Le manuscrit d’Arras (BM, MS. 845) dans la tradition des manusctits enluminés du Pèlerinage de l’âme en vers : spécificités iconographiques et milieu de production
p. 331-347
Texte intégral
1La question d’une tradition iconographique propre au Pèlerinage de l’âme n’a pas vraiment fait jusqu’ici l’objet de recherches spécifiques. Souvent éclipsée par l’étude du Pèlerinage de vie humaine, l’enluminure de ce second opus de la trilogie du moine de Chaalis mérite pourtant une attention soutenue. Ce riche corpus, composé de quarante-neuf manuscrits, dont vingt-neuf sont enluminés, propose une grande diversité dans la richesse de l’enluminure, allant d’un simple frontispice pour unique illustration à des cycles complexes de plus de quatre-vingt-dix miniatures. S’interroger sur la typologie des cycles enluminés du Pèlerinage de l’âme nous engage tout d’abord à dresser une cartographie de ce corpus, c’est-à-dire à mettre en relation les lieux de création, la datation et les cycles enluminés afin d’en dégager les grandes caractéristiques. Par ailleurs, il faut préciser, lorsqu’il est copié indépendamment des autres Pèlerinages, s’il bénéficie de cycles enluminés et si leur richesse est tributaire des cycles du Pèlerinage de vie humaine. Enfin, en l’absence d’un stemma textuel, nous devons tenter de constituer des familles de manuscrits en nous appuyant sur leur provenance et en dégageant leurs similitudes iconographiques.
2La question de la typologie des cycles enluminés couvre donc un large champ d’investigation. Dans cet article, nous commencerons par présenter les premières conclusions de notre recherche et les différentes familles de manuscrits que nous avons pu isoler. Puis nous nous pencherons sur l’étude d’un cycle particulier, conservé dans le manuscrit 845 de la bibliothèque municipale d’Arras. Ce volume originaire du Hainaut ou de l’Artois, datant de 1400, possède plusieurs particularités dont celle de conserver, en plus des trois Pèlerinages, dix autres textes ou poèmes moraux, et celle d’octroyer une place prépondérante à l’allégorie de l’arbre sec et de l’arbre vert ainsi qu’au personnage de Doctrine dans le cycle iconographique du Pèlerinage de l’âme. Enfin, madame Anne-Marie Legaré nous proposera, à partir de l’étude du cycle iconographique consacré à l’arbre vert et l’arbre sec, une réflexion autour du milieu qui a pu en favoriser l’amplification.
Etat de la recherche
3Le premier objectif de notre recherche a été d’inventorier les différents manuscrits enluminés du Pèlerinage de l’âme afin de cerner l’ampleur des cycles iconographiques, leur évolution et de mettre en évidence quelques caractéristiques de ce corpus.
4Ce catalogage révèle, d’une part, que 63 % des manuscrits conservant une copie de ce poème sont enluminés2 ; parmi eux, 34 % bénéficient d’un cycle iconographique de plus de cinquante miniatures, et 13 % proposent des cycles comprenant entre vingt et cinquante miniatures. D’autre part, cette étude démontre que les cycles iconographiques les plus riches du Pèlerinage de l’âme sont contenus dans les manuscrits conservant la trilogie des Pèlerinages3. L’importance de l’enluminure du second poème est concomitante de celle du Pèlerinage de vie humaine. Ainsi, les cycles les plus conséquents du second poème existent lorsque le premier bénéficie d’une illustration prospère, et il est intéressant de noter que nous n’avons dénombré aucun Pèlerinage de l’âme qui soit enluminé plus richement que le Pèlerinage de vie humaine.
5Les premières copies illustrées du Pèlerinage de l’âme se développent à partir de 1370-1380. La mise en image de ce poème est donc assez tardive par rapport à celle du Pèlerinage de vie humaine, presque immédiatement disponible après la parution de la première rédaction en 1330-13314. L’essor des cycles richement enluminés coïncide avec la période de production la plus dynamique de la trilogie vers 1390-1410. Durant cette période, 70 % des programmes de plus de cinquante miniatures du Pèlerinage de l’âme ont vu le jour. Peu de copies du poème furent enluminées après 1440.
6Enfin, nous avons pu constater que 68 % des Pèlerinage de l’âme enluminés sont des productions parisiennes, et que pour 36 % de ces manuscrits, un cycle iconographique important était prévu. La réalisation de l’enluminure des autres manuscrits se partage entre le milieu hainuyer pour quatre d’entre eux, et la Provence, la Bretagne et l’Anjou, chacun comptant un seul manuscrit.
7Afin d’établir une typologie des programmes iconographiques parisiens, nous avons, en prolongeant les intuitions de Michael Camille5, regroupé plusieurs manuscrits par familles stylistiques ou iconographiques, dont nous détaillons ici les deux ensembles parisiens les plus conséquents.
8Le premier ensemble se compose de deux manuscrits conservant le même programme iconographique et proposant le plus ancien cycle de plus de quatre- vingt-dix miniatures. Tous deux sont des copies de la trilogie des Pèlerinages. Ils furent réalisés dans le même atelier à Paris vers 1390 ; ils sont conservés, pour l’un, à la bibliothèque Sainte-Geneviève (ms. 1130) et, pour l’autre, à la Bibliothèque nationale de France (fr. 9196). À ces deux manuscrits, il convient d’associer un troisième volume ayant appartenu à Charles VIII, aujourd’hui dans le fonds français de la BNF, sous la cote fr. 376. Ce manuscrit plus tardif, réalisé vers 1425-1450 en Bretagne6, est une copie à l’identique du volume de Sainte-Geneviève. La décoration, l’écriture et le style des miniatures sont si bien imités que Paulin Paris le data de la fin du xive siècle7. Nous ignorons à l’heure actuelle de quelle façon le manuscrit de la bibliothèque de Sainte-Geneviève fut accessible aux enlumineurs et aux copistes du manuscrit fr. 376. Le programme de ce premier ensemble du Pèlerinage de l’âme comporte quatre-vingt-treize miniatures8. Les enluminures suivent les étapes de la narration du Pèlerinage et scandent les temps forts du récit. Une grande place est accordée au jugement de l’âme avec cinquante-sept miniatures (soit 59 % du cycle). Dix enluminures sont consacrées aux prières de l’âme pour son salut. Ce développement est unique, par rapport aux autres manuscrits qui, lorsqu’ils sont enluminés, ne consacrent qu’une ou deux miniatures à cet épisode.
