Géographie d’une île et d’une ville-port : Rhodes
p. 19-38
Texte intégral
La configuration du territoire n’est pas difficile à définir, encore que sur certains points il faille tenir compte des spécialistes…
Aristote, Politique
1À Rhodes, de nombreux facteurs géographiques interviennent pour rendre compte de la physiographie de l’île et de l’investissement de la ville-port fortifiée, entité reconnue dès l’Antiquité. Les profils des reliefs déterminés par des failles actives constituent autant d’amers singuliers qui guident la navigation entre les îles des Sporades méridionales que l’on peut aborder à partir de multiples entrées, ce qui fait de Rhodes une terre exposée autant aux dangers de nature qu’aux risques d’œkoumène. L’aspect des côtes qui résulte de la position de l’île à l’extrémité orientale de l’arc égéen, explique la généralisation des falaises accores d’accès difficiles, les mouillages en rade incertains et l’abordage du rivage délicat. Le cycle annuel des vents et la variabilité météorologique des jours et des saisons interviennent sur le déroulement d’un siège plus que les courants ou les marées. Enfin la ville-port étendant son territoire autant en mer que dans l’arrière-pays insulaire devient objet d’enjeux que la géographie territoriale élaborée par les hommes, expose au risque de la guerre et d’un siège.
2En Méditerranée orientale, une ville-port fortifiée, entité urbaine reconnue et théorisée dès l’Antiquité1, peut subir, au cours du temps, des périodes de désordre d’origines diverses, en raison de sa position géographique et de sa situation géopolitique dans l’œkoumène.
3Les dommages subis, confirmés par l’histoire, sont causés par des dangers de nature2 : séismes et tsunamis, houle de tempête dévastatrice, crues, froidures intenses et sécheresse prolongée, ou par des risques d’œkoumène : guerre3, incendie, famine, épidémies. Autant d’éléments qui ont conditionné l’abord de l’île de Rhodes, favorisé ou non l’investissement de la ville et de son port et contraint son territoire.
RHODES : UNE ÎLE ET UNE VILLE-PORT INSCRITES DANS UNE GÉOGRAPHIE CINDYNOGÈNE
4Pendant l’Antiquité et au Moyen Âge, l’île et la ville-port de Rhodes ont subi et enduré les vicissitudes provoquées par différents aléas qualifiés de cindynogènes, car porteurs de périls pour les humains : soit les séismes de 228 av. J. -C.4, de 152, 515, 1304, 1481, 1851 et 1863, la tempête de 1476, soit les épisodes de siège pendant l’Antiquité en 3055 et 42 av. J. -C., et à l’époque médiévale en 1309, et 1444, 1480, 1522.
5Au cours d’un siège6, de multiples facteurs géographiques et géopolitiques peuvent faciliter ou contrarier l’approche de l’île et l’investissement de la ville : les conditions nautiques (vents, fonds marins, courants et types de traits de côte) préoccupent les flottes chargées du contrôle du port comme du débarquement des hommes ; la variabilité annuelle des types de temps inquiète le commandement chargé d’établir les troupes à terre et d’assurer leur maintien ainsi que la sûreté des bateaux au mouillage ; de même, les particularités du site et les ressources de la chôra, comme l’environnement de l’île proche et lointain, associant relief, modelé et couvert végétal, intéressent les intendances soucieuses de la conduite du siège et de l’existence journalière des protagonistes ; enfin, à l’échelle du bassin oriental de la Méditerranée, en relation avec la nature de l’arrière-pays insulaire et de l’avant-pays marin, en accord avec la configuration d’un territoire inscrit dans un cercle de vision et de vigie établi à terre et au large, à partir de points hauts locaux, ou insulaires et continentaux voisins, la situation de l’île dans l’arc égéen et le site de la ville-port fortifiée à son extrémité nord se révèlent avantageux pour surveiller l’espace marin et les routes les plus suivies qui aboutissent à son port. En état de siège, Rhodes s’appuie donc pour résister autant sur le milieu physique que sur un territoire aussi bien terrestre qu’off shore.
LES SAISONS ET LES JOURS DE LA NAVIGATION
6La géographie dans laquelle s’inscrit l’île de Rhodes est marquée par le rythme saisonnier du climat méditerranéen qu’illustrent l’existence de vents changeants7, la récurrence de types de temps instables, la soudaineté des tempêtes, la fréquence et l’intensité d’événements parfois dramatiques liés aux températures excessives et aux pluies violentes.
7Il est en effet notifié dans les Instructions nautiques8 qu’à la pointe nord de l’île, en fonction de la direction des vents, les mouillages en rade doivent être déplacés : ainsi, l’entrée du port devient-elle intenable par vents de SE et de NE, et c’est seulement par vent de N-W, l’été, que la rade reste à l’abri des bourrasques jusqu’à environ deux milles dans le S-SE de la tour Saint-Nicolas. En hiver, le meilleur mouillage au large se situe alors dans la baie de Trianda, au
8SW du Kum Burnu (cap de sable, en turc), dit aussi cap Mylon, pointe Zouari, Della sabbia (de sable) ou Molino (36 ° 27’N - 28 ° 14’E).
9En effet, la transformation de la rose des vents observée sur l’année, mois après mois, exprime avec netteté l’opposition si caractéristique du climat méditerranéen qui existe entre les régimes d’été et d’hiver (fig. 1a). À Rhodes, de juin à octobre, les vents soufflent presque exclusivement de l’ouest (75 %), comme le souligne a contrario le très faible pourcentage de vents d’est (5 %). Comme l’île, fuseau allongé SW-NE (80 km x 38 km), oppose deux rivages, l’un NW, l’autre SE, c’est ce dernier, l’été, qui présente le mouillage le plus sûr sur toute sa longueur, car sous le vent des étésiens. À partir de novembre jusqu’en avril, en revanche, les directions prépondérantes du vent sont alternativement de NW et de SE (25 % pour l’une et l’autre de ces directions). À partir de mai, le quadrant ouest s’étoffe pour devenir dominant en juin et introduire à nouveau le régime de la saison estivale. Ce cycle de la rose des vents s’explique par les mécanismes météorologiques et la circulation dynamique de l’air polaire qui en hiver sous la forme de coulées apporte précipitations et froidures et en été, par agglutination, entraîne chaleur et absence de pluie9.
