Chapitre III. La Fédération bretonne prisonnière de son réseau (1952-1963)
p. 77-95
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Index géographique : France
Texte intégral
1La Fédération bretonne affiche sa volonté de donner l’image d’une couverture complète du territoire, si l’on se réfère à l’annuaire détaillé de 1952, où elle est présentée comme le maître d’œuvre de tout l’équipement régional en matière de prise en charge des mineurs en difficultés. En réalité, son emprise se révèle beaucoup plus limitée. Alors que dans son recensement la FBSEA annonce plus de cent établissements recevant plus de 7 000 enfants, seuls quatre établissements sont en gestion directe et douze sont affiliés. Ce réseau apparaît très nettement marqué par le judiciaire ; la grande majorité des établissements affiliés sont habilités à recevoir des mineurs délinquants. Les seules exceptions sont dues à la personnalité de leur fondateur ou promoteur : le Foyer du jeune travailleur de Rennes (affilié le 4 avril 1949) avait été par exemple initié par Robert Rème. C’est un vieux compagnon de route de Jacques Guyomarc’h (ils s’étaient rencontrés à la Jeunesse étudiante catholique, la JEC, avant la guerre), il est d’ailleurs nommé secrétaire adjoint de la FBSEA le 1er juin 19491.
2L’adoption de la géographie des cours d’appel pour la mise en place des ARSEA et l’existence de services sociaux près des tribunaux déjà fortement constitués ne font que renforcer cette configuration. Seule une étude précise sur l’installation et l’action des autres ARSEA permettrait de confirmer les limites de leur action réservée en grande partie aux établissements pour délinquants. Jacques Guyomarc’h lui-même fait part de l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir et des résistances rencontrées :
« Ces chiffres impressionnants [ceux de l’annuaire de 1952] montrent l’immense effort de coordination qui est à accomplir pour connaître d’abord réellement chacune de ces maisons, pour mettre en commun la tâche poursuivie par chacune d’entre elles, pour parvenir enfin à une organisation régionale harmonieuse, étudiées en fonction des besoins et des spécialisations nécessaires. Quelle somme de travail représente la vie de cet ensemble, quelle richesse matérielle sûrement suffisante en principe pour répondre à toute la gamme des inadaptations juvéniles, des garçons comme des filles. Et pourtant la mise en commun de tant de moyens existants dans le seul souci de répondre aux besoins des enfants et de la jeunesse, soulève des difficultés sans nombre : l’indépendance des œuvres et leur appréhension de toute ingérence, la différence des œuvres entre elles (variété de congrégations, origines et évolutions très diverses), le recrutement d’un personnel qualifié en particulier d’éducateurs et d’éducatrices […] le financement des aménagements et des transformations nécessaires pour adapter des constructions anciennes à des conceptions et à des besoins nouveaux, la tentation devant le développement des moyens de dépistage d’accepter de préférence et par priorité les enfants les moins difficiles – parfois sous couvert d’une prétendue spécialisation2. »
Un chassé-croisé géographique
Un détournement de procédure
3Durant la réunion constitutive de la FBSEA, Pierre Bianquis s’était engagé à respecter l’indépendance des sociétés de sauvegarde par rapport à la FBSEA ; il garantit en effet que les « centres d’accueil continueront d’être gérés par les services départementaux. Sauf celui de Rennes qui est l’amorce du Centre d’observation régional3 ». Dès cette première réunion, une dérogation à cette mesure est cependant approuvée : le centre de Ker-goat, jusqu’alors géré par le service social des Côtes-du-Nord, passe sous la gestion directe de la FBSEA. L’annuaire de 1952 confirme cette dérive. Quelques établissements respectent l’échelon des sociétés de sauvegarde départementales, s’affiliant indirectement à la FBSEA par leur intermédiaire. C’est le cas du centre d’accueil de Kerforn à Lorient géré par la société morbihannaise, du centre d’accueil du Prado et des deux homes de semi-liberté gérés par la société nantaise. Toutes les autres institutions démontrent l’impasse faite sur l’échelon départemental. La Fédération gère non seulement le centre de la Prévalaye et le foyer Jeunes et métiers en Ille-et-Vilaine, celui de Ker-goat dans les Côtes-du-Nord, mais aussi le Foyer rural du Bois-du-Loup près d’Augan dans le Morbihan. Le centre d’éducation Don Bosco de Kéraoul à La Roche-Maurice, bien qu’initié par une assistante sociale du service social du Finistère, choisit de s’affilier directement à la FBSEA ; il en va de même pour l’école de rééducation de Dinan dont un des créateurs n’était autre que le docteur Godart, ancien président du service de sauvegarde des Côtes-du-Nord4. Toutes les grosses institutions religieuses se passent elles aussi de l’intermédiaire des sociétés départementales : le refuge Saint-Cyr en Ille-et-Vilaine, le refuge de Montbareil dans les Côtes-du-Nord, l’Œuvre de la Préservation à Nantes en Loire-Inférieure et l’établissement Notre-Dame-de-la-Miséricorde à Kernisy, dans le Finistère. La Société d’adoption et de protection des enfants délaissés de Saint-Nazaire, qui avait déjà choisi de rester indépendante par rapport à la société nantaise en 1943, développe le même type de stratégie.
4Si nous regardons la carte 3, nous voyons qu’à part la Loire-Inférieure et le Morbihan, la FBSEA a réussi à centraliser, par le biais des affiliations ou de la gestion, une grande partie de l’équipement en matière de prise en charge des délinquants.
