Chapitre IV. Les géants bretons et Bernard de Chartres1 ?
p. 77-94
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Texte intégral
1Le thème des métamorphoses des humains en animaux (et entre autres en loups) tel que l’on vient de l’analyser dans les chapitres précédents constitue l’une des « composantes structurelles stables » que l’on peut aussi dégager par exemple, comme l’a fait Hervé Martin, du corpus des sagas scandinaves présenté par Régis Boyer, au même titre que les relations de leurs héros « avec les nains (les esprits des morts, vivant sous terre) et avec les géants (les grands ancêtres, en collusion avec les forces de la nature)2 ». Les traditions relatives aux géants prédécesseurs de l’humanité se retrouvent dans bien des aires culturelles3, pourtant dans l’hagiographie bretonne, on ne relève que quelques rares interventions – voire de simples mentions – de géants dans certaines Vitae du haut Moyen Âge : à ma connaissance, seules celles de saint Samson (viie-viiie s.), Guénolé (entre 860 et 884) et Malo (vers 870) y font allusion. On ne le répétera sans doute jamais assez : l’opposition que l’on établit trop souvent par commodité entre culture « folklorique » et culture « savante » n’a guère de pertinence à l’époque médiévale. Il me semble possible, au contraire, de souscrire à deux réflexions d’A.-J. Gourevitch4 : d’une part, la circulation des motifs entre les différentes strates culturelles de la société médiévale s’est effectuée de manière interactive grâce à des échanges incessants entre oral et écrit. D’autre part, l’immobilisme apparent de la littérature religieuse dont les stéréotypes se transmettent d’un siècle à l’autre est autant le fait du conservatisme du public auquel celle-ci s’adressait qu’il n’est dû au traditionalisme clérical. Des échanges incessants s’instaurent donc durant tout le Moyen Âge entre lettrés adeptes de la littérature savante et illettrés tenants d’une culture orale qui a sa propre cohérence, chacun de ces groupes ayant intérêt à infléchir des motifs analogues dans le sens qui lui convenait. Pour prétendre à une approche historique du motif atemporel des « géants » (F.531. Giant), on peut retenir la périodisation proposée par Hervé Martin, selon laquelle les xie-xiiie siècles « verraient s’affirmer une robuste symbolique religieuse, non dénuée d’aspect savants. Cette même période serait caractérisée par l’irruption du merveilleux dans la culture cléricale, pour les besoins de la pédagogie chrétienne5 ».
2Posons en préalable à l’enquête qui va suivre l’hypothèse d’un éventuel rapport entre l’image des géants, figures d’un passé révolu, qui affleure dans les sources hagiographiques du haut Moyen Âge et la métaphore saisissante des « nains sur épaules des géants » qui constitue un cliché à succès chez les maîtres scolastiques du xiie siècle6. La célèbre formule attribuée à Bernard, l’écolâtre de Chartres, est souvent présentée comme le paradigme du « progressisme » médiéval : « Nous sommes des nains, concédait-il, mais assis sur les épaules des géants qui nous ont précédés, nous voyons plus loin qu’eux. » J. Le Goffa consacré à cette métaphore des pages décisives dans La Civilisation de l’Occident médiéval. Certes, le monde rapetisse en vieillissant : « …comme dans une pièce de Ionesco ou de Beckett, les acteurs de la scène médiévale ont le sentiment de se rabougrir jusqu’au bout imminent de cette “Fin de partie”. Mais, face à ce “pessimisme historique”, certains s’efforcent timidement de “valoriser le présent et le futur”. Tout en acceptant le “diagnostic de vieillesse porté sur le présent”, l’image du “rapetissement historique” est habilement retournée “pour souligner l’accroissement des connaissances humaines qui […] résulte” de ce vieillissement. » Et Jacques Le Goffde poser la question de fond : « Serait-ce donc là tout le sentiment de progrès dont le Moyen Âge aurait été capable7 ? » Umberto Eco s’interroge de son côté : « À l’origine, cet aphorisme était-il humble ou orgueilleux ? Signifiait-il que nous ne faisons que connaître, même si nous le connaissons mieux, ce que les Anciens nous ont appris, ou que nous connaissons, certes grâce à la dette contractée vis-à-vis des Anciens, bien plus qu’eux ne connaissent8 ? »
3La citation de Bernard de Chartres intervient dans un chapitre de Metalogicon de Jean de Salisbury consacré au Perihermenia d’Aristote :
« Bernard de Chartres disait que nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, si bien que nous pouvons voir plus de choses qu’eux et de plus éloignées ; nullement par l’acuité de propre vision ou la hauteur de notre corps, mais parce que nous sommes soulevés et exhaussés par leur stature gigantesque. »
4L’exposé est subtil et tout en nuances ; le plus clair est de suivre l’analyse qu’en proposait E. Jeauneau. Jean de Salisbury fait l’éloge de La Logique (Perihermenia) d’Aristote dont Isidore prétend qu’« en l’écrivant, [il] trempait son calame dans son esprit ». Certes, le Perihermenias est un texte difficile, tant sur le fond que par la forme. Raison de plus pour ne pas le négliger, car ce sont les textes difficiles qui, en contraignant le lecteur à l’effort, sont les plus profitables. D’ailleurs, il convient de « révérer les mots des auteurs, d’en user avec assiduité et de les cultiver ». En effet, ces textes possèdent, « par leurs grands mots, la majesté antique » et permettent de l’emporter dans une discussion : « Les mots inouïs des philosophes sont des coups de tonnerre. Bien que pour le sens les Anciens et les Modernes se vaillent, l’Antiquité est plus vénérable. » Pour étayer son propos, Jean de Salisbury se souvient d’une observation du « Péripatéticien du Pallet ». Abélard pensait qu’il serait facile à un quelqu’un de son temps (lui-même, probablement !) de rédiger un livre de logique qui ne soit en rien inférieur, pour le fond comme pour la forme à ceux des Anciens, « mais qu’il serait impossible ou du moins très difficile à un tel auteur de s’élever au rang d’une autorité ». Les Anciens ont laissé le fruit de leurs travaux à la postérité, c’est pourquoi ce qu’eux-mêmes n’ont découvert qu’au prix de longues et pénibles sueurs, nous pouvons l’obtenir facilement et rapidement. Notre époque jouit des acquisitions des époques précédentes. Elle sait souvent plus de choses. Cette supériorité vient non de son propre talent (ingenium), mais du fait qu’elle s’appuie sur les forces d’autrui et sur l’opulente doctrine des ancêtres (doctrina Patrum). C’est alors que, plantant là Abélard, Jean de Salisbury introduit la citation qu’il attribue à Bernard de Chartres9. La métaphore s’inscrit dans la continuité historique. Comme le souligne Umberto Eco, elle « sous-tend un acheminement vers un horizon. Nous ne pouvons pas oublier que l’Histoire, en tant que mouvement progressif vers le futur, de la création à la rédemption, et jusqu’au retour du Christ triomphant, estune invention des Pères de l’Église ».
5Mais, si cet auteur n’a pas tort de profiter de l’occasion pour rappeler que, « cela plaise ou non, sans le christianisme (même avec le messianisme juif dans le dos), ni Hegel ni Marx n’auraient pu parler de ce que Leopardi voyait avec scepticisme comme “les splendides destins et les progrès” », ce serait sans doute pousser trop loin le risque d’anachronisme que d’associer directement cette métaphore à la notion de progrès historique10. Comme le note Jacques Verger, à propos de la Renaissance du xiie siècle, « si progressisme il y a eu, il était bien tempéré11 ». L’idée de progrès est toutefois présente chez Jean de Salisbury : « Qui se contente de ce qu’Aristote enseigne dans le Perihermenia ? Qui n’y ajoute pas des conquêtes d’une autre provenance. Tout le monde rassemble la somme de tous les arts libéraux et la présente en des formules plus faciles à comprendre. » Il n’empêche que l’Antiquité possède à ses yeux une gravité, une autorité, une majesté qui la rendent plus vénérable12. Si l’on se fie à ce témoignage, Bernard de Chartres ne prônait donc pas l’imitation servile des Anciens. En bon pédagogue, il cherchait à faire comprendre à ses élèves que l’art du bien écrire s’acquiert par la fréquentation assidue et méthodique des bons auteurs. Telle était sa position, « selon toute vraisemblance », puisque, d’après E. Jeauneau, « jusqu’à ce jour les écrits de Bernard sont devenus introuvables13 ».