9La partie suivante du poème, décrivant le temps passé au purgatoire, est dotée de dix miniatures. Chaque temps fort du récit est introduit par une enluminure, comme nous pouvons le voir dans la série d’exempla, lors de la visite de l’enfer où chaque vice est représenté, ou bien pour l’allégorie de l’arbre sec et de l’arbre vert. Une des deux miniatures de l’allégorie des deux statues est insolite (cf. cahier d’illustrations, fig. 35). Elle représente Daniel expliquant à Nabuchodonosor son songe. Cet épisode n’est pas illustré dans les autres manuscrits du corpus, dans lesquels on a préféré faire porter le choix iconographique sur l’histoire du Chevalier et de Libéralité. Enfin, la dernière partie du cycle se clôt par trois miniatures de la vision du paradis, puis par Adam et Eve au pied de l’arbre de la connaissance d’où jaillit un rameau sec.
10Cette première série propose donc une illustration complète du poème et nous retrouvons nombre de caractéristiques de ce programme dans les volumes parisiens. Il ne s’agit pourtant pas d’un archétype, mais ce cycle pose les bases d’une tradition iconographique. Nous poursuivons actuellement nos recherches afin de comprendre quelle fut la diffusion de ce programme.
11La deuxième famille rassemble quatre manuscrits issus de l’atelier parisien du Maître des Pèlerinages du duc de Berry, un artiste étudié par Millard Meiss9 qui lui a donné ce nom de convention. Le premier codex, réalisé vers 1390, est conservé à la BNF sous la cote fr. 377. Le second, réalisé vers 1400, est le manuscrit Additional 38120 de la British Library de Londres. Le troisième, daté de 1403 par le colophon, est conservé sous la cote fr. 1647 à la BNF. Le dernier manuscrit, ayant appartenu au duc de Berry et datant de 1400-1405, est le manuscrit fr. 829 de la BNF.
12En étudiant ces quatre exemplaires du Pèlerinage de l’âme, nous avons isolé de nombreuses particularités iconographiques. Trois d’entre eux conservent un frontispice construit sur le même modèle (cf. cahier d’illustrations, fig. 36). Celui-ci est en deux parties, avec à gauche Guillaume de Digulleville prêchant, et à droite l’âme s’échappant du corps du pèlerin. Dans les autres manuscrits parisiens, la miniature introductive représente soit le moine endormi, soit l’âme s’échappant du corps. L’iconographie de l’auteur prêchant, associée au Pèlerinage de vie humaine, n’est pas reconduite pour le deuxième Pèlerinage. Le personnage allégorique de Syndérèse offre aussi une iconographie propre à cet atelier. Syndérèse est affublée d’un corps de serpent, conformément à la description du moine de Chaalis, alors que dans les autres manuscrits parisiens, elle est figurée sous les traits d’une femme laide avec un corps de serpent à la place des cheveux ou avec une langue fourchue. De même, dans tous ces codices, l’âme, durant son pèlerinage, est représentée avec les pieds dans les flammes. Cette iconographie est propre aux manuscrits produits dans l’atelier du Maître des Pèlerinages du duc de Berry.
13Pourtant, il existe des disparités entre ces cycles enluminés. Par exemple, dans le manuscrit fr. 377, l’âme avec son bourdon est représentée seule depuis la sentence jusqu’à l’épilogue, alors que dans le manuscrit fr. 829, elle porte son fagot de péchés et est accompagnée de son ange. De même, les miniatures du cycle de l’enfer ne sont pas construites sur le même modèle dans les deux manuscrits. Comparons le supplice des envieux dans les deux manuscrits : dans le premier, l’âme regarde un diable torturer trois damnés pendus, et le sol est représenté de façon conventionnelle par une bande verte (cf. cahier d’illustrations, fig. 37). Tout change dans le second : l’âme n’est pas présente, l’espace est encadré par deux démons suppliciant quatre damnés pendus, et le sol est totalement embrasé (cf. cahier d’illustrations, fig. 38).
14En outre, nous avons remarqué des divergences dans les programmes iconographiques. La venue de Prière n’est traitée que dans le plus ancien et le plus récent manuscrit, respectivement les manuscrits fr. 377 et fr. 829. Le manuscrit fr. 829 offre, quant à lui, un cycle inédit avec six enluminures pour l’allégorie du Chevalier et de Libéralité contre une à deux dans les autres volumes parisiens. De même, ce manuscrit propose un développement de quatorze miniatures sur la vision du paradis et du calendrier céleste, un parti que nous n’avons trouvé à ce jour dans aucun autre manuscrit proposant un tel programme.
15Ainsi perçoit-on, dans le même atelier, des variations iconographiques. Ce phénomène peut trouver plusieurs explications. On peut imaginer que les miniaturistes suivent les instructions du chef d’atelier, qui sont susceptibles de changer suivant la disponibilité du modèle, par exemple. Par ailleurs, les choix iconographiques des manuscrits sont dépendants du prestige et des goûts de leurs commanditaires. Ainsi, l’importance de l’allégorie politique des deux statues dans le manuscrit fr. 829 pourrait s’expliquer par le poids politique de son propriétaire, le duc de Berry. Enfin, le facteur temporel n’est pas à exclure de notre réflexion : nous ne sommes pas en présence d’une série de quatre copies réalisées à la suite : plusieurs années les séparent et l’évolution du style du maître y est visible, comme l’a démontré M. Camille10.
16La mise en relation du découpage du texte avec les passages enluminés de tous les manuscrits parisiens laisse apparaître l’existence d’une tradition iconographique avec des codes assez stables. Dans cette dernière, les thèmes et les représentations des protagonistes sont proches du texte. La première partie du Pèlerinage de l’âme bénéficie d’une plus grande attention. Dans la seconde partie, les exempla ainsi que les sévices de l’enfer sont chacun introduits par une miniature, alors que la troisième partie, plus abstraite, en conserve peu. Pour les cycles les moins enluminés, les passages importants du récit sont illustrés, comme la séparation de l’âme et du corps, les accusations de Justice et de Syndérèse, l’âme dans le feu du purgatoire, les exempla, une pendaison, le débat entre les deux arbres et Adam et Ève sous l’arbre de vie.