5Cette impression de toile d’araignée donnée par la carte 3 ne doit cependant pas masquer les limites de la coordination entreprise par la Fédération bretonne. Quand nous avons reporté sur une nouvelle carte (carte 4) l’ensemble des établissements recensés dans l’annuaire de 1952, en distinguant les « affiliés » des « non-affiliés », le nombre d’établissements avec lesquels la FBSEA a tissé des liens semble bien faible par rapport au foisonnement d’initiatives existant dans la région.
L’armée des orphelinats
6Malgré les velléités de prendre contact avec tous les orphelinats de la région, affirmées depuis 1945 et poursuivies régulièrement par la suite – le 26 mai et le 17 décembre 1953, à Nantes et à Saint-Brieuc, Jacques Guyomarc’h est convié à exposer l’action de la Fédération à l’occasion de réunions des orphelinats5 –, force est de constater le peu de résultat obtenu. Seules les institutions gérant à la fois des orphelins et des délinquants sont affiliées ; tous les autres orphelinats restent une nébuleuse hors d’atteinte. La FBSEA promeut avant tout le modèle Ker-goat qu’elle a tendance à opposer « au point de vue “protecteur” inspirant les orphelinats6 ». Si la Fédération prend comme cheval de bataille la modernisation des équipements, l’augmentation du prix de journée, la meilleure formation des cadres pour les centres de rééducation du type Ker-goat, réclamant que cesse « la période héroïque », en revanche, elle ne prend jamais position dans la défense des orphelinats, à une période où se discute pourtant de façon houleuse un nouveau statut, celui des fameuses Maisons d’enfants à caractère social (MECS). Le problème n’est pourtant pas récent. Le terme de MECS apparaît aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et, dès le départ, un flou entoure ce statut. C’est ce qu’atteste une étude pointue sur le sujet réalisée par le Dr Louis Le Guillant.
7Dans un article intitulé « Remarques sur le statut légal des maisons d’enfants », publié dans sa revue Enfance en 1949, il relève ainsi de nombreuses imprécisions. Après avoir précisé que « le statut juridique d’un organisme d’assistance reflète nécessairement dans quelque mesure la signification et les besoins auxquels il correspond ainsi que l’état de l’opinion à l’égard de ces besoins à un moment historique donné », il souligne tout d’abord la confusion existant, déjà au niveau législatif, entre les maisons d’enfants dites « à caractère sanitaire » et celles dites « à caractère social » : un même sigle pour des réalités souvent difficiles à départager. Louis Le Guillant mentionne que dans la circulaire conjointe n° 22 émanant du ministère de la Population et du ministère du Travail7, datée du 27 janvier 1948, relative aux conditions d’agrément de soins, l’expression « maison d’enfants » ne se retrouve que pour une seule catégorie d’établissements : les « maisons d’enfants à caractère sanitaire ». Pour les enfants dits à l’époque « anormaux » de l’intelligence ou du caractère, les limites sont beaucoup plus imprécises, notamment en ce qui concerne l’attitude de la Sécurité sociale. La circulaire stipule en effet que les enfants de cette catégorie « sont essentiellement justiciables d’établissements scolaires qui doivent être agréés par le ministère de l’Éducation nationale ». Louis Le Guillant souligne alors le décalage de cette conception avec les besoins et la pratique sur le terrain :
« En fait, il existe un nombre assez considérable d’enfants sensiblement normaux qui, du fait des circonstances ou de leurs conditions de milieu, ont besoin d’assistance. C’est ce que l’on nomme les “cas sociaux”. Ils n’entrent expressément dans aucune des catégories donnant droit à cette assistance. La société semble considérer que, dans ces cas, elle ne doit à l’enfant ni aide ni protection. Sans doute beaucoup d’entre eux pourraient-ils être pris en charge par l’Assistance à l’enfance, mais les pouvoirs publics ne se sont pas suffisamment souciés de lutter contre les préjugés existants à l’égard de cette institution, fort discrète et plus ou moins ignorée, ni de faciliter et d’adapter ses interventions ou de donner à celles-ci des formes nouvelles plus attractives. Il existe ainsi une sorte de no man’s land de la misère, de l’ignorance et du malheur, étranger à la solidarité sociale, aux frontières changeantes, tour à tour réduit par quelques dispositions législatives, ou accru par les circonstances : la guerre, l’abaissement du niveau de vie des classes populaires […]. C’est la bienfaisance privée qui est demeurée chargée en fait de ce vaste secteur de l’assistance […]. Disparues ces créations éphémères, dont se détourne chaque jour davantage l’intérêt des pouvoirs publics, seule demeure la vieille et solide armée des orphelinats8. »
Des congrégations à implantations multiples
8Outre le statut particulier des orphelinats, la configuration des congrégations féminines qui les gèrent complexifie la prise de contact de la FBSEA. Non seulement elles sont très nombreuses : dix-neuf dans les cinq départements bretons – le département de la Loire-Inférieure concentrant à lui seul vingt-deux établissements de huit congrégations différentes, mais en plus elles sont très inégalement réparties sur le territoire. Presque toutes gèrent plus d’un établissement ; certaines ont la quasi-exclusivité sur un département, comme la congrégation des Sœurs de la Charité de Saint-Louis dans le Morbihan ; la plupart sont à cheval sur plusieurs départements, comme la congrégation Notre-Dame de la Charité du Refuge qui gère le refuge de Saint-Cyr à Rennes, le refuge de Montbareil à Saint-Brieuc, et le monastère Notre-Dame de la Charité dits « des Dames blanches » à Nantes. De plus, la maison mère est souvent localisée en dehors de la région : les Sœurs de la Charité ont ainsi leur maison mère à Chevilly-la-Rue, celle de Jésus-Christ Bon Pasteur à Orléans.
