sinon d’instrumentalisation d’associations ad hoc. Se profilaient aussi d’âpres luttes pour conserver dans son giron ou au contraire pour tirer vers soi telle ou telle catégorie de jeunes et donc d’établissement. Ainsi, la prise en charge des enfants dits débiles légers 5 a cristallisé à cette époque ces oppositions entre ministères de l’Éducation nationale et de la Santé, les tenants du premier promotionnant les classes de perfectionnement de l’époque, là où les seconds penchaient pour des placements en établissements spécialisés relevant de sa propre administration.
14Ces mêmes prétentions de coordination n’étaient pas non plus du goût de tous du côté d’œuvres privées qui pouvaient s’estimer lésées par ce que leur réservaient une ARSEA. Des soupçons de favoritisme pouvaient par exemple peser sur telle ou telle demande d’habilitation, de création d’établissement pour lesquelles les ARSEA avaient voix au chapitre. Leurs velléités de redessiner le paysage des institutions au niveau régional se heurtaient régulièrement à des responsables d’associations déjà dans la place et se retrouvant en position de subordination vis-à-vis d’ARSEA à qui ils pouvaient prêter l’intention de réserver aux uns un traitement de faveur et de faire en sorte de marginaliser les autres. L’annonce d’un seul rôle technique pouvait d’ailleurs être d’autant plus déniée que ces ARSEA diligentaient elles-mêmes directement la création d’établissements qu’elles géraient sans intermédiaires et qu’il n’échappait à personne que, dans de telles instances, les inspecteurs de la Population pouvaient aussi à l’occasion y tirer quelques fi celles…
15Sans nul doute est-ce en connaisseur que Robert Prigent résume cette situation au parfum de délits d’initiés :
« Là où l’UNIOPSS 6 s’est trouvée en opposition avec les ARSEA, c’est dans la mesure où les ARSEA ont obtenu une espèce de privilège pour créer des établissements. Par exemple en ce qui concerne le Plan, quand une œuvre privée était inscrite au Plan pour créer un établissement, elle était subventionnée à 80 % (40 % du Plan, 40 % de la Sécurité sociale). Quand c’était l’ARSEA qui était la personne morale, promoteur de l’œuvre, il était subventionné à 100 % et alors c’était déjà une petite injustice, mais ce qui était plus grave, c’est que dans leurs statuts, les ARSEA devaient jouer un rôle de consultant sur l’opportunité des projets. À ce moment-là, ils entraient en concurrence, on n’était pas sûr de l’impartialité de l’opinion qu’ils pouvaient se faire. Vous leur demandez : tel projet est-il souhaitable dans la région ? […]. Du fait que les ARSEA devenaient des praticiens, ils avaient des établissements, ils pouvaient là aussi se trouver en opposition d’esprit avec un établissement à côté, qu’ils étaient appelés plus ou moins à inspecter ou autre. […] Et alors, c’est là que l’UNIOPSS, en tant que représentant des établissements privés, de leur autonomie, de leur indépendance, défenseur de l’égalité de traitement avec les établissements publics, à plus forte raison ne pouvaient admettre qu’il y ait des établissements de caractère semi-public qui aient acquis ces privilèges, sans avoir la garantie que donnent les règles administratives. Si vous êtes appelé à collaborer avec un corps administratif, il a ses règles, ses lois, vous savez, vous êtes sûr de la personne morale avec laquelle vous vous entretenez, de la limite de ses pouvoirs, de la limite de ses devoirs, de la limite des moyens et en face les ARSEA 7… »
16Au-delà de l’UNIOPSS, plusieurs autres fédérations sans nul doute contestèrent aussi les prérogatives des ARSEA. Ainsi, l’ANCE donnait également de la voix, quitte au passage à décocher quelques flèches en direction de « ces centres » peu recommandables à ses yeux8. Il n’est pas certain non plus que l’UNAPEI9, qui commençait à avoir véritablement le vent en poupe au tournant des années 1960, restât l’arme au pied. Le secteur du handicap paraît en tous les cas faiblement représenté dans les différentes instances des ARSEA et les promoteurs des associations affiliées à l’UNAPEI n’y trouvaient vraisemblablement pas leur compte au moment où ils sollicitaient en grand nombre l’ouverture de nombreux établissements spécialisés, d’instituts médico-éducatifs notamment, encore mal reconnus par les personnalités siégeant dans les ARSEA.
17Luttes à fleurets mouchetés entre services de différents ministères (quand ce n’est pas entre services d’une même administration…), pressions de fédérations concurrentes contestant la position aussi hégémonique qu’ambiguë des ARSEA voire la trop grande place accordée à l’UNAR ; tout cela ne saurait suffire à expliquer pourquoi, en ce début des années 1960, le ministère de la Santé et de la Population entend reprendre la main. L’heure était aux réformes et le général de Gaulle lui-même « voulait une globalisation de la politique sociale10 » ressentie comme étant jusque-là émiettée, éparse, insuffisamment mue par un fort dessein à l’heure où une croissance économique et démographique sans précédent faisait peser le risque de trop grands déséquilibres dans le partage des fruits de cette croissance. Y avait-il aussi quelques arrière-pensées visant à contrer des personnalités trop en vue, Robert Lafon en premier chef, qui décidément prenait trop de place ? Certes Robert Lafon ne manquait pas une occasion de rappeler son entregent et ses relations, mais il ne faut sans doute pas verser outre mesure dans de telles explications par trop réductrices même si effectivement le personnage, qui n’était pas modeste, en dérangeait plus d’un. S’il faut donc à notre sens prendre du recul avec ce qu’il a pu écrire, pour autant ses assertions sont à considérer, tant elles redoublent ce que l’on a pu lire et entendre par ailleurs :
« Nous n’avions pas le monopole de l’enfance et de l’adolescence inadaptées et nous le reconnaissions bien volontiers, mais nous avions une situation privilégiée dans les instances nationales, dans les subventions qui nous étaient accordées, dans le pourcentage des fonds d’investissement puisque nous étions financés pour nos constructions à 50 % par le ministère de la Santé et à 50 % par la Caisse nationale de Sécurité sociale. Il était logique que nous soyons jalousés. […] De leur côté, bien des personnels des ministères et des services extérieurs n’admettaient pas cette importante aide financière de fonctionnement et l’attention qu’on nous accordait ; ils estimaient qu’il eût été préférable de réserver ces sommes à des services techniques du ministère. Ils oublient le bénévolat et la substance grise que nous apportions. Il m’arrivait d’avoir des informations de l’Administration centrale avant que les directeurs régionaux ou départementaux en aient eu connaissance, ce qui créait parfois quelque gêne et malaise de la part des membres de droit et plus tard, du reste aussi, des commissaires du gouvernement. Certains, comme Madame Péchabrier, auraient souhaité que les services des ARSEA passent sous la dépendance directe des futures directions régionales, et auraient volontiers intégré dans leurs équipes les secrétaires administratifs des ARSEA11. »
18Probablement y eut-il lors de tel ou tel congrès quelques grincements de dents mais plus sûrement, dès lors que le ministère entend impulser une organisation de ses services à la mesure du nouveau rôle qu’on attend d’eux, il devient de moins en moins supportable pour les tenants de telles réformes de cohabiter avec des organisations perçues alors comme bâtardes, mettant en selle des personnalités cadrant mal avec les organigrammes administratifs préétablis et avec les préséances qu’ils impliquent :
« Qu’est-ce qui a amené finalement le ministère à reprendre ces décrets sur les ARSEA ? […]… eh bien c’est le fait que, dans ces ARSEA, des fonctionnaires prenaient des responsabilités, qui pouvaient les mettre en opposition avec leurs supérieurs hiérarchiques. Des personnalités dynamiques, vivantes, pouvaient devenir secrétaire général, secrétaires généraux de certaines ARSEA, et dans leur congrès faire la leçon à leur directeur général, soit du ministère de la Justice, soit du ministère de la Santé et, à l’époque, je sais que Ceccaldi à la Justice et Lory à la Santé se préoccupaient de cette situation12. »
19En 1960, la thèse de Pierre Meignant fera date tant elle marque la fin d’une époque et annonce cette recomposition diligentée par les services du ministère. Son auteur a su prendre, sans faux-semblants, la mesure des ambiguïtés de la situation des ARSEA et a surtout fort bien saisi ce qui depuis déjà deux ou trois ans se tramait en matière de reprise en main par les représentants de l’État dans le cadre d’une nouvelle politique mettant inévitablement en porte-à-faux ces coordinations régionales. D’un certain point de vue, les conclusions de son travail peuvent apparaître programmatiques. Sans doute faut-il y voir aussi une heureuse capacité à accéder à des sources bien informées. Bien que publiée à compte d’auteur, cette thèse va largement circuler dans les mains des administrateurs des ARSEA 13 et le rapport Rauzy semble s’en inspirer assez largement. Tantôt il cite des passages entiers de ce qui est nommé sans plus de précision « un ouvrage récent14 », tantôt, sans indiquer quelque source que ce soit, il recopie des phrases entières de cette thèse prémonitoire. Relever ci-dessous, assez longuement, les conclusions de cette thèse renvoie au fait que ce texte circule et renseigne du coup sur les informations dont disposaient les dirigeants des différentes ARSEA et sur les débats qui les traversaient effectivement en cette année charnière de 1960.
« Quelles sont les perspectives d’avenir de la protection de l’enfance inadaptée et des associations de sauvegarde ? Les progrès réalisés dans le domaine de l’enfance inadaptée sur les plans juridique et administratif ont été moins rapides et moins décisifs que sur les plans scientifique et technique. L’appareil législatif est trop lourd, l’organisation administrative trop complexe. L’équipement reste quantitativement et qualitativement insuffisant. La multiplicité des administrations s’occupant de l’enfance engendre des imbrications qui survivent à tous les efforts de coordination. Les initiatives privées concourent d’une manière parfois désordonnée à la réalisation des tâches communes. Comment améliorer le système français ? Que cette amélioration ne puisse venir que de l’État, cela n’est guère contesté aujourd’hui : seul l’État peut aménager par voie d’autorité et dans un ordre logique les diverses institutions chargées de la protection de l’enfance inadaptée. Il ne saurait encourir le reproche d’ingérence abusive dans le secteur privé […]. La centralisation s’impose, mais assortie de la déconcentration, qui permet une adaptation plus souple de ses directives générales aux circonstances régionales et une collaboration active avec les initiatives locales contrôlées. […] Quelle que soit l’orientation adoptée par le législateur, le problème de l’existence même des associations régionales se posera à brève échéance. Les associations de sauvegarde ne sont en effet qu’un pis-aller, en ce sens que c’est pour pallier l’hétérogénéité des dispositions relatives à l’enfance inadaptée et pour aiguiller les activités des particuliers sur une voie éducative et scientifique, et non plus répressive et empirique, qu’on a dû recourir, à divers échelons géographiques, à ces “relais” qui, depuis le comité interministériel jusqu’aux associations départementales, cherchent à coordonner grâce à une structure hiérarchisée les décisions prises sur le plan national et leur exécution sur le plan local, à assurer l’application d’un programme général et à fournir à l’autorité qui le conçoit les éléments concrets servant à son élaboration. Dans l’esprit de leurs promoteurs, les associations régionales n’étaient que des institutions transitoires destinées à faire place ultérieurement à un service public. Or cette phase transitoire dure maintenant depuis quinze ans. Il est anormal d’enregistrer pendant si longtemps de telles discordances entre le droit et le fait. Une association privée administrée partiellement par des fonctionnaires, coordonnant les efforts privés en liaison avec les pouvoirs publics, financée presque exclusivement par l’administration, jouant un rôle semi-public sans aucune habilitation législative, constitue pour le juriste une sorte d’hérésie. […] De toute façon, il importe de sortir de l’ambiguïté actuelle, qui gêne d’abord les associations régionales elles-mêmes, tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des œuvres privées. »
20La dernière formule de Pierre Meignant est on ne peut plus tranchée quand il énonce comme seule issue possible « l’inévitable reconversion des associations de sauvegarde, pour le plus grand bien de l’enfance inadaptée ».
21Cette thèse, pour autant qu’elle puisse apparaître détonante, s’inscrit bien dans une réflexion plus générale sur la place de l’État, réflexion qui à l’époque donne lieu à bien des débats et prises de position, et en ce sens elle n’est pas si novatrice que cela15. D’ailleurs, avant même l’accession de De Gaulle au pouvoir, par diverses réformes administratives, le gouvernement de Mendès France cherchait déjà à organiser une meilleure coordination de ses services extérieurs. Ainsi, dès 1953 (arrêté du 12 janvier), le Commissariat au Plan avait constitué une Commission de l’équipement sanitaire et social chargée de « présenter dans les six mois des propositions susceptibles d’être insérées dans le projet de IIe Plan de modernisation de d’équipement (1954-1957) ». Les services de la Santé publique s’étaient certes tournés vers les ARSEA mais des réformes étaient en gestation. De même, en 1956, comme le rappelle Pierre Bodineau16, les « programmes d’action régionale » et, avec, le découpage de « régions de programme » ébauchaient déjà ce que le IIIe Plan (1958-1961) allait afficher comme priorité en matière de structures administratives déconcentrées pouvant relayer efficacement les directives de l’administration centrale. De ce point de vue, constat était donc fait depuis quelques années que le ministère de la Santé ne disposait pas de tels relais :
« Lorsque Bernard Lory arrive à la direction de l’Action sociale en 1960, il trouve une administration non seulement marquée par sa position de faiblesse dans la hiérarchie des grandes administrations de l’État, mais aussi totalement bureaucratisée et dont l’action traditionnellement pensée et organisée en fonction de groupes cibles se réduit à l’attribution d’allocations de secours en espèces ou à des placements dans des institutions spécialisées. L’absence d’outils d’évaluation, de rationalisation des choix, ne sont que les handicaps les plus criants d’une institution vivant sans projet politique de transformations. Ceci explique que la direction de l’Action sociale adresse un double recours au Plan : celui d’une concertation-réflexion et celui d’une légitimation de ses demandes auprès du ministère de Finances17. »
22Effectivement, comme le souligne en 1962 le rapport d’Albert Rauzy :
« Le ministère de la Santé publique ne dispose pas de structures administratives publiques qui lui soient propres et agit par le truchement des collectivités locales ou des établissements privés. Cette formule, mieux adaptée à l’action sociale par sa souplesse et la facilité de fonctionnement qu’elle apporte, subordonne toute réalisation à des initiatives locales le plus souvent privées, ce qui ne permet pas toujours de créer à propos, quand et là où cela est nécessaire18. »
23Faut-il s’étonner alors que la Commission de l’équipement sanitaire et social préparant le IVe Plan juge une telle caractéristique « antinomique de toute planification19 ».
