Ouverture
p. 11-16
Texte intégral
Bernard Poignant, maire de Quimper
1Je vous souhaite la bienvenue à Quimper. Cette année Fréron a été marquée – en tout cas pour moi et pour quelques Quimpérois – par l’apposition d’une plaque sur une rue, là où il est né. Je pense que la maison a quand même un peu changé depuis mais le lieu est sans doute très proche de la réalité. Vous découvrirez ce soir une exposition au musée de Quimper, une belle exposition qui a donné lieu à la rédaction d’un catalogue de qualité qui marquera cette année. Un colloque de deux jours sur Elie Fréron, polémiste et critique d‘art est aussi organisé dans le pôle universitaire. Je voudrais saluer toutes les personnalités, étrangères, françaises, universitaires ou autres: j’ai recensé les partenaires français et étrangers, j’ai été très impressionné parce que vous venez de différents pays et d’universités correspondantes. Je les cite: Angleterre, Etats-Unis, Japon, Irlande, Danemark, Israël, et Allemagne. Ce qui fait une diversité géographique importante et pour les universités françaises, j’ai recensé la présence de ses membres à travers onze universités ! Et je n’oublie pas le musée du Louvre et la Société Internationale d’Etude du Dix-huitième siècle. Je remercie aussi devant vous les deux institutions qui ont piloté toute cette organisation, c’est-à-dire le musée des beaux-arts avec André Cariou, son conservateur en chef, et Sophie Barthélémy, son adjointe, qui a si bien géré beaucoup de choses, l’Université de Bretagne Occidentale bien sûr que représente madame Vazel qui dira un mot tout à l’heure, mais j’aurai une mention particulière pour Jean Balcou et le Pôle universitaire Pierre-Jakez Hélias.
2Vous connaissez beaucoup mieux Elie Fréron que moi ! Pour un Quimpérois moyen et normal, Elie Fréron c’est une rue…, c’est une rue qui en plus s’appelait autrefois la rue Obscure et qui accueillait la prison de Quimper, qui conduisait au Pilori où l’on exposait les condamnés. Je pense que si Voltaire l’avait su, il en aurait profité… Elie Fréron remonte aussi à des souvenirs scolaires, c’est une vague histoire de serpent. C’est un animal que l’on n’aime pas parce qu’il rampe, mais c’est un conflit dont on ne connaît pas trop le sens ou le déroulement avec un certain Voltaire que l’on connaît mieux qu’Elie Fréron. J’ai été frappé par certaines choses chez Elie Fréron, par la production littéraire qui a été la sienne, quantitative notamment. Je pense qu’elle remplit des rayonnages ; c’est un homme qui a beaucoup écrit. Et puis ce côté pionnier du journalisme, du journalisme critique, est séduisant, comme cette confrontation, cet affrontement avec les philosophes, avec les Lumières. Je l’aime finalement parce qu’il me semble que ce personnage ne doit pas aimer la pensée unique intellectuelle. Il doit aimer se confronter avec les hommes de son temps, peut-être les provoquer, peut-être jouer en contre comme on dirait sur un terrain de sport pour que la production intellectuelle qui en est issue soit féconde. Même si j’adhère à la philosophie des Lumières et à l’histoire dont elle est la racine, il n’empêche que c’était sans doute utile que dans ce siècle il y ait cette confrontation intellectuelle, littéraire – et j’ajoute même – quasiment politique. Critique d’art aussi, il a exercé ce rôle. J’ai vu également qu’il était franc-maçon et partisan de la mixité des loges. Ce qui, au xviiie siècle, fait de lui un révolutionnaire, voire un subversif. Il a aussi écrit sur Quimper, sur la région, sur les langues etc. Voilà donc ce que j’ai en plus appris de lui, à côté d’une rue et d’un serpent, et comme il a écrit sur notre région, je vous encourage à la découvrir… Restez un peu après le colloque, ne partez pas comme çà et ce sera, à mon avis, la meilleure façon ou la façon que vous aurez aujourd’hui pour honorer la mémoire de Fréron. Je pense qu’il vous saura gré d’être resté quelques instants dans la ville où il est né. Je vous remercie et je vous souhaite un bon colloque.
