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Chapitre IX. La dissidence des bons hommes

p. 287-311

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Texte intégral

1Le parcours doctrinal « des catharismes » de l’Occident chrétien a commencé par la Rhénanie et s’est prolongé en Italie, terrain privilégié du processus de rationalisation qui conduit la dissidence. Il se poursuit maintenant en empruntant des chemins apparemment erratiques. En commençant par la troisième aire doctrinale bien constituée, le Languedoc. Car l’itinéraire choisi ici obéit moins à une sorte de hiérarchie dans l’importance respective des communautés, qu’à l’ordre imposé par les témoignages subsistants : plus ou moins denses, couvrant plus ou moins la période étudiée, plus ou moins dépendants des seules sources polémiques… auxquelles viennent s’ajouter, pour cet espace Languedocien, les sources judiciaires, que constituent les registres de l’inquisition à partir des années 1240.

2Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, c’est à partir des années 1160 que la lutte contre l’hérésie prend un tournant décisif dans le sens de sa radicalisation. La criminalisation de l’hérésie à laquelle contribuent les canons des conciles de cette période aboutit avec la bulle Vergentis in senium de 1199, appliquée dans le Midi en 1200. Il me paraît possible d’établir, comme pour le cas de l’Italie, une relation entre ce processus de criminalisation de l’hérésie qui aboutit dans la création du tribunal de l’Inquisition et l’élaboration de toute une production de caractère polémique visant les dissidents du Midi.

La production polémique languedocienne

3Parmi les documents de caractère polémique élaborés dans cet espace géographique, on dispose de plusieurs types : des recueils d’autorités, des exposés doctrinaux, des traités de réfutation et des sermons.

4Cette production est inaugurée, comme il a été dit plus haut, par Gaucelm, évêque de Lodève, un des polémistes réputés à son époque, qui participe en 1165 au procès de Lombers contre les « bons hommes » de la secte d’Olivier. A l’issue de ce procès, il est probable que Gaucelm rédige le Recueil d’Autorités qui se trouve inséré dans les Actes du procès. J’y reviendrai1. Un autre exemple de production polémique ressortissant d’un procès judiciaire est le traité de réfutation de l’abbé prémontré Bernard de Fontcaude, Adversus waldensium sectam, rédigé vers 1190 à la suite d’une assemblée controversée entre catholiques et vaudois2. Celle-ci cherchait, comme le dit l’auteur lui-même dans son prologue, à instruire les clercs, à corriger ceux qui, ignorants ou manquant de livres, cédaient à l’erreur (Prologue V, col. 795). Les derniers chapitres sont consacrés aux bons hommes, Contra Arianos, niant la création et le gouvernement du monde par Dieu, ainsi que l’existence du purgatoire et le culte des saints3.

5Comme il a été signalé, Gaucelm de Lodève appartenait à une famille castrale située dans la familiarité des Guilhems de Montpellier. Or le rôle joué par la puissante seigneurie de Montpellier comme relais méridional de la papauté est connu4. Alain de Lille dédie son De fide catholica contra haereticos à Guillaume de Montpellier5. Pendant son séjour comme maître en théologie à Montpellier, le maître parisien a dû côtoyer le milieu polémiste régional. Il est possible que les traités attribués par Christine Thouzellier à une supposée école de Catalogne autour des anciens vaudois convertis aient été plutôt élaborés par les maîtres des écoles de Montpellier.

6Le Contra haereticos d’Ermengaud, identifié par Christine Thouzellier comme étant Ermengaud de Béziers, ancien vaudois devenu pauvre catholique aux côtés de Durand de Huesca6, pourrait plutôt être Ermengaud, abbé de Saint-Gilles du Gard de 1179 à 1195, protecteur d’Alain de Lille en Languedoc7. Les maîtres des écoles de grammaire et de logique dépendant de l’abbaye de Maguelone, près de Montpellier, faisaient partie de la branche méridionale de l’école porrétaine8. Disciples de Gilbert de la Porrée, de qui Alain de Lille se réclame aussi, ils accordent une importance fondamentale à la recherche de la vérité à l’aide du langage, ils défendent ainsi l’orthodoxie catholique à travers l’articulation logique du discours polémique.

7L’étude de deux autres traités languedociens du dernier tiers du xiie et des premières décennies du xiiie siècle, le Liber Antiheresis et le Liber contra Manicheos, me permet de tirer des conclusions différentes de celles qu’a formulées Christine Thouzellier sur leur datation et leur origine. Le premier, le Liber Antiheresis, d’après la version du manuscrit de Paris, constitue, d’après moi, la version remaniée par un copiste de deux traités. L’un, le Liber II, manuscrit de Madrid 1114, serait le plus ancien. Il est composé de cinq chapitres et vise exclusivement les cathares. L’autre, le Liber I, Liber Antiheresis (BN ms. lat. 13446), réfute les vaudois et présente la profession de foi de Valdés tout à fait au début de la copie. Christine Thouzellier a attribué à Durand de Huesca, avant sa conversion, en 1207, le Liber Antiheresis, imputant au même auteur, mais après sa conversion, le Liber contra Manicheos9. Elle a relevé que des parties entières de la réfutation contenue dans le Liber Antiheresis, Liber II, étaient reprises dans le Liber contra Manicheos, plus tardif, élaboré autour de 1220-1225, argument qui l’a conduite à affirmer qu’ils relevaient d’un même polémiste, Durand de Huesca10. Je constate, pour ma part, que les deux traités, le Liber Anitiheresis et le Liber contra Manicheos utilisent des extraits d’un texte cathare anonyme, que Christine Thouzellier a uniquement reconnu et extrait du Liber contra Manicheos11. Elle datait l’opuscule hérétique des premières décennies du xiiie siècle. En effet, l’auteur du traité plus tardif, le Liber contra Manicheos, utilise et intégre dans son traité les arguments scripturaires et patristiques du traité plus ancien, Liber Antiheresis, Liber II12, réfutant de manière plus détaillée et systématique les arguments hérétiques13. Ce qui oblige à avancer la date de l’opuscule hérétique à la fin du xiie siècle, contrairement à la datation de Christine Thouzellier qui l’avait situé dans les premières décennies du xiiie siècle.

8Composés à quelques décennies de distance, les deux versions du Liber Antiheresis, Liber I et Liber II, puis le Liber contra Manicheos ne me semblent pas appartenir au même auteur. Je verrai plutôt les pauvres catholiques, auxquels appartenait Durand de Huesca après sa conversion, comme les copistes et non les auteurs de cette production polémique languedocienne, même si auteurs et copistes œuvraient dans une même finalité : combattre dialectiquement l’hérésie. Il me semble par ailleurs que les pauvres catholiques ont non seulement copié des traités de polémique plus anciens, mais élaboré aussi quelques chapitres supplémentaires14.

9Les Sermons constituent une autre catégorie des textes de polémique anti-hérétique et quelques-uns ont visé les bons hommes du Languedoc. Ils ont été élaborés par des cisterciens pendant la Croisade, comme ceux d’Hélinand de Froidmond, composés dans les années 1220, lors de son séjour dans le Midi. Son sermon pour les Rogations pointe le refus des bons hommes des sacrements de la confession (privée) et de l’Eucharistie, mais aussi l’opinion selon lui de « ceux qui croient que ce monde visible a été créé par le diable ». Son sermon pour la Purification insiste sur l’humanité de la Vierge et de son fils, combattant ainsi le docétisme dissident envers l’humanité du Christ15.

10Daté de la première moitié du xiiie siècle, le sermon 25 des Sermons feriales et communes de Jacques de Vitry, cardinal-évêque de Tusculum (1229-1240) évoque indirectement les croyances des « patarins16 » à travers le thème de la Genèse 3, 24 sur l’expulsion d’Adam du paradis et la souffrance de l’humanité qui s’ensuivit ; puis, plus directement, lorsqu’il dénonce les « patarins » qui contestent la rédemption de l’humanité par la venue du Christ. Ils refusent, dit-il, que le Christ soit né de la Vierge et qu’il ait souffert, ils affirment aussi que le corps est une création du diable. Comme il a déjà été souligné, le ton agressif des sermons de Jacques de Vitry est au diapason de la politique pontificale, aux premiers temps de la création de l’Inquisition et de la mission des dominicains17.

11En dehors du recueil d’Autorités, inséré dans les Actes de Lombers, d’autres Recueils ou testimonia, longues séries de citations scripturaires classées en chapitres thématiques abordant les questions doctrinales, sacramentales et cultuelles, dateraient du xiiie siècle18. Ce qui n’exclut pas qu’il ait pu s’agir d’anciens recueils d’origine monastique qui auraient été remaniés au xiiie siècle par des prédicateurs méridionaux ayant repris le flambeau de la lutte contre l’hérésie. La doctrine adverse y est à peine évoquée, les auteurs s’attardent sur une longue argumentation de la doctrine et de la pratique catholique appuyée sur des citations scripturaires. Ces recueils deviennent des instruments redoutables dans la pastorale de l’orthodoxie, d’autant plus qu’ils sont intégrés dans les Bibles que transportent avec eux les prédicateurs19.

12À une autre catégorie de textes de différentes origines et que j’ai classés comme Exposés doctrinaux appartiendraient les confessions ou aveux d’anciens hérétiques, et les résumés des croyances, mœurs ou pratiques dissidentes élaborés par les polémistes catholiques, les uns et les autres recueillis pour atteindre un objectif commun : instruire des coreligionnaires, prédicateurs ou inquisiteurs, pour la lutte contre l’hérésie. Les aveux des hérétiques convertis sont souvent placés en préambule des traités de réfutation. Ils constituent des exposés doctrinaux tout à fait intéressants pour nous. Un exposé ou Manifestatio des croyances cathares et vaudoises, aurait été élaboré pendant les premières décennies du xiiie siècle par un polémiste languedocien. Il est possible que l’auteur ait bâti son exposé à partir de l’information contenue dans des sources antérieures, comme le Contra haereticos d’Ermengaud ou l’Hystoria de Pierre des Vaux-de-Cernay20. Ce qui permet de penser, contrairement à Christine Thouzellier, qu’il a pu être rédigé après 1210-1215, moment où l’Hystoria, source à laquelle l’auteur puise une information précise, était déjà composée. Le milieu du xiiie siècle conviendrait mieux, à mon sens, que le début.

Premiers témoignages

Correspondance doctrinale vers 1165

13Dans le Midi languedocien, les premiers témoignages se référant très probablement à la dissidence des bons hommes sont les deux lettres de consultation doctrinale adressées dans les années 1160, par Hugues Francigène, moine de l’abbaye cistercienne de Sylvanès (Aveyron), dans le comté de Rodez, à Gaucelm, évêque de Lodève. Elles montrent l’implication des cisterciens dans la lutte contre l’hérésie, notamment dans le Midi où Bernard de Clairvaux avait ouvert la voie quelques années auparavant.

14Hugues Francigène était l’auteur d’un traité sur la conversion du fondateur de son monastère, Pons de Léras, un seigneur lodévois. Il adresse une première lettre au polémiste certainement déjà réputé qu’était Gaucelm, évêque de Lodève, pour avoir des éclaircissements sur certains passages scripturaires21. Il l’interroge d’abord sur l’apparente contradiction entre les passages suivants d’Is 60,19 ; Ap 21,23 et Is 30,26 :

Is 60,19 : « Tu n’auras plus le soleil comme lumière, le jour, la clarté de la lune ne t’illuminera plus : Yahvé sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur. » Ap 21, 23 : « La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l’Agneau lui tient lieu de flambeau. » Is 30,26 : « Alors la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus forte, comme la lumière de sept jours, au jour où Yahvé pansera la blessure de son peuple et guérira la trace des coups reçus22. »

15En réponse, Gaucelm commente la première et la troisième des citations. À propos d’Isaïe 60, 19, l’évêque de Lodève dit qu’il faut comprendre que dans le royaume de Dieu, ni le soleil ni la lune ne seront la lumière, Dieu sera la lumière éternelle. Et d’Isaïe 30,26 que la lumière du soleil sera sept fois plus puissante et l’éclat de la lune aussi fort, le jour où Dieu récupérera son peuple23.

