Préface
p. 13-20
Texte intégral
1L’entrée en matière, à laquelle j’ai été invité, n’est pas chose aisée, et présenter en quelques mots des lignes générales est l’introduction la plus difficile de toutes, car, depuis vingt ou trente ans, les colloques, les ouvrages, les numéros de revues abondent. L’auditeur ou le lecteur reste partagé entre l’universalité d’un mot, qui oscille entre les plus concrètes et les plus abstraites des acceptions, et l’indéfinie variété des cas qui peuvent le conduire dans l’empire romain, en Amérique latine, en France, en Afrique ou ailleurs. S’ajoute aujourd’hui la mémoire des frontières, du vestige au patrimoine. Ce colloque cependant offre un fil directeur. Il doit montrer pourquoi il s’inscrit dans une longue tradition de travaux historiques, géographiques, anthropologiques, linguistiques, et en même temps leur imprime une marque particulière, sous la forme d’une interrogation : en quoi la nature et l’identité d’une frontière peuvent-elles susciter ce qui survit ? Et sous quelles formes ?
2C’est toute la question de la frontière, dans ses origines, ses expressions, ses métamorphoses et ses non-dits : la frontière ne s’abolirait pas dans le moment qui la constitue. Sans doute, mais j’essaierai de rappeler ce qui paraît être un acquis. Je me dirigerai dans cette direction seulement.
L’IDÉE DE FRONTIÈRE
3La frontière, tout d’abord, est principalement une idée, et non pas un objet, une chose inerte et amorphe. Elle n’est rien sans les mots, les figures, les concepts par lesquels elle est désignée. Dans la langue française, le vocabulaire de l’Ancien Régime utilise en concurrence deux termes surtout1. La « frontière » appartient plutôt au registre de l’État, des principautés (il peut y avoir aussi une question d’échelle), à celui de la guerre, en ce qu’elle renvoie à des rapports de forces, à des agressions et à des conquêtes, à des déplacements territoriaux. La « limite », plus précise, plus fine, qu’elle soit juridique, administrative, ecclésiastique, internationale, suppose au contraire une fixation, un consensus, un traité. Il peut s’agir ainsi de circonscriptions internes ou d’États. La limite est arrêtée, en principe, définitivement – même si elle est aussitôt remise en cause. Elle appartient au discours de la paix. Elle est contractuelle, polycentrique : ce sont deux centres au moins, deux capitales, qui établissent des relations apaisées, non conflictuelles. Qu’elle soit plutôt frontière ou plutôt limite, la frontière est une toujours une idée, une représentation, orale ou écrite, géographique, voire cartographique. Il n’y a pas de frontière sans le sentiment de la frontière. En même temps la frontière cesse d’être une frontière quand elle est devenue une limite acquise, pacifiée.
4Mais voici que se profile une deuxième constatation, qui est à vrai dire une conséquence : il n’existe pas de frontière naturelle. La frontière est tout le contraire d’une création de la nature qu’il suffirait de suivre, de reconnaître. Dans une chaîne de montagnes – « frontière naturelle » s’il en est –, la limite peut passer le long d’une ligne de crêtes (mais laquelle ?) ou de la ligne de partage des eaux ; elle peut laisser en deçà ou au-delà telle ou telle vallée, tel ou tel pâturage, tel ou tel village. La délimitation franco-espagnole a été l’objet de très longs débats, depuis le XVIIe siècle. Les usages revendiqués par les habitants rendent les négociations toujours plus compliquées. Et de quel Rhin était-il question ? On connaît la description classique d’autrefois : le fleuve emportait ses îles, charriait des arbres, changeait de lit.
5Cependant, s’il est vrai que la frontière naturelle n’existe pas en soi, l’histoire a enregistré une succession continuelle de théories des frontières naturelles, ce qui est très différent. Ces doctrines ont été proclamées par des traités géographiques ou juridiques, dictées comme des normes, mises en œuvre par des acteurs, comme ceux qui, au XVIIe siècle, voulaient reconstituer la Gaule-France bornée par le Rhin. Un ouvrage connu est celui du jésuite français Philippe Labbe (1607-1667). Il a été dédié au jeune Louis XIV. Publié en 1646, le livre a connu au moins dix éditions jusqu’en 1681.