Annette Vazel représentant Pierre Appriou Président de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO).
3Le président Pierre Appriou m’a laissé la tâche de le représenter à ce colloque auquel il ne pouvait participer. Je suppose qu’il a jugé opportun de choisir une littéraire de son équipe pour le représenter ici, ce en quoi il a eu bien tort, parce qu’en tant que littéraire, je mesure encore mieux l’étendue de mon ignorance sur le sujet qui vous réunit ici.
4Après l’introduction, de Monsieur le Maire – qui a fait l’effort de plonger dans la littérature d’Elie Fréron – je me sens encore plus mal à l’aise. Ceci étant dit, en ce qui me concerne, le nom de Fréron a, curieusement, littéralement bercé mon enfance ! J’ai un père enseignant de lettres classiques, brillant élève du lycée de La Tour d’Auvergne et ensuite du lycée Louis Le Grand, où il a préparé l’Ecole normale supérieure. C’est un homme anticlérical, fortement ancré à gauche, voltairien de surcroît, et j’ai eu l’impression d’avoir eu l’enfance bercée par cette fameuse histoire de serpent, que j’ai sans doute de nombreuses fois entendu évoquer à la table familiale. Les quatre vers de cette épigramme sont demeurés intacts dans ma mémoire, comme une espèce de symbole de l’assassinat littéraire accompli. Un stade que ma connaissance d’Elie Fréron n’a jamais vraiment dépassé, contrairement à celle que j’avais de Sainte-Beuve, lui aussi présent dans les échanges familiaux et dont, toute petite, j’ai su pour quelles raisons il fallait le détester ! Je n’ai d’ailleurs jamais fait le lien entre les quatre vers d’Elie Fréron que je savais par cœur et la rue Elie Fréron où mon père garait la voiture familiale, s’il y avait de la place, lorsque nous venions à Quimper. Elie Fréron étant nécessairement un homme respectable pour qu’on lui ai attribué une rue au cœur même de la ville.
5Mais je ne vous ennuierai pas davantage avec mes souvenirs d’enfance. Je voudrais plutôt vous exprimer tous les plaisirs que le président Appriou aurait eu à se trouver avec vous aujourd’hui: tout d’abord celui dont vient de parler Bernard Poignant, celui que lui donne la diversité des chercheurs ici présents, venant des différents coins du monde dans notre ville de Quimper; ensuite, – et c’est un aspect que Pierre Appriou souligne toujours – le plaisir d’un travail en partenariat: chaque fois qu’effectivement notre université s’ouvre et réalise des actes de cette importance avec des partenaires locaux, nous en sommes heureux et fiers ; enfin, le plaisir que le président de l’université ressent à voir des chercheurs universitaires ou non universitaires se rassembler dans le pôle de Quimper qui, je le rappelle, est quelque chose d’essentiel dans l’avenir de l’UBO bien entendu lié, au-delà de l’agglomération brestoise, à celui de tout l’Ouest de la Bretagne.
6Je vous remercie.
Jochen Schlobach Président de la Société Internationale d’Etude du dix-huitième siècle
7C’est pour moi un grand plaisir d’inaugurer ce colloque sur « Elie Fréron, polémiste et critique d’art » et de lui souhaiter, au nom de la Société Internationale d’Etude du Dix-huitième siècle, un bon déroulement et un franc succès.
8Notre société soutient chaleureusement ce genre de manifestations scientifiques, et particulièrement celle-ci qui réunit d’excellents spécialistes venant de plusieurs pays et de disciplines diverses pour mieux faire connaître ce grand journaliste français du xviiie siècle, dont on a enfin redécouvert l’importance pour l’histoire de la critique littéraire et artistique au Siècle des Lumières.