24Bernard Lory, fort de ces constats, se garde bien, lors du congrès de l’UNAR de septembre 1960, à Lille, de heurter de front les ARSEA et leur Union nationale, mais quitte à rendre un hommage appuyé aux bienfaits de l’initiative privée, il laisse entrevoir un dessein qui ne va pas tarder à se concrétiser :
« L’Administration qui vit, du point de vue de l’élite, sous un régime déjà ancien, se trouve de moins en moins adaptée aux besoins actuels, de moins en moins apte à résoudre seule tous les problèmes […]. Elle est obligée de faire appel à des organismes dont le régime d’ailleurs évolue lui aussi. On distinguait autrefois d’une manière très tranchée ce qui était public de ce qui était privé. Or, maintenant, l’Administration, dans un souci louable du reste d’efficacité adopte bien souvent les règles et les principes de droit privé. Quand elle veut être efficace, elle crée des associations. Elle dédaigne le privilège qu’elle a de fonder des établissements publics avec toutes les prérogatives qui sont attachées à leur nature. […] Une sorte de conjonction du droit privé et du droit public se réalise donc d’une certaine façon pour une plus grande satisfaction de l’intérêt général. Par ailleurs, à côté des associations, un certain nombre d’organismes possèdent un statut qui se rapproche de plus en plus d’un statut type et sont mixtes tels les organismes de Sécurité Sociale qui sont privés par leur organisation, mais qui exercent un service public. Ainsi se crée une sorte de liaison administrative. Ainsi s’instaure une espèce de confrontation entre l’Administration, les organismes privés et semi-publics. […] La Sécurité sociale intervient souvent, en effet […] mais en principe elle ne s’applique que pour des enfants récupérables et pour les soins à payer. […] Quant à l’aide sociale, son action s’exerce dans des limites plus larges que celles qui lui sont traditionnellement reconnues ; toutefois, elle ne peut jouer qu’en faveur des enfants dont les parents disposent de ressources très limitées. Par suite de l’application de ces règles, il se trouve que de nombreux enfants sont exclus du bénéfice du concours de la collectivité. Il y a, à mon sens, une lacune très importante, difficile à combler car pour résoudre ce problème il faudrait une institution “sui generis” qui soit adaptée à ce besoin propre. Mais on ne peut le faire qu’en tenant compte des réalisations déjà existantes. Je crois qu’à cet égard une confrontation des points de vue entre le ministère de la Santé publique, celui de l’Éducation nationale, celui de la Justice et celui du Travail, serait utile et pourrait être surtout profitable20. »
25S’il prend des précautions, il n’en annonce pas moins des réformes. Pour sa part, il a toujours lorgné du côté d’une forme d’organisation proche de celle des organismes de Sécurité sociale et il ne manque pas une occasion d’en faire écho. La machine en tous les cas est lancée et, au sein de l’UNAR elle-même, ceux et celles qui déjà depuis longtemps militaient pour l’octroi par les pouvoirs publics d’un statut juridiquement reconnu, délimité peut-être mais assuré dans son financement et dans ses prérogatives, remontent alors sans hésiter au créneau. Ainsi, en novembre 1960, Germaine Poinso-Chapuis annonce que, lors du prochain conseil d’administration de l’UNAR, elle compte aborder de front le problème du moment : « Le rôle véritable et la mise au point du statut des ARSEA. » Elle n’attend d’ailleurs pas que Robert Lafon diffuse sa demande expresse et fait parvenir directement à tous les présidents d’ARSEA le double du courrier qu’elle lui a adressé en ce sens :
« Les ARSEA doivent-elles être, comme l’avait pensé Monsieur Lory à un moment, les organismes d’exécution de sa politique, pour un ministère qui n’a pas d’organisme d’exécution en face des deux autres qui en sont dotés pour les mêmes problèmes : la Justice avec l’Éducation surveillée et ses établissements, l’Éducation nationale, avec son équipement scolaire, ses écoles et ses maîtres. Dans cette perspective, les ARSEA devront concourir activement à la réalisation d’un plan d’équipement et pas seulement à sa conception. En conséquence, si les ARSEA doivent créer des établissements, il convient qu’elles aient les moyens administratifs et financiers de le faire, c’est-à-dire un personnel central suffisant et une trésorerie d’avance assez large, sans quoi elles sont soumises à faire de l’équilibrisme, et elles apparaissent, si leur mission n’est pas définie, comme des associations privées concurrentes des autres associations privées s’occupant d’enfants inadaptés, et utilisant leur situation privilégiée pour une concurrence déloyale. Dans une deuxième perspective, le ministère a paru s’orienter vers l’ARSEA devenue un organisme technique de coordination (ce qui impliquerait des pouvoirs de coordination effectifs et, pour cela, une autonomie et des moyens contraignant s’il le faut, tandis que nous n’avons que la position inconfortable, si nous sommes mal accueillis, de gêneurs indiscrets dépourvus d’autorité). À ces pouvoirs de coordination, le ministère semblait disposé à ajouter un rôle technique important dans l’élaboration du plan et les fonctions de techniciens auprès des directions de la Population. Ceci peut être très intéressant si c’est nettement précisé. Il faut alors que les directions de la Population insèrent dans leurs activités les associations et leurs techniciens, et que ces techniciens soient pris en charge, tout en demeurant dans le cadre des associations, en nombre suffisant et avec des situations matérielles suffisantes21. »
26La clarification qu’elle appelle de ses vœux va effectivement dans le sens de la volonté du ministère, mais les réformes administratives des années qui vont suivre vont profondément transformer le paysage dans un sens qui n’est pas vraiment celui qu’elle attendait. De la réorganisation ministérielle à la création des DRASS, l’État va affirmer le rôle qu’il entend bien jouer et conséquemment les prérogatives qui désormais seront clairement les siennes.
La réforme des services extérieurs de l’État au début des années 1960
27Les premiers gouvernements de la Ve République, avec à leur tête, comme Premier ministre Michel Debré (8 janvier 1959-14 avril 1962), puis Georges Pompidou (14 avril 1962-28 novembre 1962 ; puis 28 novembre 1962-8 janvier 1966), sont marqués par de profondes réformes ministérielles, non seulement au niveau des différentes instances centrales mais aussi, voire surtout, au niveau des services extérieurs, tant aux échelons régionaux que départementaux. Si l’influence du Mouvement républicain populaire (MRP) se fait encore sentir un temps au sein du ministère de la Santé, sous la direction notamment de Joseph Fontanet et de son conseiller, Bernard Lory, qui continuera jusqu’en 1965 à incarner cet esprit et l’art du compromis avec les tenants de l’initiative privée, l’heure est au changement et n’épargne aucune administration.
28L’un des objectifs affichés est que s’opère une meilleure coordination entre ministères intéressés par les mêmes domaines, et le secteur social apparaît bien l’un de ceux où l’interministérialité est depuis longtemps déjà défaillante. Aux yeux de bien des gouvernants, les relations tendues entre ministères de la Justice, de la Santé et de la Population, voire de l’Éducation nationale ont abouti à ce que chacun développe ses particularités, ses filières, ses administrations déconcentrées sans se préoccuper vraiment des doublons ou des chevauchements de compétences. À différents titres, y compris très clairement dans un souci d’économie, ministères de l’Intérieur et des Finances poussent aussi à des réformes clarifiant la donne, réaffirmant le rôle de l’État central et répartissant les responsabilités.
« Le souhait, depuis longtemps, du ministère des Finances était qu’il n’y ait plus qu’une direction départementale dans chaque département et non pas deux, d’où l’idée de supprimer toute attribution, tout pouvoir d’autorité au directeur de la Santé, et de n’avoir plus que des inspecteurs de la santé à la disposition soit du préfet, soit du directeur de l’Action sanitaire et sociale22. »
29Aux niveaux régionaux et départementaux, dès 1960, des inflexions majeures se font sentir ; elles concernent notamment
« […] l’harmonisation des circonscriptions administratives, rendue nécessaire par l’enchevêtrement des compétences et la confusion qui s’en suit : les décrets du 2 juin 1960 instituent donc vingt et une circonscriptions d’action régionale et prévoient l’harmonisation de vingt-huit services publics ; un processus d’harmonisation est prévu pour les autres et se poursuivra parfois au-delà des années 1960. Mais la coordination de l’action publique n’est possible que si “une définition claire de l’autorité de l’État aux différents échelons” va de pair avec “la suppression des doubles emplois et la réorganisation des trop nombreux services et commissions existants. Cette remise en ordre, au surplus, facilitera la déconcentration, laquelle aura pour avantage de rapprocher l’administration des administrés et d’accélérer la décision 23” ».
30Mais il ne s’agit alors que d’une première étape. En 1962 se met en place une phase d’expérimentation, dans deux régions et cinq départements, visant à l’institution d’un préfet de Région ayant la haute main sur l’ensemble des administrations, régulant et arbitrant les conflits de compétence, imposant au besoin une réorganisation resserrée des services extérieurs relevant de différents ministères. Une fois encore, on retrouve François Charles, au niveau du ministère de la Santé, désigné pour suivre cette phase test qui se déroule d’ailleurs dans deux départements où il a eu l’occasion de diriger des services : la Seine-Maritime et l’Eure. S’ensuivent les profondes réformes de 1964, celles du mois de mars d’abord, qui portent de manière générale sur les services de l’État à l’échelon départemental et régional, et conséquemment celles du mois de juillet, qui vont très largement modifier l’organisation des services extérieurs du ministère de la Santé publique et de la Population.
« L’objectif des premières, écrit Dominique Ceccaldi, était double :
Simplifier et coordonner l’action administrative en supprimant les doubles emplois, en réorganisant les trop nombreux services extérieurs des administrations parisiennes, en renforçant l’autorité du préfet sur ces services extérieurs et en faisant descendre, autant que possible, de Paris vers la province, l’autorité et la responsabilité (déconcentration).
Adapter l’administration française aux impératifs de la planification, en organisant, à cet effet, un échelon régional essentiellement destiné à préparer et à mettre en œuvre les plans de développement économique et social et à faire participer les représentants des grands groupes d’intérêts (élus locaux, organisations professionnelles et sociales) à ces travaux.
Dans le cadre de ces réformes annoncées, la circonscription départementale est et demeure l’unité administrative de base. […] L’échelon régional est lui conçu comme un relais entre le pouvoir central et l’échelon administratif normal, c’est-à-dire le département. Le préfet de chef-lieu de chacune des 22 circonscriptions administratives prend le nom de préfet de région24. »
31Dans la logique de telles orientations, au mois de juillet (décret du 30 juillet 1964), les services déconcentrés du ministère de la Santé publique et de la Population sont largement réformés. Bernard Lory, partie prenante de ces changements, les avait d’ailleurs déjà annoncés en ces termes lors du congrès de l’UNAR de novembre 1963 :
« Vous savez que jusqu’à présent le ministère de la Santé publique avait deux catégories de services extérieurs : les directions de la Santé et les directions de la Population. Cette distinction est apparue regrettable et de nature à nuire à l’efficacité, je dirai même au prestige de l’administration locale vis-à-vis de l’autorité préfectorale. L’unité semble préférable. La plupart des directeurs de la Santé et des directeurs de la Population s’entendent fort bien, et l’objet de cette réforme n’est pas du tout de mettre un terme à cette entente. Cette réforme a en fait pour but d’assurer la présence auprès de l’autorité préfectorale d’un représentant doté de plus de prestige que ne pouvaient l’avoir deux représentants, doté de plus de moyens, doté de plus de pouvoirs. Le gouvernement a décidé de compléter cette réforme par la fusion d’autres services, et notamment par celle des directions de la Population de l’Action sociale et des directions de la Santé avec les divisions d’aide sociale, également avec les services d’hygiène scolaire et universitaire. Je crois qu’une telle mesure est très importante, car nous éviterons ainsi, nous l’espérons, les doubles emplois ; nous éviterons les querelles ridicules, nous éviterons les complications de circuits25. »
32Si l’allusion à la question sensible des relations avec les services du ministère de l’Éducation nationale (qui ne résolvait en rien les tiraillements pour ce qui concerne la prise en charge des enfants débiles légers et moyens, au cœur de bien des polémiques à l’époque) est là pour apporter quelque baume au cœur des militants des ARSEA, il n’empêche que, pour le reste, Bernard Lory, de façon faussement anodine (« sur cela je serai plus bref, il vous concerne moins directement », etc.) ou peut-être parce que, au fond, il n’y adhère pas pleinement, décline des réformes qui vont entraîner bien des bouleversements dans les relations entre les associations régionales et les administrations déconcentrées, en premier lieu bien sûr le nouveau Service régional de l’action sanitaire et sociale (SRASS).
33Il est à noter que ces mêmes réformes ont aussi reformaté en quelque sorte l’échelon départemental. Ici également le renforcement des pouvoirs des services extérieurs de l’État avait déjà donné lieu, par exemple en 1961, à une réforme des Bureaux d’aide sociale (BAS) qui avaient perdu, non sans protestations souvent, leurs fonctions d’instruction. Mais les réformes de mars et de juillet 1964 ont abouti à des regroupements drastiques. Auparavant les directions départementales de la Santé relevaient du ministère du même nom, ainsi que les directions départementales de la Population et de l’Action sociale – elles étaient séparées –, mais il existait aussi des divisions de l’aide sociale incluses dans les préfectures et dont les personnels étaient gérés par le ministère de l’Intérieur. Désormais un service unique allait se substituer à ces trois services, sous l’autorité directe du préfet.
34Réformes à l’échelon régional et à l’échelon départemental s’inscrivaient, comme il a été mentionné déjà, dans la dynamique de la préparation du IVe Plan. Jusqu’alors, le social avait fait plutôt figure de parent pauvre. Si les deux premiers Plans avaient repris les catégories cibles de la politique assistantielle élaborée sous la IIIe République et si le IIIe Plan (19581961) avait déjà intégré la construction des écoles et la création de centres sociaux, tous trois, comme le souligne Colette Bec, « s’inscrivaient dans une problématique médico-sociale commune : réparer, corriger les dysfonctionnements individuels qui pourraient contrecarrer les objectifs économiques prioritaires26 ». Les limites d’une telle approche étaient largement soulignées par les responsables de la préparation du IVe Plan qui, de fait, insistaient sur la gravité des déséquilibres géographiques et sur l’urgence d’une véritable régionalisation, en particulier dans le domaine social : « Si le IVe plan, écrit encore Colette Bec, introduit une rupture, c’est d’une part parce que le social y acquiert une relative autonomie, et d’autre part parce que sa nature connaît une certaine inflexion philosophique que traduit la notion d’action sociale globale27. » Effectivement, bien plus nettement que les précédents, il était marqué par un souci de lutter contre les causes profondes de l’existence d’une France pauvre dans une économie qui connaissait pourtant une expansion très rapide. La création, en 1963, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), placée directement auprès du Premier ministre, répondait bien à ce souci de corriger les déséquilibres géographiques. Les responsables de la DATAR ne seront pas les derniers à critiquer une action sanitaire et sociale parcellisée qui manque de cohérence, y compris à l’échelon d’une région. Sans nul doute, nombre de constats émis par les responsables du Plan ont participé à interroger crûment l’organisation des offres existantes fréquemment évoquées alors en termes de gaspillage et d’inefficacité. On retrouve en tous les cas bien des discours portant sur le fait que ce ne sont là que les conséquences, payées au prix fort, des cloisonnements et de la segmentation à tout va des politiques sociales telles qu’elles ont été jusqu’alors diligentées. Les rapprochements qui s’opèrent à partir de 1962 entre les initiateurs du service des Affaires sociales du Plan, Jacques Delors en premier chef (1962-1969), et les responsables du service de l’Action sociale au ministère de la Santé 28 ne sont pas étrangers à des impulsions qui commencent à prendre le pas sur les résistances corporatistes de tel ou tel service ministériel, de routine bien habitué à traiter avec les secteurs d’initiative privée de son champ de compétences.
