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Le crime de Lykaon : enjeux et significations d’un récit de la mort (Pausanias, VIII, 2)

p. 15-38


Texte intégral

1Pausanias ouvre le livre VIII de sa Périégèse, consacré à l’Arcadie, comme tous les autres, à l’exception du livre I, par le récit des origines de cette région de la Grèce. Au sein de ce passage liminaire, le crime monstrueux de Lykaon occupe une place essentielle, programmatique en quelque sorte. Pour avoir sacrifié un nouveau-né sur l’autel de Zeus, le roi meurtrier se voit aussitôt métamorphosé en loup. On souhaite étudier ce récit de mort particulier, au cours duquel le coupable donne la mort, mais y échappe lui-même et subit une punition autrement plus riche d’implications, en s’efforçant d’en dévoiler et expliquer l’originalité pour, ainsi, découvrir ses enjeux et significations. Récit de mort particulier et original, vient-on de dire ; étonnamment paradoxal, surtout, comme l’analyse tendra à le montrer.

2Pausanias n’est ni le premier ni le dernier à évoquer le crime de Lykaon. Il n’est pas sans savoir que ce mythe est bien connu des lecteurs grecs et cette certitude explique sans doute les implicites nombreux de son récit. Pour autant, un tel constat ne saurait permettre de rendre compte de l’étrangeté de ce texte écrit par un auteur connu pour son souci constant de précision et la volonté d’exhaustivité guidant une recherche qui vise à retranscrire, pour en perpétuer la mémoire, les mythes et traditions de la Grèce. Passage bien étrange donc, en vérité, particulier tout au moins, si on le compare aux nombreux autres textes évoquant le mythe de Lykaon. C’est à ces spécificités du récit qu’il convient d’abord d’être attentif.

3La première originalité, la plus surprenante peut-être aux yeux du lecteur, réside dans la présentation du personnage de Lykaon, qui ne peut manquer de contrevenir à un « horizon d’attente » légitime. À lire le récit de Pausanias, le « prototype du lycanthrope », « l’image de la férocité » a tout pour être « un bon héros ». Fils de l’autochtone Pélasgos, il reçoit de son père une origine chthonienne qui le rattache directement à la Terre et au monde divin. Il hérite, également, d’une vocation politique qui le pousse à poursuivre l’œuvre civilisatrice de son père en fondant une cité, Lykosoura, laquelle serait la première jamais créée, modèle pour tous les autres hommes1. Son domaine d’action s’étend à la religion : il donne un nom à Zeus, Lykaios, et institue en son honneur les jeux Lycéens qui précédèrent les Panathénées. En apparence, il incarne la figure du roi civilisateur des origines, à l’image de Kékrops l’Athénien, évoqué en contrepoint, autochtone, mi-homme mi-serpent. Tout porte à penser que Pausanias, comme M. Jost en fait la remarque, « le considère finalement, en dépit du sacrifice, comme un bon héros2 ». Mais, précisément, il y a ce sacrifice qui détruit cette première apparence et différencie l’Arcadien de l’Athénien, prouvant la plus grande « sagesse envers le divin » du second. Il faut retenir cette divergence de destins qui, à n’en pas douter, constitue l’une des clés d’interprétation du texte de Pausanias.

4Autre surprise de taille : le caractère extraordinairement bref, réduit et, si l’on ose dire, minimaliste du récit des faits. Une fois encore, le personnage et son acte n’existent que dans leur opposition à Kékrops et sa pratique des sacrifices « purs », végétariens et non sanglants :

Lykaon, lui, apporta sur l’autel de Zeus Lykaios un nouveau-né humain, sacrifia le bébé et répandit son sang sur l’autel : et on dit qu’aussitôt après le sacrifice, il devint un loup au lieu d’un homme.

5L’essentiel est dit et le récit y gagne en clarté ; mais, étrangement elliptique, il ne peut laisser présager de la richesse et de la complexité d’un mythe sur lequel on dispose d’un abondant corpus de témoignages littéraires. Il n’est pas vain de les évoquer pour faire apparaître, à toutes fins utiles, la spécificité de la version de Pausanias. Dans leur quasi-totalité, ces textes peuvent être considérés comme tardifs. La plus ancienne source est un fragment d’Hésiode, cité par Eratosthène, mais dont l’attribution continue de poser problème3. Pour le reste, les textes d’époque classique, tels que nous les connaissons, ne mentionnent pas l’épisode de la métamorphose. Pour trouver attestation littéraire de cet épisode, dont on ne connaît à ce jour aucune représentation figurée, il faut donc attendre l’époque alexandrine. On dispose alors d’un ensemble abondant de références, parmi lesquelles on retiendra les témoignages les plus riches et importants.

6Une première remarque tout d’abord : les textes passent toujours sous silence le rôle de héros civilisateur mis en avant par Pausanias et ne retiennent que l’épisode-clé du crime monstrueux. Pour autant, Lykaon n’en est pas toujours tenu pour responsable. Bien au contraire, la version de Nicolas de Damas fait de lui l’exemple même du roi pieux recevant fréquemment la visite de Zeus4. La faute est alors imputée à ses fils, ce qui n’empêche pas pour autant Zeus de punir son hôte royal5. À l’opposé de cette version, plusieurs auteurs voient en Lykaon le criminel par excellence6. Ovide porte à son extrême cette certitude, en traçant le portrait effroyable du « tyran », d’un homme « bien connu pour sa férocité », « image de la férocité »7. Et c’est à Zeus lui-même qu’il revient de dresser l’inventaire des vices imputés à Lykaon, coupable des pires crimes : tentative de déicide, meurtre bien réel d’un otage, anthropophagie8. On le voit, ce sont les fondements mêmes de l’ordre civilisé grec (respect des dieux, règle de la xenia, interdit de l’allélophagie) que le roi impie met en péril.

7Un deuxième constat d’ordre général s’impose : Pausanias est le seul à faire explicitement état d’un sacrifice. Tous les autres auteurs évoquent uniquement un repas offert à Zeus. On se dira que de l’un à l’autre le glissement est aisé, tant sont étroits les liens qui unissent ces deux actes. Et, à lire de près les textes, on s’aperçoit que, tout en dénonçant avec force le caractère monstrueux du meurtre et du festin, les auteurs emploient très fréquemment les termes mêmes par lesquels s’énoncent les actes rituels du sacrifice religieux : thuein, sphattein, sphagiazesthai 9 Qu’on se reporte, à titre d’exemple, au passage du pseudo-Apollodore (sphazantes, splanchna), à celui de Clément d’Alexandrie (katasphaxas)10. C’est chez Ovide que l’on trouve la description la plus minutieuse et détaillée du rituel sacrificiel :

de son glaive il coupe la gorge à l’un des otages que lui avait envoyés le peuple des Molosses ; ensuite il attendrit dans l’eau bouillante une partie des membres palpitants et il fait rôtir l’autre sur la flamme11.

8Assurément, pour reprendre l’heureuse formule de M. Detienne, Lykaon est « un sacrificateur expert ». Il faut retenir cette ambivalence manifeste de l’acte de Lykaon : à la fois crime monstrueux et acte rituel accompli dans les règles de l’art sacrificiel, il révèle une part étonnante de sacré. On peut y voir le rappel du caractère pieux attribué au roi arcadien, mais on peut aussi interpréter cette ambivalence comme le vestige, la trace conservée par le mythe, d’un caractère religieux ancestral bien réel12. On ne peut manquer, non plus, de déceler dans cet usage lexical l’indice d’une forme de perversion du rituel sacrificiel.

9Si l’on considère l’épisode dans son déroulement, on peut reconstituer sa structure narrative, et prendre acte des principales variantes. Tous les auteurs s’accordent pour situer l’épisode en Arcadie, à l’exception de Clément d’Alexandrie qui, sans manquer de mentionner l’origine de Lykaon, le « transporte » en Ethiopie, haut lieu de la commensalité des hommes et des dieux, pays de la Table du Soleil, des sacrifices les plus purs et des hommes les plus pieux13. Pour tous les autres auteurs, le repas est un acte imposé par les règles de la xenia : Lykaon accueille en son palais un hôte, en la personne de Zeus qui, le plus souvent, a revêtu l’apparence d’un simple humain14.

