Verlaine : populaire ?
p. 41-58
Texte intégral
1Ah, le style vaguement argotique de quelques-unes des phrases miennes ? Je ne m’en déferai pas et pour cause. Par instant un peu de ruisseau remonte un brin en ce moi qui fut élevé dans la ville où il y a la rue du Bac. C’est comme mes tournures patoisantes de quelquefois. Pure hérédité, cher monsieur ou chère madame, atavisme indéfectible1 !
2Le rôle de Verlaine dans l’histoire de la langue poétique française n’est pas encore établi à sa juste valeur, en partie parce que Verlaine a passé pour un auteur peu soigneux tenu responsable du relâchement de la langue dans la poésie à la fin du xixe siècle :
Avec Verlaine, nous avons affaire à un pauvre brave type, qui sort du bistrot ou de l’hôpital, traînant la patte, et qui nous raconte des choses très simples, ou très délicates, ou même très élevées, dans la langue de tous les jours. [...] Il y a chez lui création d’une tonalité nouvelle – et d’une langue nouvelle, qui a eu assez de succès pour qu’on la retrouve un peu partout aujourd’hui en vers et en prose : je l’appelle « familière »2.
3L’argument « tel homme, telle langue » utilisé par Bruneau pour justifier cette « langue nouvelle » par la nature débridée du poète, n’est pas étranger au sentiment diffus qui veut que le poète, en Verlaine, soit mort avant sa maturité. Ainsi Claude Cuénot, auteur de l’unique thèse sur le Style de Verlaine, avait-il limité son étude à Jadis et naguère (1884) et en avait-il écarté les textes en prose et la correspondance. Très réservé sur la valeur des tours familiers et populaires du poète, il trahissait un conformisme littéraire et linguistique qui n’était pas étranger à son époque mais qui reflétait aussi son malaise vis-à-vis de la conduite scandaleuse du poète3. Cependant, bohème et stéréotypes mis à part, il y a bien un tournant linguistique dans l’œuvre publiée de Verlaine à partir des années 1880, rejetée encore aujourd’hui au point que les recueils qui suivent Parallèlement (1889) continuent d’être peu édités, notamment à cause de leur laisser-aller expressif et de leur incurie apparents.
4La langue poétique de Verlaine mérite cependant d’être approfondie sur le plan historique, abstraction faite de jugements d’ordre moral et esthétique. On ne peut étudier les trente années qui séparent Chair des Poèmes saturniens sous l’angle de la déchéance sous prétexte que, avec le temps, l’ineffable aurait cédé le pas au naturel ou que la correction du style aurait été mise à mal, d’autant que, depuis les premiers recueils et jusque dans les années 1890, l’œuvre de Verlaine semble être constamment en porte-à-faux par rapport aux pratiques formelles de son époque. Si les contemporains du poète avaient déjà pu épingler quelques mots déplacés dans les Poèmes saturniens en partie parce que le recueil se présentait comme un tribut au Parnasse4, c’est dans les Romances sans paroles que Verlaine a commencé à prendre ses distances par rapport aux normes de la poésie de son temps, accentuant ce mouvement d’émancipation dans Cellulairement, lorsque de tels écarts étaient non seulement jugés comme des fautes de goût mais comme des fautes tout court. C’est que, du point de vue des modèles et du style, Verlaine a rarement roulé dans la bonne ornière. Jadis et naguère, publié en pleine effusion décadente et alors que la tendance est à la sensation et au mot rare, est une anthologie de poèmes anciens dont la seconde partie rassemble de longues pièces prosaïques qui ne manquent pas d’expressions populaires5. Cinq ans plus tard, Parallèlement anticipe le mouvement de retour à la vie et à la simplicité prôné par les jeunes générations dans les années 1890. Mais à l’heure où les adeptes du symbolisme finissant s’épuisent à rimer les amours anémiques de princesses stériles et de chevaliers muets, Verlaine écrit « La dernière fête galante » et « L’impénitent » rompant avec l’esthétique de la « chanson grise », usant sans retenue du français familier et de l’argot. Par la suite et enfin reconnu, il ne suivra ni Moréas, ni Barrès dans leur tentative de retour au « génie latin » et à la prétendue pureté originelle de la langue. C’est la langue courante qui, au contraire, s’imposera dans ses vers et il persistera dans la voie de la discordance, du métissage discursif, de la juxtaposition des registres et de la rupture des styles, contre l’intellectualisme de la poésie nouvelle et contre la tendance générale d’un retour au « bon usage6 ».
5Si les traits les plus apparents de ces dissonances ressortissent à des registres relâchés et à des niveaux de langue apparentés au bas de l’échelle sociale, parler d’un Verlaine « familier », « populaire » ou « argotique » ne rend pas compte de la richesse de la langue du poète, dont le caractère principal réside dans le métissage. Ce que Bruneau appelait encore « L’École du copinage7 » (on écrit des vers comme on parlerait entre amis) se fonde, chez Verlaine, sur un ensemble complexe de variations qui touchent toutes les composantes de la langue (historique, géographique, sociale, fonctionnelle, matérielle) et qui tendent à s’écarter de la norme traditionnellement associée au genre poétique pour se concentrer sur des tours que l’on appellerait aujourd’hui « non conventionnels ». Rares sont les travaux qui ont abordé ce sujet. C’est à un romaniste allemand, Arnold Loos, qu’il revient d’avoir étudié pour la première fois la langue familière dans la poésie de Verlaine de façon systématique8. S’appuyant en partie sur le grand livre de Lazare Sainéan consacré au langage parisien au xixe siècle9, Loos répertorie des traits lexicaux et syntaxiques appartenant au français familier, au français populaire, au langage des enfants et à l’argot. Mais la perception des écarts dépendant d’une norme définie au préalable, absente ici, le choix de ses exemples n’est pas toujours justifié. Plus récemment, Carol Rifelj a consacré un important chapitre à la question dans son livre sur la langue de la poésie française du xixe siècle10. Elle montre que les phénomènes d’hétérogénéité linguistique sont précoces dans l’œuvre de Verlaine et que l’usage des registres « bas » y est le plus souvent motivé par les contenus. Repoussant l’argument ad hominem, Carol Rifelj étudie les effets du langage familier et vulgaire dans la poésie de Verlaine depuis les Poèmes saturniens et s’attache en particulier à analyser les contrastes qui résultent de leur emploi dans quelques textes significatifs ; mais le manque de perspective historique ne lui permet pas toujours de mesurer l’étendue des phénomènes qu’elle décrit.