6Guillaume de Conches (disciple de Bernard de Chartres et maître de Jean de Salisbury) complète le témoignage de Jean de Salisbury en articulant cette métaphore scolaire des nains et des géants avec une citation de Priscien dans la dédicace à l’empereur Julien de ses Institutiones Grammaticae : « Plus les auteurs sont récents, plus ils sont perspicaces » (quanto sunt iuniores, tanto perspicaciores ; le grammairien latin reprochait tout simplement à ses collègues de ne pas avoir actualisé leur bibliographie en ce qui concerne la grammatica ars). Le commentaire de Guillaume de Conches extrapole à partir de cette simple remarque de Priscien : « Les Anciens avaient à leur disposition les écrits qu’ils avaient eux-mêmes composés. Nous, au contraire, nous possédons tous leurs écrits et, en plus, tous ceux qui ont été composés depuis le début jusqu’à notre temps. Et ainsi, nous avons plus de perspicacité, mais non pas plus de sagesse. Il faut en effet une bien plus grande sagesse pour découvrir du nouveau. C’est pourquoi nous sommes comme un nain juché sur les épaules d’un géant. Ce nain voit plus loin que le géant, non pas en raison de sa propre taille, mais en raison de la taille du géant qui le porte. Ainsi de nous : nous voyons plus de choses que les Anciens parce que nos modestes écrits s’ajoutent à leurs œuvres grandioses. » Une génération plus tard, dans sa Philosophia, Henri le Breton (Henricus Brito), lié lui aussi à l’école de Chartres, commente la préface de Priscien en des termes très voisins, en attribuant la métaphore des nains et desgéants au grammairien Pierre Hélie (av. 1148) : « À ce propos, Pierre Hélie dit que nous sommes comme un nain placé sur les épaules d’un géant. De même qu’il peut voir ce que voit le géant et encore plus loin, de même les Modernes peuvent voir ce qui a été trouvé par les anciens et y ajouter du neuf. » Alain de Lille lui fait écho lorsqu’il écrit : « Le peu d’élévation du Pygmée superposé à la taille excessive du géant dépasse la hauteur de celui-ci14. » Or cette référence à l’Anticlaudianus (v. 1184) d’Alain de Lille († 1203) appelle une remarque subsidiaire de notre part. En effet, L. Fleuriot a attiré l’attention sur une indication tardive d’un manuscrit des xive-xve siècle qui précise qu’« Alain qui composa ce livre fut originaire de l’évêché de Léon, en Bretagne. On l’appelait Alanus, britanice Barz15 »). Sans doute y aurait-il un peu de chauvinisme puéril à revendiquer une origine bretonne à un cliché scolaire et passe-partout. Cependant, si l’hypothèse de Léon Fleuriot est recevable, le fait que deux au moins des utilisateurs de la métaphore soient d’origine bretonne autorise à poursuivre l’enquête dans la documentation liée à la Bretagne et aux pays celtiques.
7À ce stade, il faut en effet revenir sur une importante découverte d’Hubert Guillotel. Ce dernier a établi que l’écolâtre de Chartres avait terminé sa carrière comme évêque de Quimper de 1159 à 1167. Pour reconstituer la carrière de Bernard de Moelan, ce chercheur s’appuyait sur un obituaire du xiie siècle de la cathédrale de Chartres qui mentionne « Bernard d’abord chanoine de cette Église, puis chancelier et enfin évêque de l’Église de Quimper ». La Chronique de Robert de Torigny, abbé du Mont-Saint-Michel, précise qu’en « 1159, Bernard Brito, chancelier de l’Église de Chartres devint évêque de Quimper ». En outre, Hubert Guillotel a démontré qu’un privilège de 1166 concédé par Bernard de Moelan à l’abbaye Sainte Croix de Quimperlé, quoique probablement interpolé au siècle suivant, comporte des figures de style caractéristiques qui se retrouvent dans les Vitae de saint Ronan et de saint Corentin. À défaut d’édition critique, le débat sur les rapports entre ces deux Vitae doit rester ouvert. Rien n’interdit cependant de suivre Hubert Guillotel qui se fonde sur une minutieuse étude de René Largillière16 pour estimer que tout permet de considérer Bernard de Moelan du moins comme l’inspirateur, sinon comme l’auteur, de ces deux Vitae17. Ainsi les seules œuvres subsistantes de ce maître réputé des écoles chartraines seraient des productions hagiographiques à la gloire des saints patrons de son diocèse d’origine à la tête duquel il finit par être promu. Si l’on admet cette attribution, il devient possible de mieux cerner l’arrière-plan culturel dans lequel prend place la métaphore des nains et des géants élaborée par l’écolâtre breton.
8En effet, pour promouvoir le culte des saints patrons du diocèse de Quimper, ces deux Vitae mettent largement en œuvre divers motifs folkloriques. Nous avons vu comment celle de saint Ronan traitait le motif de la lycanthropie à une époque où la vogue des contes de loups-garous battait « tout naturellement » son plein18. Certes, les géants qui font de la figuration dans quelques Vitae bretonnes du haut Moyen Âge n’apparaissent explicitement dans aucun des deux documents hagiographiques composés par Bernard de Moelan, ou du moins à son initiative. Mais, à l’occasion de deux récits de miracles de châtiment (celui d’une femme avare – c. 15 ; celui d’un voleur léonard – c. 17), la Vita de saint Corentin fait intervenir une même image poétique pour évoquer le lever du jour. L’abbé Duine avait « déniché » ces vers dans la version de cette Vita dont A. Oheix préparait l’édition, publiée par Mme Fawtier après la mort prématurée de ce dernier :
Et nitidum radiis Titan caput extullit undis.
« […] Titan, rayonnant, sort la tête des ondes. »
Ut Titan radiis nitidum caput extullit undis.
9Il a bien relevé la finale virgilienne caput extulit undis (Georg., IV, 352 ; En. I, 12719), mais n’a fait pas le rapprochement avec ces vers du livre IV de l’Enéïde dont s’inspire probablement l’hagiographe :
… ubi primos crastinus ortis
Extulerit Titan radiisque retexerit orbem.
« […] dès qu’auront surgi les premières lueurs de Titan
et que de ses rayons il aura éclairé toute la terre », En, IV, 118-119.
10L’ancien chancelier des écoles chartraines était trop cultivé pour ignorer l’arrière-plan mythologique auquel renvoie le surnom de « Titan » donné au soleil par Virgile. Bien qu’il existe d’autres généalogies mythiques, le Soleil, considéré comme une divinité distincte d’Apollon est le plus souvent présenté comme le fils que le Titan Hypérion, frère de Cronos (assimilé par les Romains à Saturne), aurait conçu avec sa propre sœur Theia, avant de donner naissance à la Lune et à l’Aurore. Géants et Titans ont parfois été confondus par les auteurs antiques, à cause précisément de la similitude entre les révoltes successives des uns et des autres contre Jupiter. À la suite de Rufin, les lettrés chrétiens ont couramment assimilé ces titanomachies et gigantomachies de l’Antiquité gréco-latine aux crimes de l’humanité antérieurs au Déluge selon la tradition biblique.
