Chapitre 2 : 1929-1936. Mise en question de l’individualisation à la personne de Gide
p. 21-41
Texte intégral
11929 : krach boursier de Wall Street et fin du débat Gide-Guéhenno sur la dénationalisation.
21936 : victoire du Front populaire en France et victoire aussi de Gide et de Guéhenno qui, ayant surmonté leurs dissensions personnelles, font alors front commun.
3Après la Grande Guerre, le monde capitaliste avait connu dans les années 20 une période de prospérité économique favorable à une relative stabilité politique. Répit que certains intellectuels avaient mis à profit en revenant non seulement sur les conséquences du conflit, mais aussi sur ses causes et plus particulièrement sur la question du nationalisme dont Guéhenno, notamment, avait débattu avec Gide1. La crise économique de 29 allait brutalement mettre un terme à ce répit, ainsi qu’à l’euphorie des « années folles », et plonger le monde capitaliste dans l’angoisse. Lors du fameux « jeudi noir », quand Wall Street vit s’effondrer les valeurs boursières, on crut d’abord à une crise cyclique ; mais, rapidement, la crise devint bancaire, financière, économique, sociale, politique, voire spirituelle, et on passa alors de ce qui était une crise de confiance à une véritable crise de conscience. Or cette crise, qui n’épargna guère que l’U.R.S.S., devenait mondiale et, de la sorte, rendait caduques les débats de naguère sur le nationalisme. Bien que touchée plus tardivement, la France allait, comme l’ensemble des nations capitalistes, devoir affronter les multiples conséquences de cette situation nouvelle. La chute des salaires, l’accroissement du chômage, la destruction des stocks, entraînèrent bientôt une montée des mécontentements et, dans plusieurs pays, l’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche. Ce fut en France, comme en Espagne, la victoire démocratique du Front populaire. Les intellectuels jouèrent alors un rôle d’autant plus important dans l’unification des forces populaires que l’heure forçait à quitter la tour d’ivoire pour l’engagement politique. A tel point qu’on se préoccupa de « littérature engagée » – avant la lettre et pour reprendre le titre donné au recueil des écrits d’André Gide couvrant les années 302. Rien de surprenant, alors, à ce que les clivages politiques se soient reflétés dans une telle littérature. Non seulement les clivages, mais aussi les divers courants à l’intérieur de cette grande famille de la gauche française où s’étaient engagés tant d’intellectuels. Ce qui eut pour effet la constitution de plusieurs groupes et chapelles autour de quelques écrivains et de leurs revues. Ainsi trouvait-on à La Nouvelle revue française, André Gide et ses amis : Jean Paulhan, Nizan, Julien Benda ; à Europe, Jean Guéhenno entouré de ceux qui suivaient Romain Rolland, tels Chamson et Blanzat. La poursuite de la confrontation Gide-Guéhenno s’inscrit donc nécessairement dans un contexte politique et, de ce fait, en est une illustration particulièrement intéressante.
4A la différence de leur précédent échange de vues sur le nationalisme, Gide et Guéhenno ne vont pas, cette fois, débattre directement, mais polémiquer par personne interposée, à savoir Julien Benda.
5Dans son numéro de janvier 1930, La Nouvelle revue française avait, en effet, publié un article dans lequel Benda attaquait Romain Rolland, que Gide avait déjà « attaqué » plusieurs années auparavant3. Dans cet article intitulé : « De quelques avantages de l’écrivain conservateur », les noms de Romain Rolland et de Charles Maurras se trouvaient délibérément associés, au terme du raisonnement suivant : « l’écrivain de droite n’est jamais discuté par les siens », puisqu’il « s’adresse à un public épris d’obéissance et celui de gauche à un monde qui pratique la liberté de l’esprit ; [...] le premier écrit pour des moutons et le second pour les loups. Notons toutefois que si l’on admet cette définition, beaucoup d’auteurs dits de gauche devraient être dits de droite : il est clair que M. Romain Rolland écrit pour des moutons tout comme M. Maurras.4 » Et qui plus est, Benda ajoutait en note : « Je suis d’ailleurs, depuis deux ans, [...] attaqué par les moutons de M. Romain Rolland5 », et allait jusqu’à affirmer que la thèse de ces détracteurs-là était la même que celle des partisans de l’Action française.
6C’en était trop pour que Jean Guéhenno, directement visé à travers Romain Rolland, qu’il avait d’ailleurs toujours défendu6, ne réagît pas. Il le fit aussitôt dans le numéro d’Europe du 15 février 1930 sous la forme d’une « Lettre ouverte à M. Julien Benda ». Lettre ironique, puisque Guéhenno feignait d’accepter pour lui et ses amis « ce titre [... de] « moutons de M. Romain Rolland » » et estimait que « ce n’est pas si mal » : « Heureux, cher M. Benda, qui n’a pas besoin de berger. Je ne me vante pas pour moi d’être de ceux-là.7 » Puis l’attaque devenait plus précise dans la mesure où Guéhenno ne rappelait tout le bien qu’il avait pensé de La Trahison des clercs8 qu’afin de mieux regretter que ce livre ne fût pas suivi d’autres grands combats : « Trois ans sont passés. [...] et l’on est un peu déçu. Vous ne faites plus que la petite guerre. [...]. Aux vrais combats de la terre vous ne vous intéressez pas.9 »
7Alors que le débat Gide-Guéhenno se voulait plus culturel que politique, celui entre Benda et Guéhenno était d’emblée essentiellement politique : « Dans ce même article où vous nous méprisez si gentiment, on vous voit hésiter entre deux titres [...], celui « d’écrivain de gauche » et celui « d’écrivain de milieu ». Vous paraissez vous décider pour le dernier. Est-ce donc là que l’éternel conduit ?10 » On sait que dans La Trahison des clercs Benda s’en prenait aux intellectuels qui, selon lui, se commettaient dans l’arène politique, et sans doute tenait-il à rester, pour sa part, fidèle à l’image du clerc qu’il avait définie comme étant celle d’un intellectuel solitaire, rationnel, désintéressé, exaltant les vertus de l’intelligence, bref celle d’un pur esprit recherchant l’éternel et donc se méfiant du quotidien et de l’émotionnel. Or cette méfiance Guéhenno ne l’acceptait pas : « C’est en ce point, je crois, que nous ne sommes guère d’accord.11 » Pour Guéhenno en effet l’homme demeure avant tout doté d’une sensibilité que la raison n’a pas à étouffer systématiquement, la raison pure risquant, si elle ne laisse place à l’émotion, de couper l’intellectuel de toute réalité humaine. Aussi est-ce pourquoi il prenait en ces termes la défense de Romain Rolland : « il n’est point un dilettante. Il ne se fait pas de la raison un privilège. Il a hâte de se mêler comme un levain à la pâte humaine. Il n’aime pas dans les idées de belles paresseuses, mais des travailleuses infatigables. Il les aime encore quand elles comportent un risque. Il professe la vérité à temps, et par exemple pour travailler à la construction de l’Europe n’a pas attendu, comme tant d’Européens d’aujourd’hui, doués de plus d’esprit d’escalier que d’esprit, que cela soit sans danger et profitable.12 » Guéhenno qui ne cesse de revendiquer son identité d’écrivain issu du peuple n’hésite pas, en reprenant les clivages déjà marqués par Benda, à se ranger au côté de Romain Rolland, c’est-à-dire, pour lui, du côté du courage désintéressé qui se met au service des réalités quotidiennes, au lieu de se ranger, comme le clerc, du côté de la spéculation désengagée. Il s’en prendra alors à ceux pour qui le combat n’est qu’« un jeu13 », et conclura, en s’associant encore à Romain Rolland : « Nous [Rolland et moi] n’avons ici nulle prétention à être clercs. Etre des hommes nous suffirait14 » ; et cela, après avoir décoché, en anticlérical convaincu, cette autre flèche à Julien Benda : « Il me paraît parfois que vous ne défendez pas tant la cléricature qu’une sorte de cléricalisme15 ». Sur cette opposition : hommes/clercs, Benda reviendra, quelques mois plus tard, dans un texte qui n’était d’ailleurs pas adressé particulièrement à Guéhenno, en utilisant l’opposition : hommes de cœur/hommes d’esprit, qui n’est en fait qu’une variante de la précédente : « si M. Romain Rolland est peut-être un noble cœur, il est certainement un très faible esprit. [...] son Jean-Christophe [...] est, pour la pensée, moins que rien.16 » Et Benda soulignera même que « les convictions politiques de M. Romain Rolland sont, parfois de son propre aveu, à l’entière merci de sa sensibilité17 ».
8L’opposition Benda / Rolland-Guéhenno semble donc dépasser les divergences personnelles pour coïncider avec les clivages politiques qui ont contribué à former chapelles et revues. Aussi, lorsque le 1er avril 1930 Benda publiera sa réponse18 à la « Lettre ouverte » de Jean Guéhenno, le fera-t-il en s’adressant explicitement à tout le groupe d’Europe, non seulement en son nom propre, mais, et cette fois de façon implicite, au nom de La Nouvelle revue française. C’est ainsi que, d’entrée, il persiste à considérer les rédacteurs d’Europe comme « des moutons de M. Romain Rolland », Romain Rolland dont il juge l’attitude « dans la question des responsabilités de la guerre » comme étant « toute sentimentale », ce qui « mène directement à l’impunité de tous les coups de force.19 » Mise en accusation de Romain Rolland, et, par là, de tous ceux qui le suivent. Benda reproche en effet à Europe en général – et à Guéhenno en particulier – de se dérober dans la mesure où Guéhenno et son équipe acceptent de « rejeter tout débat » pour mieux et « uniquement louer M. Romain Rolland », c’est-à-dire « chant[er] la belle âme du maître de Jean-Christophe 20 ». Dérobade qui, selon Benda, provient surtout de cette opposition fondamentale entre clerc et laïc et, en l’occurrence, entre lui et ceux d’Europe : « Ce que vous ne me pardonnez pas, c’est de prétendre qu’on soit, « en tant que clerc, obligé à toute la probité et, en tant que laïc, autorisé à toutes les malhonnêtetés ». [...] la malhonnêteté fait en effet partie de la définition du laïc » qui, ayant, contrairement au clerc, « des intérêts temporels à défendre », se voit parfois contraint d’« estropie[r] la vérité21. » Et, afin qu’il n’y ait pas d’équivoque sur le mot même de laïc, Benda précise : « Dois-je vous dire que la laïcisation dont je fais ici le procès, et qui est tout simplement l’absorption de l’idée de cléricature dans celle de laïcité, n’a rien à voir avec cette autre, que je glorifie comme vous, par laquelle les vertus spirituelles ont cessé, depuis quatre siècles, d’être tenues pour le monopole d’hommes porteurs d’un habit clérical ?22 » Puis, poursuivant la définition du clerc qui est un homme affranchi de toute « attache terrestre » et qui « n’[a] pas d’intérêts pratiques à défendre23 », Benda « découvre qu’une des grandes trahisons du clerc moderne, c’est le mariage », en ce sens que, explique-t-il, la condition même de père de famille suppose des intérêts sociaux à défendre et, en cela, est une forme de conservatisme. Au souhait de Guéhenno, toujours préoccupé d’engagement, de voir le clerc se mêler à la vie, entrer dans les luttes, Benda réplique en réaffirmant « la valeur – la nécessité – du clerc qui ne descend pas dans l’arène, mais honore le bien dans sa pureté abstraite, hors de toute réalisation terrestre.24 » Le véritable clerc, pour Benda, « doit n’être d’aucun parti » pour ne jamais devoir « substituer plus ou moins l’esprit de discipline à l’esprit de vérité.25 » L’opposition est donc totale entre les deux hommes. D’ailleurs Benda exclut lui-même toute possibilité de rapprochement en concluant : « Au fond, le conflit qui nous divise est éternel. C’est celui qui, depuis qu’il existe des hommes voués à des causes morales, met aux prises le contemplatif et l’actif.26 » Il ne s’agit plus ici d’une querelle concernant deux hommes seulement, mais de la confrontation de deux conceptions du rôle et de la place de l’intellectuel dans la société ; et s’il était clair que derrière Romain Rolland il y avait Guéhenno et l’équipe d’Europe, il était tout aussi clair que derrière Benda il y avait La Nouvelle revue française et Gide qu’on n’avait pas dû manquer de reconnaître dans ce « clerc [...] protestant27 », ce clerc en dehors des partis et de l’action, ce clerc opposé à la famille. Aussi André Gide devait-il noter dans son Journal : « à la N.R.F. [...] j’ai la joie de dire à Benda tout le bien que je pense de sa lettre à Guéhenno, si remarquable, excellente vraiment, et qui m’a gonflé de satisfaction.28 »
9Satisfaction qui n’avait d’égale que la dissension entre Benda et Guéhenno, c’est-à-dire entre La Nouvelle revue française et Europe, c’est-à-dire entre Gide lui-même et Guéhenno – car désaccord il y avait entre eux. A preuve le fait que Jean Guéhenno allait s’opposer ouvertement à Gide en publiant un nouvel article consacré à deux livres de Charles Du Bos : Extraits d’un journal et Le Dialogue avec André Gide 29. Opposition si ouverte en effet qu’elle devait marquer une évolution dans ce que jusqu’alors nous avons appelé le « débat » entre Gide et Guéhenno, et qui, désormais, tournait franchement à la « polémique ».