10Le repas anthropophagique offert à Zeus a, selon les versions, deux fonctions opposées : il s’agit pour Lykaon, ou pour ses fils, de s’assurer de la divinité de Zeus tout autant que de sa claivoyance15  ; à l’inverse, le repas peut être aussi considéré comme l’occasion pour le dieu de « mettre à l’épreuve l’impiété » des hommes16. Dans les deux cas, les motivations des deux parties ne sont pas sans évoquer celles qui animent Zeus et Prométhée lors de l’épisode de Mékôné, du premier sacrifice. Quand il ne s’agit pas d’un otage molosse ou d’un hôte17, la victime est le plus souvent un enfant, comme dans la version de Pausanias ; il peut même s’agir de Nyctimos, fils aîné de Lykaon, ou d’Arkas, fils de Kallisto, petit-fils de Lykaon18.

11Le repas monstrueux se solde par la colère de Zeus et le châtiment qu’il impose au roi et, parfois, à ses fils. La colère divine s’exprime au travers d’un geste rapporté par de nombreux auteurs : Zeus renverse la table (trapeza) sur laquelle était déposé le « festin ». Il en résulte une désignation éponymique du lieu même du repas, désormais nommé Trapézonte19. Il n’est guère difficile de voir dans ce geste hautement symbolique et surdéterminé dans l’imaginaire mythologique grec l’image même de la rupture de la commensalité des dieux et des hommes20. Le châtiment constitue la deuxième réaction de Zeus. Il est mentionné par l’ensemble des auteurs, à l’exception de Clément d’Alexandrie et de Nonnos de Panopolis qui se contentent uniquement d’évoquer la faute. Ce châtiment revêt deux formes essentielles : outre la métamorphose en loup, Zeus punit le(s) coupable(s) par le foudroiement (keraunôsis). À partir de ces deux motifs, les auteurs ont introduit diverses configurations, composant ainsi un riche ensemble de variantes :

  • Lykaon est métamorphosé en loup : c’est la version, notamment, de Pausanias21 ;
  • Lykaon est métamorphosé en loup, tandis que son palais est foudroyé22 ;
  • Lykaon est métamorphosé en loup, tandis que ses fils sont foudroyés23 ;
  • Lykaon est foudroyé24, parfois en même temps que ses fils25, ou une partie d’entre eux, les autres se voyant transformés en loups26.

12Les deux formes de châtiment sont différentes. Par la keraunôsis, Zeus dévoile entièrement sa divinité en même temps qu’il impose la punition suprême, sans appel, symbole absolu de sa toute puissance27. Par la métamorphose, le dieu ne provoque pas la mort du coupable, mais son bannissement hors du monde des hommes, dans l’animalité.

13À ces deux châtiments traditionnels s’ajoute un troisième : le déluge, dont la première occurrence se trouve chez Ovide28. De cet épisode du déluge, on peut dire sans peine qu’il constitue une forme topique de rupture entre le monde des hommes et celui des dieux et qu’il ajoute aux deux autres formes de châtiment la menace d’un anéantissement général de la race humaine. On pense au déluge de Deukalion et, bien sûr, à nouveau, au mythe de Prométhée dont il constitue, d’une certaine manière, l’ultime conséquence29.

14Comme on le voit à l’évocation de ces différentes versions, un thème structurant revient sans cesse : celui du festin anthropophage. Or une autre des spécificités du récit de Pausanias réside dans le fait qu’il présente uniquement l’acte de Lykaon comme un véritable sacrifice. Il y a là, de toute évidence, un détournement de sens, une variation importante, qu’il faut tenter d’expliquer. Ne pas évoquer le banquet, c’est retirer au récit un « schème » essentiel qui permettrait de le rattacher à une série bien connue de mythes, dont le modèle paradigmatique est le festin de Tantale, et de lui conférer un ensemble de significations particulières30. Mais, inversement, voir uniquement dans l’acte de Lykaon un sacrifice pourrait permettre à Pausanias d’enrichir son récit en donnant au mythe une valeur étiologique. De fait, on le sait, le mythe de Lykaon fonde un rituel religieux, le sacrifice du mont Lycée, seul rituel de sacrifice humain pratiqué en Grèce à époque historique connu à ce jour par les témoignages littéraires31. Cette valeur étiologique semble confirmée par la suite du texte. Mais encore faut-il bien être attentif au raisonnement logique de l’auteur et s’aviser que cette valeur étiologique se dénonce d’elle-même comme contraire à la vérité. Pausanias, si attentif au fait religieux, ne pouvait passer sous silence ce rituel religieux. Il ne l’évoque que beaucoup plus loin dans le livre VIII et encore, avec beaucoup de réticence :

Sur l’autel, on sacrifie à Zeus Lykaios en secret, et je n’ai pas voulu m’informer indiscrètement de ce qui en est de ce sacrifice. Qu’il soit ce qu’il est et ce qu’il a toujours été dès l’origine32.

15Certes, « les réticences de Pausanias s’expliquent par la gravité du sujet et le caractère secret de la cérémonie » et « ne laissent pas de doute sur le rite secret auquel il est fait allusion »33. Mais on voit bien que pour Pausanias la vérité du mythe n’est pas là. Elle ne se trouve pas non plus dans la lycanthropie rituelle. Il ne s’agit que d’« histoires mythologiques » (muthologemata). En revanche, le crime de Lykaon et sa métamorphose sont désignés, de façon surprenante, par le terme de logos, manière, peut-être, de suggérer que là se trouve la vérité du mythe. Pour le dire en d’autres termes, si Pausanias évoque le sacrifice monstrueux de Lykaon, ce n’est pas, comme le font d’autres auteurs, pour expliquer un rituel sacrificiel bien réel et sa conséquence inéluctable, la lycanthropie34. Pour quelles raisons, alors, le fait-il ?

16L’évocation du crime de Lykaon se justifie, avant toute chose, par son rôle essentiel au sein du projet narratif de Pausanias. Il permet de fonder, en lui donnant sens, un récit des origines particulier et original, celui de l’Arcadie, qui se définit par opposition explicite à celui d’Athènes et, de façon implicite, en contrepoint du modèle grec traditionnel centré autour du mythe du premier sacrifice institué par Prométhée.

17Il convient, tout d’abord, de rappeler l’histoire particulière de l’Arcadie. Enclavée au cœur du Péloponnèse, d’accès difficile, montagneuse et aride, l’Arcadie est une région à part dans le monde grec. On y parle un dialecte archaïque, le plus proche du mycénien35, on y vénère des divinités aux noms mystérieux, souvent thériomorphes, portant traces de caractères « fort proches du fonds préhellénique36 ». Assurément, l’Arcadie est « un véritable conservatoire d’archaïsmes politiques, linguistiques et religieux37 ». L’Arcadie, tout en étant une réalité, est également une représentation : celle d’une contrée figée sur elle-même et immobile, celle d’un peuple enraciné dans son sol, à l’ancienneté immémoriale et inquiétante38. De fait, seuls avec les Athéniens, les Arcadiens se vantent de l’insigne privilège d’être les uniques véritables autochtones. Comme eux ils sont nés de leur propre terre qu’ils n’ont jamais quittée, une terre qu’ils occupent depuis toujours. Entre Athéniens et Arcadiens, il est clair qu’existe une sorte de rivalité, dont l’évocation de Kékrops dans le texte de Pausanias constitue un indice patent39. Mais à ce titre d’autochtones, les Arcadiens en ajoutent un autre, qui leur appartient en propre : celui de proselènoi, « ceux qui précédèrent la lune ». Bien des interprétations ont été proposées pour cette dénomination40. Selon un historien, Théodoros41, la lune serait apparue peu avant la guerre des dieux contre les Géants, qui pourrait avoir eu lieu en Arcadie. Par ce lien, l’Arcadie est associée à un temps pré-olympien, celui des monstres, fils de Terre, celui du désordre, de la violence et de l’hybris. À la différence d’Athènes, où la naissance autochtone associe Gè et Athéna, l’origine des Arcadiens semble se perdre dans la nuit noire et inquiétante. Une autre étymologie existe pour le terme proselènoi : le mot dériverait du verbe proselein, « attaquer, brutaliser » et peut être considéré comme synonyme de hubristai, « violents »42. C’est Lykophron qui tire le plus parti de cette interprétation, en l’insérant dans le récit des origines arcadiennes qu’il propose : nés du chêne, mangeurs de glands – comme on ne tardera pas à le voir – les Arcadiens descendraient de Dryops, éponyme d’une fameuse tribu de violents brigands ; selon une autre version, permettant de sauvegarder l’origine autochtone, les Dryopes se seraient mêlés aux Arcadiens de souche43. Primitifs, les Arcadiens le sont donc à tous les sens du terme. Enracinés dans le passé le plus ancien, ils sont à jamais marqués par une violence, une démesure, qui sont celles des monstres et des brigands. Aux yeux des Grecs, l’Arcadie n’a rien du pays idyllique célébré par les poètes latins et alexandrins44. Elle est terre de sauvagerie, lieu d’une continuité ininterrompue entre les temps obscurs de la nuit des origines et ceux, historiquement datés, de la Grèce des cités. Cette sauvagerie constitue un topos obligé de toute évocation du peuple arcadien. Elle est présente dans les traditions proprement arcadiennes. On pense à l’oracle rendu par la Pythie interrogée par des Arcadiens qui, pour avoir négligé le culte de la Déméter noire de Phigalie, voyaient leur région frappée de stérilité :