16La difficulté soulevée par les contradictions apparentes entre ces deux références scripturaires, à l’évidente portée eschatologique, a probablement d’abord été exprimée dans les discussions que les cisterciens engageaient avec des dissidents, en ce milieu du xiie siècle. En effet, les derniers utilisaient Is 60,20, mieux accordé à Is. 30,26, comme il apparaît dans les fragments du Liber contra Manicheos, au chapitre 6. Les extraits font référence au « ciel nouveau » et à la « terre nouvelle » : « Ton soleil ne se couchera plus, et ta lune ne disparaîtra plus, car Yahvé sera pour toi une lumière éternelle, et les jours de ton deuil seront accomplis24. » Il s’agit ici de la « terre des vivants » que Dieu a préparée pour le retour des âmes, et à laquelle fait allusion le dit « Traité cathare » anonyme d’origine languedocienne, d’où l’auteur du Liber contra Manicheos a extrait la référence25.

17De même portée eschatologique sont les quatre questions suivantes posées par Hugues Francigène dans sa première lettre. La première s’intéresse au devenir des choses visibles sur la terre inhabitée après le Jugement. La seconde, sur les arbres de l’Éden : font-ils des fruits après la chute ? La troisième, sur le sens du paradis dans le passage de Luc 23,43 : « Et il lui dit : En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » La dernière concerne la journée et le lieu d’attente de ceux qui attendront la résurrection26.

18Gaucelm répond en reliant la première et la deuxième des questions : les arbres de l’Éden demeurent dans le même état qu’avant la Chute et la création de l’homme. Il s’appuie sur l’autorité d’Augustin, pour dire que depuis la Chute, les anges ont gardé l’entrée du paradis jusqu’à l’arrivée d’Hénoch, Elias et des voleurs (cf. Lc 23,43), le Christ sur la croix ayant promis aux larrons crucifiés d’être avec eux au Paradis27. Gaucelm ajoute que le Christ est arrivé au paradis avant les larrons et qu’être avec le Christ au paradis revient à être dans la vie éternelle. Hugues a voulu concilier les trois sortes de paradis : paradis du « nouveau ciel » et de la « nouvelle terre » où les saints demeurent avec le Christ ; paradis terrestre où Adam et Ève furent placés et qui serait vide depuis la chute ; le paradis auquel le Christ fait allusion dans Lc 23,43 en parlant au voleur. Ce dernier est le paradis terrestre28.

19On relèvera dans ces questions, la correspondance avec le thème évoqué à la même époque par Eckbert de Schönau à propos de l’eschatologie des « cathares » rhénans, à savoir celui de la montée au ciel du Christ qui supposait la réouverture du paradis pour ceux qui étaient sauvés avant la venue du Christ sur terre. Les « cathares » allemands utilisaient aussi cette même citation de Luc 23,43. D’après eux, le Jugement a déjà eu lieu puisque dès la mort, et selon les mérites de chaque individu, l’âme reçoit le salut éternel ou la peine éternelle. Le Christ étant le premier à monter au ciel, il a rouvert le Paradis où se trouveront avec lui tous ceux qui attendaient sa venue pour être récompensés29. La question d’Hugues sur le jour et le lieu d’attente de ceux qui ressusciteront, évoque implicitement le lieu eschatologique auquel se référaient les dissidents en parlant de la « terre des vivants » (cf. Ez 32,22-24 ; Jr 5,19) que Dieu prépare pour l’accueil des âmes sauvées30.

20Dans une seconde lettre à Gaucelm, le moine cistercien pose quatre questions à propos d’autres références scripturaires. Comment interpréter I Jn 4,16 : « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ? » Où seront les corps après la résurrection, puisqu’il est dit dans Mt 22,30 : « À la résurrection… on est comme des anges ? » Et Ep 2,1-2 : « Et vous qui étiez morts par suite des fautes et des péchés dans lesquels vous avez vécu jadis, selon le cours de ce monde, selon le Prince de l’empire de l’air, cet Esprit qui poursuit son œuvre en ceux qui résistent. » Annonçant que les démons habitent dans l’air… cela veut-il dire qu’il n’y a pas de démons en l’enfer ?

21Pour finir, Hugues consulte Gaucelm sur une apparente contradiction entre deux références : comment concilier 2 Co 6,10 : « Pour tristes, nous qui sommes toujours joyeux ; pour pauvres, nous qui faisons tant de riches ; pour gens qui n’ont rien, nous qui possédons tout », et Ph 4,4 : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ? »

22La réponse de Gaucelm à la deuxième lettre de consultation du moine de Sylvanès ne nous est malheureusement pas parvenue. Il est possible de penser que ces questions-là étaient discutées, elles aussi, entre les cisterciens et les « hérétiques », très probablement des bons hommes comme paraît le confirmer la teneur des thèmes. Ainsi, à propos de 1 Jn 4,16, les dissidents ont pu insister dans l’idée que Dieu était le seul moyen d’échapper au mal, au diable présent dans ce monde. Dieu étant Amour, c’est en demeurant dans l’amour qu’on peut échapper au diable. La référence implicite à la chute des anges et au devenir des démons, à l’endroit où ils se trouvent, me paraît envisagée dans la troisième question posée par Hugues à propos de Ep 2,2. Pour les bons hommes languedociens, comme pour les « cathares » rhénans et certaines communautés italiennes, tous les anges expulsés du ciel avec le diable à cause du péché d’orgueil seront sauvés31. Plus tard, pour certaines communautés cathares italiennes, cas des bagnolenses de Mantoue, les démons sont les anges déchus ayant péché volontairement au ciel. Ils se trouvent dans ce monde, témoignant de la présence du mal, mais ils ne seront pas sauvés32. Autour de l’origine des démons et du lieu où ils agissent, la discussion entre cisterciens et bons hommes a pu déjà s’engager. La référence à Ep 2,2 figure dans le « Traité cathare » languedocien, au chapitre trois qui évoque les deux mondes et les tentations qui assaillent l’homme dans ce monde33.

23La deuxième question d’Hugues, à propos de la citation de Mt 22,30, sur la résurrection des corps, renvoie aussi à un thème dissident. Les bons hommes niaient la possibilité que les corps de chair, corruptibles, puissent accéder au monde céleste, à l’univers des choses spirituelles auquel n’appartenaient que les être spirituels, les anges. Or, pour nier la résurrection des corps, les dissidents utilisaient la même référence Mt 22,30, comme l’indique Alain de Lille dans le chapitre 25 de son traité34.

24Quant à la dernière question posée par Hugues, elle porte sur l’apparente contradiction entre les citations scripturaires de 2 Co 6,10 et Ph 4,4 en revenant sur le premier thème abordé dans cette seconde lettre de consultation : pour échapper au mal et demeurer en Dieu il faut imiter les vertus divines.

Le procès de Lombers (1165)

25Pendant la décennie où a lieu l’échange épistolaire avec le moine de Sylvanès, la réputation de Gaucelm, évêque de Lodève, lui vaut d’être aussi sollicité pour arbitrer le procès de Lombers (1165). La hiérarchie catholique, Guillaume évêque d’Albi en tête, soumet au jugement d’arbitrage ceux qui s’appellent « bons hommes », appartenant à la secte d’un dénommé Olivier, demeurant à Lombers35. Gaucelm interroges les « bons hommes » sur cinq thèmes :

« En premier, il leur demanda s’ils acceptaient la loi de Moïse, les Prophètes, les Psaumes, l’Ancien Testament et les docteurs du Nouveau Testament. À cela, ils répondirent qu’ils n’acceptaient pas la loi de Moïse, ni les Prophètes, ni les Psaumes, ni l’Ancien Testament, mais uniquement les Évangiles, les Épîtres de Paul, les sept épîtres canoniques, les Actes des Apôtres et l’Apocalypse.
Il les interrogea sur leur foi. Ils refusèrent de répondre sauf s’ils y étaient contraints. Il leur demanda si le baptême des enfants permettait de les sauver. Ils répondirent qu’ils ne diraient rien, qu’ils répondraient par les Évangiles et les Épîtres.
Il les questionna sur le corps et le sang du Seigneur, où et par qui était-il consacré, qui le recevait et s’il était préférable qu’il soit consacré par un bon ou un mauvais prêtre. Ils dirent que celui qui le recevait dignement était sauvé, mais que celui qui le recevrait indignement serait condamné. Tout homme bon, fût-il clerc ou laïc, pouvait le consacrer. Ils refusèrent d’en dire davantage car ils ne devaient pas être obligés de répondre sur leur foi.
L’évêque les interrogea sur le mariage, en leur demandant si l’homme et la femme pouvaient se sauver malgré l’acte charnel. Ils refusèrent de répondre autrement qu’en affirmant, d’après l’Épître de Paul, que l’homme et la femme s’unissaient dans la luxure et la fornication.
Il les interrogea en dernier sur la pénitence, apportait-t-elle à la fin le salut ? les chevaliers mortellement blessés pouvaient-ils se sauver en faisant pénitence, ou devaient-ils confier leurs péchés aux prêtres ou aux ministres de leur Église, ou à un laïc ? Il leur demanda aussi à qui faisait référence saint Jacques : “Confessez-vous vos péchés les uns les autres” (5,12). Les “bons hommes” répondirent en disant qu’il suffisait que les malades se confessassent à qui ils voulaient. Sur les chevaliers, ils refusèrent de répondre car saint Jacques n’avait parlé que des malades. L’évêque leur demanda si la contrition de cœur ainsi que la confession orale suffisaient, ou s’il était nécessaire de faire, après la pénitence, des jeûnes, des aumônes, des peines, en se lamentant sur ses péchés si l’on récupérait ses facultés. Ils répondirent que Jacques n’avait rien dit d’autre que ce qu’il avait dit, que c’était ainsi que l’on se sauvait ; ils ne voulaient pas être meilleurs que l’Apôtre en ajoutant davantage à ce qu’il avait dit, comme le faisaient les évêques.
Ils dirent beaucoup d’autres choses sans y être poussés, par exemple qu’ils ne devaient point jurer sous aucun sacrement, tel que l’avait dit Jésus dans l’Évangile (Mt 5,34,37) et Jacques dans son Épître (5,12). Ils dirent aussi que Paul avait précisé dans son épître qui devait être ordonné dans l’Église, à savoir, les évêques et les prêtres. Si ceux-ci n’étaient pas ordonnés à la manière que Paul avait prescrite, alors ils n’étaient pas évêques ni prêtres mais loups rapaces, hypocrites et séducteurs, amoureux des salutations sur la place publique et des premiers sièges, des premiers divans à table, voulant s’appeler “Rabbi” ou maîtres contre les préceptes du Christ (cf. Mt 23,6,7), portant des vêtements d’un blanc fulgurant, les doigts ornés de bagues d’or couvertes de pierres précieuses, contrairement à ce qu’avait prescrit Jésus, leur maître. Et beaucoup d’autres infamies. Ils dirent que ceux qui se tiennent ainsi ne sont ni évêques ni prêtres, mais, qu’au contraire, ils ressemblaient aux prêtres qui avaient trahi Jésus, à qui on ne doit pourtant pas obéir car ils ne sont pas de bons docteurs mais des mercenaires36. »

26Nous retiendrons d’abord le refus des « bons hommes » de répondre à la question concernant la doctrine et le fait que l’interrogatoire ait porté sur des questions de discipline, telles que le refus de la hiérarchie catholique et du serment, et d’ordre sacramentaire : refus du baptême des enfants, de l’eucharistie, du mariage, de la confession orale. Ce qui étaye l’hypothèse sur la double origine (laïque et religieuse) des « bons hommes », dans lesquels il est possible de voir des membres de l’élite castrale, appartenant peut-être au conseil de village à Lombers37. Impliqués en tous les cas dans les mouvements de rénovation évangélique, les « bons hommes » étaient aussi des religieux instruits par leur maître et chef de la secte de Lombers, Olivier… Le rejet des sacrements catholiques et de la hiérarchie romaine, accusée de vivre dans le luxe et l’ostentation des richesses, est appuyée sur la lecture des Évangiles et des Épîtres, constituant sans doute la base de l’enseignement dissident. La première question de l’évêque de Lodève n’est pas posée au hasard. Elle cherche à mettre en cause la foi des « bons hommes » qui, en refusant l’Ancien Testament, rejettent une partie de la tradition testamentaire. Mais ce rejet que le polémiste catholique prête aux « bons hommes » doit être nuancé car l’évêque de Lodève même, lorsqu’il s’apprête à juger les dissidents à partir du Nouveau Testament, cite les Psaumes qui font partie des livres dont nous savons par ailleurs qu’ils sont acceptés par les bons hommes languedociens38. Le polémiste a beau jeu de prouver la non conformité avec la tradition scripturaire catholique : celui qui refuse la loi de Moïse refuse la loi de Jésus, puisque il est venu la ratifier39.

