Chapitre I. Repères historiques
p. 25-48
Texte intégral
1La typologie de la métamorphose médiévale et les explications qui en sont données s’appuient sur une spéculation enracinée dans des traditions religieuses et mythologiques anciennes. De même que la définition du concept est imprécise, de même, son évolution ne suit pas un cours linéaire : en revêtant une valeur à la fois théologique et philosophique, la métamorphose s’est adaptée, au fil des siècles, aux formes mentales des peuples qui l’ont façonnée. Les repères fondamentaux d’une telle évolution peuvent être ordonnés selon trois axes : gréco-latin, nordique-celtique et chrétien, tout en sachant qu’ils relèvent de structures anthropologiques de l’imaginaire qui se superposent, se croisent ou se développent parallèlement plus qu’elles ne se succèdent. Notre hypothèse est que le concept de métamorphose découle de la Weltanschauung, de la vision de la vie et du monde qui est celle de la société de référence.
L’Antiquité gréco-latine : mythologie et littérature de métamorphose
2L’Antiquité gréco-latine a été le berceau de la mythologie et de la littérature de métamorphose, transmises et adaptées par le Moyen Âge occidental. Trois étapes peuvent en retracer l’histoire : la tradition grecque, la tradition latine et, redevable à l’une et à l’autre, bien qu’issue de la deuxième, l’organisation des mythes anciens opérée par Ovide. Mais alors que les deux courants généraux grec et latin se situent dans la continuité l’un de l’autre, nous montrerons que les Métamorphoses d’Ovide représentent une évolution, sinon une révolution, en la matière.
La tradition grecque des métamorphoses
3« En Grèce, la croyance dans les métamorphoses était aussi ancienne que la mythologie : dans l’hymne à Apollon le dieu se transformait en dauphin, dans l’hymne à Dionysos les pirates étaient changés en dauphins par le dieu1. » Sans chercher à savoir si le mythe est à l’origine du rite ou inversement2, nous nous contentons de reconnaître que la multiplication des formes revêtues par les dieux était la preuve de leur supériorité sur les hommes. Hésiode, dans La Théogonie, met en scène la naissance des dieux et du monde grecs en peignant les divinités comme des êtres qui vivent, aiment et se reproduisent à la façon des hommes, à cette seule différence près : séjournant ad œternum sur l’Olympe, ils ne sont pas soumis au changement naturel et, inversement, ils peuvent quitter à leur gré les formes qu’ils revêtent. Zeus est, sans conteste, le maître « ès métamorphoses », lui qui ne dédaigne pas de revêtir des formes animales pour aborder les femmes dont il s’éprend. Dionysos, son fils, a reçu de lui le même pouvoir de métamorphose et l’utilise dans le combat contre les Titans pour se changer successivement en lion, serpent et taureau.
4Une figure analogue à celle de Zeus était déjà présente dans l’Odyssée : il s’agit de Protée, le vieil homme de la mer qui revêt « tour à tour la forme des animaux les plus terribles3 ». Bien que les métamorphoses présentes chez Homère n’aient pas la répercussion mythico-religieuse qu’auront celles d’Hésiode4, elles recouvrent un plus large domaine d’application : « Le vieil aède dira encore comment le vaisseau des Phéaciens a été changé en rocher, comment un serpent est devenu de pierre ou comment le sommeil, s’étant fait oiseau pour un moment, est allé se percher sur un pin de l’Ida5 », sans compter son adhésion à la tradition ancienne qui faisait descendre les premiers hommes des arbres et des rochers6. Outre des exemples de métamorphose étroitement liés à la poétique du récit, Homère en donne d’autres, fruits de l’« art des changements7 », la magie. L’enchanteresse Circé change les compagnons d’Ulysse en pourceaux mais le poète donne un détail qui montre sa réflexion personnelle : bien que les hommes ainsi changés se comportent selon les habitudes des porcs – en grognant et en mangeant des glands d’yeuse – ils continuent de penser en homme8. Un raisonnement analogue est celui que le Pseudo-Lucien, auteur de Lucius ou l’âne, met dans la bouche de son personnage principal, qui explique ainsi la raison pour laquelle il s’était essayé à la magie : « Je voulais prouver par l’expérience qu’ayant perdu ma forme humaine, ma conscience également deviendrait celle d’un oiseau9. » Le recours à la magie est la conséquence d’un souci de vérification empirique vis-à-vis des anciens mythes10. En effet, depuis que Platon au vie siècle a critiqué dans la République les « grandes fables » en les considérant comme de « vilains mensonges », le merveilleux ancien est soumis au crible de la raison : soit il est considéré comme pure fable, écrite pour le simple amusement, soit il entre dans un discours autour des fabulae à caractère allégorique, dont le contenu symbolique renvoie à un sens caché que l’initié est amené à décrypter11. À partir d’Alexandre et surtout à l’époque hellénistique, après la mort d’Aristote, le goût pour le merveilleux se mêle à l’esprit scientifique. Le résultat en est une littérature où abondent les transformations, mais où celles-ci sont le moyen d’expliquer un certain phénomène. L’étiologie devient la fonction de la métamorphose et Callimaque en est le précurseur. Son aition puise dans la tradition populaire et son influence se répandra dans la tradition latine des métamorphoses non seulement chez des auteurs comme Varron et Properce, mais aussi chez Ovide lui-même.
5Une autre partie de la production historique grecque, toujours liée à la tradition populaire, est vouée à la description des mœurs et des croyances des peuples barbares. Hérodote, dans ses Histoires, relate la croyance des Grecs établis en Scythie selon laquelle les Neures, peuple de la Thrace, deviennent loups quelques jours par an, pour reprendre ensuite leur forme humaine. En historien consciencieux, il ajoute : « Pour mon compte, ce qu’ils disent ne me convainc pas ; mais ils n’en sont pas moins affirmatifs, et même ils joignent à leurs affirmations des serments12. » Bien que Plutarque, Pline et, plus tard, saint Augustin aient critiqué la crédulité de l’historien grec, la légende évoquée était destinée à une longue vie.
La tradition latine des métamorphoses
6La métamorphose cyclique mentionnée par Hérodote est attestée aussi dans la littérature latine par la figure du versipellis13, « l’être qui avec une nouvelle peau endosse une autre nature14 ». Pline l’Ancien atteste, non sans cacher son scepticisme, des légendes semblables à celles de son prédécesseur grec, relatant la métamorphose d’hommes en loups, puis de nouveau en hommes15. À la même époque, une histoire identique est racontée dans le satiricon. Le changement en loup y est présenté comme la conséquence, prétendue scientifique, d’une série d’actions précises : pour devenir loup un homme doit, au moment de la pleine lune, se rendre dans un cimetière, se déshabiller et uriner autour de ses vêtements. Au point du jour, il retrouve sa nature humaine. Rien ne peut trahir sa vie animale nocturne, à moins qu’il ne reçoive une blessure, auquel cas, en redevenant homme, il en garde la trace16. Cette marque permet de sauvegarder l’identité individuelle, de l’animal à l’homme, sans laquelle même l’esprit le plus assoiffé de surnaturel aurait perçu cette histoire comme une fable17.
7Ces textes consacrent l’entrée du loup-garou dans la croyance populaire. D’autres auteurs relèveront aussi ce rituel pour justifier la métamorphose d’un homme en loup18. Car cela devient le point essentiel : établir qu’il ne s’agit pas d’une nature privilégiée, comme dans les cas des dieux anciens, détenteurs d’un don surnaturel de changement, mais d’hommes ordinaires qui peuvent reproduire à leur gré une opération magique. Il ne s’agit pas, cependant, de n’importe quel homme : l’art de la magie est difficile et secret ; dès lors, seule l’initiation peut le révéler et le rendre accessible19.
8Une place importante est aussi réservée à la magie dans la huitième Bucolique de Virgile. Cet auteur, après avoir rappelé la transformation des compagnons d’Ulysse par Circé, affirme le grand pouvoir occulte des herbes qui permettent à Moeris de se changer en loup20. Le fait que Virgile utilise le nom humain du personnage avant la transformation comme après, nous semble être la preuve, à rapprocher des raisonnements de Lucius changé en âne, de la persistance de son humanité sous sa forme animale. Au problème de la reproductibilité de l’expérience s’ajoute celui de la distinction entre l’apparence et l’être. En effet, la peur de la perte irréversible de l’humanité pour ceux qui tentaient d’en dépasser les bornes a dû apparaître très tôt dans l’histoire du concept de la métamorphose. Nous l’avions remarquée déjà dans l’exemple homérique des hommes changés en porcs. On la retrouve chez Ovide et, plus tard, au Moyen Âge.
Mythographie et métamorphoses : le cas d’Ovide
9L’héritage gréco-latin connaît, dans les Métamorphoses d’Ovide, une réorganisation sans précédent21.