6La poésie sérieuse a toujours été liée à l’observance de canons stylistiques et linguistiques exigeants : un lexique choisi, des tournures correctes et élégantes, un registre élevé. Avant le xxe siècle, le populaire et le poétique ne font pas bon ménage dans la République des lettres. Le peuple a ses chansonniers, la bourgeoisie ses poètes. Le burlesque et le poissard, sous l’Ancien régime, sont des divertissements indépendants qui ne visent nullement à déstabiliser les règles. C’est le romantisme qui a remis en question les contraintes de styles liées aux genres, d’abord dans la prose : le français populaire, les variétés régionales, l’argot sont entrés dans le roman à des fins de couleur locale et les petites gens de Balzac, les paysans de George Sand ou les malfrats d’Eugène Sue y parlent la langue de leur condition sans que la narration, qui s’astreint à la norme, ne se conforme à leur usage11. Il en va de même pour la langue parlée, dont l’utilisation – ou l’intrusion – dans le roman restent généralement limitées aux discours des personnages12. On sait le rôle joué par Victor Hugo en faveur du décloisonnement des registres, pour le mot propre et contre la périphrase, et le scandale d’Hernani est aussi un scandale linguistique, même s’il fut causé par le français courant. Après 1848, le développement des vaudevilles et des cafés-concerts contribue à la diffusion des variétés populaires du français : les Labiche, les Sardou, les Meilhac truffent leurs textes d’expressions et de tournures « peuple » qui font fortune, même si elles restent confinées dans le domaine du théâtre léger, de la revue et de la chanson. Mais si ce n’est le fait de quelques mineurs13, ni les seconds romantiques ni a fortiori les parnassiens ne concèdent au français non conventionnel d’entrer dans le cercle très fermé de la poésie :
D’une façon générale les poètes du Parnasse, qui ont souvent – et certains avec prédilection – employé la langue familière, se sont interdits la langue populaire et l’argot. La plupart du temps, ils ont laissé de côté les ressources des parlers dialectaux.
[...] Leur vocabulaire et leur syntaxe incluent la langue noble et la langue familière des gens cultivés, mais ne va pas plus loin14.
7Les changements sociopolitiques qui suivirent l’avènement de la IIIe République ne furent pas sans effet sur la langue courante : perméable aux variétés de tous ordres, celle-ci à commencé à perdre progressivement son statut de code fixe, au grand dam de l’Université et des Institutions15. La littérature a suivi : le roman naturaliste s’est ouvert à la langue des faubourgs, Zola employant « tous les mots que proscrit la langue écrite16 » dans L’Assommoir (1877). Dans la poésie, la langue familière et l’oralité des Amours jaunes (1873) sont le vrai prélude à la liberté des styles ; mais Corbière étant resté dans l’ombre17, c’est avec La Chanson des gueux (1876 et 1881) que le genre perd ouvertement son privilège de caste. En alternant dans un recueil de « poésies » des textes de facture traditionnelle à des poèmes où prédomine un français populaire et argotique, Richepin rendait légitime un genre subalterne et inconvenant, ouvrant la voie à des variétés de langue qui étaient jusque là bannies de la poésie canonique. L’ingérence de parlures étrangères au bon ton devait par ailleurs alarmer les critiques au début des années 1880 : ainsi Brunetière s’insurgea-t-il dans la Revue des deux mondes contre la présence de l’argot dans la langue18. Mais le mal était fait. On assiste alors à un décloisonnement des genres toujours plus important, la poésie se mêlant, par exemple, à la chanson, au théâtre, à la revue, tandis que la limite entre langue courante et langue poétique se réduit, le vers ne semblant parfois recouvrir que de la prose rimée ou n’encadrer que des bribes de conversation. Dans le domaine de la chanson, Bruant succède à Béranger et à Nadaud tandis que tout un courant de poésie « populaire » prend forme de Corbière à Laforgue, de Richepin à Rictus : entre 1878 et 1879, André Gill réserve à La Petite Lune des poèmes écrits « à la bonne franquette, les mains dans les poches », dont les futurs poèmes de La Muse à Bibi (1881) ; Charles Cros édite « Paquita » en 18719 et insère la « Chanson des sculpteurs » et « Brave homme » dans la seconde édition du Coffret de santal, en 1879 ; clubs et cabarets s’ouvrent et se forment, des journaux paraissent, des revues sont créées qui insèrent dans leurs colonnes des poèmes de moins en moins conventionnels20.
8Verlaine a-t-il suivi ce mouvement et a-t-il participé lui aussi à ce phénomène de démocratisation de la poésie et de la langue poétique qui voit le jour au tournant des années 1880 ? Parmi ses recueils des années 1880, Jadis et naguère et Parallèlement semblent refléter un tel état de fait : un peu comme si, saisissant la balle au bond, le poète avait profité du moment. Pour tenter de répondre à cette question, il me semble opportun de s’arrêter à sa correspondance. Si celle-ci offre une mine de renseignements sur sa vie et sur son entourage, elle se distingue des ensembles écrits avec le soin et le souci qu’exigent une position dans le monde de la littérature et la perspective d’une gloire future. Les lettres « sérieuses » de Verlaine, pour la plupart adressées à des maîtres ou à des confrères qui imposent le respect, sont peu nombreuses au regard de celles, beaucoup plus libres, qui arrivent régulièrement à ses amis. Cette liberté ne concerne pas seulement la vie privée du poète. La correspondance de Verlaine est remarquable par sa richesse et son originalité linguistiques, non seulement parce qu’elle reflète usages et tendances de son temps mais aussi parce qu’elle constitue un document de première importance sur les pratiques langagières du poète et qu’elle met en jeu un ensemble de traits et de variations qui, à des degrés divers, peuvent éclairer son œuvre publiée, tant en prose qu’en vers. L’idiolecte – voire le jargon – de ce Verlaine épistolier touche au français parlé, aux français familier, populaire et argotique, au français régional et aux langues étrangères ; il acquiert souvent une dimension cryptique suite aux déformations, aux troncations et aux télescopages en tous genres que Verlaine fait subir aux mots et aux constructions qu’il utilise21. Les lettres de Verlaine contiennent aussi de très nombreux poèmes, envoyés par l’auteur à ses correspondants lorsqu’il est en province, séjourne à l’étranger ou est retenu en prison. Une grande partie des poèmes de Romances sans paroles, de Cellulairement, de Sagesse, de Jadis et naguère et de Parallèlement ont ainsi été transmis par lettre, au coup par coup, avant que Verlaine n’ait eu le plus souvent l’idée d’en former des recueils.
