3e partie. Pline, l’homme
p. 53-80
Texte intégral
Pline, un tempérament porté à l’éloge
1L’image que Pline nous donne de Rome au tournant des i er et ii e siècles diverge nettement de celle qui se dégage des œuvres de Martial, Juvénal ou Tacite. Certes l’analyse sociopolitique peut rendre compte du mécontentement des deux premiers (ils appartiennent à la classe moyenne des hommes libres), et le genre qu’ils pratiquent suppose l’indignation, la satire, la pointe méchante. En revanche seul le tempérament personnel peut expliquer que Tacite ait ressenti si différemment les événements du temps. En effet Pline et Tacite ont le même âge, sont issus du même milieu (l’élite provinciale ralliée), partagent les mêmes idées politiques (attachement au prestige du Sénat, acceptation du principal éclairé, hostilité envers les affranchis) et ont fait des carrières parallèles : Pline finit légat de Bithynie quand Tacite était proconsul d’Asie ; ils s’entendaient d’ailleurs bien et ont plaidé ensemble, contre Marius Prisais par exemple. Le seul point sur lequel ils s’écartent est que Ticite, qui hésitait entre le métier d’orateur et celui d’historien, a finalement choisi l’histoire (telle est une des leçons du Dialogue des orateurs), tandis que Pline est resté dans l’éloquence.
2Tacite a beau dire que le dénigrement est plus facile que l’éloge (Histoires I, 1, 3), c’est, plus ou moins, ce qu’il fait, en introduisant partout ses soupçons et son pessimisme. Au contraire la tendance de Pline est à l’éloge et à l’acquiescement. L’éloge abonde dans ses lettres, amené par tous les prétextes et touchant toutes sortes de gens ; mieux : il s’étend aux choses, villas ou beautés naturelles. Car une recommandation ou une description prend facilement chez lui le tour de l’éloge. A la différence de ceux qui rabaissent autrui pour se faire valoir, Pline exalte tous ceux qui l’entourent, de telle manière cependant que les éloges décernés rejaillissent en partie sur lui ; il a ainsi écrit son panégyrique au moins autant que celui de Trajan. On pourrait dire, en schématisant un peu, que Trajan est forcément le meilleur des empereurs, puisque Pline est son ami. Tacite le plus grand écrivain du temps, puisque Pline vient en second (VII, 20 ; VIII, 7), Calpurnia la meilleure des épouses, puisqu’elle est attachée à la gloire de Pline et admire son talent (IV, 19), et que plus largement tout auteur qui parle en bien de Pline est nécessairement excellent (voir IX, 8 et 31). L’abondance des superlatifs dans les lettres est la traduction formelle de cette propension à l’éloge.
3Mais avec sa politesse, sa bienveillance et ses louanges, Pline agace et paraît un flatteur. L’éloge qu’il fait de la plasticité de la cire (VII, 9, 11) ne trahirait-il pas son être profond ? Il arrondit en effet, apaise, se veut conciliant, présente un univers où tout va bien, où tout est redevenu harmonieux (depuis la mort de Domitien). Aux yeux de nos contemporains, qui regrettent les ardents conflits de la correspondance de Cicéron, cet aspect Pangloss sonne faux : il y a là trop de calme, de régularité, de courtoisie.
4En fait le comportement de Pline résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : d’abord une politesse de mondain et, dans le domaine littéraire, un échange traditionnel de compliments (voir IX, 8 et le développement plus fin de VI, 17,4-5) ; ensuite une volonté d’éviter le dénigrement (voir VIII, 22), parce que cette forme de malveillance est, selon lui, une des composantes de la tyrannie de Domitien, et qu’il essaie d’instaurer un mode de relations sociales fondé sur la confiance. Quand il critique quelqu’un, directement ou indirectement, Pline préfère ne pas le nommer (ainsi VIII, 22, 4, IX, 12, 1 ou IX, 27, 2).
5On notera que ses contemporains reprochaient déjà à Pline ses compliments exagérés pour ses amis (VII, 28). Il ne s’en défend pas, et réplique : « Y a-t-il plus beau défaut que la bienveillance (Quid enim honestius culpa benignitatis) ? »
6Il n’est pas sans intérêt de comparer Pline et Tacite quand ils traitent du même sujet. Cela ne se rencontre, à notre connaissance, qu’en une seule occasion, l’histoire d’un certain Curtius Rufus, parfois identifié avec l’historien Quinte-Curce, racontée par Tacite dans les Annales XI, 21, et par Pline dans la lettre VII, 27, 2-3. Voici le texte de Tacite :
Sur l’origine de Curtius Rufus, que certains ont présenté comme le fils d’un gladiateur, je ne saurais proférer de mensonges, mais j’aurais honte aussi d’exposer la vérité. Parvenu à l’âge adulte, et escortant le questeur qui avait été affecté à l’Afrique, alors que, dans la ville d’Hadrumète, il se tenait seul, à midi, sous les portiques alors déserts, une femme d’une taille plus qu’humaine lui apparut, et il entendit ces mots : « Toi, Rufus, tu viendras dans cette province comme proconsul ». Il fut transporté d’espoir par un tel présage, et, une fois rentré à Rome, grâce à l’aide financière de ses amis et aussi grâce à sa vive intelligence, il atteint la questure, puis, parmi des candidats nobles, la préture, sur présentation du prince ; libère avait jeté un voile sur la bassesse de sa naissance en disant : « Curtius Rufus me paraît né de ses propres œuvres ». Ensuite, dans sa longue vieillesse, en se montrant d’une triste flatterie à l’égard de ses supérieurs, arrogant envers ses inférieurs, pénible envers ses égaux, il obtint le pouvoir consulaire, les insignes du triomphe, et finalement l’Afrique ; et là il mourut, accomplissant la prédiction du destin.
7Voici maintenant le texte de Pline :
Dans le temps qu’il était encore sans fortune et sans nom, (Curtius Rufus) s’était attaché à la suite du gouverneur d’Afrique. Au déclin du jour, il se promenait sous un portique, lorsqu’une femme d’une taille et d’une beauté plus qu’humaines se présente à lui. Comme il était épouvanté, elle lui dit qu’elle était l’Afrique et venait lui annoncer l’avenir : il irait à Rome, remplirait de hautes charges, reviendrait ensuite avec le pouvoir suprême dans cette même province, et y mourrait. Tout s’est réalisé. On raconte en outre que, alors qu’il abordait à Cartilage et sortait de son vaisseau, la même femme lui apparut sur le rivage. En tout cas, tombé malade et devinant l’avenir d’après le passé et ses malheurs d’après sa réussite, il rejeta tout espoir de guérison alors qu’aucun des siens ne désespérait de son état.
8Le commentaire est presque inutile. Quelques détails sont différents dans la version de Pline : il situe la scène à la tombée du jour, l’apparition se désigne comme la personnification de l’Afrique, et elle se manifeste une seconde fois quand Curtius Rufus est devenu proconsul. Mais surtout Pline omet les insinuations malveillantes de Tacite sur l’origine du personnage, et il ne dit rien de son ascension politique, alors que Tacite multiplie les critiques à ce sujet. L’historien décrit en effet Curtius Rufus comme un parvenu intelligent et antipathique, qui s’est élevé grâce à l’argent de ses amis et l’appui de Tibère (un prince dont la faveur, pour Tacite, équivaut à une flétrissure), qui l’a protégé par dessein politique.
9Pline ne contredit pas Tacite, il laisse de côté les éléments qui ne sont pas à la gloire de Curtius Rufus. On objectera que le contexte n’est pas le même, et que Pline, racontant une histoire d’apparition, n’a pas à traiter de l’origine, du caractère ou de l’ascension du personnage, tandis que Tacite y est amené par la nature même de son œuvre, et qu’il a voulu dans cette digression illustrer l’indignité des honneurs obtenus sous de mauvais princes par des gens de rien. Peut-être. Mais Pline sur ce point partage les idées de Tacite, et préfère néanmoins se taire.
10La propension de Pline à l’éloge n’est pas faiblesse ou complaisance (car il sait aussi blâmer et a ses bêtes noires, Regulus par exemple). Mais il a choisi, comme le dit excellemment Etienne Aubrion (1975)* dont nous nous inspirons ici, d’exalter le présent heureux et d’oublier le passé ou de le réduire au rôle de repoussoir. Tacite, au contraire, fasciné par les bassesses, les vices et les crimes, souligne dans le passé toutes les traces qu’il en trouve, en suggérant à peine ou incidemment que le présent est différent.
11Pline s’est donc fait un programme de la bonté, sans être pour autant un optimiste béat : il connaît la folie des passions du cirque, l’enthousiasme pour les bouffons, la cruauté de certains maîtres, la course aux héritages, l’iniquité fréquente des jugements, l’incurie de nombreux gouverneurs, la bassesse du Sénat, la malhonnêteté de beaucoup. Mais son expérience lui fait refuser de se scandaliser hautement de ces maux, ce qui ne signifie pas qu’il les accepte.
Pline témoin de son temps
12Pline n’est donc pas seulement un bon témoin de son temps parce qu’il a été mêlé aux grands événements du règne de Trajan, et qu’il nous donne — avec les réserves qui ont été faites plus haut des informations qui restent essentielles sur le barreau (et en particulier sur les questions de succession), les carrières politiques, les fondations alimentaires, le conseil du prince, l’administration provinciale ; parce que, propriétaire terrien, il nous renseigne sur la situation de l’agriculture en Italie ; ou parce que, homme de lettres avant tout, il ne nous cache rien de la vie littéraire. C’est aussi parce qu’il ne voit pas tout en noir que Pline est un bon témoin de son temps, ses lettres venant corriger, on l’a dit, l’impression désastreuse que donne de l’époque l’œuvre de plusieurs de ses contemporains.