10En Méditerranée orientale, l’air polaire dispose d’une entrée par le nord, entre les massifs des Balkans – Rhodope et les montagnes du Pont – Anatolie (fig. 2). L’intrusion de cet air froid en mer Égée se manifeste par les vents étésiens, annuels et forts (meltem), par de brusques rafraîchissements ou par de rapides réchauffements inattendus en hiver (épisode de tiédeur dénommé jours d’Alcyon) et, en été, par des périodes de forte canicule. Toute l’année en effet, cet écoulement de l’air froid suscite des remontées d’air plus chaud provenant du sud qui, en s’humidifiant sur la Méditerranée, déterminent des précipitations intenses sur les façades occidentales ou méridionales des reliefs sur lesquelles l’air humide brutalement soulevé vient se bloquer et déverser des pluies parfois très abondantes.
11L’autre entrée à l’ouest est celle du détroit siculo-tunisien (fig. 2). Elle facilite l’arrivée des courants aériens froids du bassin occidental qui s’associent par agglutination aux puissantes coulées d’air glacé parvenues en mer Égée. Ces apports accélèrent dans le couloir que ces deux familles d’anticyclones réalisent à leur bordure, le transfert de l’air chaud vers le nord.
12La multiplicité des entrées et la confrontation de ces différents anticyclones polaires mobiles (AMP de Leroux) rendent compte des orages, des pluies violentes qui affectent les mois d’hiver à Rhodes, de la neige sur les sommets de l’île (Atabyros), ainsi que des événements pluvieux paroxystiques qui se situent à l’automne et annoncent la mauvaise saison pour la navigation10.
13Statistiquement, pendant l’hiver, en raison de l’établissement de périodes anticycloniques d’octobre à avril, selon le mois, on recense 14 à 8 jours de calme, toutefois en moins grand nombre en été en raison du meltem. Pour la même durée annuelle, les coups de vent (> 34 nœuds) le plus souvent très soudains, surtout de janvier à mars, s’élèvent au nombre de 3 à 7, selon le mois et font que le mauvais temps est centré sur l’hiver. Ils proviennent du nord et du sud, agrégés à des systèmes dépressionnaires. Ceux de nord dont la vitesse peut atteindre 35 à 50 nœuds (50 à 80 km par heure), sont associés au passage, pouvant durer six jours au plus, de trains de dépressions escortées de grains violents, d’orages, d’averses puissantes, de chutes de neige en altitude, parfois au littoral, et de grêle. Ils sont commandés par l’intrusion des descentes froides septentrionales. Ceux de sud et sud-est dépendent de perturbations d’une durée inférieure à 24 heures qui virent à l’W-NW, s’écoulant selon une trajectoire tendue de l’Eubée à Rhodes. Ils dépendent du couloir de faible pression au contact des AMP W et N (fig. 2). Ce mauvais temps persiste peu, même s’il est caractérisé aussi par la violence de ses météores et par la brutalité d’une houle courte et cassante11.
14Le ciel balayé par un meltem vif, de jour comme de nuit, fait qu’un temps clair, plus frais et peu nébuleux, à l’image des belles journées hivernales, se manifeste également pendant l’été. Les vents étésiens débutent en effet au mois de mai par des brises de N faibles et variables. Puis s’établit un vent de direction NW et W, sec, régulier et persistant, dont 80 % se situent de la mi-juillet à la fin août. Cette régularité est surtout observée au large et dans les passages étroits ; à la côte, l’écoulement peut-être altéré par le régime des brises de terre et de mer ou par les reliefs formant barrage. Ainsi, à Rhodes, des vents rapides, entre 15 et 20 nœuds (24 et 32 km par heure), affectent-ils les mois d’été et influencent-ils la navigation plus que les courants marins dont la vitesse reste inférieure en moyenne à 2 nœuds (3 km par heure) mais qui, eux-mêmes, peuvent être sensibles aux flux aériens. Dans le canal de Rhodes large de 10 milles (18 km), le courant principal qui porte vers l’ouest, est ainsi dévié vers l’île par vent de nord.
15C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’amplitude thermique moyenne entre les maxima et minima journaliers qui selon le mois est de l’ordre de 4 ° à 5 °. Il en est de même pour l’amplitude thermique moyenne entre les maxima et minima mensuels, qui selon le mois est de l’ordre de 12 ° à 8 ° (fig. 1b). Outre l’influence de la latitude, ces faibles valeurs d’amplitude, en particulier celles d’août et de janvier, sont liées à la présence de la Méditerranée, mer plus chaude de 3 ° à 6 ° par rapport à la valeur théorique calculée. À Rhodes, la température moyenne superficielle des eaux est de 16 ° en février, 19 ° en mai, 25 en août, 20 ° en novembre. En été, elle est à 25 m de profondeur de 21 ° et à 3 000 m de 13, contre 3 ° pour les eaux profondes de l’Atlantique.
16Île dans une mer chaude mais dans le flux desséchant des étésiens, l’humidité relative (moyenne annuelle : 68 %, contre 78 % pour Corfou) dépend, en été, des seules brises diurnes. De même, brumes et brouillards par vent de sud affectent le canal de Rhodes qui sépare l’île de la Turquie. Enfin le total annuel des précipitations s’élève à 717 mm, pour 62 jours de pluie centrés sur l’hiver (fig. 1c) (Corfou : 1 230 mm, pour 95 jours de pluie ; Athènes : 394 mm/an). La saison fraîche est la saison pluvieuse, étendue sur sept mois12. L’été (trois mois, de juin à août), est particulièrement sec et n’enregistre aucune pluie. À l’automne, des déluges peuvent provoquer des ravinements, des mouvements de terrain et des crues qui incisent le lit des rivières côtières, comme sur la côte est, au sud de Lindos, celui de la rivière Ghadhoura, caillouteux, large et peu profond, à la morphologie proche de celle d’un oued par ses multiples chenaux d’écoulement en tresse,
17Dans ces conditions, à Rhodes, le climat de l’île est un climat plus côtier que maritime, car il reste méditerranéen par son déroulement et ses caractéristiques. On en retient la mobilité et la variabilité, car la circulation de l’air froid est la cause du temps banal et quotidien, comme de la violence des éléments et de l’intensité des paroxysmes thermiques et pluviométriques qui définissent les types de temps en Méditerranée.
