Introduction de la quatrième partie
p. 289-290
Texte intégral
1Les textes réunis dans cette partie ont pour trait commun d’appréhender ensemble plusieurs des types de mobilisations relatifs à des espaces et des lieux qui ont été examinés de façon plus spécifique dans les parties précédentes. Ils illustrent ce faisant l’intérêt de développer une approche à la fois continuiste et dialectique de la notion de « mobilisation », ainsi que la pertinence de la notion de hiérarchie enchevêtrée exposée dans l’introduction générale. Ils approfondissent également différentes implications théoriques et méthodologiques de cette tentative d’imbrication de plusieurs niveaux d’analyse des mobilisations.
2P. Melé développe, en parallèle du concept de « régimes d’historicité » exploré par F. Hartog (2003) et de celui de « régimes d’engagement » approfondi par L. Thévenot (2006), celui de « régimes de territorialité ». Se centrant sur les mobilisations « par le bas », il explore les traits spécifiques d’un régime de territorialité qu’il nomme « réflexif », caractérisé par le développement d’une vision territoriale de l’espace, une production de connaissances à propos d’un ensemble spatial donné et une mise en débat de son devenir. Il l’oppose à un régime de territorialité ancré, inscrit dans le temps long de la tradition et l’appréhension communautaire de l’espace, et à un régime du projet porté d’abord par des acteurs institutionnels. La territorialisation réflexive n’est pas la simple activation d’une identité territoriale préexistante, elle se développe dans le cadre même de la mobilisation collective, à travers des formes de sociabilité nouvelles et l’appropriation matérielle et symbolique d’un espace dont les acteurs mobilisés se font les porte-parole, afin de « composer une chose publique » (Thévenot, 2001). Elle implique donc d’un côté une mutation et une articulation à l’égard des formes les plus routinisées de l’investissement ordinaire de l’espace et de l’autre une socialisation distanciée et critique aux procédures et catégories de l’action publique institutionnelle, qui l’a enclenchée et qu’elle contribue en retour à orienter.
3S’inscrivant dans un questionnement similaire, mais partant à l’inverse d’une situation de non-mobilisation, R. Keerle problématise la notion même d’« espace », la dénaturalise et montre les tendances réifiantes des usages ordinaires qui en sont faits lorsque l’on dissocie la conceptualisation et la représentation cartographique de l’espace des actions et représentations des acteurs. Examinant trois conceptions différentes de la notion d’espace proposées par des géographes, dont deux hétérodoxes, il s’efforce de lier ensemble espaces et actions et d’élaborer une technique de représentation cartographique originale (les « mappes ») à même de rendre compte des espaces correspondant aux pratiques et aux discours des différents acteurs et de les confronter. Cette technique permet en particulier de mettre en évidence les décalages existant entre les représentations associées aux formes d’investissement ordinaires des résidents d’un quartier et celles des autorités politico-administratives, mais aussi l’absence d’une définition commune des enjeux entre résidents susceptible d’alimenter une mobilisation, face aux transformations pourtant significatives de leur environnement.
4S’appuyant sur la même enquête à partir d’une autre entrée, N. Souchard s’intéresse, à partir de la question de l’accès à visée récréative aux espaces agricoles périurbains, aux importantes transformations en cours dans l’appréhension de la « campagne », en relation avec la mise sur agenda croissante des questions environnementales et des thématiques de la qualité de vie et du développement durable. À travers un va-et-vient permanent entre l’appréhension par les acteurs ordinaires de l’accès à la « nature » et les aménagements et projets des élus, elle met en évidence des deux côtés le déficit de mise en débat public de cette problématique de l’accès. Elle souligne parallèlement le risque d’une réduction de la multifonctionnalité des chemins ruraux au fur et à mesure que les pouvoirs publics aménagent des chemins spécifiquement dédiés aux loisirs, qui transforment en profondeur le rapport ordinaire des habitants à la campagne et à la nature. L’on perçoit bien à partir de ces deux chapitres combien il est important d’un point de vue théorique d’intégrer dans la problématisation des mobilisations une réflexion approfondie sur les situations de non-mobilisation et d’absence de constitution de certaines questions en enjeu public.
5Partant d’un cas inverse d’épisode conflictuel aigu et de thématisation publique forte d’un enjeu collectif mais s’inscrivant dans une démarche similaire d’articulation entre différents niveaux d’analyse, Y. Bonny étudie les pratiques festives nocturnes dans les espaces urbains centraux et les conflits d’usage auxquels elles donnent lieu, en les examinant sous l’angle de la construction des problèmes publics et du point de vue de l’imbrication complexe des différents types de mobilisations. Il s’efforce parallèlement de tenir ensemble une approche en termes de structuration a priori des pratiques et une approche centrée sur la dynamique des actions et interactions en situation. Par-delà l’étude de cas réalisée et les questions spécifiques qu’elle soulève à propos des pratiques festives dans les espaces urbains, c’est bien d’un point de vue méthodologique et de façon générale la démarche d’analyse des mobilisations spatialisées d’acteurs qui est au centre de la réflexion et de la construction du texte, en parallèle de l’analyse des non-mobilisations des deux chapitres précédents. L’enjeu dans les deux cas est en effet de mettre en œuvre une démarche pleinement dialectique, attentive à l’enchevêtrement des échelles et des niveaux d’analyse et soucieuse de dépasser des dualismes factices, comme l’opposition régulièrement réactivée entre approches structurelles et approches pragmatistes des rapports sociaux. Il va de soi que cette quatrième partie n’a pas le monopole de cette préoccupation.
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