Narcisse : l’individu moderne entre magie, image et imagination. Quelques propos au sujet de Narciss oder Mythos und Einbildungskraft de Rudolph Kassner1
p. 173-187
Texte intégral
Narcisse, emblème moderne...
1L’histoire de Narcisse n’a cessé – en particulier depuis Ovide3 – de traverser les époques et de séduire les esprits, tant son personnage est lié au souvenir d’un destin voulu et pourtant fatal. On sait la fortune de cette figure mythologique dans toute l’histoire de l’art occidental, qu’il s’agisse d’arts plastiques, de littérature ou de musique : on peut citer ici pêle-mêle les noms de Gustave Moreau, Max Klinger, Rousseau, Gide, Valéry, Rilke, Domenico Scarlatti ou Willibald Gluck4... Il apparaît néanmoins que dans la période qui va de la fin du xixe siècle aux premières années du xxe siècle le personnage de Narcisse devient tout particulièrement un sujet de prédilection pour de nombreux artistes européens. Dans cette période, qui englobe ce que l’on a appelé – en termes d’histoire littéraire – la « fin de siècle », « l’esthétisme », ou encore « la littérature de la décadence », Narcisse devient une sorte de figure « emblématique5 » pour toute une génération de jeunes écrivains, eux-mêmes épris de beauté, de subjectivité et parfois de solitude. Les mots de Pierre Jourde qui ouvrent sa contribution « Narcisse fin de siècle : l’aporie du miroir » sont à cet égard révélateurs ; après une citation de quelques vers du Narziss (1913) de Rilke, Pierre Jourde écrit :
Les Narcisses prolifèrent dans les revues et les recueils de la fin du siècle. Chacun y va de son traité ou de son sonnet. Il est vrai que le mythe spéculaire par excellence ne pouvait que séduire symbolistes ou décadents. Narcisse, en effet, n’est pas un mythe comme un autre dans le catalogue de la fin du siècle. Il est le seul à mettre en scène la pure confrontation du réel et de l’image. Une littérature qui se regarde et tend à se détourner du réel pour réfléchir à sa nature, pour se réfléchir, devait nécessairement faire du narcissisme la question centrale6.
2Nous trouvons dans cette étude une sorte de catalogue des auteurs français qui ont tous écrit, à peu près à la même époque, des poèmes ou autres textes sur Narcisse. Sont largement connus Le Traité du Narcisse (1893) de Gide ou le poème de Valéry « Narcisse parle » (1891), suivi des Fragments du Narcisse (1926) et du livret de la Cantate du Narcisse (19397) ; on connaît moins ceux d’Albert Giraud, de Bernard Lazare ou de Jean Lorrain. Le même phénomène se manifeste dans ces années-là chez les écrivains de langue allemande. Comment ne pas penser ici à la formule « Ego Narcissus » que Leopold Andrian place en exergue à son récit Der Garten der Erkenntnis (18958) ? En cette même année 1895, Hugo von Hofmannsthal, commentant l’ouvrage de son ami Andrian, parle du « Livre allemand de Narcisse9 », et campe lui aussi un personnage de jeune Narcisse dans son texte Das Märchen der 672. Nacht10, où l’on apprend que ce fils de marchand, tire « une grande fierté à se regarder dans le miroir11 ». Nous pourrions citer aussi le poème « Narziß » de Rilke (1913), ou le récit plus tardif de Hermann Hesse Narziß und Goldmund (1930).
3Il est un autre penseur que nous devons mentionner et qui confirme l’intérêt que l’on a porté, pendant cette période charnière entre les xixe et xxe siècles, à cette figure du Narcisse ; même si nous devons quitter ici le champ de la littérature, nous ne pouvons faire abstraction de Sigmund Freud, qui introduit le terme de « narcissisme » dès 1909, dans une note ajoutée à la deuxième édition des Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, avant de publier – en 1914 – son texte « Zur Einführung des Narzißmus12 ». Il ne nous appartient pas ici de développer la signification spécifiquement freudienne du terme de narcissisme ; nous interprétons plutôt cet aspect particulier comme un signe redondant de la prégnance de la figure de Narcisse dans les premières années du xxe siècle. Les idées associées – en toute connaissance de cause ou de façon plus banale – à toutes les formes de ce que l’on nomme « narcissisme » évoquent une attitude caractérisée, à des degrés divers, par la subjectivité, l’autoréflexivité, la fascination esthétique pour soi-même, voire une certaine vanité et un isolement induit ou recherché. Et l’on voit aisément les liens que l’on peut établir alors avec toute une génération d’artistes que l’on a qualifiés d’esthètes, de dandys ou de dilettantes, souvent enclins à l’égotisme...