9Il ne s’agit pas de poésie épistolaire mais de « pièces jointes » aux lettres dont le statut n’est pas tout à fait autonome. Les correspondants ne reçoivent pas tous les mêmes poèmes ni, le cas échéant, les mêmes versions et, si le choix des textes est rarement casuel, il ne faut pas écarter non plus l’hypothèse que telle pièce ait été écrite pour tel destinataire22. Il y a dans les poèmes de Verlaine envoyés par lettre une connivence et des résonnances qui disparaissent dans les présentations anonymes des revues et des recueils où ils sont publiés, même quand ils portent une dédicace ; aussi n’est-il pas inutile de préciser les rapports entre textes et contextes, tant pour des motifs historiques qu’interprétatifs.
10Deux séries de dizains, témoignant d’un rapport étroit entre la langue des lettres et la langue des vers, entre correspondance et poésie, retiennent l’attention. Ils sont révélateurs d’un changement du langage poétique dans un sens non conventionnel et illustrent un problème d’évaluation lié à la divulgation des textes littéraires réservés à un usage privé. En composant les petits tableaux banals de ses Promenades et intérieurs, François Coppée ne pouvait se douter que la postérité préférerait les pastiches de ses confrères à ses propres originaux : parodiés par les zutistes et leurs amis, les « Coppées » allaient devenir autant une manière de tourner en ridicule la platitude bourgeoise du poète parnassien que d’exprimer désirs et ressentiments, salacités et invectives23. Appelées initialement Intérieurs et promenades, les « contrefaçons de Coppée » fabriquées par Verlaine se devaient d’abord d’être « plates » et « viles »24. C’est Verlaine qui, le premier, eut l’idée de publier une série de « Coppées » dans un de ses recueils et donc de légitimer, en quelque sorte, leur intérêt poétique25. Envoyés à Lepelletier de la prison de Mons en septembre 1874, ces dix dizains, soigneusement calligraphiés l’un à la suite de l’autre au recto d’une seule feuille de papier26, faisaient pendant aux dix sonnets religieux qui devaient clôturer le recueil et qui formeraient plus tard un des sommets de Sagesse. La liberté de genre favorisant la liberté de ton et de style, les « Vieux Coppées » de Cellulairement présentent de nombreux traits de langue non conventionnels, tels que des mots familiers : Badingue (II, v. 3 et IV, v. 8), digérer (II, v. 8), toqué (II, v. 9), tartiner (III, v. 4), guimbarde (X, v. 3), des mots vulgaires : bougres, vessards, foutre (IV, v. 3-6), des termes d’argot : licher (I, v. 7), des néologismes : équilistant (X, v. 6), des calques : hablant español (VI, v. 4), des régionalismes : c’est bon pour une fois, sais-tu ! (VIII, v. 10), des calembours : l’eusses-tu cru ? (IX, v. 3) et des marques d’oralité : rrhythme, nâvrantes (X, v. 6, 10). Ils restent cependant dans les limites des convenances stylistiques admises dans le discours parodique (y compris le dizain IV, pastiche du Père Duchêne). Cellulairement n’ayant jamais vu le jour, la plupart des « Vieux Coppées » seront distribués dans les recueils de Verlaine après 1884 avec de nouveaux titres où, mêlés indifféremment à d’autres poèmes, ils perdront leur identité première27. Jadis et naguère, qui apparaît aux yeux des contemporains comme un ouvrage nouveau28, contient un important reliquat de Cellulairement qui présente des traits de français non conventionnel : les tournures de « Un pouacre29 », le lexique de « La grâce » et de « L’impénitence finale » et jusqu’au redoublement expressif du [r] dans « Images d’un sou » associé à un mot bas (« Entrrez, bagasse ! ») donnent à l’ensemble un ton qui tranche sur la production antérieure de Verlaine, Sagesse en tête. Deux anciens « Coppées » y figurent, rebaptisés « Dizain mil huit cent trente » et « Paysage », ce dernier inséré dans la section intitulée Vers à la manière de plusieurs. C’est aussi dans Jadis et naguère que paraît pour la première fois en recueil l’« Art poétique ». Écrit en avril 1874 et prévu initialement pour figurer dans Cellulairement, le futur manifeste de la jeune école symboliste recommande aux poètes de prendre l’éloquence et de lui tordre son cou dans une langue qui n’est plus celle des conventions héritées du Parnasse30. Ainsi, de 1874 à 1884, dix années auront passé avant que Verlaine ne parvienne à divulguer sa poétique nouvelle et à suggérer de nouvelles voies à la poésie. Mais loin d’avoir rattrapé la tendance, il l’avait en réalité anticipée.
11Le second ensemble de « Coppées », constitué de six dizains envoyés par Verlaine à Ernest Delahaye d’août 1875 à l’été 1877, n’a pas dépassé les limites de la correspondance. Destinés à un usage « privé », ces poèmes illustrent les pérégrinations de Rimbaud à partir des nouvelles que Delahaye donne à Verlaine de leur ami commun, le « nouveau Juif errant ». Ils n’ont gardé que la strophe de dix vers de leur ancien modèle parnassien ; censés reproduire la parole de Rimbaud, ils mettent en œuvre un ensemble de procédés linguistiques remarquables, quoique caricaturaux31. La critique rimbaldienne s’est intéressée de près à ces productions, y cherchant un aperçu de la prononciation du poète de Charleville et un reflet de sa manière de parler, Verlaine ayant précisé, en marge de l’un de ses dizains, que la lecture du texte exigeait « l’accent parisiano-ardennais32 ». Mais le mimétisme de la parlure ardennaise de Rimbaud ne constitue pas l’essentiel de ces textes, même si quelques traits régionaux et quelques particularités phonologiques peuvent lui être rattachés33. Ainsi les variations diatopiques des « Coppées » sur Rimbaud, par exemple, sont aussi bien homogènes (fréquence de traits appartenant à une même aire dialectale) que partiellement homogènes (identité de traits appartenant à des aires dialectales diverses) ou que nettement hétérogènes (contraste de traits appartenant à des aires dialectales diverses). Leur identification avec le wallon par Gisèle Vanhese, le champenois par Jean-Pierre Chambon ou le picard et le parisien par Ernest Delahaye34, loin d’être une querelle de spécialistes, révèle simplement que ces poèmes présentent des traits correspondant aux quatre aires dialectales que Verlaine partage en partie avec Rimbaud, à savoir la Wallonie, la Champagne, la Picardie mais surtout Paris, et que Verlaine met en pratique sa propre perception des « patois » dans sa poésie, parmi d’autres ressources linguistiques.