Arcadiens, Azaniens, mangeurs de glands qui vous êtes établis à Phigalie, la caverne où se cacha Déô qui s’unit à un cheval, vous voici venus demander comment vous délivrer de la faim douloureuse, vous, les seuls qui ayez été deux fois nomades, les seuls aussi qui ayez repris une nourriture de fruits sauvages. C’est grâce à Déô que vous avez cessé d’être des pâtres, mais c’est elle aussi qui, de lieurs d’épis et de mangeurs de gâteaux, a refait de vous des pâtres, pour s’être vu retirer les privilèges accordés par les hommes d’autrefois et ses anciens honneurs. Elle vous amènera bientôt à vous entre-dévorer et à manger vos enfants, à moins que vous n’apaisiez sa colère en offrant tous ensemble des libations et ne rendiez des honneurs divins au fond de sa caverne45.

18En Arcadie, la menace d’une régression n’est jamais loin : à tout moment, les hommes peuvent redevenir des mangeurs de glands et inévitablement sombrer à nouveau dans un mode de vie primitif marqué par l’allélophagie. Cette sauvagerie brute n’est pas du seul domaine du mythe ; elle n’est pas seulement objet de discours, elle est aussi une réalité bien concrète, terrifiante. Comme le prouve le cas des habitants de Kynaitha. Polybe, un authentique Arcadien, fait le récit de cette page sombre de l’histoire de son pays et, au gré d’une digression, propose une explication des mœurs sauvages et du comportement bestial des Kynaïthiens46. Avec Polybe, c’est un regard authentiquement arcadien porté sur les Arcadiens. Il en résulte un éloge initial de son peuple, « à la grande réputation de vertu, qu’ils doivent non seulement à leur caractère et à leur comportement doux et hospitalier, mais aussi à leur respect des choses divines ». Dans ces conditions, la sauvagerie (agriotès) inouïe dont firent preuve les Kynaïthiens lors d’une guerre civile est d’autant plus étonnante :

Il est bon de s’arrêter un instant pour nous demander comment il se fait que ces gens, qui sont incontestablement des Arcadiens, ont pu faire preuve à cette époque d’une sauvagerie et d’un dérèglement surpassant tout ce qu’on pouvait voir ailleurs en Grèce.

19S’ensuit une première explication fondée sur la théorie des climats. Mais la véritable raison vient après :

Il me semble que la raison en est que les programmes sagement imaginés par leurs ancêtres et naturellement observés par tous les habitants de l’Arcadie, ils furent les premiers et les seuls Arcadiens à les abandonner.

20Ces « programmes judicieux » consistent en un ensemble de pratiques (chants, danses, entraînements collectifs…) rythmées au son d’une « vraie musique ». La musique adoucit les mœurs, on le sait, et les Arcadiens en étaient convaincus plus que tout autre peuple :

C’est donc pour assouplir et tempérer la nature opiniâtre et revêche des Arcadiens que furent introduits les exercices dont j’ai parlé […] ; tout fut fait pour modérer et adoucir, à l’aide d’un ensemble de pratiques, la rudesse du caractère national.

21On le voit, la sauvagerie menace à tout instant de resurgir en Arcadie et cette menace n’est écartée qu’au moyen de la musique qui civilise les Arcadiens47. Mais s’affranchir des règles strictes de cette éducation, comme l’ont fait les habitants de Kynaïtha, c’est s’exposer comme eux aux risques d’un ensauvagement sans issue :

À la fin, ils s’ensauvagèrent au point qu’aucune des cités grecques ne commit des impiétés aussi épouvantables et continuelles que les leurs.

22Mythe, discours religieux, discours historique et scientifique, éducation, vie sociale, cité… : la sauvagerie est partout en Arcadie ; elle ne demande qu’à renaître. C’est l’acte criminel de Lykaon, évoqué dans ce récit de mort, qui la fit naître.

23Dans la version rapportée par Pausanias, le temps des origines arcadiennes, celui de Pélasgos, est marqué par un régime alimentaire primitif. Le héros civilisateur, qui invente la cabane, les vêtements de peau de mouton, fait aussi passer ses sujets du stade animal d’herbivores à celui de « mangeurs de glands », balanèphagoi. Chacune de ces inventions capitales constitue le prototype d’un élément constitutif de la civilisation : la cabane pour la demeure, la peau de bête pour le vêtement tissé, la consommation de glands pour celle du blé. C’est précisément au régime alimentaire instauré par Pélasgos qu’il faut être attentif, car il constitue une clé d’interprétation pour l’ensemble du récit des origines. Dans la logique interne du récit, cette innovation constitue un progrès indéniable : en mettant fin au statut primitif d’herbivore, avec tous les dangers qu’il comportait, la consommation des glands assure au moins les hommes d’une nourriture parfaitement comestible qui, pour autant, ne les différencie pas encore des animaux. Car, replacé dans le contexte plus général de l’anthropologie grecque, le statut de balanèphagoi a une signification bien précise : il s’oppose à celui de « mangeurs de pain » qui, chronologiquement, lui succède. En d’autres termes, à « l’existence nourrie de glands », balanitès bios, succède logiquement « l’existence nourrie de blé moulu », alèsmenos bios 48. Aux glands s’opposent donc « les fruits de Déméter », le blé tout particulièrement, qui composent le régime alimentaire de l’homme civilisé. On ne peut oublier que le chêne était l’arbre consacré à Rhéa, épouse de Cronos, un couple qui préside à un temps primordial révolu, l’âge d’or, antérieur aux dieux olympiens et au grand partage entre dieux, hommes et animaux49. On ne saurait non plus oublier le fait que les compagnons d’Ulysse remplacent l’orge par des feuilles de chênes, au cours d’un sacrifice totalement perverti, celui des bœufs de l’Île du Soleil, sacrifice qui les renvoie à un état sauvage et provoque finalement leur mort50. Âge d’or ou temps de la sauvagerie ? Le chêne, lui aussi, symbolise l’ambiguïté constitutive des premiers temps de l’humanité, dans une opposition constante aux « fruits de Déméter ». Cette opposition est fréquemment soulignée dans les textes grecs : les glands constituent la nourriture des animaux, tout particulièrement des porcs51, et seule l’extrême misère peut contraindre les hommes à s’en nourrir. En règle générale, la consommation de glands sert d’abord à caractériser le mode de vie intermédiaire succédant au theriôdès bios, mode de vie bestial. Ainsi, un texte de Galien atteste-t-il du fait qu’à l’origine tous les hommes se nourrirent de glands, ajoutant que seuls les Arcadiens demeurèrent fidèles à cet usage, tandis que les autres hommes l’abandonnèrent, aussitôt reçus les dons de Déméter52. Que l’on songe enfin au fameux mot d’ordre énoncé par Théophraste, citant Dicéarque : « assez du chêne ! », « alis druos » 53.

24Le temps de Pélasgos est donc un temps de transition : entre le désordre primitif et l’acquisition du statut d’homme civilisé. C’est le temps d’une alimentation purement végétarienne. Pour que les hommes deviennent des « mangeurs de pain », en Arcadie il faut attendre la quatrième génération après Pélasgos, celle d’Arkas, fils de Kallisto, elle-même fille de Lykaon. C’est Arkas qui « introduisit la culture du grain, qu’il avait apprise de Triptolème, et enseigna aux hommes à faire le pain, à tisser des vêtements ». Le rôle qui lui est dévolu est donc clair : il est le fondateur d’une civilisation véritablement humanisée. Héros civilisateur, il incarne la figure du bon roi et, à ce titre, il donne son nom au pays sur lequel il règne, manifestant ainsi concrètement le passage à un autre mode de vie, à un nouveau statut. Les Arcadiens, puisque c’est ainsi qu’ils se nomment désormais, acquièrent le statut d’hommes civilisés ; ils font dès lors partie, eux aussi, des « mangeurs de pain ».