27C’est ainsi que Gaucelm, à partir des réponses et des arguments avancés par les « bons hommes », a élaboré un Recueil d’Autorités, probablement a posteriori, qui se trouve inséré dans l’acte définitif40. Il est composé de six chapitres, chacun constitué d’un dossier de citations néotestamentaires prouvant l’erreur des hérétiques sur les six questions autour desquelles l’interrogatoire s’est structuré41. Il s’agit probablement du premier recueil de ce genre élaboré dans le cadre de la polémique contre les bons hommes. Il se situe à la charnière entre les temps où il était encore possible de discuter les propositions hérétiques et les débuts de la juridisation de l’hérésie, celle-ci illustrée par le canon que lui consacre le concile de Tours (1163) tenu deux ans avant le procès de Lombers. Du contexte polémique des lettres de consultation du cistercien de Sylvanès à celui du procès de Lombers et de son Recueil d’Autorités, un saut substantiel vient de se produire, saut dont Gaucelm est un témoin d’exception.

28Dans son rôle de polémiste réputé, Gaucelm est un témoin et surtout un acteur du basculement qui se produit dans les années 1160, participant à la fois à la démarche discursive fondée dans l’« argumentation défensive » dominant les premiers temps de la lutte contre l’hérésie, et à la condamnation juridique de l’hérésie qui annonce le nouveau tournant de ce combat42. Son activité est comparable à celle que menait Eckbert de Schönau contre les « cathares » de Rhénanie durant les mêmes années, ce dernier étant à la fois polémiste, auteur des Sermons contre les cathares et juge permettant de dépister l’erreur de ceux qui sont condamnés à Cologne et Mayence43.

Essor de la dissidence des bons hommes (fin xiie-xiiie siècle)

29Passons maintenant à la présentation des croyances des bons hommes du Midi au tournant du xiie siècle et pendant le xiiie siècle, telles que nous pouvons les extraire des traités de polémique les réfutant, comme le Liber Antiheresis, Liber II, le Liber contra Manicheos, le Contra haereticos dit d’Ermengaud, le traité d’Alain de Lille, la Summa contra haereticos, Ms 379 BM Toulouse, la Manifestatio haeresis Albigensium et Lugdunensium44. Rappelons que des extraits d’un traité hérétique disparu furent utilisés par les polémistes catholiques, auteurs des deux premiers traités mentionnés. Ces extraits constituent également un repère fondamental45. Je relèverai en note les croyances, plus tardives, celles attestées à la fin du xiiie et début du xive siècle, principalement à travers des témoignages des registres de l’Inquisition.

Cosmogonie

30Les bons hommes du Languedoc, comme en témoigne l’interprétation des références scripturaires recueillies et commentées dans le « Traité cathare » anonyme, affirmaient qu’il y a deux mondes, l’un bon et l’autre mauvais. Dieu est à l’origine du monde céleste (Rm 1, 20), de la création éternelle (cf. Jn 1,3 ; Ac 14,15 ; 4,24 ; 17,24), le diable, le dieu étranger appelé aussi « dieu de ce monde » ou « prince de ce monde » est à l’origine du monde visible, du Néant (cf. Jr 5,19 ; Mt 7,18 ; 1 Jn 5,19 ; Jn 1,3 ; Rm 12,246).

31Le premier témoignage à évoquer la dualité des mondes et des créations chez les dissidents languedociens date de 1178, à l’occasion de la deuxième légation cistercienne à Toulouse, à la tête de laquelle se trouvait l’abbé Henry de Marcy. Dans le rapport sur cette légation, Geoffroy d’Auxerre déforme cette croyance en affirmant celle d’un dualisme des principes. Il écrit : « Il y en a eu qui avancèrent fermement avoir entendu dire à quelques-uns qu’il y avait deux dieux, l’un bon et l’autre mauvais, que le bon avait fait les choses invisibles et celles qui ne peuvent changer ou se corrompre ; que le mauvais avait créé le ciel, la terre et l’homme, et les autres choses visibles47. »

32La croyance dans la dualité des mondes est appuyée par le passage de Mt 7, 18 : « Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre gâté porter de bons fruits ». La même citation est utilisée plus tard par les « anciens albanenses » italiens de Desenzano, pour formuler la croyance en l’existence de deux principes, l’un bon et l’autre mauvais qui sont à l’origine « des bons et mauvais fruits48 ». Les traités de polémique languedociens se contredisent sur ce point, présentant plusieurs versions. Les uns exposent la dualité des mondes, les autres présentent une cosmogonie référée au dualisme des principes. La première opinion, en dehors du Traité cathare anonyme, est relevée dans le Contra hereticos d’Ermengaud49.

33D’autres traités présentant la croyance en deux principes opposés, telle qu’elle est implicitement évoquée, en 1181, lors de l’abjuration de deux hérétiques, Bernard Raimond et Raimond de Baimiac, qui auraient avoué que : « Lucifer, qui s’était élevé contre le ciel, est le créateur des choses visibles et corporelles du ciel et de la terre50. »

Origine du péché

34Les anges ont été séduits par Lucifer, ange de Lumière, qui a voulu se mesurer au Père et a ainsi péché d’orgueil (cf. les prophéties d’Is 14, 13-14 et d’Ez 28, 13-14). Lucifer, le diable, serpent ancien, a été expulsé du ciel (Ap 12, 7-8) et en a extrait avec sa queue un tiers des anges entraînés avec lui dans sa chute (Ap 12,451).

35La même version de la préexistence des âmes et du péché de Lucifer, ange bon au départ, est recueillie dans le témoignage plus tardif (début du xive siècle) du registre d’Inquisition de Jacques Fournier, dans la déposition de Béatrice de Planissoles qui expose les croyances qu’elle avait entendues de Pierre Clergue de Montaillou52.

36Une autre version est attestée chez les bons hommes languedociens pour la première moitié du xiiie siècle. Dans le récit de la Manifestatio haeresis, le péché de Satan est commis quand il (Lucifer), fils du mauvais dieu, monte d’en bas au ciel et, devenant économe, séduit les anges53. Ce mythe a pu s’inspirer de celui de l’Interrogatio (Lucifer descend des cieux puis remonte au ciel en séduisant les anges), qu’il interprète d’après le raisonnement du dualisme des principes. Une autre version du même mythe, mais plus tardive, se trouve dans la déposition d’Arnaud Sicre (1321) qui rapporte le contenu de la prédication de Guillaume Bélibaste : « Satan, ennemi du Père bon, monta au ciel et attendit pendant 32 ans devant la porte du ciel avant de réussir à y entrer. Il séduit les anges en leur promettant des distractions et des richesses qui n’existaient pas au ciel. Mais c’est surtout la vue de la femme, amenée secrètement au ciel par Satan qui excite les anges à tel point que, lorsque Satan quitte le ciel en compagnie de cette femme, de nombreux anges le suivent54. »

Anthropologie

37Le diablea fait les corps ou « tuniques de peau » dans le monde où il a installé les anges, avec la permission du Père car, comme l’affirme Alain de Lille, les anges ont péché dans leur nature spirituelle et Dieu les a punis dans une nature corporelle. Il s’ensuit que la pénitence leur a été infligée à cause de leur malice et non de l’injustice divine55. Ces anges apostats sont les « brebis de la maison d’Israël »dont parle le Christ dans l’Évangile (cf. Mt 15,2456).

Christologie et sotériologie

38Ils affirment que Dieu a envoyé dans le monde son Fils, le Christ, pour annoncer son message57. Il a voulu sauver les « brebis de la maison d’Israël », c’est-à-dire les anges déchus, d’après la lecture de Mt 15,24 ; Jn 3,13 ; Ps 141,6-858.

39Ils pensent que le Christ est descendu du ciel pour accomplir la volonté du Père. Le Christ a un corps, une âme et un esprit, et n’a rien pris de la Vierge. Il n’a donc pas eu un vrai corps mais un corps simulé. Il n’a vraiment pas souffert la passion, ni la mort, il n’est pas ressuscité dans un corps de chair, d’après l’interprétation des références suivantes : Luc 9,56 ; Mt 14,24-26 ; 17,2 ; Phil. 2,7 ; Rm. 7,23 ; 8,259.

40Lors de leur abjuration à Lavaur en 1181, Bernard Raimond et Raimond de Baimiac avouèrent : « Tout ce qu’on lit du Christ est fictif : un corps créé par le diable n’a pas pu s’unir au Verbe. » Le récit que présente Henry de Marcy, est plus précis : « Ils ne croient ni que le Christ soit né vrai homme, ni qu’il ait mangé ou bu, ou été soumis à une action ou nécessité humaines, ni qu’il ait souffert, été crucifié, soit mort et ressuscité… ils disent que ce sont des apparences60. »

41Le baptême spirituel est la voie du salut que le Christ est venu apporter (Mc 16,16 ; cf. Mt 3,11). Ce baptême par l’imposition des mains permet la rémission des péchés et le retour des « brebis de la maison d’Israël », anges apostats qui tombèrent du ciel61.

Eschatologie

42Avant le Christ, personne n’est monté au ciel. C’est le Christ après sa mort et son ascension qui l’a ouvert à nouveau (cf. Jn 3,13). La question des dissidents à propos de la réouverture du ciel par le Christ est intimement liée à la croyance catholique dans le Purgatoire, lieu d’attente des âmes après la mort et avant le Jugement dernier. Pour les bons hommes, comme pour les « cathares » rhénans et certaines communautés italiennes qui ne croient pas au Jugement dernier, les âmes sont immédiatement sauvées ou damnées selon leurs mérites. La venue du Christ et sa montée au ciel a permis le retour à celui-ci des âmes sauvées et qui attendaient sa venue62.

43Le colloque de Verfeil, vers 1207, avec l’évêque d’Osma, Diègue, et Dominique de Guzman, aborde l’exégèse dissidente de Jn 3,13 : « Personne n’est monté au ciel hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme », les bons hommes interprètent la citation dans le cadre de leur eschatologie en affirmant que le Christ est descendu du ciel pour annoncer aux hommes le message du Père : leur faire connaître leur origine céleste. C’est lui qui, en remontant, a ouvert de nouveau le ciel pour ceux qui seront sauvés63.

44La croyance générale qui semble perdurer tout au long de l’histoire de la secte languedocienne est que « le monde ne finira pas jusqu’à ce que toutes les âmes, tous les esprits faits par le Père céleste au ciel, qui y péchèrent et tombèrent, ne soient réincorporés dans les corps où ils deviendraient de bons chrétiens64 ».

45Il est probable que les bons hommes languedociens, pour contrecarrer la croyance catholique dans le Purgatoire comme lieu d’attente pour les âmes qui n’ont pas été sauvées, aient proposé la croyance dans la transmigration des âmes en affirmant qu’elles passent d’un corps à l’autre, faisant pénitence jusqu’au moment où elles sont sauvées. La croyance est déjà attestée par Alain de Lille65. Dans les récits tardifs, du début du xive siècle, cette croyance dans la transmigration des âmes apparaît de manière récurrente dans les récits, et certains affirment que les âmes peuvent passer, non seulement dans des corps humains mais aussi des animaux. Les différents récits mythologiques recueillis dans les registres de l’inquisition abordant ce thème traduisent l’inquiétude, voire l’angoisse des dissidents, toujours obsédés par le salut des âmes à une époque où les bons hommes devenaient rares. Les mythes décrivent les passages successifs des âmes (jusqu’à neuf) dans différents corps, d’hommes ou de femmes, voire d’animaux, avant de tomber dans le corps d’un « bon chrétien66 ». Dans sa déposition, Sibille Peyre, raconte ce qu’elle avait entendu dire à Pierre Authié :

« Et comme nul ne peut être sauvé ou retourner au ciel s’il ne passe pas par les mains de ces bons chrétiens, et s’il n’est pas reçu par eux, les âmes et les esprits de ceux qui ne sont pas reçus par eux, quand ils sortent des corps entrent dans d’autres corps, et passent ainsi de corps en corps, jusqu’à ce qu’ils aient fait pénitence de leur péché commis au ciel. Et finalement ils viennent dans un autre corps dans lequel ils sont reçus ou faits bons chrétiens, et quand ils sortent de ce corps-là, ils retournent au ciel… L’âme d’un homme, après être sortie de son corps, entra dans le corps d’un cheval, et ce fut le cheval d’un certain seigneur… quand ce cheval fut mort, son âme entra dans un corps humain et cet homme fut un bon chrétien67. »

46Ils nient la résurrection des corps car la chair et le sang n’appartiennent pas au royaume de Dieu (cf. 1 Co 15,48-5068). Les âmes, au moment du salut, recevront les couronnes de justice qu’elles avaient laissées au ciel lors de la chute (cf. 2 Tm. 4,8, cf. 1 Tm. 2,4 ; Ps 50,1469). Pour les âmes, Dieu a prévu la terram viventium, le « ciel nouveau » et la « terre nouvelle », la Jérusalem céleste (cf. Ps 26,13 ; 141,6 ; 142,10 ; Is 66,22 ; Ap 21,1, etc.70).