NAVIGATION, ROUTES MARITIMES ET ABORDS DES ÎLES SPORADES
18À l’extrémité orientale de l’arc égéen, naviguer dans les Sporades méridionales, c’est d’abord rencontrer une bathymétrie profonde, atteignant 200 m à 400 m entre les îles. Ces profondeurs accusées sont en outre proches du trait de côte. Si elles facilitent la navigation au plus près, l’absence ou l’étroitesse des petits fonds gêne le mouillage, même si les atterrissements en rade y sont le plus souvent sains (fond sableux ou vase consistante). Cette facilité est également d’autant plus assurée que les marées sont faibles (< 50 cm). Cependant les vents entre S et W élèvent le niveau de la mer, alors que ceux entre N et E l’abaissent. Mais, même dans ces deux derniers cas, l’ampleur reste faible (à peine > 50 cm).
19Naviguer dans ces eaux, c’est aussi rencontrer un système de courants généraux moins contraignants pour la navigation que le vent (fig. 3). Le long de la côte turque méridionale s’écoule un courant en direction de l’ouest. Il pénètre en mer Égée après avoir croisé un courant N-S venu des Dardanelles. Ce dernier se dédouble en longeant au plus près, à l’E, la côte anatolienne, tandis que la branche W sort entre la Crète et Rhodes, de part et d’autre des îles Kassos et Karpathos. Le point de rencontre de ces différents courants qui s’écoulent à une vitesse relativement lente13 se situe autour de Nisyros, île aux eaux caractérisées par la présence de courants divers et par l’agitation d’une mer croisée.
20C’est aussi, pour aborder l’île, naviguer dans l’archipel après y avoir pénétré par plusieurs entrées possibles (fig. 3) : au nord, celle du détroit de Chio, avoisinant Samos, doublée à l’ouest par celle de Fourni (36 ° 40’N - 26 ° 34’E), au courant portant toujours au nord, et s’ouvrant vers le sud sur une route de navigation située à l’ouest de Patmos, Léros et Cos14 ; ou bien depuis les Cyclades, l’entrée NW qui se situe entre Kinaros et Astipalaia ; ou au sud, celle qui correspond aux détroits de part et d’autre de Kassos et de Karpathos. Engagé au sein du Dodécanèse, et quelle que soit l’entrée, tout navire s’aligne alors sur l’îlot Kantalousa (36 ° 29’N - 26 ° 58’E), haut de cent mètres, qui joue le rôle d’un amer d’orientation majeur ; de là, le débordant et passant à l’ouest de Nisyros et au sud de Symi, le navigateur se dirige vers Rhodes, virant à la pointe Zouari derrière laquelle est situé le port de la ville.
21Enfin, venant du Levant et de Chypre, longeant la côte anatolienne, on pénètre dans le canal de Rhodes, profond et sain, pour s’aligner sur l’entrée du port.
AMERS ET ATTERRISSAGES AUX ÎLES DU DODÉCANÈSE
22Naviguer dans le Dodécanèse, c’est donc passer entre les îles qui ont pour la plupart le même caractère accidenté que la côte d’Asie Mineure. Elles offrent pour une navigation au plus près, de bonnes marques de reconnaissance pour les atterrissages, à part certains secteurs comme au périmètre des îles Léros, Lepso et Arki encombré de roches ou à l’extrémité de certaines pointes malsaines, comme la pointe Kinduno (36 ° 22’N - 27 ° 26’E) dans l’île de Tilos, ou comme pour Kalymnos, la côte sud, secteur dangereux, accidenté et accore, précédé des îlots Nera et Saphonidi (fig. 3).
23Les îles du Dodécanèse, reliefs à périmètre parfois malaisé, présentent en effet une grande diversité de profils et offrent ainsi des amers reconnaissables. À Rhodes, le mont Filérimos (276 m), lanière de plateau, se distingue par sa forme rectangulaire boisée ; le mont Paradissi (271 m) dissymétrique, par son revers incliné vers la mer ; le mont Prophète Élie (798 m), par sa forêt d’altitude ; le mont Atabyros (1 215 m), par sa couleur brun rougeâtre et son sommet plat ou, au sud, le cap Prassonisi (35 ° 52’N - 27 ° 47’E), assimilable à une île, juste rattaché à l’arrière-pays par un isthme sableux bas (fig. 4). Autres amers, les caps élevés qui portent un château établi parfois depuis l’époque byzantine, ou bâti et tenu par les chevaliers de Rhodes et par la suite occupé ou délaissé par les Ottomans, comme à Lindos et à Malona, le château de Faraclos pour surveiller la mer à l’est, ou à l’ouest, veiller sur le couloir de navigation des Sporades méridionales, soit depuis le cap Capri, soit au pied du mont Acramytis (825 m), depuis le château de Monolithos. Des forts sont aussi présents dans les îles avoisinantes : à Symi, à l’entrée du canal de Rhodes, ou à Tilos, Nisyros, Cos, Léros, ou sur le continent anatolien, à Bodrum, vigies de la route de navigation vers la mer Noire, ou encore à Karkia, île toute proche de Rhodes, à l’ouest, sentinelle de tout passage vers la Crète ou le delta du Nil (fig. 3 & 4). Car, depuis Aristote, il est reconnu qu’« un territoire qu’on peut ainsi embrasser d’un seul coup d’œil est aussi un territoire facile à défendre15 ».
24La géographie de cet archipel caractérise une contrée où les possibilités d’échouage sur une plage ou d’escale dans une baie abritée sont rares (fig. 3). À l’intérieur du cercle de vigilance, les îles les moins grandes (moins de 100 km2 : soit par ordre décroissant, Léros, Kassos, Tilos, Nisyros, Patmos, Astipalaia et Symi) développent en effet le plus souvent des côtes à falaises rocheuses, généralement accores, difficiles d’abord, inégalement indentées, ne proposant des mouillages sûrs que lorsque les baies sont ouvertes vers le sud. Elles peuvent être précédées d’écueils et de hauts fonds, parfois peu couverts, qui entraînent un large tour aux pointes, surtout de nuit. Les plus grandes, par ordre décroissant, Cos, Karpathos et Kalymnos (entre 300 et 100 km2), possèdent, ainsi que Rhodes la plus grande île des Sporades (1 400 km2) (fig. 4), outre des côtes à falaises accores et des secteurs rocheux et bas précédés d’îlots, des cordons littoraux de galets ou de sable, localisés à l’embouchure des rivières ou au droit des falaises des séries sédimentaires qui ont ennoyé les reliefs à l’origine des îles.