4Rudolf Kassner, ami de Hofmannsthal et de Rilke, lecteur et traducteur de Gide, s’inscrit sans peine dans ce paysage intellectuel et artistique ; dès la publication de son premier ouvrage Die Mystik, die Künstler und das Leben (190013), il manifeste un vif intérêt pour un certain esthétisme anglais. Le sous-titre est explicite : « Über englische Dichter und Maler im 19. Jahrhundert – Accorde » ; ainsi trouve-t-on dans cet ouvrage des chapitres consacrés, par exemple, aux peintres préraphaélites Dante Gabriel Rossetti, William Morris et Edward Burne-Jones, ou aux poètes Algernon Charles Swinburne et Robert Browning. Rudolf Kassner, que l’on peut présenter comme penseur « pour ne pas dire philosophe14 », est un auteur qui s’intéresse à l’art, ainsi qu’à toute forme de pensée sur l’art et la culture, d’où une œuvre multiforme, dans laquelle on trouve aussi bien des essais sur l’esthétique en général que des études critiques consacrées à tel ou tel artiste ou penseur. Citons, en guise d’illustration, quelques-uns des premiers textes publiés par Kassner : Der indische Idealismus – Eine Studie (1903), Die Moral der Musik (1905), Der Dilettantismus (1910), ou encore Zum Tode Oscar Wildes (1901) André Gide (1901), Denis Diderot (1906). Cette liste pourrait facilement être allongée, et l’on verrait alors apparaître des traductions, du Banquet de Platon (1903), du Philoctète de Gide (1904), ou d’œuvres de Gogol (Le Manteau, 1912) et de Dostoïevski (Le Grand Inquisiteur, 1913).
5Dans le vaste champ culturel qui intéresse Kassner15, qui va de l’Orient à l’Occident, et de l’Antiquité aux œuvres artistiques de ses contemporains, on retrouve évidemment aussi la figure de Narcisse, qui apparaît plusieurs fois dans des textes de factures très diverses. Nous trouvons un premier texte, en forme de dialogue, dans le recueil Der Tod und die Maske – Gleichnisse de 1902. Ce dialogue, intitulé « Psyche und Narcissus – Eine Erkennungsszene vor dem Haine der Aphrodite », présente Narcisse comme une sorte de maître qui fait découvrir à la nymphe Psyché le miroir que lui offre l’eau de la fontaine16. Kassner évoque encore Narcisse dans l’essai qu’il consacre à Kierkegaard en 1906, et, au détour d’une phrase, il reprend, à propos de Narcisse, le « topos » de « l’amour de soi17 ». Nous avons dans ces deux cas une sorte de jeu avec la réminiscence littéraire, sans autre développement.
6Si nous nous référons maintenant à la deuxième période d’activité créatrice de Kassner, qui va de 1910 à 1938, comme l’auteur lui-même l’a précisé18, nous nous situons dans ces années où s’élabore, au cours de plusieurs œuvres, le grand projet physiognomonique de l’auteur. Citons ici par exemple les ouvrages Zahl und Gesicht – Nebst einer Einleitung : Der Umriß einer universalen Physiognomik19, paru en 1919, ou encore Die Grundlagen der Physiognomik, de 192220. Là encore, le personnage de Narcisse est présent, devenant cette fois l’une des figures exemplaires de ce que Kassner développe à partir de sa vision physiognomonique, ainsi par exemple dans l’ensemble des Physiognomische Studien, ensemble intitulé Die Verwandlung (192521). Le chapitre « Narcissus22 » se présente comme une brève réflexion d’une vingtaine de lignes, qui invite à voir dans ce personnage non le représentant de la vanité, mais l’homme emporté par la beauté et la perfection esthétique. Voici les premières et dernières lignes de ce texte :
7Narcisse était-il vaniteux ? Le vaniteux se voit-il lui-même ? Ou ne détourne-t-il pas plutôt le regard de lui-même ? [...]
8Narcisse ne se voyait pas lui-même, il voyait, dans le miroir de l’eau, sur lequel il penchait son visage, la beauté et la perfection, et c’est en elles qu’il a sombré. Ainsi n’était-il pas vaniteux. Ainsi vivait-il dans un monde sans vanité23.
9Nous pouvons voir, dans ces lignes, une forme d’éloge du personnage de Narcisse ; cependant, nous préférons, en partie à cause de la brièveté du propos, considérer plutôt ce texte comme une sorte de prélude au dialogue intitulé « Narciss oder Mythos und Einbildungskraft », paru en 1928 dans un recueil épo-nyme qui comprend en outre des chapitres consacrés à Pascal, Lawrence Sterne, Gogol ou à Rilke24. Ce dialogue « Narciss », d’une bonne trentaine de pages et qui ouvre l’ouvrage, occupe une place tout à fait éminente dans la réflexion de Kassner. Nous en voulons pour preuve les allusions à ce texte, que Kassner dissémine dans des écrits postérieurs25, et surtout les divers entretiens qu’il a accordés à son lecteur et admirateur Alphons Clemens Kensik entre 1947 et 1958, entretiens consacrés en particulier au Narciss de 1928 et que Kensik a publiés sous le titre Narziss – Im Gespräch mit Rudolf Kassner26. Les premières lignes de « L’Introduction » rappellent clairement le sujet dont il sera question ; Kensik précise :
Pour notre compagnon de lecture, pour le lecteur à venir, il y a un préalable à notre conversation : que l’on connaisse au moins le dialogue « Narziss » [sic], même sans en avoir la même connaissance que celle que vous [Kensik s’adresse à Kassner] ou moi en avons27.
10Nous nous proposons d’étudier comment Kassner interprète la figure de Narcisse dans ce dialogue, avant d’en tirer quelques conclusions plus générales sur la portée de ce texte à l’aune de cette forme de pensée (ou de vision) physiognomonique. Dans cette perspective, nous pouvons d’emblée souligner l’importance du sous-titre « Mythos und Einbildungskraft » (mythe et imagination), lequel – par la réunion de ces deux termes – nous ouvre le chemin de la pensée de Kassner, pensée d’un accès parfois difficile à première lecture, comme l’auteur lui-même le concède à son ami Kensik au cours de leur entretien. Kassner déclare ainsi :
11Vous avez certainement raison : il se peut que je mélange parfois ce que je devrais distinguer clairement, plus clairement28 [...].