10« Le 26 octobre 1930, Jean Guéhenno envoya à André Gide les épreuves d’un article qui parut dans Europe du 15 novembre, sous le titre : « Ame, ma belle âme »30 », ainsi que le rappelle Yvonne Davet dans Littérature engagée 31. Déjà le titre choisi est polémique dans la mesure où il consiste en une citation ironique de Laforgue, que Guéhenno prend d’ailleurs le soin de reproduire intégralement en exergue :
Quand ce jeune homm ’ rentra chez lui,
Quand ce jeune homm ’ rentra chez lui,
Il mit le nez dans sa belle âme,
Où fermentaient des tas d’ennuis !
Ame
Ma belle âme,
Leur huile est trop sal’ pour ta flamme !
Puis, nuit partout ! lors, à quoi bon ?
Digue dondaine, digue dondaine,
Puis, nuit partout ! lors, à quoi bon ?
Digue dondaine, digue dondon !32
11Mais « pourquoi ai-je pensé à ces vers de Laforgue en lisant le journal de M. Ch. Du Bos et son Dialogue avec André Gide », se demandait Jean Guéhenno33 ? Parce que, répondra-t-il beaucoup plus tard, « la mode était aux belles âmes. On revenait à Dieu. Charles du Bos, René Schwob, Cocteau, tant d’autres se convertissaient. André Gide lui-même était tenté par le Christ comme par le diable : Numquid et tu... 34 »
12Mais pourquoi ce ton ironique que Guéhenno reprend après Laforgue ? Parce que, pour Guéhenno, les belles âmes en question étaient « belles âmes » à défaut de pouvoir être véritablement des hommes. En effet, selon lui, c’est parce que l’on est « parfois presque honteux d’être un homme » que l’on souhaite ainsi « se composer une « belle âme » », afin de « devenir un ange35 ». Or vouloir devenir un ange, c’est en fait chercher « presque toujours l’occasion d’une fuite » devant les réalités et les responsabilités du monde des hommes, pour se réfugier dans une « idéale absence36 » : « Dans toutes ces conversions, ces drames illusoires, ces commentaires de fables pieuses, je ne discerne rien qu’une lâche inactualité, un refus de la vie, et la peur de la vérité.37 » C’est là assurément ce que Guéhenno reprochait déjà au clerc de Benda38. Or, clerc de Benda ou belle âme à la manière de Charles Du Bos, qui s’est douloureusement converti, ne sont en fait, pour Guéhenno, que des émules de Gide39. Guéhenno écrit en effet à propos de Du Bos : « Son vrai dieu, encore et toujours, c’est son ami, M. Gide.40 » Mais, pourrait-on objecter, Gide, contrairement à Du Bos, ne s’est pas converti ! Qu’à cela ne tienne, rétorque Guéhenno : « Entre ce satanique M. Gide et cet angélique M. Du Bos, non, je ne vois pas si grande différence. Le Numquid et tu ne fait-il pas la preuve que M. Gide lui aussi saurait se convertir s’il le voulait, qu’on n’a rien à lui apprendre en fait de conversion.41 »
13Si donc Gide lui-même est une belle âme, Guéhenno se doit de lui décocher une flèche : « On assiste à soi-même comme à un spectacle ineffable.42 » L’attaque de l’individualisme de Gide, sinon de son égocentrisme, devient alors sans ambiguïté : « On enrage de n’être qu’un auteur, on voudrait être un homme [...]. M. Gide se rêve démon. M. Du Bos se voit ange. Et ces belles âmes s’interrogent, se consultent, se demandent avec d’immenses délices si elles sont ou non p[é]cheresses. Le beau monde est prié d’assister à ces consultations. Le beau monde seulement. [...]. Et quand la destinée vous a trop bien traité, quand elle vous a refusé ce drame vrai auquel on aspire, quelle autre ressource que celle d’imiter le drame des autres ou bien de s’en inventer un ? [...]. Ces « belles âmes » me paraissent assez bien composer une confrérie des absents.43 » Pour Guéhenno, il est clair que ces écrivains ne jouent pas le rôle qu’il estime être le leur. Ils refusent l’engagement et le combat que d’autres doivent bien accepter. Quels autres ?
14« Les hommes ordinaires », ceux qui « entreprennent des guerres, des grèves, des révolutions », ceux qui « habitent, comme ils peuvent, un monde inhabitable et difficile. Nos « belles âmes », pendant ce temps-là, d’un coup d’aile s’envolent aux cieux.44 »
15Guéhenno conclut ce réquisitoire contre les belles âmes en général, et contre Gide, en particulier, en lançant un véritable appel à l’humain. Et pour cela, il rappelle implicitement à Gide, qui semble l’avoir oubliée, la fameuse formule des Nourritures terrestres : « Assumer le plus possible d’humanité »45 : « il est clair que la seule conversion qui vaille, parce que la seule qui entraîne peine et sacrifice, est désormais la conversion à l’humain46 » – « conversion à l’humain » si importante pour Guéhenno qu’il allait en faire, l’année suivante, la matière et le titre même de tout un ouvrage47. Que ce soit dans son article « Ame, ma belle âme » ou dans son livre intitulé : Conversion à l’humain, Jean Guéhenno insiste sur l’effort, le sacrifice, le courage qu’exige une telle conversion. C’est ce courage, cette « religion du courage » que Benda reprochait d’ailleurs à Guéhenno, quand il lui reprochait cette « volonté de ne respecter que ce qui vit dangereusement.48 » Le fossé semble bien se creuser entre, d’une part clercs et belles âmes qui, pour Guéhenno, constituent la « confrérie des absents49 », et, d’autre part, ces « hommes ordinaires50 » dont lui, Guéhenno, veut partager le combat quotidien et dont il se réclame et se réclamera encore en 1977, lorsqu’il évoquera ses débats avec Julien Benda : « Je mangeais du pain, pratiquais divers métiers, me soumettais, vaille que vaille, aux lois de ma tribu. J’avais femme et enfant.51 » Si donc la préoccupation de certains comme Benda, Du Bos, le Gide de Numquid et tu... ?, Cocteau, Mauriac... était bien d’avoir une « belle âme », la préoccupation de certains autres, dont Guéhenno lui-même, voire le Gide des Nourritures terrestres, était d’ « avoir de l’âme », c’est-à-dire du courage, quelle que soit la nature de ce courage : « Si Romain Rolland, Jaurès, nous parlaient d’une vie héroïque, Barrés, Gide, d’une vie pathétique, Nietzsche d’une vie dangereuse, il nous semblait toujours que ce fût la même leçon. La question était d’« avoir de l’âme », comme disait M. Barrès.52 » Que Guéhenno se sépare des belles âmes est manifeste. Sa position vis-à-vis de Gide, tantôt homme qui a de l’âme, tantôt simple belle âme, est en revanche beaucoup plus ambiguë. Aussi Guéhenno ne cesse-t-il de revenir à cet écrivain qui continue de le fasciner, même si le cheminement sinueux, les « inconstances53 » de l’homme le déçoivent. C’est ainsi qu’au moment où Guéhenno attaquait Gide dans Europe, il aimait à le citer dans le cours de littérature qu’il faisait aux khâgneux, entre autres54 : l’admiration pour l’œuvre était sincère, l’irritation pour l’homme l’était tout autant.
16A ces attaques répétées et publiques, directes ou indirectes, André Gide qui, manifestement, ne souhaitait pas voir se prolonger une polémique qui prenait un tour beaucoup plus personnel que strictement idéologique, ne répondit pas par un article, mais par une simple lettre et, qui plus est, par une lettre confidentielle puisqu’elle ne devait pas être rendue publique avant la parution, en 1950, du volume : Littérature engagée, dont elle constitue le premier texte cité55. Dans cette lettre, Gide exprime sa surprise de se voir ainsi « englob[é] dans [la] critique du livre de Charles Du Bos56 ». Surpris, il l’est d’autant plus qu’il sent dans cet amalgame une contradiction. Comment, en effet, Guéhenno peut-il lui faire le même reproche qu’à Du Bos, à savoir de ne s’occuper que de sa belle âme, alors que Du Bos, précisément, lui reprochait à lui, Gide, de ne pas s’occuper assez de sa belle âme ! Contradiction donc, et donc, selon Gide, accusation d’égoïsme mal fondée, et qu’il réfute en rappelant à Guéhenno : « Lorsque j’ai dénoncé les abus des Compagnies Concessionnaires du Congo57, ma voix n’aurait pas eu tant de mal à se faire entendre, sans cette réputation de mandarin insoucieux des autres que les amis de Caliban58 m’ont faite, et à laquelle je m’attriste un peu de vous voir, vous aussi, contribuer.59 » La même volonté qui, un an auparavant, avait amené Gide à se rapprocher de Guéhenno à propos du débat sur le nationalisme60, l’amène aujourd’hui à chercher l’apaisement en soulignant, de nouveau, tout ce qui, par delà les excès inhérents à toute polémique, le lie à son interlocuteur : « Persuadez-vous, mon cher Guéhenno, que je suis plus près de vous que votre article ne le laisse croire.61 » Aussi l’assure-t-il, une fois encore, de toute sa « sympathie62 » après lui avoir rappelé combien il tient à son « estime63 ». En fait, Gide en vient à regretter la parution des articles polémiques de Guéhenno et en appelle à des relations qui, sur le plan humain, sinon idéologique, seraient plus équitables et, par là, meilleures.