25À Rhodes, la pointe nord, basse, offrant des plages de chaque côté, est un type de côte unique dans l’archipel, le seul à fixer, depuis 408 av. J. -C., une villeport qui accéda dans l’Antiquité, par son plan milésien et par sa situation, à la particularité et au rang de cité ou de métropole hellénistique, malgré le risque accru que faisait courir, au moment de la prise de la ville, son plan géométrique, à l’inverse du plan à ruelles étroites et enchevêtrées, devenant un labyrinthe dangereux pour les assaillants qui auraient forcé les remparts16.
26En somme, la navigation se mène à vue entre des îles dont les abords et les atterrissages sont délicats et où les secteurs de débarquement sont rudimentaires, en dehors de quelques quais installés à l’abri des vents de N et NE. Les mouillages en rade obligent à filer une bonne longueur de chaîne en prévision de coups de vent, de bourrasques locales soudaines et de rafales descendant des hauteurs17. Un territoire terrestre et marin donc qu’il s’agit de maîtriser à toutes échelles géographiques et géopolitiques de cette région placée à l’articulation de l’Égée et de l’Anatolie18.
TERRITOIRE DE RHODES : À TERRE ET OFF SHORE
27L’espace urbain et le territoire insulaire sont autant de nature géographique que d’ordre géopolitique, comme le montrent le site de la ville et la situation de l’île et du port à l’intérieur des Sporades (fig. 3 et 4), à l’échelle de la Méditerranée orientale.
28Avant qu’Aristote n’ait développé sa réflexion sur les villes-port qu’il souhaitait de préférence fortifiées, et sur leur « emplacement […] favorable aussi bien du côté de la mer que du côté de la campagne19 », ainsi que ses idées sur leurs structures matérielles caractérisées par leur situation, leur exposition, la disposition organisée des quartiers avec les rues, l’alimentation en eau de pluie à partir de citernes et de fontaines et l’évacuation des eaux usées, comme ses propositions sur la répartition des établissements publics et l’agencement des communications entre la ville et son port20, Rhodes avait adopté un plan géométrique inspiré de celui d’Hippodamos de Milet, et dont l’extension pouvait facilement se déployer et englober collines, plaine et piémont littoral bien ventilé, selon les principes d’hygiène d’Hippocrate élaborés à Cos sa voisine. On retrouve toujours cet ordre architectural rigoureux, formel et cohérent, dans le tracé rectiligne et parallèle de certaines rues de la ville médiévale. On repère même son maintien ou son application dans le plan quadrillé des rues de la ville moderne.
29La géographie de l’île compose un territoire dans lequel la morphologie rend compte de la dynamique du climat. Ainsi la rugosité du terrain affecte-t-elle les basses couches atmosphériques les plus actives, les coulées froides en effet n’ont pas plus de 1 500 m d’épaisseur. Aussi les reliefs dont l’altitude peut atteindre 1 200 m, dirigent-ils leur trajectoire ou modifient-ils leur direction. En outre, comme au point géométrique de la rencontre ou de l’interférence des masses d’air se creuse un couloir, le courant dépressionnaire qu’il canalise, peut être violemment soulevé face à un obstacle, ce qui enclenche de violentes précipitations et explique le total pluviométrique de l’île. Mais si les hautes pressions se collent au relief, elles comblent le couloir, interrompent l’alimentation hydrique et entraînent des pluies de poussières sahariennes, des rafales de vent et une vigoureuse houle de sud dont souffre le port. De ces mécanismes influencés par l’orographie résulte toute l’année une série d’événements météorologiques inattendus, moindres en été, mais qui rendent en hiver l’entrée au port difficile.
30En outre, la dissymétrie que crée la disposition des reliefs – les plus hauts sommets se localisent au centre –, se traduit par une opposition paysagère à l’échelle de l’île : la façade ouest au vent est plus humide que le versant oriental sous le vent, et le sud de l’île plus sec que le nord mieux situé sur la trajectoire habituelle des dépressions. Aussi le couvert végétal oppose-t-il les forêts de sapins des plus hauts massifs de la façade ouest aux bois de pins des versants plus secs et ravinés de la côte est21.
31Autre facteur géographique, l’organisation structurale que souligne l’opposition paysagère. L’île fait partie de l’arc égéen dont l’origine dépend de la tectonique des plaques. Elle appartient à la guirlande des îles externes, formées de croûte continentale22 et proches de la fosse de subduction de la mer de Libye où disparaît la plaque africaine portée par le vieux fond océanique de la Téthys. À l’intérieur de la plaque égéenne, en revanche, le volcan Nisyros, proche de Rhodes, et les îles comme Cos, Santorin, Milos, comptent des faciès de roches éruptives liées à l’arc volcanique associé à ce type de structure23 (fig. 5). L’ensemble est en outre découpé par des failles actives, comme le prouvent les séismes24 qui ont affecté Rhodes de tout temps (séismes, entre autres, de 228 av. J. -C. ou de 148125), comme l’expriment les reliefs par leur débitage en blocs géométriques, entre autres le mont Arkhangélos avec son flanc oriental affecté par un étagement en marches successives de littoraux anciens soulevés.
32Cet agencement morpho-structural commande la physiographie de l’île. La topographie est organisée du côté de la façade occidentale selon une voûte centrale qui culmine à 1 215 m au mont Atabyros. Alors qu’au SW, elle se dissocie en blocs pouvant s’élever à 800 m, au NE, elle s’abaisse progressivement – à peine 300 m au mont Filérimos dont les basses pentes ont servi d’acropole à la ville de Rhodes (mont Smith). Du côté de la façade orientale, le relief morcelé s’élève entre 500 et 300 m. C’est, de part et d’autre d’une ligne Camiros-Lindos, autant de blocs au sud séparés par des couloirs aux bassins-versants très ravinés qui s’opposent au nord, à un pays de collines basses et de replats étagés. Les villages y disposent de terres cultivables, localisées dans les vallées, les petites plaines et au dos de dépôts alluviaux côtiers situés à l’embouchure des rivières. L’irrigation rendue possible par captage de sources ou, à partir d’éoliennes à roue ou chaîne à godets (moulins), puisant l’eau des nappes phréatiques contenues dans les roches réservoirs du Levantin (grès et calcaire), assure par aqueducs et rigoles l’arrosage entre autres des jardins et des vergers de la plaine de Rhodes26.