12Quand il prend congé de son interlocuteur Kensik, Kassner fait une nouvelle allusion à la difficulté que rencontre habituellement son lecteur pour comprendre ses écrits – difficulté qui, d’ailleurs, est devenue un poncif dans toute la littérature critique consacrée à Kassner29. L’entretien se termine par une sorte d’ultime pirouette de la part de Kassner :
Pour terminer, je voudrais encore vous citer, vous répéter une parole, de votre philosophe Hegel :
assis sur son lit de mort, il dit, à ce que l’on rapporte : « Parmi tous mes amis et mes relations, il n’y a qu’une seule personne qui m’ait entièrement compris. » Et quand on hocha la tête d’un air interrogateur, alors qu’une querelle menaçait d’éclater, Hegel dit : « Et même lui ne m’a pas entièrement compris » ; alors il se retourna et mourut.
J’espère qu’il n’en va pas pour moi comme pour Hegel. Nous verrons bien [...]30.
Le « Narcisse » de Rudolf Kassner
13Dans le chapitre « Narciss », premier chapitre de Narciss oder Mythos und Einbildungskraft, Kassner choisit la forme du dialogue, forme qu’il utilise assez souvent à côté d’autres formes d’écriture essayistique, telles que par exemple la parabole ou la lettre. Il s’agit ici d’une conversation « qui s’engagea au sujet de la littérature » entre cinq interlocuteurs qui sont présentés au début : se sont retrouvés, chez un narrateur-locuteur à la première personne, un homme d’État, un poète, un docteur, et un homme « qui parle peu31 ». Il faut néanmoins noter, sans vouloir ici développer des remarques concernant la forme de ce dialogue, que ce chapitre – malgré la présence de cinq interlocuteurs – se présente plutôt sous une forme monologique ; en effet, le narrateur-locuteur à la première personne occupe, dans ce dialogue, une place prépondérante, et c’est lui qui formule la plupart des remarques qui ponctuent le portrait de ce nouveau Narcisse en qui il veut voir autre chose que « le symbole de l’amour de soi et de la vanité32 ». Sous ce subterfuge, c’est évidemment Kassner lui-même qui refuse « la platitude » habituelle de toutes les interprétations qui ont réduit Narcisse à ce rôle de jeune garçon « épris de sa propre image33 ».
14Toutefois, avant que le nom de Narcisse ne soit mentionné, la conversation emprunte de longs méandres, parfois déroutants, qui constituent finalement un long développement préliminaire à propos des différences entre le monde du mythe et celui de « l’homme moderne34 ». Et ce n’est qu’après une quinzaine de pages que le narrateur annonce qu’il va « tenter de saisir le conte de Narcisse plus profondément que cela n’a été fait jusque-là35 ». Avant donc de présenter quelle place nouvelle Kassner attribue à Narcisse, il faut suivre à grands pas les jalons qui, selon l’auteur, mènent du monde du mythe à celui de l’époque moderne.
15Le monde du mythe, celui des dieux et des héros de l’Antiquité, est un monde de l’éternité originelle, un monde de l’Être, un monde que Kassner qualifie de « magique » et qui permet par exemple toutes les métamorphoses, telles qu’Ovide par exemple, les a dépeintes. C’est l’univers de la « mesure36 », du « lien37 » et de la « consécration38 ». Pourtant, ce qui caractérise le plus fortement le monde du mythe, si on le compare au monde qui lui a succédé, c’est l’absence de l’individu, du « je » qui s’affirme en tant que tel. L’interlocuteur principal adopte un ton quelque peu lyrique pour souligner cette qualification négative ; il parle d’un « monde sans je, sans liberté, sans intérieur ni extérieur, sans tension entre l’être et l’apparence, sans devenir39 ». Il ajoute encore que « de tels corps, âmes ou êtres magiques, comme il en existe tant dans les mythologies de tous les peuples, sont sans je40 ».
16Le monde de « l’homme moderne » se présente comme le tableau où se trouve inversé le monde mythique ou magique, c’est le monde d’après « le péché originel41 ». L’homme moderne est tout d’abord celui qui a pris conscience de lui-même ; « plus nous devenons des individus [...], plus nous sortons du monde spatial de la jeunesse, du mythe, de la métamorphose pour entrer dans le monde temporel de la conscience de soi et de la curiosité, plus nous devenons, comme je le dis, profonds et superficiels à la fois42 ». C’est un être soumis au temps, au devenir et à la mort, un être sans « mesure » et soumis à des « limites », à la « convention43 », et même à la « compensation44 ». Cet « être du je45 » peut même n’être plus qu’un être de la « masse46 » quand il aura perdu son je individuel au profit d’un « je collectif47 », situation que Kassner résume, sans autre explicitation, en employant les termes de « communiste » ou de « matérialiste absolu48 »…
17Faut-il alors comprendre « l’homme moderne » comme un être en totale déréliction, et qu’on ne pourrait évaluer que négativement à l’aune d’un monde mythique de toute façon révolu ? Faut-il voir dans ce texte l’expression d’un de ces « phénomènes de déclin49 » dont il fut si souvent question dans les années où Kassner écrit son texte ? Le narrateur s’élève contre une telle idée, puisque « l’un des rares principes » auxquels il se plie est de « ne pas parler de phénomènes de déclin », car « pour parler de déclin », il faudrait « posséder une mesure50 », ce dont l’homme moderne est privé. L’homme moderne peut et doit encore être considéré, non seulement dans sa petitesse, mais aussi dans sa grandeur en tant qu’« être du je », et c’est à ce propos que la figure de Narcisse est introduite dans le développement. Kassner évoque Pascal, Descartes ou Hamlet, et voit qu’« un Narcisse est caché dans chacun des êtres du je qui ont été nommés, et dans tous ceux qui leur ont succédé51 ». Pour l’auteur, « la transition de l’être magique à l’être du je, la transition de la magie à l’imagination ou l’unité des deux » constitue le « noyau » du « conte ou du mythe de Narcisse52 ». La vision spéculaire de Narcisse est à l’origine de cette découverte du je : « quand l’homme se voit dans le miroir, il n’y a là qu’un seul être, et il dit donc : je53 ».