25Si on le compare à la représentation traditionnelle établie de l’évolution de l’histoire humaine, ce qui frappe dans le récit des origines d’Arcadie c’est son caractère complexe54. Non linéaire, s’opposant à la conception harmonieuse et logique d’un processus d’acculturation progressif, ce récit révèle une représentation sombre et inquiétante de l’histoire des premiers temps de l’humanité, fondée sur les risques permanents de la transgression et de la régression, de la confusion entre humanité et animalité. Une histoire chaotique, où rôdent constamment les menaces de mort et de sauvagerie. Une histoire, enfin, marquée par un vide : Arkas devrait, en bonne logique, succéder à Pélasgos, tant ses inventions ne sont que la suite normale de celles de son ancêtre. Or entre eux deux s’intercalent deux générations, un laps de temps vide en apparence, mais qui en réalité prend sens au sein de ce récit particulier des origines, autour de ce récit de mort que constitue l’évocation du crime de Lykaon.

26Le crime de Lykaon, en provoquant la rupture définitive de la commensalité originelle des hommes et des dieux, marque la fin d’un temps primordial dans lequel il n’est guère difficile de reconnaître l’âge d’or, durant lequel les hommes, en parfaite harmonie avec les animaux, vivaient encore « comme des dieux », partageant avec eux la même nourriture, ignorant comme eux les maux, la souffrance, la vieillesse et la mort55. En atteste le fameux fragment d’Hésiode :

Car les repas étaient alors communs et communs les sièges pour les dieux immortels et les hommes mortels56.

27En ce sens, l’acte de Lykaon, par ses conséquences, évoque le fameux mythe du sacrifice de Prométhée57. Tout commence à Mékonè, au cours d’un « duel de ruse » opposant le Titan Prométhée et son cousin Zeus. Prométhée, qui « trompe l’esprit de Zeus », opère un partage inégal de la victime sacrifiée : les hommes obtiennent la meilleure part, la viande et les viscères cachés sous une peau peu appétissante, les dieux n’ayant droit qu’aux os recouverts de graisse. Zeus feint de se laisser duper, accepte la part qui, en réalité, est la meilleure. Aux dieux, donc, la fumée et le fumet, nourritures impalpables et éternelles, semblables à leur nature ; aux hommes, désormais, les chairs mortes et périssables, comme eux, la nécessité de travailler et de peiner pour acquérir les moyens de subsistance nécessaires à une vie limitée dans le temps, à une existence de mortels. Les analyses de J.-P. Vernant l’ont clairement montré : c’est par ce sacrifice fondateur que les hommes acquièrent leur propre statut, celui de

créatures mortelles, vivant sur terre, au milieu de maux sans nombre, mangeant le froment de leurs champs labourés, en compagnie de leurs épouses, c’est à dire d’une race d’êtres entièrement séparés de ceux dont ils étaient pourtant à l’origine tout proches, puisqu’ils vivaient en commensalité avec eux, s’asseyant aux mêmes tables pour partager les mêmes repas : ces Immortels Bienheureux, résidant au ciel, nourris d’ambroisie, vers lesquels montent maintenant la fumée des offrandes sacrificielles58.

28Mortalité, relations entre hommes et femmes, nécessité du travail agricole : ce sont les caractéristiques mêmes de l’identité humaine que fonde, en les expliquant, le mythe du sacrifice prométhéen. Le sacrifice animal sanglant, la thusia, constitue ainsi l’acte primordial qui a mis fin à la commensalité des hommes, des dieux et des animaux, aux temps heureux de l’âge d’or ; il fonde « la condition humaine telle qu’elle se délimite par rapport aux bêtes et en relation avec les dieux59 ».

29Si donc l’acte de Prométhée fonde le rituel sacrificiel, celui de Lykaon qui sacrifie un être humain peut dès lors se comprendre comme une perversion du rituel de la thusia. Or, pour les Grecs, le sacrifice constitue l’élément central du « code alimentaire qui, dans leur pensée sociale et religieuse, représente un plan de signification privilégié pour définir l’ensemble des relations entre l’homme, la nature et la surnature60 ». C’est autour de lui que se définit et c’est par lui que s’établit le nécessaire équilibre entre ces trois mondes. Plus encore, c’est sur lui que repose l’identité même de l’homme. Toute atteinte portée à cette pratique constitue donc purement et simplement une remise en cause de cette identité. C’est dans cette perspective que doivent être envisagés le sacrifice humain et l’anthropophagie qu’il implique. Celle-ci, qui n’est rien d’autre qu’une « modalité de l’allélophagie », est, comme M. Detienne en a apporté la preuve, incompatible avec l’identité humaine :

par conséquent, dans le système politico-religieux, le cannibalisme est clairement dénoncé comme une forme de bestialité que la cité rejette sans ambiguïté et qu’elle situe aux confins de son histoire, dans un âge antérieur de l’humanité, ou aux limites de son espace, chez les peuplades qui composent le monde des Barbares61.

30À l’issue de son sacrifice humain, Lykaon ne provoque donc pas seulement la rupture entre hommes et dieux. Il transgresse la fragile frontière qui sépare les hommes des animaux. Il n’est plus un homme, il s’est identifié à l’animal et sa métamorphose est l’illustration tout autant que la conséquence de son crime. Ce dernier peut donc se comprendre comme un « anti-sacrifice ». Il révèle le délicat problème que pose la différenciation entre hommes et animaux, en démontre le caractère ambigu et, finalement, aléatoire, sans cesse sujet à caution. Il constitue en Arcadie, le pendant du mythe de Prométhée, son double inversé. Par là même, il est, lui aussi, mythe fondateur d’une identité humaine, mais, celle-là, particulière, instable, constamment à mi-chemin entre civilisation et sauvagerie, humanité et animalité. En atteste, dans la suite du récit de Pausanias, le destin de Kallisto. En atteste, également, l’histoire de l’Arcadie marquée, comme on l’a vu, de soubresauts violents, dont l’épisode de Kynaitha constitue la meilleure illustration. Un exemple significatif illustre parfaitement l’importance symbolique du meurtre fondateur de Lykaon. Quand Apollonios de Tyane comparaît à Rome, devant l’empereur Domitien, il est accusé, entre autres crimes, d’avoir égorgé un enfant arcadien et d’avoir trempé ses mains dans le sang de sa victime en priant les dieux de lui révéler la vérité. Nul doute n’est permis : le crime dont on l’accuse n’est rien d’autre qu’une réitération du sacrifice monstrueux de Lykaon. En son discours de défense, l’accusé ne manque pas, du reste, de dresser le portrait traditionnel des Arcadiens :

Les Arcadiens ne sont nullement les plus savants des Grecs au point que leurs entrailles soient plus riches en présage que celles d’aucun autre homme ; ce sont, en fait, les plus rustres des hommes, et ils ressemblent aux porcs de maintes façons, en particulier parce qu’ils mangent des glands62.

31On comprend mieux, dès lors, l’évocation de Kékrops, contre-modèle de Lykaon, ainsi que l’opposition implicite entre les récits des origines d’Arcadie et d’Athènes. À Athènes, Kékrops, le contemporain de Lykaon, honore Zeus non par le sacrifice d’un être vivant (comme le font Prométhée et, de façon pervertie, Lykaon), mais par l’offrande de pelanoi, de gâteaux. Son sacrifice est « pur », non sanglant ; il n’est pas acte de mort. C’est bien au travers du sacrifice que peuvent se comprendre la différence entre Kékrops et Lykaon, tout autant que la spécificité de la représentation des origines arcadiennes par rapport au cas athénien et, plus largement, par rapport à la tradition grecque dominante. Car, par-delà le sacrifice hors norme de Lykaon se profile toujours le modèle établi de Prométhée. Ce sont donc trois formes de pratiques sacrificielles qu’il faut envisager. Tout d’abord, le sacrifice de Prométhée à l’issue duquel un terme définitif est mis à la commensalité des hommes et des dieux, à la période bénie de l’âge d’or. Dorénavant, à l’issue du grand partage qui assigne à chacun sa place dans le Monde, les hommes, les dieux et les animaux sont irrémédiablement et définitivement séparés. Le sacrifice de Lykaon a la même conséquence que celui de Prométhée : il met un terme à l’âge d’or ; mais, au lieu d’établir le grand partage, il provoque un brouillage absolu des frontières et une terrifiante régression vers l’animalité. Comparé à ces deux sacrifices fondateurs, celui de Kékrops révèle son originalité radicale : il n’a aucune conséquence, il ne remet en cause nulle situation initiale, il n’a pas de valeur étiologique. Il peut donc se répéter indéfiniment tel quel, dans une continuité parfaite. Dans cette perspective, une interprétation se profilerait tout naturellement : et si le sacrifice de Kékrops n’était rien d’autre que la preuve de l’existence, aux origines d’Athènes, d’un âge d’or perpétuel ? Mais ce serait oublier que le temps de Kékrops ne peut être identifié à celui de l’âge d’or et que ce dernier n’existe que pour prendre fin, au moment de la séparation et du partage. Or, à Athènes, ce partage est parfaitement opéré sous l’impulsion de Kékrops, le médiateur. On touche là à la spécificité du modèle athénien : le partage entre hommes, dieux et animaux ne semble pas subordonné au sacrifice fondateur ; il le précède et les deux coexistent parfaitement. À Athènes, le sacrifice purement végétarien de Kékrops constitue la meilleure preuve que l’acquisition par l’homme de son statut d’humain civilisé ne pose pas problème, qu’elle n’a pas même besoin d’être justifiée. Athènes ignore l’âge d’or – celui auquel Prométhée met un terme – et, plus encore, le temps de la sauvagerie et de l’allélophagie – celui dans lequel Lykaon fait replonger son peuple –. Dès l’origine, dès leur apparition, les hommes ont été pleinement humains.