47Le thème des vêtements, trônes et couronnes a pu être inspiré de l’Interrogatio et de la Vision d’Isaïe. Pour les bons hommes toutes les âmes seront sauvées, récupérant ainsi leurs places et attributs (vêtements, trônes et couronnes) au ciel. Cette croyance en la vie éternelle à laquelle sont destinées toutes les âmes vaut aux bons hommes l’accusation de croyance en la prédestination. Ce sont essentiellement les polémistes languedociens, au cours du xiiie siècle, qui l’entretiennent dans leurs traités de réfutation, la polémique italienne n’y faisant pas vraiment écho71. La « prédestination » des âmes, telle que l’entendent les bons hommes s’accorde à la logique augustinienne qui articule la question des origines du mal à l’eschatologie. La croyance à la préexistence des âmes et à leur chute provoquée par le péché d’orgueil commis par le diable, laisse envisager une issue positive : Dieu offre aux âmes (anges déchus), victimes du diable, la possibilité de revenir au royaume qu’Il a prévu pour elles, la terram viventium. Si la démarche est augustinienne en articulant origines cosmogoniques et position eschatologique, l’accent mis sur la responsabilité du diable dans les origines du mal distingue la conception des dissidents languedociens de celle des catholiques mais aussi des communautés cathares italiennes en ce qu’elle envisage le salut de tous les anges déchus, identifiés avec les « brebis de la maison d’Israël », comme en témoigne l’auteur du Traité cathare languedocien :

« Car le Christ dit : “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israel qui sont perdues” (Mt 15,24). Et aux apôtres, il dit : “Allez plutôt aux brebis de la maison d’Israël, qui sont perdues” (Mt 10, 6). Et dans Ezechiel : “J’irai chercher mes brebis et, je les délivrerai de tous les lieux où elles avaient été dispersées” (Ez 34, 12)72. »

Morale

48La Loi de Moïse fut donnée par le diable car elle est contraire à la Loi d’Amour du Nouveau Testament (cf. Ac 15, 10 ; He 7, 19 ; Ga 3, 10-1373). Pour les cathares languedociens, comme pour les cathares italiens avant le milieu du xiiie siècle, Jean-Baptiste fut un envoyé du diable74. Ils pensaient que le prophète Élie était un mauvais ange et qu’il avait parlé par la bouche de Jean-Baptiste. Dans le colloque controversé de Servian, tenu en 1206 entre les catholiques Diègue, évêque d’Osma, probablement assisté de Dominique de Guzman, et l’hérétique Théodoric, ex-chanoine de Nevers réfugié avec Baudoin auprès du seigneur de Servian, Baudoin avait dit à Diègue d’Osma : « Je sais de quel esprit tu es, tu es venu dans l’esprit d’Élie », à quoi Diègue avait répondu : « Si je suis venu dans l’esprit d’Élie, toi, tu es venu dans l’esprit de l’Antéchrist75. »

49Ils condamnent le mariage, ainsi que l’acte sexuel et l’adultère, d’après l’interprétation des références suivantes : Lc 20,34-35 ; 18,28 ; Rm 7,18 et 23 ; Ep 5,23 ; Ga 5,1776. Dans les dépositions tardives, du début du xive siècle, est aussi attestée l’opinion sur le mariage spirituel, déjà défendue par certains cathares italiens, d’après laquelle « Dieu a fait le mariage spirituel, qui est entre l’âme et l’esprit, lorsque l’âme s’unit à l’esprit, et vice-versa, pour obéir aux préceptes de Dieu, lorsqu’ils sont d’accord en cela et s’y tiennent exclusivement »77. Cette opinion fondée dans l’exégèse spirituelle des références scripturaires faisant allusion au mariage, était aussi développée dans l’apocryphe, l’Interrogatio78.

50Ils contestent la légitimité de l’Église romaine, de sa hiérarchie, qu’ils affirment être l’Église du diable. Cette critique fortement exprimée par les « bons hommes » de Lombers, est aussi l’objet d’un débat tenu à Montréal, en 1207, entre, du côté catholique, le légat Pierre de Castelnau et maître Raoul, et du côté des bons hommes, Arnaud Othon, Guillabert de Castres, Benoît de Termes et Pons Jordan. La dispute est lancée par Arnaud Oton qui refuse d’appeler l’Église romaine « la sainte Église », « l’épouse du Christ ». Elle est, dit-il, « l’Église du diable » et sa doctrine « celle des démons ». Et Arnaud précise :

« Elle (l’Église catholique) est la Babylone que Jean dans l’Apocalypse nommait la mère des fornications et des abominations, soûle du sang des saints et des martyrs de Jésus-Christ. Son ordination n’est ni sainte ni bonne ni instituée par le Christ, jamais le Christ ni les apôtres ne l’ont ordonnée ni disposée telle qu’elle est aujourd’hui79. »

51Ils nient l’efficacité des sacrements catholiques : le baptême d’eau, l’eucharistie, la confirmation, la confession, l’extrême onction80 et ils refusent de prêter serment. Le témoignage le plus ancien du refus des bons hommes de prêter serment se trouve dans les actes du procès de Lombers (1165) où les « bons hommes » utilisent, outre Mt. 5,34-35, la citation de Jc 5,1281. Lorsque Henri de Marcy, pendant la visite de la deuxième délégation cistercienne dans le Midi ; en 1178, invite à jurer Bernard Raimond et Raimond de Baimiac, hérétiques toulousains, ils s’y refusent en s’appuyant sur la référence de Mathieu 5,3482.

52Les bons hommes affirmaient que l’Église n’est pas le bâtiment de pierre mais la réunion des fidèles83.

53Ils jugent inefficaces pour les vivants les prières pour les saints, ainsi que les offrandes des vivants pour les morts84, et le culte de la croix, instrument de supplice du Christ. Ils refusent toute nourriture animale, ainsi que les produits laitiers et les œufs85.

De la dualité des mondes au dualisme des principes en Languedoc

54Les opinions recueillies dans les traités et les sources narratives, avant le milieu du xiiie siècle, permettent de penser que, de manière générale, les bons hommes languedociens partagent sur la plupart des thèmes et dans une bonne partie des références scripturaires celles des « cathares » rhénans. Les traités de polémique plus anciens (cas des traités d’Alain de Lille ou d’Ermengaud) affirment au départ que les hérétiques languedociens croyaient en deux principes opposés, réalité fausse à l’évidence puisqu’ils reviennent ensuite sur la croyance des dissidents en un seul principe.

55Les bons hommes languedociens semblent avoir connu, comme les cathares italiens, plusieurs tendances doctrinales. L’auteur du Liber contra Manicheos, composé dans les années 1220, affirme que : « Les cathares sont en désaccord entre eux, et ils se condamnent les uns les autres, comme nous-même, et une très grande partie de la population… avons pu le voir et l’entendre d’eux de façon manifeste dans les diocèses de Carcassonne, de Toulouse et d’Albi… Ils seraient divisés en trois partis, chacun jugeant et condamnant l’autre. Certains auraient obéi aux hérétiques grecs, d’autres aux bulgares, d’autres aux dragovites86. »

56La situation décrite par le polémiste catholique correspond, de toute évidence, à celle du catharisme en Italie pendant les premières décennies du xiiie siècle. Elle ne paraît pas représentative du Midi, même si des divergences à l’intérieur des communautés languedociennes ont pu exister. Elles sont probablement à l’origine de l’organisation du colloque tenu à Mirepoix (Ariège), vers 1206, qui aurait réuni près de six cents bons hommes pour, d’après l’un des témoins : « Résoudre une question que les hérétiques se posaient entre eux87. »

57Un autre témoignage illustrant les divergences existant à l’intérieur des communautés dissidentes en Languedoc est celui de la Manifestatio haeresis Albigensium et Lugdunensium, abrégé des croyances hérétiques dont l’intérêt est de mettre l’accent sur le contenu mythique de la doctrine. L’auteur, après avoir présenté un exposé du dualisme des principes, affirme qu’une nouvelle hérésie est apparue récemment parmi les hérétiques. Quelques-uns croient en effet qu’il n’y a qu’un Dieu, dont ils disent qu’il avait deux fils, le Christ et le prince de ce monde : « Ils disent que le Jugement dernier a déjà eu lieu88. » Il atteste de l’introduction d’un nouveau mythe cosmogonique après celui de la révolte de Lucifer, ange bon au départ.

58Je verrais dans cet exposé l’effet, sur le plan doctrinal, des récits cosmogoniques provenant de la littérature apocryphe, comme l’Interrogatio Iohannis, la Vision d’Isaïe, ainsi que des récits mythologiques d’origine bogomile byzantine, tels que le polémiste Euthyme Zygabène les présentait dans son traité89. Lorsque l’auteur de la Manifestatio affirme que la croyance en un Dieu unique qui avait eu deux fils représente une nouvelle croyance des dissidents, il faut probablement entendre que pour le polémiste languedocien la version cosmogonique des deux fils de Dieu, tirée de l’Interrogatio, était jusque-là ignorée du milieu dissident languedocien. Les bons hommes ont dû rester fidèles à la version cosmogonique, inspirée de la prophétie d’Isaïe, qui défendait la croyance en la dualité des mondes déjà attestée chez les « cathares » rhénans et partagée aussi par certaines communautés cathares italiens, telles que les cathares de Concorezzo du temps de Nazarius ou des anciens albanenses de la communauté de Desenzano. Ces derniers continuent de l’utiliser mais en l’adaptant à la version du dualisme des deux principes. En présentant l’opinion défendue alors par les cathares de Concorezzo comme une nouvelle croyance hérétique dans le Languedoc, l’information de la Manifestatio me paraît trahir la réalité du contexte doctrinal de la dissidence des bons hommes languedociens de l’époque.

59Un autre témoignage attestant de la déformation des croyances dissidentes par ses rapporteurs est le récit du colloque controverse tenu à Carcassonne, en 1204, lors de la visite du roi d’Aragon, suzerain du comté. Il avait renouvelé, en 1198, l’édit contre les hérétiques promulgué quelques années auparavant, en 1194, par son père, Alphonse II, qui condamnait non seulement les hérétiques mais quiconque les recevrait, les protégerait et assisterait à ses prédications. Pierre II réunit en février 1204 pour les entendre sur leur foi, les hérétiques vaudois et cathares. À propos des derniers, il dit :

« Le lendemain, à la demande du viguier du vicomte de Carcassonne, j’ai donné audience aux autres hérétiques ; j’étais assisté de treize fauteurs d’hérétiques et de treize catholiques. Là, Bernard de Simorre, évêque des hérétiques et ses compagnons furent requis de dire s’ils croyaient en un seul Dieu tout-puissant sans commencement et sans fin, créateur de toutes choses visibles et invisibles, qui avait donné tant la Loi de Moyse que celle du Nouveau Testament. Après mainte dérobade et beaucoup de circonlocutions, ils avouèrent publiquement, d’une bouche sacrilège, qu’il y avait trois Dieux et davantage, affirmant que toutes choses visibles avaient été créées par le dieu mauvais, ajoutant pour comble de blasphème et pour leur damnation que le dieu qui avait donné la Loi de Moyse était le mauvais. Ils avouèrent… que Jésus-Christ avait eu un père homme aussi bien qu’une mère femme ; ils nièrent totalement les sacrements du baptême et de l’autel et la résurrection générale des corps ; ils ont professé ouvertement que la bienheureuse Vierge Marie n’avait pas été engendrée par des parents charnels… Le lendemain je les ai déclarés hérétiques par jugement, en présence de l’évêque de cette ville et de beaucoup d’autres90. »

60Plutôt que d’envisager dans le Midi la présence de nouveaux adeptes de la dualité des mondes, face à la croyance, supposée dominante jusqu’alors, en deux principes91, il faudrait y voir l’écho en Languedoc de la réflexion menée autour des origines du mal dans le milieu cathare italien. L’interprétation que certaines communautés italiennes font de l’Interrogatio, pour renforcer leur croyance en un seul principe, a pu pénétrer dans le Languedoc dissident parallèlement à la lecture réalisée par l’autre courant italien92. Ce dernier, représenté par les cathares de Desenzano, répond au problème des origines du mal en formulent la croyance en l’existence de deux dieux ou créateurs à l’origine de tout93.

