Entre la ruine, la calamité, la disgrâce, la chute, la perte, l’ignorance, la décadence et l’oubli : questions de culture politique au sein de l’empire lusitano-brésilien
Rio de Janeiro, 1808-1820
p. 183-202
Texte intégral
« Qui pourrait séparer des événements en cours les couleurs pathétiques qui les caractérisent ? » José Acúrsio das Neves « Dom [João] asséna un coup herculéen à l’Hydre du Jacobinisme et au Dragon du Monopole qui avaient attaqué les entrailles vitales du corps social. »
José da Silva Lisboa
1Versé en culture antique, en grec et en philosophie, élève du cours de réthorique, de poétique et de géographie de Manuel Ignacio da Silva Alvarenga, auteur de textes religieux et politiques, puis membre de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, Luis Gonçalves dos Santos, alias le Père Perereca, est l’auteur des Memórias para Servir à Historia do Reino do Brasil (Mémoires pour servir l’Histoire du royaume du Brésil), écrites en 1820 et publiées en 1825, soit, rétrospectivement, une fois la guerre gagnée et D. João VI proclamé roi et sous la pression de la polémique croissante autour de son éventuel retour au Portugal. Dans ses écrits, il distingue trois grandes périodes : 1808, 1815 et 1818. Elles sont essentiellement rattachées à la figure du monarque, à l’ensemble des changements introduits par celui-ci au Brésil, aux sentiments politiques sur lesquels se fondent les relations d’assujettissement entre sujets et monarque. Ces périodes s’illustrent par leur prospérité.
2Dans ces Mémoires, l’année de 1808 se pose irréfutablement comme porteuse d’un fait « inédit, inouï, chargé de nouveauté », sous les auspices de la « Providence Divine » qui « érige sur terre de nouveaux empires » et réaffirme ainsi la métaphore du « paradis terrestre ». Par cette clef interprétative, il oppose « le nouveau système politique, le nouvel ordre des choses à l’ancien système colonial », qualifiant le débarquement de la famille royale d’événement si extraordinaire et si prodigieux qu’il en devient le partage des eaux entre l’ancien et le présent. De la même façon, face à la transplantation de la Cour, il oppose le Brésil au Portugal en ces termes : « tranquillité » ici, « peur » là-bas, « flatterie » versus « mélancolie », « bonheur » et « tristesse », « consolation de la paix » et « désastre de la guerre », « orgueil » et « insécurité » ou « affliction ». Aux gémissements du Portugal répond l’éloge enthousiaste du Brésil.
3Les périodes 1808, 1815 et 1818 s’inscrivent dans le champ de la Memória, considérée comme une narration hyper-descriptive et minutieuse à caractère testimonial, par conséquent irréfutable, car basée sur l’autorité des personnes présentes et au besoin confirmée par d’autres sources. La Memória est un témoignage qualifié, un document évident et palpable, d’autant plus crédible du fait de l’origine sociale et de la position hiérarchique de son auteur. Le Père Perereca se sent dans l’obligation d’écrire, car le sujet mérite d’être remémoré et protégé de l’écoulement corrosif du temps1.
4Dans l’ensemble, il reconnaît 1808 comme un événement unique, porteur de polarités entre la promesse viable de perfectibilité humaine face au progrès et à la civilité, alors instaurés à Rio de Janeiro et un autre lieu – le royaume –, caractérisé par un vocabulaire semblable, où prédominent la « disgrâce », la « ruine », la « décadence » et la « chute », composant une constellation de termes voisins, tels que : « impiétés », « consternation », « tristesse », « abandon », « perte » et bien d’autres encore. Il insiste cependant sur l’argument selon lequel « la disgrâce engendrée par la Révolution, par Napoléon, par la guerre », est la voie élue par la Divine Providence » pour opérer un changement au Brésil. Par conséquent, l’infortune joue un rôle crucial dans cette logique historique, au sens où c’est à ce prix qu’elle amène la prospérité. Par ailleurs, l’arrivée de la famille royale « redresse le pays – le Brésil – de la prostration où il gisait, lui apportant une nouvelle vigueur, lui insufflant de la vie et influant par de saines réformes sur son amélioration physique, politique et morale et en animant autant qu’il est possible toutes les branches de la prospérité publique2 ». Les termes négatifs de « chute », « décadence », « disgrâce », « prostration », « ruine », « calamité », « oubli » et « ignorance3 » qualifient l’autre dans le royaume et dans le passé lointain ou récent de l’Amérique portugaise.
5Non seulement par la suite, mais dès les années 1810, le journal O Patriota (Le Patriote), édité par Manuel Ferreira de Araújo Guimarães en 1813, sans être la gazette royale, parle des « scènes sanguinaires de la guerre qui terrorisent alors l’humanité » comme étant la funeste origine du bonheur matériel et de la prospérité de Rio de Janeiro. Par conséquent, l’argument selon lequel la cause du bien au Brésil est atteinte au prix de l’horreur au Portugal est bien diffusé dès 1808. La joie de la Cour, son bonheur et sa prospérité découlent de la guerre, de l’abandon politique du Portugal et du tragique exil de Dom João.
6J’aimerais ici démontrer que l’expérience du gouvernement de Dom João et celle du transfert de la Cour sont entremêlées à des perceptions historiques distinctes de la situation vécue. Les événements sont abordés à partir de compréhensions diffuses de l’histoire, de plus en plus historicistes. Ces perceptions s’entrecroisent également avec une série de sentiments moraux, pour rester dans les termes d’Adam Smith, et parlent des vertus – notamment des vertus civiques4.
VISIONS DU PASSÉ ET DE L’HISTOIRE : ENTRE L’AMÉRIQUE ET L’EMPIRE LUSITANO-BRÉSILIEN
7Plusieurs conceptions de l’Histoire5 sont en vigueur à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, conceptions qui ne sont pas forcément dépendantes du gouvernement de Dom João. D’un côté, on distingue le travail et l’élaboration des généalogies de certaines familles de São Paulo, de Pernambouc et de Bahia, souvent entremêlées à la thématique du « coût de l’honneur, de la fazenda et du sang », dans le but de renforcer les engagements des colons en faveur du monarque lointain et de créer une narration de soi qui forge des appartenances identitaires. Un personnage relevant du genre généalogique peut réapparaître au sein d’un récit historiciste, telle une épopée, une histoire héroïque ou encore dans une ode. Le personnage de Caramuru glisse ainsi d’un genre à l’autre et acquiert une épaisseur temporelle, une importance historique et une grandeur dans ses actions qui lui valent d’être continuellement remémoré6.
8Par ailleurs, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle environ, comme l’a bien noté Íris Kantor7, se constitue chez le groupe des « Oubliés et Ressuscités » une perception savante et académique du passé commun concernant l’expérience de la conquête et du processus de colonisation. Il s’agit de l’élaboration à l’intention des colons d’une vision d’ensemble de l’Amérique portugaise – on parle même d’une Histoire universelle de l’Amérique portugaise –, du poids de son passé, des coûts de l’enracinement de la colonisation, de l’apparition d’un récit à teneur historiciste qui privilégie le territoire, soit parce qu’il actualise le mythe du passage par l’Amérique de l’apôtre Saint Thomas, en se fondant sur des traces archéologiques accompagnées de spéculations historiques et chronologiques sur cette traversée, soit parce qu’il discute l’origine du peuplement en Amérique.
9On y trouve en général un désir de rendre l’Amérique singulière et, en même temps, de l’insérer dans une histoire universelle. À travers ces mécanismes, la perception temporelle et spatiale de l’expérience coloniale américaine gagne en densité, esquissant des temporalités distinctes : le caractère immémorial des temps anciens, le passé, le temps d’avant, les origines des peuples d’Amérique et de la monarchie elle-même. Comme l’affirme Íris Kantor : « Les historiens « Oubliés et Ressuscités » ont construit un champ de problèmes où l’unité politique et géographique de l’Amérique portugaise est devenue un axiome, bien que les érudits n’aient jamais prétendu à son autonomie politique8 ». Cette production discursive à caractère historiciste engendre une vision d’ensemble de l’Empire et de la Conquête en élaborant une spécificité symbolique de la colonie. Ce double mouvement entre la configuration identitaire qui se réfère à la localisation et celle qui est modulée par l’appartenance à l’Empire ne constitue pas une contradiction dans les termes, mais renvoie plutôt à une mosaïque des identités.