11C’est pourquoi on doit pour le moins se demander si cette cheville poétique qui revient à plusieurs reprises dans la Vita de saint Corentin ne constitue pas un indice (certes ténu) autorisant à mettre la métaphore scolaire des « nains juchés sur les épaules des géants » lancée par Bernard de Chartres en relation avec le motif traditionnel des géants originels passé de la tradition orale dans l’hagiographie au cours de la période précédente. L’auteur de la Vita de saint Corentin connaît sûrement celle de saint Guénolé20, puisqu’il place ce saint abbé, au même titre que saint Tudi, en concurrence avec son héros pour l’élection au siège épiscopal de Cornouaille (c. 8). Il a probablement aussi eu accès à la Vita de saint Malo (qui est censé avoir rendu visite à Corentin21) et peut-être à l’une des Vitae de saint Samson, puisqu’il se préoccupe dans ce même chapitre de faire la part belle à la métropole de Tours aux dépens de Dol. Nous consacrerons ultérieurement les développements qu’ils méritent aux épisodes des Vitae de saint Samson et de celles de Malo qui mettent des géants en scène. Mais l’on peut déjà avancer que Bernard de Chartres ne pouvait ignorer les traditions faisant des géants cyclopéens les premiers occupants des Îles britanniques, ne serait-ce que par le biais des allusions que comporte la Vita de saint Guénolé.
12En effet, Wrdisten abbé de Landévennec dans la seconde moitié du ixe siècle, ouvre la Vita qu’il compose à la gloire du patron de son monastère par une allusion à la Grande-Bretagne, « autrefois patrie des cyclopes et maintenant, à ce que l’on rapporte, nourricière des tyrans ». Voici le contexte, chargé de réminiscences du De excidio Britanniae de Gildas, dans lequel intervient cette réflexion22 :
« De l’illustre noblesse de la Bretagne, et aussi de sa turpitude, de ses fléaux et de sa pestilence.
L’île de Bretagne de laquelle, dit-on communément, notre race jadis tira son origine, célèbre par l’agrément de ses sites, autrefois ornée de murs d’enceinte, de tours et de grands édifices, passe pour avoir joui d’une grande abondance de biens, plus que toutes les contrées avoisinantes, extrêmement fertile en froment, en miel et en lait, ne produisant cependant pas de vin – Bacchus, en effet, n’aime guère le froid, car l’Aquilon trop fort l’étouffe. Cette île donc, pourvue de si grands biens, se mit d’abord à croître comme l’herbe au temps des fleurs. Mais bientôt, telles ces moissons qui, jamais mordues par la gelée, produisent dès les premières chaleurs toute espèce de mauvaises herbes destructrices des récoltes, elle se prit à engendrer la zizanie et la graine empestée des tyrans. La fécondité de son sol faisait sa force, et ses fleuves, la Severn et la Tamise, répandues dans la plaine en opportunes ramifications, ajoutaient encore à l’abondance des ressources. Et voici qu’à tout ce pays, pour avoir fait de ses biens mauvais usage, l’abondance même allait être la cause de ses maux. De l’abondance, en effet, vinrent la luxure, et les passions honteuses, l’idolâtrie, les sacrilèges, les vols, les adultères, les parjures, les homicides, et toute la progéniture des vices dont le genre humain a coutume de se voir enchaîné. Et pour que je n’aie pas à descendre jusqu’aux derniers bas-fonds des antiques forfaits de ce pays, celui qui voudra en savoir davantage, qu’il lise saint Gildas. Traitant de ce lieu et de ses habitants, de sa merveilleuse conversion au Christ et aussitôt de son apostasie pour presque revenir au paganisme, de la terrible vengeance divine qui le frappa, et de nouveau de la pitié de Dieu pour qu’il ne fût entièrement réduit en cendres et en poussière, Gildas expose de bonne et irréprochable façon maintes choses ayant rapport à ses actes.
Ainsi donc cette terre, jadis patrie des cyclopes, mais désormais, dit-on, nourrice de tyrans, se trouva-t-elle rarement longtemps à l’abri du châtiment divin mérité par ses péchés ; ou bien elle était la proie d’irruptions répétées de ses ennemis, ou bien de guerres civiles, ou encore elle était frappée de la famine, de la peste, du glaive, ou des plus cruelles maladies23. »
De inclita Britanniae nobilitate et de flagitio ejus flagellisque atque pestilentia.
Britannia insula, de qua stirpis nostrae Origo olim, ut vulgo refertur, processit, locorum amoenitate inclita, muris, turribus magnisque quondam aedificiis decorata, haec magnam habuisse rerum copiam narratur, exuberasse pre cunctis quae huic adjacent terris, frumenti, mellis, lactisque simul fertilissima, sed non omnino vini ferax. Bachus enim non amat frigus, quia vi Aquilonis nimia constringitur. Haec igitur, tantis enutrita bonis, ut herba tempore florum primo crevit ; sed mox, ut seges quae numquam gelu premitur cito enim, caumate exorto, omnia nociva quae fruges ruminent, emittit, zesaniam semenque tyrannorum genuit pestiferum. Cui soli fecunditas suberat, et Sabrina ac Tamenta fluvii, per plana diffusi, ac per opportuna divisi, augmentis ubertatis impendebantur. Huic universae regioni, bonis male utenti, abundantia rerum causa fuit malorum. Ex abundantia enim luxuria foedae libidines, idolatria, sacrilegia, furta, adulteria, perjuria, bomicidia et ceterae vitiorum soboles, quibus omne humanum genus obligari solet, adolevere. Et, ne ejus antiqua profundius repetam facinora, qui haec plenius scire voluerit legat sanctum Gyldan, qui, de ejus situ et habitatione scribens, et ejus mira in Christo conversione statimque ritu pene paganico apostatione, et divina lugubriter insecuta ultione, et ejus iterum, ne penitus in favillam et cineres redigeretur, miseratione, multa ejusdem actibus congrua bene et irreprehensibiliter disputat.
Haec autem quondam patria Cyclopum, nunc vero nutrix, ut fertur, tyrannorum, divinis non inulta raro diu quievit, propter sua peccata, flagellis : aut enim crebris hostium irruptionibus, aut Civium inter se invicem concussionibus, aut fame, peste, gladio, morbisque insectata est acerrimis24.
13Le chanoine Jacques Raison du Cleuziou25 a été le premier à établir que cette remarque constituait un emprunt aux Étymologies d’Isidore de Séville : fuit autem quondam patria cyclopum et postea nutrix tyrannorum (14, 6 [33]) ; ce dernier s’inspirait lui-même d’Orose : Sicilia ab initio patria cyclopum et post eos semper nutrix tyran norum (52, 4). Mais la formule que l’hagiographe du ixe siècle applique à l’île de Bretagne, désignait la Sicile chez ses prédécesseurs de l’Antiquité chrétienne dont il s’inspire. En effet, les cyclopes qui, selon la mythologie antique, ont pris le parti de Jupiter contre les Titans, sont couramment associés par les poètes latins à Vulcain aux côtés de qui ils forgeaient sous l’Etna les foudres de Jupiter26. Jusqu’en plein xviiie siècle, la conviction d’un peuplement gigantesque de la Sicile, étayée à la fois par les auteurs antiques et par les découvertes d’ossements fossiles a été largement partagée par les érudits27.
14Avant de tenter de rendre compte de la déportation des Cyclopes de Sicile en Bretagne, deux inflexions infligées par Wrdisten à ses modèles doivent nous retenir. D’une part, alors que les particules temporelles (quondam […] et postea / et post eos…) mises en œuvre par Orose et Isidore impliquent l’absence de solution de continuité entre les cyclopes et les tyrans qui leur ont succédé, l’auteur de la Vita Winwaloei, souligne, au contraire, la rupture entre le passé et le présent en distinguant formellement quondam (« autrefois ») et nunc (« à présent »). Tout se passe comme si Wrdisten mettait en parallèle les géants d’autrefois et les tyrans actuels en jouant sur l’ambiguïté du terme tyranus qui, dans la latinité celtique, prend souvent le double sens de tiern (« chef ») et de « tyran »28. Les chefs laïques actuels se voient ainsi dévolues la brutalité et la démesure que représentent les géants d’autrefois tant dans la mythologie que dans la Bible29.