12Le contexte épistolaire dans lequel ces poèmes apparaissent permettra d’élargir le propos, car nombre de traits phonologiques attribués à l’idiolecte rimbaldien des « Coppées » sont déjà présents dans les lettres de Verlaine avant la rencontre des deux poètes. Trois exemples suffisent à le prouver. Le passage de [B] à [C] dont un des « Coppées » porte témoignage35 et que l’on rencontre dans la correspondance du petit cercle d’intimes (vingince pour vengeance, dans une lettre de Verlaine à Rimbaud d’avril 1872 ; innocince pour innocence, dans une lettre de Rimbaud à Delahaye de mai 1873) est-il « un trait bien ardennais, objet de plaisanterie entre les deux amis36 » ? On trouve charminte dans une lettre à Lepelletier de mars 1869, silince (neuf fois !) et nuïnces dans une lettre au même correspondant du 7 août 1869, pinse dans une lettre à Valade du 14 juillet 1871, toutes antérieures à la rencontre de Verlaine et Rimbaud. Or Nisard précise que, dans le français populaire de Paris, « L’a suivi de n ou m, dans le corps, ou à la fin d’un mot, se prête avec une certaine complaisance, surtout aujourd’hui, à son changement en i. Vous entendrez dire, par exemple : binde, cinquinte, chince, dinse [...] vingince37 ». De même, la chute des consonnes finales qui semble elle aussi ressortir au système phonologique ardennais (et notamment celle du groupe st : injuss’ pour injuste ; Carlisse pour Carliste) n’appartient pas en propre à l’idiolecte de Rimbaud, quoiqu’il en usât aux dires de Verlaine lui-même38 mais ce dernier, écrivant artisssse [sic] dans une lettre à Nina de Callias du 17 juillet 1869 et plus tard bouquinisse dans un contexte oral familier (lettre à Delahaye du [11] avril 18739), ne fait que reproduire une pratique courante de la langue populaire, documentée depuis le début du xixe siècle, tant en province qu’à Paris40. Quant au passage de [nJ] à [GJ] (dernier > dergnier ; panier > pagnier), il n’est pas non plus propre au parler ardennais : on le retrouve entre autres chez Richepin, chez Bruant et chez Rictus41.
13Quoique Verlaine ait très souvent démontré son intérêt pour les français régionaux dont il défend l’usage tant par sympathie que par curiosité philologique42, ce sont les composantes sociale et stylistique (suprarégionales) qui priment dans les Coppées sur Rimbaud, partagées entre langue familière (planter là, couper, rappliquer, coller, gober...), langue vulgaire (merde, chier, foutre et leurs dérivés...), argot parisien (truffard, Pipo, braise, limace, grimpant…), le tout oralisé à l’extrême (quent’chos, oùsquec’est, oeuffs et boeuffs...) dont la transposition à l’écrit est réalisée au moyen d’éléments formels appartenant surtout à la graphie des chansons populaires, laquelle vise le plus souvent à assurer le compte des syllabes dans le vers (apocopes, renforcement graphique du schwa, liaisons parasites). Il suffit de mettre côte à côte un échantillon de ces chansons écrites pour constater les similitudes entre les systèmes de transcription.
14Le procédé est certes excessif et aucun des poèmes publiés de Verlaine n’atteint ce degré d’a-normalité. Les deux séries des « Coppées » ont cependant de nombreux traits en commun, mesurés dans un cas, accentués dans l’autre, qui ne sont en aucun cas le résultat d’une perte de moyen ou de négligences dues à leur contexte épistolaire. C’est qu’il existe une constante du « populaire » chez Verlaine au renforcement de laquelle le milieu zutiste ou la personnalité de Rimbaud ont certes pu contribuer, mais qui n’a pas attendu les premières manifestations littéraires du genre pour se former. Il est un fait que l’usage du français « hors norme » est plus intense dans les lettres de Verlaine des années 1871-1873 que pendant la période précédant l’arrivée de Rimbaud à Paris, comme si la rencontre entre les deux poètes avait libéré en eux le bon usage de la langue, la parole de Rimbaud, « morte de l’argot et du ricanement43 » devenant aussi, à l’époque, celle de Verlaine. Les « Vieux Coppées » en porteraient témoignage. Mais les variations de cette nature ne sont pas pour autant absentes de la correspondance ordinaire avant et après l’épisode Rimbaud, avec des hauts et des bas selon l’époque et la familiarité des destinataires, l’usage du « faubourien44 » s’affirmant d’abord dans l’œuvre en prose avec quelques précautions oratoires pour investir peu à peu la poésie à la fin des années 1880 dans un élan qu’on pourrait qualifier de libératoire.
15Parisien d’adoption particulièrement doué pour le mimétisme linguistique, Verlaine s’est vite fait à l’usage du parler de la rue qu’il a exploité dans un genre peu lié aux contraintes normatives : la chanson. Il nous reste malheureusement très peu de chansons écrites par Verlaine mais nous savons qu’elles ne sont pas un phénomène occasionnel et qu’elles sont l’expression d’une véritable passion. « Il était peu de refrains populaires qui lui fussent inconnus, et il en possédait un répertoire infiniment varié », témoignent à ce propos Gustave Le Rouge et Cazals (avec qui Verlaine avait même formé le projet d’écrire un volume de chansons), et les deux auteurs d’affirmer : « Verlaine n’est pas moins remarquable comme chansonnier que comme épistolier45 ». À la fin de l’Empire, dans le cercle de Nina de Villard, le poète s’était déjà taillé un petit succès comme auteur et interprète de chansons « populaires » et la plus célèbre de ses compositions, « L’ami de la nature », publiée dans Le Chat noir du 23 août 1890, avait été créée à l’époque46. Elle est assez significative au regard de l’histoire de la langue littéraire et de la poésie « brute » pour que Lepelletier en souligne l’originalité :
On y [dans le salon de Nina] entendit même un spécimen de cette littérature argotique, qui devait, un temps, obtenir si grande vogue et faire la réputation d’Aristide Bruant et de son cabaret. Ce fut Verlaine qui donna cette première note brutale et populacière, dont par la suite on devait abuser : mais alors que les marlous et les escarpes n’étaient point célébrés dans la langue des dieux47.