18La contemplation du miroir n’est pas seulement, selon Kassner, la source de l’affirmation positive du je ; elle permet aussi la révélation du pouvoir de « l’imagination54 ». Le miroir est le révélateur du lien entre le corps et l’âme, il est à la fois image et imagination, surface et profondeur. Narcisse, ou le je, est pour Kassner « sans qualités », au sens où Musil emploiera plus tard ce terme ; leur seule qualité est celle « du miroir ou de l’imagination55 ». Le miroir est ce « lien56 » qui, dans « un monde sans liens57 », permet à l’être de se voir, et de se voir se transformer. « Narcisse n’est qu’en tant qu’il se transforme58 », mais il est un être sans « couture59 », qui trouve son unité dans sa capacité d’imagination, « axe autour duquel se meut le monde de Narcisse60 ».
19On voit aussi quel rôle central est dévolu à l’imagination quand on lit un peu plus loin qu’elle est aussi ce qui permet, par « l’imaginaire », « d’avancer dans la durée » ou « de simplement vivre61 ». Non sans faire allusion à la théorie de la durée développée par Bergson, par exemple dans son Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) ou dans l’ouvrage Durée et simultanéité (1922), Kassner affirme que la durée est incomplètement définie si on la prive de l’imaginaire ; pour lui, « ce n’est que grâce à celui-ci qu’elle dure éternellement, qu’elle est présence, qu’elle est forme et mise en forme62 ». La notion de forme est ici à rapprocher des considérations ultérieures de l’auteur sur la capacité de l’imagination à agir comme un « correctif63 » qui redonne une « harmonie » au mouvement des choses, et qui permet au « poète » d’être en « harmonie avec lui-même grâce à son œuvre64 ».
20Pourtant, même si l’imagination est présentée comme une nouvelle richesse pour ce Narcisse poète ou artiste, penché sur son image, miroir de son imaginaire, il est une autre dimension du personnage qui tire celui-ci plus fortement du côté de l’homme moderne ; en effet, Kassner rappelle qu’on ne peut imaginer l’homme moderne, dans sa condition existentielle, que dans une situation de « solitude spécifique65 ». L’imagination a pris la place du mythe, mais elle n’a en rien aboli une solitude que Kassner voit chez Narcisse, comme chez Kierkegaard, qui est pour lui un « Narcisse, comme tous les esprits à la fois passionnés et profonds du dix-neuvième siècle66 ». La situation de l’homme moderne se trouve ainsi résumée :
Chez l’homme moderne, l’imagination a pris la place du mythe. Ou l’expérience grâce à l’imagination, la solitude spécifique de l’homme moderne, la métamorphose comme rêve, comme art. Nous sommes sans mythe, ou notre mythe est cette solitude qui est l’arrière-plan de l’imagination67.
21Cette solitude existentielle, si riche et si féconde soit-elle, est aussi, pour Kassner, ce qui empêche Narcisse d’être heureux ; « Narcisse est sans bonheur. Entre Narcisse et le miroir, il y a tout, il y a le monde entier, il y a le début et la fin du monde, mais entre Narcisse et le miroir, il n’y a nulle part le bonheur68 ». Le personnage de Narcisse représente ainsi pour Kassner, malgré le caractère par-fois disparate de certaines remarques, une figure de transition, et donc à la fois de rupture et de rencontre, entre le monde du mythe et celui de l’histoire, entre l’univers de la magie et celui de l’imagination. On retrouve par là-même le sens du sous-titre de l’œuvre « Narcisse, ou Mythe et Imagination69 », et on constate aussi à quel point ce « Narcisse » est véritablement le Narcisse de Kassner.
Kassner et Narcisse...
22L’image de Narcisse, qui se dégage de ce texte foisonnant et complexe, ne peut être appréciée de façon satisfaisante que si elle est mise en relation avec quelques-uns des thèmes centraux de la pensée de Kassner. Il ne saurait toutefois être question de formuler des énoncés d’ordre strictement philosophique ou esthétique à partir de « cette pensée qui s’offre à nous comme une contemplation, tentant de s’articuler en discours », comme le souligne Gabriel Marcel en conclusion d’un bref article qu’il consacre à « L’Imagination et l’Observation chez Rudolf Kassner70 ».