15D’autre part, bien entendu, en fin lettré de la Renaissance carolingienne, Wrdisten a en tête le passage de l’Enéïde [En., 3, 613-683] dans lequel Achéménide décrit aux Troyens Polyphème, le cyclope aveuglé par Ulysse, qui pour les lecteurs médiévaux de la Bible est l’image même du tyran30. Il s’inspire directement par ailleurs de ces vers de l’Enéïde pour décrire le diable qui apparaît à Guénolé lors d’une veillée de prière [II, 8]. Le « monstre immense, terrible et horrible » (ingens teterrimum atque monstrum horrendum) qui se manifeste au saint est l’équivalent du monstrum horrendum qu’est Polyphème d’après l’Enéïde (3, 8). Tantôt le démon a « cent yeux étincelants », tantôt aucun, tantôt « un seul, fiché au milieu du front et tournoyant comme un énorme bouclier » (in modum clypei maximi), de même que l’œil du cyclope crevé par Ulysse et ses compagnons est, selon Virgile, « semblable à un bouclier argien » (En., 3, 637 : argolici clypei […] instar)31. Cette apparition protéiforme32 et gigantesque constitue donc le pendant de l’allusion aux cyclopes dans la préface de la Vita. Du même coup, elle contribue à diaboliser ceux-ci.
16Reste l’identification de la Bretagne à la Sicile qu’Henri Bresc33 juge « étonnante ». Pourtant, l’auteur de la Vita recourt ici à l’incise ut fertur (« à ce qu’on dit »), comme chaque fois qu’il renvoie à une tradition dont il cherche à se démarquer. C’est aussi le cas lorsqu’il fait allusion à demi-mots aux légendes concernant les origines troyennes de la Bretagne34. Mais on tient de ce fait un indice précieux de ce que celles-ci avaient cours dès l’époque carolingienne et qu’elles s’articulaient sans doute déjà aux légendes concernant les géants. Cette mention des géants « cyclopéens »des Îles britanniques n’est sûrement pas le résultat d’une fantaisie de lettré féru de mythologie et de la Bible. Sans doute l’hagiographe se réfère-t-il aussi à des traditions celtiques où abondent les géants borgnes (F 531.1.1. Giant with one eye in the middle of forehead ; F 512.1.1. Person [giant] with one eye in center of forehead [Polyphemus]), même si ceux-ci n’apparaissent que dans des sources insulaires postérieures de plusieurs siècles à la Vita de saint Guénolé35.
17Au Pays de Galles, le mabinogi de Kulwch et Olwen présente ainsi Yspadadden Penkawr (le « châtré à tête de géant36 ») au héros venu lui demander sa fille : « Où sont les mauvais serviteurs et les scélérats qui m’entourent ? demanda le géant. Dressez les fourches sous mes paupières qui me cachent les yeux pour que je voie mon futur gendre37. » Kulwch finit par éborgner le géant en lui retournant un des javelots empoisonnés que celui-ci avait lancé sur lui. Depuis longtemps les spécialistes ont établi un parallèle entre le géant gallois et Balor, le champion des Fomoire, son homologue irlan dais, qui « avait un œil maléfique qui n’était jamais ouvert, excepté sur le champ de bataille. Quatre hommes en soulevaient la paupière avec un crochet poli ». Lorsqu’il rencontre son petit fils Lug en combat singulier au cours de la seconde bataille de la Moytura, ses propos font écho à ceux d’Ys padadden : « Soulève ma paupière, ô garçon, dit Balor, pour que je voie le bavard qui me parle38. » Un jet de fronde de son adversaire repousse l’œil venimeux de Balor de l’autre côté de sa tête, ce qui a pour effet de paralyser sa propre armée39.
18Si les deux versions (tardives) de la seconde bataille de la Moytura n’insistent pas sur la monstruosité des Fomoire qui représentent le désordre social40, d’autres récits irlandais soulignent par contre leurs difformités physiques. Ainsi le Livre des conquêtes de l’Irlande (Lebor Gabala Erenn) fait d’eux « des hommes ayant une seule jambe et un seul bras, des démons à forme humaine41 ». En écho, la version B de la mort de Cuchulain présente « les monstres éveillés et les fantômes manchots, borgnes, n’ayant qu’une seule jambe42 ». La signification de telles descriptions n’était sans doute plus nette ment perçue au moment de leur transcription, mais il est incontestable que « réduire à l’unité des organes normalement doubles […] c’est en intensifier la puissance tout autant que les multiplier non moins anormalement, car l’unité est le tout et contient en elle-même la multiplicité43 ».
19Toujours est-il qu’assez d’indices semblent ainsi réunis qui mon trent qu’Wrdisten avait en tête les géants « cyclopéens » qui hantent les récits d’outre-Manche. Tout le système de correspondances qui sous-tend la Vita de saint Guénolé est déjà en place dans la Vita de saint Patrice par Muirchú (viie s.) qu’Wrdisten connaît par ailleurs. L’hagiographe irlandais développe les démêlés de saint Patrice, en Ulster, avec Mac Cuill moccu Greccae, « un tyran fort cruel et belliqueux, c’est pourquoi on l’appelait le Cyclope44 » (1, 23). Ce brigand païen tend une embuscade au saint qui la déjoue miraculeusement. Converti et baptisé par Patrice, Mac Cuill se soumet, sur les injonctions du saint, au jugement de Dieu en s’exposant dans un bateau sans gréement. Il échoue sur les côtes de l’île de Man où il termine sa carrière comme évêque45… Le surnom Moccu Greccae (littéralement « cochon grec46 ») évoque le dieu gaulois Moccus, assimilé à Mercure, probablement représenté avec un sanglier sur la poitrine par la stèle d’Euffigneix47. Maccuill moccu Greccae est probablement un avatar de Lug dont on sait, par la Vita de saint Hervé, qu’il était connu (et diabolisé) à Landévennec. Cet épisode de la Vita de saint Patrice par Muirchú est étroitement démarqué par une version ultérieure due à Probus (xe siècle ?) qui ajoute toutefois que le pays de Gwent ( ?) dont le saint serait originaire est réputé pour « avoir autrefois été habité par des géants » (1, 1 : Nentriae provinciae in qua olim gigantes habitasse dicuntur48).
20Après cet excursus, on peut récapituler la conception implicite qu’Wridsten se fait des géants cyclopéens de la tradition celtique figurant la violence brutale qu’actualisent les « tyrans » de Grande Bretagne sous l’influence des jérémiades de Gildas dont s’inspire la suite de la préface. La culture biblique et classique de l’hagiographe de la Renaissance carolingienne lui permet de s’inscrire dans la perspective historique du salut qui implique une rupture entre l’humanité présente revivifiée par le Christ et un passé païen, certes fascinant parce que gigantesque, mais définitivement révolu et connoté négativement.
21L’association de la force brutale au gigantisme et à la tyrannie est une des constantes de la littérature occidentale. Comme en écho, dans Mesure pour mesure (1606) de William Shakespeare, Lucio s’exclame :
…Oh, it’s excellent
to have a giant strength, but it is tyrannous
To use it like a giant…
22(« C’est très bien d’avoir une force gigantesque, mais il est tyrannique d’en faire usage comme un géant », Measure for Measure, II, 2). On ne peut écarter ici un écho possible du folklore celtique dont l’œuvre de Shakespeare est empreinte par ailleurs.