33En effet, autour de la ville, s’observe une topographie moins contrastée. L’acropole antique et la butte dont le substrat calcaire sert de soubassement au palais du grand-maître et aux remparts, sont bornées à l’ouest par la tranche d’une falaise ravinée et, au nord, par un talus dont le profil a été rectifié en glacis jusqu’à se raccorder au plat pays littoral de la pointe Zaouri. Au sud et à l’est s’étend par contre une plaine, actuellement très construite, qui se raccorde aux basses pentes du mont Filérimos, l’acropole de l’ancienne Ialysos. Elle offre un terrain uniforme ; en effet, ni relief affirmé, ni ravinement profond ne peuvent lors d’un siège gêner autour de la ville le déploiement des cantonnements de l’ennemi.
34À ces caractéristiques géographiques du milieu, il faut ajouter une dimension géopolitique ajustée à la géographie qu’élabore une communauté, en relation avec l’usage des lieux qu’elle décide, en fonction de sa conception du monde et de l’espace sur lequel elle veut exercer son autorité. À l’échelle de l’île, la mer est un territoire organisé autour du couloir de navigation qui du Bosphore conduit vers le delta du Nil. À l’échelle de la ville-port, dès l’Antiquité, ce couloir fut le lieu géométrique de l’hexapole associant aux trois villes principales de l’île, Ialysos, Camiros, Lindos, Cos, sa voisine, ainsi que Cnide et Halicarnasse en Asie Mineure. Il l’est resté après la fondation de la ville-port en 408 av. J. -C., et fut l’enjeu de la diplomatie rhodienne comme l’établit le siège de 305 av. J. -C., car Rhodes, l’île comme la ville, contrôle et verrouille aussi le passage entre l’Égée et la Méditerranée orientale. Plus tard, les forts en furent les postes frontières comme le soulignent les sièges de 1480 et 1522 (fig. 6). À l’échelle du Dodécanèse, les îles des Sporades méridionales27 ne sont pas non plus des lieux toujours amènes pour la pêche côtière, le cabotage ou la navigation hauturière pratiquée en Méditerranée (fig. 3). Le long de ce couloir de navigation qui longe aujourd’hui à nouveau une frontière, se distribuent des îles de toutes tailles, peu habitées, au paysage côtier austère, rébarbatif, et même hostile comme le confirme la silhouette des sites fortifiés perchés. Lieux exposés autant aux risques d’œkoumène qu’aux dangers de nature : leurs côtes ont servi aussi bien d’abri aux pirates (Léros, dans l’Antiquité) qu’aux flottes chargées de les pourchasser (Astipalaia, à l’époque romaine). Les hautes falaises les rendent difficiles d’abord ; les revers des blocs bas et rocheux ne sont pas plus hospitaliers, frangés de récifs et de hauts-fonds peu couverts, les baies même abritées des vents, comme l’anse fermée Saint-Paul à Lindos, sont rares, parfois étroites, précédées de roches et bancs à leur voisinage, impropres à l’activité d’une flotte de commerce. Enfin les cordons littoraux des côtes alluviales, en raison souvent d’une mauvaise exposition aux vents ou de la nature ingrate des petits fonds, ne présentent pas toujours des atterrissements sains et des mouillages sûrs.
35Des traits paysagers de cet ensemble insulaire, on retient que les îles sont des lieux aux rivages incommodes. Seul le secteur du cap Zouari, mieux que les secteurs côtiers de Lindos ou de Camiros, et mieux qu’à Ialysos où le rivage à falaise de la baie est exposé aux vents de NW, les plus fréquents à la belle saison, proposait le meilleur site portuaire possible, malgré des insuffisances, en particulier s’il s’agit de se protéger des vents, en hiver. Le rivage NE, bas et sableux, par sa position en bordure d’une plaine littorale28, est facilement aménageable, en raison de la présence de petits fonds aux atterrissements consistants pour un mouillage en rade ; des écueils offrent aussi un support stable aux môles indispensables à dresser contre les vents du quadrant NE à SE, les plus fréquents dans l’année – les moulins du môle le rappellent –, et contre les houles que ces derniers produisent. Il faut ajouter la situation à l’articulation d’une mer Égée encombrée d’îles au nord, enjeux des thalassocraties, et d’un bassin libre, à longue course au vent, vers les états d’Égypte ou du Levant, ouvrant au sud un vaste espace où commercer ou bien mener, à partir de Rhodes, dans le territoire relevant de l’ordre, des actes de piraterie et une guerre de course29.
LE PORT SOUS LA GARDE DES REMPARTS
36Ce territoire marin off shore, à horizons immédiats et lointains, pourvu de châteaux et ouvert sur de multiples routes de navigation, avait pour but de constituer une géographie favorable aux activités du port de Rhodes. Les bassins sont creusés dans le remblaiement de la plaine ou gagnés sur les petits fonds prélittoraux. Ils sont défendus contre la houle par des digues dont certains segments datent de l’Antiquité, alors que d’autres ont été érigés ou renforcés à l’époque médiévale, démontrant la persistance de la dimension géopolitique du lieu et de son usage, malgré les dangers de nature et les risques d’œkoumène. Le port comporte actuellement quatre bassins30.
37Le bassin Mandraki, le plus au nord, dragué à 5 m, est protégé à l’est par un môle antique à l’extrémité duquel se situe le fort Saint-Nicolas, lui-même élevé peut-être à l’emplacement du colosse dédié à Hélios, abattu par le séisme de 228 av. J.-C.31, et dont l’érection est la conséquence directe du siège de 305 av. J. -C. Le bassin dont le quai s’appuie sur le cordon sableux est aujourd’hui protégé au nord par un môle (pointe du Lazaret), assis sur un haut-fond (les roches Colonna) ; en retrait, l’entrée est elle-même en partie fermée par des digues transverses, ainsi mieux protégée qu’autrefois.