13Si Pline s’écarte sur ce point de Tacite, il s’oppose, également, à Martial. Pline cherche la qualité à mettre en valeur, Martial le défaut ou le vice à tourner en ridicule. Les chauves, les malodorants, les fellateurs, les parasites, les parvenus arrogants et les vieilles lubriques qui remplissent Rome selon Martial n’apparaissent pas chez. Pline. On se demande s’ils parlent de la même ville. Toute beauté est bannie de l’univers de Martial, l’harmonie règne dans le monde de Pline. Martial se plaint sans cesse, Pline paraît content de tout. Chacun des deux ne montre, à sa manière, qu’une partie de la réalité. Ceci doit rendre prudent en tout cas sur l’exploitation des auteurs pour la connaissance historique.
14Ne faisant pas ici un travail d’historien, nous ne nous occuperons pas essentiellement des lettres de Pline comme document historique. En revanche nous les étudierons en tant qu’elles dressent un tableau de la vie culturelle et dessinent la personnalité de Pline.
Pline et la vie réelle
15 Primum uiuere. Avant la littérature et l’immortalité, il y a la vie et ses problèmes matériels. Pline est aisé sans être riche. Sa fortune est essentiellement foncière, à l’en croire (III, 19, 8 : « Presque tout mon avoir consiste en biens immobiliers »). Depuis toujours, la fortune foncière procurait l’honorabilité. En outre, à l’époque de Pline, la possession de domaines en Italie était une chose particulièrement bien perçue, puisque Trajan avait imposé aux candidats aux magistratures romaines d’investir un tiers de leur patrimoine en terres italiennes (VI, 19, 4) : le but de la mesure était de les amener à considérer Rome et l’Italie comme leur patrie ; de même, chez nous, les candidats à la députation, par exemple, doivent résider ou posséder un logement dans la circonscription où ils se présentent.
16Cependant Pline se plaint souvent des faibles revenus qu’il tire de ses terres (II, 4, 3 ; II, 15, 2 ; IV, 6 ; VIII, 2 ; IX, 16, 1 ; IX, 20, 2). La chose n’est due ni à delà négligence, ni à une ignorance de l’agriculture. Au contraire, Pline apparaît comme un propriétaire consciencieux et diligent, et certaines lettres sont même assez techniques (VIII, 2). Cette double vie lui impose de nombreux voyages entre Rome et ses propriétés, afin de pourvoir à leur bon fonctionnement sans négliger ses tâches urbaines. C’est sûrement à cette attitude très professionnelle qu’il doit d’être chargé d’inspecter les domaines du grand-père de sa femme (VIII, 20, 3). Quoi qu’il en soit, la faible rentabilité de ses terres suppose qu’il dispose d’autres ressources.
17Une partie de sa fortune lui venait de legs et d’héritages (on distinguera en effet le legs, qui, consistant en biens variés ou en argent, est prélevé sur l’ensemble de l’héritage, qu’il diminue d’autant, et l’héritage lui-même, réparti selon des proportions définies entre les héritiers). La pratique des legs était banale, comme on le voit par VII, 20, 6, où Pline, pour montrer qu’on l’estime autant que Tacite, rappelle qu’on leur fait des legs de même valeur. En ce qui concerne les successions, on sait qu’il était fréquent à Rome, fût-on pourvu d’enfants, de désigner comme héritiers au moins partiels des amis, pour leur témoigner affection ou reconnaissance, voire des personnes illustres qui ne vous étaient rien, ce qui entraînait au reste de nombreux procès. La dénatalité des classes aisées avait amplifié le phénomène, et à l’époque de Pline la transmission des patrimoines, dans la haute société, se faisait moins à l’intérieur des familles qu’au sein du groupe social restreint formé par cette aristocratie. L’absence fréquente de descendance avait suscité parallèlement la pratique de la captation d’héritage, qu’évoquent tous les auteurs du i er siècle. Pline, qui plaidait lui-même par profession devant le tribunal des Centumvirs, dont relevaient ces affaires, a ainsi fait le portrait de Regulus, caprateur de testaments sans scrupule (II, 20). Pline n’était bien sûr pas un captateur de testaments, et il loue les testaments qui favorisent la famille (VII, 24, 2 ; VIII, 18). Cependant il reçoit des legs ou recueille l’héritage soit d’amis ou de relations, soit de gens pour qui il a plaidé : on sait que les avocats ne pouvaient recevoir d’argent, et ces dispositions successorales étaient un moyen indirect de les payer. Pline se réjouit sans fausse honte de ces donations en sa faveur : étant librement consenties, elles marquent la considération dont il jouit et combien il est aimé.
18Son aisance permet à Pline d’être généreux avec des particuliers (I, 19 : il aide un ami, décurion de Côme, à atteindre le cens équestre ; II, 4 : il efface les dettes à son égard du père de Calvina, qui lui était apparenté, après avoir doté la jeune femme ; III, 21 : il a financé le retour en Espagne du poète Martial ; VI, 32 : il dote la fille d’un certain Quintilien qui n’est pas le professeur ; VII, 11 : il avantage à ses propres dépens Corellia, sœur de son ancien protecteur Corellius Rufus) comme avec des collectivités (Corne, sa patrie : I, 8 ; III, 6 ; IV, 13 ; Tifernum Tiberinum, dont il est le patron : IV, 1). Il précise d’ailleurs en IX, 30, 1 envers qui la vraie générosité doit s’exercer : la patrie, les proches, la famille, les amis dans le besoin (patriae, propinquis, adfinibus, amicis, sedamicis dicopauperibus)
19S’il est beaucoup question d’héritages (voir par exemple II, 16 ; IV, 10 ; V, 1 et 7 ; VII, 11 ; VIII, 18), de rendement des propriétés et plus largement d’argent, la vie dans ses aspects matériels est, sinon, absente des lettres de Pline, où l’on trouve peu de détails concrets, comme nous l’avons déjà indiqué (c’est tout le contraire d’un Martial, dont l’univers est envahi d’objets ou même défini par eux).
20Pline a manifestement cherché, dans sa correspondance, à se libérer de la quotidienneté pour aborder des problèmes plus élevés, seuls dignes de l’intérêt de l’honnête homme qu’il veut incarner.
21On sait que les écrivains romains sont dans l’ensemble très avares de renseignements sur les aspects pratiques de la vie, à la fois parce qu’ils n’avaient aucune raison de parler de ce que tout le monde connaissait, et parce que ces questions étaient tenues dans un mépris analogue à celui qui frappait les travaux manuels. Cette tendance (regrettable pour notre connaissance de l’Antiquité, mais rarement soulignée, tant les intellectuels modernes peuvent ressembler aux anciens) est particulièrement nette chez Pline.
Pline voyageur ; la nature
22Les Anciens se déplaçaient beaucoup plus qu’on ne le pense généralement. Pline n’échappe pas à la règle. Il voyage par devoir et pour s’évader. Si les voyages sont globalement assez sûrs, Pline lui-même atteste deux cas de disparition (VI, 25) : soit les intéressés ont été assassinés, soit ils ont été enlevés par des brigands et réduits en esclavage. L’un et l’autre malheur est bien attesté par l’épigraphie funéraire : la sécurité assurée par les Antonins a ses limites.
23Pline voyage d’abord par obligation : il commence ainsi sa carrière politique en servant comme tribun en Syrie (cf. I, 10), il la finit en tant que gouverneur de Bithynie. Mais habituellement les obligations de la vie publique ne le conduisent pas plus loin que Centum Cellae (l’actuelle Civitavecchia, sur la côte toscane), où Trajan tenait parfois son conseil privé (VI, 31).
24Pline se déplace aussi hors de la capitale par contrainte privée. Il exerce ainsi son patronage sur Tifernum Tiberinum (III, 4 ; Città di Castello, en Ombrie actuelle ; un hameau des environs, Colle Plinio, garde par son nom le souvenir de Pline), et rend souvent visite à Côme, sa petite patrie (cf. IV, 30 ; V, 14, 1 ; VI, 24).
25Il doit également surveiller ses possessions. Pline avait des propriétés ou des terres en Cisalpine (II, 15 ; V, 14, 8), en Toscane, et dans le Latium, et il s’occupait des biens de Fabatus, le grand-père de sa femme, en Campanie (VI, 30). Sa présence physique était souvent nécessaire, notamment en Toscane au moment de la vendange.
26Enfin, quand rien ne le retient et que l’otium lui est provisoirement accordé, il fuit Rome pour travailler et se reposer à son aise dans sa villa des Laurentes (1,9 et 22, 1 1 ; IV, 6) ou celle de Toscane (IX, 36). Mais souvent, même là, les activités de Rome le poursuivent, ou il est dérangé par les soucis de la gestion (VII, 30 ; IX, 15). Il rêve quelquefois de la retraite (IV, 23), dont le lieu symbolique serait peut-être la campagne.
27Pline ne nous dit presque rien de ses voyages, sauf quand ils ont été éprouvants : ainsi quand il va, l’été 107, dans sa villa de Toscane, la chaleur et la poussière de la route rendent malade son lecteur Encolpe (VIII, 1) ; plus tard, en 111, quand il gagne son gouvernement de Bithynie, il apprend à Trajan que la traversée de l’Asie mineure lui a été pénible, en raison de la chaleur de l’été (X, 17). Sinon il ne décrit pas le paysage (seule exception II, 17, 2-3), alors qu’il décrit en détail ses villas. Certes il suit sans doute la leçon de son oncle, qu’il faut profiter des trajets pour travailler (III, 5, 15-16). Mais il y a là aussi la marque d’une certaine indifférence des Romains envers la nature, quand elle n’est pas domestiquée pour l’agrément (ainsi le jardin de la villa de Pline en Toscane, avec ses buis taillés) ou qu’il ne s’agit pas d’un phénomène étonnant (ainsi la source intermittente au bord du lac de Côme, en IV, 30, ou les îles flottantes du lac Vadimon, en VIII, 20, déjà évoquées par Pline l’Ancien, Histoire naturelle II, 209) ; là, on rejoint la tradition des mirabilia (Pline parle de miraculum en IV, 30, 1 11. La nature doit être prodigieuse ou ressembler à l’art : Pline rapproche du reste le paysage toscan d’un tableau (V, 6, 13).