Le manuscrit 845 de la bibliothèque municipale d’Arras
17Quatre manuscrits originaires du Hainaut ou de l’Artois forment un groupe à part dans le corpus11. Tous conservent des cycles enluminés comportant des innovations iconographiques. Le manuscrit 845 de la bibliothèque municipale d’Arras, datant du début du xve siècle, a retenu plus particulièrement notre attention par ses particularités iconographiques et textuelles. Ce manuscrit, en bon état de conservation12, rassemble treize textes médiévaux contenant en plus de la trilogie des Pèlerinages un Commentaire sur les dix commandements en prose, les Sept articles de la foi, un poème sur la vanité, Les dis des morts et des vis, le Testament de Jean de Meun, Les dits des philosophes, la Consolation de philosophie, des extraits du Roman de la rose, une Doctrine aux simples gens, et un court dialogue entre « une dévote femme » et Dieu13. Ce recueil présente une unité sémantique forte visant à l’édification morale et religieuse de son lecteur. L’association de la trilogie de Guillaume de Digulleville avec autant de textes est exceptionnelle. Mis à part les poèmes religieux parfois juxtaposés à la trilogie, nous n’avons inventorié jusqu’à présent que quatre manuscrits associant les Pèlerinages à d’autres textes14. Ces volumes de faible qualité ne sont pas enluminés et ne proposent pas une richesse littéraire comparable à celle du manuscrit d’Arras.
18Le manuscrit d’Arras totalise deux-cent-quarante-quatre miniatures insérées dans les colonnes de texte15 et deux enluminures de frontispice en pleine page : au f. 74, introduisant le Pèlerinage de vie humaine et au f. 160v, introduisant le Pèlerinage de l’âme. Les autres textes se partagent six miniatures frontispices16 et cinq petites miniatures insérées dans une colonne de texte17.
19Le programme iconographique du Pèlerinage de l’âme, composé de soixante enluminures, se concentre principalement sur le jugement de l’âme. Celui-ci compte trente-quatre miniatures, soit plus de 56 % du cycle. Ce choix suit la tradition iconographique des manuscrits parisiens. Par comparaison, le manuscrit 1130 de la bibliothèque Sainte-Geneviève, conservant le cycle le plus étendu du jugement de l’âme, condense 59 % de ses enluminures pour cette partie. Cependant, le traitement de ces épisodes est différent dans les deux manuscrits. D’une part, dans celui d’Arras, une image type – saint Michel sonnant de la trompette (cf. cahier d’illustrations, fig. 39) – rythme la narration, alors que dans le manuscrit de Paris, chaque miniature est différente. D’autre part, le manuscrit hainuyer abrite une iconographie orpheline : les prières du moine devant la courtine aux f. 162, 163 et 165v (cf. cahier d’illustrations, fig. 40). Ce prototype iconographique s’appuie sur les vers 257-306, où l’âme est menée dans un « lieu resplandissant ; Et de lumière flamboiant » mais elle ne peut y entrer « car (s)a veüe obumbrée ; Fu d’une tresgrant courtine ; Qui sembloit noirre voirrine » (v. 302-304). La traversée du purgatoire est dotée de quatre miniatures. Comme dans les manuscrits parisiens, la scène de la venue de Prière et celle des dons des anges sont enluminés. Au f. 182v, une miniature présente une caractéristique unique : aux côtés de l’ange et de l’âme, un diable grimaçant s’insurge contre les dons et les grâces données aux pécheurs (cf. cahier d’illustrations, fig. 41). En outre, la série d’exempla sur terre ne fait pas l’objet d’illustration, alors que dans les manuscrits parisiens ces épisodes sont majoritairement enluminés. De même, la visite de l’enfer n’a pas retenu l’attention de notre miniaturiste. Cet épisode est introduit par une unique miniature : la vision du supplice des envieux.
20À l’inverse, l’allégorie de l’arbre sec et de l’arbre vert trouve un développement plus important dans le manuscrit d’Arras que dans la majorité des codices parisiens. Dans le volume artésien, cette histoire comporte six miniatures contre une à trois pour le corpus parisien. L’iconographie est assez classique : la première miniature représente trois pèlerins jouant avec une pomme sous l’arbre (cf. cahier d’illustrations, fig. 42), la seconde une scène de dialogue entre l’ange et l’âme (cf. cahier d’illustrations, fig. 43). Les troisième, quatrième et cinquième miniatures sont le théâtre des discours entre les deux arbres, l’arbre sec crucifère à gauche, et l’arbre vert à droite (cf. cahier d’illustrations, fig. 44, 45 et 46). Le cycle se clôt par une Crucifixion – épisode très fréquemment représenté dans les manuscrits parisiens.
21L’allégorie des tombes des Ânes comporte une enluminure à l’instar des volumes du corpus parisien. L’allégorie de Doctrine léchant une âme pour la parfaire et l’allégorie des deux statues méritent une attention plus soutenue. En effet, nous avons remarqué une perturbation unique de ces deux cycles : la figure de Doctrine apparaît dans les miniatures consacrées aux deux statues. Il est nécessaire pour comprendre cette particularité iconographique de revenir aux vers du moine de Chaalis. Dans un premier temps, l’auteur décrit Doctrine léchant une âme pour la parfaire. Suit une discussion sur les relations entre l’âme et le corps puis entre l’homme et Dieu. Dans un second temps, Guillaume de Digulleville explicite l’allégorie des deux statues : l’une vue en songe par Nabuchodonosor – c’est l’image du bon gouvernement, et la seconde, une statue équestre dressée en l’honneur du chevalier qui prouve l’usurpation d’Avarice, installée à la place de Libéralité comme compagne du roi. Dans un troisième temps, l’auteur conclut la deuxième partie du Pèlerinage et introduit le dernier acte : l’ascension au Paradis. Dans le manuscrit d’Arras, cet ordre est bousculé par l’ajout de dix-huit vers à la fin de l’allégorie des deux statues, dans lesquels Doctrine est nommée :
Aprés ce parlement finé
De ces estatues causé vers 8710 de l’éd. Stürzinger
Prins congiet a dame Doctrine,
Qui est moult necessaire et digne
De cascun tresbien adviser
Comment il se doit ordener
Et bien vivre et bien morir
Par bien faire et le mal fuyr,
Mais qu’on ait vraye carité
Q’est ditte chiere unité
C’est d’amer Dieu et sen prochain.