61La déformation des croyances dissidentes par les polémistes, et principalement l’attribution de la croyance en deux principes opposés, remonte, comme nous l’avons étudié dans un autre chapitre, au premier texte de polémique contre les cathares, les Sermons d’Eckbert de Schönau. Elle fait partie des techniques de réfutation dont l’objet était de nuire à l’image des hérétiques en les présentant comme des manichéens, des étrangers à la doctrine du Christ… comme s’y emploie le Dialogue des Miracles de Césaire de Heisterbach sur les croyances des « albigeois », terme qui dénomme les bons hommes du Midi dès le dernier tiers du xiie siècle dans les rapports des chroniqueurs cisterciens94. Césaire d’Heisterbach (v. 1180-v. 1240), cistercien allemand, rédige son Dialogue des Miracles aux temps de la Croisade Albigeoise, vers 1219 et 1223. Il s’agit d’un recueil des récits exemplaires (exempla) destinés aux nouveaux convertis et utilisés dans la prédication surtout par les nouveaux ordres mendiants. Le cistercien allemand qui commente la Croisade Albigeoise, présente les croyances des hérétiques à partir de l’information partielle et abrégée des chroniqueurs cisterciens comme Pierre des Vaux-de-Cernay. L’hérésie est présentée comme le résultat de l’instigation du diable, image fort développée dans le milieu monastique. Pour Césaire, les origines doctrinales de l’hérésie des albigeois se trouvent chez les manichéens anciens. Il perpétue une tradition qui, depuis saint Jérôme, attribue à Origène des opinions manichéennes telles que la transmigration des âmes et la négation de la résurrection corporelle. Il accuse les albigeois de croire en l’existence de deux principes, de deux dieux, l’un bon et l’autre mauvais. Ils condamnent l’Ancien Testament et s’opposent aux dogmes de l’Église tels que la résurrection de la chair, les pratiques de médiation comme les prières pour les morts, les saints, etc. et la condamnation des sacrements romains de l’eucharistie et le baptême95.

La dualité des mondes et l’exégèse du Nihil des bons hommes

62La croyance des bons hommes languedociens en la dualité des mondes me paraît majoritaire et originelle, attestée par l’exégèse du Prologue de Jean 1,3, et principalement par la lecture qu’ils font du Nihil96. Elle s’inscrit dans la conception augustinienne du mal, d’après laquelle le mal n’est pas un Étant mais un Néant (nihil), il n’est donc pas un existant mais une diminution du Bien. Cette conception du Nihil est développée dans le « Traité cathare » languedocien :

« Mais que ce qui est dans le monde, c’est-à-dire du monde, puisse être appelé néant (nihil), l’Apôtre l’explique bien, lorsqu’il dit : “Nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde” (I Co 8,4). “Et quand j’aurais, dit-il encore, le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères, quand j’aurais encore toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien” (I Co 13,2). D’où il est évident que si l’Apôtre sans la charité est néant, tout ce qui est sans charité est néant (nihil)… Si donc tous les mauvais esprits, les hommes méchants et toutes les choses qui tombent en ce monde sous le sens de la vue sont néant, parce qu’ils sont sans charité, c’est qu’ils ont été faits sans Dieu. Dieu ne les a point faits, parce que le nihil “a été fait sans Lui” (Jn 1,3) ; et l’Apôtre en porte témoignage : “Si je n’ai point la Charité, je ne suis rien” (je suis le “rien”) (1 Co 13,2)97. »

63La même conception augustinienne du nihil comme néant, qui d’après les hérétiques n’aurait pas été « fait » par Dieu, sous entendant qu’il a été fait (et non créé), par le diable, est avouée par l’hérétique Pierre Garcias du Bourguet-Nau de Toulouse, à Guillaume Garcias, frère mineur du couvent de Toulouse. D’après la déposition d’un autre frère mineur toulousain, Guillaume Cogot, le 22 août 1247, devant les inquisiteurs Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre, Pierre Garcias affirmait au sujet de la référence de Jean 1,3, comme suit :

« Quand Guillaume Garcias demande à Pierre Garcias l’interprétation de l’autorité de Jean (1,3) “sans Lui le néant a été fait”, il lui répond que par néant (nihil) on doit comprendre les choses visibles qui sont rien (nihil)98. »

64Les polémistes me paraissent donc détourner la croyance des bons hommes en la dualité des mondes, la présentant comme un dualisme des principes lorsqu’ils traduisent le verbe « faire » (Sans Lui le rien a été fait) par « créer », supposant ainsi que c’est le diable qui a créé, au lieu de faire, le monde visible, le néant. La nuance est de taille car elle présente le diable comme un dieu créateur et non comme une créature divine qui a fait ce monde-ci à partir de la matière créée par Dieu99. C’est le cas d’Alain de Lille et d’Ermengaud lorsqu’ils présentent des hérétiques une doctrine des principes opposés tout en exposant ensuite la cosmogonie des dissidents qui faisait référence au mythe de Lucifer, ange bon, ayant commis le péché d’orgueil et se faisant expulser du ciel par le Père100.

Variations autour du mythe cosmogonique : de la déformation des croyances dissidentes par les polémistes au syncrétisme des derniers bons hommes (xiiie-début du xive siècle)

65Revenons encore, pour finir, sur les récits cosmogoniques.

66Dans le Liber Antiheresis se succèdent deux récits appartenant sans doute à deux périodes distinctes. Dans le Liber II, le plus ancien des traités du même nom (Liber Antiheresis), dans le chapitre deux, Quod nullus eorum salvabitur qui de celis sua superbia ceciderunt, il est dit ceci : « Inspirés de l’opinion origénienne, ils disent que les âmes ont péché au début du monde et qu’elles sont tombées du ciel et se sont incorporées à terre dans les corps, avouant que la chute est la cause de l’élaboration de ce monde101. »

67Dans le manuscrit plus tardif du Liber Antiheresis, celui qui présente la version compilant le Liber I et Liber II, le récit diffère : « Le dieu de ce monde et prince des ténèbres… est entré dans la Cour du Père céleste pour tromper les anges et ils croient qu’il en fit forniquer quelques-uns. Et pour cette raison ils disent que le Père céleste s’éleva contre lui et le chassa de la patrie céleste avec les anges qu’il avait séduits ; et dans cette confusion tombèrent certains qui n’avaient pas péché et qui seront sauvés102. »

68Dans le premier récit, la version des origines du mal correspond toujours à celle des « cathares » rhénans et languedociens, telle qu’elle est avouée par Bernard Raimond et Raimond de Baimiac dans l’abjuration de 1181103. Il s’agit de la révolte de Lucifer qui, par orgueil, est chassé par le Père céleste avec les anges séduits, les anges étant introduits dans les corps de chair. La même version est encore enseignée au début du xive siècle, comme la prédication de Pierre Clergue, le prêtre hérétique de Montaillou, la dévoile à Béatrice de Planisolles qui la rapporte :

« Il (Pierre Clergue) me dit que Dieu avait fait tous les esprits au ciel. Ces esprits péchèrent du péché d’orgueil, voulant s’égaler à Dieu, et en raison de ce péché ils tombèrent du ciel dans l’air et sur la terre. Ils habitent et pénètrent dans les corps104… »

69Le deuxième récit du Liber Antiheresis présente un caractère syncrétiste très marqué. Il mélange plusieurs versions des origines du péché dans le ciel. D’une part, celle utilisée par ceux qui croyaient en deux principes et qui affirmait que ce fut le diable, dieu de ce monde et principe du mal, qui monta au ciel pour séduire les anges. La séduction des anges aurait consisté à leur faire commettre l’acte de chair. D’autre part, la suite du récit de la chute des anges paraît s’inspirer de celui des bagnolenses, les cathares de la communauté de Mantoue, qui croyaient en un seul principe et affirmaient que le diable dans sa chute avait fait tomber les anges apostats mais aussi certains qui n’avaient pas péché. Dans cette dernière version du mythe, les anges déchus se mélangent avec ceux qui étaient tombés sans avoir péché. Ce sont ces derniers qui seront sauvés, comme le croyaient les cathares de Mantoue. Nous aurions affaire à une « version languedocienne » du mythe cosmogonique, inspirée à la fois de la version des bagnolenses et de celle des « anciens albanenses » de Desenzano105.

70On peut constater dans les récits cosmogoniques des dissidents languedociens du milieu du xiiie siècle, une sorte de syncrétisme de croyances qui se manifeste dans le mélange de divers mythes, résultat de l’impact et de l’influence exercés par les différentes opinions des cathares italiens106. Timidement corroborée par les témoignages des premières décennies du xiiie siècle, il faut attendre le début du xive siècle pour voir confirmer cette influence dans la prédication des derniers bons hommes. L’exemple des frères Authié est représentatif du dernier temps de la dissidence dans le Languedoc marqué par la diffusion des croyances dans le dualisme des principes :

« À l’origine, le Père céleste avait fait tous les esprits et toutes les âmes au ciel, et ces esprits et ces âmes étaient avec lui. Puis le diable alla à la porte du paradis, voulant y entrer, et il ne put le faire, mais resta à la porte mille ans ; puis il entra au paradis par fraude, et quand il y fut, il persuada les esprits et les âmes faits par le Père céleste que leur condition n’était pas bonne, parce qu’ils étaient soumis, mais que s’ils voulaient le suivre et aller dans son monde, il leur donnerait des possessions, c’est-à-dire des terres, des vignes, de l’or et de l’argent, des épouses et tous les autres biens de ce monde visible. Trompés par cette persuasion, les esprits et les âmes qui étaient au ciel suivirent le diable, et tous ceux qui le suivirent tombèrent du ciel107. »

71Le récit cosmogonique enseigné par Pierre Authié et son fils Jacques dans l’Ariège au cours des premières années du xive siècle, rend compte de leur séjour de plusieurs années en Lombardie où ils se firent ordonner après avoir suivi un enseignement108 :

« Le parfait Jacques Authié lisait dans un livre, et Pierre Authié, son père, le parfait, expliquait en langue vulgaire, disant : “Mais ces esprits, après être descendus du ciel sur la terre, se rappelèrent le bien qu’ils avaient perdu, et s’affligèrent du mal qu’ils avaient trouvé. Le diable, les voyant tristes, leur dit de chanter, comme ils avaient l’habitude de le faire, le cantique du Seigneur. Ils répondirent : ‘Comment chanterons-nous le cantique du Seigneur sur une terre étrangère ?’ (Ps 136,4). L’un de ces esprits dit même au diable : ‘Pourquoi nous as-tu trompés pour que nous te suivions et quittions le ciel ? Tu n’y as rien gagné, car nous y retournerons tous’. Le diable lui répondit qu’ils ne retourneraient pas au ciel, car il ferait à ces esprits, à ces âmes, des tuniques telles qu’ils n’en pourraient sortir, dans lesquelles ils oublieraient les biens et les joies qu’ils avaient eus au ciel109.” »

72Le syncrétisme d’opinions dissidentes peut, certes, traduire le désarroi des communautés sur le plan de leur organisation et de la diffusion de leurs doctrines après la Croisade Albigeoise, et surtout à partir de la mise en place de la répression inquisitoriale110. Le poids de ces terribles pressions externes ajouté à des raisons internes peuvent expliquer la situation. Le milieu dissident languedocien n’est pas, du point de vue de la réflexion théologique, aussi riche et mouvant que le fut celui des cathares rhénans ou italiens. Des écoles d’enseignement n’y sont pas attestées comme en Rhénanie au xiie siècle (à Cologne et à Bonn, du temps d’Eckbert de Schönau) ou en Italie au xiiie siècle111. Le mélange des croyances dans le Languedoc résulterait plutôt de l’adaptation sur place des opinions divergentes en milieu italien.