10Redevable au passé, Ovide l’est par la matière exposée. Il puise bien sûr chez les Grecs quant aux mythes, mais aussi chez les Latins pour ce qui est du goût esthétique22. Le souci étiologique aussi découle des modèles de Varron et de Properce, bien que, déjà dans ce domaine, Ovide embrasse un plus large sens de l’aition originaire, en sortant de la préoccupation principalement étymologique des Latins pour s’intéresser aux multiples événements de l’univers.
11Mais à bien des égards il montre son originalité dans les domaines poétique, philosophique et théologique. Du point de vue de la poïesis, il décrit l’acte de métamorphose avec une profusion de détails qui, « loin d’être des enjolivements superflus, ont une signification profonde, artistique, psychologique, humoristique23 ». Si en cela il imite les poètes alexandrins, il les dépasse en prenant soin de ne pas se limiter à une juxtaposition des phases de la transformation, comme l’esprit scientifique de l’époque le suggérait. Il prend plutôt conscience de la nécessité de montrer, par le procédé de changement, la « motivation particulière de chaque métamorphose24 ».
12Cela le conduit à attribuer un sens à la destinée de ses personnages mythiques : ils sont transformés en êtres animaux, végétaux ou minéraux sur la base de leurs caractéristiques psychologiques25. Ovide dévoile, par le biais de la métamorphose, la vraie nature des êtres, celle qui permet à chacun de devenir ce qu’il est. C’est pourquoi, dans la plupart des cas, la métamorphose ovidienne n’est pas réversible, puisqu’elle permet la révélation de l’essence de l’homme. Peu importe alors que le personnage puisse encore pleurer ou parler en homme, bien que sa forme soit désormais muée : l’être véritable a été rendu manifeste, sorte de coagulation de la nature psychologique, tandis que l’humanité s’est figée à jamais en voix ou en larmes. En outre, cette fonction de révélation est double et peut élever le personnage, comme dans le cas d’Auguste, changé en étoile à la fin du recueil, ce qui ne manque pas de montrer une autre fonction, politique cette fois-ci, de la poésie d’Ovide. Elle peut aussi châtier le personnage, sur la base de son comportement transgressif, en le rendant victime de la vengeance divine. C’est le cas, par exemple, de la transformation de Lycaon en loup26, préparée et même justifiée par la nature profonde de celui qui avait l’habitude de tuer ses hôtes. Sa métamorphose permet, au-delà de l’apparent dérèglement de la nature, de ranger le loup avec les loups. Elle n’est donc qu’une métaphore, amenée ou pas jusqu’à son degré de « metafora massima27 », degré où le trait commun entre l’homme et l’animal ne se limite pas au rapprochement du modus vivendi des deux êtres, mais s’étend aussi à leur forme physique. Cette métamorphose décrit le même sous prétexte de décrire l’autre, en explorant les caractères les plus intimes du personnage. En définitive, les mythes mettent en scène l’homme en donnant à voir ce qui était voilé et la métamorphose, appliquée à cette conception, permet de dévoiler la vraie nature des êtres, dont elle montre la dimension psychologique profonde en tendant à la recomposition d’un ordre dans le désordre apparent du monde.
13Enfin, ces considérations nous amènent à confirmer notre hypothèse de travail : ces passages d’un règne à l’autre témoignent de la proximité de l’homme et des autres espèces et prouvent la continuité dans la hiérarchie qui s’élève de l’animal au divin28. Le discours de Pythagore, dans le XVe livre des Métamorphoses, est un hymne à l’immutabilité de l’âme face au constant devenir des corps : « Tout change, rien ne périt, le souffle vital circule, il va de ci de là et il prend possession à son gré des créatures les plus différentes ; des corps des bêtes il passe dans celui des hommes, du nôtre dans celui des bêtes ; mais il ne meurt jamais29. » Franz Cumont a affirmé qu’il faut reconnaître, dans ce développement, « l’influence du panthéisme stoïcien, qui insiste sur l’identité des âmes particulières avec l’âme universelle dont elles sont les parcelles30 ». Telle argumentation est liée à la doctrine de la métempsycose31, proche d’une conception fondamentale de la pensée religieuse de l’Inde, celle du samsâra, selon laquelle l’âme est enfermée dans un corps qui la fait souffrir et, pour atteindre la félicité suprême, doit passer à travers tous les stades de l’être à travers un cycle de renaissances.
14Ovide fait donc bien plus que recueillir les mythes du passé dans une organisation cohérente et fonctionnelle de sa vision du monde : il dépasse le polythéisme ancien pour affirmer la puissance de l’Un. Cela devait lui permettre de garder une place privilégiée parmi ses contemporains, aux yeux des théologiens des premiers siècles et, surtout, du Moyen Âge, toujours méfiants face au paganisme.
Les mythologies du Nord-Ouest européen
15Tout un éventail de croyances populaires et de cultes de la nature se rencontrait dans le monde mythologique du Nord-Ouest européen, riche en merveilleux. Les deux grands systèmes de la mythologie nordique, axée sur un complexe germanico-scandinave d’un côté et sur la mythologie celtique de l’autre, sont concernés par la croyance dans un pouvoir de métamorphose. Enfin, une conception ultérieure de la métamorphose, liée aux pratiques religieuses des anciens scandinaves et des druides celtiques, est celle qui ressort des rituels du chamanisme : elle consiste en un dépassement des bornes humaines et en un retour à l’état atavique.
La mythologie nordique
16La tradition mythologique norroise, décrite dans l’Edda poétique32, présente de nombreux exemples de divinités et personnages dotés du pouvoir de métamorphose. Le Dit de Reginn, l’un des textes qui composent ce recueil, décrit les transformations de Loki, dieu germanique du feu et semeur de discorde, de Fàfnir, géant qui prend la forme d’un dragon et sera tué par Sigurdr, ainsi que de plusieurs personnages féeriques, comme le nain Andvari, qui se transforme en brochet33 ou encore Otr, qui est capable de se métamorphoser en loutre (en islandais otr) pour pêcher sous cette forme.
17L’Edda dite en prose34, dont la composition, due à un clerc du xiiie siècle, est plus tardive, accentue le rôle de la magie dans la lecture de la mythologie scandinave ancienne.
18De même, la Saga des Völsungar (Völsunga saga)35 présente des personnages qui doivent leur pouvoir de métamorphose moins à un don de nature qu’au fruit d’une instruction reçue. Un exemple en est l’épisode où Sigurdr prend l’apparence de son ami fraternel Gunnarr, afin de pouvoir traverser le feu et retrouver la walkyrie à qui il avait promis son amour, promesse trahie à cause d’un enchantement. Comme l’oubli de la parole donnée à Sigrdrifa-Brynhildr, cette transformation est le fruit d’un enchantement, que les deux amis ont appris d’une sorcière36.
19Dans l’Edda en prose il est également question de la transformation d’un être inanimé en animé : un géant d’argile, ayant reçu dans la poitrine le cœur d’une jument, devient un homme vivant37. De même que le dragon Fàfnir, le géant sera la victime facile d’un jeune héros : Thjalfi. L’exploit juvénile de ce personnage, hypostase du dieu Thorr – exploit proche de celui de Sigurdr dans le combat contre le géant-dragon Fàfnir – est une forme de rite d’initiation du jeune guerrier, « tel qu’il se pratique dans la plupart des sociétés guerrières primitives38 ».
20Dans la mythologie nordique, la métamorphose fait partie du rite d’initiation du jeune guerrier : elle relève des pouvoirs de l’adversaire et s’ajoute donc aux difficultés et aux épreuves affrontées par le héros. Les transformations de Fâfnir en dragon et de la statue en homme vivant permettent le déroulement de deux épreuves saisissantes par leur singularité : d’une part, le combat contre le dragon étonne par la monstruosité de l’animal, d’autre part, celui contre le géant d’argile est montré comme un entraînement au combat.
21Nous pourrions avancer l’hypothèse que, à la différence de la conception de la métamorphose d’Ovide, le merveilleux nordique conçoit une transformation qui n’est pas seulement une extériorisation des caractères psychologiques du personnage, comme pour les dieux-sorciers et magiciens, mais aussi le signal d’une étape dans le processus d’affirmation de l’identité du personnage, ainsi que le résultat d’un processus d’initiation à caractère chamanique.
22En écho aux rituels d’initiation, bien attestés par ailleurs, les auteurs islandais ont développé, dans certaines sagas tardives, des épisodes liés aux berserkir, les « guerriers à enveloppe d’ours39 ». Il s’agit de guerriers-fauves, en vertu d’une fureur épique qui les apparente à l’ours (ber) ou au loup (ulf). La Saga d’Egill, fils de Grimr le Chauve40, présente l’histoire de l’un de ces guerriers, surnommé, pour sa capacité à changer de forme (hamr) à la venue du soir, « Loup du Soir » (« Kveld-Ulfr »)41.