10Au cœur de cette compréhension de l’Amérique, il s’agit donc de souligner la thématique de l’Empire, plus particulièrement celle du Ve Empire universel du Livre de Daniel (V° Império Universal do Livro de Daniel) du Père Antonio Vieira. Selon Vieira, Dom João IV incarnerait la tête de l’empire perpétuel à établir en Amérique. Ainsi, il insère la colonisation et l’Amérique portugaise dans une longue téléologie providentialiste et messianique, qui transforme la découverte de l’Amérique, la conquête et la colonisation en dessein divin, tout en sacralisant à nouveau la monarchie lusitanienne, en réaffirmant l’alliance divine jurée à Ourique et en actualisant la restauration de la maison des Bragance.
11L’historienne Maria de Lourdes Vianna Lyra9 a mis en évidence un changement de registre fondamental dans la thématique du « vaste et puissant empire », lequel, notamment dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, glisse de l’argument providentialiste calqué sur celui du Père Vieira vers un argument ancré dans la notion de processus civilisateur, si l’on considère que les changements de sens, selon Vianna Lyra, proviennent aussi de l’accueil et de la réappropriation d’une série d’auteurs connus, comme les auteurs des Lumières et ceux orientés vers la discussion sur les origines de la société, sur les formes de gouvernement, l’importance de la sociabilité, les relations de sujétion et d’obéissance, tels Locke, Rousseau, Burke, Adam Smith, etc. Autrement dit, on constate une introduction d’auteurs, de textes et de lectures qui permet de réinterpréter le projet d’empire, tout en gardant le vocabulaire du vaste et puissant empire, désormais lusitano-brésilien. Dans cette transition, le projet d’empire lusitano-brésilien perd une partie de sa connotation la plus utopique, acquérant par là même un caractère plus plausible et plus concret et les contours d’un projet politique, stratégique et militaire face à des conjonctures politiques bien déterminées.
12Il est fondamental de préciser que la « dispute du Nouveau Monde », pour reprendre les termes d’Antonello Gerbi10, persiste soit comme toile de fond, soit comme partie substantielle des arguments, en étant bien souvent explicitement sollicitée. Entre le XVIe et le XVIIe siècle, la nature est prise dans tout un réseau sémantique qui la relie au monde. Les êtres vivants sont appréhendés par divers moyens, sans discrimination ou interdit : par la vue, l’ouïe, les vestiges matériels du passé, la fable, l’observation, la prononciation, par ce qui a été écrit depuis les temps anciens et/ou dans la Bible, etc. Ces éléments peuvent traverser un même récit sans atteindre ou compromettre la vraisemblance du texte et de l’objet. En ce sens, on comprend mieux le traitement dispensé à la banane par Pero de Magalhães Gandavo, dans son Tratado da Terra do Brasil (Traité de la terre du Brésil). Gandavo décrit la banane, inconnue alors au Portugal, par sa taille, sa facilité à se disséminer et à pousser, sa parenté avec le concombre et à travers la ressemblance entre le tracé de ses semences et la figure de la croix du Christ – ce qui témoigne ainsi de la chrétienté du lieu. De même Pero de Magalhães, dans son História da Província de Santa Cruz (Histoire de la province de Santa Cruz), fait des commentaires sur les animaux en indiquant leurs caractéristiques : la ressemblance avec ceux déjà connus, la forme physique, les habitudes, la férocité et la mort que celle-ci peut entraîner. De façon significative, un dessin présent dans cet ouvrage dispose dans un même espace scénique les conquérants, les Indiens, les richesses naturelles, les personnages fabuleux et insolites. Ces êtres de nature disparate sont insérés dans un espace homogène, sans aucune distinction, comme autant d’œuvres de la création divine11. Ce genre de présentation suscite en nous une certaine étrangeté et fascination, à l’image de l’encyclopédie de Borges. Dans le même sens, Fernão Cardim consacre une partie de ses Tratados da Terra e da Gente do Brasil (Traités de la terre et des peuples du Brésil) aux « hommes marins et aux monstres de la mer ».
13Au XVIIIe siècle, l’histoire naturelle définit la nature et la découpe selon son autonomie, sa forme, ses coutumes, sa naissance et sa mort ; elle cherche à mettre l’être à nu. Elle rejette les signes cachés et énigmatiques du bestiaire qui accompagnaient l’être et la nature et reléguait ces signes dans le domaine de l’affabulation et de la « croyance ». En ce sens, ces premiers traités perdent leur caractère de vraisemblance. L’histoire naturelle attribue alors des noms à ce qui est visible et introduit ces éléments dans un cadre fondé sur les variables suivantes, selon Linné12 : le nombre, la figure, la proportion et la situation. Aucun principe majeur d’organisation ou de subordination n’est établi parmi ces variables ou dans ce cadre.
14De manière générale, l’histoire naturelle rend à la fois descriptible et ordonnable tout un domaine d’observations empiriques. Malgré le caractère prétendument neutre de ce savoir, la nature des tropiques est investie d’une connotation négative par l’histoire naturelle. Buffon et Cornelius de Pauw incorporent le monde américain à leurs études sur l’histoire naturelle. Ils s’alignent sur l’importance accordée au climat par Montesquieu, qui a formulé une théorie générale du climat comme clef d’explication pour la pluralité des coutumes et des lois englobée dans un ensemble, lui-même coordonné par des causes naturelles. Ce précepte de Montesquieu met en évidence la forte connotation politique de sa théorie qui articule sociabilité, façons de gouverner, économie des passions et nature. Dans cette perspective, Buffon explique la diversité de la nature et des êtres du Nouveau Monde par son infériorité biologique face à l’Europe. De Pauw considère les Américains comme une autre race, dérivée des effets maléfiques du climat. Il existe des discordances entre ces auteurs ; cependant, ils finissent par se mettre d’accord sur un moyen terme au sujet de l’Amérique, réaffirmant la thèse de l’infériorité de la nature américaine et de la débilité de ses espèces naturelles et humaines. D’une façon générale, la décadence tropicale serait la caractéristique majeure de l’Amérique13.
15L’œuvre d’Alexandre Von Humboldt marque un tournant pour la compréhension de l’Amérique. Ses études bouleversent la fragile notion de climat américain et de nature tropicale. Elles renforcent la stratégie suivie pour comprendre la nature au moyen de l’observation, par une extension maximale de cette vision qui exclue le goût, l’ouïe et l’odorat. Sa compréhension de la nature englobe la classification de l’histoire naturelle, sa méthode de description et ses dessins. De plus, il introduit au sein même de la nature une force cosmique censée la régir. Cette force, que l’homme ne peut ni rêver ni concevoir, la dote d’une existence dramatique.
16Ainsi, les catégories de Linné ne peuvent réussir à l’exprimer suffisamment, car elles réduisent son existence majestueuse, sa gigantesque dynamique interne et continue. Humboldt opère un déplacement par rapport à la proposition de Linné, même s’il ne renie pas l’importance et la nécessité de l’histoire naturelle. À partir de ses longs voyages à travers l’Amérique espagnole, Humboldt décrit les « cadres de la nature » qui concilient la performance esthétique et les méthodes de l’histoire naturelle.
La « vue » du tableau fut la forme que choisit Humboldt pour ses expérimentations dans ce qu’il appela « le mode esthétique de traitement des sujets de l’histoire naturelle ». C’était une tentative innovante pour corriger ce qu’il percevait comme des failles dans les notes de voyage écrites à son époque : d’un côté, une préoccupation triviale pour ce qu’il appelait « ce qui est purement personnel », de l’autre, une accumulation de détails scientifiques qui étaient spirituellement et esthétiquement périmés14.