23Il apparaît tout d’abord que la figure de Narcisse s’inscrit chez Kassner dans le cadre d’une réflexion longue et multiple sur l’imagination. Dans Melancholia, paru dès 1908, nous trouvons un chapitre intitulé « 2. Verwandlung : Der Träumer – Ein Gespräch über die Einbildungskraft71 ». L’ouvrage Von der Einbildungskraft, publié en 193672, apporte un autre témoignage de l’importance que revêt l’imagination dans toute la pensée de Kassner. L’imagination, chez cet auteur, est une faculté qui dépasse de loin la simple capacité de se représenter des faits ou des éléments extérieurs à la « réalité ». C’est une donnée essentielle de la « conditio moderna » qui permet à « l’homme moderne » de retrouver cohésion, harmonie, « lien73 » et sens, après que celui-ci a perdu l’unité originelle du monde mythique. « L’imagination est le chemin, le pont. Elle est l’arc qui relie le proche et le lointain74 [...] ». Narcisse, figure de transition entre magie et imagination, inaugure ce pouvoir nouveau de l’imaginaire dans l’image de soi que lui envoie le miroir. Il s’inscrit ainsi également dans la grande vision physiognomonique qui, chez Kassner, prend les traits d’une réconciliation générale entre les principes apparemment opposés de l’esprit et du corps, du céleste et du terrestre, du divin et de l’humain. Les mots qu’emploie Gabriel Marcel à ce sujet sont éloquents ; le philosophe écrit :
Ce sens [ce sens ultime de la physiognomonie] ne résiderait-il pas dans la réconciliation de l’Ame et de l’Esprit, celui-ci étant tiré de l’état d’impuissance parasitaire où il était tombé au xixe siècle ? C’est qu’un chemin perdu était retrouvé, celui qui mène de la terre au soleil et au monde des astres, du monde des âmes au monde de l’esprit ; et ce chemin à vrai dire n’est autre que l’imagination elle-même. Celle-ci a retrouvé la signification qu’elle revêtait chez les anciens, lorsque par l’intermédiaire du mythe était assurée la liaison de la terre et des astres, de l’homme et de son destin. C’est bien ici que la pensée de Kassner débouche sur une théorie de l’imagination dont l’importance est chez lui centrale. [...] Cette faculté maîtresse ayant pour destination centrale d’être un pont entre l’esprit et l’âme75.
24Cette pensée physiognomonique aboutit aussi à une vision particulière de l’histoire de l’humanité. Dans le texte du « Narcisse », Kassner donne à mots couverts les grandes lignes de l’évolution qui a conduit du règne du divin, du mythe et de la magie à l’univers de l’humain, de l’histoire et de l’imagination, tout en attribuant à ce Narcisse, découvreur de l’image de soi, un rôle charnière. L’importance déterminante et positive de l’imagination, comme point d’ancrage de la condition moderne, est également démontrée sur le mode négatif, quand Kassner évoque la possible occultation de l’imagination au profit du « nombre ». Quand triomphe le nombre, l’homme perd sa qualité de « je », il est aspiré par le « je collectif » et se trouve englouti par la « masse76 ». Cette question du rapport entre l’individu et la masse, qui occupe les penseurs, philosophes et politologues à l’époque, n’est ici qu’abordée ; elle trouvera en fait d’autres développements dans des ouvrages ultérieurs de Kassner, par exemple dans son discours de 1931 intitulé Der Einzelne und der Kollektivmensch77.
25L’optique choisie par Kassner ne se limite pourtant pas à ce seul parcours qui a mené l’homme du monde du mythe à celui de l’imagination. Il y a aussi chez Kassner, comme un arrière-plan de plus en plus présent au fil de ses différentes œuvres, la permanence d’une pensée de nature religieuse et dans laquelle une certaine vision du christianisme se fait de plus en plus prégnante. Dans le texte du « Narcisse », il n’est question, la plupart du temps, que des dieux de l’Antiquité grecque ou des divinités brahmaniques78. Et c’est seulement à la fin du dialogue qu’est introduite, à la suite d’une objection de l’un des interlocuteurs, la notion de « Dieu personnel79 », reprise ensuite par la formule de « Dieu-homme80 ». Il faut compléter ici rapidement ces formules en soulignant que, dans d’autres ouvrages81, Kassner attribue à la figure du Christ un rôle particulier, puisqu’il intègre finalement l’eschatologie chrétienne à sa vision physiognomonique82 : le Christ est, pour lui, celui qui a fait passer l’humanité de l’identité à l’individualité, de l’espace au temps, de l’âme du monde à l’âme individuelle. Et comme ce Narcisse qui, dans son miroir, se voit et se découvre lui-même83, l’homme chrétien est appelé à une autoréflexion qui doit le mener à une « conversion84 ». Ainsi Narcisse peut-il être extrait du monde païen des dieux de l’Antiquité : il n’incarne pas seulement « une grande nostalgie du paganisme85 », il occupe la place d’une figure tutélaire pour « l’homme moderne ».
26Narcisse, comme paradigme de l’être du « je », comme être de l’image et de l’imagination, est aussi plus spécifiquement un parent de ces « êtres de l’idée », de ces « poètes », formant une communauté dans laquelle se placent ouvertement les cinq interlocuteurs86. Car il existe un lien entre la situation de « l’homme moderne », privé de l’unité, de l’harmonie et de l’éternité du monde du mythe, et la situation de l’art, qui se trouve dans un état de « relative pauvreté87 » quant aux formes. Les formes originelles, qui ont été perdues quand le monde mythique a disparu, doivent être retrouvées et refondées dans et par l’imagination. C’est l’imagination qui donne au poète cette harmonie intérieure qui relie l’être de l’artiste à son œuvre. Kassner formule ainsi cet éloge de l’imagination poétique :
Selon l’avis des hommes ordinaires, la vie d’un poète est (pour parler de façon tout à fait générale) « disharmonique ». Et pourtant, le poète est en harmonie avec lui-même grâce à son œuvre. [...] Seul un poète sans œuvre, sans imagination, ne pourrait être autrement qu’en disharmonie. Ainsi l’œuvre est-elle à l’intérieur du poète et le poète à l’intérieur de l’œuvre grâce à l’imagination88.