Ainsy a on bien souverain,
C’est le glore de paradis –
Que Dieux doinst az mors et az vis ! –
De lequel glore vous parleray
Quand. I. peu reposé seray
Et en feray concluzion
Brieve sans faire lonc sermon,
Car nulz n’en porroit penser
Le centisme n’ymaginer.
A mon propos je m’en revien. vers 8711 éd. Sturzinger
22L’image de Doctrine est introduite dans les miniatures traitant de l’allégorie des deux statues aux f. 202 et 208 (cf. cahier d’illustrations, fig. 47) et en conclusion de ces allégories au f. 210. Alors que l’allégorie de Doctrine léchant une âme bénéficie d’une unique miniature dans les cycles parisiens, dans le manuscrit d’Arras elle est présente dans cinq enluminures. Ce développement est le plus conséquent que nous ayons relevé.
23La dernière partie du Pèlerinage, contenant la description du paradis, n’a pas donné lieu à des développements iconographiques. Deux miniatures seulement illustrent cet épisode dans le manuscrit. L’une possède une iconographie assez classique : la vision de la Jérusalem céleste dans les cieux, avec des oiseaux chantant la gloire du Christ. L’autre décrit le couronnement du Pèlerin (cf. cahier d’illustrations, fig. 48), image assez rare que retiennent deux manuscrits parisiens18 ainsi que deux autres codices originaires de l’Artois ou du Hainaut19. La majorité des volumes du corpus parisien présentent Adam et Ève sous l’arbre de vie.
24Résumons : le programme iconographique du Pèlerinage de l’âme d’Arras privilégie les débats pour le jugement de l’âme, les images du discours entre l’arbre sec et l’arbre vert habité par Virginité ; il réduit – par rapport aux cycles parisiens – les images effrayantes de l’enfer et accorde une importance unique au personnage de Doctrine. Ce cycle iconographique est proche du texte, à preuve la courtine qui trouve dans ce volume sa seule illustration. De même, l’ajout de dix-huit vers sur Doctrine influe sur la composition des miniatures de l’allégorie des deux statues. Enfin, nous tenons à souligner la présence d’une numérotation médiévale des enluminures des Pèlerinages. La question de cette numérotation n’a pas encore été éclaircie. Nous ignorons si ce programme est une copie d’un cycle déjà existant ou au contraire un possible modèle pour d’autres manuscrits. L’absence de programmes identiques ou très proches de ce cycle iconographique ne nous permet pas de résoudre cette question pour le moment.
25L’étude du programme iconographique du recueil artésien nous invite à nous interroger sur l’identité et sur le milieu culturel de son propriétaire. Malheureusement, nous ne possédons pas de marque de propriété avant celle de Cornille Queval au xvie siècle. Ce dernier a inscrit au recto du premier feuillet la liste de ses dix-sept enfants dont l’aînée, Gillette, est née en 1553. Nous pouvons néanmoins soumettre quelques pistes de réflexion.
26La première plaiderait en faveur d’un recueil à l’usage d’une femme. Cette hypothèse s’appuie, d’une part, sur la diversité des textes d’édification morale, en particulier le « Discours entre une dévote femme et Dieu20 », et, d’autre part, sur les choix iconographiques. Ceux-ci peuvent-ils être le reflet d’une culture féminine, privilégiant l’éducation morale, les figures de Virginité ainsi que celle de Doctrine, et supprimant les représentations des vices et de l’enfer ? Cependant, cette hypothèse n’est pas corroborée par l’étude du manuscrit Manchester, Rylands Library, fr. 2. Ce dernier, produit à Paris au début du xve siècle, fut transmis de tante à nièce et comporte un cycle de l’enfer très développé. Nous ignorons à l’heure actuelle si Marguerite Grandrem, première propriétaire attestée, fut la commanditaire de ce codex.
27Le second axe de notre recherche s’enracine dans l’étude croisée de la localisation de l’atelier de création du manuscrit et des partis pris iconographiques21. Dans ses travaux, M. Camille22 lie les miniatures de ce manuscrit au groupe Ci Nous Dist, actif dès la fin du xive siècle à Tournai23, en s’appuyant sur les ressemblances stylistiques entre les personnages des deux manuscrits, les initiales et les décorations des bordures marginales. Consultée sur le lieu de production de ce codex, Dominique Deneffle a mis à jour les concordances plastiques entre le manuscrit d’Arras et l’atelier d’enlumineurs pré-eyckiens Aux baldaquins roses. Ce groupe d’enlumineurs, actif à Bruges vers 1390-1400, a été étudié par le regretté Maurits Smeyers et par Bert Cardon24. D’après Dominique Vanwijnsberghe, les autres enluminures du volume, notamment les frontispices – avec leurs lignes étirées et les compositions très frontales – ne répondent ni aux caractéristiques de l’art brugeois, ni à celles de l’art tournaisien. Il ne faut donc pas conclure hâtivement que ce manuscrit fut produit à Bruges, ni même à Tournai mais plutôt l’inscrire plus prudemment et, par conséquent, plus largement dans la production enluminée artésienne ou hainuyère des alentours de 1400. Cependant, il existe bien dans le manuscrit d’Arras une résonance de l’art de l’enluminure de Bruges. Cette influence brugeoise va-t-elle jusqu’à se manifester dans les choix iconographiques du manuscrit d’Arras ? Le milieu intellectuel de Bruges où s’est développée la Confrérie de Notre-Dame de l’Arbre Sec peut-il être mis en corrélation avec l’extension du cycle consacré à l’allégorie de l’arbre vert et de l’arbre sec qui comprend six miniatures au lieu des deux ou trois habituelles ?