16La « langue des dieux » n’est peut-être pas la meilleure métaphore pour qualifier le registre prétendument argotique de « L’ami de la nature ». Du côté du pittoresque, Lepelletier raconte encore que Verlaine et lui, déguisés en mecs, s’étaient rendus dans un bal de Ménilmontant pour se mêler à la populace et que Verlaine, interpellé en argot par un vendeur ambulant et embarrassé par un idiome qu’il ne maîtrisait pas, avait dû attendre l’intervention de son ami pour donner le change48. Quoi que vaille cette anecdote, il reste que l’argot proprement dit n’est pas fréquent dans l’œuvre publiée de Verlaine, qui lui préfère des termes anciennement argotiques passés dans l’usage familier. Le cas échéant, il utilise un métalangage visant à atténuer l’impact d’un mot ou d’une expression excessivement marqués : l’usage des guillemets et de l’italique, des gloses et des traductions en français courant sont les indices des limites qu’il assigne à la langue littéraire, dont il exclut cette variété cryptée et socialement suspecte au regard de la norme49. Quel que fût son intérêt pour les bas-fonds dont la fréquentation a souvent été causée par les circonstances, Verlaine ne s’est jamais posé en chantre des gueux ni en poète de la pègre. « L’ami de la nature » est un texte qui met en jeu un ensemble de traits assez transparents et facilement identifiables qui appartiennent au français parlé des couches populaires de la capitale. Il est contemporain des Fêtes galantes. Ce synchronisme révèle combien les formes du célèbre recueil de 1869 ne représentent pas à elles seules l’aboutissement du style de l’auteur ; il en va de même pour « Faut hurler avec les loups ! ! », « chansonnette par M. Pablo de Herlanes » jointe à une lettre à Lepelletier des 24 et 28 novembre 1873, écrite « parallèlement » à la mise au point des Romances sans paroles50.
17Le polymorphisme de verlaine n’est pas un vain mot. « parallelement » a une œuvre publique qui lui impose un certain controle des formes, verlaine poursuit depuis ses debuts une veine burlesque et joyeusement anarchique ou cette retenue est absente ; ici le desir de subversion s’affirme au grand jour, la il travaille en sous-main. Entre poemes et chansons, entre pastiches et parodies, entre vers et lettres, l’osmose formelle est plus ou moins prononcee selon le contexte et l’epoque ; on preferera donc parler de permeabilite des genres plus que de separation, de controle de la langue plus que de relachement. L’evolution de la poesie de verlaine est liee a l’intensite de ces phenomenes (plus faible au debut, plus forte a la fin) et c’est l’hybridation du discours dans un sens non conventionnel qui, avec le brisement du vers, contribuent chez lui a une destabilisation de la poesie française mise en œuvre des les annees 1860, avant la grande vogue du cabaret et des poetes du chat noir. Independamment des modes et des convenances, verlaine avait prefere la langue des hommes a la langue des dieux.
Annexe
Appendice
L’ami de la nature (1868)
J’crach’ pas sur Paris, c’est rien chouett’!
Mais comm’ j’ai une âm’ de poèt’,
Tous les dimanch’s j’sors de ma boît’
Et j’m’en vais avec ma compagne
À la campagne.
Nous prenons un train de banlieu’
Qui nous brouette à quèques lieu’s
Dans le vrai pays du p’tit bleu,
Car on n’boit pas toujours d’champagne
À la campagne.
Ell’ met sa rob’ de la Rein’ Blanch’
Moi, j’emport’ ma pip’ la plus blanch’;
J’ai pas d’chemis’, mais j’mets des manch’s,
Car il faut bien qu’l’éléganc’ règne
À la campègne.
Nous arrivons, vrai, c’est très batt’!
Des écaill’s d’huitr’s comm’ chez Baratt’
Et des cocott’s qui vont à patt’s,
Car on est tout comme chez soi
À la camp – quoi !
Mais j’vois qu’ma machin’ vous em... terre,
Fait’s-moi signe et j’vous obtempère,
D’autant qu’j’demand’ pas mieux qu’de m’taire...
Faut pas s’gêner plus qu’au bagne,
À la campagne.
Le Chat noir, 23 août 1890.
Œuvres poétiques complètes, éd. Y.-G- Le Dantec, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 773.
Faut hurler avec les loups ! !
Chansonnette par M. Pablo de Herlañes
1
Je m’suis marié le cinq ou l’six
D’avril ou d’mai d’l’année dernière,
Je devins veuf le neuf ou l’dix
D’juin ou d’juillet, j’m’en souviens guère…
– Ah ! mon bonhomm’, me direz-vous,
Quel malheur ! Que j’te trouve à plaindre !... –
Il faut hurler avec les loups :
J’vas geindre ! !
2
Bien que la pert’ de ma moitié
Fût pour mon âme un coup bien rude
Quelqu’temps après, j’me suis r’marié,
Histoir’ d’en pas perdr’ l’habitude…
–Ah ! mon bonhomm’, me direz-vous,
C’te fois-ci, ton étoil’ va r’luire… –
Il faut hurler avec les loups :
J’vas rire ! !
3 et dernier
Mais à part qu’elle est chauv’ tandis
Qu’l’aut’ s’contentait d’un g’nou modeste,
Joséphin’ c’est, quand je vous l’dis,
L’mêm’ caractèr’ que feu Céleste…
–Ah ! mon bonhomm’, me direz-vous,
Pour le coup t’as d’la veine à r’vendre… –
J’veux plus hurler avec les loups :
J’vas m’pendre !
Lettre à Lepelletier du 24-28 novembre 1873 (Correspondance générale, éd. cit., p. 361).
Fac similé : Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, succession Jean Hugues, Drouot, 20 mars 1998, n° 78.
« Vieux Coppées »
[1]
Épris d’absinthe pure et de philomathie
Je m’emmerde et pourtant au besoin j’apprécie
Les théâtres qu’on peut avoir et les Gatti
« Quatre-vingt-treize » a des beautés et c’est senti
Comme une merde, quoi qu’en disent Cros et Tronche
Et l’Acadême où les Murgers boivent du ponche.