17Humboldt15 situe au cœur de la nature une série de « ruines », auxquelles il accorde la même importance qu’aux ruines architecturales héritées du monde antique. Elles attestent d’une datation lointaine de l’existence du monde au côté d’une grandeur passée, désormais oubliée. Il cherche dans cette nature une réminiscence et y entrevoit des « vues pittoresques » qui se comportent comme des « monuments » susceptibles d’intéresser « l’étude philosophique de l’homme ». Dans cette analyse des ruines, il peut retrouver l’arrivée de l’homme sur le continent américain, les civilisations perdues et les changements opérés par la présence des conquérants. Il réunit ces ruines et monuments dans « l’atlas pittoresque », ce qui lui permet de connaître non seulement la nature américaine et les peuples de ce continent, mais aussi leur passé. Dans cet « atlas pittoresque », il attribue à l’Amérique des valeurs positives, en lui reconnaissant un passé propre, inaliénable, sans pour autant être assimilé à celui de l’Europe16. Sa formulation affirme la spécificité du territoire américain.
18Sur cette lancée, la polémique du Nouveau Monde continue sous d’autres aspects et concourt à l’établissement d’une perception temporelle plus dense, qui va de l’origine des peuples d’Amérique aux temps immémoriaux, ou à ce passé lointain à peine entrevu au travers des ruines, et où se trouve le thème brûlant de l’infériorité de ces terres, que ce soit du fait de la décadence ou de celui de l’enfance.
19Il existe donc – pour reprendre en préalable et à des fins d’étude une expression de Íris Kantor – un « champ de problématiques » avec plusieurs matrices concernant des compréhensions historiques à l’efficacité variable, et perméables les unes aux autres. Dans ce champ également, il est nécessaire de nommer et d’expliquer le transfert de la Cour et la nature du gouvernement de Dom João, tel que nous l’avons vu dans l’œuvre du Père Perereca. Autrement dit et dans une autre perspective, les perceptions historiques du gouvernement de Dom João et du fait inouï de 1808 s’entrelacent et bousculent ces compréhensions héritées du passé.
ENTRE LA CIVILITÉ ET LE GOUVERNEMENT : LE LIEU HISTORIQUE DU COMMERCE
20La transplantation de la Cour s’insère dans une ancienne proposition de recentralisation de l’empire portugais dans le Nouveau Monde, formulée en 1580 lorsque Philippe II, roi d’Espagne, revendique la succession du trône portugais alors vacant, et qu’un conseiller du prieur Crato suggère l’exil de la Cour. C’est alors qu’apparaît cette sorte de topos politique de l’empire portugais qui consiste, le plus souvent, à esquisser une tentative de rénovation de l’Empire afin de perpétuer sa grandeur et sa longévité grâce au transfert de la Cour et à l’exil du roi17.
21Ainsi, la proposition de Dom Rodrigo de Souza Coutinho, qui s’inscrit dans cet ensemble de textes des conseillers royaux, réalise effectivement une prophétie politique et chrétienne et remet au goût du jour le modèle politique d’empire hérité de Rome. De plus, elle ne soumet, en principe, le Portugal à aucun autre empire, qu’il soit anglais, espagnol ou français, ce qui permet à Dom João dans sa Declaração de Guerra aos Franceses (Déclaration de guerre aux Français), de ne pas parler d’humiliation de l’exil mais plutôt de création d’un nouvel empire. Une telle solution face aux pressions anglaises, espagnoles, françaises et à l’éminent échec de la politique de neutralité renvoie aussi aux textes, alors en vogue, de Montesquieu, Hume, Adam Smith, Diderot et l’Abbé Raynal18, qui parlent de l’effondrement du pouvoir de l’empire espagnol et portugais, y compris de ses causes et de ses effets. L’Abbé Raynal égrène les maux que la colonisation portugaise a produits au Brésil et les inégalités existant entre le Portugal et le Brésil. Attentif à ces arguments, Dom Rodrigo suggère d’établir un « système fédératif » entre ces deux pays.
22En même temps, Dom Rodrigo de Souza Coutinho poursuit le programme de réformes déjà entamé et qui modifie énormément la compréhension de la nature en Amérique – étudiée, explorée pas à pas, agrandie par les loupes de l’histoire naturelle, qui en dévoile les secrets. Un tel programme de réformes et de voyages philosophiques redéfinit la place de la nature et sa rentabilité. Cet investissement administratif et métropolitain est lié à une réflexion systématique sur l’économie portugaise, qui rend plus complexe l’héritage de Pombal chez Dom Rodrigo19.
23En effet, celui-ci tente de restaurer la force de l’Empire en pariant sur le rôle de l’agriculture et du commerce pour l’établissement et le maintien du pouvoir de la monarchie et la mise en œuvre du commerce impérial par la recherche scientifique et l’exploitation rationnelle des ressources américaines. Ainsi, quand il propose une transplantation de la Cour et la négocie auprès des différentes instances, que ce soit auprès du cercle des conseillers et des ministres royaux ou auprès de la famille royale, soit par voie diplomatique soit auprès du commandement militaire anglais, la création d’un vaste et puissant empire du Nouveau Monde comporte d’autres facteurs et d’autres conditions, différents de ceux qu’on pouvait trouver chez Vieira. Par ailleurs, cette création doit se confronter à l’infériorité supposée de la nature en Amérique et aux positions – chères à Dom Rodrigo et à un ensemble de citoyens lettrés de l’empire lusitano-brésilien – sur les relations entre la Couronne et ses domaines d’outre-mer.
24Dans ces conditions, que signifie 1808 ? Cette année est marquée par le départ et le débarquement au Brésil de la famille royale et par la naissance de l’économie politique au Brésil, consacrée par un « Diplôme royal d’Économie Politique » – selon l’argumentaire de José da Silva Lisboa repris par Antonio Penalves Rocha20. Elle peut même être vue comme un départ stratégique de Dom João, associé aux intérêts mercantiles anglais, comme on peut le lire dans le Correio Braziliense de Hypolito José da Costa ou constituant un fait indélébile pour José da Silva Lisboa, qui donne son impulsion décisive et irréversible au libre commerce au Brésil.
25En elle-même, l’année 1808 regarde vers l’avenir et assume la mission historique, politique, militaire et diplomatique, alors assez stratégique, consistant à sauver l’empire transocéanique portugais – désormais luso-brésilien – et la monarchie de la maison de Bragance elle-même. En 1808, la prophétie de la transplantation de la Cour et du roi dépasse l’horizon de l’expérience concevable et on assiste à un effort – je dirais de guerre – pour tenter de contrôler et de discipliner les événements vécus.
26Puisque l’année 1808 porte en elle la guerre, le risque et la fracture effective de l’empire transocéanique portugais, l’abandon politique du vassal portugais et également un nouveau sens du transitoire, la réversibilité de la Cour est plausible. En effet, le prince peut retourner à Lisbonne, donc il ne s’agit pas d’une itinérance de la Cour mais bien de la réversibilité de son siège. Cela démontre le caractère hautement transitoire de la Cour à Rio de Janeiro et de la monarchie qui s’y est installée, point sur lequel les gouverneurs du royaume insisteront de façon croissante dès 1814-1815 et jusqu’en 1821. Toujours en 1808, la reconnaissance de « l’inédit » et de « l’inouï » est placée sous un signe hautement positif, inaugural et prospère, comme l’avait affirmé le Père Perereca, note qui se retrouve de façon récurrente dans les sermons, les pièces de théâtre, les pamphlets, les édits et les décrets royaux.