L’épisode de l’arbre vert et de l’arbre sec
28L’épisode de l’arbre vert et de l’arbre sec du Pèlerinage de l’âme intervient une fois le Pèlerin ramené sur terre par son ange gardien, après la visite des quatre régions du purgatoire et de l’enfer. Plus de onze cents vers sont consacrés à cette histoire dont le but est, comme l’a bien résumé E. Faral, « d’expliquer comment le bois mort de la Croix a pris sa force vivifiante pour tous les fidèles qui l’adorent25 ». L’arbre vert « delictable de grant verdeur » est un pommier issu d’un pépin de la pomme du péché originel, sur lequel Dieu avait greffé une branche de l’arbre de Jessé – symbole de la naissance du Christ rédempteur. L’arbre sec est le fils de l’arbre de paradis, spolié par Adam, qui avait fourni le bois de la croix – symbole de la Passion du Christ. Sous les deux arbres jouent un groupe de pèlerins avec une pomme (cf. cahier d’illustrations, fig. 42). Tout pèlerin rencontre des difficultés sur son chemin, explique l’ange gardien (cf. cahier d’illustrations, fig. 43), et il trouve consolation, ainsi qu’un enfant, en jouant aussi longtemps qu’il le souhaite avec cette pomme, source de réconfort lui permettant d’oublier toutes les douleurs, jusqu’à celles du purgatoire. Cette pomme n’est pas ordinaire : fruit unique de l’arbre vert, elle passera miraculeusement sur l’arbre sec afin de remplacer celle qu’Adam avait arrachée en péchant. Elle symbolise le rachat de l’humanité par le Christ. Suit une longue explication sur l’origine des deux arbres que Guillaume de Digulleville élabore en s’appuyant sur la légende du bois de la croix, elle-même puisée dans un apocryphe célèbre au Moyen Âge, intitulé la Pénitence Adam. Puis Justice s’adresse à Virginité, assise dans l’arbre vert et tenant une fleur de pommier d’un blanc éclatant (cf. cahier d’illustrations, fig. 44). Virginité veille sur l’arbre vert et son fruit. Justice lui demande de lui donner ce fruit pour le placer sur l’arbre sec, car sans ce transfert, explique-t-elle, le péché d’Adam ne sera jamais pardonné. Avant d’accepter, Virginité demande aux deux arbres de s’exprimer (cf. cahier d’illustrations, fig. 45). Une longue « altercation piteuse entre l’arbre vert et l’arbre sec » donne lieu au rappel du débat entre Dieu, le Christ et le Saint-Esprit sur les moyens de sauver l’humanité et à une lamentation de la Vierge sur la mort de son fils. Ce passage s’achève sur les explications des bienfaits de la pomme – image de Jésus – pour l’humanité. La tradition littéraire médiévale du motif de l’arbre sec remonte à l’épisode biblique de la visite de Seth à la porte du paradis où il voit un arbre sec et reçoit de l’ange un rameau qui, une fois planté sur la tombe de son père, deviendra l’arbre de la croix du Christ26. Véhicule de ce motif, la légende du bois de la croix, débutant par l’épisode de la visite de Seth, fut accessible en français dès le xiiie siècle par le biais de la Pénitence Adam. On le retrouve également dans l’Image du monde de Gossuin de Metz, le Livre de Sydrac, la Bible historiale de Guiart des Moulins et d’autres bibles rimées. Il apparaît en outre en contexte littéraire profane dans le Jeu de saint Nicolas, composé à Arras entre 1189 et 1202 par Jean Bodel, où il est fait allusion à un végétal qui, au moment de la mort du Christ, se serait desséché. Diverses versions de la Continuation Perceval pointent vers l’arbre du paradis aux mille bougies dans lequel se tient un enfant avec une pomme, image de l’enfant-Christ, lumière du monde.
29Au xive siècle, l’arbre sec du paradis apparaît dans d’autres textes profanes comme Renart le Contrefait ou le Miroir des Histoires de Jean d’Outremeuse mais c’est Guillaume de Digulleville qui développera le plus amplement ce thème. Le motif de l’arbre sec est alors bien ancré dans l’imaginaire médiéval religieux et laïc, au point d’apparaître dans l’expression « jusqu’à l’arbre sec », courante au xive siècle, pour désigner un endroit inatteignable, situé au bout du monde. Thème déjà familier au xiiie siècle, il passe donc tout naturellement dans le langage populaire du xive siècle.
30Comme le souligne J. van der Meulen27, l’arbre sec n’est pas n’importe quel arbre pour l’homme du Moyen âge. La diffusion du thème fut très large en France et en Flandres, notamment à Bruges. On reconnaît, par exemple, l’influence du Pèlerinage de l’âme dans le Beaudoin de Sébourg du cycle de la Croisade, destiné à un public brugeois28. Rappelons que c’est aussi à Bruges que fut instituée, à une date inconnue, mais avant 1396, la Confrérie de Notre-Dame de l’Arbre Sec29.
31Outre le Pèlerinage de l’âme, qui demeure la source la plus importante du thème de l’arbre sec, il existe un opuscule intitulé Del arbre seck ouquel est senefiiés li estas de l’home et de la vie30 qui aborde l’arbre sec d’une manière originale et peu banale. Dans ce texte, les branches de l’arbre sec sont, « a parler espirituellement », les vertus qui se transforment en vices, à force d’avoir été pratiquées avec trop de ferveur et de témérité31. Ainsi, l’humilité devient pusillanimité, l’amour luxure, la tempérance sottise, la largesse prodigalité, la chasteté déloyauté et l’abstinence malheur32. Le public à qui s’adresse ce sermon doit en tirer une leçon morale : l’excès d’austérité ou d’obéissance aux impératifs des vertus peut entraîner leurdérèglement et priver le bon chrétien de la vie éternelle. E. Brayer a reconnu cet opuscule dans six manuscrits dont cinq33 contiennent en combinaison la Somme le Roi et le Miroir du Monde, d’où leur désignation sous le titre de Somme-Miroir34. L’éclosion, sous l’impulsion de Charles V, de ces traités en prose, répond au goût des lecteurs du xive siècle pour les recueils didactiques et notamment pour les traités sur les vices et les vertus, dont le plus copieux était consigné dans la Somme le Roi35.