73La dissidence des derniers temps en Languedoc table sur une forte composante mythique pour édifier les croyances concernant les origines du mal enseignées à un public peu instruit. L’effort des derniers bons hommes pour dynamiser une religiosité toujours fortement marquée par une vision eschatologique du monde a pu être distancé par les nouvelles tendances spirituelles régissant la Chrétienté du xiiie siècle. Le naturalisme dominant depuis un siècle rendait positive une vision de la nature, de la création du monde, que la spiritualité des nouveaux ordres mendiants contribuait à diffuser. Elle accordait dans ce monde une place à l’humanité, elle favorisait un certain individualisme et la conscience de « la mort de soi112 ». Face à ce renouvellement de la spiritualité, la dissidence prêchée par Pierre Authié à partir de la haute vallée de l’Ariège apparaît comme une expression résiduelle, minoritaire. Il parvient à faire encore des adeptes, les enjeux de position peuvent encore y trouver avantage113. Il satisfait des esprits, non seulement par les mythes cosmogoniques rejetant sur le diable la responsabilité du mal, mais aussi par la radicalisation de l’anticléricalisme romain dans une société meurtrie. La radicalisation de la critique contre l’Église romaine qu’expriment les derniers bons hommes, la présentant comme l’institution réprimante et persécutrice, Église du diable face à l’Église des « bons hommes », a fait ses derniers adeptes, notamment dans la petite noblesse comme celle du Sabartès114.

Conclusion

74On peut donc parler aussi d’un « catharisme languedocien » dont la configuration de l’ensemble des croyances lui confère une identité propre. À partir du milieu du xiiie siècle, des indices indiquent l’introduction des croyances de l’école de Desenzano. Jusqu’aux témoignages les plus tardifs, la croyance dominante affirme l’existence de deux mondes et de deux créations distinctes. Mais si le dualisme des principes est prêché par les Authié, derniers bons hommes du Sabartès, il est loin d’être exclusif et représentatif du corpus doctrinal languedocien comme avait pu le faire croire l’information de Rainier Sacconi, d’après laquelle la spécificité de la doctrine des languedociens était celle du dualisme des principes défendu en Italie par les cathares de Desenzano.

75Par ailleurs, il est difficile de parler de processus de rationalisation doctrinale dans le Languedoc des bons hommes, si on compare ce milieu dissident à dominance rural, avec la richesse du champ doctrinal italien. En fait, le milieu languedocien apparaît plus comme un héritier que comme un acteur de ce processus de rationalisation pratiquant davantage ce qu’on pourrait qualifier de “bricolage” des doctrines.

Notes de bas de page

1 CONCILIUM LUMBARIENSE, op. cit., chap. 8, p. 268 sq.

2 Bernard de Fontcaude, Adversus waldensium sectam, éd. PL 204, col. 794-840.

3 Une étude de l’auteur et de son traité par Ch. Thouzellier, Cathares et vaudois en Languedoc, p. 49-59.

4 M. Zerner, « Question sur la naissance de l’affaire albigeoise », p.427-444.

5 A. de Lille, De Fide catholica contra hereticos.

6 Ch. Thouzellier, Cathares et vaudois en Languedoc, p. 269 sq.

7 Ermengaud, Opusculum contra haereticos, me paraît être un des traités les plus anciens par les croyances, par l’organisation et la pratique liturgique des cathares concernés. La réfutation se fonde, comme le recueil d’autorités des actes de Lombers, uniquement sur les autorités du Nouveau Testament. Étude du traité par M. Zerner, « Au temps de l’appel aux armes contre les hérétiques », Inventer l’hérésie ? p. 141 sq.

8 A. Cazenave, « Langage catholique et discours cathare », p. 137-152.

9 Ch. Thouzellier, » Le Liber Antiheresis de Durand de Huesca et le Contra hereticos d’Ermengaud de Béziers », p. 130-141.

10 Id., « Controverses vaudoises-cathares à la fin du xiie siècle », p. 137-227.

11 Il s’agit du « traité » cathare anonyme, Ch. Thouzellier (éd.), Un traité cathare inédit.

12 L’auteur du Liber contra Manicheos se sert aussi du prologue du Liber Antiheresis, Liber II : Hee sunt vulpecule, que demoliuntur vineas. K. V. Selge (éd.), vol. 2, p. 110, à comparer avec Liber contra Manicheos, Ch. Thouzellier (éd.), op. cit., p. 74.

13 Liber contra Manicheos, Ch. Thouzellier (éd.) ; P. Jimenez, « Le “traité cathare anonyme” : un recueil d’autorités à l’usage des prédicateurs cathares », p. 74 sq.

14 Les copies plus tardives du Liber Antiheresis, Liber I, et du Contra haereticos d’Ermengaud se voient augmentées de deux chapitres par rapport aux copies plus anciennes, id, op. cit., p. 76-78.

15 Helinand de Froidmont, Sermo in Rogationibus. B. M. Kienzle (éd.), p. 307-313 ; id., « Mary speaks against heresy : sermon of Hélinand for the Purification », p. 291-308. Étude d’ensemble de la production du moine cistercien contre l’hérésie, id., « Hélinand de Froidmont et la prédication cistercienne dans le Midi (1145-1229) », La Prédication en Pays d’Oc, p. 37-67.

16 Originaire de Reims, il réside de longues années à Rome, où les hérétiques étaient souvent nommés « patarins ». Biographie de M. Sandor, « Jacques de Vitry-Biography », p. 53-59.

17 C. Muessig, « Les Sermons de Jacques de Vitry sur les cathares », p. 69-83.

18 Summa auctoritatum, B. M. Albi, ms. 47, R. Manselli (éd.).

19 Summa contra haereticos, B. M. Toulouse, ms. 379, fos 76 v°-82 v°, et du B. N., ms. lat. 174, f° 181 v°, et B. N. ms. lat. 13152, fos 1-2, C. Douais (éd.), La somme des autorités à l’usage des prédicateurs méridionaux au xiiie siècle, p. 34-113. Des citations argumentées ont été extraites de traités antérieurs et intégrées dans des chapitres de ce recueil, ce qui montre le « recyclage » que les polémistes font subir aux textes destinés au combat de l’hérésie. Une copie du premier recueil d’autorités se trouve aussi dans Doat, vol. 36, f° 129 v°. Étude de ces textes dans le mémoire de maîtrise de R. Fabre, Histoire d’un outil de persuasion.

20 Manifestatio haeresis albigensium, A. Dondaine (éd.).

21 Hugues Francigene, Tractatus de conversione ; epistolae, Kienzle (éd.), « The works of Hugo Francigena » ; id., « Cistercians and heresy », p. 159-166.

22 B. M. Kienzle, « The works of Hugo Francigena… », p. 304.

23 Ibid., p. 305, pour la réponse de Gaucelm.

24 Traité cathare anonyme, Ch. Thouzellier (éd.), p. 94 : « In ille (inquiunt) seculo credimus esse celum novum et terram novam… Illic est sol et luna, de quibus Isayas ait : “Non occidet ultra sol tuus et luna tua non minuetur.” »

25 Traité cathare anonyme, Ch. Thouzellier (éd.), p. 107, faisant référence à Ez 36,24 ; 32,22-24 ; 26-27 ; 30-32.

26 B. M. Kienzle, « The works of Hugo Francigena… », p. 304.

27 Contram secundum Iuliani responsionem, VI, XXX, éd. PL 45, col. 1581. Gaucelm s’appuie aussi sur Jêrome selon qui Hénoch et Élie étaient accueillis au Paradis d’où Adam et Ève avaient été chassés, J. Delumeau, Une histoire du paradis. Le jardin des délices, p. 47.

28 La question du Paradis a été très débattue au xiie siècle : Honorius d’Autun, De Imagine Mundi I, éd. PL 172, 123, 141 ; Pierre Lombard, Livre des sentences, II, éd. PL 192, col. 656, 680, cf. B. M. Kienzle, « Cistercians and heresy… », p. 166.

29 Supra, chap. 4, Sermons d’Eckbert de Schönau. p. 151.

30 Traité cathare anonyme, Ch. Thouzellier (éd.), p. 105-111.

31 Supra, chap. 4, p. 155. Infra, p. 302 sq.

32 Supra, chap. 7, p. 234 sq.

33 Traité cathare anonyme, op. cit., supra n. 11, p. 289.

34 Alain de Lille, De Fide catholica, col. 326 : « caput XXV : Quibus auctoritatibus et rationibus probent haeretici, quod caro illa quae redigitur in cinerem, non resurget… Item Christus in Evangelio : “In resurrectione neque nubent neque nubentur, sed erunt sicut angeli in coelo (Mt 22, 30). Et ita non erunt corporales, sed spirituales.” »

35 Supra, chap. 8, p. 268 sq.

36 C.L., col. 159-160.

37 Supra, chap. 8, p. 271.

38 Infra, p. 298 sq.

39 Chapitre premier de la Somme d’Autorités insérée dans le procès-verbal.

40 Le lieu d’insertion de la Somme d’Autorités est identique dans deux versions du manuscrit de Sirmond et de Roger de Hoveden. À la différence de la première, celle de Roger présente à la fin de la somme, dans un septième chapitre, la question sur la pénitence débattue dans la version de Sirmond.

41 C.L., col. 159 : « In primo capitulo, si recipiebant legem Moysi ac prophetas, seu psalmos, et vetus testamentum, et doctores novi testementi… Secundo interrogavit eos de fide sua… Tertio interrogavit eos de baptismate parvulorum, et si salvabuntur per baptismum… Quarto interrogavit eos de corpore et sanguine Domini… Quinto interrogavit eos quid sentiebant de matrimonio… Sexto interrogavit eos de poenitentia, an in fine fierat ad salutem. »

42 L’expression « argumentation défensive » est de D. Iogna-Prat, « L’argumentation défensive : de la polémique grégorienne au “Contra Petrobrusianos” de Pierre le Vénérable », Inventer l’hérésie ?

43 Supra, chap. 4, p. 129.

44 Pour les éditions de ces textes de la polémique languedocienne, voir la liste bibliographique.

45 Sur la compilation de ces extraits, je renvoie à mon étude, « Le “traité cathare anonyme” », p. 74 sq. et à l’édition du traité par Ch. Thouzellier, Traité cathare anonyme.

46 Traité cathare, op. cit., p. 88 et 104.

47 Geoffroy d’Auxerre, Epistola Gaufredi, col. 411. Supra, chap. 8, p 272 sq.

48 Supra, chap. 7, p. 256.

49 Traité cathare, p. 87 ; Ermengaud, col. 1235 : « Haeretici dicunt et credunt mundum istum, et omnia quae in eo videntur, videlicet, coelum, quod videmus, et solem, et lunam et stellas, et terram, et omnia animalia, et homines, et ea quae in ea videntur, mare et pisces, et omnia quae in eo videntur vel sunt, dicunt in absconditis suis, ab omnipotenti Deo non esse facta, sed, a principe malignorum spirituum. »

50 Supra, chap. 8, p. 277 sq. Liber Antiheresis, Liber II, Selge (éd.), op. cit., p. 124 : « Cum autem quidam mente capti luciferum, que de celo dominus precipitavit, esse deum et dominum sine inicio confitentur » ; Alain de Lille, col. 308 : « Aiunt heretici temporis nostri quod duo sunt principia rerum, et principium lucis, et principium tenebrarum. Principium lucis dicunt esse Deum, a quo sunt spiritualia, videlicet animae et angeli ; principium tenebrarum, Luciferum, a quo sunt temporalia. Hoc autem nituntur probare auctoritatibus et rationibus ; auctoritatibus sic : “Arbor bona non potest facere fructum malum, nec arbor mala fructum bonum” (Mt 7,18) ; col. 312 : « Fortasse dicent haeretici, quod hoc nomine, nihil, designatur res corporalis quae corrumpitur, et ad nihilum tendit » ; Manifestatio haeresis albigensium et Lugdunensium, p. 268 : « Universitas hereticorum qui sunt in partibus nostris, in Narbonensi videlicet, Biterensi, Carcasonensi, tolosensi, Albigensi, Rutenensi, Caturcensi, Agenensi Petragoricensi episcopatibus, credit et audet impudenter dicere duos esse deos, deum scilicet bonum et deum alienum, auctoritate Ieremie “Sicut dereliquistis me, ait et servistis deo alieno in terra vestra sic servietis alienis in terra non vestra” (cf. Jr 5,19). Presentem mundum et omnia que in eo videntur, dicunt esse creata et facta a maligno deo, quia ostendunt rationibus quibus possunt ea esse mala. Dicunt de mundo quia “Totus in maligno positus est” (cf. 1 Jn 5,19). Dicunt quia “Arbor bona non potest fructus malos, neque mala fructus bonos (facere)” (cf. Mt 7,18). A bono dicunt omnia bona et a malo omnia mala. » Ch. Thouzellier, « L’emploi de la Bible par les cathares (xiiie siècle) », p. 141-156, interprète la profession de foi cathare contenue dans le « Traité cathare » anonyme, ainsi que l’exégèse que l’auteur cathare fait du Nihil (Jn 1,3) comme étant les fondements de la croyance en deux principes.