23Dans son Histoire des Rois de Bretagne (v. 1136-1148), Geoffroy de Monmouth explique que « cette île s’appelait Albion et n’était habitée par personne, sinon quelques géants » (insulae huic tunc Albion nomen erat quae a nemine exceptis paucis gigantibus inhabitatur49). Mais, sans être originale, l’idée que les îles britanniques avaient été à l’origine peuplées par des géants, n’a pas attendu d’être vulgarisée par cet ouvrage à succès pour se répandre dans tout l’Occident médiéval. Deux auteurs du xiie siècle permettent de relancer la question d’éventuels rapports entre la métaphore chartraine et les légendes relatives aux géants des origines celtiques.
24Au terme de l’étude qu’il a consacrée à ce motif des « nains et des géants », E. Jeauneau a relevé une allusion à cette métaphore dans l’introduction de la Topographie de l’Irlande par Giraud de Barri (v. 1147-v. 1223). Issu d’une grande famille normanno-galloise et protégé par un oncle évêque de Saint-David’s, cet auteur a étudié à Paris avant de se rendre en Irlande en 1183 auprès de certains de ses parents qui avaient participé à la conquête de l’île (1169), puis en 1186en tant que clerc de la suite du prince Jean. À la fin de 1187, Giraud dédie une première version de sa Topographia Hibernica au roi Henri II50. L’introduction ne figure pas dans les trois manuscrits de la première recension d’une œuvre que son auteur a remaniée à plusieurs reprises. Toutefois le titre de ce texte, Introitus ad recitationem, implique qu’il a été composé à l’occasion de la première lecture publique, à Oxford, de l’œuvre par son auteur. Le motif des nains et des géants est si familier à son public lettré qu’il se contente d’une allusion.
25Le goût d’écrire est sa principale motivation « qui peut autant projeter l’étincelle de la hardiesse qu’enflammer un feu inné ; nous reposant sur tant d’autorités et pour ainsi dire nous asseyant sur leurs épaules, nous pouvons tirer un grand profit de la dignité accrue, si nous nous montrons persévérants » (Hoc etiam animositatis tam scintillam adlicere, quam et innatum ignem inflammare potest quod tantis auctoribus et tot innitentes, eorumque tamquam humeris insidentes, multiplicatae majestatis beneficio magni fieri possumus si magnanimi51).
26Or les géants qui ne sont ici présents que par prétérition, font irruption dans le livre III consacré aux « Habitants de l’île ». C’est la seule partie de l’ouvrage pour laquelle l’auteur reconnaît avoir « tiré son information des chroniques irlandaises ». Il s’est efforcé d’en retenir l’essentiel, « comme s’il extrayait et choisissait des pierres précieuses parmi les grains de sable ». En effet, Giraud accuse ses sources d’être des compilations « trop verbeuses et décousues, en grande partie hors sujet et assez insignifiantes, qui plus est en un style brut et grossier52… » En fait, il a probablement eu accès, pour composer ce résumé de l’histoire mythique de l’Irlande, à la plus ancienne version du Lebor Gabala Erenn53. Il s’assigne « en effet pour fonction de mettre en forme sobre et dépouillée ces histoires, pas de les attaquer » (Hystoriarum enimvero enucleator venio, non impugnator54). Le mythe des conquêtes successives de l’île s’inscrit dans la théorie hésiodique des quatre âges du monde tant bien que mal adaptée à la Distinctio temporum biblique et chrétienne que les historiens médiévaux empruntent à Augustin, Isidore de Séville et Bède55. La première phase de cette périodisation est antédiluvienne : Giraud rapporte le débarquement en Irlande de Cesaír (Cesarea), la petite fille de Noé, qui cherche, en compagnie de cinquante femmes et trois hommes à éviter le Déluge annoncé. L’historien fait preuve d’esprit critique en ajoutant : « Mais dans la mesure où presque tout a été détruit par le Déluge, il n’est pas interdit d’avoir des doutes sur la manière dont s’est conservée la mémoire de ces faits, autant en ce qui concerne les événements que l’arrivée… » Et de conclure : « Peut être leur mémoire a-t’elle été préservée par quelques inscriptions, sur la pierre ou sur la brique, comme on le lit à propos de l’art musical inventé avant le Déluge56. » La seconde phase de peuplement intervient trois cent ans après le Déluge. Partholon (Bartholanus) descendant de Japhet, le fils de Noé, conduit sa famille à la conquête de l’Irlande. Son nom est vraisemblablement un emprunt au latin chrétien Bartholomeus57, tandis que ceux de ses enfants sont irlandais et sont censés, d’après Giraud, se retrouver dans la toponymie de l’île. L’aménagement du territoire auquel procèdent ainsi les immigrants a pour conséquence un important essor démographique puisque, « après un cycle de trois cents ans depuis leur arrivée, on dit que le nombre de leurs successeurs s’était élevé à neuf mille hommes58 ». Cependant après une guerre victorieuse contre les géants, « il disparut avec presque tous les siens à la suite d’une pestilence peut-être occasionnée par la corruption de l’air due à la décomposition des corps des géants ». D’après les « antiques histoires », seul Ruanus aurait échappé au désastre et survécu « durant davantage de cycles d’années qu’il n’est facilement crédible » jusqu’au temps de saint Patrice qui le baptise et à qui « il relate l’histoire de l’Irlande59 ». Ce Ruanus (Caoilte mac Rónán60) de Giraud le Cambrien est l’homologue du Tuan Mac Cairill, cousin de Partholon que C.-J. Guyonvarc’h identifie à « l’homme primordial61 » qui (d’après le Lebor Gabala) aurait traversé les siècles par le biais de la métempsychose. Évidemment, le lettré du xiie siècle se garde bien de faire la moindre allusion à cet aspect du mythe préchrétien, de même qu’il émet de prudentes réserves à propos de certaines des données traditionnelles qu’il retient. C’est aussi ce parti pris de rationalisation qui l’amène à faire intervenir après le Déluge la bataille contre les géants et à avancer une explication médicale de l’épidémie qui décime la descendance de Partholon, par absence de prophylaxie. Ce souci de rigueur historique n’implique toutefois aucune remise en cause de l’existence historique des géants celtiques. Par le fait même, l’allusion implicite que contient l’introduction de la Topographie de l’Irlande à la métaphore diffusée par l’École chartraine prend tout son relief. Elle est étayée par la conviction de la réalité historique des Fomoire et autres monstres gigantesques que cet auteur développe par ailleurs et dont on a vu préalablement qu’elle était partagée par les hagiographes bretons du haut Moyen Âge.