17Appel entendu ? On pourrait le penser puisqu’après cette année difficile devait s’ouvrir une période moins tendue dans la longue histoire des rapports que Gide et Guéhenno entretinrent. Oui, moins tendue, bien que sur le fond, comme on peut s’en douter, rien n’avait véritablement changé. C’est ainsi que dans une lettre que Romain Rolland adresse à Jean Guéhenno, en mai 1930, on trouve encore des traces du débat précédent, et toujours actuel, sur, d’un côté, les clercs et les belles âmes, et, de l’autre, les hommes engagés : « Gide se vantait récemment (il parlait pour lui et les siens) que le grand artiste n’était jamais un saint. On ne lui en demande pas tant ! Qu’il soit un homme ! Mais il n’est qu’un scribe infidèle, qui fausse les comptes de son maître. Il ment.64 » La complicité Rolland-Guéhenno, d’une part, et Gide-Benda-Du Bos, de l’autre, se trouve donc encore confirmée. C’est aussi que Gide restait l’« éminence grise » de La Nouvelle revue française et Rolland, le « chef de chœur65 » de la revue Europe.
18Bien qu’en 1931 Guéhenno ne cherchât plus à polémiquer avec Gide, il n’en continuait pas moins à se démarquer des écrivains d’origine bourgeoise – et, ce faisant, une fois encore de Gide – en affirmant toujours plus ses origines de prolétaire. Ce qu’il fit dans un nouvel article d’Europe, consacré précisément à la « Littérature prolétarienne66 ». Dès l’abord, Guéhenno pose le problème des rapports entre l’esthétique de l’œuvre et l’origine sociale de l’auteur, dans la mesure où, s’interrogeant sur les règles du métier d’écrivain, il affirme : « les vrais artistes les découvrent au fond d’eux-mêmes. Ce sont elles que cherchent et que pratiquent naturellement un Giono ou un Chamson, un Guilloux ou un Dabit, tant d’autres écrivains venus du peuple67 ». Un Giono, un Guilloux... et aussi un Guéhenno ! Car Guéhenno aimait à s’associer tout particulièrement à ces deux écrivains avec lesquels il formait ce qu’on appelle le groupe des « trois « G »68 » : « Nous nous retrouvâmes trois fils de cordonnier, Guilloux (ce qui veut dire en breton petit diable), Giono et moi, assez disposés à croire que la pratique par les ancêtres de l’al[ê]ne et du ligneul douait les fils d’un sens tout particulier de la justice, pour avoir beaucoup entendu leurs pères parler d’elle autour du baquet où trempaient les contreforts et les cambrures. Il y avait aussi Chamson de l’Aigoual, Dabit du Canal Saint-Martin69 ». Convient-il encore de parler ici de chapelles littéraires ? Non, car il s’agit plutôt de clivages sociaux. Or en rappelant ainsi ses origines prolétariennes, Guéhenno prend ses distances à l’égard d’un Gide, fils de grand bourgeois et d’universitaire.
19Clivages sociaux, certes, mais qu’importe puisque Gide, on l’a vu70, ne souhaitait pas que se poursuive un débat polémique avec Guéhenno. Aussi ne réagit-il pas publiquement à la parution de cet article sur la « Littérature prolétarienne », pas plus qu’il ne réagit immédiatement à la parution de Conversion à l’humain71 dont le dernier essai reprenait cependant, pour l’essentiel, cet autre article particulièrement polémique : « Ame, ma belle âme »72, article auquel il avait réagi en son temps. Et pourtant, Gide n’approuve pas ce livre : la preuve en est que, quelques années plus tard, il soulignera un point de cet ouvrage sur lequel il est en désaccord avec Guéhenno73. A cette époque – fin 1931-début 1932 – il y a donc de la part de Gide une volonté d’apaisement due au fait que, proclamant sa sympathie grandissante pour le communisme, il ne souhaitait évidemment pas mettre en lumière les divergences entre lui et Guéhenno, c’est-à-dire entre lui et des écrivains de gauche, entre lui et sa nouvelle famille politique.
20A ce refus de la polémique, se substitue même une véritable volonté de rapprochement. C’est que l’unité devenait, à gauche, une nécessité devant la montée du fascisme et la crainte d’un nouveau conflit armé. Unité que l’on retrouve jusque dans les correspondances qu’échangent Gide et Guéhenno et jusque dans leurs prises de positions publiques. C’est ainsi qu’en février 1932, Gide confiait à son ami Roger Martin du Gard : « je (viens] de lire le dernier n° d’Europe et avec une approbation particulière l’article de Guéhenno sur Barrès (enfin !)74 ». Quelques jours plus tard, c’était à Guéhenno lui-même que Gide exprimait son approbation. Il avait achevé la lecture des épreuves du nouvel article de Guéhenno sur « Les intellectuels et le désarmement »75 : « Votre lettre et vos épreuves m’ont atteint on ne peut plus opportunément. De surplus j’allais vous écrire, éprouvant grand besoin de vous dire et que vous sachiez, avec quel intérêt, avec quelle approbation grandissante j’ai lu les derniers n° d’Europe, combien j’ai trouvé bon, excellent vraiment votre article sur Barrès.76 » Approbation sur le fond, bien que sur la forme de l’article : « Les intellectuels et le désarmement », Gide fît de sérieuses réserves77 dont Guéhenno, faute de temps, ne put tenir compte, ce qui explique cette nouvelle lettre dans laquelle Gide approuve plus encore qu’il ne désapprouve : « Croyez du moins que je reste très sensible au témoignage de sympathie que vous m’avez donné en me consultant ; fût-ce en vain. Je pense que vous ne l’auriez point fait si déjà vous ne me sentiez, de cœur et d’esprit, beaucoup plus près de vous que mes écrits ne l’ont, jusqu’à présent laissé entendre.78 » Accord donc et malgré tout. Et même accord public ; toujours en 1932, André Gide et Jean Guéhenno répondirent l’un et l’autre à l’Appel que Romain Rolland lançait à « tous les peuples, à tous les partis, à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté79 », Appel qui devait aboutir à la création du Mouvement Amsterdam – Pleyel contre la guerre et le fascisme80.
21Accord public, mais accord fragile, ne serait-ce que par l’évolution, en sens complètement inverse, de l’attitude de Gide et de Guéhenno à l’égard du communisme. Alors même, en effet, que Gide finit par frayer avec le Parti communiste français, Guéhenno commence, quant à lui, à prendre ses distances avec le communisme, ainsi qu’il le révélera et l’expliquera à la fin de sa vie : « diverses circonstances, de 1928 à 1936, rendirent Rolland plus sensible à la pensée de Lénine et le rapprochèrent du communisme tandis que je m’en écartais toujours davantage81 ». La raison de cela ? Guéhenno la donne en insistant sur le fait qu’il se sentait plus proche des socialistes que des communistes : « Les batailles pour la justice et la liberté, quand on veut servir à la fois l’une et l’autre, sont difficiles. Cela était vrai dans les années 30, comme en 1977. L’analogie des situations est frappante. Je dirigeai la revue [Europe] dans un esprit socialiste et libéral. Mais, à l’intérieur même de notre équipe, les communistes me faisaient une sourde guerre. Je me sentais souvent dans une assez incommode solitude.82 » Décidément, Gide et Guéhenno, quelle que fût leur bonne volonté, ne devaient pas se rencontrer politiquement. Et c’est bien ce sentiment qu’avait Guéhenno d’un rendez-vous manqué par deux hommes qui, du fait d’un cheminement inverse, ne font guère que se croiser, lorsqu’en décembre 1932 il concluait ainsi un article sur « Littérature et politique » : « La littérature, quand elle n’est que littérature, peut bien être à droite. Mais voici presque trois siècles qu’elle est à gauche, chaque fois qu’elle a réellement exercé un pouvoir spirituel. Et les vrais écrivains le sentent bien. S’il leur est arrivé de muser en chemin, les voilà tout d’un coup pris de remords, et ils se mettent à courir. Des scrupules de conscience les précipitent à gauche. Ils auraient mieux à faire peut-être. Une marche plus régulière et plus naturelle aurait plus de beauté. J’y pensais récemment en lisant les déclarations de M. André Gide [« Pages de Journal dans la N.R.F. »] et de M. Jacques Chardonne [« l’Amour du prochain. (Grasset.) »], si favorables à la révolution russe et au communisme. On ne peut manquer de se dire que ces déclarations viennent bien tard, qu’elles auraient eu un autre poids, une autre portée en 1920, qu’il est toujours un moment pour choisir entre les idées et qu’il ne faut pas le laisser passer, si l’on veut que ce choix ait tous les caractères d’un drame et toute son efficacité. Quoi qu’il en soit, de tels gestes témoignent que les vrais écrivains ont besoin d’accompagner au moins la masse humaine dans son mouvement, quand il n’est pas en eux de la conduire. Leurs gentillesses sont à droite, mais leurs audaces sont à gauche.83 »
22L’année 1932, après un accord plus apparent que profond entre André Gide et Jean Guéhenno, s’achève donc par cet article dans lequel Guéhenno juge très sévèrement l’évolution politique de Gide. Or cette sévérité va s’accroître encore en 1933, lorsque Guéhenno s’en prendra, au comble de la polémique, à la personne même de Gide, dans un article retentissant et au titre symbolique de tout ce qui socialement les sépare : « Monsieur Gide »84.
23Aussitôt lues les épreuves de cet article que Guéhenno lui avait envoyées, André Gide protesta avec vigueur. Ces réactions vives, nous les connaissons grâce à deux lettres qu’il rédigea sur le champ : l’une est adressée à Guéhenno lui-même, l’autre à l’ami-confident qu’était Roger Martin du Gard. A ce dernier, Gide révèle son sentiment profond : celui d’un homme qui se sent attaqué sans égards, d’un homme qui se sent victime d’une trahison de la part d’un interlocuteur qu’il croyait jusqu’alors loyal : « Guéhenno m’envoie les épreuves d’un article pour le prochain n° d’Europe : Monsieur Gide, ineffablement désobligeant, perfide, et somme toute parfaitement lâche.85 » Puis à Guéhenno, Gide écrivait aussi :
24 Mon cher Guéhenno.
25 Aux phrases de votre Conversion à l’humain que vous reprenez dans cet article [ : « Monsieur Gide »], je voudrais, en épigraphe, voir figurer celle-ci, de votre Introduction [à Conversion à l’humain/ ; « Voilà celui que vous voulez que je sois... 86 »
26 Ainsi soit-il. Mais vous vous trompez.
27 Cordialement tout de même. 87
28Pour ferme et blessé qu’il soit, Gide préfère couper court à toute polémique plutôt que de répondre à ce qu’il ressent comme une fausse et injuste attaque, ou que de rompre à jamais tout dialogue avec Guéhenno. C’est qu’encore une fois une querelle ouverte ou une brouille seraient l’une et l’autre tout aussi politiquement gênantes, étant donné l’engagement à gauche des deux hommes.