27Au sein de cette culture politique de la Cour à Rio de Janeiro, deux personnages s’opposent de façon exemplaire : d’un côté, Napoléon21 et de l’autre, Dom João. Dans le monde lusitano-brésilien, Napoléon est assimilé aux désordres et aux maux de la nature, de la guerre, de l’enfer, de la maladie. Le Corse incarne tout un ensemble de maux. Il est tantôt décrit comme un « monstre » sanguinaire, diabolique, tantôt qualifié « d’ogre », de « dévorateur des mondes, de « fléau, d’ » usurpateur, de « tyran », de « despote furieux », de « bête aux sept têtes et dix cornes », de « loup affamé » ou encore de « monstrueux colosse », comme le dit Dom Rodrigo de Souza Coutinho en 1803. Afin d’expliciter la charge de plaies et de maux qu’il incarne, je cite la Receita especial para fabricar Napoleões (Recette spéciale pour fabriquer des Napoléons), traduite de l’espagnol et publiée à Rio de Janeiro par l’Imprimerie Royale en 1809. Imprimée à Lisbonne et réimprimée à Rio – ce qui suggère toute la capacité de diffusion et la portée de cette version d’un Napoléon présenté sous forme d’une recette de cuisine et de ses réimpressions :
Prenez une poignée de terre corrompue,
Un quintal de mensonges raffinés
Un tonneau d’impiété alambiquée,
Une bonbonne bien mesurée d’audace ;
La queue d’un paon faisant la roue
Avec une griffe de tigre ensanglantée
D’un Corse le cœur et la fausse
Tête d’une vieille renarde ;
Tout cela bien cuit à feu doux
D’apparence flatteuse, douce et affable
Que son ambition éhontée lui soit demandée
Laissez reposer pour que tout s’incorpore et attendez quelque peu, parce que bientôt
Un Napoléon sortira de là en s’envolant.
28Dans la Gazeta do Rio de Janeiro, Napoléon apparaît comme un personnage de première grandeur, mais négatif. La Gazeta diffuse cette approche des deux côtés de l’Atlantique. D’une part, parce qu’elle circule aussi au Portugal et, de l’autre, parce qu’à la Cour de Rio de Janeiro elle reproduit constamment le drame présenté dans les sermons et au théâtre. Le 7 janvier 1809, on peut ainsi lire :
Dans notre précédent numéro, nous avons publié un extrait du discours de Bonaparte devant le Corps législatif rempli de fausses affirmations, par lesquelles il prétend défendre sa cause et continuer à tromper la France et l’Europe, ce afin de vous tenir informés sur ce venin si subtil et pour lui servir d’antidote, nous présentons une interprétation véritable de ses propos, en nous fondant sur l’expérience des faits.
29Si Napoléon a su faire de la presse et de la propagande un mode de propagation de son image et de la cause française, il est à présent confronté au revers de la médaille dans le journal royal et officiel de la cour des Bragance. Au même moment, notamment entre 1808 et 1809, Napoléon apparaît de nouveau dans un nombre significatif de brochures. Il y est présenté comme un instrument qui capitalise l’image de Dom João et concentre sur lui l’incarnation des formes de la décadence, des maux, des catastrophes, des disgrâces, des calamités, des désastres, de la guerre, de la tyrannie, de la douleur. Ce vocabulaire réapparaît dans la Gazeta – informateur, organisateur et promoteur d’un certain discours historiciste en ordonnant la chronologie et les liens entre les faits, politique menée en fonction de sa matière première, la parole – quand elle traite de la défaite de Napoléon, le 14 juin 1814 :
Le tyran a été précipité du trône sur lequel il était monté en piétinant des monceaux de victimes innocentes et la Maison royale des Bourbons a été réintégrée sur ce « Solio » (sic) que les Louis et les Henri ont si dignement occupé. Voilà le but vers lequel ont tendu tant de sacrifices, que l’omnipotence a bénis ; voilà la couronne de tant de souffrances et de tant de désastreuses calamités. Les lamentations de la France se sont converties en cris de joie, et aux douloureux gémissements d’un peuple consterné ont succédé les joyeux et émouvants vivats d’une nation libérée.
30Avec ce revirement, la tradition de la maison des Bragance se redresse. Dans les pièces de théâtre et les sermons, Dom João est fortement associé à la paix, à la stabilité, au bon gouvernement de l’Amérique et aux bons échanges commerciaux avec les nations amies. De lui-même, grâce à son image représentée en général sous forme de portrait dans les fêtes royales, au théâtre et dans les puissantes métaphores des sermons, il calme la tension. Sa présence en scène, au théâtre, apaise la guerre et la dispute. D’une certaine façon, son corps transmet la paix et la prospérité.
31Si, d’un côté, il y a ce lourd investissement qui oppose Napoléon à Dom João, de l’autre, l’image de l’Amérique et celle de Dom João sont liées de façon croissante. Celle de l’Amérique se distingue par la loyauté ; elle s’identifie à un loyal sujet qui accueille son souverain à bras ouverts. En 1808, elle reçoit son seigneur de façon significative, à genoux et empanachée22. À cette occasion, l’Amérique offre or et diamants au prince et énonce une devise répétée à de nombreuses occasions jusqu’en 1820 : « Le coeur avant tout ». Un rapport de la Chambre municipale de Rio mentionne que la présence royale en Amérique « fait fuir le mal ». À partir de 1815, l’Amérique se met à porter une couronne et le Brésil est élevé au rang de royame. Un tel changement la fait sortir de l’état de nature, d’une certaine enfance, pour la faire entrer dans le royaume de la politique, dans la mesure où elle peut partager un symbole d’une telle ampleur et qui définit la royauté. Le Père Perereca déclare : « Le Brésil indien a déjà déposé le panache et les plumes qui l’ornaient jusqu’au 16 décembre 1815 et reçu des munificentes mains du seigneur Dom João VI la brillante couronne qui ceint aujourd’hui son front et le manteau royal de pourpre qui recouvre son ancienne nudité23 ».
32Dans un autre registre, José da Silva Lisboa reconnaît dans l’élévation du Brésil au rang de royaume une décision qui concilie les différentes parties de l’Empire :
L’esprit de nationalité anime déjà le corps politique homogène de la monarchie, grâce à un nouveau système conciliateur qui, ne serait-ce qu’implicitement, a mis fin à la nomenclature ordinaire, laquelle, de façon très peu politique, séparait en classes et en castes distinctes les vassaux d’un même souverain.
33Une telle conciliation provient de la nature même du gouvernant, qui au moyen de décrets, d’édits, de baisemains, d’audiences, de projets, apporte au gouvernement des hommes et à la politique la conciliation des intérêts. Cela mérite également d’être rappelé. Les sermons et les pièces de théâtre parlent, de préférence, de la venue de la famille royale. Les sermons répudient Napoléon et la Révolution française, affublent ces entités d’attributs pervers, en opposition à la figure « pleine de bonté, affable, magnanime et clémente » de Dom João. Toute une vaste production de textes, publiée par l’Imprensa Régia (l’Imprimerie royale), définit le caractère diabolique et sinistre de Napoléon qui aurait bâti son trône sur un fleuve de « larmes et de sang, de haine et de crimes ».
34Ces textes excellent dans l’emploi des métaphores, des images fortes, désirant avant tout capter la sympathie du lecteur et/ou de l’auditeur. Les images et les métaphores ne parlent pas de la même façon que le concept et la théorie politique. Napoléon et Dom João ne s’affrontent pas dans l’arène ouverte de la guerre, mais à travers une vaste production discursive, fréquemment réimprimée à Rio et à Lisbonne, où les images rivalisent pour tout ce qui touche aux attributs royaux. Dom João en sort victorieux, car il règne sur les cœurs plus que sur un territoire. Il n’agit pas en tyran mais incarne plutôt le bon prince et son union bienheureuse avec l’Amérique, qui synthétise et modèle ses vassaux. Dans les pièces de théâtre, on enseigne la conduite loyale de l’Amérique, le rôle du Portugal dans le passé, ses actes glorieux et ses conquêtes, tout en insistant sur l’actualité de l’Amérique, compte tenu de son nouveau statut.