9Ce colloque présente bien un triple intérêt : intérêt régional pour ce fils de la ville de Quimper ; intérêt national, parce qu’il illustre bien la présence et la vigueur de la recherche dix-huitiémiste dans toutes les régions de France ; enfin un intérêt international parce qu’un dialogue entre spécialistes de plusieurs pays s’établira autour d’un journaliste, un homme de communication comme on dirait aujourd’hui, qui a contribué à ouvrir les esprits français du xviiie siècle aux littératures d’autres pays. C’est Paul Van Tieghem qui dès 1917, en pleine première guerre mondiale, avait souligné cet aspect.
10Je dirai d’abord quelques mots sur la Société Internationale que je représente ici Elle rassemble actuellement 29 sociétés nationales avec plus de 8 000 chercheurs dans le monde entier. Elle se veut interdisciplinaire et a pour objectif, je cite nos statuts, « l’extension, l’approfondissement et la coordination des études et recherches ayant trait au xviiie siècle envisagé dans tous les domaines de son héritage culturel (historique, philosophique, idéologique, religieux, linguistique, littéraire, scientifique, artistique et juridique) et dans tous les pays, sans exclusive. » Nous constatons avec plaisir que cet ambitieux programme se traduit de plus en plus nettement dans les faits : les études dix-huitiémistes se sont intensifiées, et nous vivons actuellement une profıtable ouverture géographique vers l’est, non seulement en Europe (avec la Hongrie, la Russie, la Pologne par exemple), mais également vers l’Asie, ou le Japon, qui avait déjà depuis longtemps une société nationale, a été rejoint récemment par la Chine et la Corée du Sud.
11L’élargissement de l’étude du xviiie siècle à d’autres continents, dont nous ne pouvons que nous féliciter, prouve d’abord l’intérêt que ces pays, pour des raisons parfois différentes et qui dépendent de leur situation particulière, portent à l’héritage européen des Lumières. Mais évitons de nous cantonner à une perspective trop exclusivement eurocentrique, et ouvrons-nous au regard neuf de ces collègues qui, issus d’une autre culture et nous apportant la connaissance de leur xviiie siècle, peuvent enrichir nos propres orientations. Il s’agit de faire naître entre collègues de tous pays, à pied d’égalité, une coopération qui soit guidée par une curiosité intellectuelle réciproque. C’est donc avec un plaisir tout particulier que je constate ici la présence de notre collègue japonais, mon ami Hisayasu Nakagawa, vice-président de notre société, qui a beaucoup aidé à faire avancer la connaissance et la compréhension mutuelles de son pays et de l’Europe.
12La Société Française d’Etude du Dix-huitième siècle est une des sociétés les plus importantes et les plus actives, et elle avait déjà joué un rôle essentiel lors de la fondation de la Société internationale en 1971. Je suis très fier d’en être membre depuis qu’elle existe, alors que la Société allemande, dont je suis un des membres fondateurs, n’a vu le jour que quelques années plus tard. Il n’est pas besoin ici d’énumérer les très nombreux congrès et colloques organisés partout en France. Des centres de recherche sur le xviiie siècle travaillent avec grand succès à Paris, Lyon, Grenoble, Montpellier, ou plus près d’ici dans plusieurs universités du nord et du nord-ouest. Il semble que, contrairement à ce qu’on dit généralement sur la centralisation du système français, la province occupe une très large place dans les activités des dixhuitiémistes. Quand la France accepta d’organiser le grand congrès des Lumières de 1971, ce fut Nancy qu’on proposa.
13Il suffit de considérer la revue Dix-huitième Siècle et son impressionnante série de 29 volumes pour se convaincre de la qualité et de la richesse de la recherche dix-huitiémiste française.
14Je voudrais souligner un autre mérite de la Société française, particulièrement apprécié par d’autres sociétés nationales. Elle a réussi à intégrer dans ses activités des disciplines et institutions très diverses, comme les musées, les archives, les bibliothèques. On voit un très bon exemple de cette ouverture ici à Quimper, où le colloque sur Fréron est organisé en relation avec une grande exposition (dont le magnifique catalogue prouve la qualité).