« Sire, Ce Grand & tres-fleurissant Royaume, que Vous avez receu de vos Ancestres, & qui a succedé depuis Treize cens ans à l’Ancienne Gaule bornée du Rhin, des Alpes, des Pyrenées, & des deux Mers Oceane & Mediterranée, ne peut estre aysement connu, que premierement, par une Methode tres-facile, il ne soit partagé en Quatre Grandes Prouinces, ou contrées principales, la Belgique, la Celtique, l’Aquitaine, & la Narbonoise, selon la Division introduite par l’Empereur Auguste, & suivie des plus habiles Geographes de l’Antiquité2. »
6La frontière est ici permanente, et déclarée durable.
DE LA CONTINUITÉ
7Dans les théories de la frontière, il existe une tension, un souci de continuum. Cette continuité est un argument constant.
8Depuis un demi-siècle au moins – pour ne pas prendre quelques études antérieures –, des historiens ont souvent montré que les limites relativement précises et durables ne sont pas ignorées des contemporains. Les administrations judiciaires ou fiscales savent en réalité les décrire, et sur place les usagers, les paysans, pour autant que l’historien puisse saisir ce qu’ils disent ou ce qu’ils pensent, peuvent les désigner. Les limites ne sont pas toujours approximatives, discontinues. Elles ne sont pas toutes grossières. Les limites, enfin, ne sont pas toutes fluctuantes. On ne manque pas de cas, montrant qu’elles survivent parfois pendant plusieurs siècles, pour une même circonscription ou d’un type de circonscription à un autre (de l’Ancien Régime administratif au département). On pourrait multiplier les exemples. Soit celui, bien connu maintenant, de certaines cellules élémentaires de base, judiciaires, comme le bailliage à la fin du Moyen Âge. Dans le Bassin parisien, les châtellenies royales elles-mêmes, unités administratives qui composent le bailliage de Senlis, selon Bernard Guenée, sont stables du XIVe au XVIe siècle : celle de Pontoise a quarante-trois paroisses en 1405, et c’est encore vrai en 1562. Le dessin de ces châtellenies est linéaire, et les enclaves sont rares. Chacune d’elles dispose d’une originalité réelle, coutume, tarif d’amendes, système de mesures, etc. À l’échelon supérieur, entre le bailliage de Senlis et les bailliages voisins, on ne peut guère recenser que sept contestations de limites pour plus de cent cinquante ans de pratique judiciaire (1380-1550)3. Dans les anciens Pays-Bas, régions de population dense, précocement urbanisées, les unités administratives, châtellenies flamandes, circonscriptions judiciaires et fiscales en Brabant, sont fixes et stables dans les derniers siècles du Moyen Âge. Des mesureurs publics, qui depuis le XIIIe siècle décrivent et fixent les propriétés, déterminent l’aire des juridictions urbaines. Des croix, des bornes, des haies, des arbres, des fossés marquent de façon visible les cadres territoriaux de l’autorité4. Dans le cas des diocèses, malgré des incertitudes et des enclaves, le choix d’une échelle adaptée permet de cartographier les circonscriptions depuis l’époque de Clovis jusqu’au XVIIIe siècle. En l’espace de tant de siècles, ces diocèses ont été l’objet de modifications relativement peu nombreuses : les créations ont été constituées de paroisses empruntées à un évêché unique, à quelques exceptions près (les diocèses de Montauban, de La Rochelle et de Saint-Claude)5. De telles constatations confirment celles que les contemporains avançaient : c’est le passé qui explique, justifie le présent. Dans le cas des principautés ou des États, ce sont les droits historiques, appelés autrefois les « titres » et les « preuves », dont la littérature juridique et diplomatique est littéralement encombrée.