27Sous l’influence des auteurs classiques de l’Antiquité, un autre écolâtre du xiie siècle, Honorius Augustodunensis (v. 1070-1080 – après 1150), christianise l’idée, plus saisissante encore, d’une sorte de rabougrissement progressif de l’humanité : les anciens étaient plus grands que nous, et ceux qui viendront après nous seront plus petits ! Le personnage est mal connu. Il se présente dans son Elucidarium (sorte de catéchisme, attesté dès 1101) : « Honorius prêtre et scholasticus de l’Église Augustodunensis. » Le terme scholasticus n’implique pas forcément qu’il ait été écolâtre d’une cathédrale. En Irlande, d’où cet auteur est fort probablement originaire, ce mot prend en effet le sens spécifique de « savant, étudiant en quête de science ». Quant au qualificatif d’Augustodunensis, on peut y voir une forme savante du nom de Ratisbonne où Honorius a probablement séjourné, à moins qu’il ne s’agisse d’une cacographie pour l’adjectif Augustinensis appliqué à l’abbaye bénédictine de Saint-Augustin de Cantorbéry où cet auteur a sans doute côtoyé saint Anselme. Il est permis de voir en Honorius un bénédictin irlandais formé à Cantorbéry qui termine son existence en Bavière au monastère Saint-Jacques des « Scots » de Ratisbonne, peut-être même dans la maison de reclus de Wei Sank-Peter (Saint-Pierre-Consacré) qui en dépend. Une hypothèse séduisante va jusqu’à faire d’Honorius un pseudonyme de Marianus Scottus, dont on ne connaît aucun ouvrage, mais que sa Vie latine présente comme un lettré irlandais, maître du pape d’origine anglaise Adrien IV (1154-1159) et qui aurait terminé sa vie comme reclus62. L’œuvre multiforme d’Honorius, où se décèlent les influences d’Anselme de Cantorbéry, de Rupert de Deutz et de l’École chartraine, s’attache à expliciter des courants d’idées en gestation au xiie siècle qui prendront forme ultérieurement. On propose même de lui attribuer la rédaction de la Vision de Tnugdal (1149), un des sommets de la littérature visionnaire du xiie siècle, qui associe les anciennes conceptions celtiques de l’Au-delà et les traditions littéraires de la Chrétienté occidentale63. Le récit s’inscrit dans le contexte de la réforme de l’Église insulaire à l’initiative de saint Malachie (Mael Maedoc Ua Morgair, 1095-1148), ami de Bernard de Clairvaux. Il raconte comme un chevalier irlandais, Tnugdal, serait tombé dans le coma au cours d’un voyage d’affaires à Cork. Sous la conduite de son ange, son âme aurait visité les différentes sections de l’Autre Monde et rencontré de nombreuses célébrités, des contemporains et des amis. Après avoir expérimenté en partie les souffrances des méchants et les récompenses des bons, l’âme de Tnugdal rejoint son corps pour témoigner de cette aventure64. En passant par l’Enfer, le chevalier voit deux géants parmi les pécheurs qu’Achéron tient entre ses dents. Son guide les présente en ces termes :
« …À leur époque, ils étaient si fidèles aux croyances de leur peuple que depuis on n’a jamais trouvé leurs pareils. D’ailleurs, tu connais bien leurs noms : ils s’appellent Fergus et Connal. Et Tnugdal dit à son ange : – Il y a quelque chose qui me chagrine : tu m’affirmes qu’ils ont été fidèles à leurs croyances ; pourquoi alors le Seigneur a-t’il jugé qu’ils méritaient un tel traitement ? »
28L’ange ne trouve rien de mieux à répondre que de laisser entendre à son interlocuteur que ces deux géants sont privilégiés par rapport à d’autres pécheurs dont le châtiment est bien pire65.
29Si l’on retient l’hypothèse qui fait d’Honorius Augustodunensis l’auteur de la Vision de Tnugdal66, voici donc un second lettré du xiie siècle pour qui la métaphore des nains et des géants ne constituerait pas une simple clause de style, mais s’inscrirait dans un contexte culturel que le prologue de la Vita de saint Guénolé a permis de cerner et que l’analyse d’autres Vitae bretonnes du haut Moyen Âge va contribuer à préciser dans les chapitres suivants. Nous verrons bientôt que les passe-droits tout relatifs dont bénéficient les géants irlandais dans l’au-delà, selon le témoignage de Tnugdal, trouvent des correspondances, deux siècles plus tôt, dans les récits de la navigation de saint Malo, puisque certaines versions vont jusqu’à permettre au saint de sortir de la tombe un géant qui a « passé plus de cent ans sous terre » afin de pouvoir baptiser celui-ci et de l’envoyer au ciel, au mépris du dogme orthodoxe de l’éternité des peines. Ainsi, même quand la pression des traditions paraît trop forte pour permettre de diaboliser franchement le géant, tout se passe comme si le recours au motif folklorique du tombeau du géant (F. 531.6.13. Graves of giants) permettait aux hagiographes d’insister sur la rupture définitive avec le passé (quitte probablement à infléchir la légende à l’origine de leur récit). C’est pourquoi, lorsque la Vita carolingienne est réécrite sous l’épiscopat de Jean de Chatillon67 († 1163), cette nouvelle version censure les connotations merveilleuses (mais scabreuses) du récit de la résurrection du géant :
« Quiconque voudrait le découvrir, pourrait le trouver dans le livre de la Pérégrination de saint Brendan. Au cours de cette pérégrination, on lit qu’il a ressuscité un mort. Ainsi peut-on aisément comprendre combien le saint était un fidèle adorateur de la Suprême et Indivisible Trinité dont la puissance se manifesta ensuite plus merveilleusement par deux autres résurrections. »
Quae si quis indagare velit, in libro Brendanicae peregrinationis invenire poterit. In qua, inquam, peregrinatione legitur mortuum suscitasse ut jam posset facile deprehendi quam fidelis cultor esset summae et individuae Trinitatis, cujus virtus postea mirabilius ostensa est duobus aliis suscitatis68.
30En définitive, que Bernard de Moelan ait eu accès (comme le laisseraient à penser les indices rassemblés plus haut) aux traditions transmises par les Vitae bretonnes du haut Moyen Âge ou que cette hypothèse aventurée ne soit qu’une vue de l’esprit, toujours est-il que lui et ses émules du xiie siècle ont endossé la conception ambiguë que se faisaient des géants leurs prédécesseurs lettrés du haut Moyen Âge : des êtres monstrueux rejetés dans un passé mythique qui suscitait une certaine fascination, voire parfois de la sympathie ! Comme l’a montré Édouard Jeauneau, le succès du motif est dû à sa polysémie. Aussi la portée de celui-ci varie-t-elle d’un siècle à l’autre, lorsqu’il est transposé du registre de l’histoire du salut à celui de la transmission des arts libéraux. En dernière analyse, le plus clair est de reprendre la distinction entre métonymie et métaphore dont Marie-Louise Tenèze a expérimenté la validité en présentant les « contes religieux69 ».
31Les géants des Vitae du haut Moyen Âge sont les figures métonymiques d’un passé révolu auquel ils appartiennent et avec lequel les hagiographes tiennent à marquer leurs distances. C’est pourquoi il n’est pas question de se comparer à eux, quitte à passer pour des nains. Pour les lettrés de la période carolingienne, même un bon géant ne peut être qu’un géant mort !
32Au contraire, la métaphore des nains sur les épaules des géants induit une comparaison entre les Anciens et les Modernes (que celle-ci soit à l’avantage de ces derniers ou pas) qui s’inscrit dans le fil d’une continuité historique reliant le passé au présent, pour le meilleur ou pour le pire, quitte à susciter la verve malicieuse d’Umberto Eco quand celui-ci s’amuse à retourner la question : « Et peut-être que, sans qu’on le sache, dans l’ombre rôdent déjà des géants prêts à s’asseoir sur les épaules de nos nains70 ? »
Notes de bas de page
1 Communication inédite.
2 H. Martin, Mentalités médiévales, Paris, PUF, Nouvelle Clio, t. 1, 1996, p. 72-76.
3 H. Bresc, « Le temps des Géants », dans Temps, mémoire, tradition au Moyen Âge. Actes du 13e congrès de la SHMESP, Aix-en-Provence, 4-5 juin 1982, Marseille, PUP, 1983. Il serait probablement intéressant de comparer la diffusion de ces croyances et la répartition des sépultures à inhumation : cf. A. Schnapper, « Persistance des Géants », AESC, janv.-fév. 1986, n° 1, p. 181.
4 A.-J. Gourevitch, La culture populaire au Moyen Âge. Simplices et docti, Paris, Aubier, 1992, p. 28-36.
5 H. Martin, Mentalités médiévales, op. cit., p. 176.
6 Voir H. Martin, B. Merdrignac, Culture et sociétés dans l’Occident médiéval, Ophrys, Gap-Paris, 1999, p. 164-166. P. Riché, J. Verger, Des nains sur des épaules de géants : Maîtres et élèves au Moyen Âge, Paris, Tallandier, 2006.
7 J. Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, 1967, p. 215 et 220-221. Cf. id., « Du ciel sur la terre : la mutation des valeurs du xiie au xiiie s. dans l’Occident chrétien », dans Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi, Paris, Gallimard, 2004, p. 1268-1269.