15Ce colloque est consacré à un journaliste du xviiie siècle, qui a eu la malchance d’avoir été considéré à son époque déjà – et il en était fier – comme un des ennemis les plus acharnés de Voltaire et comme l’incarnation des forces conservatrices dans la France de son temps. Le personnage campé par les Anecdotes sur Fréron ou L’Ecossaise a donné naissance à une réduction caricaturale qui s’est perpétuée en France et par conséquent dans la recherche internationale. C’est Charles Nizard qui l’a fixée sous la forme la plus représentative, dans son livre Les Ennemis de Voltaire (paru en 1853). Il y a bien eu quelques tentatives de réhabilitation, de la part de Brunetière ou du chanoine François Cornou, mais qui n’ont pas pu changer en profondeur cette image très négative de Fréron ; cela a duré tant que la recherche était surtout conditionnée par des positions idéologiques de défense ou de condamnation du personnage.
16Les choses ne pouvaient changer, me semble-t-il, qu’au moment où l’on s’efforça de redécouvrir vraiment le xviiie siècle dans sa réalité complexe, de comprendre en détail le fonctionnement des luttes entre tradition et progrès, entre le mouvement des philosophes et les défenseurs de l’ordre établi. Dans les années soixante et soixante-dix de notre siècle, on s’est aperçu en effet que les journaux de l’Ancien Régime représentaient un trésor immense qui permet de situer plus exactement les grandes figures et les œuvres canonisées. Etonnante entreprise que les nombreux travaux sur les périodiques, des plus connus et aux plus obscurs, effort couronné maintenant par le Dictionnaire des Journaux paru sous la direction de Jean Sgard.
17Dans cette redécouverte de la presse du xviiie siècle, L’Année littéraire ne pouvait pas être ignorée. Si l’image de Fréron a considérablement changé, c’est sûrement le mérite de deux thèses, inspirées ou soutenues par le conseil des grands dix-huitiémistes tels que Jean Fabre, René Pomeau et Paul Vernière. Je pense d’abord à l’étude fondamentale de Jean Balcou, inspirateur de ce colloque : Fréron contre les Philosophes, ouvrage paru en 1975. Grâce à ce travail, nous disposons des éléments les plus importants pour mieux comprendre la biographie de Fréron, ses faiblesses et son courage personnel, son rôle important, conservateur réactionnaire dans les luttes idéologiques décisives dans la France de la deuxième moitié du xviiie siècle.
18Le deuxième grand travail est la thèse de Jacqueline Biard-Millérioux sur L’Esthétique de Fréron, sous-titrée Littérature et critique au xviiie siècle. Cette réhabilitation convaincante, se détachant des appréciations idéologiques, montre que Fréron a tenu une place importante dans l’histoire de la critique littéraire, entre un conservatisme fidèle à la doctrine classique et une certaine ouverture vers la nouveauté. Il semble avoir exercé une influence majeure sur le goût de ses contemporains.
19Depuis ces deux thèses magistrales, Fréron est sorti de l’ombre des philosophes, par le jugement desquels il n’était caractérisé que négativement. Ce colloque de Quimper peut donc maintenant ouvrir de nouvelles perspectives en se détournant des anciens parti pris, et à cet égard, l’idée de focaliser l’intérêt sur le double aspect du polémiste et du critique me semble heureuse et féconde (l’on ne peut qu’en féliciter les organisateurs).
20La ville de Quimper est naturellement un cadre magnifique pour cette rencontre. Même si Fréron n’y a vécu que sa jeunesse et si son œuvre de critique ne pouvait se réaliser qu’à Paris, il y est resté attaché. Pour une ville qui évoque d’abord (pour nous autres Allemands) de belles villégiatures en Bretagne, l’exposition et le colloque sont sûrement un grand événement.
Auteurs
Président de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO).
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