27Narcisse, être de réflexion, de conscience de soi et d’imagination – au sens où Kassner entend ce dernier terme –, n’échappe peut-être à la solitude, qui est son apanage, que lorsqu’il devient artiste, poète, créateur. Il y a là comme un retour du texte sur lui-même, puisque la conversation s’était engagée sur le thème de « la littérature » et de « la poésie lyrique moderne89 ». On est toutefois tenté d’aller au-delà du seul constat de la circularité formelle du texte du « Narcisse » et de voir, dans l’éloge du poète-créateur, l’une des conséquences liées au fondement physiognomonique de la pensée de Kassner : la recherche de la forme esthétique doit être mise ici en relation avec la conviction de l’auteur que le monde n’est lisible qu’à partir de ses formes. L’imagination, source de « poièsis », offre au Narcisse de Kassner, et au poète « moderne », la voie d’une résolution esthétique des apories de la « conditio moderna90 ». Cette voie n’est donc réservée, pour Kassner, qu’à ceux des « hommes modernes » qui savent cultiver leur « je » et leur faculté individuelle d’images, d’imagination et de formes, pour échapper ainsi à la tentation du « je collectif ». C’est en ce sens que la « contemplation91 » physiognomonique de Kassner revient à affirmer la primauté de l’individuel et de l’esthétique, visant également à faire « contre-poids92 » aux phénomènes de massification et de collectivisation qui ont marqué l’histoire occidentale depuis le début du xxe siècle.
Notes de bas de page
1 Mes remerciements vont à la « Alexander von Humboldt-Stiftung » qui m’a permis d’effectuer mes premières recherches sur Rudolf Kassner en 1993-1994, à l’Université Johannes-Gutenberg de Mayence.
3 Ovide, Les Métamorphoses, Livre III, Vers 339-510, Édition Les Belles Lettres, Paris 1999, Tome I, p. 80-86.
4 Cf. à ce sujet les ouvrages suivants : Élisabeth Frenzel : Stoffe der Weltliteratur, Kröner, Stuttgart 1962, p. 457 sq./Ursula und Rebekka Orlowsky : Narziß und Narzißmus im Spiegel von Literatur, Bildender Kunst und Psychoanalyse. Vom Mythos zur leeren Selbstinszenierung, Fink, München 1992/Elio Mosele (éd.) : Narciso allo specchio : dalmito alcomplesso, Fasano 1995/Almut-Barbara Renger (Hg.) : Narcissus : ein Mythos von der Antike bis zum Cyberspace, Metzler, Stuttgart – Weimar, 2002/Figures de Narcisse, Textures 9, Lyon 2003.
5 Cf. Walter Erhart, « “Wundervolle Augenblicke” – Narziß um 1900 », in Narcissus : ein Mythos von der Antike bis zum Cyberspace, op. cit., p. 99-115 ; l’auteur précise à propos du poème « Narziß » de Rilke : « Eine solche räumliche Vorstellung des Subjekts kann alsbald stilbildend werden für eine poetisch-literarische Imagination von Subjektivität, die sich der linearen Zeitlichkeit und Verzeitlichung entzieht – und gerade deshalb den Narziß zu einer emblematischen Figur der frühen ästhetischen Moderne erhebt. » (p. 110.)
6 In Narciso allo Specchio..., op. cit., p. 11.
7 Cf. Paul Valéry, Oeuvres I, Édition La Pléiade, Paris 1957, respectivement p. 82, 122, 403.
8 Leopold Andrian, Der Garten der Erkenntnis, Manesse, Zurich 1990, p. 5.
9 « Das deutsche Narcissusbuch. – Es sind wundervolle Augenblicke wo sich eine ganze Generation in verschiedenen Ländern im gleichen Symbol findet. » Aufzeichnungen aus dem Nachlass 1895, in Reden und Aufsätze III – 1925-1929 – Aufzeichnungen, Fischer, Frankfurt/M. 1980, p. 398.
10 Cf. Gisa Briese-Neumann, Ästhet – Dilettant – Narziss, Peter Lang, Frankfurt/M. 1985, p. 348 sq. « Der Narziß ».
11 « Denn oft schöpfte der Kaufmannssohn einen großen Stolz aus dem Spiegel, aus den Versen der Dichter, aus seinem Reichtum und seiner Klugheit, und die finsteren Sprichwörter drückten nicht auf seine Seele. » Hugo von Hofmannsthal, Das Märchen der 672. Nacht, in Erzählungen, Erfundene Gespräche und Briefe, Reisen, Fischer, Frankfurt/M. 1979, p. 46. Cf. aussi Aufzeichnungen aus dem Nachlass, in Reden und Aufsätze III, op. cit., p. 411 : « Das Eigne in einem geheimnisvollen Spiegel anschauen (“Märchen der 672. Nacht”)./Narcissusmotiv, endlich ertrinken in dem spiegelnden Dasein, die Seele hergeben, die Welt dafür empfangen, welchein Gastmahl des Lebens, welche Grotten des lebenbeherrschenden Traumes, welch ein Garten der Erkenntnis. »
12 Sigmund Freud, Gesammelte Werke, chronologisch geordnet, 10. Band, Fischer, Frankfurt/M. 1967, p. 137-170.
13 Rudolf Kassner, Sämtliche Werke, 10 Bde, Bd. I, Neske, Pfullingen 1969 sq. (Pour les différentes œuvres de Kassner, nous nous référerons désormais à cette édition, citée en abrégé par S. W, suivi du numéro du tome.)