35Corinne Saint-Martin 29 souligne justement que toutes ces transformations ont aussi pour conséquence directe la diminution du pouvoir médical sur les services sociaux, au profit notamment des inspecteurs de l’Action sanitaire et sociale. Alors que ce pouvoir, on le verra, restera fort au sein des CREAI, des glissements s’opèrent dans les administrations soucieuses d’une meilleure coordination.
Les réformes de 1962 et 1964 : le passage des ARSEA aux CREAI
36Les réformes qui vont préciser d’abord, en 1962, les missions et pour ainsi dire la « géométrie » des ARSEA, puis en 1964 qui vont les transformer en profondeur, sont à saisir dans le contexte des nouvelles inflexions politiques visant à affirmer le rôle de l’État et à réorganiser les différents échelons de ses services. L’arrêté du 14 mai 1962 a été précédé de bien des consultations, et les grandes fédérations (UNIOPSS, ANCE, UNAPEI…) ont dit leur mot. Nous n’avons pas pour autant trouvé trace de la teneur de ces échanges, pas plus que de la note que Robert Lafon a adressée en avril 1962 à Bernard Lory et dont il est dit qu’il s’en serait largement inspiré pour préparer ces textes précisant les missions des ARSEA. Robert Lafon l’évoque simplement ainsi quelque vingt ans plus tard :
« Depuis quelque temps Madame Poinso-Chapuis, qui m’avait “porté sur les fonts baptismaux”, disait que nous étions “un adulte avec des vêtements d’enfants”, d’où, sous l’autorité du directeur général Lory, toute une série d’études et d’échanges sur la nouvelle formule à adopter. Nous en avions discuté plusieurs fois ensemble, soit en tête à tête dans son cabinet, soit en réunions de commissions. Le 5 avril 1962, j’adressais au directeur général de la Population et de l’Action sociale une note introductive à un projet de réforme des ARSEA, accompagnée d’un avant-projet de statuts des ARSEA30. »
37Le fait est que l’arrêté et la circulaire (la circulaire n’est pas parue au Journal officiel et curieusement, à suivre le rapport d’Albert Rauzy, les directeurs départementaux de la Santé n’en ont pas été destinataires) sont préparés sous le mandat de Joseph Fontanet et promulgués alors qu’il vient tout juste de céder la place – et ce n’est pas incident – à Raymond Marcellin, nouveau ministre de la Santé du second gouvernement de Georges Pompidou, marqué par la rupture de l’alliance avec le MRP.
38Les textes de 1962 portent en tous les cas indubitablement la marque de Bernard Lory et, s’ils rappellent le décret du 24 décembre 1945 fixant les attributions du ministre de la Santé publique et de la Population, ils s’évertuent à concilier ce resserrement, cette affirmation nouvelle des missions de l’État, et le rôle des ARSEA comme délégataires en somme de la puissance publique. Une expression revient à de multiples reprises, celle d’ » équipe technique », comme si parée des habits neufs de la seule science experte, ces coordinations régionales voyaient de la sorte leur rôle et leurs attributions clarifiés sans contestation possible, y compris du côté des administrations déconcentrées. Entre la chèvre et le chou, ces textes ne continuent pas moins d’entretenir bien des ambiguïtés, moins au niveau national – mais ce niveau nous intéresse que secondement ici – qu’au niveau régional.
39Au niveau national, l’UNAR se voit chargée de la gestion du Centre technique national pour l’enfance et l’adolescence inadaptées, le CTNEAI, mais on perçoit bien que d’autres associations nationales y font une entrée remarquée. Les missions de ce CTNEAI sont essentiellement de quatre ordres :
- Étudier les méthodes de prévention, d’observation, de soins et d’éducation spécialisée, de réadaptation et de réinsertion sociale, applicables aux différentes catégories d’enfants et d’adolescents inadaptés ;
- Étudier la nature et les normes des différentes catégories d’établissements, organismes ou services nécessaires ;
- Définir les méthodes les plus aptes à assurer la formation des personnels techniques et, notamment, des éducateurs spécialisés ;
- Centraliser les études concernant ces divers objectifs, constituer une documentation et en assurer la diffusion.
40Du côté des ARSEA, nous l’avons dit, à bien des égards un certain flou continuera à présider à leur destinée. Ainsi, par exemple, la définition de statuts types fixés par le biais d’une autre circulaire à la parution annoncée imminente ne se concrétisera jamais. Quelles étaient cependant les lignes de force de cette réforme ? Indubitablement il y a eu, de la part du ministère, la volonté de donner aux ARSEA un véritable statut juridique ; ce qui n’était pas le cas jusqu’alors ; volonté aussi de préciser le rôle de ces coordinations par rapport aux nouvelles instances administratives régionales, en affirmant le statut bel et bien privé des ARSEA. Conséquence annoncée de cette clarification : Bernard Lory précisa lors de ce congrès qu’il souhaitait que les inspecteurs divisionnaires de la Population ne soient plus membres de droit des conseils d’administrations des ARSEA, au motif qu’on ne pouvait être à la fois membre d’une association que l’on subventionnait et d’une association que l’on contrôlait. Ces coordinations régionales étaient cependant invitées à s’ouvrir à des personnalités représentatives de secteurs émergeants, du côté de la prise en charge des handicapés notamment mais aussi aux représentants des organismes de Sécurité sociale.
41La nécessaire assise juridique est évoquée par Bernard Lory au congrès de l’UNAR d’octobre 1962 comme ayant représenté « les motifs profonds, les seuls, de l’adoption, le 14 mai dernier, par M. Joseph Fontanet, d’un arrêté relatif aux centres techniques de l’enfance inadaptée31 » :
« Le statut des Associations régionales, leur nature juridique, leur compétence posaient infiniment plus de points d’interrogation qu’ils n’apportaient de solutions réelles. Leur nature juridique prête à contestation. On a parlé ici même, à propos de vos associations […] d’organismes semi-publics. J’avoue que je ne connais pas d’organismes semi-publics. Je crois que notre droit les ignore. Il connaît des organismes publics, il connaît des organismes privés. Il connaît aussi entre les deux des organismes privés chargés de la gestion d’un service public, mais la nature organique de l’institution reste privée, le meilleur exemple en est représenté par les caisses de Sécurité sociale. Aussi, quand on emploie l’expression d’organismes semi-publics, on ne se situe pas dans le cadre de notre droit et l’on suscite, à juste titre, du point de vue juridique bien entendu, les oppositions soit des organismes privés, soit des services publics. […] Il n’y a pas entre la loi de 1901 et l’établissement public de catégorie juridique intermédiaire32. »
42Bernard Lory semble le regretter comme il paraît aussi, lors de ce même congrès, chercher à minimiser le rôle d’auxiliaire des pouvoirs publics dévolu aux ARSEA, via ces fameuses équipes techniques. C’est pourtant ce rôle qui se profile bel et bien derrière ses propos au ton patelin, par exemple pour se féliciter de voir enfin assurée l’assise juridique de ces coordinations. Que recouvrent exactement ces dits « centres techniques » dont la mise en place est de fait, plus que l’assise juridique et quoi qu’il en dise, l’objectif principal des textes de 1962 ?
« L’expression de “centre technique” est ambiguë. L’ayant choisie moi-même, j’en suis pleinement conscient et responsable, et je n’esquive pas cette responsabilité. Il fallait une formule qui puisse avoir pour ainsi dire une certaine valeur publicitaire et, à cet égard, je crois qu’on a même trop bien réussi ; on a moins bien réussi en revanche en voulant un mot qui soit précis et rigoureux. M. Joseph Fontanet ne pouvait vraiment pas signer un arrêté portant création d’“équipe” ; cela n’aurait pas fait sérieux33. »
43Bernard Lory le reconnaissait volontiers, plus que de centres techniques c’est d’ » équipes techniques » qu’il aurait fallu parler puisque le terme « centre » ne se rapporte qu’aux missions de ces équipes d’experts « appelés à travailler auprès des établissements et de leur personnel spécialisé pour le compte des inspecteurs divisionnaires et des directeurs départementaux de la Population ». On peut considérer que le projet en filigrane de la circulaire de 1962 était d’instituer une instance technique susceptible de prodiguer des conseils, de diligenter des expertises, sous le contrôle et pour le compte des services régionaux et départementaux de l’État. Cependant, aucune des ambiguïtés antérieures ne paraît levée. Bien des interrogations en effet subsistent, par exemple en ce qui concerne la composition de ces équipes, l’étendue de leurs compétences, le statut même des avis et recommandations qu’elles seraient amenées à formuler ou encore la teneur des liens entre elles et les ARSEA.
44Qui seront les membres attitrés de ces équipes techniques ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que sur ce point d’importance subsiste un grand flou. Le rapport Rauzy s’attarde d’ailleurs plus sur la teneur des relations entre l’administration et ces équipes que sur leur composition précise. Ainsi mentionne-t-il
« […] qu’il paraît nécessaire que la composition théorique de l’équipe comme la personnalité des membres appelés à la constituer reçoivent le plein accord de l’inspecteur divisionnaire de la Population et de l’Action sociale. Sans doute celui-ci, avant de se prononcer, prendra-t-il l’avis de l’inspecteur divisionnaire de la Santé et des directeurs départementaux de la Population. La confiance que doivent avoir en elles ses utilisateurs prioritaires impose que l’inspecteur divisionnaire de la Population s’il ne désigne pas ses membres, du moins soit associé à leur recrutement et y donne son agrément. Nous verrions même favorablement la nomination par le préfet, en l’espèce le préfet coordinateur, des membres de l’équipe technique ».
45Reste la question de la place réservée aux conseillers déjà en activité dans les ARSEA. Là encore se rappelle la dépendance vis-à-vis de l’administration :
« La majorité des associations régionales emploie dès à présent un ou plusieurs conseillers techniques régionaux. La question se pose de l’intégration de ces spécialistes dans l’équipe. […] Il n’est pas exclu que les conseillers techniques existants de l’association régionale fassent partie de l’équipe technique. Si toutefois ils ne sont pas retenus, soit que leur autorité professionnelle ne paraisse pas suffisante soit que leur actuelle collaboration à l’association régionale risque de continuer à les faire récuser dans tel ou tel milieu, il appartient à l’inspecteur divisionnaire de rechercher d’autres personnalités. Il est convenable de recruter les membres de l’équipe aussi bien dans le secteur privé que parmi les fonctionnaires34. »
46On peut en effet tracer des plans sur la comète puisque dans l’arrêté rien ne vient préciser qui seront effectivement les élus. Par contre, et sur ce point l’arrêté est plus tranché, il est clair que les préfets et les directeurs départementaux conservent seuls les pouvoirs correspondant à l’exercice de leurs attributions concernant l’enfance inadaptée et ont, en quelque sorte, un droit de saisine prioritaire, même s’il n’est pas exclu que les associations privées adhérentes à une ARSEA sollicitent aussi les conseils de ces équipes (au risque identifié de le faire pour devancer les observations que l’administration de tutelle serait susceptible de leur adresser).
47Quels sont les liens alors entre ARSEA et équipes techniques, sinon que les premiers « hébergent » les seconds ? Là aussi demeurent bien des imprécisions.
« Pour que cette équipe technique ne soit pas elle-même l’objet de contestations, déclare Bernard Lory, il faut qu’elle soit placée sous l’autorité de l’inspecteur divisionnaire de la Population […] tout en étant gérée du point de vue administratif par les associations régionales, qui leur servent de base juridique35. »
48On pressent les imbroglios que cet arrêté était susceptible de provoquer. Il n’y avait donc pas uniquement l’usage d’un terme ambigu ; à plus d’un titre, l’instance elle-même était frappée d’un tel travers.
49Subsidiairement, il y a lieu de s’interroger sur ce qu’il allait rester des ARSEA une fois ces missions transférées d’une certaine manière à ces centres auxiliaires des administrations. Leur statut serait clarifié, mais pour quoi faire ? Bernard Lory les voyait volontiers continuer à gérer des établissements, voire à étendre leur champ d’action « à d’autres catégories d’établissements, à d’autres catégories d’enfants inadaptés36 », à poursuivre aussi dans la voie de la formation mais, déjà en 1962, il n’est plus vraiment question de mission de coordination.
50L’arrêté de mai 1962 visait à asseoir le statut des ARSEA et à clarifier ses missions. Du côté du Plan, mais aussi du ministère des Finances, on penchait plutôt pour la création, au sein du ministère de la Santé et de la Population, d’un service public dévolu à des fonctions d’expertise et de conseil 37 y compris, conséquemment, pour ne plus s’encombrer de la formule des ARSEA. Telle n’était pas l’option de Bernard Lory, soutenu en cela par Joseph Fontanet. Signé par celui-ci juste avant d’être remercié, l’arrêté soulevait bien des hypothèques et ne résolvait pas véritablement les problèmes posés par ces organismes régionaux. De plus, la nouvelle configuration imaginée par les tenants d’un rôle affirmé des ARSEA cadrait bien mal avec les préoccupations centralisatrices du nouveau gouvernement.
51D’où vint l’initiative de saisir l’Inspection générale du ministère de la Population pour qu’elle diligente une enquête sur les ARSEA38 ? Elle est prise une fois Joseph Fontanet parti, mais on n’en sait pas plus. Le fait est que, quelques mois à peine après la parution du décret, les inspecteurs se répartissent les régions à investiguer et se mettent à l’ouvrage. François Charles va mener l’enquête sur Paris, A. Folliard en Bourgogne et en Bretagne, etc.39. Ces inspecteurs rédigent un rapport intitulé Les Problèmes actuels de l’enfance inadaptée en France et les associations de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, remis à son commanditaire en avril 1963.