23L’élément le plus intéressant dans la représentation des berserkir, par rapport aux occurrences de loup-garou plus « méridionales », est le caractère initiatique que la métamorphose revêt, ce qui confère un caractère d’élection à celui qui peut se changer en loup.
24Cette interprétation du loup-garou, qui considère la force instinctive comme une augmentation significative des capacités de l’homme, présente la métamorphose comme un signe d’élection et non point de châtiment : le personnage capable de devenir loup possède une qualité qui le place au-dessus des hommes ordinaires et en fait un guerrier redoutable. C’est par là que la figure du loup-garou développe son côté le plus inquiétant, car à l’intelligence de l’homme s’ajoute l’instinct de la bête.
La mythologie celtique
25Féerie, sorcellerie et initiation constituent également le fonds du riche monde de la mythologie et de la religion celtiques. L’influence de cette culture sur la littérature française du Moyen Âge a été telle qu’elle a donné son nom à l’un des trois domaines traditionnels de sa production narrative : la matière de Bretagne. Les divinités de ce panthéon évoquent en même temps un ancien totémisme, la croyance dans la métempsycose et le phénomène religieux du chamanisme. En effet, à côté de divinités animales et anthropomorphes associées à des espèces particulières, vestiges sans doute d’une ancienne organisation totémique, comme Epona (déesse-jument et ensuite déesse celte des chevaux)42, on trouve des dieux qui vivent dans l’au-delà et qui se manifestent aux humains sous une forme mi-humaine, mi-animale, témoignage de l’incessant flux de la vie auquel croyaient les Celtes. L’exemple le plus intéressant, à cet égard, est celui de Nemglan, dieu-oiseau qui séduit une femme en se présentant à elle revêtu de son plumage, de même que Zeus était apparu à Léda sous l’aspect d’un cygne.
26Cependant, contrairement aux habitudes mythologiques de l’Antiquité, la métamorphose n’est pas réservée aux seules divinités mais elle est accessible aussi à des héros et des héroïnes aux caractères surhumains, plutôt que surnaturels43. Pour eux, la métamorphose devient alors un moyen d’échapper aux dangers imminents, comme Fintan qui se change en saumon pour survivre au Déluge, ou pour rejoindre l’au-delà, comme dans le cas de la mère de Cuchulainn, appelée en rêve par le dieu du soleil Lugh, et partant sous forme d’oiseau, accompagnée par cinquante femmes-oiseaux elles aussi.
27Le don du changement de forme peut se présenter aussi comme l’effet de la magie, de l’exploitation des vertus cachées des choses. Les plus grands connaisseurs des mystères de la nature, dans les pays celtiques, étaient les druides, prêtres et devins censés pouvoir effectuer des voyages spirituels dans l’autre monde sous forme d’aigles ou d’autres animaux, en s’attribuant les qualités de ce type de « voyants » (c’est le sens du terme gaélique filid) ou de voyageurs spirituels : les chamans. Dans ce domaine, le maître incontestable est Merlin, personnage complexe que le contact avec le christianisme n’a pas su transformer complètement et qui non seulement peut revêtir les formes qu’il désire, mais détient aussi le pouvoir de changer la forme d’autrui, comme il n’hésitera pas à le faire dans le cas, bien connu, qui a présidé à la naissance d’Arthur.
28La métamorphose peut enfin se présenter comme une punition, découlant de la rupture d’une interdiction, d’une geis. C’est le cas de l’un des compagnons de Brandan, lorsque, de retour en Irlande après son long séjour au milieu des délices de l’au-delà, il met pied à terre en transgressant l’interdiction prononcée et il est immédiatement changé en cendre44.
29Tout ce matériel, fonds oral de la culture mythologique et populaire, a été transcrit entre le xiie et le xve siècles par les moines, successeurs de l’ancienne classe sacerdotale des druides et des poètes et a pu influencer les auteurs médiévaux, pour qui l’aventure avait tout d’abord le goût délectable, bien que païen, du merveilleux.
Le chamanisme
30Le caractère initiatique des religions des anciens Scandinaves et du druidisme des Celtes a permis de rapprocher les rituels de ces religions de ceux du chamanisme, intimement liés à la connaissance des secrets de la nature45 : le chaman qui a fait l’expérience de la mort et qui renaît à la vie échappe au cloisonnement des lois naturelles ; il détient le savoir secret et sacré des transformations et acquiert la possibilité de circuler à son gré à travers les différents règnes naturels. Les rituels connus, considérés comme faisant partie d’un complexe religieux extatique, visent à mettre en relation les trois ordres de l’univers : le monde supérieur, le médian et l’inférieur. Le chaman, du védique sram, « se réchauffer ou pratiquer l’austérité46 », est celui qui permet la médiation entre les divers êtres ou états de la matière visible et invisible. En cela, le chamanisme pratique un retour de l’homme à l’état animal primordial, à travers un voyage de l’esprit qui n’implique pas la perte du corps humain, mais plutôt son développement.
31La civilisation des anciens Scandinaves explique cette opération à travers la notion de hamr, « la forme interne qui épouse intimement l’enveloppe corporelle47 » de tout homme. Pour les anciens Scandinaves, dans certaines circonstances et chez certains individus, le hamr peut sortir de son enveloppe corporelle et entrer dans un autre corps, double du premier48.
32Si l’on ne peut pas parler de métamorphose au sens propre du terme, il s’agit bien d’une « transsubstantiation49 », d’un voyage spirituel : l’âme, en voyageant à l’extérieur de son siège, entre dans le corps d’un animal et acquiert ainsi son énergie. Le chaman est donc cet être qui a dépassé l’état humain pour s’assimiler aux animaux ou bien pour s’incarner dans un personnage mythique.
33Ainsi, le personnage de Sigurdr évoqué plus haut, bien qu’il soit seulement un demi-dieu, entre dans la catégorie des dieux-magiciens du panthéon scaldique par son développement sensoriel. En effet, après avoir tué le dragon Fâfnir et en avoir goûté le sang, il acquiert le pouvoir de comprendre le langage des oiseaux. Cette connaissance nouvelle en fait un être à nature double, mi-homme, mi-animal, ou, du moins, un homme aux capacités perceptives extraordinaires qui devaient sans doute être considérées, au xiiie siècle, comme relevant de la magie, voire de la sorcellerie.
34Un tel pouvoir, qui affleure dans les croyances populaires nordiques, amenait des questions : qu’est-ce qui est concerné par la métamorphose ? L’esprit ou la matière ? La forme ou la substance ? Est-ce que la métamorphose est un changement véritable ou s’agit-il seulement d’un trouble – ou d’un développement – des sens ? Enfin, qu’est-ce que cela veut dire, « changer d’apparence ? » Lorsque les premiers théologiens se donnent pour but d’organiser une pensée structurée autour du principe de l’unique Dieu créateur et Seigneur, de telles questions exigeaient autant de réponses fermes.
35Comment donc l’Église a-t-elle réagi face à tout cet héritage de croyances païennes qui admettaient une possibilité de modification de l’ordre établi ? Car enfin, le fait d’attribuer le don de métamorphose à une créature est incompatible avec la toute-puissance de Dieu. Il s’agit même de subvertir la volonté de Dieu, qui a fait l’homme « à son image ».
36Pour répondre à cette question fondamentale, il faut considérer les réflexions de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Pères de l’Église et des philosophes chrétiens.
Christianisme et métamorphose : un problème théologique
37Les Pères de l’Église, ne pouvant pas accepter un ordre surnaturel différant de celui voulu par Dieu, assimilent et rationalisent le merveilleux païen et le magique folklorique, en rangeant le premier dans le domaine du miraculeux, le second parmi les illusions diaboliques.
38Mais la rationalisation et l’assimilation du merveilleux ne constituent pas un processus immédiat : présente à l’esprit des hommes de religion depuis la rédaction des livres de l’Ancien Testament, la question de la métamorphose touche la personne du Christ lui-même et devient, par le dogme de la Résurrection, le fondement eschatologique de la religion chrétienne. À cela s’ajoutent les passages bibliques faisant référence à la transformation du comportement humain, comme dans le cas de Nabuchodonosor50, dont l’interprétation n’était pas univoque.
39Néanmoins, au ve siècle, un théologien résout le problème une fois pour toutes : saint Augustin, dans la Cité de Dieu, formule une théorie de la métamorphose, fondée sur l’œuvre du Malin et de ses acolytes.