28En regrettant ne pas avoir visité plus tôt la source de Clitumne (VIII, 8, 1), ce qui n’impliquait pourtant qu’un faible détour quand on se rend de Rome en Toscane, Pline nous confirme que le tourisme était peu développé en Italie (cf. VIII, 20, 1). Lui-même ne fait pas preuve d’une grande curiosité à l’égard delà nature, son attitude lors de l’éruption du Vésuve le montre. Et ce que nous appelons le sentiment de la nature lui est, quoi qu’on ait pu dire, en bonne partie inconnu. S’il aime se retirer dans ses villas pour travailler, c’est beaucoup plus parce qu’il y trouve la tranquillité nécessaire que parce que la nature l’inspire.
Pline et ses villas
29L’univers mental des Romains citadins, depuis la fin de la République et l’institutionnalisation de la villégiature, oppose deux espaces bien différenciés, la ville et la campagne. La satire d’Horace où se trouve la célèbre fable du rat de ville et du rat des champs (Satires II, 6) est la traduction littéraire de cette réalité. La ville est le domaine des officia, la campagne le lieu des loisirs et de l’otium. A la ville le lieu d’habitation est la domus, à la campagne la uilla. La dormis obéit à un plan strict réglant l’implantation des pièces, et les bâtiments qui l’entourent lui imposent des limites. En revanche le maître peut dans sa uilla laisser libre cours à ses désirs, pour créer un espace architectural conforme à son goût et à sa volonté d’auto-représentation : les Romains en effet associent l’homme à sa maison et font de celle-ci l’image même de son propriétaire et le reflet de son mode de vie, comme le montrent les réflexions de Sénèque sur la villa de Vatia et plus encore sur celle de Scipion l’Africain (Lettres à Lucilius 55 et 86). La description de villa prend donc un sens. Cette description, plus ou moins apparentée à l’ecphrasis est d’ailleurs peu à peu devenue un genre (inauguré par Horace dans les Épîtres I, 16, et que pratiquent, à l’époque de Pline, Stace et Martial), avec des règles. Une telle codification ne fige néanmoins pas la description ni ne nuit à son réalisme, même s’il faut dans chaque cas s’interroger sur le lien ou l’opposition entre réalité architecturale et schémas littéraires. En fait, on s’aperçoit que les éléments qui semblent ressortir à des topoi correspondent pour une bonne part aux prescriptions des architectes (Vitruve) et des agronomes (Columelle).
30Pline, parce qu’il est aisé, ne souffre pas des inconvénients de Rome (le bruit et les encombrements, principalement) que dénoncent les écrivains de statut social moins élevé (Martial et Juvénal). La ville est cependant pour lui le lieu des negotia et donc des contraintes. On le voit par la lettre VII, 3, où il ironise sur le peu d’entrain de son ami Fulvius Praesens à rentrer à Rome, et présente en parallèle les désagréments de la vie à Rome et les avantages de la vie à la campagne : d’un côté la liberté, l’absence d’officia et une tranquille solitude, de l’autre les embarras, les devoirs de clientèle, la foule. Aussi Pline, comme on l’a dit, se réfugie-t-il dès que la chose est possible dans ses villas, pour étudier ou se reposer. A la ville et à la campagne sont donc associés deux modes de vie, opposés de manière contrastée (voir VI, 14).
31Rome est, notons-le au passage, la grande absente de la correspondance de Pline. Alors que Martial cite nombre de ses monuments, Pline en mentionne à peine quelques-uns. Il n’éprouve manifestement aucun attachement pour cette ville qui enthousiasmait au contraire son oncle.
32Il faut revenir un peu sur la conception complexe de l’otium qu’a Pline. Certes il aspire à l’otium et s’insurge parfois de gaspiller son temps dans les tâches publiques, mais l’otium ne doit pas à ses yeux primer sur les negotia (cf. VIII, 9) : il intervient dans les moments laissés libres par les negotia ou après une vie vouée aux negotia (III, 1, 11-12 ; IV, 23) ; telle devait être aussi la position de Sénèque dans le Deotio L’otium qu’il prône est un otium litteratum consacré aux studia (I,9), c’est-à-dire au culte des belles-lettres (et non au perfectionnement moral ou à la quête de la sagesse comme chez Sénèque). On sent néanmoins parfois chez lui l’appel à un otium moins intellectuel, plus paresseux, ludique, sensuel aussi : ne rien faire (IX, 32), se promener à pied ou en voiture. En tout cas, l’otium est associé à la campagne et a pour cadre la villa. Rome ne peut en effet être le cadre de l’otium studieux que dans une situation paradoxale, lorsque les jeux du cirque suspendent les affaires et, réunissant en un même lieu toute la population, créent ailleurs le calme (IX, 6).
33Alors qu’il ne fait aucune allusion à sa domus urbaine, dont nous apprenons incidemment qu’elle se trouvait sur l’Esquilin (III, 21, 5), Pline décrit longuement sa villa des Laurentes (II, 17) et celle de Toscane (V, 6), et, succinctement, ses deux villas au bord du lac de Côme, appelées par lui Comédie et Tragédie (IX, 7). Ces différentes descriptions composent ainsi la villa idéale de l’homme de bien.
34La villa des Laurentes est une villa suburbaine, située à vingt-cinq kilomètres de Rome, que Pline peut gagner le soir après sa journée de travail, ce qu’il fait souvent en hiver (IX, 40, 1). La villa de Toscane en revanche est une villa de campagne où Pline se rend surtout en été (IX, 36, 1), non qu’il y ait alors vacance des tribunaux (voir cependant VIII, 21, 3, sur l’accalmie des procès en juillet, et X, 8, 3, où il est question des nombreux jours fériés de septembre), mais parce que le climat y est en cette saison plus clément qu’à Rome et qu’il doit, en outre, surveiller la moisson et surtout les vendanges.
35En effet si la villa des Laurentes est exclusivement destinée aux loisirs, la villa de Toscane, elle, est clairement une propriété de rapport. Quant aux deux villas du lac de Côme, elles ne paraissent pas consacrées à quelque production que ce soit.
36Les villas de Pline illustrent le retour à des mœurs plus traditionnelles que symbolise le règne de Trajan. Empreint de la modération qui le caractérise, Pline se défend de toutes les extravagances du luxe auxquelles cédaient beaucoup de riches Romains : il admire la simplicité et l’endurance du philosophe Artémidore (III, 11,6) ou du jurisconsulte Titius Ariston (I, 22, 4-7), prône un train de vie simple (I, 15, 1-2 ; II, 6, 4-5 ; III, 12 ; VI, 28, 3), et se promet de reproduire quand il le pourra la vie frugale et décente que mène Spurinna dans sa retraite (III, 1). De même, le programme ornemental de ses villas repose sur un certain dépouillement, une sobriété faite de juste mesure (du point de vue d’un Romain du temps, non du nôtre) ; le charme et l’élégance des pièces consistent dans leur simplicité même. Les villas de Pline ne sont pas des musées : elles ne renferment ni statues, ni mosaïques, ni peintures (seule exception : une fresque avec des branches et des oiseaux dans une pièce de sa villa de Toscane, V, 6, 22), ni mobilier précieux, ou du moins Pline ne le mentionne pas. Il y a là un choix esthétique qui est aussi éthique.
37Pline peut s’être souvenu de Cicéron (Des devoirs I, 138-140, où il est question certes de domus et non deuilla), qui définit pour une maison trois principes : être commode, rehausser la dignité de son propriétaire, avoir un luxe modéré. En effet l’habitation est le prolongement de son propriétaire, son enveloppe symbolique. Les villas de Pline sont en complète adéquation avec ces principes, puisqu’elles allient utilitas et amoenitas (II, 17, 4 et 25 ; V, 6, 3). La commodité réside dans plusieurs éléments : l’accessibilité, le climat plaisant, la fertilité qui garantit l’autarcie, une vue agréable ; ensuite une capacité suffisante pour recevoir de nombreux hôtes, un aménagement intérieur avec différentes pièces aux caractéristiques bien définies, et dont l’utilisation est adaptée à leur exposition ; enfin des jardins, puis des bains ; et partout l’eau coule ou jaillit sous des formes multiples.
38Plusieurs pièces des villas de Pline ont pour finalité la composition littéraire ou du moins la réflexion intellectuelle. Ainsi la villa des Lamentes possède-t-elle une salle d’études avec une bibliothèque (II, 17, 8), et un pavillon (diaeta) isolé où le maître se retire quand il cherche la tranquillité (II, 17, 20-22). Dans cette conception de la villa comme lieu où cultiver l’otium litteratum (voir I, 13, 6 ; IV, 13, 1 ; V, 18, 2), Pline rejoint encore Cicéron, qui écrivit hors de Rome, dans ses villas de Tusculum, de Formies, de Cumes ou d’Astura, plusieurs de ses œuvres maîtresses, y situant même parfois l’action.