38Décalé vers le sud, le port central ou du commerce est inséré dans le système des fortifications de la ville médiévale puisque la digue nord fortifiée porte la base de la tour de Naillac, dite également tour des Arabes, construite à même le rocher, et que les quais sont bordés par les remparts de la ville. Au sud, sa protection est constituée par le môle hellénistique Ayios Angélos (pointe Kandia et la tour des Moulins), enchâssé dans les quais modernes, confortés euxmêmes, actuellement, par des épis et des enrochements. L’entrée du port ainsi balisée32 mesure 200 m de large. Ouvert au nord, il est malaisé d’y manœuvrer par grand frais de NE. Il devient intenable par vents de SE à l’origine d’une forte houle. La profondeur du bassin est de 8 m.
39La baie d’Acandia, plus au sud, est définie artificiellement par un môle N-S implanté au sud, ébauché peut-être dès la fin de la période médiévale33. Un brise-lames protège son entrée contre les grosses houles de SE qui tournent à la pointe du môle oriental.
40Le quatrième, au droit de Rodini, décalé au sud, établi sur les petits fonds prélittoraux, est limité par une digue qui protège de la houle du sud-est. Il a été réalisé récemment en relation avec l’activité touristique de l’île.
41De ces quatre bassins, le dernier est le plus récent (dernier quart du XXe siècle). Les deux premiers sont délimités depuis l’Antiquité. Le bassin principal est le plus inséré dans le système de défense34, alors que le bassin Mandraki, en partie hors les murs, avant les réfections ultérieures, devait constituer un plan d’eau dont la plage pouvait être utilisée comme un port à « sec » ou d’échouage pour la construction et l’entretien des bateaux, si on tient compte de la nature du littoral, de son tracé et de l’usage qui en était fait, il y a encore deux siècles35.
RHODES : GÉOGRAPHIE, TERRITOIRE ET GUERRE
42Associer les répercussions de la dynamique du milieu physique, le territoire étendu sur mer et sur terre, et la guerre comme risque d’œkoumène conduit Rhodes, à travers l’expérience historique d’un siège, à éprouver l’existence tangible d’une géographie cindynogène (fig. 6).
43L’île comme la ville-port s’inscrivent à l’intérieur d’une géographie de type méditerranéen : soit un milieu dont le rythme climatique saisonnier oppose un été chaud et sec à un hiver plutôt tiède et humide, marqués l’un et l’autre par la grande variabilité des conditions météorologiques et l’excès de paroxysmes pluviométriques et thermiques inattendus qui peuvent modifier l’environnement et sa maîtrise. Mobilité également d’origine tectonique de type distensif au front de l’arc égéen dont relèvent les séismes destructeurs comme celui de 228 av. J. -C. et celui de 1481. À cette géographie physique frappée d’instabilité, il faut joindre la géographie qu’élaborent les hommes, celle qu’induit l’œkoumène. Objet de convoitise, sujet de récits de siège et de chroniques de désastre36, elle repose sur une mosaïque territoriale susceptible de subir des modifications rapides en cas de crise.
44La position « jalouse »37 de la ville-port à l’extrémité nord de l’île démontre que Rhodes reste plus tournée vers la mer que vers son arrière-pays. La mer est son territoire, peut-être plus que les terroirs insulaires38, car en dehors des alliances, les châteaux à la côte ainsi que les forteresses des îles voisines font partie d’un système défensif et sont autant de vigies d’un territoire militaire (fig. 6) dont le cercle de vision, établi pour la protection de l’île et la défense des routes qui y mènent, est dirigé vers le large, vers la Crète et l’Égypte, vers l’Égée, l’Anatolie et la mer Noire, ou vers le Levant. L’île se trouve ainsi face aux intimidations et envies des territoires voisins, liées aux cupidités qui se manifestent, en raison des échanges qui s’organisent autour du port, au seuil du domaine égéen et de ses prolongements vers l’Hellespont et le Levant. À l’époque de l’expansion romaine en Méditerranée orientale, Délos fondée en rivale de Rhodes, appartint à une géographie territoriale nouvelle qui se révéla cindynogène, puisqu’à l’origine du déclin du port, comme le fut aussi après sa conquête l’insertion de l’île dans l’Empire ottoman. La situation cindynogène explique la diplomatie de Rhodes, les sièges qu’elle a supportés, ainsi que les mouvements de solidarité que les avanies subies ont pu parfois susciter en sa faveur, au sein du bassin oriental de la Méditerranée.
45Le temps d’un siège se déroule dans cette géographie porteuse de risques39. Assiégés et assiégeants se retrouvent sous la menace d’aléas naturels dont la dynamique peut entraîner des dangers pour les sites de mouillage au large, pour les secteurs d’abordage au port ou au rivage, pour les campements à terre subissant pluies, inondation et mouvements de terrain. Les protagonistes se placent aussi sous la menace d’un œkoumène dont les ressources, en raison souvent du pillage de la chôra voisine, assurent mal leur survie à travers épidémie et famine pour les assiégés, disette et maladie pour les assiégeants. Un épisode de siège inscrit dans une région à risques associe temps de nature et d’histoire, étendues du milieu et de l’œkoumène, et une géographie élaborée par des hommes dont les conséquences soulignent que ces derniers ne savent pas toujours laquelle ils font en raison des rythmes disparates des aléas, rarement synchrones, comme pourtant ce fut presque le cas pour Rhodes qui après le siège de 1480 subit l’année suivante une crise sismique qui ajouta aux dommages du risque d’œkoumène ceux du danger de Nature. Ainsi ce qui est probable pour l’espace et le temps de l’œkoumène et de la Nature est pour le territoire et sa géographie cindynogène un hasard.

1. Les conditions climatiques de la navigation (Rhodes).

2. Les mécanismes du climat en Méditerranée orientale.

3. Types de côtes et navigation.

4. L’île de Rhodes.

5. La plaque égéenne.

6. Géographie et situation cyndinogènes.
Notes de bas de page
1 ARISTOTE, Politique, Paris, Les Belles Lettres, trad. Jean Aubonnet, éd. 1960, en particulier VII, 1326 b 39 - 1327 a 40. Sans faire appel à Platon qui a mené un réquisitoire contre la mer. PLATON, Œuvres complètes, t. II, Les Lois, IV, 704-708, trad. Léon Robin, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, éd. 1942.
2 Hommage à Pierre Birot, « La mobilité des paysages méditerranéens », Toulouse 1984, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, Travaux II, 387 p.