40Bien que cette vision soit suivie dans ses lignes générales par les autres théologiens du Moyen Âge, la réponse de la philosophie à l’égard du problème est différente et repose tout entière sur le logos qui intervient dans les commentaires du mythos. Un siècle après saint Augustin, Boèce met en scène, dans son traité La Consolation de la Philosophie, la première vision allégorique de la métamorphose : « Le bien élève l’homme au-dessus de lui-même jusqu’à la nature divine ; le mal le rabaisse jusqu’à la nature animale51. » Cette lecture fortement symbolique de la littérature de métamorphose sera adoptée et développée tout au long du Moyen Âge et elle aboutira à la vaste adaptation de l’œuvre ovidienne des Métamorphoses dans l’ovide moralisé du début du xive siècle.
41Entre Boèce et l’auteur anonyme de l’ovide moralisé, toute une littérature d’accessus ad auctores ou gloses adjointes aux commentaires fleurit, « introductions méthodiques à l’étude des auteurs ou des textes scolaires, dont la synthèse permettrait de dresser le guide des études médiévales52 ». Une de ces gloses retiendra particulièrement notre attention : celle d’Arnoul d’Orléans, qui dresse, à la fin du xiie siècle, un catalogue des métamorphoses auxquelles fait appel Ovide.
La leçon vétérotestamentaire : miracula et théophanies
42La réception de l’héritage classique des fables ne pouvait pas aller sans poser le problème de la création divine. Si l’homme, comme on le lit dans la Genèse, a été fait à « l’image » et à la « ressemblance » de Dieu (Gen., I. 26-28), on comprend que toute transformation de l’homme en animal se présente comme un acte contraire à l’ordonnancement divin.
43De surcroît, selon la vision biblique, Dieu étant créateur de tout ce qui existe - êtres et choses – il ne peut y avoir de changement de forme que par sa volonté. Lui seul est l’être tout-puissant à qui revient de modifier ce qu’il avait fixé au début du temps. Le livre de l’Exode, par exemple, contient bon nombre d’exemples de transformations opérées par la volonté de Dieu : le bâton de Moïse, jeté à terre, se change en serpent (Ex., 4. 3), l’eau du Fleuve, répandue à terre par Moïse selon la volonté de Dieu, se change en sang (Ex., 4. 9, 18-22), etc. Dans ces exemples, comme dans tous les autres, l’homme, lorsqu’il joue un rôle, n’est qu’un instrument de la volonté divine.
44Cependant, est-ce que Dieu peut tout ? On a vu qu’il peut changer des objets inanimés en créatures animées. Mais peut-il changer la forme d’un homme en celle d’un animal ? Mieux, y a-t-il une limite à la toute-puissance divine53 ? La réponse est que Dieu ne peut pas abaisser l’homme dans la hiérarchie de la création, sous peine de se contredire en le situant au même niveau que les bêtes, auxquelles sa propre image aussi s’apparenterait, s’il est vrai, comme il le dit, qu’il a créé l’homme « à son image ». Toutefois, il peut faire ressembler l’homme à l’animal. Le terme que le Moyen Âge utilisera à cet égard est semblance, ce qui laisse possible l’ambivalence de l’interprétation, car on peut ressembler à quelqu’un par des caractères physiques, mais on le peut aussi sur la base de caractères psychologiques ou du comportement. Cela pose le problème de l’indivisibilité de l’être, union d’essence et d’accidents, affirmée par Aristote dans la Métaphysique54.
45La théologie, après la philosophie, se demande si la métamorphose, considérée comme un phénomène réel et non plus seulement comme fabula, concerne l’essence de l’homme, c’est-à-dire son être, ou seulement son apparence, c’est-à-dire son corps (ses accidents).
La leçon évangélique : les transformations du Christ
46Selon le message évangélique, le Christ est venu sur terre pour que l’homme revienne à Dieu. La Bonne Nouvelle consiste en la proclamation d’une vie postérieure à la mort dans laquelle l’homme revêtira un nouveau corps, transfiguré. L’incarnation de Dieu, sa transsubstantiation dans le mystère eucharistique55, sa Résurrection et celle de tous les hommes au moment du Jugement Dernier sont les dogmes chrétiens auxquels les mentalités païennes sont le plus réfractaires.
47La question de la résurrection des corps humains dévorés, brûlés ou noyés nourrissait en particulier la polémique entre chrétiens et païens56. Dans les Évangiles est aussi posée la question du corps revêtu par le Christ après sa Résurrection : lorsqu’il se manifeste à deux disciples, sur le chemin d’Emmaüs, ils ne le reconnaissent pas57. Trois jours seulement se sont écoulés depuis sa mort et pourtant, dit le texte de l’Évangile de Luc (24, 16), « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». Une autre fois, il se manifeste sous la forme d’un pêcheur à quelques-uns de ses apôtres sur les bords de la mer, mais il n’est pas reconnu non plus. Le problème inverse est présenté par son apparition aux onze avec les marques distinctives de la crucifixion : les apôtres le reconnaissent, mais n’en croient pas leurs yeux58. Dans les trois cas, c’est lorsqu’il rompt le pain ou accomplit un miracle qu’il est identifié comme étant le Seigneur. Et il aura fallu que Thomas mette son doigt sur ses plaies pour être assuré qu’il ne s’agit pas que d’une « vision »59. Pourtant, lorsqu’il apparaît à Marie de Magdala tout de suite après la Résurrection, son interdiction de le toucher semble le montrer dans un état intermédiaire entre les natures humaine et divine : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père60. » Enfin, la Transfiguration du Christ enveloppé par la nuée de lumière61 annonce le mystère de l’Ascension62 du Seigneur et celui de l’Assomption de la Vierge, et préfigure le dogme eschatologique de la résurrection, qui permettra aux fidèles de prendre place aux côtés de Dieu, in cœlestibus, en vivant d’une vita angelica63.
48Pour évoquer les différentes « formes » de Dieu et du Christ nous avons parlé d’Incarnation, d’apparitions, de miracles, de Résurrection, nulle part de métamorphose. Nous ne nous éloignons pas pour autant de notre propos : il était nécessaire que la « nouvelle » religion, en proclamant l’unicité et la véridicité du Dieu de Jacob, reconnût au Christ un pouvoir au moins aussi grand que celui des dieux anciens, capables de changer de forme à leur aise et affranchis de la mort corporelle. Il se substitue aux faux dieux, tout en gardant le même caractère de supériorité qu’eux vis-à-vis des hommes. La double nature, divine et humaine, du fils de Dieu ne fait que rendre plus forte la religio, la « nouvelle alliance », entre Dieu et sa créature.
Saint Augustin et la théorie de la métamorphose
49Dans le livre XVIII de La Cité de Dieu, à partir du chap. 16, saint Augustin aborde le sujet de la métamorphose, en la rattachant au culte du polythéisme pratiqué en Grèce. Il y relate la croyance dans la transformation des compagnons de Diomède en oiseaux, croyance populaire que les Grecs estimaient répandue « non par la fable mensongère des poètes mais par le témoignage de l’histoire64 ». Dans le chapitre suivant, il mentionne d’autres métamorphoses, décrites, comme la première, par l’auteur latin Varron : les compagnons d’Ulysse transformés in bestias et la lycanthropie des Arcadiens. Mais c’est dans le chap. 18 qu’il révèle sa position au sujet de tout changement de forme. Pour ce faire, il se réfère à la pratique de la magie. Lui-même a pu observer qu’en Italie, certaines femmes n’hésitaient pas à changer les hommes (vertere), à l’aide d’un fromage, en bêtes de somme, pour leur faire porter tous leurs fardeaux65. Ces sortes d’envoûtements sont faux, écrit-il : le seul qui puisse faire tout ce qu’il veut est Dieu. Les démons, s’ils ont une part dans ces événements, ne sont pas libres dans leur action, mais dépendent eux-mêmes de la volonté de Dieu et ne peuvent pas créer ou changer l’ordre des choses. Ils peuvent seulement introduire l’illusion du changement dans des esprits faibles parce que malades ou au cours des rêves. La transformation d’un homme en animal n’est pas alors un changement réel, mais une illusion au sens étymologique, la production d’un jeu (ludificatio) d’apparences par les démons (dœmonum). Les points principaux de la théorie de la métamorphose de saint Augustin sont les suivants (livre XVIII, chap. 18, 2) :
- Assurément, les démons ne sont pas créateurs de natures, s’il est vrai qu’ils réalisent des prodiges semblables à ceux dont il est ici question ; ils modifient quant à l’apparence seulement les créatures du vrai Dieu pour qu’elles semblent être ce qu’elles ne sont pas.
- Je n’admets donc d’aucune manière que les démons soient capables par leur puissance ou leurs artifices de transformer vraiment, je ne dis pas l’âme, mais simplement le corps d’un homme en membres et figures de bêtes.