39Cependant la villa de Toscane, on l’a dit, n’est pas seulement une villa de loisir, mais aussi, sinon surtout, une villa de rapport. Pline, on y a déjà fait allusion, se plaint souvent des faibles revenus qu’il en tire (VIII, 2, 1 ; IX, 16, 1 ; IX, 20, 2), et qui reposaient principalement ou majoritairement sur la vigne. Il nous entretient abondamment de la gestion de cette vaste propriété et des difficultés qu’elle soulève (III, 19 ; VII, 30 ; IX, 37 ; X, 8), donnant ainsi une bonne image de la situation de l’agriculture en Italie (voir l’article de R. Mattin, 1967*). Le mode d’exploitation adopté est en général le fermage, mais certains lots de terre, notamment des vignobles, au lieu d’être loués, étaient en faire-valoir direct, comme le montre par exemple IX, 20, 2, où l’on voit que par pénurie de main-d’œuvre Pline fait participer ses esclaves de la ville à la vendange.
40Parallèlement il dissimule dans la lettre V, 16, par refus du trivial, les aspects concrets de l’exploitation sous une vision édulcorée de la vie à la campagne. La villa de Toscane comprenait en effet certainement, à côté du secteur résidentiel (la pars urbana) longuement décrit, un secteur agricole (pars rustica) avec les écuries, les chais, l’habitation des esclaves, etc. Or il n’en est pas dit un mot. Mieux, Pline donne du paysage une peinture bucolique d’où le travail humain est absent : les plantes poussent miraculeusement, le Tibre transporte sans peine les produits de la terre, pour le labour n’est évoqué que l’effort des bœufs (V, 6, 8-12) ; et dans toute la lettre des formulations subtiles pet mettent d’exclure l’agent du travail (pat-exemple V, 6, 37, dans la salle à manger extérieure de l’hippodrome, les plats « sont déposés » sur le bord d’une vasque de marbre, à l’usage des convives). Il y a donc un silence sur les réalités sociales et notamment le mode de production esclavagiste. La chose s’explique par le désir de Pline de présenter ses villas comme des lieux où ne régnent que le plaisir et l’agrément ; il n’y a ici aucune mauvaise conscience ou remise en question de l’esclavage, ce serait un anachronisme de le croire.
41La description des villas de Pline est donc idéalisée : on ne parvient d’ailleurs pas à en dresser le plan, malgré l’apparente précision des indications fournies. Ces descriptions ont en réalité une finalité morale. Pline donne un modèle de villa qu’il complète par un modèle de vie en villa (IX, 36 et 40). Et ce n’est sans doute pas un hasard si le recueil se clôt sur une lettre oit Pline explique son mode de vie dans sa propriété des Lamentes : il suggère ainsi sa préférence pour la vie à la campagne.
42Si Pline a gardé plus de liens avec la terre nourricière que beaucoup de propriétaires romains de son temps, ce n’est pas néanmoins par amour de la nature. En effet il n’aime la nature que sous l’aspect policé des jardins de plaisance, où elle est pliée par l’art, comme le montrent les buis taillés en forme de bêtes sauvages et de lettres de sa villa de Toscane (V, 6, 16 et 35). L’aménagement de l’hippodrome de cette villa vise d’ailleurs souvent à supprimer par l’art la frontière entre le domaine de la nature et celui de l’homme : des arbres fruitiers sont plantés au milieu de l’hippodrome, réintroduisant la campagne productive dans un lieu d’agrément (V, 6,35 : inserta sunt poma, et in opère urbanissimo subita uelut inlatiruris imitatio) ; et, quand on est couché dans le cabinet de repos (zothecula) du petit édifice qui se dresse à l’extrémité de l’hippodrome, l’ombre du feuillage donne l’impression d’être dans une forêt, sans le risque de finir mouillé par la pluie (V, 6, 39 : non secus ibi quam in nemore iaceas, imbrem tantum tamquam in nemore non sentias).
43La campagne pour Pline est l’expression de sa tentation individualiste secrète. C’est là, dans des villas confortables et charmantes, au sein d’une nature riante et esthétisée, que pourrait se réaliser la vie de loisir studieux, de tranquillité et de détente à laquelle il aspire, loin des contraintes sociales de la ville ; mais il continue à faire passer les devoirs de la communauté avant son bien-être personnel.
44Nous finirons notre visite des villas de Pline par un texte des Promenades archéologiques de Gaston Boissier, qui cherche à en reconstituer l’esprit :
Je suppose que notre première impression, si nous pouvions voir les villas de Pline, surtout celle de l’Étrurie, qui était la plus belle, serait d’être fort étonnés de la multiplicité des bâtiments qui la composent. Tous ces édifices, de hauteurs et de formes différentes, plutôt juxtaposés qu’unis, nous feraient l’effet d’un village bien plus que d’une maison de campagne. Mais il faut se souvenir qu’il s’agit d’y loger un Romain, et qu’un Romain, même lorsqu’il se pique de vivre simplement, ne peut se passer d’une foule d’esclaves […]. Ce qui surprend encore plus que le nombre de ces corps de logis, c’est qu’on n’ait pas pris la peine de les disposer de façon plus régulière ; mais nous avons déjà vu que les Romains, surtout dans les maisons de campagne, ne paraissaient pas tenir beaucoup à l’apparence extérieure. C’est ainsi qu’au lieu de placer tous les salons et toutes les chambres du même côté pour des raisons de symétrie, leurs architectes les distribuaient un peu partout, afin de leur donner des expositions différentes ; ils multipliaient les pavillons séparés, pour qu’on y lût plus isolé et qu’on y eut de tous les côtés une plus belle vue […]. On se perd dans l’énumération qu’il nous fait de ses appartements ; il a des salles à manger de grandeur différente pour toutes les occasions ; il dîne dans celle-ci quand il est seul, l’autre lui sert à recevoir ses amis intimes, la troisième est plus vaste et peut contenir la foule de ses invités. L’une s’avance dans la mer : on y voit, tour en prenant son repas, les flots se briser contre les murailles ; l’autre s’enfonce dans les terres : on y jouit de tous les côtés de la vue des champs et des spectacles de la vie rustique. D’ordinaire une chambre à coucher suffit aujourd’hui aux plus exigeants ; il serait difficile de dire exactement combien en contiennent les villas de Pline. Il y en a non seulement pour tous les besoins, mais pour tous les caprices […]. Voilà ce qu’on devait trouver dans la villa d’un homme riche, mais rangé, qui, sans faire de folies, tenait à être commodément logé à la campagne pour s’y reposer à l’aise (Paris, Hachette, 1880, p. 238-242).
Pline et les autres : amicitia et humanitas
45Les lettres de Pline sont une manifestation de l’amitié qui le lie à ses destinataires, mais plus largement elles montrent quel type de relation il entretient avec les autres.
46On sait que le champ sémantique d’amicus et amicitia est beaucoup plus large en latin qu’il ne l’est dans notre sensibilité contemporaine, oit il suppose une notion d’élection affective. A Rome en revanche le terme d’amitié couvre aussi bien la relation privée que la relation exclusivement publique, avec tous les degrés intermédiaires. L’amitié a été théorisée entre autres par Cicéron dans le Lelius ou de l’amitié, tandis que plus tard Sénèque dans le Des bienfaits se penchera sur l’échange des bienfaits dans le cadre de la vie sociale.
47La pratique de l’amitié, qui ne peut exister qu’entre gens de bien, comporte un certain nombre de devoirs qui sont principalement l’entraide sous toutes ses formes, et l’association réciproque aux événements fastes ou malheureux de l’existence. La lettre est un moyen de réaliser ces devoirs. Cependant le commerce épistolaire entre amis est régi par certaines conventions propres : écrire pour nourrir l’amitié ; répondre pour satisfaire au principe de réciprocité ; informer de ses joies et douleurs l’ami, celui-ci devant en retour féliciter ou consoler ; être dévoué aux intérêts d’autrui et les favoriser, en particulier sous la forme de la recommandation.
48Les deux premiers points (écrire et répondre) ont été évoqués dans un chapitre précédent ; ils sont illustrés notamment par les lettres I, 11 (Pline depuis longtemps ne reçoit plus de nouvelles de Fabius Justus), II, 2 (même chose avec Valerius Paulinus) et III, 17 (même chose avec Julius Servianus).
49Le troisième point (associer les amis aux événements importants de sa vie), Pline naturellement le met en pratique. Ainsi en IV, 8, répond-il à Maturus Arrianus qui devait le féliciter de son accession à l’augurat. Mais on le voit aussi réagir aux bonheurs ou malheurs des autres : en VI, 26, il félicite Julius Servianus pour les fiançailles de sa fille ; en IX, 37, il s’excuse auprès de Valerius Paulinus de ne pouvoir assister à l’inauguration de son consulat. On laissera de côté pour le moment les échanges dans le domaine littéraire (du type : j’ai bien reçu ton livre, il est excellent), dont il sera parlé plus loin.
50Le quatrième et dernier point (l’aide aux amis) prend trois formes complémentaires, la sollicitation, la réaction à la sollicitation d’autrui, et le remerciement. La première forme, la demande directe de services, est mal représentée dans la correspondance. Deux cas s’en rapprochent : IV, 28, où Pline demande à Vibius Severus de trouver un peintre pour Herennius Severus, et V, 19, où Pline demande à Valerius Paulinus d’accueillir dans sa propriété de Fréjus son affranchi Zosime, malade.
51La deuxième forme, la réponse à la demande d’autrui, se rencontre dans les lettres I, 14 (Junius Mauricus a demandé à Pline de chercher un mari pour la fille de son frère ; Pline conseille Minicius Acilianus) ou II, 18 (Junius Mauricus a demandé à Pline de chercher un précepteur pour ses neveux ; il s’exécutera volontiers). On peut y ajouter IV, 17, où Clusinius Callus demande à Pline de défendre en justice Corellia Hispulla, la fille de Corellius, un protecteur de Pline ; Pline dans sa réponse se montre un peu fâché que Clusinius Rufus ait pu imaginer qu’il ne ferait pas la chose spontanément.