FRONTIÈRE ET RÉGIME POLITIQUE
9La continuité, sans être nécessairement fallacieuse, suscite une autre question. En quoi une même frontière, si elle traverse les siècles, est-elle ou n’est- elle pas liée au régime institutionnel et surtout politique qui l’a mise en œuvre ? Le Moyen Âge et l’âge classique, l’Ancien Régime et la Révolution, l’Empire et la Restauration, la colonisation et la décolonisation, les empires africains d’autrefois et les États d’aujourd’hui : qui ne voit que la frontière est supposée survivre aux bouleversements ? En d’autres termes, que faut-il entendre par héritage, par succession ? L’Ancien Régime et la Révolution, la colonisation et la décolonisation, entre autres exemples : ce sont là les observatoires les mieux situés qui soient, les moments critiques s’il en est. On sait à quel point le principe de droit international uti possidetis, la règle de l’intangibilité des frontières acquises ont été et sont au cœur d’enjeux historiques, géopolitiques, lors du passage de territoires coloniaux à des États indépendants et dans les effets.
10Une autre question est rarement traitée. La frontière est-elle vraiment identique de part et d’autre de la rupture dans le temps ? La même frontière, inscrite dans le sol, peut être investie de valeurs qui changent. En 1795, une campagne annexionniste s’appuie sur des mémoires répondant à la question : « Est-il de l’intérêt de la République française de reculer ses limites jusqu’au bord du Rhin ? ». Ces mémoires sont publiés sous le titre La rive gauche du Rhin, limite de la République française […]. Lentement, dans des contextes différents, une idée se dégage : il existe un lien entre la frontière et les valeurs politiques. Ceci est vrai à l’extérieur : Goethe a exécuté à la frontière française au bord de la Moselle, en 1792, une aquarelle où un arbre de la liberté porte la pancarte « Passans cette terre est libre ». Dans les années qui suivent, la réunion d’un pays, d’une ville à la République française joue probablement sur l’ambiguïté de ce mot, où l’on pouvait voir tour à tour l’idée de respublica et le régime spécifiquement républicain.
11Dans un discours mémorable, Merlin de Douai, ancien avocat au parlement de Flandre, ancien constituant et conventionnel, développe, s’agissant de la Belgique, une longue argumentation en trois points. À la première interrogation qu’il formule (quel est le parti que commande la justice envers les Liégeois et les Belges ?), il répond : « Lorsque les Liégeois et les Belges ont eu voté leur réunion à la république, et que vous eûtes accepté ce vœu, dès ce moment-là même il a existé entre eux et le peuple français, au nom duquel vous les aviez réunis, un contrat qu’il ne dépend plus de vous de rompre ou de ne pas exécuter ». Les Belges, déclare-t-il plus loin, ont acquis, par un contrat formel, le droit de devenir français. Mais l’intérêt de la République doit s’accorder avec son devoir : il importe à la République que la maison d’Autriche ne rentre pas dans ce pays, qu’elle n’y retrouve pas des richesses pouvant nourrir son ambition ; il importe à la République de multiplier ses moyens de défense, de faire pencher en sa faveur la balance du commerce, « de se former un arrondissement tel que le Nord et le Midi puissent se balancer et se contenir réciproquement »6. Le travail des justifications ménage une brèche dans le principe du droit des peuples : il n’exclut pas les intérêts d’État. Une dénivellation symbolique a été introduite, mais ces valeurs nouvelles ne suffisent pas.
12D’autres exemples sont liés à la nation, à l’indépendance nationale. La première frontière gréco-ottomane, tracée après l’Indépendance pour un territoire restreint, s’appuyait sur des stratifications conceptuelles, l’héritage de la Grèce antique, qui permettait de distinguer les Grecs des autres chrétiens de l’Empire ottoman, la croyance dans le caractère providentiel de la géographie et de la nature, puis la Grande Idée définissant un programme territorial irrédentiste et visant à reconstituer l’ancien Empire byzantin, ainsi que sur une triple ligne de fortifications érigée par la Porte tout au long de la frontière, pourvue de casernes, de fortins et de tours dressés au début des années 1860. La frontière est passée d’une ligne inscrite en un espace profond dans des sociétés locales autonomes caractéristiques d’un empire multiethnique à une frontière nationale. Il est également remarquable que les mots utilisés aujourd’hui, d’est en ouest, de Volos à Arta, par les habitants grecs pour désigner des vestiges de fortifications relèvent d’un vocabulaire militaire albanais et non turc, les fortifications dessinant ainsi une première ligne de séparation entre la nation grecque et une population albanaise7. La même frontière a bien changé de sens, local d’abord, puis national.
