Conclusion
p. 309-310
Texte intégral
1La poésie est universelle, la poésie est au-delà des frontières et des patries, petites ou grandes, comme il vient d’être dit. Quand on parle de Du Bellay comme on l’a fait cet après-midi, on ressent chez lui cette identité d’une France profonde qu’il exprime si bien en Italie et ailleurs, dans ses retours de voyage en Méditerranée. On distingue aussi, dans les littératures francophones, ces héritages, ces cheminements et ces allées et venues entre les poètes de Rochefort et les poètes francophones.
2On se rend bien compte en effet à quel point la poésie est la meilleure médiation qui soit entre les volontés contradictoires que l’on peut avoir : rester soi, s’enfermer, ou aller vers l’autre pour le conquérir ou pour l’aimer. De ce point de vue, je crois qu’il est très intéressant de constater, à travers l’histoire de Rochefort ou de la francophonie, qu’il y a eu des voies pour essayer de construire une solidarité : la voie politique par exemple, à travers le social, le communisme, et une autre voie, plus esthétique, qui disait que nous sommes tous des poètes, d’où que l’on vienne. Mais cette voie est en même temps une limitation, car à un moment donné, l’Histoire revient pour ceux qui seraient restés dans leur tour d’ivoire, même commune. Parmi ces poètes dont on parle – Cadou parlant des massacres et des belles fleurs ou ces écrivains de la francophonie – il y en a quelques-uns qui tentent de tenir la poésie par les deux bouts : celui de l’Histoire et celui de la célébration des roses et des lys, y compris ce qui peut les écraser, ces roses et ces lys. De cela aussi, il faut rendre compte, d’une manière aussi belle que le spectacle d’un beau jardin.
3Voilà bien une œuvre collective ! Cela fait quatre siècles que l’on entend la même chose en quelque sorte. Préférons cette idée d’ouverture à cette idée de coupure, car elle est fausse. Entre ce qui se passe à l’extérieur, en Algérie ou aux Antilles, dans tout ce monde francophone présent sur les cinq continents, et ce qui se passe ici dans l’Hexagone, il n’y a pas coupure, il y a avant tout continuité.
4On peut même penser que ce qu’ont fait ces poètes de la Renaissance en ouvrant la France au-delà d’elle-même, c’est-à-dire à l’Europe, c’est également ce qu’on fait les poètes et écrivains francophones en permettant, comme l’a dit Daniel Delas, à toute une philosophie, toute une pensée, toute l’émotion du sentiment, que l’on retrouve chez Bergson par exemple, de s’exprimer ailleurs. Ce mouvement d’ouverture a été porté par Senghor depuis la France. Prenons l’exemple du Cameroun avec le retour au romantisme allemand. Certains intellectuels camerounais – ce sont bien des raisons historiques de colonisation, le Cameroun étant partiellement occupé par l’Allemagne – sont allés faire des études en Allemagne, ont connu Goethe, Nietzsche, l’École de Francfort, ont découvert d’autres modes de pensée. Se retrouvant à Paris, ils n’ont pas dressé de frontières entre la France et l’Allemagne. Ils ont été les porteurs d’une communauté européenne de réflexion et de pensée sur la poésie, sur l’émotion, sur le rationnel et l’irrationnel, qui traverse l’histoire, pas celle de la France seulement, mais l’histoire tout simplement du monde.
5Faut-il être simple pour être clair ? Dans cet immense débat, la poésie trouve les moyens dans ce qu’on peut appeler l’ésotérisme pour dire des choses que l’on comprend lorsqu’elle est proférée, que l’enfant comprendra dans les écoles en effet. Ce n’est pas l’explication de texte qui fait la puissance du texte, mais c’est bien le sens, au-delà de la syntaxe, de tout ce qui peut paraître complexe. Cela manifeste vraiment à chacun, au-delà des frontières, l’importance du poème, de l’expression poétique.
6Alors que nous sommes sur le départ, je conclurai avec René Char : « tu es pressé d’écrire... ». Oui, tout le monde : Du Bellay, Senghor, Cadou et tous les autres ! À travers les citations de très beaux vers, l’odeur des lys et la liberté des feuilles, on a envie de dire : « partons avec tout cela ! ». Mais, en même temps, on a beaucoup joué sur les mots en disant que c’était aussi l’odeur du lys qui nous permet d’aller vers ce qu’on appelle les feuilles de liberté, qui utilise la liberté des feuilles pour exprimer quelque chose... René Char disait cela très simplement, comme si c’était un message :
Tu es pressé d’écrire, comme si tu étais en retard sur la vie. S’il en est ainsi fais cortège à tes sources. Hâte-toi. Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance...
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