52La troisième forme, le remerciement, apparaît en V, 2 : Pline y remercie Calpurnius Flaccus de lui avoir envoyé des grives.
53Mais plus souvent on a affaire à une forme mixte, qui est la lettre de recommandation, un type épistolaire bien codifié (un ensemble de lettres de recommandation de Cicéron est regroupé au livre XIII de ses Familiares) Celui qui rédige ce genre de lettre y paraît demandeur, mais il sollicite en fait non pour lui, mais pour quelqu’un à qui il accorde son appui et qui deviendra son obligé. On peut écrire une telle lettre de son propre mouvement (par amitié pour le protégé, et éventuellement en se portant garant de sa valeur, comme en X, 4, 4), ou sur une démarche de l’intéressé, mais cette démarche est rarement mentionnée. Les lettres de recommandation sont assez nombreuses dans le corpus plinien : II, 9 (Pline demande à Domitius Apollinaris de favoriser la candidature de son ami Sextus Erucius) ; II, 13 (Pline demande à Prisais, gouverneur d’une province impériale, de confier un poste à son ami Voconius Romanus) ; III, 2 (Pline demande à Vibius Maximus, un personnage important, d’obtenir pour son ami Arrianus Maturus une distinction honorifique) ; IV, 4 (Pline demande à Sosius Senecio, plusieurs fois consul, d’accorder le tribunat à son ami Varisidius Nepos) ; IV, 15 (Pline demande à son ami Minicius Fundanus de recommander pour la questure le fils d’Asinius Rufus) ; VI, 8 (Pline demande à Prisais d’intervenir en faveur de son ami d’enfance Atilius Crescens dans une affaire d’héritage) ; VII, 31 (Pline demande à Cornutus, un sénateur, d’accepter l’amitié de Claudius Pollio ; ici il s’agit de faire gagner aux amis des amitiés nouvelles, de les aider à accroître le cercle de leurs relations) ; ajoutons, dans un registre différent, IX, 21 (Pline demande à Sabinianus de pardonner à son affranchi, ce que, d’après IX, 24, il obtient). On voit que Pline joue volontiers le rôle d’intermédiaire, en faisant usage de son crédit auprès de gens plus puissants ou mieux placés que lui. Il peut y avoir là, à l’occasion, de sa part, le plaisir de montrer son pouvoir d’action et l’influence dont il jouit (la chose affleure en VI, 8). Mais cela en cas de succès. Car celui qui recommande expose son crédit personnel, et s’il échoue, sa crédibilité auprès de ses pairs diminue (II, 9, 1-2 ; VI, 6, 9).
54Il reçoit aussi des lettres de recommandation : nous savons par III, 8, que Suétone a demandé à Pline de transférer sur un ami le tribunat qu’il lui avait obtenu pour lui-même ; par VI, 12, que Calpurnius Fabatus a demandé à Pline de défendre avec soin les intérêts de Bitiius Prisais devant le tribunal des Centumvirs ; par VII, 7, qu’un certain Saturninus a demandé à Pline de remercier Prisais, apparemment pour avoir accepté son amitié ; par IX, 28, que Voconius Romanus a demandé à Pline de transmettre une lettre à Plotine.
55Le système requête-remerciement est particulièrement développé dans la première partie de la correspondance avec Trajan : en X, 2, Pline remercie Trajan de lui avoir accordé le ius trium liberorum, c’est-à-dire l’équivalent des avantages dont jouissaient les parents de trois enfants ; en X, 4, Pline demande à Trajan de faire entrer au Sénat son ami Voconius Romanus ; en X, 5, Pline demande à Trajan d’accorder la citoyenneté romaine à un médecin qui l’a soigné, et dans la lettre suivante (X, 6) le remercie de l’avoir fait (l’affaire se poursuit dans les lettres 7 et 10) ; en X, 11, Pline demande à Trajan la citoyenneté romaine pour des membres de la famille d’un autre médecin ; en X, 12, Pline recommande à Trajan Attius Sura pour la prenne ; en X, 13, Pline sollicite de Trajan, pour lui-même cette fois, la charge d’augure ou d’épulon (le collège des Epulons organisait les banquets sacrés en l’honneur de Jupiter). On trouve aussi quelques exemples dans la seconde partie du livre, notamment X, 87 et 104, et surtout X, 94, où Pline demande à Trajan d’accorder à Suétone, qui n’a pas d’enfants, le ius trium liberorum, ce à quoi l’empereur consent (X, 95).
56Il y a à la fois une grande variété dans les situations qui font l’objet des interventions de Pline, et une profonde diversité dans le rang et la qualité des bénéficiaires, intéressante au titre de la mobilité sociale. Les obligés de Pline vont en effet de l’affranchi médecin (X, 5) au grand seigneur en passe de devenir prêtent (X, 12). Parmi eux, les ressortissants de Côme ou de Cisalpine sont nombreux : ils ont utilisé le patronage de leur concitoyen bien introduit à Rome, et que son attachement pour sa petite patrie prédisposait favorablement à leur égard.
57On regrettera peut-être de ne pas trouver dans les lettres que Pline adresse à ses amis et connaissances l’intimité confiante de la correspondance parfois quotidienne de Cicéron avec Atticus (qui, rappelons-le, n’étaient pas destinées à la publication). Mais les relations entre Cicéron et Atticus étaient particulièrement proches (ce n’est pas un hasard si Cicéron a consacré un traité à l’amitié), l’époque n’est pas la même, et enfin Pline reste toujours un peu en représentation, engoncé dans un costume de grand seigneur et d’homme de lettres qui refrène les épanchements du cœur.
58Si les lettres de Pline, on vient de le voir, à la fois matérialisent et illustrent l’amitié qui l’unit à ses destinataires, elles révèlent plus largement quels rapports il entretient avec les autres. Ces rapports sont dominés par le concept d’humanitas.
59Honnête homme cultivé, Pline ne se prenait pas pour un philosophe. Mais il pratiquait le dogme stoïcien de la solidarité humaine, sous la double forme de la générosité et d’une philanthropie teintée d’indulgence (voir VIII, 22 ; IX, 12 et 17), qui n’oublie pas pour autant les hiérarchies sociales.
60Sa générosité, dont nous avons déjà parlé, touche notamment la terre italienne (Côme, et également Tifernum Tiberinum). Elle ne s’explique pas seulement par la vanité ou l’attachement sentimental à la petite patrie, mais aussi par l’adhésion à un système social où règne l’esprit de patronage.
61Quant à la bonté de Pline, elle s’exprime surtout dans son comportement à l’égard des affranchis et des esclaves. Assurément il ne conteste pas la légitimité de l’esclavage (il achète des esclaves en I, 21), et du reste n’est pas le premier à prescrire de traiter humainement les esclaves : les stoïciens, et Sénèque en particulier clans une lettre célèbre (Lettres à Lucilius 47), avaient déjà souligné qu’il fallait se montrer bon avec eux, au nom de l’unité du genre humain. En outre la bienfaisance de Pline, à l’image de la justice des stoïciens, n’est pas faiblesse (I, 4, 4 : « la peut du maître disparaît chez les esclaves, quand seulement celui-ci les a habitués à l’indulgence »), et ne s’interroge pas sur les institutions sociales. Cela dit, il y a chez Pline une sensibilité à la situation des autres qui mérite d’être notée. Examinons plus dans le détail les lettres oit il est question d’affranchis et d’esclaves.
62L’état de santé de ses affranchis Zosime et Encolpe (celui-ci peut-être un esclave), tous deux spécialistes de la lecture publique, l’inquiète (V, 19) ; VIII, 1) ; il s’occupe de leur donner des soins. Plus largement, il se déclare très affecté par la maladie et la mort de ses gens (meorum), et fait ce qu’il peut pour adoucir leur mort, notamment en les affranchissant (VIII, 16) ; il paraît assez favorable à l’affranchissement (VII, 16 et 32). Dans sa villa de Toscane, il se promène et converse avec les plus lettrés de ses gens (IX, 36, 4 : cum meis). S’il a invité à dîner, il ne fait pas setvir aux affranchis une autre nourriture qu’aux convives de naissance libre (II, 6). On ne s’étonnera donc pas qu il donne pour motif à l’assassinat de Macedo par ses esclaves la cruauté de ce maître (III, 14 ; voir aussi VIII, 14, où Pline prône la clémence dans une affaire analogue).
63Cette humanité envers les esclaves se voit aussi dans ses villas. Dans les Laurentes, il évoque par deux fois des pièces qui sont réservées aux esclaves, ainsi un gymnase placé dans un endroit agréable de la villa (II, 17, 7) et des pièces (II, 17, 9) oit l’on pourrait recevoir des hôtes tant elles sont propres (plerisque tant mundis, ut accipere hospites possint). En outre, Pline a un pavillon spécial où il se retire aux Saturnales (II, 17, 24), afin de laisser totale liberté aux esclaves. Cependant il s’agit là d’esclaves lettrés et éduqués que Pline a avec lui, non d’esclaves travaillant sur le domaine, puisque la villa des Laurentes est exclusivement destinée à l’agrément. Or dans la villa de Toscane, qui comporte forcément une pars urbana et une pars rustica, on l’a dit, il n’est nullement question des foules d’esclaves nécessaires à la production agricole, ni de leur logement. Deux brèves mentions seulement, dans d’autres lettres (III, 19, 7, où les esclaves agricoles doivent être considérés comme faisant partie du fonds loué aux coloni, et IX, 20, 2), nous rappellent l’existence de ce personnel servile. L’intérêt et la sollicitude de Pline envers les esclaves se limitent donc à une catégorie d’entre eux.