DES ACTEURS
13Les limites sous toutes leurs formes sont le siège d’institutions, d’administrations douanières, militaires. Masquées par la continuité spatiale, mais inventées dans la discontinuité chronologique, elles renvoient à des décisions et à des actes spécifiques. Pour ces raisons, il n’est pas possible de dire qu’une frontière a été tracée : ce sont des acteurs qui la tracent, dans une conjoncture donnée. La formation d’une frontière, autant et sans doute plus que tout autre objet d’histoire, exigerait en français plutôt un récit au présent, qui est peutêtre le temps préférable de la relation historique. L’actif et le présent seraient alors le mode et le temps propres de la frontière. Le passage de l’action à l’état est-il le sort de la frontière ? D’abord objet d’une entreprise datée, elle est ensuite un état, durable, passé, oublié : n’est-ce pas celui de cette frontière morte que des géographes d’autrefois, qui ne connaissaient pas la géopolitique, décrivaient hors de l’histoire ?
14Des acteurs lors de l’élaboration des nouvelles circonscriptions au début de la Révolution, en l’occurrence les villes et les bourgs, les élites urbaines, multiplient les pétitions, dressent des plans et des croquis, envoient à l’Assemblée nationale des documents pour revendiquer des limites favorables en fonction des exigences de la centralité ou de l’accès. La construction d’un nouvel espace administratif a été dans une bonne mesure négociée entre la base – les futurs usagers – et les pouvoirs. Un mouvement ascendant a fait parvenir des textes innombrables issus de délibérations des corps municipaux, des requêtes de commerçants, de bourgeois et d’hommes de loi, des demandes d’attribution de chef-lieu, de rattachement à une circonscription, des pièces justificatives comme des listes de villages, des cartes et des tableaux de distances. L’argument historique (l’ancienneté, les fortifications, le titre immémorial de capitale locale) ne fait pas défaut. Il permet en un sens de maintenir une raison d’être, contre les menaces de l’uniformisation révolutionnaire. Le mouvement est évidemment complété par une trajectoire inverse, quand s’effectue la réorganisation territoriale. La grande réforme administrative des débuts de la Révolution française a donc été largement due à une mobilisation de l’opinion – même si celle-ci n’est guère que celle d’une élite sociale8. Plus tard, la IIIe République paraît particulièrement généreuse en interventions élargissant le front des acteurs. La pratique de l’enquête régionale, du questionnaire adressé aux instituteurs et aux maires des communes, et diffusé éventuellement auprès des notables, des érudits et des amateurs, porte l’accent sur l’économie rurale et les questions de population, mais elle peut s’étendre aux dénominations et aux limites locales. Le recours, lors de l’enquête de terrain, aux informateurs tendrait à montrer que le savoir géographique s’appuie, modelé par elle et en même temps la modelant, sur une certaine conscience territoriale.
15D’une extrémité à l’autre de l’Europe, les expériences cadastrales9 mettent en évidence le rôle des acteurs, locaux et institutionnels : en France, les cahiers de doléances réclament l’établissement d’un cadastre pour un impôt plus juste, et les ultras plus tard luttent pour sa suppression ; des adresses envoyées aux parlementaires demandent l’organisation d’un corps d’arpenteurs jurés ou de géomètres sous la Restauration, les propriétaires fonciers des Pays-Bas sont consultés et, en Rhénanie bavaroise dans les années 1830, des notables sur place font l’estimation des champs sous la direction d’experts ; des délégués sont envoyés à Istanbul par les départements de la province de Bosnie. Hommes d’État, militaires, diplomates, représentants de la nation, mais aussi élites régionales proposent des tracés.