52Parmi les principaux constats effectués par les différents inspecteurs attachés à cette enquête, le grand écart entre le rôle de coordination prévu, attendu des ARSEA, et le bien maigre bilan de cette mission est régulièrement souligné. Pour autant, la pierre n’est pas uniquement lancée dans le jardin de ces organismes régionaux mais aussi dans celui d’administrations qui n’ont jamais véritablement donné les moyens aux ARSEA d’assumer une telle tâche. À la limite, les inspecteurs soupçonnent telle ou telle administration d’avoir en quelque sorte poussé les ARSEA sur un terrain qu’elles savaient miné et sur lequel elles ne voulaient en aucun cas s’aventurer elles-mêmes :
« D’une manière générale, on peut dire que si les ARSEA ont reçu une mission de coordination, elles n’ont pas reçu pour autant de pouvoir de coordination. Aussi leur rôle a-t-il été rendu délicat plus encore vis-à-vis des associations privées que des administrations. Ce sont les groupements d’œuvres privées qui ont soulevé le plus de difficultés pratiques, n’admettant pas ce qu’ils considéraient comme une ingérence intolérable d’un autre organisme également privé et en quelque sorte rival, parce que gestionnaire comme eux ; ou reprochant à l’opposé, aux ARSEA, d’être l’émanation des pouvoirs publics. Mal défi nie au départ la coordination s’est donc vue confiée à un organisme mal défini statutairement : organisme considéré tour à tour comme “plutôt public” ou “plutôt privé” selon les conceptions voire les intérêts des parties en cause. Il n’est pas surprenant qu’à l’expérience les résultats soient décevants. Dans la quasi-totalité des cas, les associations n’ont même pas été tenues informées des projets des autorités académiques ou des magistrats, ni n’ont été averties des décisions intéressant leur région prises par le garde des Sceaux ou par le ministre de l’Éducation nationale. Elles n’ont a fortiori pas été consultées ni sous l’angle administratif ni sous l’angle technique. Les collectivités locales, conseils généraux comme municipalités, ont habituellement préféré entreprendre leurs réalisations de façon autonome. […] Le choix de la région comme zone d’application d’une politique de coordination tient compte que ce cadre géographique et administratif est assez près du réel pour atténuer l’acuité d’éventuels antagonismes sur les questions de principe, en même temps qu’il est assez loin du concret pour échapper à l’influence des particularismes locaux. Mais en remettant aux associations régionales la charge de tenter de réaliser une coordination à cet échelon, le ministère de la Santé publique et de la Population n’était-il pas conscient que l’entreprise était trop périlleuse pour y hasarder directement et en première ligne ses propres services régionaux et départementaux40 ? »
53Un autre constat mérite d’être souligné ici, même s’il ne fait l’objet que de quelques lignes dans le rapport. En effet, il nous intéresse au plus haut point tant il rejoint ce que nous avons décelé aussi, pour ainsi dire dès l’origine des ARSEA :
« Il est apparu en conclusion de l’enquête systématique que les seize associations régionales avaient chacune leur personnalité et leur style. Des différences importantes existent entre elles. Leur vitalité, leur caractère régional, leur structure administrative sont très disparates41. »
54Nous avons déjà évoqué le satisfecit adressé en ce qui concerne la gestion directe d’établissements par les ARSEA. Pour autant, et rétrospectivement, on peut pointer, de la part des inspecteurs, un intérêt certain pour une gestion dont les ARSEA tendraient à se dégager, notamment au profit de structures ad hoc, à un niveau départemental par exemple :
« La gestion directe a consacré la valeur technique des associations régionales ; le fonctionnement correct de leurs établissements et les résultats satisfaisants obtenus avec les enfants ont largement contribué à la confiance qu’elles ont pu inspirer aux œuvres privées. Par ailleurs, elles y ont trouvé certaines facilités de trésorerie notamment. Cependant on a pu estimer que dans quelques régions, compte tenu des moyens insuffisants dont elles disposaient, elles s’y étaient consacrées trop complètement. Ne pouvant faire face à l’ensemble de leurs missions, elles ont été progressivement conduites à sacrifier les autres au profit de la construction et de la gestion d’établissements. […] Aussi la plupart des associations régionales ont-elles pris conscience de la lourde tâche que constituaient la création et la gestion d’établissements et ont-elles fort opportunément cherché à l’alléger au moins en ce qui concerne la gestion, pour pouvoir recommencer à entreprendre la réalisation de nouveaux projets. Certaines ont reconnu une autonomie aux établissements, ce qui permet de transférer à leurs directeurs des pouvoirs plus étendus […] d’autres associations ont préféré à cette déconcentration des pouvoirs de gestion, une véritable décentralisation comportant remise des établissements à des associations départementales de sauvegarde préexistantes ou constituées à cette occasion42. »
55À l’actif des ARSEA est portée aussi la création d’écoles de formation d’éducateurs :
« Une école est, dans neuf régions, directement gérée par elles ou fonctionne en liaison étroite avec elles, dans deux autres régions, l’association contribue à la marche de l’école. Sept autres écoles de formation, dont les anciens élèves sont considérés comme présentant également la qualification requise d’éducateurs spécialisés, restent en dehors du réseau de celles animées par les associations régionales ou associées à elles. Trois régions demeurent néanmoins dépourvues, celles de Rennes, de Rouen et de Limoges-Poitiers. »
56Pour autant, là encore pointent quelques critiques, notamment le fait « qu’après avoir donné l’impulsion et un large exemple, les associations régionales ont laissé inachevée la réalisation d’un réseau couvrant l’ensemble du territoire » sans compter, remarquent aussi les inspecteurs du ministère, que « pour la formation, la spécialisation ou le perfectionnement en cours d’emploi des autres catégories de personnel, les efforts des associations régionales sont restés sporadiques43 ».
57Les conclusions de ces inspecteurs sont d’autant plus attendues que l’arrêté de mai 1962 cadrait assez mal avec les nouvelles options gouvernementales comme avec les attentes du Plan, et pouvait aussi en quelque sorte symboliser ce que la rupture d’avec le MRP pouvait représenter. Joseph Fontanet parti, Bernard Lory tenait, à bout de bras d’une certaine façon, une réforme qui n’avait pas forcément l’aval des nouvelles instances, voire de Raymond Marcellin, son nouveau ministre de la Santé, à la forte personnalité.
58Que préconisent donc les rapporteurs de cette mission d’inspection ? Nous ne reviendrons pas outre mesure sur l’échelon régional et notamment sur ce qui est alors dit des centres techniques et des équipes afférentes, sauf à signaler en quoi ces inspecteurs se font l’écho des réticences « de personnalités représentant des courants de pensée aussi différents que l’Union des œuvres privées sanitaires et sociales ou l’Association nationale des communautés éducatives » quant à ce que cette équipe technique et leur souhait de voir se créer un « comité technique », sorte de comité de pilotage, aux contours non précisés, chargé de le coiffer et d’en contrôler les activités. Ainsi peut-on remarquer que les oppositions aux ARSEA demeurent en l’état et que ces grandes fédérations ne baissent pas la garde.
59À ce niveau régional, évoquant les ARSEA, ou plutôt ce qu’il en reste une fois les fameux centres techniques mis à part, les inspecteurs voient volontiers des « secteurs plus particulièrement offerts à leur dynamisme » :
- « La formation des personnels a été déjà partiellement assumée par les associations régionales. Il importe de combler la lacune que présentent trois régions en matière d’école de cadres éducateurs : l’association régionale territorialement compétente doit jouer un rôle à cet égard. Mais surtout il serait souhaitable que les associations régionales qui, possédant une école, disposent des structures et ont acquis une expérience en matière de formation, se préoccupent d’autres catégories de personnels que les éducateurs spécialisés. […] Les associations régionales doivent également se charger de mettre sur pied systématiquement des cycles de perfectionnement en cours d’emploi44. »
- « Les associations régionales doivent continuer à consolider et à compléter l’ossature d’un réseau aussi dense que possible d’organismes de sauvegarde, cristallisant les intérêts et les initiatives constituant le terrain d’application pour les recherches et le progrès des techniques de rééducation, dégageant et propageant une doctrine. […] Pour cela les sauvegardes devraient mailler tout le territoire, comportant comme en une pyramide sections locales, associations ou délégations départementales, associations régionales, UNAR45. »
60On perçoit bien ici les desseins de ces inspecteurs ayant retenu les leçons des fonctionnaires du Plan et cherchant, dans une sorte de rêve éveillé, à n’avoir à faire qu’à un nombre limité d’interlocuteurs dynamiques mais obligés, fédérateurs mais sous tutelle d’une administration qui mène le jeu.
61Par ailleurs, le rapport s’attarde sur l’échelon départemental, se penchant sur un niveau qui n’était pas directement celui sur lequel l’inspection devait a priori porter. Faute de pouvoir disposer de plus de précisions, et hélas des rapports régionaux – y compris celui concernant la Bretagne demeuré introuvable – dont il est dit pourtant dans le rapport « qu’ils ont été déposés pour chaque association régionale46 », on en est réduit à des hypothèses sur les raisons d’une telle attention au niveau départemental. Très probablement les auteurs du rapport ont-ils interrogé des inspecteurs départementaux et porté aussi attention à ce que les personnalités engagées dans les différentes ARSEA leur ont précisé de leurs activités au niveau de leurs propres départements. Le fait est qu’une insistance nouvelle, et ce donc bien avant que l’on parle de décentralisation, est mise sur cet échelon départemental :
« Il y aurait lieu de multiplier les associations départementales et d’orienter celles qui existent vers l’animation et la gestion d’établissements. […] Longtemps, et sauf heureuses exceptions, les associations départementales ont été soit inexistantes soit négligées par les associations régionales et les services de la Population, soit réduites à des simples secrétariats du tribunal pour enfants. Depuis peu quelques-unes sont nées ou ont dressé des programmes qu’il faut encourager. Leur multiplication et la nouvelle orientation qui leur sera donnée devraient en faire effectivement des promoteurs départementaux privilégiés en matière d’enfance inadaptée. […] Certains établissements dans le cadre d’une réglementation à élaborer, pourraient être créés et gérés par les administrations départementales dans des conditions se rapprochant des hôpitaux psychiatriques et des sanatoriums47. »
62Sans nul doute y a-t-il quelques arrière-pensées dans ce nouveau credo, et à cette échelle aussi – mais faut-il s’en étonner de la part de l’Inspection générale du ministère ? On pressent le défi lancé aux ARSEA de se départementaliser en somme ou d’accepter que, faute d’y parvenir, les pouvoirs publics prennent ou reprennent les rênes.
63Au final, le rapport diligenté par l’Inspection générale propose deux alternatives, constat fait que « le support de la loi de 1901, assortie de quelques circulaires n’est plus suffisant ».
64La première solution envisagée voit les ARSEA choisir de façon volontariste les chemins de la seule initiative associative dégagée alors de la formule bâtarde d’organisme de l’entre-deux mi-public mi-privé :
« Comme l’UNAR au plan national, les associations régionales pourraient, abandonnant leur allégeance particulière vis-à-vis de l’Administration, devenir un lieu d’échanges des expériences, le centre de propagation des progrès techniques, l’animateur des bonnes volontés et le stimulateur des initiatives, le représentant des intérêts en cause vis-à-vis des pouvoirs publics. Perdant cette apparence d’organismes semi-publics qui les a incontestablement desservies auprès des œuvres et établissements privés sans les mieux introduire auprès des collectivités et établissements publics, elles deviendraient grâce à leur valeur indiscutée sur le plan technique le rassembleur et le chef de file des organismes privés en même temps que l’interlocuteur des pouvoirs publics. Il serait souhaitable que, ouvrant largement leurs portes à tous les courants de pensée et d’action qui les entourent, elles acquièrent une véritable représentativité en matière d’enfance inadaptée pour défendre les intérêts des enfants et de leur famille, exprimer leurs besoins et soutenir leurs revendications. Les associations régionales ayant opté pour donner la préférence au versant privé, il sera nécessaire de mettre en place dans chaque région auprès de l’Administration, ou en son sein, les structures publiques compétentes en matière d’enfance inadaptée. […] Le Centre technique régional paraît capable de jouer ce rôle s’il comprend, outre les techniciens hautement qualifiés et quelques représentants de l’ensemble des établissements, œuvres et organismes de la région – dont obligatoirement l’association régionale, les chefs de chacun des services interministériels qui siègent actuellement de droit au conseil d’administration de l’Association régionale48. »
65La seconde solution, a contrario, la voit se transformer ni plus ni moins en organisme public chargé de missions de conseils et d’expertise et placé à ce titre auprès du préfet coordinateur :
« L’autre voie consisterait pour les associations régionales à abandonner celles de leurs activités qui marquent de la façon la plus ostentatoire le versant privé de leur caractère ; elles pourraient alors elles-mêmes devenir entre les mains de l’autorité publique qualifiée cet organisme de coordination, de planification et de gestion de services spéciaux, qui est apparu nécessaire à l’échelon régional. […] Le conseil d’administration des ARSEA remanié et le cas échéant complété à titre consultatif par le Comité technique ainsi que par des membres de l’équipe technique du centre technique régional deviendrait le Conseil consultatif régional de l’enfance inadaptée. […] Passant en totalité sous l’autorité des pouvoirs publics, l’Association régionale continuerait sans solution de continuité le travail qu’elle effectuait et mettrait l’ensemble de ses moyens directement à la disposition de l’Administration. La prise en main par le préfet l’assurerait de l’autorité qui lui a jusqu’alors manqué et conférerait à son action l’efficacité désirable49. »
66Les inspecteurs ne se sont pas embarrassés de fioritures ; en somme, ils paraissent laisser le choix aux ARSEA entre la corde et le poison. Il n’est plus du tout question de confier à ces organismes quelques missions de coordination que ce soit. Au mieux, et sous certaines conditions, l’administration les considéreraient comme des interlocuteurs rapportant les intérêts des œuvres, et aussi des familles ; dans l’autre cas, il y aurait purement et simplement intégration à la puissance publique. Bien entendu, pointe en filigrane de ces recommandations et de la fausse alternative qui est habilement présentée, la mise en place d’un service public régional dévolu à l’action sanitaire et sociale…
67On ne sait pas à quel moment exactement les différentes ARSEA se sont vu communiquer ce sulfureux rapport. Il semble que ce soit très rapidement et dans son entier, après sa remise par Albert Rauzy aux responsables du ministère de la Santé et de la Population. Curieusement les commentaires qu’on a pu lire, par exemple chez Robert Lafon, ne paraissent retenir, du côté des ARSEA et de l’UNAR, que les compliments qui ponctuent effectivement, non sans être probablement dénués d’arrière-pensées :
« L’UNAR a quinze ans, les ARSEA ont vingt ans. Les inspecteurs généraux viennent d’établir leur bilan. Nous avons la fierté de penser, et nous nous excusons si nous manquons de modestie, qu’il est positif, fortement positif, et qu’avec l’aide croissante des pouvoirs publics, des services publics et de la Sécurité sociale, nous avons contribué à mettre à la disposition de la sauvegarde de l’enfance, une somme immense d’intérêts, de sciences, de compétences, et, pourquoi pas le dire, aussi de dévouements et de générosité50. »
68Bernard Lory s’est-il empressé de déminer le terrain et de garantir que tout cela était à considérer avec beaucoup de distance ? On ne le sait pas. On ne retient, et là encore Robert Lafon semble avoir donné le tempo, que le fait que les chamboulements ultérieurs tiendraient avant tout à la nomination de François Charles à la direction de l’Action sociale du ministère. De fait, les conclusions de l’inspection dirigée par Albert Rauzy ne seront pas sans effets sur la suite des événements, même s’il est délicat de faire la part entre ce qui déjà est dans l’air en somme (création des SRASS, etc.) et de ce que le présent rapport va enclencher.