29Mais au fait, qui était-il ce « Monsieur Gide » que portraiturait Guéhenno ? A cette question qu’il se posait lui-même, Guéhenno répond ainsi : « Et d’abord pourquoi dans ma pensée est-il toujours non Gide, non André Gide, non Monsieur André Gide, mais Monsieur Gide ? Il me semble dire Monsieur Gide pour les mêmes raisons qu’à un prêtre on dit Monsieur l’Abbé. Je l’appelle, dans ma pensée, Monsieur Gide, comme dans les Flandres les gens du peuple, quand ils parlent du pasteur, disent le « domine ».88 » Un maître donc. Un maître en littérature et plus encore à La Nouvelle revue française. Et surtout un maître socialement, c’est-à-dire un Monsieur, un grand bourgeois, alors que Guéhenno se sait et se veut homme du peuple parmi les gens du peuple et même parmi les « gens de rien89 ». Le clivage social, l’opposition de classes sont ici évidents. Si évidents que Robert Levesque ne devait pas s’y tromper lorsque dans sa Lettre à Gide il remarquait : « Ce que vous [Gide] appeliez un Monsieur était pour vous la chose la plus grotesque du monde. (Et un Guéhenno n’avait pas intitulé au hasard Monsieur Gide, certaine étude qu’il vous consacra.) Gibus et redingote, gants, plastron empesé, tout cet attirail symbolisait à vos yeux l’importance sociale.90 »
30A cette opposition de classes qu’il soulignait très nettement, Guéhenno ajoutait, dans ce même article, des attaques qui, elles, visaient directement la personne de Gide et qui relevaient, à bien y regarder, d’une latente lutte des classes. A « Monsieur Gide » Guéhenno reproche en effet de vouloir « s’inventer un drame91 », précisément « parce que la destinée l’a trop bien traité92 », c’est-à-dire l’a traité en bourgeois qui a le loisir, tout le loisir de s’imaginer un drame psychologique, alors que l’homme du peuple, lui, vit, en réalité et non en imagination, un drame social qu’il ne choisit pas. Aussi Guéhenno, tout en reconnaissant qu’il y a eu effectivement drame chez le jeune Gide, affirme que ce drame fut très tôt sans suite ni lendemain : tout jeune, Gide fut, il est vrai, « malade et tout près de la mort. Il n’eut point de peine à être pathétique, et naturellement. [...]. Il guérit. [...]. Le vrai drame était fini.93 » Or Gide qui, selon Guéhenno, voulait toujours vivre dramatiquement, aurait cherché à prolonger ce drame qui était vrai et terminé, par un autre qu’il aurait inventé, à savoir un drame de l’âme. Que ce second drame de Gide fût affecté, Guéhenno l’affirme sans hésitation : « Alors, il lui est arrivé de se jouer de son âme.94 » Tout serait donc jeu, jeu et non pas véritable combat de l’ange et du démon : « Tous les mythes, toutes les images, les légendes du paganisme et du christianisme, Narcisse, Saul, Jésus, Prométhée, Oedipe, tout lui aura été occasion d’essayer son âme.95 » C’est alors que, poursuivant sa démonstration, Guéhenno prend un nouvel exemple qui lui semble plus éloquent encore : « Il lut Dostoïevski, et l’idée lui vint qu’il devait être Dostoïevski. Mais le drame d’autrui ne s’imite pas.96 » Pour Guéhenno la condamnation est sans appel dans la mesure où il ne peut y avoir de vrai drame là où il n’y a que « sécurité.97 » Et, socialement, Gide n’a connu que la sécurité ! Aussi son drame ne put-il qu’être faux, d’autant plus faux, toujours selon Guéhenno, qu’on le compare à un autre, à un vrai : celui de Jean-Jacques Rousseau qui, parce que pauvre, vécut dans l’insécurité, et donc dans le drame : « Je songe à la chance d’un Rousseau qui n’eut qu’à se donner la peine de naître pour que le drame affluât en lui. Misères du corps, misères de l’âme, misères de la condition. Drame vrai, authentique toujours. Rien de joué. Pascal disait que c’était trente ans gagnés sans peine que de naître gentilhomme. Oui, trente ans gagnés sans peine pour l’avancement dans le monde. Mais ce peut être aussi trente ans gagnés que de naître pauvre. Trente ans gagnés pour la connaissance du coeur et de notre véritable condition. Encore est-ce peu de dire trente ans. Il est telle science qu’un homme né riche n’acquerra jamais. La plus grande partie de l’humanité lui restera toujours étrangère.98 » Heureux Jean-Jacques ! Heureux Guéhenno qui, lui aussi, naquit pauvre ! Et malheureux Gide ! D’autant plus malheureux qu’il ne fut pas dupe de son jeu, remarque Guéhenno : « Vint le temps où lui-même eut l’impression qu’il ne faisait que jouer un rôle.99 » C’est alors que Gide aurait décidé de renoncer à ce tragique tout à fait factice pour « la sérénité100 », mais en jouant toujours, car il joua à être serein comme il avait joué à être tragique.
31Or Guéhenno sait bien que nul ne peut affirmer que l’autre joue vraiment, pas plus qu’on ne peut affirmer que l’autre est véritablement sincère. Aussi, conscient des critiques que ses affirmations non dépourvues d’excès ne manqueraient pas de susciter, chercha-t-il à atténuer la portée de son propos en reprenant l’adage : « Qui bene amat, bene castigat » : « de pareils reproches, mon lecteur le devine, ne s’adressent qu’à ceux qu’on admire.101 » Fort de cet argument, Guéhenno reprend alors ses attaques contre Gide auquel il reproche maintenant « on ne sait quel besoin d’instruire et de diriger les consciences102 ». Ce nouveau grief relève moins de ce qui, jusqu’alors, semblait bien lié à une lutte des classes que d’un conflit de générations : « Fin de siècle. Monsieur Gide appartient bien à cette génération d’écrivains qui demandèrent d’abord à leur art de les aider à vivre une vie plus précieuse, plus fine et plus profonde. [...]. Ils ont voulu que leur vie soit leur œuvre la plus belle. [...]. On rêve l’excès de la vie parce qu’on n’est pas capable de la vie même.103 » Pour Guéhenno, Gide est « un homme qui vieillit et qui veut mourir jeune104 », un « homme de l’avant-guerre », un « homme de la fin d’un monde105 ».
32A peine Guéhenno en a-t-il terminé avec ses attaques visant Gide en personne, qu’il s’en prend avec force au gidisme qu’il aborde sans autre transition qu’un surprenant : « Monsieur Gide, oui, mais le gidisme, non.106 » C’est ainsi qu’il incrimine tous ceux qui, de Charles Du Bos107 à René Schwob108, « ont parlé de Monsieur Gide. [...]. Que Monsieur Gide puisse être l’occasion d’un livre comme celui de René Schwob, voilà qui désigne sa plus grande faiblesse. Nous savions déjà par le livre de Charles Du Bos à quelles terribles et vaines ratiocinations il peut, il aime peut-être donner prétexte. Mais René Schvvob à passé toute mesure. On voudrait savoir ce que Monsieur Gide lui-même a pensé de ces trois cents pages d’exégèse.109 » Mais à travers le gidisme dont il fait le procès, n’est-ce pas toujours Gide que vise Guéhenno ?

Paris, salle de la Mutualité, meeting organisé le 23 octobre 1934, par l’A.E.A.R. (voir pp. 35-36) de g. à d., A. Gide, A. Malraux, J. Guéhenno, P. Vaillant-Couturier (photo A.F.P.).
33Ainsi, de procès en procès, de celui de Gide à celui du gidisme, puis de celui du gidisme à celui de Gide, Guéhenno, à force de sévérité, finit par tomber dans le véritable procès d’intention110, ce qui devait susciter de nombreuses protestations. Dès la parution de l’article dans Europe, des amis de Gide s’indignèrent. Retenons, parmi d’autres, deux réactions particulièrement révélatrices : celle de Roger Martin du Gard et celle de Maria Van Rysselberghe. Le premier consacre à cet article tout le post-scriptum d’une de ses lettres à Gide : « Vous ai-je dit – non, je ne vous ai pas écrit depuis – qu’après avoir lu Monsieur Gide, j’ai écrit une lettre sévère à Guéhenno, lui marquant que ces pages me détachent de lui, pour un temps ? Je n’aime guère me mêler de polémique, mais tout de même je voulais lui faire connaître ma désapprobation.111 » Quant à Maria Van Rysselberghe, elle notait dans ses Cahiers : « Bypeed [surnom donné à André Gide par ses proches] m’avait apporté le numéro d’Europe avec l’article de Guéhenno intitulé « Monsieur Gide ». En le lui rendant, je m’étonne de l’insuffisance dont Guéhenno fait preuve. Lui y voit surtout une attitude calculée, hypocrite.112 » Devant tant de protestations, Guéhenno affectera la surprise et écrira à Romain Rolland : « Vous ai-je dit que mon article sur Gide m’a valu de singulières réactions de lui-même113 et de ses amis114. Ils m’ont écrit très en colère. J’ai la naïveté d’en être encore surpris. Je savais l’article sévère sans doute, mais je le croyais tout de même respectueux.115 » Le croyait-il vraiment ?
34Toujours est-il que, le 21 mars 1933, Guéhenno, bien qu’il n’ait pas été prévenu, en raison sans doute des récentes tensions résultant de la publication du retentissant « Monsieur Gide », se rendra, en compagnie d’André Malraux, à une réunion de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires que présidait... André Gide116 ! C’est qu’en dépit de ces divergences entre les deux hommes, le contexte politique et, plus particulièrement, la montée du fascisme rendent une fois encore nécessaires et donc possibles des prises de positions communes. Aussi retrouve-t-on Gide et Guéhenno dans le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes qui devait se constituer à l’initiative de Paul Langevin, du philosophe Alain et de Paul Rivet, à la suite des émeutes du 6 février 1934, place de la Concorde117. Momentanément et par nécessité s’interrompait la polémique publique entre Gide et Guéhenno.
35Cet apparent accord ne voulait évidemment pas dire que les oppositions avaient disparu. Comment l’auraient-elles pu ? C’est ainsi qu’en mars 1934, André Gide revenait, dans une lettre à Roger Martin du Gard, sur cette affirmation qu’en 1931 Guéhenno avait faite à plusieurs reprises dans Conversion à l’humain : « Une âme vaut une autre âme. [...]. Vous m’entendez bien : une âme vaut une autre âme, non pas dans un autre monde, mais dans celui-ci. [...]. C’est en ce monde qu’une âme vaut une autre âme. Telle est notre philosophie de gens de rien. Il n’y a pas de friches dans le domaine des âmes. Toute terre peut porter son fruit...118 » Trois ans plus tard, Gide répliquait donc, mais à Roger Martin du Gard et non à Guéhenno : « savez-vous ce qui me gêne le plus à présent : c’est que l’horticulteur, qui est en moi ne parvient pas à désapprouver complètement les théories « racistes » d’Hitler. L’axiome (abandonné j’espère) de Guéhenno : « une âme (oui, au-point de vue chrétien peut-être) en vaut une autre » me fait hausser les épaules. Le sentiment n’a que faire ici...119 » Cette réplique indirecte et tardive coïncide avec la publication, en cette même année 1934, du Journal d’un homme de 40 ans, ouvrage dans lequel Guéhenno revenait sur cette question de la ressemblance des hommes entre eux, : « l’âme d’un pauvre homme, comme celle du plus grand artiste, peut contenir tout l’infini.120 » Cette nouvelle affirmation qui confirme les précédentes, réaffirme aussi les préoccupations sociales de Guéhenno qui, bien sûr, ne peuvent pas se confondre avec celles de Gide121, ne serait-ce qu’en raison des origines familiales des deux hommes. D’où la permanence d’un malentendu sur une question que l’un et l’autre ont été amenés à aborder de façon si différente.