- Je crois que l’image fantomatique de l’homme, qui se modifie dans la veille ou dans le sommeil d’après l’innombrable diversité des objets et, sans être corps, prend cependant avec une rapidité étonnante les formes ressemblantes des corps, peut se présenter, quand les sens corporels de l’homme sont assoupis ou abattus, aux sens d’autres hommes sous une apparence corporelle, je ne sais de quelle manière ineffable66.
50Pour décrire la modalité de l’illusion de métamorphose, saint Augustin utilise la notion de phantasticum hominis, double fantastique de l’homme qui peut se manifester soit dans les rêves nocturnes, soit dans un état de veille pathologique, où la perception que l’homme a de soi-même présente une déformation de la réalité : seule la perception subjective de l’image est réelle et non point le changement objectif de ce qui est perçu67. Les démons, selon la conception augustinienne, suivie pendant tout le Moyen Âge, ne peuvent changer ni l’âme, ni le corps humains : ils peuvent agir seulement sur l’imagination détournée de l’homme. Comme dans le passage biblique décrivant le comportement de Nabuchodonosor, assimilé à celui des bœufs, la métamorphose est présentée comme une « sorte de maladie mentale » qui « ressemble fort à un dédoublement de la personnalité68 ». En clôture de son argumentation dans La Cité de Dieu, Augustin illustre sa théorie par le biais de deux histoires de dédoublement. La première concerne le père d’un certain Praestantius, victime du fromage des magiciennes dont il avait parlé en ouverture de chapitre. L’homme avait rêvé être devenu un cheval et avoir, sous cet aspect, apporté des vivres aux soldats (on vérifia par la suite que les choses s’étaient passées comme il les avait racontées). Le deuxième cas décrit le dédoublement d’un philosophe, qui s’était présenté la nuit à un autre en lui expliquant certaines doctrines platoniciennes qu’il n’avait pas voulu développer chez lui. Interrogé sur la visite nocturne, il nia l’avoir faite, mais avoua avoir rêvé qu’il le faisait69.
51Le débat sur la réalité ou l’apparence de la métamorphose est au centre de la querelle concernant, dès le ixe siècle, la sorcellerie. Le premier texte écrit à ce sujet date d’environ 900. Il s’agit du Canon episcopi, lequel fait référence, bien qu’indirectement, au chapitre de La cité de Dieu. L’ouvrage, après avoir évoqué les chevauchées nocturnes auxquelles se livrent quaedam scelerate mulieres [...] daemonum illusionibus et phantasmatibus seductae70 et après avoir évoqué les transformations du diable in diversarum personarum species atque similitudines71, condamne la croyance en la métamorphose :
« Quiconque croit qu’il peut se faire qu’une chose soit changée, en bien ou en mal, ou soit métamorphosée pour revêtir une autre apparence ou un autre aspect, par une intervention autre que celle du Créateur, qui a tout créé et par qui toutes choses ont été créées, est sans doute possible un mécréant72. »
52La théorie de la métamorphose de saint Augustin sera suivie, à quelques détails près, par tous les théologiens du Moyen Âge. Saint Thomas, au xiiie siècle, s’appuiera encore sur la théorie de l’évêque d’Hippone. Mais Laurence Harf-Lancner a également remarqué qu’« il établit toutefois [...] une distinction entre les transmutationes corporalium rerum quaepossunt fieriper aliquas virtutes naturales et les transmutationes corporalium rerum quae non possunt virtute naturae fieri73 ». Les premières reprennent la théorie des germes des choses répandus dans la nature, théorie illustrée par Augustin dans son traité La Trinité (III, 8) ; les secondes sont dues à l’imagination humaine et sont donc purement illusoires, autant que celles décrites dans La cité de Dieu.
Boèce : une lecture allégorique
53L’originalité de Boèce, face aux Pères de l’Église, est de donner une interprétation philosophique et non théologique de la métamorphose.
54Si Macrobe, avec son commentaire du songe de scipion, doit être considéré comme le principal modèle de l’interprétation allégorique de la nature au Moyen Âge74, Boèce, avec sa Consolation de la Philosophie, est celui de l’interprétation allégorique de la métamorphose75. Dans le troisième livre de cet ouvrage, il affirme que, contre les leurres de Fortune, il faut rechercher la véritable félicité en Dieu, le Bien suprême. Mais rien ne permet de croire qu’il se réfère au Dieu chrétien, au point qu’il est difficile de le classer au nombre des auteurs ecclésiastiques. Néanmoins, si le Moyen Âge a puisé dans la consolation, nous croyons pouvoir situer son œuvre dans la continuité de celles des Pères de l’Église.
55Dans le quatrième livre, Boèce révèle la récompense destinée aux hommes qui se distinguent par leur bonté :
[...] nous avons reconnu que ceux qui sont heureux sont des dieux ; les bons ont donc une récompense qu’aucun jour ne peut entamer, qu’aucun pouvoir ne peut amoindrir, qu’aucune perversité ne peut obscurcir : devenir des dieux76.
56La contrepartie de cette destinée glorieuse est celle qui attend quicquid a bono deficit (IV, Prosa III, 15) : bien que son corps demeure humain, il en perd la nature (c’est-à-dire la substance). Par conséquent, « celui qu’on voit métamorphosé par les vices (tranformatum vitiis) ne peut être considéré comme un homme » (IV, Prosa III, 16). Il poursuit en énumérant des caractères qui lient les hommes à certains animaux : un rusé doit être considéré comme un renard, un coléreux doit être tenu pour un lion, un homme stupide pour un âne, etc. (IV, Prosa III, 17-24). On le voit : en créant un lien entre l’homme et l’animal sur la base d’un caractère commun, Boèce ne se contente pas de reprendre Ovide : il ouvre la voie à la métamorphose métaphorique, transformation par identification qui se réalise par le biais du caractère commun aux deux êtres. En définitive, « il en résulte que celui qui, ayant abandonné la vertu, a cessé d’être un homme, incapable de devenir un dieu, est transformé en bête77 ».
57Il y a plus. Pour Boèce, la transformation allégorique est la plus profonde des métamorphoses possibles : lorsque, par des herbes aux pouvoirs magiques, on induit le changement d’un corps humain en celui d’un animal, cela ne concerne que l’enveloppe extérieure, tandis que l’esprit humain (mens) demeure intact78. Bien plus importante est la qualité de l’âme, qui change l’homme en bête par la médiation de la métaphore. Les philtres sont moins puissants que les poisons de l’âme : ils « peuvent transformer les corps,/mais [...] ne peuvent rien sur les cœurs79 ! » Loin de l’Arcadie et de l’île de la magicienne Circé, le message de Boèce est celui d’un homme condamné à mort mais lucide : seul un comportement de brute transforme un homme en l’animal qu’il porte en lui.
58L’interprétation mythique et folklorique du pouvoir de la métamorphose cède peu à peu la place à une interprétation fortement influencée par l’exégèse biblique : l’univers entier est le symbole des réalités spirituelles et le merveilleux est interprété en tant qu’épiphanie de Dieu dans l’ici-bas. Ainsi, à côté d’une métamorphose in factis, dont l’effet est manifeste, la question du changement de la substance renvoie à une métamorphose in verbis80, qui établit une correspondance métaphorique entre deux êtres, afin d’élucider les Écritures et d’édifier les fidèles : « L’univers étant le symbole des réalités spirituelles, la contemplation du monde mène à la connaissance de Dieu81. » À partir du xiie siècle, la victoire du symbole sur la fable achemine la lecture de la métamorphose païenne vers l’interprétation de l’intentio de l’auteur.
Le « Père des auteurs » : Arnoul d’Orléans
59L’Accessus qu’Arnoul d’Orléans écrit vers 1175 et l’interprétation allégorique de chaque fable qu’il offre dans les Allegoriae super Ovidii Metamorphosin composent les deux volets d’un même commentaire82 qui lui permet de donner une interprétation personnelle des récits ovidiens et d’ouvrir la voie à la moralisation des Métamorphoses83.
60Le premier de ces ouvrages, répondant aux sept questions que doit traiter un texte de ce genre (« vie du poète, titre de l’œuvre, sujet de l’œuvre, intention du poète, orientation philosophique, utilité, forme ou style84 »), se présente à cette époque comme la variété la plus intéressante de ces introductions méthodiques à l’étude des auteurs, tantôt chrétiens, tantôt païens, qui concernaient les domaines les plus variés du savoir85.
61Après avoir présenté brièvement les données principales de la vie d’Ovide et en avoir cité les œuvres, Arnoul explique le titre, Métamorphoses :
En vérité, le titre de ce livre est tiré de son contenu [materia]. Afin que nous le constations mieux, le titre est composé de la manière suivante : du grec meta, trans, du latin morphe, mutation et de usios, substance. Il s’agit donc presque d’une transformation de la substance86.