69En octobre 1963, Bernard Lory, comme à l’accoutumée, vient prononcer l’allocution de clôture du congrès annuel de l’UNAR, qui pour une fois se déroule à Paris (de fait, ce sera le dernier congrès de l’UNAR). Au-delà de l’annonce faussement anodine de la création d’un service régional unifié de l’Action sociale et de la Santé, son intervention continue à être dans la tonalité de celle de l’année précédente. Entre chaleureuses félicitations pour la tâche accomplie et exaltation des compétences indépassables des ARSEA, son propos surprend parfois grandement tant il tait les conclusions du rapport diligenté par Albert Rauzy et ne semble retenir, par une lecture singulièrement biaisée, que les quelques déférences qui le ponctuent :
« Il est bien évident que les associations régionales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence se sont attaquées à la solution d’un problème que les pouvoirs publics ignoraient. Ce sont elles qui ont conçu les techniques, qui les ont progressivement améliorées. Ce sont elles qui ont créé les établissements. Ce sont encore elles qui ont, par leur action même, provoqué la naissance de dispositions juridiques ultérieurement adoptées par les pouvoirs publics, à la lumière de votre expérience. Aussi je tiens dès le début à vous dire combien cette action nous est précieuse et combien le seul objectif des pouvoirs publics est de vous aider à l’exercer et à l’adapter aux besoins nouveaux, compte tenu de l’évolution extrêmement rapide à la fois des techniques et de l’évolution nécessaire des tâches51. »
70La seule allusion que Bernard Lory fait au rapport de l’Inspection générale est pour signaler que le ministère n’a pas retenu l’idée d’une intégration des ARSEA au service public :
« Le ministère aurait pu créer une structure publique. Certains y ont songé. Je vous le dis franchement, j’ai évoqué le problème non seulement en moi-même mais avec d’autres. Et, à la réflexion, cette solution a été rejetée, d’une part parce qu’elle aurait été vraisemblablement onéreuse et difficile, d’autre part parce que sur le plan de l’action à mener elle aurait été sûrement moins efficace qu’une adaptation des structures actuelles. Nous sommes dans un domaine où la distinction entre l’initiative privée et l’initiative publique a de moins en moins d’importance. Nous sommes dans le droit intermédiaire, social, dans un secteur où les initiatives, quelle qu’en soit l’origine, doivent pouvoir s’épanouir, se concrétiser, se réaliser. Et il est évident qu’une structure publique n’en facilite pas la réalisation, car elle n’est pas commode. À mon avis, le rôle des pouvoirs publics dans ce domaine est très clair et très simple : il doit en premier lieu favoriser au maximum le développement des initiatives, aussi bien privées que publiques, qui se manifestent ; et comme cela risque de n’être pas suffisant, il doit en second lieu susciter ces initiatives ou s’y substituer en cas de carence52. »
71On se souvient que l’année précédente il avait signalé la nécessaire distinction, et dans un propos tranché, l’absence de position intermédiaire entre statut privé et statut public. Ici, dans un discours pro domo assez étonnant, il paraît balayer d’un revers de manche les « enseignements et suggestions quant à une organisation rationnelle de la protection de l’enfance inadaptée en France » qui concluent le rapport de l’Inspection générale de son propre ministère. Ce qu’il déclare alors, même compte tenu du contexte dans lequel il tient de tels propos, apparaît décalé. Quand son allocution est diffusée, dans le numéro de mars-avril-mai 1964 de Sauvegarde de l’enfance, l’arrêté ministériel instituant les Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) a été publié et la donne a cette fois clairement changé. Quelques mois encore et Bernard Lory sera d’ailleurs sèchement congédié par Raymond Marcellin.
72Cet arrêté est perçu par les uns comme le prolongement sans anicroche ou changement profond des textes de 196253. Les autres, au contraire, y voient comme la marque que de vifs débats ont eu lieu au ministère, alors que déjà des tensions se font jour entre Bernard Lory et Raymond Marcellin ; sans compter que les fonctionnaires de la direction de l’Action sociale sont confrontés aux pressions de ces grandes fédérations qui continuent à veiller au grain et à trouver exorbitantes les prérogatives des ARSEA et des équipes techniques qui, à leurs yeux, leur sont encore trop inféodées54. Le fait est que ces textes tentent une voie médiane entre les deux alternatives – mais fondamentalement, y en avait-il ? – que suggérait le rapport dirigé par Albert Rauzy. La voie du maintien d’une structure associative relevant de la loi de 1901 laisserait penser que cet organisme né de la refonte en somme des ARSEA, du moins là où il en existe – c’est-à-dire dans seize des vingt et une régions de programme créées justement cette même année 55 –, sera dévolue au conseil des nouvelles instances régionales et des inspecteurs départementaux de la Population (voire des associations privées qui en font la demande). Dans une telle logique, et toujours suivant alors les suggestions de l’Inspection générale, on s’attend à ce que les pouvoirs publics se retirent clairement de ces CREAI fédérant et représentant les associations du secteur de l’inadaptation mais aussi du secteur du handicap. De fait, il n’en est rien. Une fois encore, bien des ambivalences demeurent puisque, à l’examen des articles de cet arrêté et des statuts types qui lui sont annexés, on pointe sans difficulté la quasi-mise sous tutelle de ces CREAI qui pourtant perdent tout rôle « politique » dans la mise en œuvre, dans le développement, dans la coordination des établissements et services du secteur de l’inadaptation.
73Il est possible, en se référant de façon attentive aux différents articles de l’arrêté du 22 janvier 1964, de relever en quoi l’administration s’est visiblement attachée, par bien des biais, à avoir la haute main sur cet organisme, comme si régnait dans les couloirs ministériels, voire dans les antichambres des cabinets préfectoraux, une défiance vis-à-vis de personnalités, certes incontournables dans telle ou telle ARSEA, mais dont on devait pouvoir contenir sinon au besoin brider l’action :
« Art. 8. : Dans chaque circonscription régionale, le ministre de la Santé publique et de la Population agrée, par voie d’arrêté, un centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées, qui fonctionne sous le régime de la loi du 1er juillet 1901. Le ministre de la Santé publique et de la Population peut agréer en tant que centre régional pour l’enfance et l’adolescence de la circonscription considérée les associations régionales qui en aurait présenté la demande. »
74Il faut donc un arrêté ministériel pour qu’un CREAI puisse exister. Déjà unetelle clause marque le contrôle de l’État et le droit qu’il se réserve. Les ARSEA peuvent certes se transformer en CREAI, mais pour autant rien n’oblige l’État à les agréer, et de toutes les façons il faut qu’elles fassent la démarche, et à leur demande l’État statuera ou non sur le bien fondé de leur reconnaissance.
« Art. 9. : Pour pouvoir bénéficier de l’agrément et des avantages financiers qui lui sont attachés, les statuts du centre régional doivent être conformes aux statuts types annexés au présent arrêté. La modification des statuts ne peut se faire sans l’autorisation du ministre de la Santé publique et de la Population. »
75L’ambiguïté des textes régissant les ARSEA persiste. Les statuts, dont ordinairement une assemblée générale a l’initiative dans le cadre de la loi de 1901, sont ici d’ores et déjà prérédigés. Ils comptent quinze articles et il n’y a place que pour des blancs en deux endroits précis de l’article 1er : pour préciser de quelle circonscription régionale il s’agit et le lieu où est fixé son siège social :
« Art. 11. : Le centre régional peut, à la demande de l’inspecteur divisionnaire de la Population et de l’Action sociale, être chargé notamment – de créer, gérer ou faire gérer des établissements, organismes ou services pour des catégories et dans des localités où aura été constatée une déficience de l’équipement public ou privé existant, – d’assurer la formation de personnels spécialisés, notamment en créant des écoles d’éducateurs spécialisées, – d’assister, sur le plan technique, les directeurs départementaux de la Population et de l’Action sociale dans l’exercice de leurs pouvoirs de contrôle des établissements d’enfants inadaptés. »
76L’inspecteur susmentionné est bien le maître d’œuvre qui dispose du pouvoir – et le terme figure sans ambages dans cet article – de mobiliser le CREAI. Il lui faut donc désormais la demande expresse de l’administration de tutelle pour entreprendre telle ou telle action.
« Art. 13. : Le centre régional dispose d’une équipe technique composée de divers spécialistes de l’inadaptation. La nomination et la révocation des membres de l’équipe technique régionale sont soumises à l’approbation de l’inspecteur divisionnaire de la Population et de l’Action sociale, qui prend avis préalable du centre national. »
77Les équipes techniques mises en place en 1962 sont confirmées, mais l’inspecteur régional a la haute main sur sa composition. Ainsi, malgré les contingences sur les missions dévolues aux CREAI, l’administration se donne les moyens potentiels de la composer à sa guise.
« Art. 15. : Le centre régional est administré par un conseil composé de membres élus par l’assemblée générale et de membres désignés par l’inspecteur divisionnaire de la Population de l’Action sociale. La nomination et la révocation du chef des services du centre régional sont soumises à l’approbation du ministre de la Santé publique et de la Population. »
78Il n’y a plus de membres de droit dans le conseil d’administration, contrairement à ce qui était en vigueur dans les ARSEA. Depuis longtemps déjà, cette clause était soulignée comme éminemment contraire à l’esprit de la loi de 1901 et, par ailleurs, Bernard Lory avait bien annoncé ce retrait pour des raisons de séparation des rôles. Mais, de fait, la désignation de l’inspecteur divisionnaire, en tant que commissaire du gouvernement, revient quasi au même. En quelque sorte, il effectue sa sortie par la porte mais aussitôt on le fait entrer de nouveau par la fenêtre. Sa latitude pour nommer également d’autres administrateurs (un représentant des organismes de Sécurité sociale, un autre des organismes d’Allocations familiales…), précisée à l’article 7 des statuts types ne change pas la donne passée. De plus, désormais, il lui revient d’agréer ou non le directeur du CREAI. Ressort vraiment l’impression d’une méticuleuse attention à multiplier les filtres pour conserver la haute main sur cette instance pourtant consultative désormais, comme si les inspecteurs régionaux devaient s’attendre à tout…
79Ainsi, dans une note « destinée au public », datée d’avril 1964 et publiée par la revue Sauvegarde de l’enfance, il est fait mention des CREAI en ces termes :
« Un arrêté du 22 janvier 1964 a créé un Centre technique national et des centres régionaux qui se substituent aux seize Associations régionales pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence créées en 1945 à l’impulsion du ministère. Ces organismes, fonctionnant sous le régime de la loi du 1er juillet 1901, constitueront les outils techniques du ministère – qui les subventionne – et des inspecteurs divisionnaires de la Population et de l’Action sociale dans ce domaine particulier56. »
80Une circulaire du 10 septembre 1964 viendra d’ailleurs le rappeler : « Les Centres techniques ne sont pas un rassemblement d’œuvres mais l’outil technique du ministère. » À bon entendeur…
81Il est précisé par ailleurs (article 17) que cet inspecteur non seulement assiste aux séances du conseil d’administration mais que…
« Il reçoit dans un délai de quinze jours des procès-verbaux retraçant les délibérations et dans le cas où des décisions lui paraîtraient contraires à la loi ou de nature à compromettre l’équilibre financier du centre régional, il dispose d’un délai de quinze jours pour en suspendre l’exécution et saisir le ministre aux fins d’annulation. »
82Les textes de 1962 laissaient présager une autonomie conséquente pour ces fameuses équipes techniques chères à Bernard Lory, équipes techniques dont la compétence indépassable devait en faire des interlocuteurs obligés des nouvelles administrations régionales. Au contraire, les CREAI mis en place par le ministère sont loin du projet décliné par le directeur de l’Action sociale tel qu’il l’avait annoncé au congrès de l’UNAR57. Y a-t-il eu, entre ce congrès, en novembre 1963, et la publication du décret instaurant le Centre technique national (CTNEAI)58, concertation avec les responsables des ARSEA ? Pour l’heure, la seule mention dont nous disposons est la tenue, à l’initiative du ministère, d’une réunion au Vésinet le 15 janvier 196459, réunion précédée, la veille, d’un conseil d’administration de l’UNAR pour préparer cette rencontre (la présidente de l’ARSEA de Bretagne, Mlle Pichevin et le directeur, Jacques Guyomarc’h, y assistaient)60. Ne parlons pas de négociation mais plutôt d’information, d’ » échanges de vue » comme l’écrit Robert Lafon61 : une semaine plus tard les textes étaient publiés sous la signature de Raymond Marcellin.
83Comment ces textes ont-ils été reçus par les responsables des différentes ARSEA ? Il n’est pas inintéressant de relever les propos de Robert Lafon dans son livre sus-mentionné. Il y reproduit en effet le texte de sa déclaration lors d’une réunion, toujours au Vésinet, qui s’est tenue quasi jour pour jour un an après la publication de l’arrêté, le 11 janvier 1965 exactement. Y participent « à la fois les chefs de service régionaux de l’Action sanitaire et sociale et les représentants des ARSEA ».
« Nous avons joué le jeu de la réforme, mais ce faisant nous jouons gros :
– Car nous apportions tout sans que la représentation des réalisations et des animateurs des ARSEA soit garantie au sein même de l’Assemblée et du conseil d’administration du Centre régional, en dehors de quelques sièges soumis à l’élection des personnes physiques ou à la désignation laissée au bon vouloir du commissaire du gouvernement.
– Car les nouveaux venus, qui avaient déjà la possibilité d’adhérer mais ne l’avaient pas fait, manifestent brusquement un intérêt tout particulier pour les activités futures et les gestions futures du Centre régional, mais encore pour les réalisations satisfaisantes et les projets bien étudiés des ARSEA, sans rien apporter en contrepartie.
On nous ignorait et brusquement on s’intéresse à nos œuvres, nous étions en droit d’espérer une certaine pudeur dans les ambitions […]. Depuis l’arrêté du 22 janvier, qu’avons-nous fait ? Malgré l’avis de juristes éminents, qui interprétaient ce texte comme le signe avant-coureur de la fin et le désir d’opposition de quelques-uns, nous avons décidé d’opter pour la formule qui nous était proposée. Nous avons même incité certaines associations régionales qui voulaient se contenter de poursuivre la gestion de leurs établissements, à demander elles aussi l’agrément. […] De notre côté, beaucoup d’entre nous ont consulté directement ou indirectement vos services, mais l’application à la lettre du texte des statuts types s’est avérée délicate et il y a eu nécessairement des interprétations différentes ou mouvantes […]. Où est la confiance dont nous parlions tout à l’heure ? […] Attention au marché de dupes. »
84Robert Lafon ne mâche pas ses mots, semble-t-il, lors de cette réunion au cours de laquelle il multiplie les mises en garde et les demandes d’explications, visiblement insatisfait des réponses jusqu’alors obtenues.