32L’opuscule de l’Arbre Sec est également présent au début d’un livre d’heures composite, à usage indéterminé, que conserve aujourd’hui la bibliothèque municipale de Lille (ms. 8336). Destinés probablement à une béguine de la région de Maubeuge-Hautmont-Soignies37, les différents textes de ces Heures présentent des caractéristiques lexicales et phonétiques de la Flandre et du Hainaut qui ont amené J. C. Lemaire à conclure qu’elles furent peut-être copiées « dans la région formée par le triangle Mons, Tournai, Douai38 ». Les Heures de la Vierge sont ponctuées d’un cycle de miniatures en grisaille qui se rattache au style « pré-eyckien » de l’enluminure artésienne ou hainuyère autour de 140039. Sans provenir du même atelier que le Pèlerinage de l’âme d’Arras, les Heures de Lille s’y rattachent pourtant par leur proximité stylistique et iconographique. Les deux manuscrits, qui sont contemporains, ont sans doute été produits dans la même aire géographique, entre l’Artois et le Hainaut. Malgré les différences de mains et de techniques, on sent bien une communauté d’esprit dans le style ondulant des drapés, la facture simplifiée des visages et la composition dépouillée des représentations. On comparera utilement les miniatures du Christ devant Pilate40 (cf. cahier d’illustrations,fig. 49 et 50), du Portement de croix (cf. cahier d’illustrations, fig. 51 et 52) et de la Déposition (cf. cahier d’illustrations, fig. 53 et 54) qui se font écho d’un manuscrit à l’autre. À ces nombreux indices de localisation, s’ajoute le fait non négligeable que les cinq Somme-Miroir contenant l’opuscule présentent également des éléments pointant vers le nord de la France ou les Pays-Bas du sud. Nous avons là un faisceau de manuscrits qui attestent de la prégnance du motif de l’arbre sec dans la littérature didactique et moralisatrice circulant dans les provinces bourguignonnes du nord. Que le cycle iconographique du Pèlerinage de l’âme d’Arras ait été amplifié n’a rien pour étonner dans un tel contexte.
33Émilie Fréger a suggéré plus haut que le manuscrit d’Arras avait peut-être été écrit pour une femme. Pour le moment, il est impossible de mieux circonscrire le milieu féminin dans lequel il a pu circuler. Pourrait-il, lui aussi, avoir été réservé à la lecture d’une communauté de béguines vivant dans le sud-est du diocèse de Cambrai ? Avant de proposer des éléments de réponse, il faudra faire de plus amples recherches sur les autres textes réunis dans le manuscrit arrageois. Ces recherches ne peuvent non plus se limiter au contexte brugeois (et masculin) de la célèbre Confrérie de Notre-Dame de l’Arbre Sec, mais être plus largement axées sur d’autres milieux encore mal connus comme les nombreuses communautés de béguines – à Maubeuge, à Valenciennes, à Tournai41… – ce qui pourrait nous amener à mieux évaluer leur contribution à la diffusion du thème de l’arbre sec dans le nord de la France.
34Ce tour d’horizon des familles de manuscrits enluminés du Pèlerinage de l’âme nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur ce corpus, et d’en dresser une première « cartographie ». Produits majoritairement à Paris, les manuscrits illustrés de ce poème apparaissent assez tardivement, vers 1370-1380, soit plus de vingt ans après les premières copies enluminées du Pèlerinage de vie humaine. Le nombre de volumes de ce second poème atteint son apogée entre 1390 et 1410, avec l’essor des exemplaires de la trilogie des Pèlerinages. Rappelons que la richesse des cycles enluminés de ce second opus est dépendante de celle de son aîné, le Pèlerinage de vie humaine.
35Bien qu’incomplète, l’analyse par famille de manuscrits laisse entrevoir l’existence d’une tradition iconographique. Les codes de représentation utilisés et les épisodes illustrés sont assez stables. Les variations à partir d’un même thème s’expliquent souvent par la présence de différentes familles iconographiques. Par exemple, les Pèlerinages issus de l’atelier du Maître des Pèlerinages du duc de Berry proposent un frontispice en deux parties – le moine prêche, puis la séparation de l’âme et du corps (notons que le motif du moine prêchant est un archétype des frontispices du Pèlerinage de vie humaine, qui a certainement servi de modèle à l’élaboration de la miniature du Pèlerinage de l’âme). Dans les autres manuscrits, seul l’épisode de la séparation de l’âme et du corps est représenté. Autre exemple, pour certains cycles un thème en relation avec le commanditaire est amplifié, tel le développement de l’allégorie politique dans le manuscrit du duc de Berry (Paris, BNF, fr. 829).
36Partant de l’épicentre bibliophilique français, la diffusion de l’œuvre du moine de Chaalis a bien dépassé les limites géographiques de Paris. Nous avons établi un deuxième corpus de quatre manuscrits hainuyers42, dont nous avons présenté ici le bel exemplaire d’Arras. L’étude de la tradition iconographique de cette famille et plus particulièrement du volume artésien met en avant la diffusion des modèles parisiens. Toutefois, il semble que certaines particularités iconographiques soient propres à chaque exemplaire et à son aire de création. Les nombreuses adaptations iconographiques complexes présentes dans le manuscrit d’Arras sont à mettre en corrélation avec des courants de pensée et la diffusion de certains motifs iconographiques, comme celui de l’arbre sec.
37La cohérence du groupe des manuscrits hainuyers réside de facto dans le jeu entre tradition et innovation des programmes. Chaque volume présente en effet des caractéristiques uniques. Dans le manuscrit d’Arras, Doctrine est mise en avant, et le cycle de l’enfer est relégué au second plan. Dans celui de Bruxelles (ms. 10176-10178), l’enfer se voit doté de grandes miniatures effrayantes, et la troisième partie du poème bénéficie d’une iconographie orpheline, une Psychomachie pour les fêtes de l’Annonciation. Le manuscrit fr. 828 de la BNF conserve quant à lui un cycle de seize miniatures, contenant des particularités iconographiques comme le coussin apporté par Prière ou le sein nu de Miséricorde. Dans le dernier manuscrit de ce corpus, (Paris, BNF, fr. 1138), le style particulier, vivant et incisif, va de pair avec une enluminure novatrice condensant plusieurs épisodes au sein d’une unique miniature ou proposant des dispositifs scéniques inédits. Le point commun de cette famille est précisément l’innovation à partir d’une tradition, la réinvention de la mise en scène, à l’image de la miniature de l’âme en prière devant la courtine ou de Doctrine qui perturbe les enluminures de l’allégorie des deux statues dans le volume d’Arras.