62Dans cette analyse étymologique, Arnoul commet une première faute lorsqu’il attribue au terme « latin » morphe le sens de « mutation », alors que ce mot grec signifie « forme, contour extérieur ». De plus, il ajoute, dans son explication (para) étymologique, le terme usios, substance, en se rapprochant ainsi de la lecture métaphorique de la métamorphose qu’avait proposée Boèce dans sa Consolation de la philosophie : lorsque l’essence de l’être humain, son âme, est souillée par le péché, l’être tout entier se rabaisse à l’état animal. Il est donc intéressant de remarquer qu’Arnoul vise, par l’élucidation du titre du recueil, à donner un support éthique à la matière païenne des Métamorphoses.
63Il présente ensuite les différents types de transformation réelle et il en distingue trois : la naturelle, c’est-à-dire la transformation de la matière par dissolution ; la magique, qui agit sur les corps mais en garde inaltéré l’esprit ; la spirituelle87, qui agit en revanche seulement sur l’esprit. Le premier type de transformation est illustré par les phénomènes de naissance et de décomposition, le deuxième par les transformations de Lycaon et d’Io, changés dans leur corps et non dans leur âme, le troisième par la folie d’Agavé et Autonoé, dont l’esprit a changé mais pas le corps88.
64Suivant l’enseignement de Bernard Silvestre, qui vise à soulever l’involucrum – le voile mensonger de la fable – afin de faire apparaître le sens caché de ces compositions, l’intention de l’auteur occupe une place centrale dans l’Accessus d’Arnoul aux Métamorphoses :
Ovide [...] veut nous montrer par une narration fabuleuse le mouvement de l’âme qui se fait à l’intérieur. Il est dit qu’Io fut changée en vache parce qu’elle courait vers sa perdition, et qu’elle recouvra sa forme première lorsqu’elle s’en éloigna89.
65Pour Arnoul, comme pour Boèce, la fable illustre l’abaissement de l’homme par le péché ; dès lors, elle peut témoigner des comportements pervers, où l’esprit demeure humain90.
66Cette lecture allégorique des Métamorphoses permet à Arnoul de rédiger un commentaire détaillé des récits mythologiques d’Ovide.
67Ses interprétations sont construites sur le schéma des recueils de mythographie, tels les Mythologiœ de Fulgence.
68Mais, par rapport à ses prédécesseurs, il élimine les histoires qui ne concernent pas à proprement parler une transformation et tire des fables ovidiennes leur sens caché, par le biais de trois axes d’interprétation : Modo quasdam allegorice, quasdam moraliter exponamus, et quasdam historice91.
69La catégorie allégorique proprement dite, la moins représentée, est réservée aux mythes qu’Arnoul n’a pas pu ramener à un contenu moral ou historique. Selon Fausto Ghisalberti92, cette interprétation renvoie à l’ancienne pratique herméneutique des mythes, l’étiologie, qu’il considère comme une allégorie naturelle93.
70La catégorie historique est celle qui suppose, dans le mythe, la présence d’éléments pouvant renvoyer à des faits historiques ou à une réalité que la fable évoque par analogie ou bien à un événement historique qui explique la mutation, ce qui représente une transition vers le commentaire proprement moral.
71C’est la catégorie morale qui est la mieux représentée dans le commentaire d’Arnoul et qui offre une application précise de l’utilitas qu’il avait dégagée dans son Accessus.
72La typologie variée qu’il introduit dans cette catégorie pour expliquer les fables des Métamorphoses nous permet d’affirmer que l’art de l’allégorisation d’Arnoul atteint son sommet dans le domaine éthique, car s’il s’applique à montrer les effets désastreux du vice éternellement aux prises avec la vertu, il se montre également soucieux d’illustrer le prix qui attend une conduite vertueuse.
73Les Allegoriae d’Arnoul représentent la première réflexion conduisant à l’interprétation morale et chrétienne du contenu des Métamorphoses.
Notes de bas de page
1 Silvia Jannaccone, La letteratura greco-latina delle metamorfosi, Messine-Florence, Casa Editrice G. D’Anna, 1953, p. 27. La traduction est nôtre.
2 Ibidem, p. 9.
3 Odyssée, IV, 417, 455. Le passage est cité par Georges Lafaye, Les Métamorphoses d’Ovide et ses modèles grecs, Paris, Alcan, 1904, p. 2.
4 Dans Le monde d’Homère, Paris, Perrin, 2000, p. 19, Pierre Vidal-Naquet confirme l’opinion générale selon laquelle « l’Iliade et l’Odyssée datent de l’extrême fin du ixe siècle avant J.-C. ou du viiie siècle, l’Iliade étant antérieure à l’Odyssée, peut-être de quelques décennies ». Hésiode, lui, a vécu dans le milieu du viiie siècle. V. Ysé Tardan-Masquelier, art. « Homère et Hésiode », dans Encyclopédie des religions, 1, Histoire, sous la dir. de Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier, Paris, Bayard, 1997, p. 128.
5 G. Lafaye, op. cit., p. 2. Les épisodes mentionnés font référence à Odyssée, X, 238 et XIII, 155 ; Iliade, II, 309-319 et XIV, 289.
6 Odyssée, XIX, 163.
7 C’est la définition que donne de la magie Marcel Mauss : v. « Esquisse d’une théorie générale de la magie », dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1950, p. 1-141 (p. 54). Cela s’accorde avec ce que Simone Viarre affirme à propos de la relation entre magie et métamorphose : « S’il est vrai que toute action [magique] a pour but de modifier le réel, c’est la métamorphose qui apparaît comme l’acte magique parfait. » (« L’originalité de la magie d’Ovide dans les Métamorphoses », dans Atti del convegno internazionale ovidiano, Sulmona, Maggio 1958, vol. I, Roma, Istituto di studi romani editore, 1959, p. 327-338, p. 330.)
8 Odyssée, X, 239-243. Les pourceaux peuvent même pleurer leur mauvais sort : l’expression de l’émotion est donc vue comme la preuve la plus évidente de leur humanité sous la peau du porc.
9 Pseudo-Lucien, Lucius ou l’âne, éd. M. D. Mac Leod, Londres, 1967, chap. 13, p. 72. La traduction du roman se trouve aussi dans Ch. Zevort, Romans grecs, IIe série, Paris, Charpentier, 1855, par. XII-XIV, p. 332-333. C’est nous qui soulignons.
10 Et la magie est une expérience, dans la mesure où son œuvre est le résultat, qui peut être répété, d’un même procédé, fondé sur le pouvoir de la parole via la formule magique. C’est, du moins, ce qui ressort du discours de Lucius.
11 Les mythes de Platon entrent dans ce deuxième type de récit. Telle sera aussi la position du néoplatonicien Macrobe, dans le Commentaire sur le songe de Scipion, dont l’influence sera capitale au Moyen Age. V. Paule Demats, Fabula, Trois études de mythographie antique et médiévale, Genève, Droz, 1973, p. 3-37.
12 Hérodote, Histoires, texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand, Paris, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1960, IV, 105, p. 105.
13 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 34, 8.
14 L. Harf-Lancner, « De la métamorphose au Moyen Âge », art. cit., p. 3-25 (p. 9).
15 Pline l’Ancien, op. cit., VIII, 22. Le même terme de versipellis est utilisé par Plaute dans l’Amphitryon, comédie latine qui met en scène Jupiter, capable de changer de peau. Le terme latin pourrait peut-être indiquer un retournement d’habit et l’image se prêterait bien à représenter la rapidité de transformation du personnage : Ita versipellem se facit, quando lubet (Plaute, I, Amphitryon, texte établi et traduit par Alfred Ernout, Paris, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1952, p. 123).
16 Pétrone, Satiricon, 62, 13.
17 Dans un contexte bien différent, Jésus revient de la mort et ses disciples ne le reconnaissent pas. C’est à ses blessures qu’il se fait reconnaître, blessures que saint Thomas voudra même toucher pour se convaincre qu’il s’agit vraiment de lui. La blessure, ici, relie le temporel (humain) au surnaturel (divin).
18 Telle sera la position de Gervais de Tilbury, auteur du xiie siècle qui, dans les Otia Imperialia, présente comme authentique la transformation de l’homme en loup selon les lunaisons (v. Gervais de Tilbury, Le Livre des Merveilles, préface de Jacques Le Goff, traduction d’Annie Duchesne, Paris, Les Belles Lettres, 1992, p. 138).
19 Apulée témoigne de cette difficulté avec l’échec de Lucius dans sa pratique de la magie. V. Apulée, L’Ane d’or ou Les Metamorphoses, préface de Jean-Louis Bory, traduction de Pierre Grimal, Paris, Gallimard, coll. « Folio » 1975.
20 Virgile, La huitième Bucolique, texte établi, traduit et commenté par Andrée Richter, Paris, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1970, bibliothèque de la faculté des lettres de Lyon, 20, p. 131, v. 96-98.
