Préface
p. 9-10
Texte intégral
1Muldumarec se transforme en oiseau, Daphné en laurier, Alphonse, le fils du roi d’Espagne, en loup-garou, la princesse en guivre et Merlin en cerf. L’humain prend une forme autre, animale, végétale, plus rarement il devient pierre (comme les Propétides ovidiennes) ou statue (comme Morgue ou la femme de Lot) ; Écho n’est plus qu’une voix. À l’inverse, une dent devient un homme, une statue s’anime devant Pygmalion, un loup (re)devient homme, et une fleur femme pour le plus grand plaisir des hommes d’Alexandre. Si l’on peut imaginer que l’arbre se fasse animal, ou la pierre nuage, au Moyen Âge, l’homme est le pivot de la métamorphose, et c’est toujours de l’humain que l’on part, pour y revenir la plupart du temps. Certes il est des objets qui changent de forme, comme le Graal, les demeures et les îles faees aux contours instables : mais ce n’est plus de véritable métamorphose qu’il s’agit, car il n’y a pas de transgression, de changement de règne. Tout au plus une merveille. Que dire alors d’Uter qui prend les traits du mari d’Ygerne ? Dans ce cas, la transgression serait déplacée et transposée sur le plan moral. Mais c’est une situation exceptionnelle : quand Merlin, le fils du Diable, prend la forme d’un jeune messager, ce n’est pas un humain qui se transforme en un autre humain, mais un hybride (mi-homme mi-démon) qui change de forme. La littérature médiévale n’abusera pas du modèle d’Amphitryon : peut-être parce que sa reprise, aux fondements de la matière arthurienne, interdisait à ce mythe tout avenir littéraire au Moyen Âge ; peut-être parce que la matière arthurienne a eu bien du mal à s’accommoder de ce qui renvoyait à l’héroïque et au divin dans l’Antiquité, mais n’était plus que faiblesse humaine et adultère au xiie siècle. L’aventure d’Uter est bien trop lourde à porter pour le monde breton et dissuade peut-être, dans la littérature profane, de renouveler l’expérience. Si l’on comprend que l’homme puisse devenir un loup, si la métamorphose se glose alors assez facilement sur le plan moral, en termes de magie ou métaphoriquement, au contraire, la métamorphose d’un homme en un autre est la corruption la plus dangereuse, la plus inquiétante, la plus difficile à cerner, la plus diabolique qui soit, tant il est vrai que l’homme est, plus que tout, la chasse gardée de Dieu. Tout au plus, la littérature mettra en œuvre des déguisements, qui engagent moins l’être et la responsabilité. En fait, c’est certainement dans la perspective chrétienne de la Transfiguration et de la Résurrection que se réalise l’imaginaire d’une métamorphose indépendante d’un détournement vers les autres règnes de la nature. La transposition sur l’axe vertical de la spiritualité est le vecteur qui favorise cet imaginaire, où la métamorphose n’est plus détournement, mais élévation. Au Diable restent alors les formes humaines et animales.
2Cristina Noacco propose de remonter aux origines mythologiques et chrétiennes de la métamorphose et en décline toutes les formes. Il manquait une synthèse sur la métamorphose : les reprises ovidiennes, et en particulier l’Ovide moralisé, sont l’objet d’études renouvelées et fort riches, tout comme certaines métamorphoses arthuriennes (en particulier celles de Merlin), mais l’omniprésence de la métamorphose dans le champ littéraire des xiie et xiiie siècles et la cohérence des représentations ne pouvaient apparaître que dans une étude où la diversité des genres narratifs serait prise en compte. D’Ovide à la Résurrection, du chamanisme à saint Augustin, tantôt réversible, tantôt définitive, orientale ou bretonne, magique ou ambiguë, de Dieu ou du Diable, la métamorphose médiévale est une et plurielle et ce sont ses muances où s’exercent la raison, la foi et l’écriture que Cristina Noacco nous invite à contempler et comprendre en nous merveillant.
Auteur
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