14 Gabriel Marcel, « L’Imagination et l’Observation chez Rudolf Kassner », in Gedenkbuch – Rudolf Kassner zum 80. Geburtstag, A. Cl. Kensik – D. Bodmer (Hg.), Winterthur 1953, p. 83-86. Cf. p. 83 : « J’écris penseur pour ne pas dire philosophe, mais au fond ce mot lui convient mal [...]. »
15 Kassner, malgré les séquelles d’une poliomyélite, a été un très grand voyageur ; outre des séjours dans différents pays d’Europe, il a notamment voyagé jusqu’en Afrique du Nord, en Inde ou en Russie.
16 S.W, I, p. 338-342 ; p. 339 cette réplique de Psyché : « Ich habe noch nie mein Bild im Spiegel gesehen ! Ich habe nur immer schnell getrunken... ».
17 S.W., II, Motive – Essays, Sören Kierkegaard – Aphoristisch, p. 40-97 ; p. 58 : « Die Möglichkeit war der ewige Trugschluß seiner Schwermut, sie war der Betrug seines Lebens, die große Liebe zum Möglichen war Selbstliebe, die Sehnsucht des Narkissos. ».
18 Cf. Rudolf Kassner zum 80. Geburtstag, Gedenkbuch, op. cit., p. 243-248.
19 S.W., III, p. 185-378.
20 S.W., IV, p. 5-73.
21 S.W. IV, p. 75-143.
22 Ibid., p. 104.
23 Id.
24 Narciss oder Mythos und Einbildungskraft, S. W., IV, p. 201-299. Le chapitre « Narciss » se trouve p. 202 à 239.
25 Cf. le chapitre « Die Quadratur des Zirkels », in Das physiognomische Weltbild (1930), S. W., IV, p. 425 : « Es ist der Narziß meines Dialogs : die Einigung von Mensch und Idee, von Mensch und Spiegel. Genauer : die Einheit von Innen und Außen durch die Einbildungskraft, denn das ist das Bedeutsame, daß das Innen nicht ohne weiteres (nicht durch ein Dekret oder durch Magie) Außen sei, sondern daß die Einbildungskraft dazwischentreten müsse, damit die Einigung statthaben könne und gelte. ». Cf. aussi Von der Einbildungskraft (1936), S.W., V, p. 456 : « Indem sich, erstens, der Einzelne aus der Gruppe löst oder davon abhebt, scheidet sich der Mythos oder die Welt der puren Verwandlung und der Gruppe von jener der Einbildungskraft. Oder Magie von Imagination. Wir haben davon in unserem Dialog « Narziß » gehandelt und dürfen uns hier darauf berufen. ».
26 Zurich, 1985.
27 Ibid., p. 1.
28 Narziss. Im Gespräch mit Rudolf Kassner, op. cit., p. 222.
29 À titre d’exemple, à rapprocher de tant d’autres dans toute la littérature critique sur Kassner, nous citons cette phrase de Denis de Rougemont : « Je suppose qu’il est devenu banal de déplorer l’obscurité des essais et dialogues de Kassner. » Gedenkbuch, op. cit., p. 81.
30 Narziss. Im Gespräch mit Rudolf Kassner, op. cit., p. 256.
31 Narciss oder Mythos und Einbildungskraft, op. cit., p. 203-204.
32 Ibid., p. 219.
33 Id.
34 Id., p. 232.
35 Id., p. 219.
36 Id., p. 214.
37 Id.
38 Id., p. 215.
39 Id., p. 206.
40 Id., p. 217.
41 Id., p. 206.
42 Id., p. 210.
43 Id., p. 216.
44 Id.
45 Id., p. 219.
46 Id., p. 221.
47 Id., p. 222.
48 Id., p. 221.
49 Id., p. 212.
50 Id.
51 Id., p. 219.
52 Id.
53 Id., p. 217.
54 Id., p. 219.
55 Id., p. 221.
56 Id., p. 222.
57 Id., p. 225.
58 Id., p. 222.
59 Id., p. 225.
60 Id., p. 234.
61 Id., p. 226.
62 Id.
63 Id., p. 230.
64 Id., p. 231.
65 Id., p. 232.
66 Id., p. 233.
67 Id., p. 232 s.
68 Id., p. 233.
69 Cf. Narziss. Im Gespräch mit Rudolf Kassner, op. cit., p. 26 : « 1. 6. Von der Titulatur (Mythos und Einbildungskraft)/Gewiss, sicherlich, das ist sehr wichtig für das Verständnis meines Narziss : er steckt, oder besser, bewegt sich, lebt, existiert im “und” als einem Bindenden und Trennenden von “Mythos und Einbildungskraft”, oder, wenn Sie es lieber so wollen, von Phantasie, der Phantasie des Mythischen – und der Einbildungskraft als Entdeckung und Erweckung von “Wirklichkeit”, von “Welt”. ».