36Que ce malentendu fût permanent ne devait d’ailleurs pas empêcher Guéhenno, en cette même année 1934 où paraissait le Journal d’un homme de 40 ans, de défendre Gide contre le clérical François Mauriac. C’est qu’en dépit de divergences et d’oppositions, Guéhenno se sentait politiquement beaucoup plus proche de Gide que de Mauriac : « André Gide, lui, a triché. Toujours, selon M. François Mauriac. [...]. C’est cette intolérance inconsciente qui sans doute a rendu M. François Mauriac si indulgent pour Maurice Barrès, si sévère pour André Gide. Vous trichez, Monsieur Mauriac122 ». Qu’elles étaient donc complexes, mais non pas illogiques, les relations Gide-Guéhenno ! Veut-on une preuve encore de cette complexité ? La voici dans cette lettre de Guéhenno à Romain Rolland où se mêlent, à propos de Gide, l’irritation et le respect (la revue Europe, c’est-à-dire Guéhenno lui-même, envisageait d’évoquer le vingtième anniversaire de juillet 1914 en recueillant des témoignages d’écrivains) : « J’ai envie d’écrire à quelques-uns de nos amis, de nos anciens amis du moins, et de leur demander leur témoignage. [...]. Peut-être écrirai-je à [...] Gide [...].123 » Si les rapports personnels entre Gide et Guéhenno étaient difficiles, souvent tendus jusqu’au silence, voire à la rupture, ils n’empêchaient pas, on le voit, un désir d’action publique commune.
37Aussi est-ce pourquoi, toujours en cette année 1934, on voit Gide et Guéhenno côte à côte sur la scène politique. Ils sont ensemble à la salle de la Mutualité, à Paris, le 23 octobre 1934. Gide présidait alors une réunion tenue à l’appel de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires124 dont le but était d’entendre le compte rendu du premier Congrès des écrivains soviétiques125. Gide fit un discours sur la place et la fonction de la littérature dans une situation révolutionnaire : « J’estime que toute littérature est en grand péril dès que l’écrivain se voit tenu d’obéir à un mot d’ordre. Que la littérature, que l’art puissent servir la Révolution, il va sans dire ; mais il n’a pas à se préoccuper de la servir. [...]. La littérature n’a pas à se mettre au service de la Révolution. Une littérature asservie est une littérature avilie, si noble et légitime que soit la cause qu’elle sert.126 » Jean Guéhenno confia à Romain Rolland ses impressions d’auditeur. Or ce qui est particulièrement intéressant, c’est de voir qu’une fois encore il a réagi en homme toujours sensible aux différences sociales et que, de la sorte, il a senti que l’accord n’était pas, ne pouvait pas être total, même si les nécessités faisaient que, publiquement, on s’accordât : « J’ai assisté l’autre jour au compte rendu du Congrès des écrivains soviétiques. Ce fut une admirable soirée. Gide, Malraux surtout parlèrent magnifiquement. Mais je sentais dans la salle bien des drames, ceux de ces jeunes écrivains ouvriers dont on fait des « écrivains », et à qui maintenant on dit avec une sorte de cruauté qu’ils doivent retourner à l’école... Ce fut assez tragique par moments. Ce drame, je le sentais plus vivement que personne, parce que je l’avais prévu, annoncé (et on m’en avait su souvent mauvais gré).127 » Drame en profondeur que Guéhenno pouvait sentir et comprendre mieux que qui que ce fût, mais aussi désir manifeste de bonne volonté et d’union, notamment entre Gide et Guéhenno, ainsi que le notait la Petite Dame dans ses Cahiers : « A la sortie, pour échapper à toutes les mains à serrer, Gide et Malraux nous entraînent, Alix [Guillain], Clara Malraux, Guéhenno et moi, dans un petit café éloigné. Il n’est question que de la séance. Guéhenno décidément sympathique.128 » Sympathie qui devait faire que, quelques jours plus tard, Guéhenno se rendit chez Gide129. C’est assez dire que la polémique publique semblait bien oubliée et que les divergences, pour sensibles qu’elles fussent, étaient volontairement tues. La situation politique internationale avait donc triomphé des dissensions personnelles, forcé quelque peu les sympathies, et fait de 1934 une année de rapprochement entre Gide et Guéhenno.
38Mais ce rapprochement, parce que somme toute forcé, ne devait guère résister à ce qui ne cesse d’opposer les deux hommes en profondeur. Aussi, comme le Phénix, la polémique renaquit de ses cendres, en 1935. Une nouvelle fois, Guéhenno allait en effet s’en prendre à l’individualisme de Gide et surtout au culte gidien de la différence. Et, une nouvelle fois, la polémique allait éclater publiquement soit dans des articles, soit dans des prises de positions opposées au cours de réunions.
39La sortie du livre de Malraux : Le Temps du mépris, devait être l’occasion d’un premier affrontement qui eut lieu lors d’une séance de l’Union pour la Vérité130 consacrée précisément à André Malraux. Cette fois encore nous emprunterons aux Cahiers de la Petite Dame le point de vue émis du côté de chez Gide et aux lettres à Romain Rolland la version donnée par Guéhenno, afin de les confronter dans le but de mieux comprendre ce qui, ce soir-là, opposa publiquement les deux hommes. Maria Van Rysselberghe dit ne pouvoir « relater [dans ses Cahiers] cette séance qui fut longue, intéressante, nourrie, et assez acharnée. La manière tranchée, quoique courtoise, dont Malraux définit sa position appelle la contradiction, mais on sent qu’il la faut serrée, motivée, et, qu’on le veuille ou non, cette position quitte sans cesse le terrain littéraire pour le terrain social où les discussions sont plus brûlantes aujourd’hui.131 » Cette dernière remarque semble pouvoir s’appliquer aussi au débat polémique qui oppose Guéhenno dont les préoccupations étaient surtout sociales, à Gide le littéraire ; débat qui va justement rebondir à la faveur de l’exposé de Malraux, ainsi que devait le souligner la Petite Dame : « Je note seulement la fâcheuse intervention de Guéhenno qui fait une fois de plus une attaque violente contre les artistes occupés à cultiver leur différence au mépris de la communion humaine ; il cite Baudelaire, Rimbaud, et, emporté par la passion, il va jusqu’à les appeler des détraqués et leur oppose Hugo et cette citation : « Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui », qu’il avait prise déjà comme épigraphe à son dernier livre132. De la part de Hugo il trouve cette déclaration d’une sublime humilité. Ici, Gide, qui n’avait pas parlé encore, dit que de la part de Hugo il trouve cette phrase assez hypocrite et qu’il ne voit pas pourquoi les différences empêchent la communion, et que du reste, dans le livre de Malraux, il n’est point du tout question de ressemblance, mais bien de communion.133 » De son côté, Guéhenno relate ainsi la séance à Romain Rolland : « L’autre soir à l’Union pour la Vérité, il y avait grand débat sur le livre de Malraux. Je me suis risqué à dire à peu près ce que j’ai écrit dans un article sur Hugo. Gide a pris feu, si l’on peut dire, et est intervenu avec violence contre moi, faisant le jeu des fascistes. J’avais parlé de ceux qui « cultivent leur différence ». Il s’est reconnu. De là sa colère.134 »
40Avons-nous affaire ici à une véritable ou à une fausse querelle ? La question mérite d’être posée, car s’il y a une indéniable distinction entre la communion dans la ressemblance collective qu’exige Guéhenno et la communion par delà les différences individuelles que réclame Gide, il y a également un indéniable point commun, à savoir une unité, une solidarité humaine. Aussi André Gide regrettera-t-il cette polémique qui l’oppose publiquement à Guéhenno ; il la regrettera d’autant plus, remarque Maria Van Ryssel-berghe, que cet affrontement fratricide aurait pu être, en fait, un rapprochement fraternel : Gide « admet difficilement de ne pas se sentir d’accord avec Guéhenno, si sincère et si sympathique à travers tout, mais il faut bien constater que celui qui rejette l’autre de la communion, c’est Guéhenno, c’est chez lui qu’on sent le sentiment de classe ineffaçable, lui qui entretient cette différence. Je vois Gide qui lui parle chaleureusement à la sortie.135 » Cette chaleur humaine qui aura pour effet immédiat que Guéhenno et Gide termineront la soirée en compagnie de Malraux et de quelques autres, ne résistera guère, du moins en ce qui concerne Gide, à une nuit de réflexion. Dans les notes que Maria Van Rysselberghe prendra sur la conversation qu’elle a eue avec Gide le lendemain matin de la séance Malraux, on découvre en effet un Gide anxieux et qui, faute d’avoir obtenu l’assentiment général, se contente, se félicite même d’avoir obtenu l’assentiment d’un petit groupe, fût-ce celui d’adversaires politiques : « Ce matin, il me dit : « Je n’ai pas mal fait d’intervenir hier, à la séance ? » Et comme je m’étonne de cette question de petit garçon, il me dit : « Voyez-vous, je suis si habitué à écrire ma pensée, que lorsqu’il me faut l’exprimer en public, il m’est impossible de me rendre compte du son qu’elle donne, je suis tout dérouté. » Il déplore l’attitude obstinée de Guéhenno et trouve heureux d’avoir pu ainsi fraterniser avec ceux de l’autre bord : Maxence, Thierry Maulnier, Gabriel Marcel, etc.136 ». Cette fraternité-là ainsi qu’une certaine intransigeance de Guéhenno ne firent donc que creuser le fossé qui séparait profondément deux hommes que, par ailleurs, on aurait pu croire si proches l’un de l’autre.
41Séparation, voire brouille ! Car Guéhenno est conscient que les articles qu’il publie à la même époque rendent cette brouille inévitable. Ne confiait-il pas à Romain Rolland, dans cette même lettre où il relatait ses débats avec Gide à la séance Malraux : « Mon propre article [intitulé « Appel au poète d’aujourd’hui » et consacré à Hugo] (joint à l’article [« Changer la vie ») que j’ai donné à Marianne sur le livre de Malraux [ : Le Temps du mépris] ) risque de me brouiller avec Gide.137 » Déjà Guéhenno avait repris la matière de son article sur Hugo lors de son intervention à la séance Malraux de l’Union pour la Vérité. Or il est clair que, dans cet article, celui que vise implicitement Guéhenno en l’opposant à Hugo, c’est Gide lui-même. De Hugo, Guéhenno écrit : « Ce qui fit sa grandeur, ce fut sa volonté de communion.138 » Grandeur de Hugo et, par opposition, étroitesse de ceux qui cultivent leur différence. Point n’était alors besoin de préciser que Gide était un de ceux-là. Ainsi l’article devenait diptyque puisqu’au portrait de Hugo était juxtaposé, afin de mieux l’opposer, un portrait à peine anonyme dans lequel on reconnaissait Gide : « Le plus grand homme est le grand homme du commun, non pas celui que distingue et met à part des autres la rareté de ses sentiments, la subtilité de ses pensées, l’étrangeté de sa vie intérieure, et qui s’aime et s’estime d’être ainsi différent, mais celui qui n’a pas besoin de quitter la terre pour faire reconnaître sa stature, celui qui se sait et se veut semblable dans [s]a vie, ses épreuves, ses espérances, ses bonheurs, la maladie et la mort, et qui emploie sa force à reconnaître et définir cette pathétique ressemblance et à éclairer le mystère d’une destinée commune et fraternelle.139 » Plus encore que l’individualisme, c’est le particularisme sexuel de Gide que Guéhenno dénonce indirectement. La suite du portrait de Hugo est donc à lire comme étant l’envers du portrait même de Gide : « C’est un homme comme tous les hommes, ni délicat, ni maladif, grossier et tendre. Il est fiancé. Il se marie. Il a des enfants. Il a des amis. [...]. Il a une maîtresse, il court les femmes140 ». Bien que dans cet article Baudelaire, Rimbaud et non pas Gide soient cités en opposition à Hugo, c’est bien à Gide que songe Guéhenno. Comment en effet ne pas penser au fameux « hélas ! » dont Gide ponctuait son éloge laconique de Victor Hugo, quand Guéhenno écrit avec indignation : « on a vu, et ceci est plus grave, d’authentiques et grands écrivains [...] faire les dégoûtés devant cette œuvre immense141 » qu’est celle de Hugo.