16L’établissement de frontières et leur cartographie passent par une observation précise des lieux. On comprend alors que des acteurs locaux, les populations, contribuent à leur manière à ce travail de terrain lorsque des ingénieurs, des topographes, pourvus d’instructions officielles, effectuent des inspections oculaires, circulent parfois incognito, évaluent les distances et décrivent les paysages traversés, s’informent en interrogeant les habitants. Après les négociations, des bornes sont plantées, où sont gravées des armoiries et une date. Elles dessinent une trajectoire à la fois immatérielle et matérielle, car les bornes « se regardent », doivent être visibles de l’une à l’autre10. Ces bornes souvent disparaissent, ensevelies sous des glissements de terrain, renversées par les troupeaux. Les villageois les connaissent. Mais c’est aussi le temps de l’oubli, des frontières mortes, et elles intéressent désormais les amateurs de curiosités locales, ainsi que les historiens et les juristes.
SAVOIRS HYBRIDES
17Faut-il un test ultime, ultime parce que ses effets sont les plus récents ou parce qu’il prend à contre-pied les convictions les mieux établies ? Les frontières dites coloniales sont les plus sensibles et, plus que toutes les autres, elles passaient pour être arbitraires, sans aucun lien avec le terrain et l’histoire locale. Mais la réalité est autre, complexe. Carette en Algérie, observateur attentif et intelligent, officier saint-simonien, l’indique : « Ce travail n’a point été composé avec des livres. » Les documents « existaient dispersés dans quelques centaines de têtes, d’où l’auteur les a extraits pour les réunir et les comparer11 ». Ailleurs, l’auteur distingue la géographie mathématique, la géographie dite critique, dont le témoignage n’est pas irrécusable et qui repose sur des probabilités très inégales, et la géographie testimoniale, qui se fonde sur les déclarations d’informateurs interrogés de station en station. Cette dernière géographie est un savoir qui se transporte avec la vitesse de la parole et s’appuie sur « le génie pratique des indigènes », qualifiés de « pèlerins géographes », de « boussoles intelligentes », d’« observateurs minutieux »12.
18Trop longtemps, l’accent a été porté sur l’initiative venue d’en haut, qui aurait imposé sa volonté et ses normes. Il n’en est pas toujours ainsi13. L’explorateur et officier Hugh Clapperton, au cours de deux voyages qu’il effectue à la cour du sultan de Sokoto, en 1824 et en 1827, obtient ainsi de ses interlocuteurs africains deux cartes qui manifestent des savoirs autochtones utilisés dans la fabrication de cartes européennes. La première a été établie par le souverain local sous la forme d’une copie, sur papier, d’une carte tracée sur le sable, la seconde a été commandée par Clapperton à un lettré, cela malgré la suspicion dont la Grande-Bretagne, qui, comme le remarque le sultan, a soumis toute l’Inde, pâtit. Les Européens ne vivant que sur l’eau, le souverain a tout intérêt à laisser croire que ses États sont éloignés de l’Océan et à maintenir dans l’inconnu l’embouchure du Niger. Par-delà l’espace représenté, structuré en fonction de l’orientation (en arabe « à droite », s’agissant du sud), des distances ou de dimensions symboliques (celles-ci pour la capitale) et dans les connaissances locales affleurent des références culturelles stratifiées : Ancien Testament, Berbères, Espagne musulmane, empires africains médiévaux, Ottomans, chrétiens, personnages divers, toponymes, généalogies légendaires.
19Ce sont des savoirs hybrides que rapportent les explorateurs européens. Ailleurs, espaces, lignes et frontières incluent déjà des fragments du passé, de la mémoire reconfigurée, dans le moment même où les administrations et les notables érigent des limites ou contribuent à les dresser. Les souvenirs peuvent se perpétuer, ou rester enfouis, ou encore resurgir comme des vestiges de frontières oubliées : dans tous les cas, c’est alors le second temps de l’histoire des frontières.
Notes de bas de page
1 Nordman D., Frontières de France. De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1998, « Les mots et les concepts », p. 21-66 ; id., « Frontiere e confini in Francia : evoluzione dei termini e dei concetti », Ossola C., Ricciardi M., Raffestin C. (dir.), La frontiera da Stato a nazione. Il caso Piemonte, Rome, 1987, p. 39-55.