« Il reste par conséquent encore bien des imprécisions et finalement, nous ne savons pas trop où nous allons. […] Les conditions morales de la réforme sur lesquelles nous avions misée – franchise, confiance réciproque, coopération – ne sont pas évidentes partout. Nous courons des risques de déviation, d’éclatement ou de disparition. Nous craignons que cette réforme en cours ait créé plus de déception et d’inquiétude que d’espérance, d’efficacité et de sécurité. »
85Si Robert Lafon conclut en se défendant de « brandir l’étendard de la révolte ou de l’opposition », on constate en tous les cas que cette réforme n’est pas allée sans provoquer bien des courroux, bien des frictions…
86Nous sommes en janvier 1965. Bernard Lory est sur le départ. Celui qui prend, en mars, la suite à la direction générale de l’Action sociale n’est pas un inconnu. Il s’agit de François Charles, ancien directeur départemental de la Population, ayant exercé dans divers départements, habitué à côtoyer les ARSEA, notamment à Marseille où il a dû louvoyer entre Gaston Defferre et Germaine Poinso-Chapuis. Il est aussi l’un des inspecteurs qui ont réalisé l’enquête de 1962-1963. Le ton change. En octobre 1965, il prononce la traditionnelle allocution de clôture, non plus de l’UNAR, qui n’existe plus, mais de la toute nouvelle Association française pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AFSEA) dont l’inamovible Robert Lafon a pris les commandes. On frise d’ailleurs d’emblée l’incident puisque celui-ci y a convié Bernard Lory, ce qui aurait rendu Raymond Marcellin furieux62. Les propos de François Charles sont mesurés et policés, mais on se rend vite compte que le ministère, par sa voix, est en train de reprendre la main et délimite les missions des CREAI désormais conçus au service des administrations régionales et départementales :
« Par arrêté du 22 janvier 1964, M. Marcellin, ministre de la Santé publique et de la Population, a créé les Centres régionaux, ou plutôt a, par arrêté, mis en forme les dispositions qui permettent de les créer, ainsi que le Centre technique national. Nous sommes en vérité en présence d’une organisation assez particulière : ce sont des organismes privés, d’un caractère privé plus accentué même que ceux qui existaient antérieurement, et en même temps assujettis à une tutelle beaucoup plus étroite des pouvoirs publics. Cela nous éclaire sur le caractère de la solution intervenue, solution de compromis entre les services publics d’hier et le service public, qui nous rapproche du service public ou relevant en fait de la notion de service public. Centres techniques régionaux et Centre technique national sont en effet investis de certaines missions sous l’autorité et l’impulsion des pouvoirs publics. De là peut-être sont nées des difficultés que je n’ai pas la prétention de résoudre aujourd’hui. […] Nous avons un échelon régional nouveau dont les attributions ne sont pas encore définies avec une précision parfaite, mais dont nous voyons, à l’occasion de réunions, de journées comme celles-ci, se profiler peu à peu la silhouette future. À côté des services régionaux, nous avons un centre technique qui, pour reprendre une expression qui n’est pas très heureuse mais qu’utilisa une circulaire antérieure, vous est présentée comme l’“outil de l’administration”. Je préfère “l’auxiliaire”. Si vous vous reportez au texte vous apparaîtra peut-être une lacune : c’est qu’il n’y est pas question de coordination en matière d’enfance inadaptée. Est-ce devant vous que je rappellerai tous les incidents suscités dans le passé par les tentatives de coordination par les associations régionales ? Aussi, le gouvernement a-t-il pensé qu’il était préférable de créer à l’échelon national un comité interministériel de coordination adapté aux exigences nouvelles et, à l’échelon régional, un comité de coordination de l’enfance inadaptée sous l’autorité du préfet de région qui aura à sa disposition le centre technique63. »
87Les niveaux de responsabilité apparaissent désormais clairement : les CREAI seront les auxiliaires des préfets et de ses administrations déconcentrées chargées de la coordination régionale. Interrogé dix-huit ans après, François Charles continue à justifier sans ambages les positions qui étaient les siennes au milieu des années 1960 :
« Lory et le ministre ne se parlaient plus. Marcellin était un homme très méfiant […], puisqu’on disait même qu’il se méfiait de son ombre. […] Il avait interdit toute relation avec Lory. […] C’est aussi une des raisons du divorce entre Lory et Marcellin… c’était bien la ligne d’orientation politique du MRP, ces organisations chargées d’un service public, cela foutait la pagaille partout. Alors on a dit, il faut supprimer cela. Nous ne cessions pas de dire au ministre, nous n’avons rien contre les UNAR. Lafon m’a fait dire que j’étais hostile aux UNAR, ce n’est pas vrai du tout, j’étais hostile à certains comportements, ce qui est tout à fait différent. […] Parce qu’il est actif, parce qu’il a des idées, il crée une action, et il crée un établissement. C’était peut-être une bonne idée mais c’était… je ne cessais de le répéter à mes préfets, à mes ministres, mais l’État, il ne prend en charge que les dépenses dont il a pris l’initiative. S’il se charge de créer un établissement pour enfants inadaptés, pour personnes âgées, pour handicapés, qu’avant de le créer, ils prennent la précaution de s’assurer que cela correspond à un besoin reconnu par les pouvoirs publics sinon c’est un abus considérable de la loi de 1901 car ce n’est plus une association privée, ils vivent avec un prix de journée ; la seule différence c’est qu’ils ne soient pas publics. Alors, donc il fallait y mettre un terme. Il y a eu des tas de conflits, alors les préfets s’insurgeaient énormément. Marcellin, ce qu’il soutenait, c’est qu’il fallait créer un service public […] mais ici et là ils maintenaient leur coordination, cela posait des problèmes extraordinaires64. »
88Nous l’avons amplement souligné, ce n’est qu’à l’échelle de chaque région que l’on peut raisonnablement prendre la mesure de la façon dont ces changements, ces redéfinitions des missions des CREAI se sont effectués. Les membres de l’Inspection générale l’avaient bien noté : une extrême diversité régnait d’une région à une autre quant à la vitalité des ARSEA, la teneur de leurs relations avec les pouvoirs publics, la représentativité des différents secteurs de l’inadaptation, etc. On se doute que les réactions à ces transformations, sans grandes alternatives possibles, ont été aussi très différentes selon les régions, selon les ARSEA, tous amenés bel et bien à négocier leur transformation en CREAI. Qu’en est-il en Bretagne ?
De la FBSEA au CREAI-Bretagne
89Au tournant des années 1960, bien des particularités caractérisent la FBSEA. Sans nul doute que son originalité tient à la conjonction de tels traits qui dérogent quelque peu à ce qui est dit à l’époque des modes de fonctionnement de ces coordinations régionales. Effectuer un rapide état des lieux de cette ARSEA en ce début de décennie appelle nécessairement à ne retenir que quelques points significatifs. Nous retenons six d’entre eux :
- La FBSEA entretient de longue date des relations suivies avec les différentes administrations régionales mais aussi avec les services ministériels. Il peut y avoir une compénétration très forte au point qu’il est malaisé de faire la part entre, par exemple, les engagements publics et privés de bien des personnalités émargeant à la fois dans des administrations et dans telle ou telle instance ayant partie liée à la FBSEA.
- Les fédérations départementales sont généralement bien organisées – pour les raisons historiques que l’on a bien comprises – et la FBSEA peut donc compter sur des points d’appui d’autant plus utiles que l’on a affaire à une région très vaste et réunissant des territoires aux identités quelquefois très marquées.
- Une équipe technique, avant la lettre en somme, fonctionne dans le cadre de la FBSEA et ses membres ont noué des liens suivis avec nombre d’établissements du secteur. Pour autant, il n’est pas certain du tout que ce qu’elle diligente correspond aux missions de ces « équipes » qui semblent avoir germé dans l’esprit de Bernard Lory.
- Les fédérations, ailleurs souvent opposées aux ARSEA, semblent ici avoir eu leur place bien avant les invites pressantes à l’ouverture des années 1963 et 1964.
- Des personnalités comme Jacques Guyomarc’h font jouer à plein leur réseau, leurs diverses responsabilités et mandats pour affirmer la place de l’entité FBSEA.
- Le rôle de propagande dans la cause de l’enfance inadaptée est depuis fort longtemps largement assumé par la FBSEA qui sait multiplier les campagnes, susciter des débats, etc., quitte au passage à faire entrer quelques recettes supplémentaires dans son budget.
90La composition du conseil d’administration et du bureau de ce conseil au fil des années 1960, 1961 et 1962 démontre la forte présence parmi « les mandatures des associations départementales dont l’union a permis la constitution de la Fédération » de personnalités sinon issues, du moins très proches des services publics. Ce peut être des assistantes sociales rattachées à des tribunaux mais rattachées à des services sociaux privés (elles sont pour ainsi dire à l’origine des œuvres de sauvegarde au niveau des différents départements bretons) ou encore, au titre de « représentants d’organismes divers65 », d’un fort contingent de présidents d’organismes de Sécurité sociale ou de caisses d’allocations familiales. L’inspecteur divisionnaire de la Population, M. Demon, est membre, en 1960, du comité directeur de la FBSEA. Le président du tribunal de grande instance de Lorient, Jacques Mérour, est quant à lui vice-président de la FBSEA durant ces trois années66. De ce point de vue, il n’y a donc pas de rupture entre les années 1950 et ce début, pourtant agité, des années 1960. On n’en finirait pas ainsi de souligner combien ces différents conseils, dont la composition n’évolue que très peu durant ces années charnières, reflètent les relations suivies avec ces administrations, y compris avec celles dépendant du ministère de la Justice.
91Nous pouvons apporter ici une illustration de ces réseaux reliant pouvoirs publics et initiative privée : Alexandre Tanguy, directeur de la Sauvegarde du Finistère depuis 1961 et administrateur du CREAI, est très proche de Pierre Messmer, dont il était l’adjoint direct en Côte-d’Ivoire durant les dernières années de la colonisation (et aussi Yvon Bourges, un autre ministre de l’époque). Comme les autres administrateurs des Colonies, il avait le choix en 1960 : la retraite anticipée ou un poste ministériel avec rang de préfet. Alexandre Tanguy choisit de prendre la direction d’une sauvegarde mais : « Il avait toujours dans sa sacoche l’annuaire des anciens comme lui, et quel que soit le ministère, il passait par eux, il faut voir, c’était comme une confrérie ; c’est par Bourges aussi qu’on passait pour avoir directement Marie-Madeleine Dienesch67. » C’est encore grâce à l’appui de Marie Madeleine Dienesch 68 que peut s’inaugurer le service d’Action éducative en milieu ouvert (AEMO) de la Sauvegarde du Morbihan.
92La FBSEA de Bretagne paraît bien mériter son appellation de « fédération » puisque non seulement elle émane de services sociaux ou de sociétés de patronage devenues départementaux mais elle s’évertue dès la fin des années 1950 à resserrer les rangs, à donner au besoin un nouveau souffle à ces entités auxquelles visiblement les responsables de la FBSEA tiennent beaucoup. Pour ce qui concerne le Finistère, l’influence de Jacques Guyomarc’h est prépondérante :
« La sauvegarde du Finistère était carrément sous sa coupe, autrement dit de la Fédération bretonne. Le directeur de la Sauvegarde, Alexandre Tanguy, ne connaissait rien au secteur, c’était un ancien administrateur des Colonies et Jacques Guyomarc’h menait la barque. En somme c’était, disons, son conseiller technique69. »
93En 1960, et suite à des orientations définies l’année précédente, la FBSEA se mobilise d’autant plus que, désormais, les services sociaux que plusieurs sauvegardes géraient depuis avant-guerre doivent passer, comme dans le département du Finistère, sous la coupe de l’administration :
« Le rapport de 1959 du service social de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Finistère annonçait l’orientation nouvelle que cette association devait trouver à la suite de la prise en charge par la direction de la Population et de l’Aide sociale du Finistère du service social. Cette orientation nouvelle a été l’occasion d’entretiens et de réunions qui ont eu lieu au cours de l’année 1960 : 30 mai, réunion du conseil d’administration à Quimper, précédée d’un entretien entre M. Manier, directeur de la Population, M. Coulm, président de la Sauvegarde du Finistère, Mlle de Perceval, assistante sociale chef et M. Guyomarc’h, directeur de la fédération70. »
94Suit alors un vibrant plaidoyer pour « l’organisation des associations départementales de la fédération » :
« Cette coordination ne peut être efficace si elle est poursuivie seulement à l’échelon régional. En effet les moyens limités dont dispose la Fédération bretonne, l’absorption de ses efforts dans le fonctionnement des établissements et services qu’elle gère, et l’équipement des établissements et ou services créés ou à créer, ne lui permet pas d’apporter aux associations départementales l’aide qu’elles sont en droit d’attendre. […] La Fédération bretonne souhaite donc plus que jamais de n’être que l’organisme fédératif regroupant des associations départementales vivantes, et représentatives des intérêts de l’enfance inadaptée dans toute l’étendue de leur territoire71. »
95En 1962, dans une note rédigée visiblement sur la base d’un questionnaire standard, à l’intention de M. Folliard, l’inspecteur chargé de la FBSEA de Bretagne, cet aspect fédératif est une fois encore souligné :
« Il existe 5 associations départementales. […] Elles existaient antérieurement à la Fédération, ce qui explique pourquoi l’Association régionale a pris ce nom de Fédération car elle est née d’un comité de coordination créé entre ces Associations départementales en 1941. La Fédération est soucieuse actuellement de redonner de la vie et de l’importance aux Associations départementales car l’expérience prouve que l’action menée depuis le chef-lieu régional sur les départements est moins efficace et souvent illusoire. Il faut des Associations départementales fortes, bien organisées, disposant des moyens d’action de même nature que l’Association régionale. Cette dernière deviendrait alors l’organisme de coordination entre ces Associations72. »
96En 1964, à la suite donc de l’arrêté stipulant qu’il revient aux ARSEA de faire les démarches pour être agréées en tant que CREAI, le point est fait en conseil d’administration de la FBSEA sur la vitalité des associations départementales : une réunion est organisée en Ille-et-Vilaine : « Le 10 décembre, a eu lieu une réunion d’information sur le Centre régional pour l’enfance et l’adolescence à laquelle ont été conviés tous les établissements du département », mais poursuit ce compte rendu :
« Dans les Côtes-du-Nord, aucune évolution n’a eu lieu en cours de l’année. Il est cependant de plus en plus nécessaire, surtout dans la perspective de la mise en place du Centre régional, que toutes les associations départementales deviennent représentatives de l’ensemble des initiatives en faveur de l’enfance inadaptée de leur département. Dans le Morbihan, la situation est restée la même que pour les Côtes-du-Nord73. »
97On pressent ici les enjeux de ces regards tournés vers l’échelon départemental. Alors que tend à être déniée toute capacité des CREAI à réellement coordonner au niveau d’une région la kyrielle d’associations du secteur de l’inadaptation, renvoyer cette coordination à une échelle réduite, parier sur la capacité des délégations départementales d’être au centre de telles coordinations, de capter les initiatives, de les fédérer, c’est d’une certaine manière esquiver la remise en cause du ministère. Cette remise en cause, il faut le souligner, avait déjà cours avant que François Charles le dise très clairement. On pourra aussi trouver que ce plaidoyer pour l’échelon départemental et la possibilité, à cette échelle, de se rapprocher des décideurs, des autorités de tutelle a quelques relents prémonitoires. Plus prosaïquement on se dira que les observations émises à la suite de l’Inspection de 1962 ont été prises au sérieux par des responsables de la FBSEA qui savent combien pèsent les avis de ces inspecteurs très influents… Il semble y avoir loin cependant de la coupe aux lèvres et ces délégations, dans tel ou tel département, paraissent quelque peu peiner à l’ouvrage.