3 GARLAN, Y., La guerre dans l’Antiquité, Paris, Nathan, 1972.
4 LARONDE, A., « Séisme et diplomatie : Rhodes en 228 av. J. -C. », L’homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Cahiers de la Villa Kérylos, 2006, n° 17, p. 61-71.
5 PLUTARQUE, Démétrios, XXI & XXII (trad. Anne Marie Ozanam), Paris, Gallimard, 2001 et Diodore de Sicile, XX, 91, Paris, Les Belles Lettres.
6 Le siège d’une ville-port dans une île suppose le déroulement d’un scénario complexe : la présence d’une flotte nombreuse pour bloquer le port et patrouiller le long des côtes, flotte également nécessaire pour le transport des vivres, le transfert et le débarquement des hommes de troupe et des cavaliers, puis à terre, l’édification d’une circonvallation si nécessaire et l’établissement de camps pour les troupes et le commandement, l’usage de machines de siège et de pièces d’artillerie, la conduite d’assauts contre l’enceinte et l’ouverture de brèches en sapant les murs par des mines et, pour le pire, par force, par ruse ou négociation, au final, la prise de la ville avec le saccage des habitations, la déportation ou l’envoi en esclavage de la population, ou bien devant l’insuccès de l’opération l’abandon du siège. À ce scénario, parfois du pire, en raison d’une durée de plusieurs mois jusqu’à plusieurs années, les conditions géographiques en raison de leur mobilité et de leur variabilité peuvent en Méditerranée concourir autant à la réussite qu’à l’échec d’un siège, malgré les avantages dont ceux de la géographie, qui ont été reconnus à la ville-port insulaire dès l’Antiquité (ARISTOTE, op. cit., VII, 1327 a 10-1327 b 6).
7 Appelés grec, levant, siroc contre lesquels le port est mal protégé, selon le témoignage de Jean THÉVENOT, Voyage du Levant (1656), éd. de S. Yerasimos, Paris, La Découverte, 1980.
8 Instructions nautiques, Côtes de Grèce et de Turquie jusqu’au cap Aloupo, Méditerranée orientale (1er vol.), série D (V), Paris, Imprimerie nationale, 1958, chap. IX, p. 247-263.
9 LEROUX, M., « Les climats subtropicaux dits “méditerranéens” et les climats de la Méditerranée (1re partie) », L’information géographique, 2001, n° 4, p. 304-320 ; et LEROUX, M., « Les climats subtropicaux dits “méditerranéens” et les climats de la Méditerranée (2e partie) », L’information géographique, 2002, n° 1, p. 34-52.
10 Le bassin méditerranéen est partagé par la limite séparant au nord le domaine des pluies d’automne de celui des pluies d’hiver au sud. Rhodes se situe dans ce dernier ainsi que la plus grande part de la mer Égée.
11 La houle présente des creux de 3 à 4 m en moyenne pouvant aller jusqu’à 9 m et la longueur d’onde qui mesure la distance entre deux crêtes de vague successives, mesure 50 à 60 m.
12 Flaubert arriva à Rhodes le vendredi 4 octobre 1850 par un temps frais et couvert, « gris et bête », l’eau du port agitée par une « mer houleuse » et visita l’intérieur de l’île entre le mercredi 9 et le samedi 12 octobre passant du rivage ouest au rivage est, selon une transversale l’amenant de Trianda à Lindos, pour revenir à Rhodes en suivant la côte orientale, itinéraire parcouru par temps de pluie. D’après ses notes de voyage on peut déduire que les jours passés dans l’île se sont écoulés dans le flux d’une famille de dépressions marqué à la fin par un ciel de traîne aux nombreuses ondées successives, typiques de ces phases pluvieuses de plusieurs jours qui inaugurent la saison froide hivernale. Il note également des traces de crues violentes dans le lit des rivières qu’il traverse, pour la plupart encore à sec malgré ce début d’octobre pluvieux, et remarque des traces d’éboulements sur les pentes. G. FLAUBERT, Voyages, t. II (éd. de René Dumesnil), Paris, Les Belles Lettres, 1948, p. 274 et p. 277-292.
13 Soit 0,25 nœud (400 m par heure), atteignant 1 nœud (1 609 m par heure), parfois 3 (5 km par heure) par fort vent, dans les passages étroits.
14 Voie qu’a empruntée Chateaubriand : « Nous nous engageâmes dans le canal que forment les Sporades, Pathmos, Léria, Cos, etc., et les rivages de l’Asie », in Œuvres romanesques et voyages, t. II : Itinéraire de Paris à Jérusalem, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969, p. 953.
15 Aristote, op. cit., 1326 b 40.
16 Aristote, ibid., 1326 b 40. Le contre-exemple est le siège de Platées, l’investissement de la ville par les Thébains et leur échec : THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse, livre II, 3-4, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade (trad. P. Roussel).
17 Par un jour de « tramontane » (comprendre meltem), mésaventure qui est arrivée au navire sur lequel Chateaubriand s’était embarqué, et alors qu’il était au mouillage au large de Tchesmé « sur un fond rocheux assez dangereux ». « Dans la nuit du 22 au 23 [septembre 1806], le bâtiment chassa sur son ancre et nous pensâmes nous perdre sur les débris du vaisseau d’Alexandrie naufragé auprès de nous », Itinéraire de Paris à Jérusalem, op. cit., p. 951-952.
18 André Siegfried dans son livre Vue générale de la Méditerranée, Paris, NRF, Gallimard, 1943, 191 p., décrit ainsi son survol des îles de l’Égée et du Dodécanèse : « À aucun moment jusqu’à Rhodes on ne reste sans voir une terre. Ces îles ont toute la même forme, ovale, donnant l’impression de l’échine d’une bête émergeant des flots ; certaines sont très plates. Toutes sont de couleur ocre, tirant sur le rose ; on y distingue quelques arbres rarissimes, mais des milliers de terrasses préparées pour la culture » (p. 58).