9Malgré l’aspect très centralisé de leur gestion, les affiliations se font rarement en bloc : les refuges de Saint-Cyr et de Montbareil à Saint-Brieuc s’affilient ainsi ensemble le 16 juin 1948, mais pas le monastère des Dames blanches, pourtant géré par la même congrégation et lui aussi habilité à recevoir des mineurs de Justice. Ce monde des œuvres apparaît ainsi comme un écheveau inextricable que la Fédération a eu bien du mal à démêler (voir carte 5).
Le bastion laïque
10Les résistances rencontrées par la FBSEA avec les congrégations ne peuvent pourtant pas être imputées à sa « laïcité » : elle n’hésite pas, nous l’avons vu, à éditer à son nom une encyclique papale. Par ailleurs elle rencontre les mêmes difficultés, si ce n’est plus, avec les œuvres laïques. L’Éducation nationale, souvent considérée comme la cinquième roue du carrosse dans le secteur de la protection de l’enfance et de l’adolescence et laissée pour compte dans les coordinations mises en place sous Vichy, avait développé déjà dans l’entre-deux-guerres et à la Libération toute une série d’établissements soutenus par des réseaux associatifs puissants : des classes de perfectionnement, des maisons d’enfants et des écoles de plein air regroupées à partir de 1949 au sein de l’ANCE, des instituts médico-pédagogiques gérés par l’Œuvre des pupilles de l’enseignement public (OPEP)9. Or, malgré la perception, souvent caricaturale, d’une Bretagne qui serait uniquement une terre de prêtres, le réseau laïque apparaît particulièrement florissant et bien implanté dans les départements bretons ; en particulier en Ille-et-Vilaine, avec huit classes de perfectionnement, un internat école de plein air et un préventorium affiliés à l’ANCE (voir carte 6).
11Là encore se joue une question de définition, qui rejoint paradoxalement la question des Maisons d’enfants à caractère social (MECS) pour les orphelinats. Une école de plein air, un aérium, un préventorium… n’ont pas le même statut. Ils n’obtiennent pas les mêmes agréments ni les mêmes habilitations et donc pas les mêmes subventions en terme de prix de journée ou de remboursement en frais d’équipement.
12Lors de la réunion du bureau du 10 mai 1954, le secrétaire adjoint de l’ANCE, Charles Fortier, signale ainsi que les aériums et les préventoriums dépendent du ministère de la Santé et de la Population, alors que les écoles de plein air sont par « lien de sang » sous la tutelle de l’Éducation nationale10. En réalité, cette distinction est loin d’être aussi tranchée puisque, depuis quelques années déjà, selon un arrêté du 25 mai 1948 du ministère de la Santé publique, les écoles de plein air pouvaient être considérées comme des aériums si elles fonctionnaient exclusivement en régime d’internat. C’est la seule exigence imposée, la surveillance médicale demandée étant relativement souple (une infirmière diplômée d’État ou autorisée à exercer par cent lits).
13Avant la publication de cet arrêté, Charles Fortier avait lui-même expérimenté sur le terrain ces subtilités administratives et les avantages financiers qu’il pouvait en tirer. Ayant fondé avec sa femme en 1945 une école de plein air pour les enfants ardennais près de Rethel, il n’hésite pas à la transformer pour en garantir la survie : « L’État, du fait de ses restrictions budgétaires, refusa de soutenir plus longtemps l’école de plein air. Une recherche de solution fut menée auprès du ministère de la Santé publique. Au 1er janvier 1947, l’aérium fut créé11. » Ce type de transfert stratégique semble avoir été monnaie courante.
14Par ailleurs, la disparité des politiques d’aide des caisses et de la Sécurité sociale envers les établissements avait été dénoncée avec virulence par Louis Le Guillant dans ce même numéro de la revue Enfance auquel ont contribué de nombreux adhérents de l’ANCE. Louis Le Guillant insiste alors sur le fait que les maisons d’enfants souffrent non seulement de l’absence de ressources définies mais qu’elles ne sont pas l’objet d’une reconnaissance légale quant à leur rôle dans la protection de l’enfance et ne disposent d’aucune autorité légale sur les enfants qui leur sont confiés. Il propose donc un projet de loi élargissant le domaine de l’assistance sociale à l’enfance et leur reconnaissant un statut spécifique.