70 In Gedenkbuch, op. cit., p. 83-86 ; ici, p. 86.
71 S. W, II, p. 271-343. On pourra utilement consulter à ce sujet l’étude de Slawomir Lésniak Der Begriff der Einbildungskraft bei Rudolf Kassner, Peter Lang, Zurich 1999. Cf. aussi l’article de Aldo Venturelli « Imagination und Magie der Moderne – Zu Kassners Gespräch über die Einbildungskraft », in Rudolf Kassner : Physiognomik als Wissensform, Gerhard Neumann, Ulrich Ott (Hg.), Freiburg 1999, p. 141-160. G. Neumann souligne du reste dans son « Vorwort » : « Man könnte Kassners Werk als Ganzes als den Entwurf einer Philosophie der Einbildungskraft bezeichnen, das in seiner Art in Europa einzig dasteht. » Op. cit., p. 8.
72 S. W., V, p. 307-521. Nous trouvons du reste une allusion au texte du « Narcisse » dans le chapitre 7, p. 456.
73 « Sie sehen, wie wichtig diese [die Einbildungskraft] in einer Welt ohne Bindungen oder wie sie allein, wie der Spiegel des Narciß jetzt Bindung geworden ist. » Narciss, op. cit., p. 225.
74 Narciss oder Mythos und Einbildungskraft, op. cit., p. 232.
75 Gedenkbuch, op. cit., p. 84.
76 Cf. Narciss, op. cit., p. 221-222 : « Das Ich des Kommunisten oder des absoluten Materialisten ist ohne Spiegel, darin liegt das Entsetzliche, Dunkle, Verhängte von deren Welt. Weil sie ohne Spiegel ist, so ist in ihr nur eine Bindung möglich : die durch die Zahl. Daher die mystische Bedeutung der Masse oder des Massenbegriffs im russischen Kommunismus. ».
77 S.W., VI, p. 302-336.
78 Cf. Narciss, op. cit., p. 206 : « Oder wenn im Mythos Zeus sich in einen Schwan verwandelt, so findet diese Verwandlung auf dem Hintergrund einer in diesem Sinne ewigen, einer seienden Welt statt [...]. »/P. 217 : « Die Ordnung Brahmas war eine Ordnung nach der Größe. Alle Dinge in und aus Brahma sind groß : großen Leibes, großer Seele, denn der Leib ist die Seele. ».
79 Ibid., p. 238.
80 Id., p. 239.
81 Cf. Das Gottmenschentum und der Einzelne, (1923), S.W., VI, p. 213-227 ; cf. aussi Der Gottmensch (1938), ibid., p. 5-95.
82 Cf. Denis de Rougemont : « Le thème profond, omniprésent, de l’œuvre, c’est le problème du Dieu-homme, d’où naît celui de la personne, générateur de l’Occident. » « Rudolf Kassner », in Gedenkbuch, op. cit., p. 82.
83 « Narciß [braucht] die Einbildungskraft, um zu sehen, nur um zu sehen, wie er ist, nur um zu sein. » Narciss, op. cit., p. 239.
84 Kassner emploie le terme de « Umkehr ». Cf. Fritz Usinger, « Rudolf Kassner und das physio-gnomische Weltbild », in Tellurium – 11 Essays, Neuwied – Berlin 1966, p. 21-35. Cet auteur propose une synthèse intéressante de l’univers physiognomonique de Kassner.
85 Narciss, op. cit., p. 238.
86 « Wir Ich-Menschen, wir Menschen der Idee, wir Dichter [...]. », Ibid., p. 220.
87 « Hängt nicht die relative Armut an Formen (auch an denen der Kunst) in unserer Zeit mit der überragenden Wichtigkeit dieser fließenden Zeit, damit also zusammen, daß wir immer mehr aus einer Raumwelt in eine Zeitwelt geraten ? » Id., p. 211.
88 Id., p. 231.
89 Id., p. 204. (Le texte contient en fait une allusion cryptée à l’œuvre de jeunesse de Hofmannsthal, grand ami de Kassner.).
90 Cf. la contribution de Klaus Müller-Richter à propos du récit « Der Doppelgänger », contenu dans Melancholia (1908). Dans cette étude, intitulée « Einer, der sich fremd bleiben wollte : Rudolf Kassner und die Moderne », l’auteur parvient à des conclusions similaires. In Rilke-Blätter, 21, 1995-1997, p. 97-116. Nous citons ici la dernière phrase de l’étude : « So erweist sich Kassners Konzept der Einbildungskraft, obwohl oder gerade weil es die Entfremdung vom bisher Gültigen und vom eigenen Selbst bewußt mit einkalkuliert, als ein tragfähiger und interessanter Versuch, Poiesis unter den Bedingungen der Moderne zu reflektieren. » (p. 112.)
91 Terme de Gabriel Marcel ; cf. note 70.
92 Cf. Klaus E. Bohnenkamp, « Das Werk Rudolf Kassners – Ein Editionsbericht zum Abschluß der zehnbändigen Gesamtausgabe », in Jahrbuch der deutschen Schiller-Gesellschaft, Bd. 38, 1994, p. 465-478 : « Kassner versteht seine Arbeit als Gegenentwurf zu den als verhängnisvoll erkannten Entwicklungen der Zeit. Sie will und kann, wie Ernst Zinn es einmal formuliert hat, ‘Gegengewicht und Gegengift’ sein gegen die Strömungen unkritischer Fortschritts-Hörigkeit und Gleichmacherei in der Folge eines technokratischen Demokratismus und einer sich absolut setzenden Zivilisation ; Gegengewicht auch gegen Bindungslosigkeit und jegliche Art von Kollektivismus. » (p. 477).
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