42A cette attaque sévère, mais somme toute discrète – puisque seul un lecteur clairvoyant pouvait comprendre qu’il s’agissait de Gide – venait s’ajouter une autre mise en cause, nominale cette fois-ci et, partant, beaucoup plus grave. En effet, dans son article : « Changer la vie », Guéhenno prétexte du livre d’André Malraux : Le Temps du mépris, pour rassembler tous ses arguments à rencontre de ceux qui ont cultivé leur différence au point d’oublier la « profonde volonté de rejoindre les hommes », c’est-à-dire « les gens du commun, la masse des hommes simples142 ». Et pour que l’on sache bien qui est visé, Guéhenno ne se contente plus de citer les seuls Baudelaire et Rimbaud, mais Mallarmé, mais Valéry et Claudel, mais André Gide surtout. Et les attaques – toujours les mêmes en fait – se font de plus en plus dures, sinon plus variées : « Les plus grands écrivains de ce temps ont, si l’on peut dire, joué dans leur œuvre leur différence avec les autres hommes plutôt que leur ressemblance. Outre que cela est plus facile, je ne suis pas certain que quelque vanité ne les y ait inclinés, en ce XIXe siècle finissant, fatigué, essoufflé, précieux et snob. Peur du commun, peur de l’humain. [...]. Ils nous ont donné quelquefois le poème d’un homme, jamais ce « poème de l’homme » que Hugo définissait dans la préface des « Rayons et des Ombres ».143 » La raison profonde de tout cela est beaucoup plus politique que littéraire, aussi Guéhenno finit-il son article par cette réflexion qui classe politiquement et non littérairement les écrivains, et, par voie de conséquence, mettrait donc Gide du côté des fascistes : « La racine de l’idéologie fasciste est une immense vanité et l’exaltation de la différence. [...]. La racine de l’idéologie socialiste est le sentiment pathétique et la volonté de la ressemblance.144» On comprend désormais pourquoi sur cette question des différences Guéhenno ne pensait pas pouvoir transiger. Et l’on comprend du même coup toute l’ampleur du malentendu avec Gide qui, lui, quand il parle de différence, le fait en psychologue, en sexologue, en littérateur, et non en politique. Or du malentendu à l’inévitable brouille, il n’y a qu’un pas que Guéhenno pense bien avoir franchi en publiant ces deux articles dans lesquels il condamne Gide sans appel145.
43Et pourtant, quelques jours plus tard, on devait retrouver Gide et Guéhenno de nouveau côte à côte au Ier Congrès international des écrivains pour la défense de la culture146. C’est qu’encore et toujours la situation politique l’emportait sur les dissensions personnelles. A ce congrès, Gide prononça deux discours : l’« Allocution d’ouverture » et une « Défense de la culture ». Bien que ces textes semblent en marge de la polémique avec Guéhenno, il n’est pas inintéressant de remarquer qu’ils contiennent plus d’un élément relatif à cette polémique. Ainsi, dans sa brève « Allocution d’ouverture », André Gide estime-t-il « que cette culture que nous prétendons défendre est faite de l’addition des cultures particulières de chaque pays147 ». Et, ce disant, il ne fait que reprendre l’idée qu’il avait déjà développée en 1923 et qui avait abondamment alimenté le débat que Guéhenno et lui avaient eu sur le nationalisme : « c’est en étant le plus particulier qu’on sert le mieux l’intérêt le plus général ; et ceci est vrai pour les pays aussi bien que pour les individus.148 » Si André Gide reprend cette idée, c’est en fait pour en tirer une conclusion sensiblement différente, dans la mesure où, en cette année 1935, il doit accorder particularisme et communisme, c’est-à-dire nationalisme et internationalisme. Ce qu’il fait en estimant que « cette culture [« faite de l’addition des cultures particulières de chaque pays »] est notre bien commun, qu’elle nous est commune à tous, qu’elle est internationale.149 » Cette idée qui, on le notera, n’implique aucune renonciation à l’individualisme, Gide devait la développer le lendemain dans sa « Défense de la culture » : « quant à moi, je prétends pouvoir être profondément internationaliste, tout en restant profondément Français. Tout comme je prétends rester profondément individualiste, en plein assentiment communiste et à l’aide même du communisme. Car ma thèse a toujours été celle-ci : c’est en étant le plus particulier que chaque être sert le mieux la communauté.150 » Pensée politique ? D’apparence seulement. En effet, cette remarque aux implications politiques certaines est d’abord et avant tout littéraire, ainsi que Gide le précise d’ailleurs sans ambiguïté : « C’est en homme de lettres que je parle, et je ne veux parler ici que de culture et de littérature ; mais c’est bien en littérature précisément que ce triomphe du général dans le particulier, de l’humain dans l’individuel, se réalise le plus pleinement.151 » Alors que Guéhenno partait de la politique pour aller au littéraire, Gide suit une démarche inverse. Qui s’étonnera alors qu’ils se soient mal entendus, qu’ils aient sans fin débattu, polémiqué, qu’ils se soient croisés au lieu de véritablement se rencontrer ?
44A preuve ces autres éléments de réponse à Guéhenno qu’on trouve encore dans le discours de Gide sur la « Défense de la culture ». Alors que précédemment Guéhenno avait loué Hugo en condamnant Baudelaire et Rimbaud, Gide évoque à son tour ces mêmes écrivains, et d’abord Hugo : « son énorme effort pour se rapprocher du peuple152 » n’est pas, remarque Gide, objecte Gide à Guéhenno, sans un certain « opportunisme153 ». Quant à Baudelaire et à Rimbaud, ils communient bien par leurs œuvres, quoi que Guéhenno ait pu en dire ou en écrire, dans la mesure où, selon Gide, toute littérature est communion : simplement, « il s’agit de savoir avec qui le littérateur communie.154 » A cette argumentation de Gide, Guéhenno devait en lui-même répliquer qu’il n’y a qu’une communion : celle avec « l’homme-masse155 », ce que Gide, comme par anticipation, allait aussitôt récuser : « La littérature n’a pas, ou – du moins – pas seulement un rôle de miroir. [...]. La littérature ne se contente pas d’imiter ; elle informe ; elle propose ; elle crée.156 » « Aujourd’hui toute notre sympathie, tout notre désir et besoin de communion vont vers une humanité opprimée, contrefaite et souffrante. Mais je ne puis admettre que l’homme cesse de nous intéresser lorsqu’il cesse d’avoir faim, de souffrir et d’être opprimé. Je me refuse à admettre qu’il ne mérite notre sympathie, que misérable.157 » Or sur ce point, Guéhenno ne pouvait tomber entièrement d’accord, car son origine sociale, source de son militantisme, l’inclinait inéluctablement à se préoccuper, avant tout, des hommes qui sont socialement dans la misère. Et l’on en revient toujours à cette ineffaçable différence de classes entre Gide et Guéhenno.

Derniers mots de la lettre de Gide à Guéhenno citée pp. 13-14 dans Littérature engagée (voir p. 27)
45Serait-ce à dire que de débat en débat, de polémique en polémique, tant sur les estrades que dans la presse, ne se produit aucune évolution et que chacun campe fermement sur ses positions ? Non, sans doute. A défaut d’accord profond, il semble bien que l’un comme l’autre parviennent enfin à cerner objectivement et sans parti pris les causes mêmes du malentendu qui les sépare, ce qui, intellectuellement et même politiquement, est une étape importante. La lecture de quelques pages du Journal de Gide et du Journal d’une « Révolution » de Guéhenno ne confirme-t-elle pas cette évolution ? Le 3 août 1935, Gide notait en effet, avec un certain recul :
46 Cultiver les différences... Par quel malentendu Guéhenno peut-il me reprocher cela ? Nul besoin de cultiver le reste, et qui se retrouvera bien toujours. Mais le rare, l’exceptionnel, l’unique, quelle perte pour tous si cela vient à disparaître ! Il va sans dire que si les particularités sont feintes et facticement obtenues, rien ne va plus. L’on n’a que faire du simulacre. Mais la figure de l’homme mérite d’être constamment enrichie. Malheur à qui tente de la réduire ! ou même simplement d’en limiter les traits. Ce qui a eu lieu une fois peut se reproduire et toute anomalie heureuse demande à être observée, protégée, sous risque d’être ravalée au niveau commun de l’ensemble. Car elle a tout contre elle, et d’abord l’opinion. L’histoire naturelle, ici également, peut nous instruire et le précautionneux travail des obtenteurs. De quels soins n’entourent-ils pas tout « sport » végétal ou animal, toute variété rare, même dus parfois à quelque accident de carence ou de maladie (ô Jean-Jacques ! ô Dostoïevsky !). Sait-on jamais d’avance l’avantage que parfois il en peut sortir ? Quelles suppléances inattendues un défaut partiel fera naître ?
47 Par souci, Guéhenno, de n’approuver et épouser que les sentiments les plus généraux, les plus communs, de l’humanité, tu l’appauvris. Cette figure idéale de l’homme je la vois, avec une épaisse masse commune, toute nimbée d’individuelles possibilités. Est-il nécessaire de le redire encore ? – Tout effort de désindividualisation au profit de la masse est, en dernier ressort, funeste à la masse elle-même.158
48Quant à Guéhenno, il notait à son tour, le 5 août 1937 : « De l’homme-masse, la plupart des intellectuels ne parlent qu’inspirés par la peur qu’ils ont de le devenir. Ne peuvent-ils pas un instant réfléchir à ce que tant d’hommes ont gagné à l’être devenus ?159 » Et pour Guéhenno, la meilleure preuve que Gide, en dépit de réticences, a moins peur de « l’homme-masse » qu’il ne le dit, c’est l’évolution qu’on observe entre Les Nourritures terrestres et Les Nouvelles nourritures : « j’ai reçu Les Nouvelles Nourritures d’André Gide. L’évolution d’André Gide n’est pas sans analogie avec celle d’Anatole France qu’il traita quelquefois durement. Ce n’est pas rien qu’avec tant de prudence, avec tant de réflexion, ces hommes aient fini par donner à notre cause l’autorité de leur cœur et de leur raison.160 » Par un mutuel souci de comprendre l’autre, les positions respectives de Gide et de Guéhenno se sont enfin clarifiées et même quelque peu rapprochées : si Jean Guéhenno demande notamment aux intellectuels de devenir des hommes-masse, afin d’apporter aux plus démunis ce que ceux-ci sont en droit d’attendre, André Gide, pour sa part, insiste sur ce que chacun, dans sa singularité, peut et doit apporter à la masse des hommes.