8 U. Eco, À reculons comme une écrevisse, Paris, Grasset, 2006, p. 398.
9 Metalogicon, III, 4 : Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris incidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvehimur et extollimur magnitudine gigantea. Et his facile acquieverim, quia artis praeparatitia et multos articulos veritatis tradunt artium praeceptores, etiam in introductionibus suis, aeque bene antiquis, et forte commodius. Quis enim contentus est iis, quae vel Aristoteles in Periermeniis docet ? Quis aliunde conquisita non adjicit ? Omnes enim totius artis summam colligunt, et verbis facilibus tradunt. Vestiunt enim sensus auctorum quasi cultu quotidiano, qui quodammodo festivior est, cum antiquitatis gravitate clarius insignitur. Sunt ergo memoriter tenenda verba auctorum, sed ea maxime quae plenas sententias explent, et quae commode possunt ad multa transferri, nam et haec integritatem scientiae servant, et praeter hoc a se ipsis tam latentis quam patentis energiae habent plurimum. Sunt autem pleraque, quae si a suis avellas sedibus, aut nihil, aut minimum sapiunt auditori, qualia fere sunt omnia analyticorum exempla, ubi litterae ponuntur pro terminis, quae, sicut ad doctrinam proficiunt sic tractata, alias inutilia sunt. Migne, PL 199, col. 899-904 ; Cf. J.-B. Hall, K. S. B. Keats-Rohan (éd.), Ioannes Saresberiensis, Metalogicon, Corpus Christianorum, Continuatio medievalis, Brepols Turnhout, 1991.
10 U. Eco, À reculons comme une écrevisse…, op. cit., p. 399. E. Jeauneau, « Nains et géants », dans M. de Gandillac et E. Jeauneau (dir.), Entretiens sur la Renaissance du xiie siècle, Paris-La Haye, 1968, p. 32.
11 J. Verger, La Renaissance du xiie s., Paris, Cerf, 1996, p. 24-25.
12 E. Jeauneau, « Nains et géants », art. cit., p. 23-24.
13 E. Jeauneau, ibid., p. 31-32.
14 R. Klibanski, « Standing on the shoulders of giants », Isis, 26, 1936, p. 149.
15 J. Balcou et Y. Le Gallo (dir.), Histoire Littéraire et Culturelle de la Bretagne, t. I. L. Fleuriot et A.-P. Ségalen (éd.), Héritage celtique et captation française. Des origines à la fin des États, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1987. En breton, Barz = « barde ». Les attestations les plus anciennes de ce nom sont de 1114 et de 1131, selon G. Le Menn, Les noms de famille les plus portés en Bretagne, Spezet, 1993, p. 62. Le surnom de insulis pourrait peut-être s’appliquer à un breton émigréen Flandre, à moins qu’il ne s’agisse d’une famille de « l’Île » (Molène, Ouessant, etc.) ?
16 R. Largillière, « Saint Corentin et ses vies latines. À propos d’une publication récente », BSAF, t. LII, 1925, p. 22-24.
17 H. Guillotel, « Sainte Croix de Quimperlé et Locronan », dans Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 20-30 avril 1989, Brest-Locronan, 1995, p. 183-188. Cf. H. Guillotel, « Le privilège de 1166 de Bernard de Moelan, évêque de Quimper, pour l’abbaye de Quimperlé », dans Charpiana. Mélanges offerts par ses amis à Jacques Charpy, Rennes, p. 545-548. Sur l’épiscopat de Bernard de Moelan, cf. J. Quaghebeur, La Cornouaille du ixe au xiie siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, Rennes, PUR – SAF, 2002, p. 296-307. Certains chercheurs préfèrent toutefois attribuer la paternité de ces Vitae à l’évêque de Quimper d’origine française, Rainaud (1219-1245), proche conseiller de Pierre Mauclerc. Cf. A.-Y. Bourgès, « À propos de la Vita de saint Corentin », BSAF, t. 127, 1998, p. 291-303.
18 G. Milin, Les Chiens de Dieu. La représentation du loup-garou en Occident (xie-xixe siècles), Cahiers de Bretagne Occidentale n° 13, CRBC, Brest, 1993, p. 153-166.
19 Cf. BUR ms 441, p. 84.
20 H. Guillotel, « Sainte Croix de Quimperlé et Locronan », art. cit., p. 184-188.
21 B. Plaine, « Vie inédite de saint Corentin », BSAF, 13 (1886), par. 6 : Occursus sancti Chorentini cum sanctis Maclovio et Paterno. On peut sourire (ou être agacé) de la naïveté de l’éditeur qui note p. 128, n. 17 : « Nous serions portés à croire qu’il y aurait ici erreur de copiste et que le biographe anonyme avait écrit Melanius (Melaine). La raison est que la chronologie de S. Malo ne permet pas de supposer que ce saint ait passé en Armorique avant 545-555, tandis que le fait dont nous parlons doit être antérieur à 530. » Sans plus de scrupule, il traduit donc le titre (p. 129) : « Visite des saints Paterne et Melaine à saint Corentin » !
22 Y. Morice, L’abbaye de Landévennec des origines au xie s. à travers sa production hagiographique.Cultures monastiques et idéologies dans la Bretagne du haut Moyen Âge, Rennes 2, thèse dact., janv. 2007, p. 187-188, n’a pas relevé moins d’une vingtaine de rencontres formelles entre ce passage et l’œuvre de Gildas.
23 Trad. M. Simon, L’abbaye de Landévennec de saint Guénolé à nos jours, Rennes, Ouest-France éd., 1985, p. 33-34.
24 Vita Major Winwaloei, l. I, c. 1, dans A. de La Borderie (éd.), Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, Rennes, 1888, p. 7-8. Cf. Vita Brevior, R. Latouche (éd.), Mélanges d’histoire de Cornouaille, Paris, 1911, p. 97.
25 J.-R. du Cleuziou, « Landévennec et les destinées de la Cornouaille », SECDN, 93, 1965, p. 10, n. 3. Cf. F. Kerlouégan, « Les citations d’auteurs latins chrétiens dans les Vies de saints bretons carolingiennes », E.C., 19, 1982, p. 246 et n. 102 ; H. Bresc, « Le temps des géants », art. cit., p. 246 et 260, n. 15.
26 Cf. L. Séchan, P. Lévêque, Les grandes divinités de la Grèce, Paris, de Boccard, 1966, p. 259.
27 A. Schnapper, « Persistance des Géants », art. cit., p. 187.
28 Cf. par ex., J.-C. Cassard, Les Bretons de Nominoë, Rennes, 2e éd., PUR, 2002, p. 234-235.
29 J.-P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1969, p. 35.
30 Cf. P. Courcelle, « Les lecteurs chrétiens de l’épisode des Cyclopes », dans Studia patristica Mediolanensia, 10, 1979, p. 477-484.
31 C’est pourtant surtout l’aspect de « disque solaire » (Phoebeae lampadis) de cet œil que retiennent les auteurs médiévaux ; cf. P. Courcelle, « Les lecteurs chrétiens… », art. cit., p. 479, n. 18.
32 F. Duine, BUR droit 17372, rapproche du portrait de Protée (Geor., 4, 405 -410) la suite de la description.
33 Henri Bresc, « Le temps des Géants », art. cit., passim.
34 Cf. B. Merdrignac, « L’Enéïde et les traditions anciennes des Bretons », Études Celtiques, t. 20/1 (1983), p. 199-205.
35 Cf. T.-P. Cross, Motif-index of EarlyIrish Literature, Bloomington, 1952, A 128.2. One eyed god ; A 1075. End of world heralded by coming of Antichrist gigantic destructive one-eyed monster ; F 512.1.1. Person (giant) with one eye in center of forehead (Polyphemus) ; F 531.1.1.1. Giant with one eye in middle of forehead, etc. Bien entendu, le motif n’est pas spécifiquement celtique. Cf. au Pays basque, le géant Tartaro pourvu d’un œil unique (N. Belmont, Mythes et croyances dans l’ancienne France, Paris, 1973, p. 33).