51 Henri de Marcy, Epistolae, J. Duvernoy (trad.), L’Histoire, p. 228 : « Le grand Satan Lucifer, qui est tombé pour son arrogance et sa malice, du trône des bons anges, ils (les hérétiques) professent qu’il était le créateur de toutes choses visibles et invisibles, créateur, prince et dieu des esprits malins » ; Alain de Lille, col. 316 : « Opinio quorumdam haereticorum, qui dicunt quod non sunt in corporibus humanis aliae animae, nisi angeli apostatae, qui de coelo ceciderunt… negant singulis diebus animas creari, et corporibus infundi ; asserentes solos angelos apostatas qui de coelo ceciderunt corporibus humanis infundi Dei permissione, ut ibi valeant poenitentiam agere. »

52 Le Registre…, J. Duvernoy (éd.), t. I, p. 227-230, ici p. 228 : « Item dictus sacerdos (Pierre Clergue) dixit ei (Béatrice de Planissoles) quod Deus fecerat omnes spiritus in celo, qui spiritus peccaverunt peccato superbie, volentes se equare Deo, et propter dictum peccatum ceciderunt de celo in aere et in terra… »

53 Manifestatio haeresis, p. 269 : « Post multum vero temporis iratus malignus de sua preda misit quemdam filium suum, quem nominant Melchisedec, Seyr, Luciferum, cum magno et ornato comitatu virorum patrem suum de ipso. Quem videns bonus deus pulchritudine et prudentia circumspectum, statuit eum principem et sacerdotem ac villicum super populum suum… Quem populum in abscentia domini fascinavit non credere veritati, promittens eis quam plurima se daturum in ira sua meliora et delectabiliora quam ea que in terra propria possidebant. »

54 Jacques Fournier, Le Registre, t. II, p. 33-34 ; trad., t. 3, p. 761-764.

55 Alain de Lille, col. 317-319 : « Dicunt etiam praedicti haeretici, quia angeli peccaverunt in spirituali natura, voluit eos Deus punire in corporali substantia, et ibi poenitentiam agere. »

56 Jacques Fournier, J. Duvernoy (éd.), t. II, p. 34-35, déposition d’Arnaud Sicre (1321) : « Spiritus autem predicti qui de celo ceciderant, videntes se esse deceptos per inimicum Patris sancti, recordantes se de gloriam quam habebant cum Patre sancto quam perdiderant, cotidie supplicabant Patri sancto quod eis indulgeret… » ; et t. II, p. 407-408, 441. Les bons hommes connaissaient aussi la version selon laquelle Dieu aurait insufflé l’âme au corps fait par le diable (supra, chap. 7, p. 217 sq. : récit d’Euthyme Zygabène) : col. Doat, vol. 25, f° 44 v° : « Item interrogata si unquam dixit alicui personae quod Lucifer fecerat hominem, et Deus dixit ei, quod faceret eum loqui, et ipse dixit, quod non poterat, et tunc Deus inspiravit in os hominis, et locutus est homo, dixit quod non » ; Doat, vol. 25, f° 59 : « Diabolus fecit corpus hominis, et deus posuit in eo animam… » cf. Bozóky, Le Livre secret des cathares, p. 134, n. 148.

57 Doat, t. 22, f° 26 v°, confession de Guillaume Fabre (1234) : « Deus tanquam filium suum misit Christum in mundum praedicare nomen Dei » ; Jacques Fournier, déposition de Pierre Maury (1323), vol. III, p. 224 : « Filius Dei descendit de celo et venit in mundum, ut hostenderet viam Dei patris, et verba eius in mundo predicaret », cf. E. Bozóky, op. cit., p. 145.

58 A. de Lille, col. 316 : « Non sum missus nisi ad oves quae perierunt domus Israël (Mt 15,24). Domum Israël vocant conventum angelorum, qui in celo creati sunt, ad hoc ut viderent Deum, sed per peccatum lapsi sunt. Alia etiam auctoritate dicunt, quod “Nemo ascendit in coelum, nisi qui de coelo descendit, Filius hominis qui est in coelo” (Jean 3,13) » ; Manifestatio haeresis Albignesium, p. 269 : « Hee (les anges déchus) sunt “oves, ut dicunt, que perierunt domus Israël”, ad quas Christus fuit missus, sicut ipse dicit in evangelio “Venit Filius hominis querere et salvum facere quod perierat” (Luc 19, 10). »

59 Liber Antiheresis, Liber II, p. 197 : « Adhuc obiciunt, quod Paulus ait “Caro et sanguis regnum dei possidere non possunt” » ; Liber Antiheresis, Liber I, p. 21-32 ; Ermengaud, col. 1213 : « Christum non ex femina natum ; nec habuisse veram carnem, nec vere mortuum ; nec quidquam passum, sed simulasse passionem. Nec credunt cum manducasse, nec bibisse ; et quasi phantasticum corpus habuisse ; nec eum resurrexisse » ; Alain de Lille, col. 322 : « Dicunt etiam quidam haeretici, nec vere ipsum natum de Virgine, nec conceptum » ; Jacques Fournier, t. I, p. 230, confession de Béatrice de Planissoles (1320) ; t. 2, p. 409 sur l’enseignement de Pierre Authié niant la nature humaine du Christ.

60 G. d’Auxerre, op. cit., p. 211, J. Duvernoy (trad.), L’Histoire des Cathares, p. 227.

61 Ermengaud, col. 1262 : « De impositione manuum. Post tractatum poenietentiae, sequitur de manuum impositione ; quod ‘consolamentum’vocant » ; Alain de Lille, col. 351 : « Opinio haereticorum qui dicunt quod baptismus non prodest sine manus impositione… Dicunt etiam idem haeretici quod omne peccatum, quantumcunque fuerit, per manus impositionem remittitur, praesertim si unus ex ipsis haereticis quos perfectos vocant, manuus imposuerit. »

62 À propos des « cathares » rhénans, supra, chap. 5. Pour les cathares italiens, supra, chap. 7.

63 Le rapport de Guillaume de Puylaurens n’est pas digne de confiance et il se peut que les bons hommes aient préféré cacher leur véritable opinion : Guillaume de Puylaurens, Chronique, p. 52-54 : « Interrogabat enim episcopus Oxomensis quomodo intelligerent istud verbum (cf. Jn 3,13). Quorum unus respondit quod Ihesus qui loquebatur, se hominis qui est in celo filium appellaret. “Est ergo, inquid episcopus, sensus vester quod pater eius qui est in celo sit homo cuius filius se appellat ?” Quibus inquientibus se sentire sic esse. »

64 Le Registre…, J. Duvernoy (éd.), t. 3, p. 220.

65 Alain de Lille, col. 316 : « Dicunt quod unus spiritus potest successive octo corporibus infundi, ut si poenitentiam non egit in uno, agat in alio. Praetera dicunt, quod nullus alius est spiritus hominis, nisi angelus apostata, et quod in coelo non sunt spiritus, quia omnes spiritus qui in coelo erant, cum Lucifero ceciderunt. » Cette opinion est aussi constatée dans les dépositions du Ms 609 f° 125 r° ; Doat, XXV, f° 43 r°.

66 Jacques Fournier, t. 1, p. 191, 193-194, 204, 220, 228, 283, 473 ; t. 2, p. 35, 408, 482 ; t. 3, p. 131, 138, 220, 221.

67 Attestée dans la déposition de Sibille Peyre qui témoigne de la croyance dans la prédication de Pierre et Jacques Authié, Jacques Fournier, t. 2, p. 406-411, trad. t. II, p. 570.

68 Traité cathare anonyme, p. 93.

69 Traité cathare anonyme, p. 111-113 : Reposita est, inquit, michi corona iusticie, quam reddet michi Dominus in illa aie iustus iudex. Non solum autem michi, sed et hiis qui diligunt adventum eius (cf. II Tim 4,8). Et illud Psalmiste : Redde michi leticiam salutaris tui (Ps 50,14). Et illud Iheremie : Cecidit corona capitis nostri. Veh nobis, quia peccavimus, et hiis similia.

70 L’ensemble des références dans : Traité cathare anonyme, p. 105-111.

71 Le dernier chapitre du Liber contra Manicheos, p. 319-336 est dédié à la réfutation de l’opinion dissidente d’après laquelle tous les hommes seront sauvés (De predestinatione). Ce chapitre reprend les arguments du chapitre du Liber Antiheresis, Liber I, p. 89-93 consacré au même sujet, les croyances concernant l’eschatologie des cathares italiens, supra, chap. 8.

72 Traité cathare anonyme, R. Nelli (éd.), p. 202.

73 Henri de Marcy, op. cit., J. Duvernoy (trad.), L’Histoire des Cathares, p. 228 : « Ils assurent que c’est lui (Satan) qui a donné la Loi à Moyse » ; Guillaume de Puylaurens, Chronique, J. Duvernoy (éd.), p. 40-43 : « Quo spondente se, ut poposcerat, responsurum, interrogat episcopus (Guillelmus, 1185-1227, évêque d’Albi) an crederet Abel, quem Caym frater occidit, Noe ereptum diluvio, Abraham, Moysen, David et ceteros prophetas ante adventum Domini esse salvos, heresiarca nullum esse salvum libere respondente » ; Liber Antiheresis, Liber II, p. 161-193 : « […] ut deum habraam et deum isaac et deum iacob blasphemantes deum dicerent tenebrarum et moisen maleficum omnesque prophetas dei a deo tenebrarum missos assererent » ; Ermengaud, col. 1237 : « Dicunt haeretici “Legem Moysi quam Veterem dicimus, ab omnipotenti Deo non esse datam” ; sed a principe malignorum spirituum » ; Alain de Lille, col. 337 : « […] asserunt a prinicpe tenebrarum, id est a deo maligno ligem Mosaicam esse datam » ; Jacques Fournier, déposition de Jean Maury de Montaillou (1323), t. II, p. 498 : « Dyabolus in forma vituli dedit legem Iudeis et propter hoc Iudei credebant dyabolo » ; déposition d’Arnaud Sicre (1321), t. II, p. 53.

74 Liber Antiheresis, Liber I, p. 17-21 ; Ermengaud, col. 1242 : « Item Joannem Baptistam no a bono angelo, sed a daemoniaco nuntiatum fuisse. Nec bonum eum esse credunt » ; Liber contra Manicheos, p. 239 : « […] angelum Domini, beatum Iohannem baptistam, asserunt fore dampnatum ».

75 Pierre des Vaux-de-Cernay, Historia, t. I, p. 26.

76 Liber Antiheresis, Liber I, p. 63-69 ; Ermengaud, col. 1339 : « Haeretici secundum Tatianum haereticum, qui matrimonium damnabat omne, matrimonium maris et feminae ad invicem commiscentes, nullo modo posse salvari dicunt et credunt » ; Alain de Lille, col. 365-366 ; Liber contra Manicheos, p. 239 : « Dampnant etiam coniugium tanquam adulterium aut fornicationem » ; Manifestatio haeresis, p. 268 : « Matrimonio carnali detrahunt » ; Traité cathare anonyme, p.90 : « Filius etiam Dei de duobus seculis locutus est dicens : “Filii huius seculi nubunt et traduntur ad nupcias ; illi vero, qui digni habebuntur seculo illo et resurrectione ex mortuis, neque nubent, neque ducent uxores” » (cf. Lc 20,34-35).