Notes de bas de page
1 Cf. supra, chap. I.
2 André Gide, Littérature engagée, op. cit.
3 Cf. supra, chap. I, pp. 18-19.
4 Julien Benda, « De quelques avantages de l’écrivain conservateur », in « Scholies », in la Nouvelle revue française, 1er janvier 1930, pp. 104-105.
5 lbid., n. 1, p. 105.
6 Cf. supra, chap. I, pp. 18-19.
7 Jean Guéhenno, « Lettre ouverte à M. Julien Benda », in « Notes de lectures », in Europe, 15 février 1930, p. 268.
8 Julien Benda, La Trahison des clercs, Paris, Grasset, 1927. Dans cet ouvrage Benda partait en guerre contre les intellectuels qui, à son avis, compromettaient leur dignité en participant au débat de la vie politique. Son courage consistait à aller à contre-courant de ce qui, dans les années 30, deviendrait une attitude qui, chez beaucoup d’intellectuels, se généraliserait.
9 Jean Guéhenno, « Lettre ouverte à M. Julien Benda », op. cit., p. 269.
10 Id.
11 Ibid., p. 268.
12 Ibid., p. 271.
13 Ibid., p. 210.
14 Ibid., p.271.
15 Ibid., p.270.
16 Julien Benda, « Au long d’une autre lettre », in « Scholies », in La Nouvelle revue française, 1er juillet 1930, p. 99.
17 Ibid., pp. 98-99.
18 Julien Benda, « Lettre à Jean Guéhenno », in « Scholies », in La Nouvelle revue française, 1er avril 1930, pp. 553-562.
19 Ibid., p. 553.
20 Id.
21 Ibid., pp. 556-557.
22 Ibid., p. 558.
23 Id.
24 Ibid. p. 559.
25 Id.
26 Ibid., p. 562.
27 Ibid., p. 557.
28 André Gide, Journal 1889-1939, op. cit., 5 avril 1930, p. 980.
29 Charles Du Bos, Extraits d’un journal, Paris, Editions de la Pléiade, 1928. Le Dialogue avec André Gide, Paris, Au Sans Pareil, 1929.
30 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », in « Notes de lectures », in Europe, 15 novembre 1930, pp. 403-407.
31 Laforgue, in Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 403. En 1977, Jean Guéhenno citera de nouveau ces vers de Laforgue dans Dernières lumières, derniers plaisirs, op. cit., p. 36.
32 Yvonne Davet, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., p. 13.
33 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p.403.
34 Jean Guéhenno, Dernières lumières, derniers plaisirs, op. cit., p. 36. Numquid et tu... ? (1916-1919) est le journal des préoccupations religieuses de Gide ; il a été publié en 1922 sur la requête de Charles Du Bos.
35 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 404.
36 Id.
37 Ibid., p. 406.
38 Cf. supra, pp. 22-23.
39 Sur le clerc de Benda comme émule de Gide, cf. supra, p. 24.
40 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 404.
41 Ibid., p.405.
42 Id.
43 Ibid., pp. 405-406.
44 Ibid., p. 406.
45 Cf. supra, chap. I, n. 44.
46 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 407.
47 Jean Guéhenno, Conversion à l’humain, Paris, Grasset, 1931. On remarquera le passage suivant dans lequel sont développées les idées précédemment émises dans « Ame, ma belle âme » : « Je songe encore à ces nouveaux archanges de notre littérature, quelques-uns jeunes, d’autres déjà vieillis, qui se soumettent à l’antique fable chrétienne et espèrent grâce à elle donner quelque importance à leurs pensées. Autre manière de fuir. Autre manière d’être absent. Comme si ce monde ne leur suffisait pas, mais, dans la réalité, parce qu’ils en ont peur et n’osent pas répondre « présent » à l’événement, ou bien parce que la destinée les a trop bien traités et leur a refusé ce drame vrai sans lequel on n’est qu’un auteur et la littérature n’est que de la littérature, ils imaginent on ne sait quels pathétiques arrière-mondes, et descendent et remontent sans fin les mystiques échelles du ciel. Incapables de vivre ici-bas, ils inventent un autre monde dans lequel du moins, selon leur espoir, ils commenceront d’exister. Et puis une fable leur plaît qui les persuade tour à tour qu’ils sont l’ordure et le joyau de l’univers. Elle leur fournit de quoi rêver, de quoi occuper de magnifiques loisirs. L’un se voit ange, l’autre se veut démon. Mais c’est toujours la même facile aventure, misères et dangers d’imagination. Ils ne quittent pas même leur fauteuil. Ou s’ils vont du ciel à l’enfer, ce n’est jamais qu’en promenade. Et si quelque averse vient à les tremper, ces anges sont trop sûrs de sécher leurs ailes au coin du feu. » (Pp. 195-197).
48 Julien Benda, « Lettre à Jean Guéhenno », op. cit., p. 561.
49 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 406 ; voir aussi Dernières lumières, derniers plaisirs, op. cit., p. 38.
50 Jean Guéhenno, « Ame, ma belle âme », op. cit., p. 406.
51 Jean Guéhenno, Dernières lumières, derniers plaisirs, op. cit., p. 33.
52 Jean Guéhenno, Journal d’un homme de 40 ans, op. cit., pp. 118-119. A propos de Barrès, Guéhenno précisait : « Je veux ici être juste pour ce vieil enchanteur de nos vingt ans. J’ai beaucoup méprisé sa doctrine, ses idées, si l’on peut parler des idées d’un homme qui, jamais, ne voulut penser, mais je ne suis pas parvenu à haïr cet « extravagant musicien ». [...]. Et comment n’aurions-nous pas un moment écouté ce maître sorcier qui, avec mille flatteries, nous apprenait à nous aimer un peu ? » (Ibid., p. 119).
53 Jean Guéhenno, Journal d’une « Révolution », 1937-1938, op. cit., p. 43.
54 Cf. Jean Guéhenno, « Radioscopie », 8 décembre 1971, in Jacques Chancel, Radioscopie III. Préface de Marcel Jullian, Paris, Editions Robert Laffont, 1973, p. 68.
55 Lettre d’André Gide à Jean Guéhenno, fin octobre 1930, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., pp. 13-14.
56 Ibid., p. 14.
57 Cf. supra, chap. I, n. 22.
58 Cf. supra, ibid., n. 28.
59 Lettre d’André Gide à Jean Guéhenno, fin octobre 1930, op. cit., p. 14.
60 Cf. supra, chap. I, pp. 15-16.
61 Lettre d’André Gide à Jean Guéhenno, fin octobre 1930, op. cit., p. 14.
62 Id.
63 Ibid., p. 13.
64 Lettre de Romain Rolland à Jean Guéhenno, 25 mai 1930, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 102.
65 C’est ainsi, rapporte Guéhenno, qu’à la revue Europe on désignait Romain Rolland (cf. Jean Guéhenno, in Textes figurant dans l’exposition « Lire Jean Guéhenno », Fougères, Atelier National du Livre Vivant, 5 septembre 1981, non paginé).
66 Jean Guéhenno, « Littérature prolétarienne », in « Notes de lectures », in Europe, 15 décembre 1931 (pp. 568-576)-15 janvier 1932 (pp. 111-115).
67 Ibid., 15 décembre 1931, pp. 570-571.
68 Jean Guéhenno témoin de son temps, 1890-1978. Présentation de documents, réalisée par la Bibliothèque Municipale de Fougères et proposée aux Fougerais du 1er juillet au 31 octobre 1981, Fougères, Bibliothèque Municipale, 1981, p. 47.
69 Jean Guéhenno, in Textes figurant dans l’exposition « Lire Jean Guéhenno », op. cit., non paginé. Jean Guéhenno évoque les mêmes amis et quelques autres encore dans les Carnets du vieil écrivain : « Il y avait Guilloux qui méritait si bien son nom breton de « petit diable », fils de cordonnier comme moi et qui avait connu les mêmes misères [...]. Il y avait Grenier, son ami de Saint-Brieuc, hanté par les grèves où l’on se perd et soucieux de toujours retrouver le vrai chemin des hommes. Il y avait Blanzat, le Limousin, tendre et cruel comme ceux qui savent, qui lisait mieux qu’aucun d’entre nous les paysages de la terre et les visages des hommes [...]. Il y eut le bon Dabit, le Parisien du canal Saint-Martin, de l’Hôtel du Nord, [...] qui avait cherché (...) les moyens de la communication fraternelle, qui, émerveillé par ce qu’écrivaient d’autres, plus bourgeois que nous, se demandait avec une tendre humilité si « nos petites histoires à nous » pouvaient aussi intéresser [...]. Il y avait Chamson, le Cévenol, à qui [...] un souci de la grandeur des petites gens inspirai[...]t de graves histoires. Il y avait Giono, le Provençal, cet autre fils de cordonnier ». (Op. cit., p. 159).
70 Cf. supra, p. 27.
71 Cf. supra, n. 47.
72 Id.
73 Cf. infra, pp. 34-35.
74 Lettre d’André Gide à Roger Martin du Gard, 17 février 1932, in André Gide-Roger Martin du Gard, Correspondance, 1913-1951. Introduction par Jean Delay, Paris, Gallimard, 1968, vol. I, p. 504. Cette lettre fait référence à l’article de Jean Guéhenno « Réflexions sur Barrés », in « Notes de lectures », in Europe, 15 février 1932 (pp. 266-269), repris dans Entre le passé et l’avenir [...]. Introduction de Pascal Ory, (recueil posthume d’études publiées entre 1929 et 1935 dans Europe et rassemblées par Madame Annie Guéhenno), Paris, Grasset, 1979, pp. 145-149. Bien que dans cet article sur Barrés Guéhenno oppose l’écrivain qu’il admire à l’homme qu’il condamne, notamment dans sa démarche politique – opposition qu’il faisait également à propos de Gide : cf. supra, chap. I, pp. 16-17 – André Gide approuve, car il cherche avant tout l’absence de polémique.
75 Jean Guéhenno, « Les intellectuels et le désarmement », in Europe, 15 mars 1932, pp. 313-327. Cet article est daté : « Paris, le 12 février 1932. » (P. 327).
76 Lettre inédite d’André Gide à Jean Guéhenno, 3 mars 1932, archives de Madame Annie Guéhenno. A propos de l’article sur Barrès, cf. supra, n. 74.
77 Le 6 mars 1932, Maria Van Rysselberghe rapporte en effet cette conversation entre Gide et Roger Martin du Gard : « ils reparlent tous les deux de leurs rapports avec Guéhenno. Je comprends que celui-ci leur a envoyé un grand article sur le désarmement en sollicitant leur avis, chacun d’eux séparément a trouvé l’article détestable, fumeux, brouillon, oratoire, etc., et très franchement l’a écrit à Guéhenno comme à quelqu’un qu’on respecte assez pour lui dire la vérité. Guéhenno répond, attristé et même un peu piqué, semble-t-il, et dit : « Je suis navré d’avoir fait quelque chose qui ait si peu votre approbation, mais tout de même, la chose est plus importante que mon article, aidez-moi et consentez à me dire ce que vous en pensez. » (Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. 11, in Cahiers André Gide 5, Paris, Gallimard, 1974, pp. 229-230). Si André Gide fait donc de sérieuses réserves sur la forme, pour ce qui est du fond, il ne pouvait qu’approuver dans la mesure où, s’engageant à gauche dans ces années 30, il se trouvait, de fait, antimilitariste.