35Quant à un possible conflit entre l’Amérique et le Portugal, il est mis sur le compte du sort, du destin, de la fortune, qui décide de l’avenir indépendamment de la volonté humaine. Il existe un ordre des événements qui ne s’en tient pas au désir des hommes, tout comme les parties restent réconciliées grâce à la monarchie elle-même, au prince lui-même. En général, ces pièces de théâtre recourent aux dieux de l’Antiquité classique, aux allégories, aux génies (portugais, brésiliens), aux vertus et aux vices, transférant vers un monde métaphysique les problèmes de l’État et de la guerre. Ainsi, on cherche à fixer une version officielle des événements, en normalisant leur compréhension et en écartant les autres versions. La constante répétition du même argument, sous des habillages variés, s’efforce de normaliser le dit et le fait, en exaltant la présence du gouvernant en Amérique. Ici, on loue l’alliance avec l’Angleterre, on exècre la France et on découvre en Dom João la solution pour un meilleur gouvernement.
36Les « périls », les « maux », les « disgrâces », les « calamités » ne se restreignent pas à l’opposition entre Dom João et Napoléon, mais atteignaient aussi les exilés qui, à l’exemple de Marrócos24, en franche opposition avec les Memórias du Père Perereca, protestent contre l’ » exil, la perte et la dégénérescence » que la nouvelle Cour suscite. Dépourvue de bonnes manières, de raffinement éclairé, elle a besoin de développer sa civilité, qui trouverait son origine dans la civilisation. Dans la dramaturgie de l’époque, le Nouveau Monde se civilise, passe par un intense processus de métropolisation, tel qu’on peut le déduire de l’ensemble des édits et des décrets royaux, tandis que l’Amérique sauve la monarchie de la décrépitude de l’Europe. Ainsi donc, Dom João régénère l’Amérique, ce dont attestent la dramaturgie de la Cour, les sermons et la Gazeta do Rio de Janeiro, tout comme le Nouveau Monde régénère alors l’Empire lui-même. Le terme de Regeneração (régénération), si cher à la pensée des années 1820, pointe déjà dans les années 1810 à Rio de Janeiro, avec une forte charge symbolique et imprégné de l’idée de soumission.
37Le sentiment d’appartenance politique à l’Empire et à la Cour et, dans ce cas, une certaine notion du patriotisme, exigent la fidélité à la cause royale, l’adhésion contre l’ennemi militaire, ce qui implique à la limite de prendre les armes – et beaucoup de gens les prennent, comme José Bonifácio de Andrada e Silva –, même s’il (le roi ou le vassal) est en exil. En principe, tout un chacun peut être un héros et, si nécessaire, en arriver à prendre les armes. Ce sentiment patriotique n’en est pas moins imprégné d’un sentiment belliqueux et de bravoure25. Selon le chanoine Januário da Cunha Barbosa, dans un sermon prononcé en 1808 et publié en 1809, le départ du prince a évité un épanchement de sang au Portugal, mais en même temps son absence a motivé la réaction populaire des vassaux, victorieuse par la suite26.
38De même, le frère Francisco de São Carlos distingue dans un sermon les sentiments politiques et patriotiques des vassaux : ceux « des colonies l’accueillent [le prince] avec des larmes de tendresse, ceux d’Europe le défendent au prix de leur vie »27. C’est pourquoi et dans cette mesure, les membres de la Cour doivent se distinguer par « le bonheur, la tendresse, la fidélité, l’obéissance, la gratitude » envers le prince, irrécusable, parce qu’outre-mer, ses vassaux doivent faire face à l’ » abandon et à la guerre ». Ces sentiments de « gratitude » et de « fidélité », termes répétés par le Père Perereca, sont manifestés par les négociants de la Cour lorsqu’ils accordent, par exemple, des donations aux victimes ou financent la rançon des prisonniers de guerre28. Par une sorte de jeu de balancier, le prince a besoin de cultiver et d’obtenir un maximum d’adhésion de la part de ses vassaux à la Cour, sous peine d’être considéré comme le plus grand traître à la monarchie. L’exagération dans la sphère des sentiments, des vœux de soumission, dans la véhémence des gestes et des paroles pour l’acclamer, surtout après la fracture radicale qu’occasionne le Pernambouc révolutionnaire et insurrectionnel de 1817, est d’autant plus nécessaire que se corrèlent en un jeu de forces la calamité de la guerre, l’infortune de l’absence prolongée du roi et la décadence politique et économique du royaume, ce qui transforme le Portugal, comme le disent ouvertement les conseillers royaux à Lisbonne, en « une colonie de la colonie ».
39Dans les années 1810, Dom João et la monarchie sont célébrés dans leur légitimité et leur autorité, constamment associés à l’expulsion des Français, à la défaite des jacobins et des afrancesados, à la Restauration de 164029, pour avoir rendu le royaume à son seigneur légitime. Sous un autre angle, le Portugal revient à ses origines en renouant avec une longue lignée de soldats et, plus encore, avec « l’esprit des anciens conquérants de l’Afrique et de l’Asie et des découvreurs de l’Amérique, maintenant qu’il est assiégé par les impiétés révolutionnaires de Napoléon », comme l’explique O Patriota en janvier 1813, dans l’article « État Politique de l’Europe ». Cette notion, selon laquelle la situation vécue dans le présent ressemble à celle du passé, apparaît également dans les comparaisons faites par le frère São Carlos, qui assimile Rio de Janeiro au nouveau camp d’Ourique30 ou lorsqu’on compare Rio de Janeiro à une nouvelle Jérusalem, une nouvelle Athènes et une nouvelle Lisbonne31.
40Cette clef d’interprétation de l’expérience vécue renoue avec une argumentation fondatrice du mythe de l’origine du Portugal et ouvre les portes à une compréhension et à une forte tradition messianique, à caractère populaire, autour de la figure royale, dès lors réhabilitée pour ce qui concerne l’absence du roi lequel, avec la fin de la guerre, retournerait au Portugal et réinstaurerait un temps de paix et de prospérité. En ce sens, le Père Perereca ne cesse de signaler que « la tragédie vécue au Portugal est moins importante que le triomphe de la monarchie et de l’Empire avec le transfert de la Cour32 ». Ces perceptions historicistes sur la condition vécue à la Cour se réapproprient d’anciennes traditions de la monarchie lusitanienne et des formes de constitution de l’assujettissement, de même qu’elles ébranlent toute une chronologie et le mythe fondateur de la Monarchie portugaise et de l’Empire, mettant à l’ordre du jour une identité politique transatlantique de l’Empire, rénovée et traversée par des sentiments moraux qui combattent la calamité.
41Le Nouveau Monde, notamment la Cour installée à Rio de Janeiro, incarne cette promesse de bonheur général, concrétisée à Rio de Janeiro sous la forme d’une ample réforme de la Cour, qui représente un investissement massif sur sa sociabilité pénétrée de civilité. Comme si cet ensemble de réformes et de changements urbains décrits et célébrés par des négociants, tel que Lucoock, des mémorialistes et des voyageurs, exaltés dans la Gazeta do Rio de Janeiro et débattus dans O Patriota, pour ce qui concerne, par exemple, sa salubrité, était le lieu nécessaire de la constitution de l’empire, la preuve irréfutable et évidente de la création du nouvel Empire et de sa rénovation par le prince. En effet, cette entreprise définit le Nouveau Monde comme étant le refuge heureux de la monarchie, où doivent régner la civilité et la prospérité. À l’intérieur de cette compréhension diffuse de la manière de gouverner, l’ouverture des ports est vue comme un système général par José da Silva Lisboa et la libéralisation du commerce constitue un passage capital, qui a exigé des mémorialistes et des agents de l’État une grande diligence pour décrire les catégories de la libéralisation et du bénéfice, articulées, à la fin du monopole et de l’ancien système colonial, selon Perereca, à l’unité de l’Empire et de la monarchie.