32L’opposition entre Kékrops et Lykaon prend donc sens : les choix sacrificiels opposés des deux personnages déterminent deux histoires radicalement divergentes. L’un, en optant pour le sacrifice « pur », permet à son peuple de devenir le peuple civilisé par excellence63 ; l’autre, par son crime et son acte mortifère, détermine l’identité incertaine et inquiétante des Arcadiens.

33Il est possible, en dernier lieu, de revenir sur la conséquence du crime de Lykaon. Car le choix par Pausanias de la version de la métamorphose en loup, au lieu de celle de la mort du coupable (par kéraunôsis) ou de son peuple (déluge) confirme cette interprétation. De fait, dans cette fonction, la métamorphose apparaît comme le châtiment logique d’une faute impardonnable. En contredisant un principe de l’ordre civilisé, en agissant comme un être humain ne doit en aucun cas agir, Lykaon se place en dehors du monde des hommes. Il ne peut que devenir animal. Considérée dans cette perspective, la métamorphose-sanction s’impose comme la manifestation concrète d’une régression du statut d’homme à celui de l’animal allélophage le plus féroce et sauvage, le loup.

34Il y aurait beaucoup à dire sur le symbolisme extrêmement riche et complexe du loup dans l’imaginaire grec64. Symbole de la férocité par excellence65, le loup la porte à son comble par une voracité insatiable qui le pousse même à dévorer ses congénères. Allélophage par nécessité, le loup le serait aussi par nature : Elien en est persuadé, qui rapporte une certitude égyptienne : « Les loups sont une espèce très féroce. Les Egyptiens affirment qu’ils se mangent entre eux66 ». Cette allélophagie est présente dans une fable d’Esope, où elle est liée de façon fort significative au projet politique d’un loup devenu nomothète :

Un loup, étant devenu le chef des autres, établit des lois générales portant que tout ce que chacun aurait pris à la chasse, il le mettrait en commun et le partagerait également entre tous : de la sorte on ne verrait plus les loups, réduits à la disette, se manger les uns les autres67.

35C’est pour mettre un terme à cette allélophagie terrifiante que le loup institue la loi du partage égalitaire des viandes, celle-là même qui est au cœur du rituel sacrificiel. Le loup est comme l’homme primitif que dépeint la vision pessimiste des origines de l’humanité : il est cannibale et son appétit insatiable, combiné à son mode de vie collectif, le confronte nécessairement au problème du politique et du sacrifice, les deux seules réponses possibles à cette sauvagerie originelle. M. Detienne et J. Svenbro ont bien mis en lumière cette « vocation politique » du loup à laquelle l’animal est prédisposé par son aptitude naturelle à l’art du boucher, qui n’est autre que la maîtrise de la découpe des viandes, ainsi que par sa pratique du partage égalitaire des parts. Aussi, lorsque Athamas, exilé pour avoir tué ses enfants, ayant reçu l’ordre de partir en quête d’un pays « où des bêtes sauvages lui offriraient l’hospitalité » et où il pourrait fonder une cité, parvient au terme de son errance, ce sont « des loups qui étaient occupés à se répartir des parts de moutons qu’il rencontre »68. Exclu de la société des hommes, traqué, pourchassé, errant, Athamas, devenu loup, rencontre les loups attablés. À sa vue ces derniers s’enfuient, lui laissant la place libre. Leur rôle aura été considérable : en donnant à voir leur partage égalitaire, ils permettent à Athamas de quitter sa vie sauvage et errante de loup solitaire, de réintégrer l’ordre civilisé de la cité et finalement de fonder sa propre cité, Athamanthia. Les loups auront été modèles et guides pour Athamas et lui-même aura vécu, comme en une initiation nécessaire et bénéfique, la vie de loup.

36Mais une chose est de faire le loup ou de voir le loup, une autre de l’être réellement : « les loups n’entreront pas dans la Cité69 ». Telle est bien la morale de l’histoire, qui est la même que celle de la fable du loup nomothète, dont il vaut grandement la peine de lire à présent l’issue :

Mais un âne s’avança et, secouant sa crinière, dit : « c’est une belle pensée que son cœur a inspirée au loup. Mais comment se fait-il que toi-même tu aies serré dans ton repaire ton butin d’hier ? Apporte-le à la communauté (eis meson) et partage-le ». Le loup confondu abolit ses lois70.

37Le beau projet politique du loup n’aboutira jamais et c’est à l’ennemi juré qu’incombe la tâche de mettre à jour perfidement les ambiguïtés et les limites du citoyen en puissance. Ces limites sont bien connues. Le loup n’aime pas partager et veut sans cesse avoir plus que sa part quand il accepte de donner ; il faute par pleonexia, ce qu’exprime un proverbe grec : « Le loup distribue sa viande. Se dit de quelqu’un qui veut avoir plus que sa part et qui veut donner71 ». Le loup vit en communauté, mais il n’aspire en fait qu’à la solitude et fera toujours passer son intérêt propre avant celui de la communauté ; un autre proverbe se charge de le rappeler : « Une amitié de loup », c’est-à-dire une désunion, la négation de tout intérêt commun72. Enfin, si le loup vit en bande, il révèle un caractère fortement asocial : c’est un individualiste forcené, pouvant mettre en péril sa communauté73. Ces défauts constituent autant de menaces, qui ne peuvent qu’évoquer celles, bien réelles, pesant sur la cité des hommes. Parmi celles-ci, il en est une que les Grecs redoutent au plus haut point : la tyrannie. Et, on le sait bien, en dernier lieu, c’est bien la figure inquiétante et terrifiante du tyran que dessine le loup dans l’imaginaire grec. Cette identification entre le loup et le tyran apparaît dans un passage célèbre de la République, essentiel pour notre propos, puisqu’il permet de retrouver, simplement suggéré, mais si fortement présent dans le propos de Socrate, le personnage de Lykaon. S’interrogeant sur l’origine et la nature du tyran, Socrate propose son interprétation :

Quel est donc le commencement de la transformation du protecteur de la cité en tyran ? N’est-ce pas évidemment lorsque le protecteur commence à faire ce qui est raconté dans le sanctuaire de Zeus Lykaios en Arcadie ? […] Que celui qui a goûté des entrailles humaines coupées en morceau parmi celles d’autres victimes est fatalement changé en loup. […] De même quand le protecteur du peuple, trouvant la multitude dévouée à ses ordres, ne sait point s’abstenir du sang des hommes de sa tribu ; quand, par des accusations calomnieuses, méthode chère à ses pareils, il les traîne devant les tribunaux et souille sa conscience en leur faisant ôter la vie, qu’il goûte d’une langue et d’une bouche impies le sang de ses parents qu’il exile et qu’il tue, et fait entrevoir le retranchement des dettes et un nouveau partage des terres, n’est-ce pas, dès lors, pour un tel homme une nécessité et comme une loi du destin ou de périr de la main de ses ennemis ou de devenir tyran et d’être changé en loup74 ?