Mais plus de bleus et la daromphe m’a chié.
C’est triste et merde alors et que foutre ? J’y ai
Pensé beaucoup. Carlisse ? Ah ! non, c’est rien qui vaille
À cause de l’emmerdement de la mitraille !
Lettre à Delahaye du 24 août 1875 (Correspondance générale, éd. cit., p. 424).
Fac similé : Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, Fayard, 2001, h. t.
[2]
La sale bête ! (En général). Et je m’enmerde !
Malheur ! Faut-il qu’un temps si précieux se perde ?
Le russe est sû, l’arabe applique, et j’ai cent mots
D’aztec, mais quand viendront ces cent balles ? Chameaux !
Va donc ! Et me voici truffard pour un semesse,
Et c’est Pipo qu’il faut (quoiqu’au fond je m’en fesse
Eclater la sous-ventrière !) Merde à chien !
Ingénieur, à l’étranger, çà fait très-bien,
Mais la braise ? Faut-il que tout ce temps se perde ?
Mon pauvre cœur bave à la quoi, bave à la merde !
AR
Lettre à Delahaye du 26 octobre 1875 (Correspondance générale, éd. cit., p. 444).
Fac similé : Éditions originales, manuscrits et lettres autographes, Pierre Berès, catalogue 56 [1956], n° 641.
[3]
C’est pas injuss’ d’se voir dans un’ pareill’ situate ?
Et pas la queu’ d’un pauv’ Keretzer sous la patte !
J’arrive à Vièn’ avec les méyeur intentions
(Sans compter que j’ compt’ sur des brévêts d’invention)
En arrêvant j’me coll’ quêqu’ Fanta comm’ de jusse.
Bon ! v’là qu’un cocher d’fiac’ m’vol’ tout : c’est pas injusse ?
Voui, m’fait tout jusqu’à ma limace et mon grimpant
Et m’plant’ là dans la Strass’ par un froid pas foutant,
Non ! Vrai, pour le début en v’là ty un d’triomphe !
Ah la sal’ bête ! Encor plus pir’ que la daromphe !
F. Cie
Paratexte :
En marge du dizain : L’accent parisiano-ardennais desideratur
Dessin : Les voyages forment la jûnesse ; m à la Daromphe ! J’four l’ camp à « Wien ! »
Dessin : Dargnières nouvelles ; Vingince Strasse
Lettre à Delahaye du 24 mars 1876 (Correspondance générale, éd. cit., p. 498).
Fac similé : ibid.
[4]
O la la, j’ai rien fait du ch’min d’puis mon dergnier
Coppée ! Il est vrai qu’j’en suis chauv’ comme un pagnier
Percé, que j’sens quent’ chos’ dans l’gôsier qui m’ratisse,
Qu’j’ai dans l’dos comm’ des avant-goûts d’un rhumatisse
Et que j’m’enmerd’ plus seuq’ jamais. Mais c’est-n-égal
J’aurai prom’né ma gueule infecte au Sénégal
Et vu Sainte Hélèn’ (merde à Badingue) un’ rud’ noce,
Quoi ! Mais tout çà c’est pas sérieux. J’rêve eud’ négoce
Maint’nant, et plein d’astuss’ j’baluchonn’ des vieilles plaqu’s
D’assuranc’ pour revend’ cont’ du rhum aux Kanaks !
[Lettre à Delahaye s. d. (1876)] (Correspondance générale, éd. cit., p. 524).
Fac similé : Autour de Verlaine et de Rimbaud, classés et présentés par Jean-Marie Carré, Gallimard, 1949, p. 50 et Correspondance générale, éd. cit., p. 524.
[5]
Ah merde alors, j’aim’ mieux l’Café d’Suèd’ que la Suède
Ell’mêm, oùsque c’est la mêm’chos’, – un peu plus raide
Peut êt’ qu’un hiver dans c’te Franc’ (que j’chie un peu
Mon n’veu, d’ailleurs) Et pis des Consuls, cré-vingt-gnieu
Comme s’il en pleuvait dans ce pays de neige !
Alors, quoi ? Jusqu’à nouvel ord’, j’flâne en Norvège !
Où çà, nensuite, aller ? Çà m’la coupe à la fin
Tous ces bâtons (merdeux) dans les rou’s d’mon destin…
(Rêveur)
… Si j’rappliquais pour un trimesse à Charlepompe
(à merde) ?, histoire eud’ faire un peu suer la darompe ?
Lettre à Delahaye du 18 juillet 1877 (Correspondance générale, éd. cit., p. 571).
Fac similé : Vente du 7 décembre 2004, Paris, Piasa, n° 247.
[6]
Je renonce à Satan, à ses pomp’ à ses oeuffs !
Je vous gobe, ô profonds mugissements des boeuffs.
J’fond’ eun’ nouvelle école, et, sans coll’, j’agricole.
Coll’ toi ça dans l’fusil, mond’ frivole, et racole
Z-en d’autres. Désormais j’dis merde à les Gatti,
À les Russ’, à les Vienne et aux scaferlati
D’contrebande, et j’vas faire un très chouett’ mariache.
Je m’cramponne à toi, Roche, et j’défends qu’on m’arrache
Eud’ toi… Viv’ [donc] le lard dans la soupe – et soillions
Sérillieux – et qu’nout’ sueur alle abreuf’ nos sillions !
[Lettre à Delahaye non retrouvée, été 1878]
Ernest Delahaye, op. cit., p. 229-230.
Manuscrits à miniatures..., vente du 12 mars 1936, Blaizot, n° 190, donnée comme « pièce de vers autographe ».
Notes de bas de page
1 Les Mémoires d’un veuf (1886), Œuvres en prose complètes, éd. Jacques Borei, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 86.
2 Charles Bruneau, Verlaine, Paris, CDU, coll. « Les cours de Sorbonne », 1950, p. 22.
3 Claude Cuénot, Le Style de Paul Verlaine, Paris, CDU, 2 vol., 1963. Pour Cuénot, « le vice, sauf quelques trouvailles littéraires, le [Verlaine] dégrade aussi bien dans sa poésie que dans sa moralité » (op. cit., p. 134).
4 Charles Yriarte, Le Monde illustré, 17 novembre 1866 et Sainte-Beuve, lettre à Verlaine du 10 décembre 1866, dans Verlaine, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1997, p. 19, 23.