21 Certes, des recueils de métamorphoses avaient déjà existé avant Ovide : G. Lafaye (op. cit., p. 39-43 ; 65) mentionne ceux des grecs Nicandre, Parthénius de Nicée, Théodore et Antigone de Caryste le Jeune, outre la béotienne Boiô-Boios auteur de l’ornithogonie, sans compter les auteurs, sources d’Ovide, évoqués dans le recueil des Métamorphoses d’Antoninus Liberalis, de peu postérieur à celui d’Ovide, mais révélateur des sources du premier. Cependant, aucun d’eux n’a la même importance.
22 V. S. Jannaccone, op. cit., p. 39-43 ; 65.
23 Jean-Marc Frécaut, « Les transitions dans les Métamorphoses d’Ovide », Revue des Études Latines, Paris, 46e année, 1968, p. 247-263 (p. 247).
24 Idem, L’esprit et l’humour chez Ovide, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1972, p. 260.
25 Cf. S. Viarre, L’image et la pensée dans les Métamorphoses d’Ovide, Paris, PUF, 1964, p. 291-427 : « La métamorphose comme transfiguration du mouvement de l’existence. Sa signification vitale » et Leonard Barkan, The Gods Made Flesh, Metamorphosis and the Pursuit of the Paganism, New Haven and London, Yale University Press, 1986, p. 27-37 : « Metamorphosis and the Nature of Things. »
26 Ovide, Les Métamorphoses, 3 vol., texte établi et traduit par G. Lafaye, Paris, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1925, 1928, 1930, t. I, livre I, v. 232-239 ; l’épisode entier : v. 177-239.
27 Nous empruntons cette expression à Emilio Pianezzola, Elementi della tecnicapoetica ovidiana : similitudine, metafora, metamorfosi, Turin, G. Giappichelli Editore, 1973, p. 17. V. aussi idem, ovidio. Modelli retorici e forma narrativa, Bologna, Pàtron Editore, 1999, p. 29-42 : « La metamorfosi ovidiana come metafora narrativa. »
28 Nous rappelons que l’âme, considérée comme le principe qui anime l’homme et l’animal en général, est présente dans la racine même du terme « animal » (du lat. animus/anima).
29 Ovide, Les Métamorphoses, op. cit., t. III, livre XV, p. 126 (v. 165-168).
30 Franz Cumont, Luxperpetua, Paris, Geuthner, 1949, p. 201.
31 Ce terme, pris dans son sens étymologique, signifie « changement en âme », chute de l’esprit, descente, avatar. V. Michel Roquebert, dans « Préface » à Roland Poupin, Les cathares, l’âme et la réincarnation, Toulouse, Loubatières, 2000, p. 8.
32 L’Edda poétique est un recueil de poèmes datables entre le ixe et le xiie siècles, mais réunis seulement à la fin du xiiie siècle. V. LEddapoétique, textes présentés et traduits par Régis Boyer, Paris, Fayard, coll. « L’Espace Intérieur », 1992, p. 73. Sur Le Dit de Reginn, v. p. 241 et suiv.
33 Il est intéressant d’observer que le don de métamorphose est souvent le signe d’appartenance au monde de la féerie. L’élément aquatique auquel appartient le poisson-nain ne fait que confirmer l’origine douteuse du personnage. Comme le nain Andvari de la Chanson des Nibelungen, Malabron aussi, dans Le Roman d’Auberon, peut se transformer à son gré en poisson.
34 On l’appelle également Edda de snorri, car elle a été composée autour de 1230 par le plus grand spécialiste de la poésie scaldique, Snorri Sturluson. Il s’agit d’un manuel en quatre parties sur les procédés poétiques et sur la mythologie ancienne norroise, à l’appui de quelques-uns des textes de l’Edda poétique et de strophes scaldiques. V. L’Edda. Récits de mythologie nordique par Snorri Sturluson, traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, Paris, Gallimard, 1991.
35 Völsunga saga ok Ragnars saga Lodbrokar, éd. M. Olsen, Copenhague, 1906-1908. Trad. fr. de R. Boyer dans La Saga de Sigurðr ou la Parole donnée, Paris, Patrimoines/Scandinavie, 1989. La Saga des Volsungar date du xiiie siècle.
36 L’Edda poétique, op. cit., p. 327-330 : chap. xxvi et xxvii de la Volsunga saga.
37 Ibidem, p. 136-139.
38 Ibid., p. 139. V. également R. Boyer, Yggdrasill. La religion des anciens Scandinaves, Paris, Payot, 2e éd., 1992.
39 V. Jean-Marc Pastré, « Berserkir et frénésie guerrière dans le Nibelungenlied », dans Heldensage-Heldenlied-Heldenepos, Ergebnisse der II. Jahrestagung der Reineke Gesellschaft (Gotha, 16-20 mai 1991), publié par D. Buschinger et W. Spiewok, Université de Picardie, Publications du Centre d’études médiévales, 1992, p. 187-197).
40 Sagas islandaises, textes traduits, présentés et annotés par R. Boyer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 1-203. La Saga d’Egillaurait peut-être été rédigée par Snorri Sturluson vers 1230, bien qu’elle relate des événements du ixe et du xe siècle.
41 De même que la Saga des chefs du Val-au-Lac, la Saga d’Egill met en scène un bon nombre de pratiques magiques du paganisme nordique. La Saga des Volsungar (Volsunga saga), elle, offre une nouvelle élaboration intéressante du motif de la fureur sacrée des berserkir, associé à celui du loup-garou. Dans cette œuvre, la métamorphose en loup représente le troisième et dernier stade de l’initiation d’un jeune guerrier.
42 Tous les exemples concernant la mythologie celtique sont cités à partir d’Arthur Cotterell, chap. « Mythologie celtique », dans Arthur Cotterell et Rachel Storm, L’Encyclopédie illustrée de la mythologie, Paris, les Éditions de l’Orxois, 2000, p. 92-173, sous l’article correspondant.
43 Raymond Lantier, art. « La religion celtique », dans Histoire générale des religions, 5 vol., sous la dir. de Maxime Gorce et Raoul Mortier, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1948, t. 1, p. 493-512 (p. 497).
44 Ce cas ne concerne pas la transformation d’une forme dans une autre, mais la perte, par désagrégation, de la forme originaire. En cela, il relève d’un type particulier de métamorphose : la catamorphose.
45 Le chamanisme, originaire de la région sibérienne, a laissé des traces de son existence passée sur un vaste territoire qui comprend la Scandinavie, le centre continental eurasien et l’Indonésie.
46 Joan Halifax, Voci sciamaniche. Rassegna di narrativa visionaria, Milan, Rizzoli, 1982, p. 11. Le sens étymologique du terme est révélateur des rites initiatiques réservés au néophyte et qui l’amenaient à faire l’expérience de la mort à travers de dures épreuves de résistance physique. En même temps, il peut aussi renvoyer au rituel des séances dans lesquelles le chaman perdait conscience à la suite des chants et des danses.
47 R. Boyer, Le monde du double. La magie chez les anciens Scandinaves, Paris, Berg International Éditeurs, 1986, p. 39.
48 Ibidem, p. 40.
49 Le terme est à entendre dans le sens que le christianisme a utilisé pour se référer au dogme de la transformation du pain et du vin eucharistique en corps et sang du Christ.
50 Daniel, IV, 30-31. Nabuchodonosor, puni par Dieu pour son arrogance et obligé de manger de l’herbe comme les bœufs, ne retrouve sa conscience d’homme qu’à la fin de ses jours. Le passage, souvent cité dans les textes médiévaux sur la métamorphose, pose le problème de la distinction entre le comportement et l’aspect, dû à une sorte de dédoublement de la personnalité.
51 Cité par L. Harf-Lancner, « De la métamorphose au Moyen Âge », art. cit., p. 14. C’est nous qui soulignons.
52 Claude Lecouteux, « Paganisme, christianisme et merveilleux », dans Annales ESC, 1982, 37e année, n° 4, p. 700-716 (p. 711).
53 Sur la question des limites de la puissance divine, v. Olivier Boulnois, « Ce que Dieu ne peut pas », introduction à La puissance et son ombre. De Pierre Lombard à Luther, sous la dir. d’O. Boulnois, Paris, Aubier, coll. « Bibliothèque philosophique », 1994, p. 9-68.
54 Aristote, La Métaphysique, t. I, trad. et comm. par J. Tricot, Paris, Librairie Philisophique J. Vrin, 1991, livre E, chap. 2 et 4. Cf. livre 0, chap. 10.