38Notre recherche pose les bases d’une étude de plus grande ampleur. Pour éclairer les nombreux mystères qui entourent les particularités sémantiques et iconographiques de ces manuscrits, il nous faudra étudier la diffusion d’autres textes moraux dans ces comtés, ainsi que la diffusion des images infernales ou du purgatoire dans la peinture et la sculpture afin de mieux saisir leur contexte de création. Nous devrons également étudier plus minutieusement les cycles parisiens, et mettre en relation les choix iconographiques des Pèlerinage de l’âme avec les programmes des Pèlerinages auxquels il est associé. Par ailleurs, nous réfléchirons aux modèles qui ont pu servir à l’élaboration des images de ce poème, en nous penchant en particulier sur l’illustration de la littérature des Voies de l’au-delà. Après avoir établi la tradition iconographique des programmes du second poème du moine de Chaalis, il faudra nous interroger sur la transmission de celle-ci aux enluminures des manuscrits conservant une version en prose, en latin et en anglais de ce poème. Il conviendra de porter une attention particulière à la réception de ce poème dans les milieux féminins43 et à l’adaptation de l’iconographie pour ceux-ci.
Notes de bas de page
2 Quatre sont dotés d’un unique frontispice ; quatre conservent entre vingt et cinquante miniatures ; dix contiennent plus de cinquante miniatures ; sept n’ont pas reçu la décoration et les enluminures prévues.
3 Soit huit manuscrits sur dix.
4 Le plus ancien exemplaire enluminé du Pèlerinage de vie humaine est daté de 1348 : ms. New York, Pierpont Morgan Library, M. 772.
5 Michael Camille, The Illustrated Manuscripts of Guillaume de Deguileville’s « Pèlerinages », 1330-1426. Thèse de doctorat inédite, Cambridge, 1985, 4 vol.
6 Ce manuscrit a appartenu à Charles VIII, comme le montrent les éléments héraldiques qui se trouvent sur les tranches et au f. 1 deux « S » que l’on peut prendre pour des « 8 » en rappel du rang de Charles VIII (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale, Paris, Imprimerie impériale, 1868-1881, t. I, p. 95-96) et sa devise « PLUS QU’AUTRE ». Par ailleurs, on trouve sur le même folio les armes de France et de Dauphiné, entourées du collier de l’ordre de Saint-Michel créé par Louis XI en 1469 : les armes sont soutenues par les deux anges emblématiques. Ce volume apparaît dès 1518 dans l’inventaire de Charles puis en 1544 dans l’inventaire de Fontainebleau. Ce manuscrit entra peut-être dans la collection de Charles VIII en 1491 lors de son mariage avec la duchesse de Bretagne. Cf. U. Baurmeister et M.-P. Laffitte, Des Livres et des rois : Bibliothèque royale de Blois, Paris, Bibliothèque nationale, 1992.
7 P. Paris, Les Manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, leur histoire et celle des textes allemands, anglois, hollandois, italiens, espagnols de la même collection, Paris, Techener, 1836-1848, t. III, p. 243.
8 La décoration du manuscrit 1130 de la bibliothèque Sainte-Geneviève est intégralement numérisée et accessible sur le site http://liberfloridus.cines.fr.
9 M. Meiss, French Painting in The Time of Jean de Berry, The Late Fourteenth Century and the Patronage of the Duke, London-New York, Phaidon, 1967, p. 251.
10 Michael Camille, The Illustraded Manuscripts of Guillaume de Deguileville’s « Pèlerinages », 1330-1426, op. cit., t. I, p. 207-210.
11 Mss Arras, bibl. municipale, 845 ; Bruxelles, Bibl. royale, 10176-10178 ; Paris, BNF, fr. 824 ; Paris, BNF, fr. 1138.
12 L’écriture est brunie par le temps et il existe quelques traces d’humidité. Il manque les feuillets initialement numérotés III, XI, XXII et deux folios entre les folios 19-20 et les folios 31-32. L’enluminure du f. 197v est découpée sur trois côtés.
13 Les incipits de ces textes ont été transcrits par Ernest Langlois dans son étude sur les manuscrits du Roman de la rose (E. Langlois, Les Manuscrits du Roman de la Rose : description et classement, Lille-Paris, Tallandier-H. Champion, 1910, p. 98-110.
14 Au cours de nos recherches, nous avons répertorié quatre autres manuscrits non enluminés conservant les œuvres du moine de Chaalis compilées avec d’autres textes :
– Paris, BNF, fr. 19186. Ce volume datant du xve siècle contient : f. 1 le Pèlerinage de vie humaine, f. 67 le Pèlerinage de l’âme, f. 129 Passio domini nostri Jhesu Christi, f. 143 La vie de monseigneur saint Denis en bref, f. 144 Ung ditier de saint Christophe prouffitable pour l’âme et le corps, f. 144v Ung bel dittier de Nostre Dame, f. 146 Note sur des evenements des années 1302-1417, f. 147 Livre du sage philo[so]phe Sidracd lequel nostre Seigneur voult emplir de toutes sciences en ce monde terrien.
– Paris, BNF, fr. 12463. Ce manuscrit datable du xve siècle contient : f. 1 le Pèlerinage de l’âme, f. 72 Vie et passion de monsieur Thomas, martir et archevesque de Canthorbie, f. 161v Quatrains en l’honneur de S. Thomas de Cantorbéry.
– Reims, bibl. municipale, 1276. Cet exemplaire datable de la fin du xive siècle contient : f. 1 le Pèlerinage de vie humaine, f. 85 le Pèlerinage de l’âme, f. 158 Les XII fruits de tribulation et adversité, f. 157 début du Pèlerinage de Jésus-Christ.
– Paris, bibl. de l’Arsenal, 3647. Ce manuscrit datable du xve siècle contient : f. 1 Cy commence .I. livre nommé Flouret, en rimes, f. 43 le Pèlerinage de l’âme.
15 105 pour le Pèlerinage de vie humaine et 79 pour le Pèlerinage de Jésus-Christ.
16 f. 1v : Commentaire sur les dix commandements.
f. 2v : Commentaire sur les dix commandements.
f. 157 : Les dis des morts et des vis.
f. 229v : enluminure de la Roue de la Fortune introduisant la Consolation de philosophie.
f. 250v : Le castel de ialousie, introduisant les extraits du Roman de la rose.
f. 274v : Doctrine aux simples gens
17 f. 230 : Boèce et dame Philosophie ; la Consolation de philosophie. Les miniatures des folios 251, 259, 262 et 271 sont rattachées aux extraits du Roman de la rose.