Pline et sa famille
64Pline parle à peine de son père, Lucius Caecilius, et on en déduit qu’il ne l’a pas ou presque pas connu. Il n’est pas très bavard non plus sur sa mère, Plinia, dont il est surtout question dans les deux lettres sur l’éruption du Vésuve (VI, 16 et 20). Autrement, on apprend qu’elle entretenait des relations d’amitié avec le père de Romarins Firmus, un camarade d’enfance de Pline à Côme (I, 19, 1), avec Calpurnia Hispulla, la tante de sa seconde femme (IV, 19, 7), et avec Corellia, la sœur du protecteur de Pline Corellius Ruius (VII, 1 1, 3). Les formulations employées dans IV, 19, 7 et VII, 11, 3 supposent que Plinia est morte au moment de l’écriture de ces lettres, au maximum donc en 104 et sans doute bien avant. En 79 déjà, elle se déclarait « alourdie par l’âge et l’embonpoint » (annis et corpore grauem, VI, 20, 1 2). Mais aucune mention n’est laite du décès, qui peut être survenu avant la date des lettres les plus anciennes (96). Indirectement, on apprend que Pline a eu une nourrice, une affranchie sans doute, à laquelle il a fait don d’un petit terrain (VI, 3).
65Pline est évidemment beaucoup plus disert sur son oncle puis père adoptif Pline l’Ancien, qu’il ne désigne jamais par son nom, mais par le terme d’auunculus (I, 19, 1 ; III, 5, 1 ; VI, 16, 1 et 12 ; VI, 20, 5 et 10) ou la périphrase auunculus idemquc per adoptionem pater (V, 8, 5). Deux lettres lui sont intégralement consacrées : III, 5, qui contient la liste des œuvres de Pline l’Ancien et expose sa méthode de travail ; VI, 16, sur sa mort dans l’éruption du Vésuve.
66Cette dernière lettre, qui ressorrit à la fois au genre du récit de morts illustres et à celui de l’éloge funèbre (laudatio funebris), appelle des remarques particulières, que nous empruntons pour partie à un article de René Martin (1979). Pline présente sa lettre comme une sorte de matériau brut où Tacite, écrivant ses Histoires, puisera ce qu’il voudra (VI, 16, 22). En fait le récit est d’un art consommé, visant à l’idéalisation du défunt, et il parvient presque, par son élaboration, à voiler ses nombreuses incohérences.
67Pline l’Ancien, en savant qu’il était, veut aller observer de plus près le phénomène qu’il ne sait pas encore être une éruption (VI, 16, 7 ; le Vésuve était en effet inactif depuis le néolithique). Un appel au secours d’une certaine Rectina, bloquée au pied de la montagne (donc à Herculanum, Pompéi ou entre les deux), le fait changer de projet : il s’embarque avec plusieurs quadrièmes dans l’intention de la secourir (VI, 16, 8-10). On ne nous explique pas comment, si Rectina est dans l’impossibilité de s’enfuir de chez elle, elle a pu faire parvenir un message. Comme les bateaux reçoivent diverses projections, Pline l’Ancien se détourne vers la maison de Pomponianus, à Stabies, peut-être avec l’idée de gagner la villa de Rectina par un détour (VI, 16, 11-12). Mais il ne sera plus question ensuite de celle-ci, ni des opérations de secours pour lesquelles il avait en principe pris la mer. On ne sait pas non plus ce qu’il advient du nombreux équipage des quadrirèmes. Chez Pomponianus, la conduite de Pline l’Ancien devient incompréhensible : il prend un bain, mange avec gaieté (VI, 16, 12), donne des colonnes de feu du volcan une explication inacceptable, puis se couche (VI, 16, 13) sans plus manifester de curiosité scientifique, et dort profondément en ronflant alors que la maison reçoit un déluge de cendres et de pierres ponces, et que la terre tremble. Pomponianus et les autres, qui n’avaient pas fermé l’œil, doivent le réveiller pour s’enfuir (VI, 16, 13-15). Sur le rivage, il se rendort (cela ne nous est pas dit, mais on le déduit de la suite). Les flammes et l’odeur de soufre le réveillent (VI, 16,18). Il n’arrive pas à marcher, et retombe (déjà mort peut-être ou agonisant, le texte ne le précise pas). On retrouve deux jours après son corps intact : ses compagnons l’avaient donc abandonné sur place, et la flotte est partie en laissant son amiral. Qui a pris une telle décision ? On ne le saura pas.
68Pline essaie de faire passer le comportement de son oncle pour du dévouement d’abord, de la fermeté d’âme ensuite. En réalité Pline l’Ancien a peut-être voulu se rendre auprès de Rectina, puis de Pomponianus, mais durant le trajet il a été victime, soit d’une crise cardiaque, soit d’une sorte de traumatisme psychique, soit d’une asphyxie partielle ou d’une déshydratation (sa corpulence — amplitudinem corporis VI, 16, 13 — n’arrangeait rien), qui a altéré ses facultés mentales. Loin d’être un sauveteur héroïque, il a par son sommeil irrépressible et importun mis en danger Pomponianus et les siens, qui ont dû se résigner à l’abandonner. C’est d’eux apparemment que Pline tire son témoignage, et il essaie de donner des faits une présentation tendancieuse sans trop altérer la vérité. Peut-être veut-il aussi démentir des rumeurs qui auraient circulé après le décès. Cependant les incohérences et les blancs du récit invalident, pour qui lit soigneusement, le pieux dessein de l’épistolier.
69Contrairement à ce qu’on dit souvent, le récit de Pline ne s’oppose pas à la version que donne Suétone de la mort de Pline l’Ancien (section « De historicis » du De uiris illustribus). Selon l’historien en effet celui-ci, s’étant dirigé vers le Vésuve en embarcation légère pour examiner de plus près les causes de l’éruption, et ne pouvant en revenir à cause des vents contraires, mourut soit étouffé sous la poussière et la cendre, soit tué par un esclave auquel, défaillant de ses brûlures, il avait demandé de hâter sa fin (Cum enim Misenensi classi praesset et flagrante Vesuuio ad explorandas propius causas liburnica pertendisset, née aduersantibus uentis remeare posset, ui pulueris ac fauillae oppressus est, uel ut quidam existimant a seruo suo occisus, quem aestu deficiens, ut necem sibi maturaret orauerit).
70Quoi qu’il en soit exactement, Pline l’Ancien a été pont Pline un éducateur (il lui donne des devoirs à faire, VI, 16, 7) et un modèle (notamment pour la puissance de travail, III, 5, 18-19 ; c’est son exemple aussi qui stimule Pline à écrire un ouvrage historique, V, 8, 4-5). En revanche, malgré les deux lettres sur la source intermittente au bord du lac de Côme et sur les îles flottantes du lac Vadimon (IV, 30 et VIII, 20), Pline n’a pas hérité de la curiosité scientifique de son oncle : lors de l’éruption du Vésuve, il ne souhaite pas l’accompagner pour voir de plus près le volcan (VI, 16, 7).
71Revenons à Pline lui-même. Il s’est, on l’a dit, marié deux fois : d’abord avec une jeune fille dont nous ignorons le nom et qui mourut au début du règne de Nerva (IX, 13, 4). Pline conserva de bonnes relations avec sa première belle-mère, Pompeia Celerina (1, 4) ; même après son remariage il la qualifie de socrus (« belle-mère », VI, 10, 1 ; X, 51, 1), ce qui s’explique aussi par le fait que sa nouvelle femme était orpheline.
72En secondes noces donc il épousa Calpurnia, petite-fille d’un notable de Côme, Calpurnius Fabatus : elle avait perdu son père (V, 11) et sa mère (remplacée par une tante, IV, 19 et VIII, 11, 1). Il est question de Calpurnia pour la première fois en IV, 1, et on date l’union de 104. Le couple vivait en bonne entente (IV, 19) ; leurs rares séparations leur étaient pénibles (VI, 4 et 7 ; VII, 5 ; il faut faire la part de l’emphase dans l’expression des sentiments) ; et Calpurnia accompagna son époux en Asie, ce que ne faisaient pas toujours les femmes de gouverneur. Ils ne semblent pas avoir eu d’enfants, quoique Pline en désirât (VIII, 10 et 11 ; X, 2).
73La principale lettre où Calpurnia soit décrite est IV, 19, adressée à la tante de Calpurnia, où Pline félicite celle-ci de l’éducation qu’elle a donnée à sa nièce. Les qualités que Pline souligne chez sa nouvelle épouse sont, dans l’ordre moral, la simplicité de goûts (frugalitas), la pureté de mœurs (castitas), et l’attachement à la gloria de son mari (c’est-à-dire à ses qualités morales et intellectuelles, la gloire étant valeur éthique) ; dans le domaine de l’esprit, elle possède une vive intelligence (summum acumen), s’intéresse à la littérature (accedit his studium litterarum), et a des dispositions pour la musique (uersus quidem meos cantat etiamque format cithara). La lettre X, 120 nous apprend enfin que Calpurnia n’a pas hésité à faire seule le voyage de Bithynie en Italie, à la mort de son grand-père, pour se rendre auprès de sa tante : c’est une preuve de pietas.Ces divers éléments brossent le portrait d’une jeune femme d’éducation traditionnelle, dont les sentiments personnels demeurent inconnus. Nous ne possédons en effet aucune lettre de Calpurnia, si ce n’est un passage de quelques lignes que Pline nous rapporte lui-même (VI, 7, 1).