5 Laforgue eut vite fait d’y faire le tri : « Je trouve absolument nulles toutes les pièces longues, sans musique ni art, de Naguère. Mais j’adore « “Kaléidoscope”, “Vers pour être calomnié”, “Pantoum négligé” et “Madrigal” ». – Mais que de camelote à part ça – du Coppée – de vieux vers oubliés des Poèmes saturniens (descriptifs) » (lettre à Charles Henry du 1er janvier 1885, Œuvres complètes, Lausanne, L’Âge d’homme, t. 2, 1995, p. 725).
6 Voir Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française (1890-1940), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2002.
7 Op. cit., p. 22.
8 Arnold Loos, Die volkssprachlichen Elemente in der Dichtung Verlaines, Münster, Heinrich Pöppinghaus, 1936 (thèse de doctorat de l’Université de Münster).
9 Lazare Sainéan, Le Langage parisien au xixe siècle. Facteurs sociaux, contingents linguistiques, faits sémantiques, influences littéraires, Paris, de Boccard, 1920. Malgré le sous-titre de son étude, Sainéan ne réserve qu’une mention lapidaire à Verlaine : « parmi les poètes contemporains, Verlaine use souvent de parisianismes » (p. 542, suivie de sept exemples, tardifs pour la plupart).
10 Carol de Dobay Rieelj, Word and Figure. The Language of Nineteenth-Century French Poetry, Columbus, Ohio State University Press, 1987.
11 « On puise [dans les mots populaires] mais sans que jamais l’auteur soit entraîné à rabaisser son style à leur niveau, de sorte qu’on trouve des mots populaires partout et le parler populaire nulle part » écrit Ferdinand Brunot dans « La langue française de 1815 à nos jours », Histoire de la langue et de la littérature française, éd. L. Petit de Julleville, t. VIII : Dix-neuvième siècle. Période contemporaine (1850-1900), Paris, Armand Colin, 1899, p. 773.
12 Voir Gilles Philippe et Julien Piat (éd.), La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard, 2009, p. 58-59.
13 Excellent latiniste puis poète académique plusieurs fois couronné, Amédée Pommier (1804-1877) devait lâcher la bonde à sa verve satirique après 1848 (voir L’Enfer, 1856, qualifié d’« épopée burlesque » par Asselineau).
14 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, t. XIII : L’époque réaliste, 1re partie : Fin du Romantisme et Parnasse par Charles Bruneau, Paris, A. Colin, 1953, p. 273-274.
15 « Depuis une trentaine d’années [1870], nous assistons à une véritable invasion. Tout conspire à favoriser le progrès de l’argot, l’anarchie qui est dans la langue et la démocratie qui grandit dans l’État » écrivait Ferdinand Brunot en 1899 dans « La langue française de 1815 à nos jours », op. cit., p. 834.
16 Henry Houssaye, « Le Vin bleu littéraire », Journal des débats, 14 mars 1877, dans Emile Zola, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1998, p. 116.
17 Verlaine, qui fit tant pour réhabiliter Corbière, ne lut Les Amours jaunes qu’en 1883, sur les conseils de Léo Trézenik.
18 Ferdinand Brunetière, « De la déformation de la langue par l’argot », Revue des deux mondes, t. XLVII, n° 3, 1881, p. 934-944.
19 « J’fus pincé dans un quadrille / Par ses yeux noirs en trous d’vrille, / Ses ch’veux qu’elle app’lait des crins / Étaient tout jaun’s comm’des s’rins / Et puis son p’tit bec si rose / Qui m’disait : paie donc quequ’chose ! » (Œuvres complètes, éd. Louis Forestier et Pierre-Olivier Walzer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1970, p. 392-393).
20 Voir Noël Richard, À l’aube du symbolisme, Paris, Nizet, 1961.
21 Voir un aperçu de cet idiolecte dans Ken George, « The language of Verlaine’s letters : a source of light relief », French Studies Bulletin, No. 2, Autumn 1989, p. 3-5 et du même auteur, « La violence langagière chez Verlaine », Revue Verlaine, n° 5, 1997, p. 117-120. Plus riche est la préface de Michael Pakenham à son édition de la Correspondance générale de Verlaine, t. 1 : 1857-1885, Paris, Fayard, 2005, p. 17-21.
22 Le cas de La Bonne Chanson, formé de poèmes envoyés à Mathilde alors courtisée par Verlaine, est exemplaire.
23 Voir l’Album zutique [1871-1872], fac-similé du manuscrit original, présentation, transcription typographique et commentaire de Pascal Pia [1961], Genève-Paris, Slatkine, 1981 et Dixains réalistes par divers auteurs, Paris, Librairie de l’eau-forte, 1876 et Éditions des cendres, en l’an zéro [sic]. On compte parmi les principaux auteurs de ces « Coppées » : Rimbaud, Verlaine, Charles et Antoine Cros, Nouveau, Richepin, Ponchon, Rollinat.
24 Lettres à Léon Valade du 14 juillet 1871 et à Émile Blémont du 22 juillet 1871, Correspondance générale, éd. cit., p. 204, 208. Sur la métrique des « Coppées », voir Jean-Louis Aroui, « Quand Verlaine écrit des dizains : Lews Coppées », L’École des lettres, second cycle, 87e année, n° 14, juillet 1996, p. 137-150.
25 « Vieux Coppées », dans Cellulairement [ca. 1875], Le livre de poche Classique, 2e éd. revue, 2010. Voir Arnaud Bernadet, « Les "Vieux Coppées" de Verlaine : histoire d’une manière », Romantisme, n° 148, 1er trimestre 2010, p. 91-102. Contrairement à ce qu’écrit Jean-Louis Aroui (art. cit., p. 141), Charles Cros n’inséra les quinze « Coppées » publiés précédemment dans les Dixains réalistes que dans la deuxième édition du Coffret de santal (1879).
26 Voir le fac-similé dans Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, succession Jean Hugues, Paris-Drouot, 20 mars 1998, face au n° 80. La lettre du 22 août qui contient les « Coppées » ne fut envoyée que le 8 septembre avec le « Final » de Cellulairement.
27 Tel était en effet l’objectif de Verlaine qui, au moment où il préparait sa rentrée littéraire, indiquait à Charles de Sivry : « quelques “Coppées” mais pas sous ce titre (fichtre !) pourront ainsi être retapés et paraître » (lettre du 6 février 1881, Correspondance générale, éd. cit., p. 691).