42Le sens du mot « commerce » inclut ici le libre échange des marchandises qui engendre la richesse. Il est traversé également par un débat à caractère politique, moral et historique. José da Silva Lisboa, suivant les traces de Montesquieu et d’Adam Smith33 et enthousiasmé par l’Économie politique, affirme : « Là où le Commerce est libre, la franchise amène avec elle la correction des anomalies transitoires34. » Il existe un lien étroit entre la civilité, la civilisation et le commerce considéré comme un agent civilisateur. Dans la définition de l’industrie que donne les Observações sobre a Franqueza da Industria, e estabelecimento de Fabricas no Brasil, de 1810, cette connotation intrinsèque et morale de l’industrie apparaît :
Le terme « industrie » n’est pas encore défini avec exactitude. En général, dans les matières économiques, on l’entend comme synonyme de travail actif et assidu. Ainsi, on dit qu’un homme est industrieux quand il travaille constamment avec vivacité pour gagner sa vie, et on appelle paresseux et inerte un homme sans industrie. Mais, on applique plutôt d’ordinaire ce terme au travail ingénieux, qui s’exécute avec un degré considérable d’intelligence, pour le distinguer du simple et grossier travail de force et on emploie essentiellement ce mot d’industrie pour exprimer le travail exercé dans les arts et métiers les plus raffinés. Ainsi, on dit qu’un pays a beaucoup d’industrie quand il a beaucoup de fabriques35.
43En outre, le texte reconnaît que « la diffusion de l’intelligence des arts et des sciences multiplie les facilités pour introduire la prospérité », encore qu’il insiste sur le fait que l’ » agriculture est d’un intérêt majeur pour le Brésil ». En faveur de la civilisation et contre la barbarie il revendique « le concours simultané de l’agriculture, des arts et du commerce36 », essentiels pour l’existence de la société civile. Ainsi, l’abolition des interdictions du système colonial constitue en soi un facteur décisif de l’époque de la régénération. À son tour, le système libéral est modulé par des affects politiques et publics particuliers : la peur et l’espoir, autant de supports pour toutes les spéculations :
La peur de ne pas réussir le projet aiguise l’entendement de son réalisateur, afin de bien en calculer les circonstances et les conséquences, d’en proportionner les moyens aux fins et de vaincre les concurrents. L’espoir d’avoir bonne fortune le pousse à poursuivre les entreprises les plus ardues, même après avoir subi des revers, pour en corriger les erreurs et obtenir de la prospérité dans l’affaire, pour peu qu’elle ne soit pas absolument téméraire et irréalisable37.
44En résumé, la crainte de la perte et l’espoir du gain ne portent pas atteinte à la dignité civile, juste et inaliénable, quand on ne souffre pas l’injure et la violence de la part des nationaux (et moins des étrangers) qui prétendent aux monopoles.
45Pour José da Silva Lisboa, le commerce met fin à l’ancien système colonial, celui du monopole – « un maléfice public », comme le démontre Smith –, tout en ne menaçant pas l’ordre colonial, mais va au-delà de la conquête d’un « ordre civil amélioré », raffiné, plein de civilité38. Dans ses réflexions, ce point est stratégique, car, en suivant la même approche que Burke, il considère la Révolution française comme une plaie qui détruit le bonheur et produit l’anarchie et la guerre civile. Ainsi, le commerce permet de combattre ce mal. Il faut noter que progressivement s’organise un topos discursif contre l’ancien système colonial fondé sur son indignité et prenant pour paramètre une société raffinée et mercantile – conforme à ce que prétendait être la Cour de Dom João à Rio. Ce changement est vivement souhaité, car l’ancien système colonial a corrompu la colonie, l’Amérique portugaise39. Et parce que le Portugal et l’ancien système colonial sont viciés, ce qui est mis en évidence, par exemple, chez Raynal, la « franchise de l’industrie » s’érige en « principe fondamental ». Il y aurait donc des moyens d’accélérer les avancées de l’État, par exemple, pour le soutien aux académies et aux sociétés littéraires :
N’étant pas guidées par l’esprit de monopole mais par la philanthropie la plus libérale, [ces sociétés] sont aptes à produire une émulation honorable entre leurs membres, qui peuvent se dire non seulement au service gratuit de leurs pères, mais aussi du Genre Humain. Leur vocation est d’enquêter sur les objets les plus utiles de l’activité rurale, industrielle et commerciale et de ses possibles établissements dans les districts les plus adaptés aux circonstances. On leur doit des découvertes remarquables et beaucoup de transferts, de certains pays à d’autres, d’articles nouveaux et profitables, ainsi que le transfert de méthodes de travail et d’instruments des plus opportuns40.
46José da Silva Lisboa expose ici deux temps distincts, emboîtés, celui du système marchand et celui du système libéral, en prenant position contre le « monstre de l’exclusif ». Cette explication se greffe sur deux compréhensions distinctes des temporalités historiques. D’un côté, celle qui reprend les annales de la monarchie et de l’empire portugais et, de l’autre, dans la lignée de cet « humanisme commercial », celle qui relie les différents états de la civilisation humaine : d’une sorte de pré-histoire à l’état de sauvagerie, et de l’établissement de l’agriculture au quatrième stade de l’histoire, présidé par le commerce. Ainsi, les droits civils et le contrat peuvent se fonder sur une situation historique. Cette approche me semble importante, dans la mesure où elle transforme l’état de nature en une situation historique. Il ne s’agit plus d’un recours pour l’argumentation, comme c’est le cas chez Locke ou chez Hobbes, mais d’un stade du passé humain, fondateur de la légitimité du contrat et des droits et devoirs des contractants. De même, il augmente l’importance de la sociabilité, car celle-ci est intrinsèquement liée au processus de civilisation et à la civilité et se manifeste comme une façon d’éviter les catastrophes, les guerres et les maux qui en découlent.
47Dans le cadre de la sociabilité, surtout celle prenant appui sur le commerce, s’opère un raffinement des relations humaines, y compris des relations d’obéissance et de sujétion entre vassaux et gouvernants. Par ailleurs, les vertus civiques, qui sont de plus en plus plus mises en œuvre, gagnent en vigueur au fur et à mesure que les échanges entre les hommes et les sociétés deviennent effectifs et s’étendent. Pocock nous apprend que « le commerce était le seul agent capable de raffiner les passions et de polir les manières, car il apportait les divers raffinements et les finesses de comportement résultant des contacts avec d’autres êtres humains, dans une multiplicité de relations d’échange et d’activités de consommation ». Ce n’est pas en vain que José da Silva Lisboa se consacre non seulement aux œuvres morales, en discutant sur les vertus et le gouvernement de soi et des hommes, mais aussi qu’il refuse catégoriquement le monopole et l’exclusif, sous peine d’aboutir à une régression politique, morale et de l’histoire, c’est-à-dire, à une « décadence ».
48Cette perception historiciste du commerce, à forte tendance moralisante et qui suit les traces de la conception élargie de Smith et des philosophes moralistes écossais, apparaît chez José da Silva Lisboa, mais se trouve disséminée dans les journaux du début des années 1820. Elle figure systématiquement dans la correspondance que les Chambres adressent à Dom Pedro afin de consolider l’adhésion à la monarchie constitutionnelle. Dès lors, la chronique de la royauté lusitanienne et celle de l’Empire disparaissent, sont mises sous silence et interdites. L’argument de l’état de nature surgit alors en tant que situation historique. Le moment de la fondation du contrat social est ici renvoyé à la convocation des Cortes et à leur sphère de décision pour ce qui touche à la Constitution et au mode de vie collectif fondé sur un passé commun à toutes les régions de l’empire du Brésil. Cela apparaît sous la signature de Dom Pedro lui-même dans le Manifesto do Príncipe Regente aos Povos do Brasil (Manifeste du prince régent aux peuples du Brésil), rédigé par Joaquim Gonçalves Ledo et le père Januário da Cunha Barbosa et daté du 1er août 1822, dans lequel on peut lire :
L’histoire des actions du Congrès de Lisbonne au sujet du Brésil est celle d’une série d’injustices dépourvues de raisons ; leurs buts étaient de paralyser la prospérité du Brésil, de consommer toute sa vitalité et de le réduire à un tel degré d’inaction et de faiblesse que cela rendait inévitable sa ruine et son esclavage. Pour que le monde soit convaincu de ce que je dis, passons à la simple exposition des faits suivants41.