2 Labbe Ph., La geographie royalle, presentée au tres-chrestien roy de France et de Navarre Louys XIV… Avec le Tableau de la France, & une Table tres-exacte de tous les mots de Royaumes, Pays, Peuples, Provinces, Villes, Chasteaux, Montagnes, Forests, Mers, Caps, Destroits, Isthmes, Isles, Presqu’Isles, Ports, Rivieres, Lacs, Fontaines, & c. qui se rencontrent en cette Geographie Royalle, Paris, Mathurin Henault, 1646, p. VII-VIII.
3 Entre autres travaux de B. Guenée : Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du Moyen Âge (vers 1380-vers 1550), Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; « La géographie administrative de la France à la fin du Moyen Âge : élections et bailliages », Le Moyen Âge. Revue d’histoire et de philologie, 1961 (3), p. 293-323, et rééd. in Politique et histoire au Moyen Âge. Recueil d’articles sur l’histoire politique et l’historiographie médiévale (1956-1981), Paris, Publications de la Sorbonne, 1981, p. 41-71.
4 Bonenfant P., « À propos des limites médiévales », Hommage à Lucien Febvre. Éventail de l’histoire vivante…, II, Paris, A. Colin, 1953, p. 73-79.
5 Dubois J., « La carte des diocèses de France avant la Révolution », Annales ESC, XX (4), juillet-août 1965, p. 680-691, cartes ; Dubois J., Laclau A., Julia D., « Les diocèses à la veille de la Révolution de 1789 », Nordman D., Ozouf-Marignier M.-V., Laclau A. (dir.), Le territoire (2). Les limites administratives, Paris, Éditions de l’EHESS, 1989, p. 13-19 (Atlas de la Révolution française 5).
6 Rapport fait à la Convention nationale, Gazette nationale ou Le Moniteur Universel, 11 vendémiaire an IV [3 octobre 1795].
7 Couderc A., États, nations et territoires dans les Balkans au XIXe siècle. Histoire de la première frontière gréco-ottomane (1832-1881), thèse, Université de Paris-I, 2000 et « États, nations et territoires dans les Balkans au XIXe siècle. Histoire de la première frontière gréco-ottomane (1832-1881) », Institut Pierre Renouvin, Bulletin no 13, 2002.
8 Ozouf-Marignier M.-V., La formation des départements : la représentation du territoire français à la fin du 18e siècle, préf. de Marcel Roncayolo, Paris, Ehess, 2e éd., 1992.
9 Bourillon F., Clergeot P. et Vivier N. (dir.), De l’estime au cadastre en Europe. Les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles. Colloque des 20 et 21 janvier 2005, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2008.
10 Stopani A., La production des frontières. État et communautés en Toscane (XVIe-XVIIIe siècles), Rome, École française de Rome, [Paris], [diff. de Boccard], 2008.
11 Carette E., Recherches sur la géographie et le commerce de l’Algérie méridionale […] suivies d’une Notice géographique sur une partie de l’Afrique septentrionale […] et accompagnées de trois cartes, Paris, Impr. royale, 1844 (Exploration scientifique de l’Algérie […] Sciences historiques et géographiques II), p. 3 ; Nordman D., « Les sciences historiques et géographiques dans l’Exploration scientifique de l’Algérie (vers 1840-vers 1860) », Blais H. et Laboulais I. (dir.), Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines (1750-1850), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 235-253.
12 Carette E., Étude des routes suivies par les Arabes dans la partie méridionale de l’Algérie et de la régence de Tunis pour servir à l’établissement du réseau géographique de ces contrées accompagnée d’une carte itinéraire […], Paris, Impr. royale, 1844 (Exploration scientifique de l’Algérie […] Sciences historiques et géographiques I), Introduction, « Les points principaux du canevas », p. LXIX.
13 Lefebvre C., Frontières de sable, frontières de papier. Du Soudan central à la république du Niger 1800-1964, Paris, Publications de la Sorbonne, à paraître ; Lefebvre C. et Surun I., « Exploration et transferts de savoir : deux cartes produites par des Africains au début du XIXe siècle », Mappemonde, 92 (4), 2008, p. 1-24.
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