38C’est bien au modèle du lycanthrope que Platon se réfère et, même s’il ne le nomme pas, c’est à Lykaon qu’il faut penser. La suite du raisonnement permettrait du reste d’enrichir cette vision du tyran75. Celui-ci, de par son comportement, fait apparaître au grand jour les appétits les plus sauvages, ceux de la partie bestiale de l’être humain, to theriôdes, d’ordinaire réprimés par le logistikon, mais pouvant resurgir en rêve ou sous l’effet de la boisson. Ce que l’homme réprime toujours, le tyran, lui, l’accomplit en pleine conscience : violer, commettre l’inceste avec sa mère, tuer son père, manger ses propres enfants. Inceste, parricide, anthropophagie : les pires crimes, ceux dont l’interdit absolu fonde toute société humaine, le tyran les commet parce que, tel Lykaon, il est un loup.

39C’est sur cette figure inquiétante du tyran-loup qu’il faut conclure, car elle nous permet, en dernier lieu, de retrouver Lykaon. Le tyran-loup est un personnage qui cumule les contradictions et annule toutes les frontières. Par sa toute puissance, qu’il tient de lui-même et qui le place au-dessus de ses sujets, par sa forme de sagesse si souvent vantée par les tragiques, le tyran devient en quelque sorte l’égal des dieux. Mais, par son « délire » (mania) qui abolit les interdits et libère en lui tous les désirs les plus sauvages, il est plus proche que jamais des animaux. Ni homme ni dieu ni animal, le tyran confond toutes les catégories et transgresse les limites établies :

il est exclu de la communauté et rejeté en un lieu où la pensée politique ne fait plus de distinction entre le surhomme et le sous-homme, où s’efface la distance entre les dieux et les bêtes. […] Hors de la cité et du système hiérarchisé qui en est solidaire, l’homme, le dieu et l’animal ne sont plus que les objets interchangeables du désir qui habite le tyran et le pousse à commettre l’inceste et le cannibalisme avant de l’entraîner dans l’endocannibalisme76.

40Lykaon, en devenant loup, subit le même destin que le tyran : il n’est plus homme, il n’est pas totalement animal, mais en s’identifiant au loup, il est proche du divin, de Zeus, en l’honneur de qui il fonde un rituel. Lui aussi brouille les frontières.

41C’est donc bien une annulation pure et simple de toute différenciation entre l’homme et l’animal que provoque la métamorphose de Lykaon. Celle-ci est la preuve d’un retour au point de départ, à un état primitif où l’homme ne se distingue pas de l’animal, mais pratique comme lui l’allélophagie. Mais, simultanément, la métamorphose est aussi origine : elle fonde l’identité propre aux Arcadiens, elle annonce, de manière programmatique, tous les errements à venir. Elle détermine également l’aptitude plus que problématique des Arcadiens à mener un projet politique, à fonder l’ordre de la cité et à vivre en hommes pleinement et définitivement civilisés : les atrocités commises par les habitants de Kynaitha sont là pour en témoigner. La métamorphose de Lykaon porte en puissance tous les malheurs à venir de l’Arcadie : elle préfigure l’instabilité constitutive du peuple, sans cesse tiraillé entre humanité et animalité. Elle le fait tout simplement parce qu’elle impose d’emblée une remise en question, en même temps qu’un questionnement, de la frontière séparant l’homme de l’animal.

42Aux origines de l’Arcadie, donc, un récit de mort, un sacrifice monstrueux et un roi civilisateur devenu loup pour avoir brouillé les frontières entre hommes, dieux et animaux. Homme, animal, dieu : Lykaon s’identifie à ces trois catégories et fonde une histoire chaotique, où s’entremêlent régressions, transgressions et indifférenciations. À Athènes, Kékrops, mi-homme mi-animal, participe lui aussi des trois mondes. Mais, dans son cas, cette identité plurielle se pense sous la forme d’une fusion harmonieuse. Il est le médiateur, celui par qui est assuré d’emblée un juste et définitif partage entre hommes, dieux et animaux. Il en découle un développement continu, une histoire sans encombres, tout au long de laquelle les Athéniens, aimés des dieux, conservent leur statut d’hommes civilisés par excellence. Aux origines de l’Arcadie, le récit du crime de Lykaon et sa conséquence inéluctable, la métamorphose en loup, autrement plus riche de sens et d’implications que la simple mort du coupable, permet à Pausanias de donner à comprendre l’histoire spécifique de cette région grecque à part. Il donne lieu à une reconstruction du temps des origines, dédoublé et recomposé, également permise et déterminée par les oppositions implicites au modèle grec traditionnel et au cas original d’Athènes.

43Si le texte de Pausanias peut s’enrichir de ces significations historiographiques et idéologiques, encore faut-il apporter foi et crédit à un récit qui relève d’abord de l’imaginaire mythologique. On saisit mieux dès lors l’insistance avec laquelle Pausanias affirme sa croyance en ce qu’il nomme bien un logos et non un muthos :

je crois à cette histoire (logos) ; elle est racontée par les Arcadiens depuis les temps anciens et en outre elle a la vraisemblance (to eikos) pour elle.

44À l’inverse, la croyance actuelle en la lycanthropie rituelle du mont Lycée se voit dénoncée comme l’une de ces histoires mythologiques (muthologemata) par lesquelles la vérité est corrompue par les mensonges. Pausanias prête foi à la tradition parce qu’elle est vraisemblable (en ce temps où des rapports de commensalité unissaient hommes et dieux, les frontières n’étaient pas étanches et les réactions des dieux étaient immédiates) et parce qu’elle est très ancienne :

elle n’est pas une de ces imaginations qui viennent postérieurement recouvrir la vérité originelle […] Pausanias est très sensible à l’archaïsme qui rapproche de la vérité77.

45On voit par là que le récit de mort ne tient pas uniquement un rôle dans la narration. Ces remarques, relevant d’une forme de métalangage, révèlent une réflexion sur le travail de l’historien, sur la place à accorder aux mythes et sur le « bon usage » de ces derniers. En ce sens, le récit de mort occupe une place essentielle dans le projet historiographique de Pausanias tout comme dans l’économie générale de son œuvre. P. Veyne, qui a mené une enquête minutieuse sur l’intérêt porté aux mythes par cet auteur, en a apporté la démonstration : c’est en Arcadie que Pausanias trouve « son chemin de Damas » qui l’amène à réviser et corriger « son principe des choses actuelles78 ». Tout au long des sept premiers livres de sa Périégèse, Pausanias adopte vis-à-vis des mythes une attitude typique : « il les rapporte fidèlement, mais il n’en croit que les grandes lignes ; ce qu’il retient dans son crible est tout à fait comparable à ce que Thucydide retenait dans son Archéologie 79 ». Son attitude évoque aussi, et surtout, celle d’Hérodote80. En s’assignant la tâche de « s’avancer dans la suite de son récit en parcourant également (homoiôs) toutes les choses grecques81 », Pausanias reprend les termes de l’historien qui voulait « s’avancer dans la suite de son récit, parcourant également (homoiôs) les cités des hommes grandes et petites ». À l’exigence d’égalité de traitement, Pausanias ajoute une nouvelle visée, celle de l’exhaustivité. En souhaitant « rapporter toutes les choses grecques », l’auteur est bien contraint de retranscrire des mythes qui le surprennent souvent et le gênent parfois. À plusieurs reprises, « la plume lui est tombée des mains ; “laissons le mythe de côté”, écrit-il alors » ou : « je répète ce que disent les Grecs82 », appliquant ainsi un principe de neutralité cher à Hérodote. Souvent, les mythes semblent relever d’une pure et simple naïveté et révéler, finalement, une véritable inanité (euèthia) 83 . C’est pourquoi, pour reprendre à nouveau les termes de P Veyne, le livre VIII constitue une « petite révolution » consistant à « s’apercevoir que certaines légendes, loin de calomnier les dieux pouvaient avoir un sens élevé84 ». Parvenu au cœur de l’Arcadie, découvrant le récit du sauvetage de Poséidon par sa mère Rhéa, cachant le nouveau-né dans un troupeau de moutons et lui substituant, pour satisfaire la voracité de Cronos, un poulain, il découvre un sens caché et allégorique. Car « ceux que l’on nommait alors sages ne s’exprimaient pas directement, mais par énigmes (di’ainigmatôn) 85 ». Le mythe, pour être étonnant, n’est pas pour autant pure ineptie ; il révèle un sens profond à qui veut bien le lire en le soumettant à une exégèse allégorique.