74Les bonnes relations entre Pline et le grand-père de sa femme, Calpurnius Fabatus, sont attestées par le nombre de lettres adressées à celui-ci : IV, 1 exprime clairement leur affection réciproque. Et Fabatus avait confiance en Pline, puisqu’il le chargeait d’inspecter ses propriétés en Ombrie (VIII, 20, 3). Pline et Calpurnia séjournaient aussi souvent en Campanie sur les terres de Fabatus (VI, 4, 28 et 30).
75On finira ce tour de famille avec un certain Plinius Paternus, qui paraît avoir été apparenté à la mère de Pline (I, 21 ; IV, 14 ; VIII, 16 ; IX, 27).
Pline et l’éducation
76Avoir des enfants est un devoir civique. Pline le souligne en louant Asinius Rufus qui a bien rempli son devoir de citoyen et n’a pas limité la fécondité de sa femme (IV, 15, 3 : in hoc quoque functus est optimi ciuis officio, quod fecunditate uxoris large frui uoluit), à une époque où la plupart des gens trouvaient plus avantageux de n’avoir pas d’enfant et estimaient qu’un fils unique constituait déjà un fardeau (voir aussi 1, 8, 11-12). Il y a là de la part de Pline un compliment traditionnel, mais qui montre aussi indirectement à quel point la dénatalité sévissait, dans les classes élevées en tout cas, et cela quoique, depuis Auguste, diverses lois favorisassent les pères de famille nombreuse.
77Si certains cherchent à éviter de procréer, d’autres veulent des enfants sans y parvenir. Tel est le cas de Pline. Son premier mariage ne l’avait pas rendu père (IV, 13, 5 ; X, 2). Une fausse couche de sa seconde femme différa son espoir de le devenir (VIII, 10 er 11), et, apparemment, il ne connut jamais la joie de la paternité.
78Malgré cela, il s’est toujours intéressé aux problèmes d’éducation, et a cherché à développer l’enseignement, dans le cadre des traditions romaines.
79Il s’est d’abord occupé de l’organisation de l’enseignement dans sa ville natale, qui en était dépourvue. Il y fonde une bibliothèque (I, 8), et y crée plusieurs chaires d’enseignement secondaire qu’il finance partiellement (IV, 13), demandant à Tacite de lui désigner des maîtres parmi son entourage de lettrés. Ainsi, non content d’offrir à Côme le tiers des frais de cette fondation, il veille au recrutement des maîtres.
80Ensuite, Pline est sollicité par des particuliers : quand Mauricus lui demande de rechercher un précepteur pour les enfants de son frère (II, 1 8 ; il s’agit cette fois d’un professeur de rhétorique), il lui répond qu’il prendra la peine de s’informer personnellement, ce qui lui donnera le plaisir de redevenir jeune en fréquentant les classes. Moins formellement, la vieille Ummidia Quadratilla lui avait recommandé les études de son petit-fils (VII, 24, 5). En revanche c’est de son propre mouvement que Pline présente à Corellia Hispulla, pour son fils, un professeur de rhétorique, Julius Genitor (III, 3) : il s’agit de former un adolescent qui soit digne de son grand-père Corellius Rufus.
81Pline cependant, qui n’a pas un esprit de système, n’a pas élaboré un programme d’étude comme pouvait l’être le Studiosus de son oncle (III, 5, 5), ses remarques sur le sujet sont dispersées. Il insiste sur la moralité des professeurs (par exemple en ce qui concerne Julius Genitor), ce qui recoupe des préoccupations exprimées entre autres par Quintilien. Il est hostile à une sévérité excessive, les pères devant se souvenir qu’ils ont été enfants (IX, 12). Il croit beaucoup à la valeur éducative de l’exemple : ainsi Genialis a-t-il la chance de trouver en son père, avec lequel il étudie, un modèle à suivre et imiter (VIII, 13). Et il regrette pour sa part de n’avoir pu pendant sa jeunesse apprendre par l’exemple auprès de ses aînés, tant alors la tyrannie de Domitien pervertissait les comportements (VIII, 14, 7-9).
82Une seule lettre s’apparente à un plan d’étude, VII, 9. Mais Pline ne s’y adresse pas à un adolescent : Fuscus Salinator a déjà débuté dans la carrière d’avocat (VI, 11), il est fiancé (VI, 26, 1). Il s’agit donc pour lui de se perfectionner et de s’entretenir, non de se former. Voici les exercices que Pline lui conseille, et dont plusieurs ont la caution de Quintilien : traduction du grec en latin ou du latin en grec ; réécriture d’un sujet déjà traité par un autre auteur ; aménagement d’un discours déjà prononcé ; rédaction d’une page d’histoire, d’une lettre (on en a déduit parfois rapidement que toute la correspondance de Pline n’était que l’application de cet exercice scolaire !), d’une description ; composition de petites pièces poétiques ; lectures choisies.
83S’il n’a pas mis au point de programme d’éducation et d’enseignement, Pline a respecté l’habitude romaine de guider ou du moins conseiller des jeunes gens dans leur carrière, ainsi Minicius Acilianus (I, 14, 3), Julius Naso (VI, 6), Fuscus Salinator (VI, 11, 2-3), Cremutius Ruso (VI, 23) ou Junius Avitus (VIII, 23). Son prestige était, si on l’en croit, considérable parmi la jeunesse (II, 18, 2).
84En revanche il dénonce sévèrement l’impudence des jeunes gens qui s’imaginent tout savoir (VIII, 23, 3), ou veulent plaider a peine sortis de chez le rhéteur (II, 14, 2-4).
85La théorie éducative de Pline ne peut s’appréhender que globalement, non dans le détail ; elle est réaliste, classique et morale. On en retiendra ceci. Les enfants doivent tester le plus possible sous la surveillance directe de leurs parents (IV, 13,4), qui leur servent d’exemple (VIII, 13). Dans le débat contemporain entre éducation privée à la maison et éducation publique à l’école du grammaticus, Pline, sans prendre explicitement parti, prône plutôt la première solution, puisqu’il finance une école à Côme (IV, 13), mais ne critique pas la seconde, adopté par Corellia Hispulla pour son fils (III, 3). Du rhéteur que fréquentera ensuite le jeune homme il convient d’exiger une moralité sans faille. Enfin, le père ou, à défaut, un personnage de marque patronnera le jeune homme dans ses débuts publics (VIII, 14,6).
86On notera que Pline ne présente pas un tableau désespéré de la situation des études comme le font Tacite (Dialogue des orateurs 28-32) ou Juvénal (Satires VII, 139-243). Là aussi, son témoignage doit permettre de relativiser les propos des satiristes de métier ou des pessimistes.
87Élargissons pour terminer le sens du mot éducation, et rangeons dans cette rubrique les lettres oit Pline dispense explicitement un enseignement moral, ainsi II 6, 6 (conuenit autem amori in te meo… sub exemplo praemonere quid debeas fugere), IV, 24, 7 (mihi autem familiare est… te uel praeceptis uel exemptis monere), VI, 22, 7 (quod tibi scripsi ut te… praemonerem), VII, 1, 7 (quae tibi scripsi… ut te non sine exemplo monerem), VII, 26, 4 (possum ergo quod… philosophi docere conantur, ipse breuiter tibi mihique praecipere), VIII, 24, 1 (amor in te meus cogit, non ut praecipiam… admoneam tamen), IX, 12, 2 (haec tibi admonitus… exemplo, pro amore mutuo scripsi). Cet enseignement est fréquemment basé sur un exemple, contenu dans la lettre. Car les exemples apprennent la conduite à tenir dans la vie (ad rationem uitae exemplis erudimur ; VIII, 18, 12 ; Butler a quelques bonnes pages là-dessus) : c’est une des leçons, aussi, du Panégyrique de Trajan.
Pline et la mort
88On meurt beaucoup dans la correspondance de Pline. On y trouve peu d’annonces de naissance, mais les faire-part de décès sont légion. Il y a à cela plusieurs raisons, objectives et subjectives : les raisons objectives sont la dénatalité et lassez faible intérêt des Romains pour la petite enfance ; la raison subjective est la sensibilité personnelle de Pline à la fragilitas mortalitatis, la fragilité de l’existence humaine (IV, 24, 2 ; voit aussi III, 7, 10-14).
89Les lettres où il est question de la mort (sans qu’elle soit forcément le sujet principal) peuvent se classer en catégories différentes, qui parfois se recoupent : les morts naturelles, peu nombreuses (II, 1, Verginius Rufus, ancien protecteur de Pline ; IV, 7, le fils du délateur Regulus ; V, 5, Caius Fannius, avocat et écrivain ; VII, 24, Ummidia Quadritilla ; VIII, 5, la femme de Macrinus), les suicides (I, 12, Corellius Rufus, ancien protecteur de Pline ; VI, 24, un couple dont le mari est malade ; voir aussi plus bas), les morts prématurées (II, 7, Cottius, le fils de Vestricius Spurinna, qui avait déjà fait montre de remarquables qualités ; V, 16, la fille de Fundanus, âgée de treize ans et sur le point de se marier, à propos de laquelle Pline développe le topos du puer senex : « elle avait déjà la sagesse d’une vieille femme, le sérieux d’une mère de famille, mais aussi la douceur d’une enfant ainsi que la réserve d’une jeune fille », iam illi anilis prudentia, matronalis gravi-tas erat et tamen suauitas puellaris cum virginali uerecundia ; IV, 21, les deux filles d’Helvidius, mortes en couches ; V, 21, Julius Avitus, jeune homme brillant, au retour de sa questure ; VIII, 23, Junius Avitus, jeune homme prometteur, à moins de trente ans ; IX, 9, Pompeius Quintianus, un jeune homme plein de qualités), les assassinats (III, 14, le sénateur Larcius Macedo, tué par ses esclaves ; VI, 25, disparition d’un chevalier ; VIII, 14, le consul Afranius Dexter, dont on ne sait s’il a mis fin à ses jours ou a été tué par ses gens), les condamnations à mort (IV, 11, la Vestale Cornelia, en 90 sous Domitien), la mort d’un écrivain (III, 7, Silius Italiens ; III, 21, Martial ; VI, 16, Pline l’Ancien), l’évocation des morts du passé (I, 17, Silanus, une victime de Néron ; V, 5 et VIII, 12 ; et souvent, les stoïciens persécutés par Néron et Domitien). Il arrive que la mort ne soit pas le sujet central de la lettre (notamment III, 4, Caecilius Classicus, proconsul poursuivi pour exactions, mort au début du procès ; VI, 2, le délateur Regulus ; X, 120, Fabatus, le grand-père de l’épouse de Pline). Mais qu’il raconte un suicide ou une mort naturelle, l’épistolier est plus sensible au chagrin des vivants qu’au drame de la disparition, ou du moins se place du point de vue des survivants.