15C’est ce combat que va tenter de mener l’ANCE, bientôt rejointe par d’autres mouvements. Lors de l’assemblée générale de la Fédération internationale des communautés d’enfants qui a eu lieu à Charleroi en Belgique, le comité français fait une déclaration d’intention dans laquelle il déclare vouloir « lutter pour que les enfants qui présentent des “cas sociaux” particuliers puissent obtenir un capital social permettant d’assurer leur pension dans une communauté ». L’année suivante, durant la réunion du bureau de l’ANCE, le 6 janvier 1950, la commission technique chargée de défendre le statut et le financement des maisons signale ainsi que « la grande cause de fermeture de maisons d’enfants est due aux cas sociaux qui ne reçoivent rien ». Après de nombreuses discussions, les responsables du bureau, lors de la réunion du 26 mai 1950, font les revendications suivantes : « Les maisons d’enfants à caractère social doivent être aux allocations familiales ce que sont les maisons sanitaires à la sécurité sociale » ; ils décident d’engager l’action « pour que d’une part comme l’enfance en danger moral doit être enlevée à sa famille, les allocations familiales suivent l’enfant comme elles le suivent chaque fois que celui-ci quitte son foyer pour aller en maison sanitaire ; pour que l’on complète d’autre part, la pension de l’enfant par une bourse sociale qui serait versée par les Allocations familiales ». Ils revendiquent ainsi d’obtenir pour leurs établissements le régime de tutelle aux allocations familiales, institué par la loi du 22 août 1946, qui permettait dans certains cas de verser ces dernières non plus au chef de famille, mais à la personne physique ou morale se chargeant réellement de l’éducation de l’enfant12.
16Si certaines œuvres privées gérant des orphelinats bénéficient en partie de ces mesures, d’autres, comme les maisons d’enfants de l’ANCE ou les écoles de plein air qui fonctionnent en régime d’internat, auront beaucoup plus de difficultés à les obtenir. Il faudra attendre les réformes du Code de la famille et de l’action sociale du début des années 1970 pour que le financement des Maisons d’enfants à caractère social soit envisagé de façon plus généralisée avec notamment une aide des caisses ou une simple récupération des allocations familiales.
17Or, de même que pour les orphelinats, la FBSEA ne se fait jamais l’écho de ce type de revendications. Les deux seuls établissements « de l’ANCE » affiliés sont les centres de Ker-goat et de Keraoul ! Un rapprochement de courte durée, lié aux premières stratégies de l’ANCE avant de radicaliser ses positions pour la défense d’un idéal laïque. Si les frontières en Bretagne sont invisibles, elles n’en demeurent pas moins pendant longtemps infranchissables.
La difficile mise en place d’écoles de cadres
18Dans les premiers statuts adoptés par la FBSEA le 23 mai 1944, l’article 2 énonce les moyens d’action, parmi lesquels figure en quatrième position : « Éventuellement une école de cadres ». Dès le mois de novembre 1944, la FBSEA annonce son intention d’organiser des stages d’information pour les étudiants durant les vacances de Noël et ces stages sont déjà pensés comme « une amorce ou une esquisse de la future école de cadre ». À partir de 1946, elle commence à organiser régulièrement des sessions de formation pour éducateurs et rééducateurs qui se déroulent à la faculté de droit. Dans son rapport d’activité de 1946, la FBSEA se félicite de la présence de nombreux auditeurs (soixante à deux cents avec une présence moyenne de soixante-quinze) et la variété des profils (étudiants, assistantes sociales, infirmières, éducateurs, éducatrices). Ces sessions sont clôturées par un examen et la délivrance d’un certificat de stage. À partir de 1947, ce dispositif est renforcé par la création d’un centre d’études et de documentation sur les problèmes de l’enfance. En mars 1948, Jacques Guyomarc’h propose alors de créer à Rennes une « école de formation d’éducateurs » sur l’exemple de celles existantes à Lyon, à Montpellier ou à Toulouse. Il prend alors contact avec le recteur d’Académie à qui il fournit une documentation sur ces différentes écoles. Or il apprend quelques mois plus tard la création d’un « centre d’études psycho-pédagogiques » dans le cadre de l’université de Rennes sans qu’il ait donc été associé à l’entreprise :
« Nous ne pouvons que regretter : 1) de ne pas avoir été associés plus étroitement aux discussions qui ont abouti à cette réalisation ; 2) que ce centre, quel que puisse être son intérêt, ne réponde que très partiellement à la formation d’éducateurs pour les établissements d’enfants inadaptés. »
19De 1949 à 1958, la FBSEA se rabat alors sur des rencontres régionales d’éducateurs et d’éducatrices qui sont accueillies à tour de rôle dans les différents centres affiliés. Si Jacques Guyomarc’h se rend régulièrement aux réunions du conseil d’administration du centre d’études psycho-pédagogiques, auquel il a obtenu finalement d’être convié, il renforce surtout des liens avec les écoles d’éducateurs existantes, particulièrement avec celle de Montesson, dirigée par Jean Pinaud (qui est aussi président de l’ANEJI, Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés) et celle de Toulouse créée par l’abbé Plaquevent. Un grand nombre d’éducateurs des centres de la Prévalaye et de Ker-goat y sont envoyés de préférence pour s’y former et, à l’inverse, les deux centres sont proposés systématiquement à toutes les promotions comme terrain pratique de stage. En 1949, Jacques Guyomarc’h indique que « chaque année, depuis 1944, à l’école nationale de cadres de Montesson, un cours est consacré à exposer les conditions de la création et de développement de Ker-goat : c’est la seule institution qui soit présentée aux stagiaires13 ». En 1951, pour pallier en partie le problème de recrutement, la FBSEA organise un concours d’éducateurs « porté à la connaissance du public par la presse et la radio régionale ». Suite à l’étude des douze dossiers de candidature, « neuf candidats se sont présentés à l’examen qui a lieu le 18 mai dans une salle de la faculté des lettres de Rennes14 ». Toujours pour répondre à la crise de recrutement, la FBSEA organise à partir de 1957 des journées de présélection dans son centre d’observation de la Prévalaye. Ces journées sont nombreuses (vingt-deux entre 1957 et 1960) et rencontrent un certain succès : 294 candidats convoqués, 156 présents, 46 admis en stage pour finalement 18 hommes et 5 femmes recrutés et en fonction dans les différentes annexes de la Fédération. En 1958, la FBSEA organise une réunion des directeurs des établissements en gestion directe à l’occasion du passage de Jean Pinaud, directeur de l’école de formation d’éducateurs d’Épinay-sur-Seine (Montesson ayant déménagé) pour discuter des « stages que font les élèves de seconde année de cette école dans les centres de la Fédération ».