46Voilà la grande découverte de Pausanias en pays arcadien. Il n’est pas indifférent que les commentaires formulés sur le mythe de Lykaon en constituent, d’une certaine manière, les prémisses et le pressentiment initial. Car cette prise de conscience capitale, dont les conséquences importantes se donnent à lire dans la suite du livre VIII et de l’œuvre, est permise par l’évocation programmatique, si l’on peut dire, du crime de Lykaon à l’ouverture de ce livre VIII. Le récit de mort, outre son rôle essentiel dans la narration et la reconstruction de l’histoire des origines arcadiennes, donne lieu à une réflexion méthodologique importante et riche de conséquences sur la conception du projet historiographique. Et, on le voit bien finalement, ces deux enjeux du récit sont indissociables. Cette nouvelle attitude vis-à-vis du mythe permet, tout simplement, de lui faire tenir le rôle que l’on a tenté de faire apparaître, au sein du récit ; à l’inverse, ce travail concret sur le mythe motive et explique en grande partie cette réflexion théorique.

47L’analyse de ce récit de la mort a permis de mettre en lumière ses enjeux et significations implicites. Ce faisant, elle aura fait apparaître, au sein de ce texte, plusieurs paradoxes étonnants et révélateurs, qui en enrichissent la compréhension. Il est temps d’en dresser l’inventaire et d’en déterminer les implications. Pausanias, écrivain grec du ii e siècle de notre ère, originaire d’Asie Mineure, pose un regard qui se veut extérieur, impartial et neutre sur les traditions d’une région grecque à part, enclavée à tous les sens du terme, d’un point de vue spatial et temporel. Son enquête l’amène à considérer le temps des origines : l’événement qu’il rapporte révèle un éloignement maximal dans le temps mythique. Il est pourtant considéré comme un événement historique, le premier maillon d’une chaîne de l’histoire arcadienne. Son récit, par ailleurs, oscille constamment entre le temps de la fiction et le temps de la narration : contre toute attente, le temps des origines, celui du mythe (palaion), est le temps de la vérité et de la justice ; le temps actuel, celui du rituel (ep’emou), est le temps du mensonge et du mal. Au premier, Pausanias ne confère pas la valeur étiologique attendue que lui donnent d’autres auteurs ; il l’enrichit, tout en présentant bien le crime de Lykaon comme un sacrifice, de nouvelles significations, au sein du récit des origines. Étranger à l’Arcadie, terre de l’étrangeté par excellence, Pausanias se veut consignateur objectif de traditions ancestrales et bien connues. Et pourtant, son récit révèle des engagements manifestes, notamment une reconstruction du temps des origines, par opposition implicite au modèle grec et explicite au cas particulier d’Athènes, qui l’informe et l’enrichit de nouvelles significations historiographiques et idéologiques : c’est au lecteur qu’il revient de les découvrir. Ce travail de reconstruction porte sur la narration, mais il apparaît aussi au sein d’un métalangage important, au gré d’interventions personnelles de l’auteur : le récit devient alors l’occasion d’une réflexion méthodologique d’autant plus intéressante que, loin d’être abstraite, elle est menée en situation, indissociable du récit en train de s’écrire. L’auteur, dans l’acte d’écriture, par cet acte même, réfléchit sur les enjeux du projet historiographique, découvre l’importance des mythes et du bon usage de ces derniers par l’historien. Cette prise de conscience capitale explique le récit autant qu’elle s’explique par lui. Ce dernier acquiert ainsi une nouvelle raison d’être, qui n’est sans doute pas la moindre.

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Notes de bas de page

1 Pausanias, VIII, 38, 1 : « de toutes les cités qui existent au monde, Lykosoura est la plus ancienne, la première que le soleil ait vue et celle qui a fait naître aux hommes l’idée de bâtir toutes les cités. »

2 Jost (M.), Sanctuaires et cultes d Arcadie, p. 261.

3 Hésiode, fr. 161 Merk.-West, cité par Eratosthène, Catastérismes, I, 1.

4 Nicolas de Damas, FGrH 90 F 38.

5 Pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 8, 1 ; Hygin, Fables, 176 ; Scholie à Lykophron, Alexandra, 481 ; Pseudo-Hékatée, FHG I, n° 375.

6 Outre Hésiode : Ovide, Métamorphoses, I, 210-244 ; Hygin, Astronomiques, II, 4 ; Servius, Scholie à Virgile, Bucoliques, VI, 41 et Énéide, I, 731 ; Clément d’Alexandrie, Protreptique, II, 36, 5 ; Nonnos, Dionysiaques, XVIII, 20-24 ; Arnobe, Adversus nationes, IV, 24.

7 Ovide, Métamorphoses, I, 218, I, 198 et I, 239, traduction G. Lafaye, CUF.

8 Ibid., 220-229.

9 Le fait a été bien vu par G. Piccaluga, Lykaon. Un tema mitico, p. 43, note6 ; voir également M. Detienne, Dionysos mis à mort, p. 211, note 38 et M. Jost, op. cit., p. 262.

10 Voir également Nicolas de Damas, op. cit. et Scholie à Lykophron, Alexandra, 481.

11 Ovide, op. cit., I, 226-229.

12 Voir M. Jost, op. cit., p. 262 : « l’acte (de Lykaon) a donc en quelque sorte une double valeur : sacrilège, il attire le châtiment ; sacré, il fonde un rite. Surtout sensibles à la sauvagerie de l’acte, de nombreux narrateurs ont voulu en laver Lykaon ; mais en fait le banquet sacrilège/sacré n’était pas originellement incompatible avec l’idée d’un roi pieux ».

13 Clément d’Alexandrie, op. cit., II, 36, 5.

14 Pseudo-Apollodore, op. cit., III, 8.

15 Ovide, op. cit., I, 222-223 ; Hygin, Astronomiques, II, 2 et Fables, 176 ; Nicolas de Damas.

16 Pseudo-Apollodore, op. cit., III, 8 : Zeus de autôn boulomenos tèn asebeianpeirasai.

17 Otage molosse : Ovide, op. cit., I, 226-227 ; hôte : Servius, Scholie à Virgile, Énéide, I, 731.

18 Nyctimos : Nonnos, op. cit., XVIII, 21 ; Clément d’Alexandrie, op. cit., II, 36, 5 ; schol. à Lykophron, op. cit., 481 ; Arkas : outre le fragment 163 d’Hésiode, Hygin, Astronomiques, II, 4 et Scholie à Germanicus, Aratea, 89.

19 Sur cette éponymie, cf. Pseudo-Apollodore, op. cit., III, 8, 1 et Hygin, Fables, 176 ; sur l’image de la table renversée, également Eratosthène, Catastérismes, I, 8 ; Ovide, op. cit., I, 230 ; Hygin, Astronomiques, II, 2 ; schol. à Germanicus, Aratea, 92 et Nonnos, op. cit., XVIII, 23.

20 Thyeste renverse la table du festin lorsqu’il apprend que son frère Atrée vient de lui faire dévorer ses propres enfants (Eschyle, Agamemnon, 1601-1602) ; de même Térée, découvrant que Prokné et Philomèle lui ont servi en repas son fils Itys (Pausanias, X, 4, 8). Sur ce geste symbolique, cf. A. Brelich, Paides e parthenoi, p. 393, note 196 ; A. Moreau, « À propos d’Œdipe : la liaison entre trois crimes, parricide, inceste et cannibalisme », in Études de Littérature Ancienne, Presses de l’École normale supérieure, Paris, 1979, p. 100-101.

21 Voir également Servius, Scholie à Virgile, Énéide, I, 731.

22 Hésiode, fr. 163 ; Ovide, op. cit., I, 240-243 ; Hygin, Astronomiques, II, 4 ; Lactance Placide, Scholie à Stace, Thébaïde, IX, 128 ; Scholie à Germanicus, Aratea, 89.

23 Hygin, Fables, 176.

24 Servius, Scholie à Virgile, Bucoliques, VI, 41.

25 Pseudo-Apollodore, op. cit., III, 8, 1 et Scholie à Lykophron, Alexandra, 481.

26 Pseudo-Hékatée, FHG I, n° 375.

27 Le rapprochement avec le mythe de Sémélé s’impose bien évidemment : cf. P. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, p. 47, note 11 et R. Buxton, « Wolfs and Werewolves in Greek Thought », p. 73.

28 Ovide, op. cit., I, 260 sq. ; voir également Pseudo-Apollodore, op. cit., III, 8, 1 ; Hygin, Fables, 176 ; Servius, Scholie à Virgile, Bucoliques, VI, 41 et Scholie à Lykophron, Alexandra, 481 et Souda, s.v. Lykaon.