28 Voir la lettre de Mallarmé à Verlaine du 19 décembre 1884 : « rien ne ressemble moins à un caprice que votre art agile et certain de guitariste : cela existe ; et s’impose comme la trouvaille poétique récente » (Correspondance, éd. H. Mondor et L. J. Austin, Paris, Gallimard, t. 2, 1965, p. 276).
29 Voir Carol de Dobay Rieelj, op. cit., p. 107-108.
30 Sur l’aspect performatif de ce poème, ibid., p. 120-125.
31 Ces poèmes sont reproduits en appendice, aucune édition des œuvres complètes de Verlaine n’en donnant à ce jour une version satisfaisante.
32 Voir Gisèle Vanhese, « Reflets ardennais dans l’œuvre de Rimbaud », Saggi e ricerche di letteratura francese, vol. 22, 1983, p. 287-307 et Jean-Pierre Chambon, « Quelques remarques sur la prononciation de Rimbaud, d’après les “Coppées” IV à IX de Verlaine », Circeto, n° 1, octobre 1983, p. 6-12. La mention « L’accent parisiano-ardennais desideratur » figure en marge du dizain « C’est pas injuss’… » dans la lettre à Delahaye du 24 mars 1876. Contrairement à ce qu’indique J. Borel (Verlaine, Œuvres poétiques complètes [1962], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1977, p. 1142), cette indication ne figure pas aussi en marge de « Je renonce à Satan. » (voir Ernest Delahaye, Verlaine, Paris, Messein, 1923, p. 230).
33 Comme l’écrit Charles Bruneau, « il serait de la dernière imprudence de considérer les Vieux Coppées de Verlaine comme des documents sur le parler de Charleville, vers les années 1870 » et le linguiste d’ajouter : « ce mélange pénible de grossièreté gratuite et de froides plaisanteries [sic !] n’ajoute rien à la gloire de Verlaine » (« Le patois de Rimbaud », La Grive, n° 53, avril 1947, p. 3).
34 Ernest Delahaye, op. cit., p. 230 : « Pour expliquer le grasseyement faubourien, si drôlement exagéré, qu’il prête à sa victime, je dois dire que Rimbaud, venu à Paris avec un bel accent ardennais, […] s’était de suite appliqué à perdre ce provincialisme, et qu’au bout d’un mois, pas plus, il prononçait exactement… comme à Belleville ; c’était du parisien, sans doute, mais qui fut d’abord un peu “luchebem” pour devenir bientôt, d’ailleurs, tout à fait correct. »
35 « Vingince strasse » dans un dessin illustrant « C’est pas injuss’d’se voir… » dans la lettre à Delahaye du 25 mars 1876 (Correspondance générale, éd. cit., fac-similé p. 498).
36 Jean-Pierre Chambon, art. cit., p. 10.
37 Charles Nisard, « Étude sur le langage populaire ou patois de Paris et de sa banlieue », Revue de l’instruction publique, t. XIV, 1872, p. 395, 396. Voir Edgard Monteil, Cornebois, Paris, Charpentier, 1881, p. 128 : « – Vengeance ! – On prononce “vingince !” ; c’est plus distingué » et Mac-Nab, Poèmes incongrus, Paris, Vanier, 1891 : « Et l’sang du peup’il crie vingince ! » (« L’Expulsion »), vers cité par Verlaine dans ses Confessions (I, 12).
38 « les saisons d’eaux et les tourisses, eût dit Rimbaud » (lettre à Cazals du [25 août 1889], dans Georges Zayed, Lettres inédites de Verlaine à Cazals, Genève, Droz, 1957, p. 170).
39 Correspondance générale, éd. cit., p. 163, 502 : « la station ousquynia un bouquinisse et un chand d’journals ».
40 Voyez Heny Bauche, Le Langage populaire, Paris, Payot, 1928, p. 51 : iste > isse (artisse) ; uste > usse (busse). On trouve artisse chez Richepin (« Sans domicile », La Chanson des Gueux, éd. définitive, Paris, Dreyfous, 1881, p. 166).
41 Gna pour [il] n’y a dans « Pleine eau » (Jean Richepin, op. cit., p. 116) ; magnièr’s pour manières dans « À Batignolles » (Aristide Bruant, Dans la rue, Paris, chez l’auteur, s. d., p. 18) ; gn’en pour [il] n’y en dans « Le piège » (Jehan Rictus, Le Cœur populaire, Paris, Rey, 1914, p. 15).
42 Œuvres en proses complètes, éd. cit., p. 69, 86, 128, 171, 173, 176, 178, 181, 200, 364-365, 493-494, 495, 557, 834, 902, 1040, 1067, 1074, 1075, 1077 sqq, 1079.
43 Sagesse, I, IV et le commentaire de Verlaine dans l’exemplaire annoté du comte de Kessler : « À propos d’Arthur Rimbaud, Arras, 7bre ou 8bre 1875. (Après coup je me suis aperçu que cela pourrait s’appliquer à “poor myself” !) »
44 Œuvres en prose complètes, éd. cit., p. 594.
45 F.-A. Cazals et Gustave Le rouge, Les Derniers Jours de Paul Verlaine, Paris, Mercure de France, nouvelle éd., 1923, p. 224, 227, 229. Cazals publiera seul Le Jardin des ronces. Poèmes et chansons du pays latin, Paris, Éditions de La Plume, 1902.
46 Voir l’appendice. Un manuscrit de cette chanson porte, de la main de Verlaine, la date 1868. Voir aussi « La machine à coudre et le cerf volant » et « Allez au boul’vard Saint-Michel. », Œuvres poétiques complètes, éd. Y.-G. Le Dantec et J. Borel, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1974, p. 126-128.
47 Edmond Lepelletier, Paul Verlaine. Sa vie, son œuvre, Paris, Mercure de France, 2e éd., 1923, p. 179. Voir aussi Steve Murphy, Marges du premier Verlaine, Paris, Champion, 2003, p. 217-227.
48 Edmond Lepelletier, op. cit., p. 180-181. L’anecdote remonte probablement au début des années 1860.
49 Voir Œuvres en prose complètes, éd. cit., p. 217 (« pur argot »), 271 (« en argot »), 296 (« locution faubourienne »), 400 (« terme un peu argotique »), etc.
50 Voir ci-dessous et Correspondance générale, éd. cit., p. 361.
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