49Le Manifeste aborde ensuite les mesures qui réorganisent l’autorité politique et en énumère les raisons, qui n’ont de sens que dans le cadre de cette notion élargie et encore émergente d’Économie politique : la dette nationale, la fermeture des ports aux étrangers, le monopole des richesses, ainsi que la réduction du commerce, de l’agriculture et des habitants du Brésil à la condition coloniale. Pour toutes ces raisons, le vaste et puissant Empire doit rechercher son indépendance. Le roi-citoyen – comme se dénomme D. Pedro, le signataire – dit encore :
L’honneur et la dignité nationale, le désir d’être heureux, la voix de la nature elle-même, ordonnent que les colonies cessent d’être des colonies lorsqu’elles atteignent leur virilité et bien que vous soyiez traités comme des colonies, vous ne l’êtes pas vraiment puisqu’en fin de compte, vous êtes un royaume. En outre, le même droit qu’a eu le Portugal de détruire ses institutions anciennes et de se constituer, vous l’avez à plus forte raison, vous qui habitez un vaste et grandiose pays, avec une population qui, quoique disséminée, est déjà plus importante que celle du Portugal et qui ira en augmentant avec la même rapidité que les corps lourds tombent dans l’espace42.
50Le thème des maux, de la ruine et de la décadence refait surface et devient insupportable, au point de rendre urgent un changement historique. Par ailleurs, en se prévalant de cet argument, les Chambres et le nouveau souverain font disparaître et relèguent dans l’oubli les chroniques et les annales de la Maison de Bragance et celles de la conquête des domaines d’outremer. En outre, c’est justement dans la lutte contre ces catastrophes que l’année 1808 acquiert une dimension considérable, du fait même qu’elle a ouvert les ports et inauguré le libre commerce, considéré lui aussi comme une porte indispensable pour la prospérité, le raffinement de la société, de la civilité et de la vertu civique. Et, là aussi, la transplantation de la Cour perd de sa spécificité, pour apparaître plutôt comme un temps de transition, que ce soit parce que l’autorité royale a toujours eu besoin de raffermir son intégrité et son commandement, soit parce que la Cour de Dom João s’est épuisée entre 1808 et 1821. Malgré ce caractère transitoire, l’expérience de la Cour à Rio de Janeiro a intensifié les perceptions historicistes de cette période qui a débouché sur la fondation de l’Empire du Brésil.
Notes de bas de page
1 Le Père Perereca souligne ce travail du temps au début de l’année 1809 : « Les fondements de l’Empire du Brésil sont posés par la puissante main du prince Régent Notre Seigneur : nous verrons maintenant grandir graduellement ce vaste et magnifique édifice politique grâce aux soins et aux travaux incessants de Son Altesse Royale. De même que rien, dans la nature, ne se réalise par à-coups, rien dans l’ordre moral et politique ne doit être fait dans l’improvisation ; seul le temps permet aux choses de grandir et de parvenir à l’état de perfection. Du travail et des jours sont nécessaires, ainsi que le concours mutuel de nombreux agents subalternes, pour que soient obtenus de grands et extraordinaires résultats, et surtout la bénédiction du Tout-puissant d’où nous parvient toute la force. Les plus grands empires qui ont existé depuis le début du monde ne se sont pas formés ni n’ont grandi jusqu’à leur apogée en un nombre limité d’années : des siècles et des siècles ont été nécessaires. Rome ne s’est pas faite en un jour ». Memórias para servir à Historia do Reino do Brasil, São Paulo, Edusp-Itatiaia, 1981, t. I, p. 231.
2 Voir le paragraphe 36 de l’année 1814 dans les Memórias, ibid., p. 347-348.
3 Selon le Père Perereca, « Le Brésil n’est plus un jardin fermé et interdit au restant des mortels ; il n’est plus un pays ignoré et oublié, il reçoit désormais des étrangers qui préfèrent y habiter et vivre à l’ombre du plus bénin des princes de la terre » (ibid., p. 347-348).
4 Nous avons abordé le problème de la culture et des affects politiques, surtout autour de la personne du prince et monarque Dom João dans D. João VI no Rio de Janeiro : entre festas e comemorações. Anais do Seminário Internacional D. João VI. Um rei aclamado na América, Rio de Janeiro, Museu Histórico Nacional, 2000. Sur ces sentiments, voir Adam Smith et sa Théorie des sentiments moraux (1759), édité par Martins Fontes au Brésil.
5 Voir Valdei Lopes de Araújo, Experiência do tempo. Modernidade e historicização no Império do Brasil (1813-1845), São Paulo, Hucitec, 2008.
6 Íris Kantor, Esquecidos e Renascidos. Historiografia acadêmica luso-americana (1724-1759), São Paulo, Hucitec, 2004, p. 208-219 ; Janaina Amado, Diogo Álvares, o Caramuru, e a fundação mítica do Brasil Estudos Históricos, Rio de Janeiro, FGV, n° 25, 2000/1 (http://www.cpdoc.fgv.br/revista/arq/282.pdf) ; Iara Lis Schiavinatto, Entre a hostilidade e a convivência. Em torno da Invenção do Brasil, 2000, (en cours de publication).
7 Ibid. Sur la culture historique au Portugal à cette époque, voir Isabel Ferreira da Mota, A Academia Real da História. Os intelectuais, o poder cultural e o poder monárquica no século XVIII, Coimbra, Minerva, 2003.
8 Ibid., p. 243.
9 Maria de Lourdes Vianna Lyra, A utopia do poderoso império – Portugal e Brasil : bastidores da política 1798-1822, Rio de Janeiro, Sette Letras, 1994.
10 Antonello Gerbi, La disputa del Nuevo mundo : historia de una polémica (1750-1900), Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1982.
11 Cette diversité des créatures attestait de la qualité du Créateur.
12 L’Italien Domingos Vandelli, invité par Pombal pour participer à la réforme de l’Université de Coimbra et fondateur de la Real Academia de Lisboa, réalisa des voyages philosophiques en Italie, organisa à Padoue un musée d’histoire naturelle, correspondit avec Linné et écrivit le Diccionario de termos técnicos de Historia Natural extrahidos das Obras de Linneu, com sua explicação, e estampas abertas em cobre, Coimbra, Real Officina da Universidade de Coimbra, 1787.
13 Antonello Gerbi, op. cit.
14 Mary Louise Pratt, Imperial Eyes. Travel Writing and Transculturation, Londres-New York, Routledge, 1992, p. 120-121.
15 Alexandre de Humboldt était très apprécié des dirigeants du mouvement pour l’Indépendance américaine. Au Brésil, il a reçu les éloges des lettrés et a été élu membre de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (IGHB) dès 1839. Il a été honoré et consulté par plusieurs voyageurs européens qui se rendaient au Brésil. Ferdinand Denis était ami de son proche collaborateur, Charles Segismund Kunth ; Langsdorff et Rugendas l’ont connu ; Lebreton l’a consulté avant de choisir les membres de la Mission artistique de 1816 ; von Martius entretint une correspondance avec lui ; José Bonifácio, enfin, fut son ami et son admirateur.
16 Alexandre de Humboldt, Recherches concerning the institutions & monuments of the ancient inhabitants of America with descriptions of views of some of most strinking scenes in the Cordilheras, Londres, Murray & Colbwin, 1814.
17 Justement, le caractère océanique de l’Empire est peut-être ce qui permettait cette flexibilité du centre en fonction des circonstances locales. Cet argument se retrouve dans António Manuel Hespanha et Maria Catarina Santos, Os poderes em um império oceânico, em Historia de Portugal. O Antigo Regime, vol. 4, Lisboa, Estampa, s. d. ; dans Valentim Alexandre, Os sentidos do império : questão nacional e questão colonial na crise do antigo regime português, Porto, Afrontamento, 1993, p. 810 et dans Kirsten Schultz, Tropical Versailles. Empire, Monarchy and Portuguese Royal Court in Rio de Janeiro, 1808-1821, Londres-New York, Routledge, 2001.