19 Aristote, op. cit., VII, 1326 b 39 - 1327 a 40.
20 Aristote, ibid., VII, 1326 b 39 - 1327 a 40.
21 Opposition à laquelle G. Flaubert fut sensible pendant sa traversée d’ouest en est des massifs intérieurs de l’île.
22 L’île comprend un bâti structural formé par des nappes de charriage dont les faciès assimilés à ceux de la Grèce continentale affleurent dans la partie centrale de l’île sous la forme de blocs soulevés par un système de failles toujours actives. Cette mobilité tectonique explique la différenciation à la fin de l’ère tertiaire de bassins que remplissent des séries sédimentaires, composées de faciès calcaires, fluvio-lacustres sablo-marneux et de dépôts conglomératiques continentaux (Levantin), ennoyant l’édifice structural sur une grande partie de l’île (tout le nord au-delà d’une ligne Camiros-Arkhangélos et le sud subdivisé en deux bassins de part et d’autre de l’échine centrale, étroite et molassique de Vati). À l’est, entre Lindos et Rhodes, on observe en discordance des marnes bleues plus récentes (Pliocène) se terminant par une barre calcaire et au-dessus des séries marines quaternaires discordantes (AUBOUIN, J. & DERCOURT, J., « Sur la géologie de l’Égée : regard sur le Dodécanèse méridional (Kasos, Karpathos, Rhodes) », Bull. Soc. Géol. France, 1970, [7], XII, p. 435-472). L’érosion différentielle s’exerce sur l’inégale résistance des faciès et rend compte du modelé de collines, lanières de plateau étagées, crêtes dissymétriques et des formes de ravinement pour une grande partie de l’île, au nord comme au sud.
23 Dercourt, J., « De l’océan téthysien à la Méditerranée, les phénomènes cataclysmiques », L’homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Cahiers de la villa Kérylos, 2006, n° 17, p. 1-17.
24 Bousquet, B., « Les séismes de l’Antiquité entre nature et société », L’homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Cahiers de la villa Kérylos, 2006, n° 17, p. 33-59.
25 Miniature du codex G. Caoursin reproduite in VATIN, N., Rhodes et l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Paris, CNRS Éditions, 2000, 118 p., cf. p. 45 évoquant les lourds dommages subis par la ville (échelle MSK intensité X à XI, d’après les dégâts représentés).
26 Arrosage d’autant mieux assuré que selon le rythme du climat méditerranéen les nappes phréatiques peuvent se recharger à coup sûr chaque hiver, malgré la sécheresse estivale, et la variabilité d’un total pluviométrique qui à Rhodes approche celui d’un pays tempéré océanique, à la différence des zones désertiques où l’irrigation se réalise à partir de l’eau fossile non renouvelable de nappes phréatiques atteintes par puits ou qanat.
27 Vatin, N., op. cit., p. 13-15, rapide évocation des îles relevant du territoire de l’ordre de Saint-Jean.
28 L’exception de cette pointe libre sableuse est liée à la présence des faciès marno-sableux du Levantin taillés à l’ouest en falaises dont l’érosion par ravinement nourrit les plages, et à celle d’une dérive littorale liée à la houle d’ouest qui abordant en oblique l’île fait migrer le sable, vers le nord et la pointe Zouari, à l’extrémité recourbée en crochet. Il en résulte un littoral régularisé actuellement.
29 Vatin, N., op. cit., p. 35-39.
30 Description des bassins du port et des différents môles, in Gabriel, A., La cité de Rhodes, t. 1, Topographie et architecture militaire, Paris, E. de Boccard éd., 1921, V-XVIII, 158 p., cf. pour le port : p. 3-5 ; pour les môles : p. 58-59, 72-73 et 78.
31 Gabriel, A., « La construction, l’attitude et l’emplacement du Colosse de Rhodes », BCH, 1932, t. LVI, p. 330-359.
32 Parti de Beyrouth pour se rendre à Constantinople, Gérard de Nerval signale « les deux forts, bâtis par les anciens chevaliers, [qui] défendent cette entrée [du port] », vus à la suite de sa courte escale au port de Rhodes, au début de l’été 1843, G. de Nerval, Œuvres Complètes, t. II, Voyage en Orient, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, p. 603.
33 Cf. planche I, « Rhodes en 1480 », miniature du codex G. Caoursin, in Matton, R., Rhodes, Athènes, Institut français d’Athènes, 1966, 151 p. et LXVIII planches h. t. Un gibet y était implanté.
34 A l’époque des chevaliers, la mer venait battre la base des murailles à part le secteur nord. Pour le débarquement des personnages de marque était alors construit un ponton, sinon on débarquait sur la plage bordière à partir d’une allège qui faisait le va-et-vient avec le navire mouillé dans la rade. Cf. les miniatures du codex Caoursin reproduites in Vatin, N., op. cit., et in Kollias, E., Les Chevaliers de Rhodes, Athènes, Ekdotike S. A., 1991,176 p., ainsi que les planches h. t., in Gabriel, A., op. cit. Les quais actuels isolent les murs de la mer, occasionnent des désordres dans la sédimentation à l’intérieur des bassins, provoquent son colmatage et entraînent son dragage.
35 Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, op. cit., p. 953, de passage à Rhodes le 25 septembre 1806, y vit construire « une frégate de trente canons avec des sapins tirés des montagnes de l’île ». Gustave Flaubert y signale « une douzaine de bateaux amarrés, trois en construction ; bruit des marteaux » op. cit., p. 277. Aujourd’hui, le bassin est réservé aux bateaux de pêche côtière et de plaisance. Cf. également l’iconographie dans Matton, R., op. cit., pl. I, II, III, V, VIII.
36 Cf. le récit de Caoursin et les miniatures qui l’illustrent, in N. Vatin, op. cit., p. 26, 27, 37, 49, 52 ; Kollias E., op. cit., p. 11, 47, 49, 50-51.
37 Comme on disait au XVIIe siècle, également siècle de pratique de la poliorcétique, à propos d’une place forte enviée par deux États au moins.
38 Le foncier peut être tenu à titre collectif ou personnel par l’ordre et ses membres, in Vatin, N., op. cit., p. 50-58.
39 Aristote, op. cit., « En ce qui touche la communication avec la mer, est-elle un avantage pour les cités, bien gouvernées, lui est-elle au contraire nuisible ? Il se trouve qu’on en discute beaucoup ».
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Les sièges de Rhodes
Ce livre est cité par
- Bresson, Alain. (2021) The Destruction of Cities in the Ancient Greek World. DOI: 10.1017/9781108850292.010
- Foutakis, Patrice. (2020) The Inn of the Tongue of Italy for the Hospitaller knights in Rhodes. Post-Medieval Archaeology, 54. DOI: 10.1080/00794236.2020.1750152
Les sièges de Rhodes
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