36 C.-J. Guyonvarc’h, « Notes d’étymologie et de lexicographie gauloises et celtiques », dans Ogam, 14 (1962), p. 482-483. Cf. A. et B. Rees, Celtic heritage, new éd., London, 1978, p. 262.
37 Cf. L. Fleuriot, J.-C. Lozac’hmeur et L. Prat, Récits et Poèmes celtiques, Paris, 1981, p. 173.
38 C-.J. Guyonvarc’h, Textes mythologiques irlandais, t. 1, vol. 1, dans Ogam-Celticum, 1980, p. 57, par. 133-134. Cf. T. O’Cathasaigh, « Cath Maige Tuired as exemplary myth », dans P. de Brun, S. O. Coilean, P. O’Riain, Folia Gadelica, essays presented to R. A, Breatnach, Cork, 1983, p. 7.
39 C.-J. Guyonvarc’h, Textes mythologiques irlandais…, op. cit., p. 99. Cf. A. H. Krappe, Balor with the Evil Eye, New-York, 1927.
40 E. A. Gray, « Cath Maige Tuired : myth and structure (24-120) », dans Eigse. A journal of Irish Studies, 19, part, l (1982).
41 A. et B. Rees, Celtic heritage, op. cit., p. 31-32. Giraud de Cambrie, dans sa Topographia Hiberniae (vers 1188), en rapportant l’invasion de l’Irlande par Partholon (Bartholanus) assimile les Fomoire à des géants et explique la peste qui extermina sa descendance (cf. Labor Gabala Erenn, par. 221) par « la corruption de l’air due aux cadavres des géants qui avaient été tués » (Top. Hiber., Distinct., 3, c. 2, dans G. Cambrensis, Opera, éd. J.-F. Dimock, 5, Londres, 1867, p. 141-142). Cette légende est reprise par Ranulf Higden dens son Polychronicon.
42 C.-J. Guyonvarc’h, Morrigan, Bodb, Macha, la souveraineté guerrière de l’Irlande, dans Ogam-Celticum, 25 (1983), p. 43.
43 W. Déonna, Un divertissement de table : à « cloche-pied », Latomus, 40, Bruxelles, 1959. J. Borsje et F. Kelly, « “The Evil Eye” in Early Irish Literature and Law », Celtica 24 (2003), p. 1-39.
44 L. Bieler, Patrician Texts in the Book of Armagh, Dublin, 1979, p. 102-107. Cf. B. Merdrignac, Les Vies de saints bretons durant le haut Moyen-Âge, Ouest-France Université, Rennes, 1993, p. 106.
45 Cf. P.-Y. Lambert, « Les Immrama ou récits de voyages monastiques dans l’Irlande médiévale », Britannia Monastica, vol. 11 (2007), p. 61-72.
46 J. Vendryes, Lexique étymologique de l’irlandais ancien, 1959 (réimpr. 1981), s. v.
47 A. Ross, Pagan Celtic Britain : Studies in Iconography and Tradition, London, Cardinal, 1974 (reprint Academy Chicago Publishers, 1996), p. 310.
48 L. Bieler, Four latin lives of saint Patrick, Dublin, 1971, p. 192.
49 E. Faral, La légende arthurienne, Paris, Champion, 1929, vol. 2, p. 90. Cf. Geoffroy de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne, trad. L. Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1992, c. 21.
50 J.-J. O’Meara (éd.), Giraldus Cambrensis, Topographia Hiberniae, Proceedings of the Royal Irish Academy 52 C (1948-1950), p. 113-115. Cf. J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge : Giraud de Barri et la « Topographia Hibernica » – 1188, Paris, Champion, 1993.
51 J.-F. Dimock (éd.), Giraldus Cambrensis, Opera, vol. 5, Londres, 1867, p. 3 et n. 2.
52 J.-F. Dimock, ibid., p. 8.
53 J.-J. O’Meara (transl.), The First Version of the Topography of Ireland by Giraldus Cambrensis, Dundalk, 1951, p. 116, n. 42.
54 J.-F. Dimock, op. cit., p. 140. J.-J. O’Meara (éd.), Topographia Hiberniae…, Pr. R.I.A., op. cit., p. 157.
55 B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne, 1980, p. 148 -152 qui analyse, entre autres, l’Historia Brittonum attribuée à Nennius.
56 J.-F. Dimock, op. cit., p. 140.
57 C.-J. Guiyonvarc’h, Textes mythologiques irlandais, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 18.
58 J.-F. Dimock, op. cit., p. 141.
59 J.-F. Dimock, ibid., p. 147. J.-J. O’Meara (éd.), Topographia Hiberniae…, Pr. R.I.A, op. cit., p. 158.
60 J.-J. O’Meara (transl.), The First Version of the Topography of Ireland…, op. cit., p. 78.
61 C.-J. Guyonvarc’h, Les Druides, Rennes, Ouest-France éd., 1986, p. 325-329.
62 M.-O. Garrigues : « Quelques recherches sur l’œuvre d’Honorius Augustodunensis », RHE, 70 (1975), p. 388-425 ; id., « Une œuvre retrouvée d’Honorius Augustodunensis », Studia monastica, 31/1 (1989), p. 7-48.
63 Cf. H. Martin, B. Merdrignac, Culture et sociétés dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 182-183.
64 J.-M. Picard, Y. de Pontfarcy (transl.), The Vision of Tnugdal, Dublin, Four Courts Press, 1989, p. 48-67. Voir C. Carozzi, « Structure et fonction de la Vision de Tnugdal », dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle (Rome 22-23 juin 1979), Rome, école française de Rome vol. 25, 1981, p. 223-234.
65 J.-M. Picard, Y. de Pontfarcy (transl.), The Vision of Tnugdal…, op. cit., p. 121.
66 J. Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, p. 184-188 présente Honorius Augustodinensis comme un « témoin des hésitations » du xiie s. sur la géographie de l’au-delà d’après la Scala coeli major et l’Elucidarium ; par ailleurs, il analyse la Vision de Tnugdal, p. 256-259, sans s’arrêter à l’épisode qui nous retient ici. Par contre, lorsque cet historien place « Cormachus (Cormack) » au rang des « rois irlandais légendaires, mais évidemment considérés comme historiques par Tnugdal », on doit rappeler que la chapelle édifiée par Cormac Mac Carthaig (†1138), roi-évêque de Cashel, est sans doute l’église romane la plus remarquable d’Irlande.
67 Cf. J.-C. Poulin, « Les réécritures dans l’hagiographie bretonne (viiie-xiie siècles) », dans M. Goullet et M. Heinzelmann, La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval, Transformations formelles et idéologiques, Beihefte der Francia, B-58 (2003), p. 181, n. 13. A. Le Huërou, Baudri, archevêque de Dol et hagiographe (1107-1130) : édition, traduction et commentaire de quatre textes hagiographiques en prose (thèse dact., Rennes 2, 2006), p. 46-48, a définitivement établi que cette version de la Vita de saint Malo ne pouvait être l’œuvre de Baudri de Bourgueil comme cela a été trop souvent avancé sans argument probant. Cf. id., « Pour une définition du corpus historico-hagiographique de Baudri, archevêque de Dol (1107-1130) », Britannia Monastica, vol. 11 (2007), p. 27-37.
68 Dom J. Mabillon, Act. SS. Ord. S.B. Saeculum I, Paris, 1668, p. 218, c. 6.
69 M.-L. Tenèze, Le conte populaire français, t. IV, vol. 1, Paris, 1985, p. 57-58.
70 U. Eco, À reculons comme une écrevisse, op. cit., p. 409.
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