20Avec la signature des accords collectifs de travail du 16 mars 1958, négociées entre l’ANEJI et les ARSEA, la question de la formation prend une nouvelle dimension. En effet, outre les discussions sur l’harmonisation des conditions d’admission, de la durée des études et des coûts de la formation, se pose le problème de l’homologation des éducateurs n’ayant pas suivi une école alors qu’ils sont actifs sur le terrain depuis un certain nombre d’années. Pour répondre à ces situations particulières, mais courantes, des formations complémentaires sont envisagées. Une commission paritaire régionale est ainsi officiellement mise en place en février 1959 pour examiner les différents dossiers. De plus, une réunion est finalement convoquée le 16 mars 1960 à Rennes pour discuter de l’organisation de sessions de formation complémentaire avec le concours du Centre d’études psychotechniques et sous la responsabilité du Centre de formation d’éducateurs d’Épinay-sur-Seine. Suite à cette réunion, un sondage est effectué auprès de tous les établissements de la région afin d’évaluer le nombre d’éducateurs intéressés par cette session. La réponse montre les difficultés de mobilisation que rencontre la FBSEA et les résistances face au Centre d’études jugé trop universitaire :
« Sur une trentaine d’établissements qui ont été alertés, il n’y a eu que six candidats à se faire connaître. Nous avons dû, dans ces conditions, renoncer à organiser en Bretagne la formation complémentaire, laissant aux éducateurs intéressés le soin de se mettre en relation avec les écoles qui organisent des sessions15. »
21En revanche, la Commission régionale de formation et de perfectionnement mise en place simultanément en 1960, qui étudie l’organisation et le programme de journées de stages régionaux, rencontre de meilleurs échos. Ces manifestations se multiplient durant les années 1961 et 1962 et sont animées par deux personnalités de poids : Yann Maléfant, éducateur et psychologue, le docteur Michel Lemay, médecin pédopsychiatre. Devant l’afflux des participants, la commission signe un protocole d’accord avec la délégation régionale de l’ANEJI et décide que seuls les établissements versant une cotisation à la FBSEA et membres de l’ANEJI peuvent désigner un représentant à ces journées et stages de perfectionnement. Fort de ce succès, l’idée de créer finalement une école de formation d’éducateurs et d’éducatrices spécialisés est sérieusement envisagée. Michel Lemay présente son projet durant le conseil d’administration de la FBSEA du 11 mars 1963, prenant bien garde de se démarquer de l’expérience universitaire antérieure :
« Assurer l’intégration permanente de la théorie dans la pratique, grâce à une répartition équilibrée entre l’enseignement théorique, l’enseignement de la méthodologie et des techniques éducatives, et les stages. L’expérience pratique des élèves va en s’accentuant au cours de trois années. La première année est essentiellement théorique, mais les élèves passent cependant deux après-midi par semaine dans un centre ; la deuxième année ils sont en stage d’application, quatre jours par semaine et les deux autres jours à l’école ; la troisième année ils sont en stage professionnel mais reviennent à l’école une semaine par mois16. »
22Pratiquement vingt ans après la fondation de la FBSEA, une école ouvre donc ses portes le 10 octobre 1963, dans ses propres locaux avant de déménager l’année suivante rue Charles-Le-Goffic. Le rapport d’activité signale de façon laconique que « le recteur d’Académie de Rennes n’a pas pu accepter la présidence », le Centre d’études psychotechniques n’étant quant à lui plus jamais mentionné. Le conseil provisoire de l’école est composé de Louis Pichevin, ancien capitaine de vaisseau à la retraite et président de la FBSEA, de M. Cazoles, inspecteur divisionnaire de la Population, de M. Guillon, conseiller délégué à la Protection de l’enfance, de M. Priolet, directeur de la Caisse d’allocations familiales, de Robert Resnais, délégué régional de l’ANEJI et éducateur à la Prévalaye, et de trois représentants des établissements affiliés à la Fédération. Pour mieux se démarquer de toute « emprise théorique », et ancrer l’école dans la tradition bretonne, c’est Paul Lelièvre, directeur de Ker-goat, qui en est nommé directeur, Michel Lemay étant seulement directeur des études, assisté de Yann Maléfant.