98La notion de « centres techniques » terme préféré, aux dires de Bernard Lory, à celui d’ » équipes techniques » traversait le projet de refonte des ARSEA en 1962. En Bretagne, une telle équipe technique était déjà à pied d’œuvre et allait porter en quelque sorte la « bonne parole technicienne » dans nombre d’associations. À la question posée par l’inspection de 1962, il est ainsi répondu :
« La Fédération Bretonne dispose d’une équipe qui comprend : les directeurs d’établissements en gestion directe, M. le docteur Lemay, M. Malefant, psychologue, le délégué de l’ANEJI. Son activité consiste dans l’organisation et la réalisation du perfectionnement et des stages. Elle est consultée très fréquemment partiellement ou en totalité (chaque membre étant considéré comme un conseiller technique), sur toutes les questions techniques qui se posent à la Fédération ou lui sont posées (avis sur les divers projets de réalisation en faveur de l’enfance inadaptée). Tous les membres de l’équipe technique peuvent assister avec voix consultative à toutes les réunions du conseil d’Administration de la Fédération74. »
99De fait, au fil des différents rapports annuels d’activités, sont relevées les multiples occasions au cours desquelles ces membres de l’équipe technique ont ici effectué des conférences, là participé à des réunions d’associations, à des assemblées générales, etc. En revanche, nous ne disposons pas d’éléments assurés sur les missions d’expertise approfondies que cette équipe aurait effectuées en dehors des établissements et services gérés directement par la FBSEA, pas plus que sur les commanditaires de telles expertises. Il est donc délicat de mesurer en quoi, en répondant ainsi à ce questionnaire standard, le rédacteur, probablement Jacques Guyomarc’h, a eu tendance ou non à aller dans le sens de la réponse attendue par l’inspecteur.
100En ce début des années 1960, la FBSEA paraît entretenir des relations assez suivies avec les délégations régionales d’autres fédérations qui, ailleurs, mais aussi sans doute à une autre échelle, nationale celle-là, ne sont pas toujours au beau fixe. En tous les cas, le directeur de la Fédération bretonne semble se faire un devoir d’être présent aux différentes réunions, dès lors qu’elles se tiennent en Bretagne. Ainsi, par exemple, il assiste en 1961 au VIIIe congrès de l’UNIOPSS qui se déroule à Nantes ou encore à l’assemblée générale de l’UNAF à Vannes75. En 1964, dans le cadre de la mise en place du CREAI, les représentants régionaux de ces deux organisations participent aux travaux et il est fait mention qu’ils sont membres de la Fédération76. Les relations avec les délégations départementales de l’UNAPEI, représentant ce secteur de la prise en charge des handicapés qui commence déjà à peser fortement, sont elles aussi suivies. Jacques Guyomarc’h est d’ailleurs administrateur de l’association d’Ille-et-Vilaine depuis 1962 et, au niveau régional, leur fédération est adhérente de la FBSEA. On se rappellera que c’est au titre de l’ANEJI que Jacques Guyomarc’h signera en 1958 les accords de travail avec l’UNAR avec la bénédiction des administrations de tutelle. Il sera d’ailleurs élu président de l’ANEJI en avril 1963, en remplacement de Jean Pinaud, bientôt conseiller technique au ministère. La même année, il sera nommé administrateur de la CAF d’Ille-et-Vilaine en tant que personne qualifiée. Signalons enfin les relations étroites que la FBSEA entretient avec la toute récente mais déjà très dynamique Fédération des foyers de jeunes travailleurs Les Amitiés sociales que dirige alors un ancien éducateur de Ker-goat, Aimé Le Foll.
101De manière générale, on perçoit bien en quoi Jacques Guyomarc’h est omniprésent. « Vous me dites que vous faites une étude sur le CREAI, mais dites-moi plutôt que vous faites une étude sur Guyomarc’h ! Le CREAI c’est Guyomarc’h et Guyomarc’h c’est le CREAI77 ! » Il multiplie les responsabilités et les mandats dans des associations « où il est écouté comme un messie78 » à côté de sa fonction de directeur de la FBSEA. Il est souvent difficile de mesurer en qualité de quoi il est ainsi à suivre les travaux de telle assemblée, à participer à l’inauguration de tel établissement, tant il a de « casquettes ». En 1964, année charnière, ici il participe avec M. Folliard, l’inspecteur général du ministère, à la visite des futurs locaux de l’école d’éducateurs que la fédération diligente, là il visite tous les établissements en gestion directe mais aussi nombre d’autres gérés par des délégations départementales. Fait notable, il s’intéresse visiblement de près aux établissements accueillant des jeunes handicapés, en particulier ceux de l’association Les Papillons blancs. En 1962, dressant à l’intention de ce même inspecteur, décidément très présent en Bretagne, « la liste des établissements pour enfants inadaptés de la région bretonne », la FBSEA stipulait la multiplicité des « contacts » pris tant avec des orphelinats qu’avec des IMP, la plupart n’étant pour l’heure pas affiliés. On peut lire la réalité de ces contacts dans les rapports d’activité des années suivantes. Assurément, au moment où se profile la transformation de la Fédération, son directeur investit beaucoup de son temps pour ramener vers la FBSEA des orphelinats appartenant souvent à des congrégations et des IMP gérés par des associations de parents ou fruits de la transformation d’établissements congréganistes. Au nom de l’ANEJI cette fois, on le voit diligenter nombre de réunions de la Délégation régionale et suivre « à la trace » François Charles dans sa visite rennaise de l’École nationale de la santé publique pour l’interpeller sur tel ou tel problème, en l’occurrence « le diplôme d’État, les centres régionaux, la convention collective 79… »
102Dernier point enfin à souligner sur ce que réalise la FBSEA à l’aube des années 1960 : la multiplication des actions dites de propagande qui semblent à la mesure des convictions des responsables de la Fédération. Visiblement ils sont très sollicités et accumulent les conférences, les animations de table ronde, les projections de tel ou tel film exaltant la cause. Ce souci de visibilité, cette attention à être considérés comme référence en matière d’inadaptation, que l’on pointe sans difficultés au fil des années 1950, se poursuivent donc sans discontinuer.
103L’année 1962 marque l’amorce donc des virages qu’à l’instar des autres ARSEA, la Fédération va devoir négocier. Si, à l’ordre du jour de l’un des conseils d’administration de cette année-là, figure bien un échange de vues sur les conséquences de l’arrêté du 14 mai portant sur le Centre technique régional de l’enfance inadaptée, nous ne disposons pas de précisions sur la teneur des débats. En revanche, un point fait problème, celui du retrait de la Loire-Atlantique du champ d’activités de la Fédération bretonne. La création de la région des Pays-de-Loire entraîne le ralliement de la Fédération de ce département à cette nouvelle région de programme qui a aussi entraîné dans la foulée un redécoupage de l’académie de Rennes (qui pour autant conserve l’un des départements nouvellement rattaché, la Mayenne). L’affaire est donc complexe et le président de la Fédération de Loire-Atlantique semble bien pencher avec réalisme pour la séparation :
« Nous avons certes toujours trouvé auprès de la Fédération bretonne une très grande compréhension et nous ne pourrions que regretter d’être détachés de votre organisation avec laquelle nous avons eu depuis l’origine d’excellents rapports. Cependant, il est bien certain que le chevauchement administratif ne peut qu’entraîner des complications dans les relations que nous sommes amenés à avoir avec les administrations, notamment avec la direction de la Population. Nos projets en cours risqueraient d’être retardés dans leur présentation et de perdre, peut-être, une priorité, qui nous est cependant nécessaire, si notre Association continuait d’appartenir à deux régions80. »
104Bien entendu, la Fédération bretonne ne l’entend pas ainsi, sans visiblement se faire d’illusions :
« Dix-huit années de relations existent entre ce département, qui fait partie de la Bretagne traditionnelle, et la Fédération. La région judiciaire, qui a joué un grand rôle lors de la création de la Fédération et dont nous sommes tributaires, comprend toujours ce département81. »
105Les uns et les autres s’en remettent à la décision du ministère et en particulier, à A. Folliard. Rien d’étonnant, compte tenu des orientations que par ailleurs il préconise avec ses collègues de l’Inspection générale : le rattachement de la Loire-Atlantique à l’Association régionale d’Angers est décidé avec effet à compter du 1er janvier 1963. La Fédération bretonne perd l’un de ses départements et va désormais chercher, à divers titres, à faire valoir ce que cette amputation entraîne82, notamment en terme de perte de cotisations.
106Dans le cadre de la mission dévolue à l’Inspection générale, A. Folliard consacre la journée du 11 décembre 1962 au siège de la Fédération, puis du 12 au 19 il visite tous les établissements en gestion directe et assiste aux conseils d’administration des délégations du Morbihan, du Finistère et de la Loire-Atlantique, sans compter la visite de tel ou tel établissement affilié ou géré par l’une ou l’autre délégation départementale. Le rapport d’activité de la Fédération bretonne en fait ainsi état :
« Au terme de ses visites, M. l’Inspecteur général a fait part au président de la Fédération de ses impressions qui sont excellentes en ce qui concerne la qualité du travail effectué, mais a souligné l’insuffisance de l’équipement des départements bretons. La Fédération bretonne avait conscience de cette situation, mais elle ne pourra y remédier que dans la mesure où l’aide nécessaire pour accroître ses moyens d’action lui sera accordée83. »
107Les années 1964 et 1965 vont être marquées par tous les remaniements qu’entraîne la création des CREAI. Dans les régions qui en sont pourvues, la possibilité est offerte aux ARSEA de se transformer, moyennant le passage sous les fourches caudines de statuts types taillés à la mesure du rôle d’auxiliaire des pouvoirs publics que le ministère entend bien faire jouer à ces centres régionaux. La Fédération bretonne ne tarde pas à saisir l’invite et l’assemblée générale du 26 mai 1964 décide que demande soit effectivement adressée au ministère pour être agréée comme centre régional, ce qui est fait le 17 juin. Il ne s’agit encore que d’une décision de principe mais la procédure est donc lancée très rapidement. Comme dans bien d’autres régions, mais sans les difficultés que certaines ARSEA vont rencontrer (par exemple celle que préside pourtant Robert Lafon84), des réunions de travail sont programmées, auxquelles assistent notamment les représentants des délégations régionales de ces grandes fédérations qui, en Bretagne, sont déjà souvent affiliées de fait à la Fédération bretonne. Pour autant place est faite « aux délégués des associations ou groupements ayant déjà sollicité leur participation au Centre régional (Œuvres du Moulin Vert, ANCE, Associations des paralysés de France) ». À l’image de ce que l’on a pu observer dans d’autres régions, on voit ainsi s’intéresser de près à ces CREAI des fédérations actives dans le secteur du handicap – en Bretagne, elles sont déjà souvent partie prenante, mais ici l’APF fait son apparition. L’ANCE, dont on a repéré à plusieurs reprises par le passé les réserves vis-à-vis des ARSEA85, marque aussi, en Bretagne comme ailleurs, son intérêt pour la formule CREAI.
108À suivre Madeleine Péchabrier, du ministère des Affaires sociales, il s’agissait aussi, en mettant sur pieds les CREAI, d’ouvrir, via l’ANCE, un espace de collaboration avec l’Éducation nationale :
« Ce que l’on s’est dit, c’est que l’on allait transformer les associations régionales qui sont au fond les héritières de ce qui se passait avant la guerre. Il y avait là beaucoup d’œuvres privées, et on s’est dit que l’on allait créer ces centres régionaux qui seront ouverts à tous et on va demander à l’Éducation nationale de participer. Cela a été, si je puis dire, une opération charme. Il n’y avait pas de raisons qu’il y ait deux secteurs qui se concurrencent, et l’ANCE avait parfaitement compris depuis plusieurs années déjà qu’il fallait adjoindre aux instituteurs d’autres spécialistes. »
109Dans tous les cas, les invites ministérielles à ouvrir ainsi les instances de ces CREAI à des organisations qui pour l’heure n’y étaient pas représentées paraissent avoir été entendues. Sans doute que les dirigeants de la Fédération bretonne ne se sentent pas menacés par ces nouvelles arrivées ; le fait est qu’ils vont mettre apparemment beaucoup de zèle à tenter de rallier au CREAI de nouvelles personnalités, de nouvelles associations qui, d’ailleurs, à part l’ANCE, avaient été approchées depuis plusieurs années déjà.
110Le 17 décembre 1964, le conseil d’administration adopte le projet de statuts 86 et le soumet au ministère le 28 de ce même mois. Le 6 avril 1965, une assemblée générale extraordinaire vote la transformation de la Fédération bretonne en CREAI, non sans qu’auparavant quelques échanges aient eu lieu avec le ministère. Une semaine plus tard :
« Une circulaire fut largement diffusée dans la région pour susciter des adhésions en Centre régional et des candidatures à son conseil d’administration. Elle fut adressée aux personnes morales déjà membres de la Fédération bretonne, aux personnes morales ayant déjà manifesté leur intention d’adhérer, à toutes les autres personnes morales susceptibles de répondre à la définition donnée à l’article 3 des statuts. »
111Les 17 et 25 mai, « le conseil d’administration se réunit pour se prononcer sur les demandes d’adhésions. La presque totalité de demandes fut acceptée sauf quelques-unes qui ne répondaient pas à la définition des membres actifs donnée par l’article 3 ses statuts ».
112Le 9 juin, se réunit à Rennes
« […] une conférence interdépartementale des associations pour la sauvegarde de l’enfance et l’adolescence de Bretagne. […] En outre, y étaient conviés des représentants de l’ANEJI, de l’ANCE, de l’UNIOPSS. […] La conférence interdépartementale décida en outre de demander au directeur régional de l’Action sanitaire et sociale de bien vouloir retenir parmi les membres titulaires qu’il aurait à désigner les représentants des 4 organismes suivants, non gestionnaires d’établissements, en raison de leur caractère représentatif sur le plan régional : ANEJI87, ANCE, UNIOPSS, UNAF ».
113L’accord des directions régionales du ministère quant à l’adhésion possible de l’ANEJI a cependant posé problème. Dans plusieurs régions, des directeurs régionaux ont refusé, d’autres sont revenus sur leur premier accord de principe et, interpellé à ce sujet, Bernard Lory est resté lui-même évasif. En Bretagne, cette adhésion a été acceptée sans difficulté et l’ANEJI a fait partie des organismes retenus et nommés par le directeur régional. Pour autant, on peut avancer qu’à l’évidence autant la présence des URIOPSS, des délégations régionales de l’ANCE ou de l’UNAPEI étaient fortement encouragées, autant celle de l’ANEJI ne rentrait pas vraiment dans ce que le ministère souhaitait promouvoir.
114Le 30 décembre 1965 « l’association sise 61, rue de Fougères, à Rennes (Ille-et-Vilaine), et constituée par l’assemblée générale du 24 juin 1965, est agréée en tant que centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées de Bretagne88 ».
115Une page était tournée.
Notes de bas de page
1 Bernard Lory, allocution de clôture du congrès de l’UNAR, Lyon, 1962, Sauvegarde de l’enfance, n° 1/2/3, 1963, p. 271.
2 Albert Rauzy et al., op. cit., p. 39.
3 Jean Pinatel, cité par Françoise Tétard, « Les Sauvegardes dans leur rapport avec la loi de 1901… », op. cit., p. 128.
4 Robert Lafon, Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit., p. 137-138.
5 Voir Jacqueline Gateaux-Mennecier, La Débilité légère, une construction idéologique, Paris, CNRS Éditions, 1990 et Alain Vilbrod, « Construction de la demande et offre de service : l’accueil de jeunes en difficultés d’intégration sociale dans les instituts médico-éducatifs du Finistère au cours des années 1960-1970 », Catherine Barral et al. (dir.), L’Institution du handicap. Le rôle des associations, Rennes, PUR, 2000, p. 233-242.