77 Doat 34, f° 100 r°.

78 Supra, chap. 7.

79 Guillaume de Puylaurens, Chronique, p. 56-59. La question de savoir à quand remontait l’invalidité romaine est posée aux « cathares » allemands par Eckbert de Schönau, supra, chap. 4. La même critique est exprimée par Pierre Authié, infra, p. 311, n. 114.

80 Liber Antiheresis, Liber I, p. 43-62 ; Alain de Lille, col. 355, 356, col. 359, col. 364, 369, 370 ; Ermengaud, col.1251 : « Sed haeretici dicunt quod illud, hoc, demonstrativum pronomen, non refertur ad panem, quem in manibus tenebat, et cui benedicebat, et quem frangebat, et suis discipulis distribuebat ; sed refertur ad corpus suum, quod haec omnia perficiebat » ; col. 1255 : « Dicunt enim quidam haereticorum quod hoc sacremantum baptismi aquae, sine eorum manus impositione recipiente, ad salutem perpetuam consequendam, nihil prodest adultis, nec etiam parvulis » ; col. 1261 : « Sed dicis, aliquem posse servari sine confessione. »

81 Supra, p. 294 sq. Liber Antiheresis, Liber I, p. 248 ; Ermengaud, col. 1270 : « Sed objicis, haeretice, illud quod Dominus in Evangelio ait “Nolite jurare omnino, neque per coelum, neque per terram” » (Mt 5, 34-37) ; Summa contra haereticos, C. Douais (éd.), p. 101 : « Quod juramentum possit aliquando fieri sine peccato. »

82 Supra, chap. 8, p. 276 sq.

83 Alain de Lille, col. 371 : « Non desunt qui dicant Locum materialem non esse Ecclesiam, sed conventum fidelium tantum, quia, ut aiunt, locus ad orationem non pertinet » ; Ermengaud, col. 1249 : « Sed quoniam omnes haeretici ecclesiam manu factam, et altaria quae in eis sunt, et sacramenta quae in eis a ministris Dei fiunt, et omnia ornamenta ecclesiastica ad nihilum deputant, et ad salutem animarum nihil proficere dicunt. »

84 Liber Antiheresis, Liber I, p. 100 : « Et quia fidelibus non posse sacrificium et helemosinas ceteraque beneficia prodesse defuntis credere diximus » ; Alain de Lille, col. 373 : « Dicunt etiam haeretici quidam orationes sanctorum non prodesse vivis, nec vivorum orationes mortuis » ; Ermengaud, col. 1267 : « Contra quorumdam haereticorum perversam opinionem, qui asserunt sanctos et eorum orationes vivis adhuc in mundo pro Christo certantibus non prodesse, nec defunctos vivorum beneficiis et orationibus relevari. » Helinand de Froidmont, Sermo in Rogationibus, supra, n. 15.

85 Liber Antiheresis, Liber I, p. 73 : » Taciani errorem, quem modo adolescere cognoscimus, penitus evellentes, ostendamus non in percepcione carnium esse peccatum, set licitum esse » ; Alain de Lille, col. 376 : « Asserunt praefati haeretici, carnibus vesci esse mortale peccatum… Item, caro descendit a caro sensitiva, immunditia, per luxuriam ; immundis autem non est utendum. Item, caro praebet fomentum luxuriae, et ideo a carnibus abstinendum est, quia ab omnibus quae praebent incitamenta peccati, abstinendum est » ; Ermengaud, col. 1264 : « Omnium haereticorum est fides, quod nullus post suum “consolamentum” receptum, si carnem, vel caseum, vel ova comederit, possit salvari », infra, chap. 11.

86 Liber contra Manicheos, p. 210 : « […] quia inter se (kathari) dissenciunt et se ipsos ad invicem condempnant, sicut nos et maxima pars populi, tam clerici quam layci, vidimus et audivimus ab ipsis in Carcassonensi, et Tolosanensi, Albiensi diocesibus manifeste » et p. 138-139 : « Nam multas scimus habuisse corruptiones et etiam divisi sunt in tres partes et unaqueque pars iudicat aliam et condempnat. Nonnulli enim eorum obediunt Grecis hereticis, alii autem Bulgariis et alii Dragovetis. »

87 Doat, vol. 24, fos 240 v°-241 r°, déposition du chevalier Pierre-Guillaume d’Arvigna (Ariège), le 18 octobre 1246, cf. J. Duvernoy, La Religion des Cathares, p. 343, infra, chap. 10.

88 Manifestatio haeresis Albigensium, p. 271 : « Est autem quedam heresis que de novo prosilivit inter eos, nam nonnulli ex eis credunt, unum tantum esse deum, quem dicunt habere duos filios, Christum scilicet et principem huius mundi. »

89 Manifestatio haeresis., p. 270 : « Dicunt etiam in sua secreto quod Maria Magdalene fuit uxor Christi, et ipsa fuit mulier Samaritana » (cf. Jn 8, 3). D’avis contraire : Ch. Thouzellier, Catharisme et Valdéisme en Languedoc, p. 284, à partir de l’étude et de la traduction des mythes contenus dans la Manifestatio. Thouzellier pense que l’apparition d’opinions doctrinales différentes résulte de l’importation des tendances bogomiles. L’apocryphe de la Vision d’Isaïe est utilisé par les dissidents languedociens, d’après le Liber contra Manicheos, p. 256-257 : « In quodam libro suo secreto, quem vidimus et legimus… quem nugatorie sub nomine ysaye prophete intitulant. » Et dans la confession d’Arnaud Sicre, en 1321, dans Jacques Fournier, t. II, p. 50-51, et dans la confession et déposition de Pierre Maury, en 1323, t. 3, p. 245 : « Audivit tamen a dicto Guillelmo Belibasta heretico quod erant septem celi, et in quolibet erat proprius dominus et proprie gentes, et quanto plus ascendebatur superius, tanto plus ascendebatur versus Deum et gentes pulcriores erant et pulcrius indute ac melius cantantes. » À propos de l’utilisation des deux apocryphes l’Interrogatio et la Vision d’Isaïe par les bons hommes languedociens, M. Delcor, « L’ascension d’Isaïe à travers la prédication d’un évêque cathare en Catalogne au début du xive siècle », p. 157-178.

90 A. Villemagne, Bullaire du bienheureux Pierre de Castelnau, martyr de la foi (16 février 1208), Montpellier, 1917, n° 29, p. 107-109 ; P. Benoist (éd.), Histoire des Albigeois et des Vaudois, p. 43, et 269-271, J. Duvernoy (trad.), L’Histoire des Cathares, p. 243. Référence à cette rencontre dans Pierre des Vaux-de-Cernay, Hystoria, t. I, p. 46.

91 Opinion développée par A. Dondaine, « Les Actes du Concile cathare de Saint-Félix », pour qui Nicétas, prélat bogomile présidant l’assemblée des bons hommes de Saint-Félix en 1167, aurait alors importé en Languedoc le dualisme des principes, croyance dominante, selon lui, dans l’Ordre de Dragovitie auquel il appartenait.

92 L’apocryphe Interrogatio utilise la prophétie d’Isaïe et la parabole de l’intendant infidèle. La première pour illustrer le péché d’orgueil du diable envers Dieu, la seconde pour illustrer la tromperie des anges par le diable car le diable était, d’après l’apocryphe, l’intendant des anges devenu l’intendant infidèle (cf. parabole de Luc 16,5-7) lorsqu’il voulu égaler en puissance celle du Père.

93 Rainier Sacconi, Summa de catharis, F. Sanjek (éd.), p. 59, il faut rappeler que l’inquisiteur et ancien cathare rédige son traité vers 1250 et qu’il décrit probablement une situation tardive lorsqu’il affirme que l’ensemble des cathares languedociens adhèrent aux opinions des « anciens albanenses » de Desenzano : De Catharis Tholosanis, Albigensibus et Carcassonensibus. Ultimo notandum est quod Cathari ecclesie Tholosane et Albigensis et Carcassonensis tenent errores Belesmanze et antiquorum Albanensium.

94 J.-L. Biget, « “Les Albigeois”. Remarques », p. 219-255.

95 Étude détaillée du recueil d’exempla cistercien de J. Berlioz, « Exemplum et Histoire », p. 49-86 ; id., « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».

96 Christine Thouzellier, dans son édition du Traité cathare anonyme (voir infra chap. 11), pense que l’auteur ou les auteurs du « traité » cathare professaient la croyance en deux principes opposés, la même que les « nouveaux albanenses » de Jean de Lugio de Desenzano.

97 Infra chap. 11. Traité cathare, R. Nelli (trad.), p. 194-195.

98 Doat, vol. 22, fos 92-95, C. Douais (éd.), Documents pour servir à l’histoire de l’Inquisition dans le Languedoc, vol. 2, p. 90-114. Sur Pierre Garcias, son identité, parcours et interprétation du nichil, M. Roquebert, Les Cathares. De la chute de Montségur, p. 122-126, l’auteur y défend l’hypothèse selon laquelle Pierre Garcias aurait soutenu dans son exégèse de Jean 1,3, la croyance en deux principes opposés, comme dans le Livre des deux principes, traduisant « faire » par « créer », ce qui est en contradiction avec le sens donné par les hérétiques.

99 Alain de Lille, col. 312 : Fortasse dicent heretici quod hoc nomine nihil designatur res coporalis que corrumpitur. La même conception du nihil est recueillie en Italie dans la Disputatio, Martène et Durand (éd.), c. 1705 et Doat vol. 36, f° 244 v° : « (responsio paterini) Deum Creasse omnia concedo intellige bona sed vana, et mala et transitoria Ipse non fecit, sed minor Creato scilicet Lucifer et idest dicitur a Joanne et sine Ipso factum est nihil, id est transitoria quae nihil sunt, quod autem dicitur Mundus per ipsum factus est ita intellige id est mundae animae, sed corruptibilia ista visibilia a Minore Creatore id est a Diabolo facta sunt. »

100 Ermengaud, col. 1235, 1237 ; Alain de Lille, col. 308, 316-317.

101 Liber Antiheresis, p. 121 : « In origeniarorum ab origene ita nuncupati vesaniam, qui dicunt animas in mundi prinipio peccasse et de celis usque ad terras diversaque vincula corpora meruisse, eaque causa factum esse mundum confitentes. »

102 Liber Antiheresis, Liber II, p. 236, J. Duvernoy (trad.), La Religion des Cathares, p. 61.

103 Supra, p. 298, n. 51.

104 Jacques Fournier, t. I, p. 269-271.

105 Supra, chap. 7.

106 Autre exemple du syncrétisme des mythes enseignés par les derniers cathares languedociens dans la déposition de Raymond Maury fils de Jean Maury, éd. Le Registre, t. 2, p. 472-473 et 489-491.

107 Déposition de Pierre Authié, éd. Le Registre…, t. 2, p. 406-407. Par ailleurs, l’interprétation du nihil faite par Pierre Authié, d’après la croyance en deux principes, dans la déposition d’Arnald Texeire, éd. id., t. II, p. 213-214.

108 Id., t. II, p. 489-490.

109 Déposition de Pierre Authié : Jacques Fournier, t. II, p. 406-407. De même, la prédication de Jacques Authié d’après la déposition de Pierre Maury, éd. id., t. III, p. 130-135.

110 Une analyse détaillée de J.-L. Biget, « Hérésie, politique et société en Languedoc », p.54 sq.

111 Le seul témoignage concernant l’existence d’une école d’enseignement est de Pierre des Vaux-de-Cernay, Hystoria, p. 24-27, elle se trouvait à Servian (Hérault) et elle est menée par Theodoricus, le chanoine de Nevers réfugié dans le Midi. C’est lui qui dispute avec l’évêque d’Osma dans la rencontre tenue à Servian en 1206.

112 J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà.

113 O. de Robert, Pierre Authié et l’Église cathare du Sabarthès au début du xive siècle, p. 137, l’auteur se demande si cet effort pour réorganiser le catharisme dans ces régions ne répondait pas, outre les convictions religieuses, à un objectif politique visant à reconquérir le comté de Foix et le Midi languedocien.

114 Témoignant de cet anticléricalisme romain, la prédication de Pierre Authié, Jacques Fournier, t. 3, p. 123-125 : « Il y a deux Églises : l’une fuit et pardonne, l’autre possède et écorche. »

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