Les limites de la planification régionale
Une politique de proximité
23Alors qu’en 1944 la FBSEA doit s’imposer dans un premier temps face à des structures fortement constituées dans chacun des cinq départements, elle se retrouve paradoxalement à devoir encourager leur restructuration en associations départementales à partir de 1950. Jacques Guyomarc’h se félicite ainsi de voir que les anciennes sociétés de patronage acceptent d’adopter une nouvelle appellation, la « Société finistérienne pour la protection de l’enfance délaissée et délinquante » se transformant en « Société pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Finistère » et la « Société morbihannaise pour la protection de l’enfance délaissée et délinquante » en « Société pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Morbihan » : « Nous nous réjouissons de cette évolution qui souligne l’intention et le désir des anciennes sociétés départementales bretonnes de devenir de véritables associations départementales de sauvegarde de l’Enfance17. »
24Dans le même temps, nous l’avons vu, la FBSEA réussit à se placer en intermédiaire incontournable grâce à la signature d’une convention avec la Commission régionale d’action sanitaire et sociale. Ce double mouvement entre l’échelon départemental et l’échelon régional montre bien les limites de l’action financière de la FBSEA. Si elle réussit à obtenir à son nom de fortes subventions en 1952-1954, pour les centres de la Prévalaye et de Ker-goat qu’elle a en gestion directe, elle se retrouve obligée par la suite de solliciter les sous-comités départementaux de la Sécurité sociale pour obtenir les compléments nécessaires. En 1960, la Société pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Finistère annonce la prise en charge de son service social par la direction de la Population et de l’Aide sociale ; elle s’interroge de ce fait sur son rôle et sa survie, puisqu’elle abandonne un de ses principaux moyens d’action. Sur insistance de Jacques Guyomarc’h, elle finit par se réorganiser en « Association pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Finistère » et ses objectifs définis dans ses nouveaux statuts ressemblent à s’y méprendre à ceux de la Fédération sur une échelle plus réduite :
« a) contribuer à la sauvegarde des enfants et adolescents dans le Finistère ; b) favoriser et coordonner l’action de tous ceux qui, professionnellement ou bénévolement, agissent dans ce but ; c) mener, en liaison avec les services et organismes intéressés, toutes études et enquêtes ayant pour but une meilleure connaissance des problèmes de l’enfance inadaptée ; d) créer ou aider à la création de tous services et établissements jugés nécessaires18. »
25En favorisant cette restructuration, la FBSEA reconnaît alors pour la première fois la suprématie de l’échelon départemental au nom d’une politique de proximité :
« Il convient de souligner également que le cadre départemental correspond à une structure plus réelle pour mener une action efficace : le public s’intéresse plus volontiers à une association plus proche de lui, plus près des besoins qu’il côtoie, l’organisation administrative est départementale avant d’être régionale (préfecture, conseil général, directions ministérielles, organismes de sécurité sociale…). […] Il nous semble souhaitable aussi que les tâches de gestion soient décentralisées et que les associations départementales, disposant elles-mêmes, comme la Fédération, d’un secrétariat et d’un directeur, puissent gérer les établissements créés sur leur territoire et dont la gestion incombe actuellement à la Fédération19. »
26La FBSEA avait déjà préparé cette nouvelle répartition en repliant un de ses établissements phares sur le département où elle a son siège ; le déménagement de Ker-goat près de Dinan au château de Pleurtuit, à quelques kilomètres, en 1954, n’est pas innocent, puisqu’il franchit ainsi les limites du département des Côtes-du-Nord pour rejoindre l’Ille-et-Vilaine. La même année, le Foyer rural du Bois-du-Loup est transféré provisoirement au Bois Saint-Martin, Saint-Père-Arc-en-Poulet en Ille-et-Vilaine avant de s’installer définitivement sous le nom de « Foyer rural de la Ville-Gilles » à Saint-Méloir-des-Ondes, dans le même département. En 1962, à l’occasion d’une inspection générale, la FBSEA peut ainsi confirmer l’orientation départementale :
« La Fédération est soucieuse actuellement de redonner de la vie et de l’importance aux associations départementales car l’expérience prouve que l’action menée depuis le chef-lieu régional sur les départements est moins efficace et souvent illusoire. Il faut des associations départementales fortes, bien organisées, disposant de moyens d’action de même nature que l’association régionale20. »
Un centre d’observation régional ?
27Le centre de la Prévalaye, créé en octobre 1944, est pensé au départ « comme un organisme commun aux délinquants et aux non-délinquants21 » ; il est censé drainer une grande partie des garçons dont le dossier est en cours d’instruction sur l’ensemble de la région et devenir un des principaux pourvoyeurs pour les établissements des cinq départements :
« Ce centre d’observation et de triage doit accueillir les enfants déficients de la région entière. Ils y subissent un examen prolongé dont le résultat est la synthèse des observations du médecin, de l’éducateur, de l’assistante sociale, de l’instituteur. Le résultat permet l’envoi de l’enfant dans l’établissement le plus adapté à son éducation22. »
28En 1946, la FBSEA fait le bilan du centre d’observation et elle se réjouit qu’il se soit imposé « à l’intention de tous les magistrats de la cour d’appel de Rennes ». Le centre informe de plus avoir accueilli 123 garçons qui sont restés en moyenne de cinq à six mois et, tout en affirmant que « les services psychiatriques sont trop insuffisants à Rennes pour permettre dans tous les cas un diagnostic sérieux », la FBSEA fait état d’une large palette de catégories de garçons reçus. Une nosographie détaillée, où se mélangent tous les types de diagnostics, est proposée ainsi par la consultation neuro-psychiatrique mise en place :