6 Les ordonnances de 1945, qui instituent les caisses de Sécurité sociale, ont modifié profondément le paysage social de la France. Les œuvres privées de l’époque, souvent caritatives, ont ressenti alors le besoin de se doter, en 1947, d’une instance de concertation et de représentation face à l’État : l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux.
7 Entretien de Michel Chauvière avec Robert Prigent, 1978, CAPEA, fonds Chauvière.
8 Voir l’allocution de l’inspecteur général Louis François, président de l’ANCE, aux journées d’études de 1955, paru dans le supplément au numéro d’octobre 1956 des Cahiers de l’enfance inadaptée, p. 12. Pierre Meignant fait allusion en termes à peine voilés aux critiques des ARSEA par « des ligues laïques, appuyées par certains ministères pour qui tout ce qui ne se proclame pas hautement laïque est suspect », op. cit., p. 276.
9 L’Union nationale des amis et parents d’enfants inadaptés (UNAPEI) s’est créée en 1960 pour fédérer des associations telles que Les Papillons blancs qui rassemblaient depuis quelques années des parents de jeunes handicapés mentaux. Ainsi, à sa création, l’UNAPEI regroupaient déjà 4 500 personnes.
10 Michel Lucas, « L’Évolution du service », Revue française des affaires sociales, n° 2, 1987, p. 17.
11 Robert Lafon, op. cit., p. 135-136.
12 Entretien de Michel Chauvière avec Robert Prigent, 1978, CAPEA, fonds Chauvière.
13 Nous avons retrouvé dans les rayons de la bibliothèque du CREAI de Bretagne, insérées dans la thèse, plusieurs lettres de recommandation, émanant notamment du nouveau président de l’ARSEA de Lorraine, saluant ce travail, invitant à souscrire à son édition et rendant au passage hommage à la mémoire du père de l’auteur, récemment décédé. La FBSEA va d’ailleurs l’acquérir dès sa parution.
14 Albert Rauzy et al., op. cit., p. 46.
15 Au même moment par exemple, Nicole Questiaux, jeune stagiaire de l’ENA, rédige son rapport de fin d’études sur la question du statut ambigu des ARSEA, suite notamment à un stage de plus d’un mois effectué auprès de François Charles, alors directeur départemental de la Population, à Rouen (CAPEA, fonds CREAI).
16 Pierre Bodineau, « Du bon usage des associations par l’État : les débuts des CREAI », Catherine Barral et al. (dir.), L’Institution du handicap. Le rôle des associations, op. cit., p. 208.
17 Colette Bec, L’Assistance en démocratie, op. cit., p. 109.
18 Albert Rauzy et al., op. cit., p. 34.
19 Ibid.
20 Bernard Lory, « Les Pouvoirs de l’Administration devant l’autorité et la liberté. Pouvoirs publics et sanitaires », discours devant l’assemblée générale de l’UNARSEA, Lille, septembre 1960, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
21 Une main anonyme a mentionné sur la lettre d’accompagnement de Germaine Poinso-Chapuis figurant dans les archives de la FBSEA, à l’intention de Jacques Guyomarc’h, la mention « Ça va barder ! »
22 Entretien de Michel Chauvière avec Emmanuel Rain, 1978, p. 33, CAPEA, fonds Chauvière.
23 Pierre Bodineau, Du bon usage…, op. cit., p. 208.
24 Dominique Ceccaldi, Les Institutions sanitaires et sociales, Paris, Foucher, 1980, p. 89-90.
25 Bernard Lory, allocution lors de la séance plénière de clôture, assemblée générale de l’UNARSEA, Paris, novembre 1963, Sauvegarde de l’enfance, n° 2, 1964, p. 248.
26 Colette Bec, op. cit., p. 112.
27 Ibid.
28 Cette entente tient notamment au fait que des hommes circulent de l’un à l’autre service et appartiennent d’ailleurs souvent au même corps, le Conseil d’État.
29 Corinne Saint-Martin, Être assistante de service social, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 71.
30 Robert Lafon, Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit., p. 140. Là où Pierre Bodineau reprend le terme de « note », Jacqueline Roca parle d’un « long rapport ». Pierre Bodineau, op. cit., p.213 et Jacqueline Roca, op. cit., p. 170.
31 Dans son livre La Politique d’action sociale, paru en 1975, Bernard Lory insiste sur le fait que cette adoption de statuts types est le résultat des conflits qui opposaient particulièrement les ARSEA aux autres organismes privés (Bernard Lory, La Politique d’action sociale, Toulouse, Privat, 1975, p. 166-167).
32 Ibid., p. 270-271.
33 Ibid., p. 275.
34 Albert Rauzy et al., op. cit., p. 55.
35 Bernard Lory, allocution de clôture, congrès de l’UNAR 1962, op. cit., p. 276.
36 Ibid.
37 Ibid., p. 272.
38 Signalons qu’au même moment il semble bien qu’une inspection particulière, diligentée par Louis Peyssard, ait porté sur l’UNAR. Nous ne disposons pas de ce document, mais Robert Lafon en fait assez longuement état, citations à l’appui, pour signaler qu’il n’aurait probablement pas dû l’avoir entre les mains et pour réfuter point par point un certain nombre de critiques adressées à l’UNAR, voire mettant plus ou moins en cause son président… Voir Robert Lafon, Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit., p. 136-140 et p. 154-157. Quelques mois auparavant, toujours sous la direction d’Albert Rauzy, une partie de ces inspecteurs ont participé à une enquête sur la formation des éducateurs. Dans leur rapport, ces inspecteurs noteront : « Nous avons indiqué que les régions bretonne et normande en étaient dépourvues. La question peut se poser de savoir si la mise en place d’une école doit y être recommandée pour éviter de tarir brutalement une source importante de recrutement des écoles de Paris » (rapport de l’Inspection générale sur les écoles de formation d’éducateurs spécialisés pour jeunes inadaptés, Bulletin d’information du ministère de la Santé publique et de la Population, n° 3, 1962, p. 18).
39 Notons que ces inspecteurs semblent mal correspondre à la vision d’un corps à part, uniquement missionné dans le cas de situations particulières de litiges, de conflits, etc. telle qu’on peut l’avoir aujourd’hui. Ici ces inspecteurs paraissent plutôt être de ces hauts fonctionnaires qui représentent le ministère à maintes occasions, qui sont amenés à inaugurer tel ou tel établissement, à rencontrer tel ou tel administrateur ou directeur d’ARSEA, et ce, dès les années 1950, en Bretagne comme ailleurs. Ce ne sont donc pas des inconnus pour les responsables des ARSEA ainsi inspectées. Par exemple, M. Folliard est de longue date familier du tissu des associations et des œuvres bretonnes. Quant à Albert Rauzy, il avait déjà, en tant qu’inspecteur de l’enfance au ministère de la Santé publique, prodigué conseils et consignes concernant la situation du camp de Dinan-le-Hinglé en 1941, archives de l’ARASS, dossier Ker-goat.
40 Ibid., p. 45-46 et p. 51.
41 Ibid., p. 45.
42 Ibid., p. 50-51.
43 Ibid., p. 50.
44 Ibid., p. 60.
45 Ibid., p. 61.
46 Ibid., p. 34.
47 Ibid., p. 59.
48 Ibid., p. 64-65.
49 Ibid., p. 65-66.
50 Allocution de clôture de Robert Lafon, congrès de l’UNAR, novembre 1963, Sauvegarde de l’enfance, n° 3/4/5, 1963, p. 236. Voir aussi Robert Lafon, La Sauvegarde…, op. cit., p. 9.
51 Bernard Lory, allocution lors de la séance plénière de clôture, assemblée générale de l’UNARSEA, Paris, novembre 1963, op. cit., p. 241.
52 Ibid., p. 245-246.
53 Dans ses mémoires, Robert Lafon élude la question pour tout reporter de la responsabilité des événements qui suivront sur la personne de François Charles dès lors qu’il succédera à Bernard Lory en 1965. Un document, édité et largement diffusé en 1974 par la commission des CREAI du CTNEAI, va dans le même sens : « L’arrêté du 22 janvier 1964, conforme à l’esprit des dispositions de 1962… » (Les Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées. Historique, activités, perspectives, p. 9).
54 Robert Lafon fait état de pressions venant de l’ANCE et de l’UNAEDE (Union nationale des éducateurs de l’enfance) (Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit., p. 143).
55 Cinq régions sont dépourvues d’ARSEA ; des CREAI y verront donc le jour entre 1964 et 1966. Il s’agira des CREAI d’Amiens, de Besançon, de Caen, de Châlons-sur-Marne et de Limoges.
56 Sauvegarde de l’enfance, n° 8/9, 1964, p. 396-397.
57 Pour autant, le document émanant de la commission des CREAI du CTN déjà mentionné n’hésite pas à affirmer, ce qui laisse rêveur, que « excepté ces quelques réserves, la liberté d’agir des Centres régionaux est considérable » (op. cit., p. 9).
58 Le Centre technique national pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CTNEAI) deviendra plus tard le Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI).
59 Robert Lafon, Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit., p. 148 et rapport d’activité 1964, CAPEA, fonds CREAI.
60 Rapport d’activité 1965, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
61 Ibid., p. 149.
62 Robert Lafon, Et si je n’avais été que psychiatre, op. cit.
63 François Charles, allocution de clôture du congrès de l’AFSEA, Poitiers, 1965, paru dans la revue Sauvegarde de l’enfance, n° 1, 1966, p. 196 et p. 198-199.
64 Entretien de Michel Chauvière avec François Charles, avril 1978, CAPEA, fonds Chauvière.
65 Le collège « des représentants d’organismes divers » occupent des « sièges attribués par le conseil d’administration en vertu d’une disposition spéciale des statuts », rapport d’activité 1962, FBSEA, p. 6, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
66 Signalons qu’au même moment la présidente de la Sauvegarde du Morbihan, Mme Court, est vice-présidente du conseil général et donc bras droit de son président, Raymond Marcellin, très souvent absent de ce département où il ne réside d’ailleurs pas.
67 Entretien d’Alain Vilbrod avec Gwénolé Calvez, mars 2003. Gwénolé Calvez est diplômé éducateur spécialisé d’Épinay-sur-Seine en 1956. Il travaille dans la Sarthe jusqu’en 1962, année où il est embauché, via le réseau ANEJI, comme directeur du centre d’observation de Kervouigen, de la Sauvegarde de l’enfance du Finistère. Il est ensuite le directeur général de cette association jusqu’en 1991. Il est membre suppléant du conseil d’administration du CREAI, au titre de l’ANEJI, puis comme titulaire jusqu’en 1992, au titre de « personne morale » représentant de la Sauvegarde du Finistère à la suite d’Alexandre Tanguy.
68 Marie-Madeleine Dienesch est élue députée MRP de la première assemblée nationale constituante le 21 octobre 1945. Elle sera à plusieurs reprises membre du gouvernement, très brièvement en tant que secrétaire d’État à l’Éducation nationale, très longuement en tant que secrétaire d’État aux Affaires sociales (sous des « appellations » changeantes : Affaires sociales, Action sociale et réadaptation, etc.). Elle occupera de telles fonctions sans véritable interruption, de mai 1968 à mai 1974. Par ailleurs, elle sera députée des Côtes-du-Nord, de novembre 1958 à août 1968 puis, très brièvement, en 1973. Nous pressentons les liens qui ont pu se nouer entre cette personnalité et les responsables du CREAI de Bretagne – plusieurs de nos interlocuteurs ont apporté leur témoignage sur ce point – sans toutefois disposer de sources écrites tangibles.
69 Ibid.
70 Rapport d’activité 1960, FBSEA, p. 7, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
71 Ibid., p. 9-10.
72 Note de onze pages, sans titre, 1962, mention manuscrite « rapport à l’Inspec. Géné. Septembre 1962 », Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
73 Rapport d’activité 1958, FBSEA, p. 9, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
74 Note de onze pages, sans titre, op. cit.
75 Rapport d’activité 1961, FBSEA, p. 15, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
76 Rapport d’activité 1964, FBSEA, p. 2, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
77 Entretien d’Alain Vilbrod avec l’abbé Normand, mars 2003. L’abbé Normand prend la direction du centre de Keraoul, dans le Finistère en 1952. Il devient immédiatement membre du conseil d’administration de la Fédération bretonne et reste à celui du CREAI jusqu’en 1979 bien qu’il quitte la direction de Keraoul en 1975. Il est sans conteste celui qui a été le plus longtemps administrateur de ce centre régional.
78 Entretien d’Alain Vilbrod avec Gwénolé Calvez, mars 2003.
79 Courrier de l’ANEJI signé Jacques Guyomarc’h, mai 1965, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI. Les rapports d’activité de la FBSEA des années 1963 et 1964 et celui du CREAI de 1965 comprennent, au même titre que d’autres points, un bilan des activités de la délégation régionale de l’ANEJI, comme s’il y avait confusion entre ces organismes.
80 Rapport d’activité 1962, FBSEA, p. 9, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
81 Ibid.
82 En 1962, était affiliée à la FBSEA l’Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Nantes, qui gérait un service de placement et trois foyers d’accueil ou de semi-liberté. Sont aussi mentionnés le Service social spécialisé de protection de l’enfance en danger, l’IMP de Gesvres, à Treillières, et l’Institution Anjorrant de Nantes, mais ces deux derniers établissements semblent ne pas avoir versé de cotisations à la FBSEA en 1961.
83 Rapport d’activité 1962, op. cit., p. 8.
84 Les élections du conseil d’administration du CREAI de Montpellier vont être le théâtre d’une très vive opposition entre Robert Lafon et le vice-président de l’UNAPEI, M. Grigon, candidat malheureux à un poste d’administrateur. L’arrivée de tels représentants de fédérations qui n’ont pas nécessairement noué des liens antérieurs avec les ARSEA ne va donc pas de soi ici et là quand se répartissent les responsabilités des instances dirigeantes de ces CREAI, « CREAI de Montpellier, compte rendu analytique des élections au C.A. » (ce compte rendu a été transmis à Jacques Guyomarc’h par le délégué ANEJI du Languedoc-Roussillon, Pierre Arnal, nouvellement élu au CA du CREAI de cette région emblématique. Les réseaux fonctionnent à plein…), Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
85 Entretien de Michel Chauvière avec Madeleine Péchabrier, 1978, CAPEA, fonds Chauvière.
86 « Ce projet était une synthèse de ceux qui avaient été retenus par diverses associations régionales (Pau, Lyon, Angers), des statuts types et du texte de l’arrêté du 22 janvier. » On peut penser effectivement que les contacts sont allés bon train entre les différentes ARSEA rompues à ces montages associatifs et mesurant les enjeux de la rédaction minutieuse, même si fortement encadrée ici, de la rédaction des statuts (rapport d’activité 1964 de la FBSEA, p. 2, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123).
87 Doc. ANEJI et copie de la lettre reçue le 11 décembre 1964 de Bernard Lory, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
88 JO du 7 janvier 1966.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008