55 L’affirmation, avancée au ixe siècle, de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, par exemple, entraîne une discussion qui, relancée par Bérenger de Tours dans la seconde moitié du xie siècle, occupera encore longtemps les penseurs et les théologiens médiévaux. V. Jean-Charles Didier, Histoire de la présence réelle, préface du cardinal Garrone, s. l., CLD esprit et vie, 1978, et Denyse Delcourt, L’éthique du changement dans le roman français du xiie siècle, Genève, Droz, 1990, p. 2327 : « Eucharistie et métamorphose. Quelques problèmes à résoudre au sujet du changement. »
56 Sur le débat à propos de la possibilité et de la modalité de résurrection des corps, v. la critique de ce dogme dans le contra christianos de Porphyre, réfutée par Augustin. L’argumentation est rapportée par Jean Pépin, dans Théologie cosmique et théologie chrétienne (Ambroise, Exam. I 11-9), Paris, PUF, 1964, p. 443-461.
57 Lc., 24, 13-35.
58 Lc., 24, 36-53.
59 Jn., 20, 24-29.
60 Jn., 20, 17.
61 Mt., 17, 1-9 ; Mc., 9, 2-9 ; Lc., 9, 28-36.
62 Lc., 24, 51.
63 V. Lc., 20. 30 ; Mt., 22. 30, cités par Dom Jean Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu. Initiation aux auteurs monastiques du Moyen Age, Paris, Éd. du Cerf, 1990, 1re éd. 1957, p. 59. Encore, à la p. 60, on lit : « La symbolique du vol est [...] fréquente dans les textes. Généralement elle a pour point de départ ce verset du Psaume 54 : “Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe, et je volerai, et je me reposerai ?” »
64 Œuvres de saint Augustin. 36, La Cité de Dieu, Livres XV-XVIII, Luttes des deux cités, édition de B. Dombart et A. Kalb, introduction générale et notes par G. Bardy, traduction française de G. Combes, Paris, Institut d’études augustiniennes, coll. « Bibliothèque Augustinienne », 1996, livre XVIII, chap. 16, p. 532-533.
65 Saint Augustin n’oublie pas de préciser que dans ces cas ce n’est pas l’âme de l’homme qui est changée, mais seulement son enveloppe corporelle.
66 Œuvres de Saint Augustin. 36, op. cit., livre XVIII, chap. 18, p. 536-539.
67 G. Bardy, Notes complémentaires au Livre XVIII, dans ibidem, n° 49, « Faits merveilleux et leur explication », p. 752-755, affirme à ce propos que « seule l’image est réelle, sans correspondre à aucun objet présent » (p. 754). Si, pour expliquer la métamorphose, saint Augustin s’appuie sur une modification de la perception, en revanche, il affirme la réalité de la transsubstantiation (v., pour l’ex., in Ps. 33, serm. II, 2). Ce mystère ne peut donc pas être assimilé, à proprement parler, aux métamorphoses dont il fait état dans le livre XVIII de La Cité de Dieu.
68 L. Harf-Lancner, « De la métamorphose au Moyen Âge », art. cit., p. 12. Aujourd’hui, dans le contexte psychanalytique d’une telle anomalie, on utiliserait peut-être les termes de trouble de la conscience ou d’hallucination.
69 Œuvres de saint Augustin. 36, op. cit., livre XXVIII, chap. 18, p. 538-539.
70 V. Joseph Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung, Bonn, Carl Georgi, Universitats-Buchdruckerei und Verlag, 1901, p. 38.
71 ibidem, p. 39.
72 ibid., p. 39. Le passage est déjà cité par L. Harf-Lancner dans « De la métamorphose au Moyen Âge », art. cit., p. 24, n° 12 et dans « La métamorphose illusoire... », art. cit., p. 212. La traduction, légèrement remaniée, est de L. Harf-Lancner.
73 Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q. CXIV, art. IV. C’est encore à l’étude de L. Harf-Lancner que nous empruntons cette citation (dans « La métamorphose illusoire. », art. cit., p. 213 et n. 9).
74 Cependant, J. Pépin, dans Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, Montaigne, 1958, a montré que l’allégorie remonte à l’époque hellénistique. Porphyre et Plutarque, par leurs interprétations allégoriques du mythe ou de la nature, en sont les premiers théoriciens.
75 V. W. Wetherbee, op. cit., p. 74-82.
76 Boèce, La Consolation de la Philosophie, traduction nouvelle avec une introduction et des notes par Aristide Bocognano, Paris, Librairie Garnier Frères, 1937, IV, Prosa III, 10. C’est nous qui soulignons.
77 Ibidem, IV, Prosa III, 25. Cette argumentation doit être rapprochée d’un passage du Protrectyque de Clément d’Alexandrie, « Sources chrétiennes », I, 3, 2-4, où il est également question d’un abaissement à l’état animal par le comportement humain.
78 Boèce, La Consolation de la Philosophie, op. cit., IV, Metrum III, 27-28 : Sola mens stabilis super/ Monstra, quaepatitur, gemit. Cf. IV, Metrum III, 14 : Flere dum parat, ululat.
79 Ibid.., IV, Metrum III, 31-32.
80 Nous utilisons les formules de « métamorphose in factis » et de « métamorphose in verbis » sur la base de la distinction opérée par saint Augustin entre l’allegoria in factis et l’allegoria in verbis. V. à ce propos A. Strubel, « Allegoria in verbis et allegoria in factis », Poétique, 1975, 23, p. 342-357.
81 M.-M. Davy, Initiation à la symbolique romane, op. cit., p. 36.
82 Les manuscrits des deux œuvres d’Arnoul ont été répertoriés dans Frank T. Coulson et Bruno Roy, Incipitarium Ovidianum. A finding Guide for Texts related to the Study ofOvid in the Middle Ages and Renaissance (Publications of the Journal of Medieval Latin 3), Turnhout 2000, with Frank T. Coulson, « Addenda and Corrigenda to Incipitarium Ovidianum », dans Journal of Medieval Latin 12, 2002, p. 154-180 : Accessus Quoniam maius opus Ouidii... : n° 419 (27 mss cités) ; Mutationesprimi librisunt... : n° 257 (30 mss + 4 ajoutés par F. T. Coulson).
83 Nous avons repris et développé ailleurs l’étude du commentaire d’Arnoul d’Orléans aux Métamorphoses d’Ovide. V. notre article « Lire Ovide au xiie siècle : Arnoul d’Orléans, commentateur des Métamorphoses », Troianalexandrina, 6, 2006, p. 131-149.
84 Poetae vita, titulus, materia, intentio, philosophiae suppositio, utilitas, modus tractandi. Les citations de l’Accessus d’Arnoul aux Métamorphoses renvoient à l’édition que Fausto Ghisalberti a publiée dans Arnolfo d’Orléans. Un cultore di Ovidio nel secolo xii, Memorie del R. Istituto Lombardo di Scienze e Lettere, Classe di Lettere, Scienze morali e Storiche, vol. XXIV-XV della Serie III - Fascicolo IV, Milan, Hoepli, 1932, p. 180-181 (p. 180 ; abréviation adoptée : Accessus). Cette édition reproduit le texte de l’Accessus tel qu’il est contenu dans le ms du xiie siècle de la Biblioteca Marciana de Venise, cod. Miscellaneo lat. XIV, 222 (4007).
85 V. Edwin A. Quain, « The medieval Accessus ad auctores », Traditio, 1945, vol. 3, p. 215-264.
86 Accessus, p. 181. C’est nous qui soulignons. Le quasi qu’utilise Arnoul pour cautionner son discours est une limitation consciencieuse de son explication, qui ne peut pas - et il le savait bien - être appliquée à l’ensemble du recueil.
87 Accessus, p. 181.
88 Le premier des sens attribués par Arnoul à la métamorphose, relevant de l’histoire naturelle individuelle, n’entre pas dans notre sujet. Le deuxième, magique, se trouve partagé dans notre étude entre le merveilleux païen et le merveilleux chrétien ; il est lié à la figure du diable et de ses acolytes. Enfin, la transformation morale, comportant une réduction du mythos en logos, trouve sa place dans le développement de la notion de métamorphose en glose allégorique.
89 Accessus, p. 181 ; trad. P. Demats, op. cit., p. 143.
90 Boèce, La Consolation de la Philosophie, op. cit., livre IV, Prose 3, 25 : « [...] celui qui, ayant abandonné la vertu, a cessé d’être un homme, incapable de devenir un dieu, est transformé en bête. »
91 Arnulphi Aurelianensis Allegoriae super Ovidii Metamorphosin, éd. F. Ghisalberti, op. cit., p. 201219. Abréviation adoptée : Allegoriae.
92 F. Ghisalberti, op. cit., p. 196.
93 Dans cette première catégorie, le terme d’allégorie, qui ne renvoie pas toujours à un concept ou à une réalité abstraite, devient, chez Arnoul, un synonyme de son travail herméneutique.
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