« 18 abouliques, 15 apathiques, 4 émotifs, 3 hyper-émotifs, 26 instables, 3 épileptiques, 2 cyclothymiques, 2 impulsifs, 1 paranoïaque, 2 mythomanes, 4 schizoïdes, 4 nerveux, 3 énurétiques, 1 tuberculeux (osseux), 1 tuberculeux, 27 particulièrement enclins au mensonge, 10 récidivistes, 22 pervers, 2 pervers légers, 1 pervers constitutionnel, 9 normaux23. »
29En 1947, le centre parachève et modernise son installation jusqu’ici fort modeste : les ruines du château, à l’ombre desquelles le premier campement avait été établi, sont définitivement estompées avec l’achèvement de la démolition en octobre 1946 ; de nouveaux baraquements viennent remplacer les baraques de fortune dans lesquelles il était abrité. Jacques Guyomarc’h parle alors de la nouvelle vitalité du centre et de son plus grand rayonnement : « Les demandes d’admission ont largement dépassé le cadre de la cour d’appel de Rennes, puisqu’il en est venu d’Avranches, de Coutances, de Cherbourg, de Caen, du Mans, de Laval, de Saumur, d’Angers24. »
30Bien que le rapport d’activité de 1949 informe que « plus de 25 tribunaux pour enfants, tant de la cour d’appel de Rennes que de l’Ouest, ont envoyé des enfants, ainsi que des directions de la Population de plusieurs départements, les offices de pupille de la Nation, des services sociaux divers et des familles » ; la population accueillie reste toujours aussi ciblée : il s’agit seulement de jeunes garçons et presque uniquement de mineurs ayant fait l’objet d’une mesure judiciaire. Le bilan détaillé du centre de la Prévalaye, présenté en annexe de ce rapport, dénombre ainsi parmi les 176 enfants accueillis : 109 délinquants, 13 vagabonds, 24 corrections paternelles25, 2 déchéances de la puissance paternelle, 20 pupilles difficiles de l’Assistance publique, 6 jeunes confiés par des services sociaux et seulement 2 jeunes confiés par la famille. Ces catégories, contrairement aux nosographies complexes élaborées par les médecins psychiatres, ne sont pas des classements de type médico-psychologique ; elles renvoient à tout un appareil juridique (loi du 22 juillet 1912, décret-loi du 30 octobre 1935, ordonnance du 2 février 1945…) et surtout à une filière de placement spécifique. Quel que soit le hasard qui préside à la destinée d’un jeune, et le conduit devant un tribunal, il est important ici d’insister sur le fait que la grande majorité des mineurs sont confiés à la Prévalaye par un réseau très précis : celui des juges et des assistantes sociales près des tribunaux. Le centre d’observation s’inscrit dans le paysage des œuvres de la région avec une étiquette particulière et par là même s’exclut en amont et en aval de certains réseaux.
31Par ailleurs, sur l’effectif global de 179 mineurs confiés à la Prévalaye, 122 proviennent de la cour d’appel de Rennes et 61 des tribunaux d’Ille-et-Vilaine (38 de Rennes) ; les autres tribunaux ayant envoyé seulement 1, parfois 4 enfants. Le rapport de proximité semble donc en amont l’avoir emporté pour ce qui est de la mise en observation. Les décisions de placement réalisées au bout de la période d’observation de quatre mois relativise tout autant le rôle de pourvoyeur des établissements revendiqué dans la région : sur les 109 décisions adoptées (qui sont presque toutes des décisions judiciaires), seuls 39 garçons sont placés dans des centres habilités, la majorité de ces derniers étant confiée aux établissements gérés directement par la Fédération – le centre Ker-goat, le Foyer rural du Bois-du-Loup, le foyer de semi-liberté Jeunes et métiers (constitué comme une annexe de la Prévalaye) – ou aux Institutions publiques d’éducation surveillée (IPES) ; la plupart des autres étant soit remis à la famille, soit en placement rural ou artisanal, soit à l’armée. À sa manière, la Fédération agit donc comme les anciennes sociétés de patronage, suivant ses propres filières et son propre réseau de placement.
32En 1953, Marie Mauroux-Fonlupt, inspectrice à l’Éducation surveillée, de tournée en Bretagne, visite le centre d’observation de la Prévalaye et pointe ce genre de pratique : « Le registre matricule n’existe pas. Les arrivées et les départs sont notés sur des feuilles volantes. D’autre part du fait que les jugements confiaient à la Fédération bretonne (même avec précision de la Prévalaye) ce service se croyait autorisé à placer les mineurs dans les annexes26. »
33L’annuaire de la FBSEA de 1959, qui se limite contrairement à celui de 1952 aux seuls établissements gérés ou affiliés, montre toujours la prédominance des mesures judiciaires ainsi que cette déconnexion entre les placements à la sortie de la Prévalaye et les équipements régionaux : sur l’effectif de 210 mineurs, 95 délinquants, 10 vagabonds, 57 corrections paternelles, 10 déchéances de la puissance paternelle… contre seulement 15 enfants confiés par l’Aide sociale à l’enfance. Sur les 138 décisions prises, 18 garçons sont remis à leur famille, 28 sont placés dans les établissements gérés par la Fédération, 12 sont placés dans les Institutions publiques d’éducation surveillée (Aniane 5, Saint-Hilaire 3, Saint-Maurice 3, Neufchâteau 1) et pratiquement tous les autres sont dirigés vers des centres de rééducation et d’apprentissage, des foyers de semi-liberté ou des centres d’accueil en dehors de la circonscription bretonne : Calvados, Manche, Mayenne, Vienne ou même Aube, Charente, Côte-d’Or, Seine-Maritime. Par ailleurs, le rapport de la Prévalaye de 1962, se pliant aux normes imposées par la direction de l’Éducation surveillée, établit de nouveaux tableaux de répartition. Un d’entre eux, indiquant « l’origine géographique des mineurs dont l’observation a été terminée pendant la période du 1-1-62 au 1-9-62 », est construit ainsi selon une échelle kilométrique pour le moins singulière, calculée en fonction de la distance du domicile des parents par rapport à l’institution :
34Cet état de fait renvoie aux pratiques encore très prégnantes des juges pour enfants et autres magistrats : si la Fédération réussit à imposer des placements dans les centres qu’elle gère directement, les décisions judiciaires en revanche continuent à alimenter le réseau des institutions publiques et à préconiser l’éloignement.