18 Mss Paris, BNF, fr. 377 et Paris, BNF, fr. 1647.
19 Mss Bruxelles, Bibl. royale, 10176-78 ; Paris, BNF, fr. 1138.
20 Ce poème fut transcrit par E. Langlois, et nous ne connaissons pas d’autres manuscrits le conservant. E. Langlois, Les Manuscrits du Roman de la Rose : description et classement, Lille-Paris, Tallandier-H. Champion, 1910, p. 110.
21 Je tiens à remercier chaleureusement Dominique Deneffle et Dominique Vanwijnsberghe pour leur aide et leurs conseils.
22 Michael Camille, The Illustrated Manuscripts of Guillaume de Deguileville’s « Pèlerinages », 1330-1426. op. cit., t. I, p. 189.
23 Le manuscrit de référence pour ce groupe de miniaturistes est le manuscrit Bruxelles, Bibl. royale, II 7831.
24 Le manuscrit de référence est Cambridge, University Library, Ii.6.2. Sur cet atelier, voir M. Smeyers et B. Cardon (dir.), Naer natueren ghelike : Vlaamse miniaturen voor Van Eyck, ca. 1350-ca. 1420, Leuven, Davidsfonds, 1993, p. 4-10.
25 E. Faral « Guillaume de Digulleville, moine de Chaalis », dans Histoire littéraire de la France, t. XXXIX, Paris, Imprimerie nationale, 1962, p. 57.
26 Voir récemment J. van der Meulen, « Petrus Christus’ Onze Lieve Vrouwe van de Droge Boom », dans B. Baert et V. Fraters (dir.), Aan de vruchten kent men de boom. De boom in tekst en beeld in de middeleeuwse Nederlanden, Leuven, Davidsfonds, 2001, p. 209-237, en particulier p. 215-217.
27 Ibid., p. 216-217.
28 Jacob van Maerlant, grand spécialiste de la poésie mariale du xive siècle néerlandais, a aussi eu recours au débat entre la Vierge et la croix du Pèlerinage de l’âme pour élaborer sa Disputacie van Onser Vrouwen ende van den Heilighen Cruce que tous les poètes brugeois du manuscrit de Gruuthuse connaissaient bien. Ibid.. p. 221-222.
29 A. de Schodt, « Confrérie de Notre-Dame de l’Arbre Sec », Annales de la Société d’Émulation pour l’Étude de l’Histoire et des Antiquités de la Flandre, t. 27 (i, série 4), 1876-1877, p. 141-187.
30 Le texte a été édité par J. C. Lemaire, « Une homélie inédite et originale teintée de picardismes (ms. Lille, B. M., 83) », Bien dire et bien aprandre, t. 21, 2003, p. 269-284.
31 C’est J. van der Meulen qui a mis le texte du ms. 83 de la bibliothèque municipale de Lille en rapport avec le Pèlerinage de l’âme. Voir J. van der Meulen, « Petrus Christus’… », art. cité, passim.
32 Ms. 83, f. 2v-3 : « … mais li vens ardans de grant ferveur, de propre sens et de indiscretion les corront et les fait devenir .vij. visces, car folle humilités devient pusillanimités, folle amistés carnalités, folle debonnairetés nichetés, folle proeche cruaultés, folle larghece prodigalités, folle caastés desloiautés, folle abstinence pestilence » (éd. citée de J. C. Lemaire, p. 278-279).
33 Ce sont les mss Paris, BNF, fr. 14939 (daté de 1373) ; Paris, bibl. de l’Arsenal, 2071 (daté de 1383) ; Bruxelles, Bibl. royale, 11208 (xive s.) ; Bruxelles, Bibl. royale, 10204 (xve s.) ; Paris, BNF, fr. 461 (fragment).
34 Ils appartiennent aux rédactions w et x de la classification opérée par E. Brayer, « Contenu, Structure et combinaisons du Miroir du Monde et de la Somme le Roi », Romania, t. 79, 1958, p. 1-38, et p. 433-470, en partic. p. 466-470. Voir également J. van der Meulen, art. cité, p. 225-228.
35 E. Brayer, art. cité, p. 463-466.
36 Pour la description complète du manuscrit, voir M. Gil, Bibliothèque municipale de Lille. Catalogue des livres de dévotion manuscrits et imprimés (xiie-xive siècle) : livres d’heures et de prières, psautiers, bréviaires, Lille, Septentrion, 2006 (Corpus des manuscrits médiévaux et des incunables des bibliothèques du Nord-Pas-deCalais, I), p. 62-68.
37 J. C. Lemaire, op. cit., p. 273-277.
38 Ibid., p. 277.
39 M. Gil, op. cit., p. 68. Sur le style « pré-eckien » voir M. Smeyers, L’art de la miniature flamande du xiiie au xvie siècle, Tournai, Renaissance du livre, 1998, p. 216-223 et D. Vanswijnsbergue, « Mise au point concernant l’enluminure tournaisienne au xve siècle », Mémoires de la Société Royale d’Histoire et d’Archéologie de Tournai, t. 8, 1995, p. 45-54.
40 Les trois images du manuscrits d’Arras illustrent le Pèlerinage de Jésus-Christ.
41 Sur les béguinages du nord de la France, voir B. Delmaire, « Les béguines dans le nord de la France au premier siècle de leur histoire vers 1230-vers 1350) », dans M. Parisse (dir.), Les religieuses en France au xiiie siècle, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1985, p. 121-162 ; M. Lauwers et W. Simons, Béguins et béguines à Tournai au Bas Moyen Âge. Les communautés béguinales à Tournai du xiiie au xve siècle (Tornacum. Etudes interdisciplinaires relatives au patrimoine culturel tournaisien, 3, éd. J. Dumoulin, T. Hackens, J. Pycke), Tournai, 1988.
42 Mss Arras, bibl. municipale, 845 (c. 1400) ; Bruxelles, Bibl. royale, 10176-78 (c. 1400) ; Paris, BNF, fr. 828, daté de 1414 sur le f. 215v ; Paris, BNF, fr. 1647, daté du 29 septembre 1403 au f. 170 et réalisé à Paris par trois enlumineurs, sans doute d’origine flamande.
43 La version en anglais est à l’usage d’une Lady ; le ms. Manchester, Rylands Library, fr. 2 fut offert par une femme à sa nièce ; le ms. d’Arras comporte un lien encore à étudier avec les béguines.
Auteur
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