90L’annonce de la mort prend souvent la forme de l’éloge, et la lettre devient alors une sorte de laudatio funebris. Mais il peut y avoir blâme ou du moins reproche dans certains cas de suicide. En effet si Pline admire les suicides exemplaires, et surtout ceux du passé (III, 16, Arria l’Ancienne), il s’insurge conrre le suicide irréfléchi. Car la grandeur d’âme procède d’un choix rationnel : le suicide est admissible pour échapper à une maladie incurable et d’atroces souffrances (I, 12, Corellius Rufus ; III, 7, 1-2, Silius Italicus), ou encore à la cruauté d’un tyran (les opposants stoïciens), mais il ne doit pas être précipité : Pline loue ainsi Tirius Ariston (I, 22) qui, devant les réponses encourageantes des médecins, ne met pas à exécution la décision de mourir à laquelle il avait pensé. Il y a là une réaction contre les épidémies de suicide auxquelles le stoïcisme a parfois conduit.
91La conception qu’a Pline de la mort est traditionnelle, à une réserve près : il parle de mort prématurée (mors immatura) non pas seulement pour des jeunes gens (VI, 6, 7 ; VIII, 16, 1), mais également pour des personnes âgées, si elles n’ont pas achevé ce qu’elles avaient en train : ainsi Verginius Rufus (II, 1, 10), pourtant décédé à quatre-vingt-trois ans, et surtout Caius Fannius (V 5, 4), empêché de la sorte d’achever l’ouvrage sur les victimes de Néron qu’il écrivait.
92Pline pour sa part cherche à éviter le destin de Fannius, afin que ses ouvrages lui permettent d’échapper à une disparition complète (voir aussi II, 10, 4 ; III, 7, 14-15).
93Au chapitre 35 du deuxième livre des Essais, Montaigne adapte ou paraphrase les lettres VI, 24 et III, 16 de Pline, portant respectivement sur le suicide d’un couple dont le mari est malade et sur le suicide d’Arria l’Ancienne. Voici comment il rend la première (nous conservons l’orthographe originale) :
Pline le Jeune avoit, près d’une sienne maison, en Italie, un voisin merveilleusement tourmenté de quelques ulceres qui luy estoient survenus ès parties honteuses. Sa femme, le voyant si longuement languir, le pria de permettre qu’elle veit à loisir et de près l’estat de son mal, et qu’elle luy diroit plus franchement qu’aucun autre ce qu’il avoit à en espérer. Après avoir obtenu cela de luy, et l’avoir curieusement [= avec soin] considéré, elle trouva qu’il estoit impossible qu’il en peut guérir, et que tout ce qu’il avoit à attandre, c’estoit de traîner fort long temps une vie doloureuse et languissante ; si [= aussi], luy conseilla, pour le plus seur et souverain remede, de se tuer ; et le trouvant un peu mol à une si rude entreprise : « Ne pense point, luy dit elle, mon amy, que les douleurs que je te voy souffrir ne me touchent autant qu’à toy, et que, pour m’en délivrer, je ne me veuille servir moy-mesme de cette médecine que je t’ordonne. Je te veux accompaigner à la guerison comme j’ay fait à la maladie : oste cette crainte, et pense que nous n’aurons que plaisir en ce passage qui nous doit délivrer de tels tourments ; nous nous en irons heureusement ensemble ». Cela dit, et ayant rechauffé le courage de son mary, elle résolut qu’ils se precipiteroient en la mer par une fenestre de leur logis qui y respon-doit [= qui donnait sur la mer]. Et pour maintenir jusques à sa fin cette loyale et véhémente affection dequoy elle l’avoit embrassé pendant sa vie, elle voulut encore qu’il mourust entre ses bras ; mais, de peur qu’ils ne luy faillissent et que les es train tes de ses enlassements ne vinssent à se relascher par la cheute et la crainte, elle se fit lier et attacher bien estroittement avec luy par le faux du corps [= la taille], et abandonna ainsi sa vie pour le repos de celle de son mary.
94Voici comment Louis de Sacy, à la fin du xvii e siècle, traduisait cette lettre VI, 24 :
Que la différence des personnes en met dans les actions ! La même action est obscure ou illustre, selon qu’elle part d’une personne illustre ou obscure. Je me promenais dernièrement sur le lac de Côme, avec un vieillard de mes amis. Il me montra une maison, et même une chambre qui s’avance sur le lac. De là, me dit-il, une femme de nos compatriotes se précipita autrefois avec son mari. J’en demandai le sujet. Depuis longtemps le mari souffrait beaucoup, par des ulcères dans des endroits que la pudeur oblige de cacher. Elle l’engagea de permettre qu’elle examinât son mal, et l’assura que personne ne lui dirait plus sincèrement qu’elle s’il devait espérer de guérir. Elle ne l’eut pas plus tôt vu, qu’elle se désespéra. Elle l’exhorte à se donner la mort, elle s’offre de l’accompagner, lui montre le chemin et l’exemple, et le met dans la nécessité de la suivre. Car après s’être étroitement lié avec lui, elle se jeta et l’entraîna dans le lac. C’est ce que je ne viens que d’apprendre, moi qui suis de la même ville. Non que cette action soit moins illustre que celle qu’on a tant vantée dans Arria, mais parce qu’Arria elle-même est plus illustre que cette femme. Adieu.
95On voit que Montaigne développe abondamment la lettre de Pline, où le discours de la femme ne figure pas, mais il en respecte fidèlement l’esprit.
Les femmes chez Pline
96Il y a dans l’univers de Pline, parmi les femmes dont on nous dit un petit quelque chose, deux types opposés, entre lesquels la différence ne tient pas uniquement à l’âge : d’un côté les femmes effacées, de l’autre les matrones énergiques.
97La première catégorie est constituée d’abord des jeunes épouses ou fiancées : ainsi la fille de Fundanus, âgée de treize ans et sur le point de se marier quand elle meurt (V, 16) ; ou la femme de Pompeius Saturninus, que celui-ci a épousée jeune et dont il a achevé l’éducation (I, 16, 6) ; ou encore et surtout Calpurnia, la femme de Pline, elle aussi épousée jeune, conformément à l’habitude romaine. Calpurnia était en tout cas suffisamment inexpérimentée pour ne pas s’être rendu compte qu’elle était enceinte (VIII, 10 et 11).
98Les qualités de ces jeunes femmes sont essentiellement d’ordre moral : la simplicité, la pudeur, la fidélité (IV, 19, 2 et 6 ; V, 16, 2-3). Elles fondent lents intérêts et leur identité dans ceux de leur mari respectif (IV, 19, 2-4), pour le choix duquel elles ne sont pas consultées (voir par exemple I, 14).
99À ce schéma répond aussi la femme de Macrinus, qui a vécu avec lui trente-neuf ans sans querelles et sans heurts (VIII, 5, 1 : sine iurgio sine offensa, une formule qu’on trouve aussi en épigraphie funéraire).
100Cette conception traditionnelle du rôle de la femme, Pline semble la partager, puisqu’il souligne la réussite des mariages de ce genre. Au reste, le divorce est inconnu : tous les remarié(e)s sont des veufs ou des veuves.
101Face à cela on rencontre dans la correspondance de Pline des femmes énergiques qui entraînent leur mari plutôt qu’elles ne le suivent. C’est le cas de l’épouse du couple dont il a été question à la fin du chapitre précédent, qui engagea son mari au suicide commun (hortata est ut moreretur comesque ipsa mortis, dux immo et exemplum et nécessitas fuit, VI, 24, 4). C’est le cas d’Arria l’Ancienne, qui en 66 se poignarda devant son mari Caecina Paetus pour l’encourager à l’imiter (III, 16) ; de sa petite-fille Fannia, qui accompagna deux fois son mari en exil et fut encore reléguée après la mort de celui-ci (VII, 19).
102On peut leur ajouter, dans un autre registre, Ummidia Quadratilla, dont Pline annonce la mort à presque quatre-vingts ans, une personne originale et qui menait joyeuse vie, au mépris de son rang (VII, 24).
103Ces quatre femmes ont en commun d’appartenir au passé plus qu’au présent. Doit-on supposer alors que, selon Pline, la grandeur et l’indépendance féminines ne sont plus d’actualité, ou qu’elles étaient liées aux temps troublés de la tyrannie de Néron et de Domitien ? Il est certain en tout cas que le modèle féminin qu’il propose n’enthousiasmera pas sans réserve les modernes.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comparer l’étranger
Enjeux du comparatisme en littérature
Émilienne Baneth-Nouailhetas et Claire Joubert (dir.)
2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007