35Par ailleurs, malgré les prospections très actives menées par Jacques Guyomarc’h auprès d’autres catégories d’établissements comme les orphelinats des religieuses trinitaires de Plancoët, l’Institut médico-pédagogique (IMP) « La Papotière » à Nantes, l’Institution des sourds-muets de Rillé à Fougères, ou le centre de rééducation des paralysés « La Grillonnais » à Basse-Goulaine… le rayon d’action de la FBSEA reste relativement circonscrit jusqu’au début des années soixante. La Prévalaye ainsi que les établissements prévus en aval gardent presque tous la spécificité d’accueil des mineurs de Justice et ce n’est que très tardivement que le cercle restreint des « affiliés » s’ouvre ou réussit à capter des organismes offrant d’autres types de prise en charge : l’asile Notre-Dame-de-Pitié créé à Landerneau par les religieuses franciscaines de Montpezet pour déficients profonds et épileptiques, affilié le 3 septembre 1956 ; l’Institut de rééducation psychothérapique de Gesvres-en-Treillère en 1959 ; l’IMP de Trévidy en Plouigneau pour filles débiles moyennes et l’orphelinat de la Providence pour filles dans le Finistère, affiliés le 3 octobre 1960. En signant une convention avec l’association Les Amitiés sociales (créée entre autres par Robert Rème le 7 novembre 1944 et dont le trésorier n’est autre que Jacques Guyomarc’h), la FBSEA renforce ses liens avec les foyers de jeunes travailleurs : celui de Fougères en 1954 et un service d’accueil de la zone industrielle de Rennes en 1959.
36À la veille de se transformer en CREAI, la FBSEA recense 3 centres, 2 foyers et 2 services gérés directement ; 9 centres, 5 foyers et 4 services de placements affiliés ; alors qu’elle établit parallèlement une liste de 47 autres établissements qu’elle ne prétend pas exhaustive.
Notes de bas de page
1 Jacques Guyomarc’h, « Biographie de Robert Rème », dans la brochure Les Amitiés sociales, 60 ans déjà !, Cesson, imprimerie Le Galliard, 2001, p. 7-9.
2 Notice sur la Fédération, 21 mai 1953, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C120.
3 Réunion constitutive du 23 mars 1944, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
4 Docteur Godard, L’École de rééducation de Dinan, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1er trimestre 1947, CAPEA, fonds Guyomarc’h.
5 Rapport d’activité de la FBSEA, 1953, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
6 Rapport d’activité de la FBSEA, 1949, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
7 La Sécurité sociale et les caisses d’allocations familiales dépendaient encore à l’époque de ce ministère.
8 Louis Le Guillant, « Remarques sur le statut légal des maisons d’enfants », Enfance, n° 5, avril-décembre 1949, p. 376-393.
9 Jacqueline Roca, « La Fondation de l’enseignement spécial », op. cit., p. 13-86. De nombreux travaux resteraient encore à faire pour mieux en saisir l’évolution dans l’après-guerre.
10 Registre des délibérations, 1949-1955, archives de l’ANCE.
11 Charles Fortier, « Les Sylvains, cofondateurs de l’ANCE et de la FICE », numéro spécial de Mouv’Ance sur le cinquantenaire de l’ANCE, 1998, p. 12.
12 Michel Bauer et Thierry Fossier, Les Tutelles, protection juridique et sociale des enfants et des adultes, Paris, ESF, 1996, p. 44-52.
13 Rapport d’activité de la FBSEA, 1949, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
14 Jacques Guyomarc’h, « La Fédération bretonne face aux problèmes de la recherche et de la formation du personnel », Sauvegarde, n° 8/9/10, 1952, p. 802.
15 Rapport d’activité de la FBSEA, 1960, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
16 Rapport d’activité de la FBSEA, 1963, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
17 Rapport d’activité de la FBSEA, 1950, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
18 Rapport d’activité de la FBSEA, 1960, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
19 Ibid.
20 Rapport de l’Inspection générale, 1962, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
21 Réunion constitutive du 23 mars 1944, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
22 Rapport d’activité de la Fédération du 18 août 1944, fonds ARASS.
23 Rapport sur l’activité de la FBSEA au cours de l’année 1946, 1947, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
24 Rapport sur l’activité de la FBSEA, 1947, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
25 La dite « correction paternelle » est l’héritière, ni plus ni moins, des lettres de cachet qui donnaient aux pères (ou aux mères et aux collatéraux en cas de décès de ce dernier) un pouvoir de correction sur leurs enfants. Ce pouvoir de correction ne disparaîtra qu’en 1958, quand sera promulguée l’ordonnance relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.
26 Rapport du 23 juillet 1953, CAPEA, fonds Mauroux-Fonlupt.
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