29 Sur ce thème du déluge, dont la présence au sein de ce mythe pose bien des problèmes, cf. M. Jost, op. cit., p. 263, note2 ; G. Piccaluga, op. cit., p.99-146 ; P. Borgeaud, op. cit., p. 47, note 12.

30 Sur cet ensemble de mythes, voir l’analyse très minutieuse menée par M. Halm-Tisserant, Cannibalisme et immortalité, Paris, 1993, en particulier chapitre V, p. 127 sq.

31 Cf. M. Jost, op. cit., p. 258 sq. et M. Halm-Tisserand, op. cit., p. 128-144.

32 Pausanias, VIII, 38, 7

33 M. Jost, op. cit., p. 259.

34 Sur cette fonction étiologique du mythe de Lykaon et sur la lycanthropie rituelle découlant du sacrifice du mont Lycée, la bibliographie est considérable : voir les analyses de H. Jeanmaire, J. Pryzlusky, L. Gernet, W. Burkert, entre autres, faisant apparaître le caractère initiatique de cette métamorphose. On trouvera une mise au point très claire dans l’étude de M. JOST, op. cit., p. 565-568, qui soumet cette interprétation à un examen critique vigoureux l’amenant à « nuancer les positions de Jeanmaire et Burkert sans les rejeter sans appel ».

35 Cf. M. Ventris, J. Chadwick, Documents in Mycenaean Greek, 2e éd., Cambridge, 1973, p.73-75.

36 Cf. C. Picard, Les Religions préhelléniques, Paris, 1948, p.224-225 ; sur les divinités thériomorphes d’Arcadie (Pan, mi-bouc mi-homme, Déméter de Phigalie à tête de cheval, Artémis-Eurynomé, mi-femme mi-poisson… Cf. P. Lévêque, « Sur quelques cultes d’Arcadie : princesse-ourse, hommes-loups et dieux-chevaux », L’Information historique, 23, 1961, p. 93-108 ; M. Jost, op. cit.

37 P. Borgeaud, op. cit., p. 16.

38 Sur la construction de cette image, ibid., p. 18.

39 Sur l’autochtonie arcadienne, cf. Hérodote, II, 172 et VII, 73, Thucydide, I, 2 et Xénophon, Helléniques, VII, 1, 23. Sur la rivalité qui oppose Arcadiens et Athéniens, voir le récit de la bataille de Platées par Hérodote, IX, 26-28 ; pour d’autres manifestations de cette rivalité, notamment sur le mode comique et satirique, cf. N. Loraux, « Un Arcadien à Athènes », in Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, 1996, p. 70-71.

40 La Scholie à Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, 263-264 en dresse un inventaire fort riche ; pour une vue d’ensemble de ces diverses interprétations : P. Borgeaud, op. cit., p. 19-20 et E. Meier, « Proselenoi », RE, 19 57.

41 Théodoros, FGrH 62 F 2, cité dans la Scholie à Apollonios de Rhodes, loc. cit.

42 Aristophane, Nuées, 397, Lykophron, Alexandra, 482 ; Scholie à Eschyle, Prométhée, 440 ; Etym. Magnum, s.v. Prosélénoi.

43 Première version ; Scholie à Apollonios de Rhodes, I, 1218-1219 ; seconde : Pausanias, IV, 34, 9.

44 Sur cette opposition, voir l’introduction du célèbre article d’E. Panovsky, « Et in Arcadia ego », repris dans L’Œuvre d’art et ses significations, Paris, 1969, p. 278-302.

45 Pausanias, VIII, 42, 6-7 ; sur cet oracle, cf. M. Jost, op. cit., p. 312-317 et P. Borgeaud, op. cit., p. 37-39.

46 Polybe, IV, 17, 4 : évocation de la guerre civile ; 20-21 : explications du comportement. Sur ce passage, voir M. Jost, p. 52 et P. Borgeaud, p. 37-39.

47 C’est A. Brelich, Paides e parthenoi, p. 209-214 qui, le premier, a mis en lumière le caractère fortement initiatique de ces « mesures à caractère pédagogique », par un rapprochement convaincant avec les principes de l’agôgè spartiate et de l’éducation crétoise.

48 Cf. Souda, s.v. alèsmenon et Eustathe à Homère, Odyssée, XIX, 163.

49 Cf. Apollodore d’Athènes, FGrH 244 F 92.

50 Odyssée, XII, 357-358. Sur cet épisode, compris comme le récit d’un « anti-sacrifice », cf. P. Vidal-Naquet, « Valeurs religieuses et mythiques de la terre et du sacrifice dans l’Odyssée », Annales ESC, 1970, p. 1288, repris dans Le Chasseur Noir, Paris, 1981, p. 39-68, plus particulièrement p. 54-55.

51 Odyssée, X, 242 ; Hérodote, I, 66, 2 ; Dion Chrysostome, VI, 62. Voir le commentaire de M. L. West à Hésiode, Les Travaux et les Jours, 232 sq. (Hesiod Works and Days, Oxford, 1978, p. 214 sq.) : Hésiode, quant à lui, réserve une place aux glands dans le régime alimentaire de la cité idéale administrée avec justice.

52 Galien, VI, 778 Kühn.

53 Porphyre, De l Abstinence, IV, 2.

54 Cf. P. Borgeaud, op. cit., p. 43-44.

55 Sur cette interprétation, cf. A. Brelich, op. cit., p. 393 ; G. Piccaluga, op. cit., p. 156 sq. ; W Burkert, Homo Necans, p. 144-147 ; P. Borgeaud, op. cit., p. 46-47 ; C. Mainoldi, L’Image du loup et du chien…, p. 360 ; R. BUXTON, « Wolfs and Werwolves in Greek Thought », p. 72-73.

56 Hésiode ; fr. 1 Merk.-West ; sur l’âge d’or, voir également Les Travaux et les jours, 112 sq.

57 Hésiode, Théogonie, 535-616 et Les Travaux et les jours, 45-105.

58 Vernant (J.-P), « À la table des hommes. Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode », in Vernant (J.-P), Detienne (M.) (éd.), La Cuisine du sacrifice, Paris, 1979, p. 37-132, plus précisément p. 43. Voir également « Le mythe prométhéen chez Hésiode », in Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, 1974, p. 177-194.

59 Detienne (M.), Dionysos mis à mort, Paris, 1977, p.206.

60 Ibid., p. 138.

61 Ibid., p. 142.

62 Philostrate, Vie dApollonios, VIII, 7.

63 Cf. Platon, Ménexène, 237 d et Lysias, Epitaphios, II, 19, à titre d’exemples de cette certitude athénienne.

64 Outre l’étude « fondatrice » de de Block (R.), « Le loup dans les mythologies de la Grèce et de l’Italie ancienne », in Revue de l’instruction publique en Belgique, 20, 1877, p. 145 sq., se reporter à Mainoldi (C.), L’Image du loup et du chien., Maisonneuve (M. N.), Le Loup dans le monde gréco-romain, Paris IV, 1985 (thèse), ainsi qu’à l’article « Wolf » de W. Richter, RE, Suppl. XV, 1978, col. 960-987. Dans une perspective plus politique, on trouvera une analyse très riche et suggestive dans l’article de Detienne (M.) et Svenbro (J.), « Les loups au festin ou la cité impossible », in La Cuisine du sacrifice, op. cit., p.215-237.

65 Cf. Esope, Fables, trad. E. Chambry, C.U.F. 225 et 315.

66 Elien, N.A., VII, 20.

67 Esope, Fables, 229.

68 Pseudo-Apollodore, op. cit., I, 9, 2.

69 Pour reprendre la formule de Detienne (M.) et Svenbro (J.), op. cit., p. 227.

70 Esope, op. cit., 229.

71 CPG Leutsch-Schneidewin, I, 431.

72 CPG Leutsch-Schneidewin, II, 186.

73 Aristote, Histoire des animaux, VI, 18, 571 b.

74 Platon, République, 765d-766a.

75 Platon, ibid., 771c-772b.

76 Detienne (M.), Dionysos mis à mort, p. 144.

77 Veyne (P.), Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, 1983, p. 109-110.

78 Ibid., p. 106.

79 Ibid., p. 105.

80 Cf. Calame (C.), Mythe et histoire dans l’Antiquitégrecque, Lausanne, 1996, p. 32-33 et Hartog (F.), Mémoire d’Ulysse, Paris, 1996, p. 151-153.

81 Pausanias, I, 26, 4.

82 Veyne (P.), op. cit., p. 106.

83 Pausanias, VIII, 8, 2.

84 Veyne (P.), op. cit., p. 109.

85 Pausanias, VIII, 8, 3.

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