78 Lettre inédite d’André Gide à Jean Guehenno, 5 mars 1932, archives de Madame Annie Guéhenno.
79 Romain Rolland, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., p. 15.
80 La dénomination Mouvement Amsterdam – Pleyel s’explique par le fait que c’est à Amsterdam, en août 1932, puis à Paris, salle Pleyel, en avril 1933, que s’est tenu le Congrès mondial contre la guerre. L’arrivée au pouvoir d’Hitler verra le Mouvement ajouter l’antifascisme unitaire à l’antimilitarisme. Il joua de plus à côté du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes un rôle dans le rassemblement des forces populaires jusqu’en 1936.
81 Jean Guéhenno, Dernières lumières, derniers plaisirs, op. cit., p. 52.
82 Ibid., p. 49.
83 Jean Guéhenno, « Littérature et politique », in « Notes de lectures », in Europe, 15 décembre 1932, p.614.
84 C’est nous qui soulignons. Jean Guéhenno, « Monsieur Gide », in « Notes de lectures », in Europe, 15 février 1933, pp. 262-269. Cet article a été recueilli dans : Jean Guéhenno, Entre le passé et l’avenir (op. cit., pp. 192-201) d’où seront tirées nos citations.
85 Lettre d’André Gide à Roger Martin du Gard, 4 février 1933, in André Gide-Roger Martin du Gard, Correspondance, op. cit., vol. I, p. 546.
86 Cette citation que fait Gide est en réalité une adaptation de la phrase de Guéhenno : « Voilà ce que vous voulez que je sois, disait-il (Caliban] à ses maîtres, et voilà ce que je suis ». (« Introduction » à Conversion à l’humain, op. cit., p. 10).
87 Lettre d’André Gide à Jean Guéhenno, 5 février 1933, in Littérature engagée, op. cit., p. 20.
88 Jean Guéhenno, « Monsieur Gide », op.cit., p. 190.
89 Jean Guéhenno, Journal d’une « Révolution », 1937-1938, op. cit., p. 81.
90 Robert Levesque, Lettreà Gide et autres écrits. Préface et notes de Claude Martin, Lyon, Centre d’Etudes Gidiennes, Université de Lyon II, 1982, p. 23.
91 Jean Guéhenno, « Monsieur Gide », op. cit., p. 193.
92 Ibid., p. 192.
93 Ibid..,p. 193.
94 Id..
95 Id.
96 Id.
97 Id.
98 Ibid., p. 194.
99 Ibid.,p. 193.
100 Id.
101 Ibid., p. 194.
102 Ibid., p. 195.
103 Ibid., pp. 195-196.
104 Ibid., p. 199.
105 Ibid., p. 200.
106 Ibid., p. 196.
107 Charles Du Bos, Le Dialogue avec André Gide, op. cit..
108 René Schwob, Le Vrai drame d’André Gide, Paris, Grasset, 1932.
109 Jean Guéhenno, « Monsieur Gide », op.cit., pp. 196-197. Il se trouve que, dans son Journal du 29 décembre 1932, Gide avait noté ce qu’il pensait de cet ouvrage : « Le livre de René Schwob sur moi pourrait porter en épigraphe cette phrase que je lis ce soir dans Bossuet : « Il est impossible qu’il enseigne bien, puisqu’il n’enseigne pas dans l’Eglise. » (Œuvres oratoires, tome III, p. 211. Ed. Lebarg.). J’ai dit à René Schwob qu’il me rappelait les médecins de Monsieur de Pourceaugnac. Il ne peut m’admettre bien portant et je lui dois d’être malade. Il prend pour noirceur tout ce qui n’est pas imbibé de certains rayons. » (Journal 1889-1939, op. cit., p. 1148).
110 Gide qui avait écrit : « Et quand tu [Nathanaël) m’auras lu, jette ce livre – et sors » (Les Nourritures terrestres, op. cit., p. 153), a toujours été méfiant à l’égard des disciples et, par conséquent, du gidisme.
111 Lettre de Roger Martin du Gard à André Gide, 22 février 1933, in André Gide-Roger Martin du Gard, Correspondance, op. cit., vol. I, p. 548.
112 Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. II, op. cit., 25 février 1933, p. 286. Sur le sobriquet de Gide, cf. ibid., vol. I, in Cahiers André Gide 4, Paris, Gallimard, 1973, pp. 39-40.
113 Cette lettre de Gide à Guéhenno a été citée supra, p. 30.
114 Notamment de Roger Martin du Gard, cf. supra, p. 34.
115 Lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 10 mars 1933, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 261.
116 Cf. lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 21 mars 1933, in ibid., p. 264. L’Association des écrivains et artistes révolutionnaires avait été fondée en 1932. A cette réunion du 21 mars 1933, qui « avait été motivée par les événements d’Allemagne, par les conséquences de l’avènement au pouvoir du parti nazi », Gide était entouré d’André Malraux, d’Eugène Dabit, de Jean Guéhenno, du professeur Wallon et de Paul Vaillant-Couturier (André Gide, Littérature engagée, op. cit., p. 20).
117 Cf. Ibid., pp. 337-338.
118 Jean Guéhenno, Conversion à l’humain, op. cit., pp. 62-63.
119 Lettre d’André Gide à Roger Martin du Gard, 25 mars 1934, in André Gide-Roger Martin du Gard, Correspondance, op. cit., p. 608.
120 Jean Guéhenno, Journal d’un homme de 40 ans, op. cit.,p. 53.
121 Sur les préoccupations sociales de Gide à l’époque, cf. Littérature engagée, op. cit., p. 50.
122 Jean Guéhenno, « Les tricheurs », in « Notes de lectures », in Europe, 15 avril 1934, p. 568 et p. 571.
123 Lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 7 juin 1934, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 302. C’est nous qui soulignons.
124 Sur l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, cf. supra, n. 116.
125 « Ce 1er Congrès des Ecrivains de l’U.R.S.S. s’était tenu à Moscou, salle des syndicats, du 17 août au 1er septembre 1934 ; y avaient assisté quatre écrivains français : André Malraux, Jean-Richard Bloch, Paul Nizan et Vladimir Pozner. » (Yvonne Davet, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., p. 53).
126 André Gide, « Littérature et révolution », in ibid., p. 58.
127 Lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 28 octobre 1934, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 315.
128 Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. II, op. cit., 23 octobre 1934, p. 412.
129 Cf. ibid., 31 octobre 1934, p. 417.
130 L’Union pour la Vérité, fondée par Paul Desjardins et dirigée par Georges Guy-Grand, organisait régulièrement des entretiens publics et contradictoires. Le 26 janvier 1935, par exemple, l’un des débats avait eu pour thème : « André Gide et notre temps », débat auquel Guéhenno avait bien sûr assisté (cf. Yvonne Davet, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., p. 63).
131 Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. II, op. cit., 8 juin 1935, p.451.
132 Le « dernier livre » de Guéhenno auquel Maria Van Rysselberghe fait ici allusion est le Journal d’un homme de 40 ans (op. cit.) qui porte en effet cette phrase de Hugo en exergue.
133 Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. II, op. cit., 8 juin 1935, pp.451-452.
134 Lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 16 juin 1935, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 345.
135 Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, 1918-1951, vol. II, op. cit., 8 juin 1935, p.452.
136 Ibid., 9 juin 1935, pp. 452-453.
137 Lettre de Jean Guéhenno à Romain Rolland, 16 juin 1935, in L’Indépendance de l’esprit, op. cit., p. 345.
138 Jean Guéhenno, « Appel au poète d’aujourd’hui », in Entre le passé et l’avenir, op. cit., p. 247 ; toutes nos citations seront faites d’après ce volume dans lequel a été recueilli cet article qui avait été publié dans Europe, Numéro spécial consacré à Victor Hugo à l’occasion du cinquantenaire de sa mort, 15 juin 1935, pp. 100 [252] – 113 [265], Jean Guéhenno lui-même avait reproduit son « Appel au poète d’aujourd’hui » dans Jeunesse de la France, Paris, Grasset, 1936, pp. 181-198.
139 Jean Guéhenno, « Appel au poète d’aujourd’hui », op.cit., pp. 247-248.
140 Ibid., p. 248.
141 Ibid., p. 256. A la question : « Quel est votre poète ? » posée par L’Ermitage, Gide avait répondu : « Hugo, – hélas ! » (L’Ermitage, février 1902, p. 109).
142 Jean Guéhenno, « Changer la vie », in Marianne, 12 juin 1935, p. 4. Guéhenno reprendra le titre de cet article pour en faire celui d’un de ses ouvrages : Changer la vie. Mon enfance et ma jeunesse, Paris, Grasset [1961], 1962.
143 Jean Guéhenno, « Changer la vie », op. cit., p. 4.
144 Id.
145 Seul Malraux donne quelques signes d’espoir que Guéhenno se plaît d’ailleurs à relever en déclarant : « Entre l’exaltation de ce qui rend différent et la volonté de communion, Malraux choisit la volonté de communion comme le principe de son art. » (Id.). Guéhenno conclut même de façon prophétique : « Malraux choisira un jour ses héros parmi les hommes de la bande. Je lui sais un sens assez vif de la fraternité pour cela, et je garantis qu’il écrira ce jour-là son plus grand livre » (id.) – L’Espoir (1937) devait donner raison à Guéhenno.
146 Ce Congrès s’est tenu à Paris, à la Mutualité, du 21 au 25 juin 1935, à l’initiative d’écrivains français, parmi lesquels : Alain, Aragon, Henri Barbusse, J.-R. Bloch, Jean Cassou, André Chamson, Eugène Dabit, André Gide, Jean Giono, Jean Guéhenno, Louis Guilloux, René Lalou, André Malraux, Paul Nizan, Romain Rolland, Andrée Viollis. (Cf. Yvonne Davet, in André Gide, Littérature engagée, op. cit., pp. 82-83).
147 André Gide, « Allocution d’ouverture », 21 juin 1935, in ibid., p. 84.
148 Cf. supra, chap. 1, p. 14 et n. 17.
149 André Gide, « Allocution d’ouverture », op. cit., p. 84.
150 André Gide, « Défense de la culture », 22 juin 1935, in Littérature engagée, op. cit., p. 85 (toutes les citations seront faites d’après ce volume). Le texte de ce discours avait été publié dans Marianne (26 juin 1935, p. 1 et p. 4).
151 André Gide, « Défense de la culture », op. cit., p. 86.
152 Ibid., p. 88.
153 Ibid., p. 89.
154 Ibid., p. 91.
155 Jean Guéhenno, Journal d’une « Révolution », 1937-1938, op. cit., p. 32.
156 André Gide, « Défense de la culture », op. cit., p. 92.
157 Ibid., pp. 95-96.
158 André Gide, Journal 1889-1939, op. cit., 3 août 1935, pp. 1231-1232.
159 Jean Guéhenno, Journal d’une « Révolution », 1937-1938, op. cit., 5 août 1937, p. 32.
160 Jean Guéhenno, « Le dernier sage », in « Notes de lectures », in Europe, 15 décembre 1935, p. 555.
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