18 Dom Rodrigo de Souza Coutinho l’a connu dans les salons parisiens et entretint avec lui une correspondance, dont le contenu circulait au Portugal à la fin du XVIIIe siècle. Il fut souvent mentionné, cité et commenté par la presse du premier mouvement libéraliste constitutionnel à Rio de Janeiro, au début des années 1820. Voir A Revolução na América, Préface de Luciano Figueiredo et Oswaldo Munteal Filho, Rio de Janeiro, Arquivo Nacional, 1993 ; O Estabelecimento dos Portugueses no Brasil, Préface de Berenice Cavalcanti, Rio de Janeiro, Arquivo Nacional, Ed. UnB, 1998.
19 José Luis Cardoso met l’accent sur la solide formation de Dom Rodrigo, sur sa réflexion élaborée, sur la façon dont il étudie les questions théoriques de plus grande envergure, en même temps qu’il s’applique à promouvoir un profil différencié du commerçant portugais, habitué au monopole et à l’exclusivité, au développement d’un programme de réformes financières, administratives, militaires et scientifiques. Il possède un sens aigu du pronostic et de la prospective, et fait preuve de volontarisme dans un sens d’intervention dans cette dynamique. Voir O Pensamento Econômico em Portugal nos finais do século XVIII, 1780-1808, Lisboa, Estampa, 1989.
20 Antonio Penalves Rocha, A Economia Política na Sociedade Escravista. Um estudo dos textos econômicos de Cairu, São Paulo, Hucitec-Depto. de História, 1996. Dans le chapitre consacré à la diffusion de l’économie politique au Brésil, l’auteur affirme : « Quelle que soit l’importance de la diffusion, ce qui importe réellement, c’est que l’année 1808 peut être prise comme date de naissance de l’économie politique au Brésil. Car en cette même année, après l’établissement du siège de la monarchie dans la colonie, un cours d’économie politique est institué et peu après, l’Imprimerie royale commence à imprimer des livres sur cette science » (op. cit., p. 36). L’auteur évoque aussi l’introduction pionnière de l’économie politique à dans les rouages de l’État, dans le chapitre intitulé « Les idées de Cairu dans l’histoire du Brésil ».
21 Maria Beatriz Nizza da Silva a fait mention de ce « cycle napoléonien », étudié par la suite par Lucia Bastos et également travaillé par Juliana G. Meirelles dans A Gazeta do Rio de Janeiro e o impacto na circulação de idéias no Império luso-brasileiro (1808-21), mémoire de Master, UNI-CAMP, 2006.
22 Preparativos no Rio de Janeiro para receber a família real, BNRJ, Mn. II-35, 4,1.
23 Memória para servir à História do Reino do Brasil, op. cit., p. 151.
24 Cartas de Luiz Joaquim dos Santos Marrócos, Rio de Janeiro, Biblioteca Nacional/Ministério da Educação e Saúde, 1939.
25 D’autres dimensions radicales du patriotisme sont bien étudiées par Denis Antonio de Mendonça Bernardes dans O Patriotismo Constitucional : Pernambuco, 1820-1822, São Paulo/Recife, Hucitec-FAPESP-Ed. Universitária UFPE, 2006.
26 Sermão de Ação de Graças pela feliz Restauração do reino de Portugal Pregado na capela do Rio de Janeiro na manhã de 19 de dezembro de 1808, Rio de Janeiro, Imprimerie Royale, 1809.
27 Oração de ação de graças recitada no dia 7 de março de 1809 na Capela Real, dia de aniversario da feliz chegada de SAR a esta cidade do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Imprimerie Royale, 1809, p. 12.
28 Jurandir Malerba, A Corte no exílio, São Paulo, C ia das Letras, 1999, p. 209-211.
29 Voir Lúcia Maria Bastos Pereira das Neves, As Representações Napoleônicas em Portugal : Imaginário e Politica (c. 1808-1810), Thèse de titularisation, UERJ, 2002. Sur la restauration entre 1808 et 1810, cf. p. 68 et ss. Et pour ce qui concerne la crainte du retour des Français, jacobins et afrancesados – termes souvent interchangeables pouvant encore inclure celui de « maçon » –, voir Receita contra a doença moral chamada « susto que eles voltem », transcrite dans Correio Braziliense ou Armazém Litterario, Londres, vol. 2, n° 8, janvier 1809, p. 77-80. Avec une rare précision, Lucia Bastos repère de quelle façon Napoléon est défini par des sujets sociaux et politiques distincts des deux côtés de l’Atlantique, en analysant minutieusement plusieurs facettes de Napoléon.
30 Oração de ação de graças recitada no dia 7 de março de 1809 na Capela Real, dia de aniversario da feliz chegada de SAR a esta cidade do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Imprimerie Royale, 1809, p. 6 et 11 ; Lúcia Maria Bastos Pereira das Neves, As Representações…, ibid. ; id., Sucessos de Portugal, ou a prodigiosa Restauração de lusitanioa Feliz. Por hum Portuguez que ama a Religião, a Pátria e o seu augusto soberano, Lisbonne, Of. De Simão Thaddeo Ferreira, 1809.
31 João Pereira da Silva, Sermão de ação de graças, rendidas ao Ceo na Feliz chegada de Sua Alteza Real. Imprimerie Royale, 1809. Pour ce qui concerne ce débat au Portugal, voir Ana Cristina Araújo, « Revoltas e ideologias em conflito durante as invasões francesas », Revista de História das Idéias, n° 7, 1985, p. 7-90.
32 José da Silva Lisboa était également d’accord avec l’idée selon laquelle l’invasion française avait permis de bénéficier de la présence du prince au Brésil. Memória dos benefícios políticos do governo de El-Rei Nosso Senhor D. João VI, pt. I. Imprimerie Royale, 1818.
33 Selon J. G. A. Pocock, « le terme d’“économie politique” […] peut être employé en lien avec la fin du XVIIIe siècle, à différents niveaux de spécificité. Nous pouvons l’employer, tel qu’il l’était alors, pour signifier soit la science naissante de la richesse des nations (wealth of nations), soit la politique d’administration des finances publiques. […] Mais il est aussi possible […] d’employer ce terme pour désigner une entreprise plus complexe et plus idéologique, dont le but était d’établir les conditions de vie morales, politiques, culturelles et économiques dans les sociétés mercantilistes en développement : un humanisme mercantiliste, tel qu’on peut l’appeler avec justesse, qui a relevé le défi posé à la qualité de vie dans ces sociétés par l’humanisme civique ou le républicanisme classique. » (Linguagens do Ideário Político, São Paulo, Edusp, 2003).
34 Memória dos benefícios políticos, op. cit., p. 145.
35 Observações sobre a Franqueza da Industria, Rio de Janeiro, p. 13.
36 Ibid., t. II, p. 53. Je mets ici en évidence les relations entre la sociabilité, le commerce et le droit, en tant que débat lettré dont la répercussion politique a été immense. Cf. Istvan Hont, « The language of sociability and commerce : Samuel Pufendorf and the theoretical foundations of the Four Stages Theory », in Anthony Pagden, The Languages of Political Theory in Early-Moders Europe, Cambridge University Press, 1990. Selon l’auteur le but de cet article est de reconstruire la théorie de Pufendorf sur la sociabilité afin de mettre en évidence sa relation avec un modèle théorique de société commerciale.
37 Ibid., t. II, p. 22.
38 Sur cette approche, cf. Anthony Pagden et J. G. A. Pocock. Antonio Penalves Rocha, pour sa part, affirme que pour Cairu, « le commerce franc et légitime devenait une condition nécessaire pour l’instauration de l’ordre bienfaisant » (A Economia Política…, op. cit., p. 84). Sur Cairu, le livre fondamental est celui de Pedro Meira Monteiro, Um moralista nos trópicos. O Visconde de Cairu e o Duque de la Rochefoucauld, São Paulo, Boitempo/Fapesp, 2004.
39 Penalves Rocha affirme que Cairu attribue à l’économie politique « la fonction d’examiner les lois qui règlent le monde moral » (ibid., p. 51). Voir aussi les pages suivantes sur l’autonomie accordée à l’économie sur le plan du réel et son insertion dans les différentes branches de la connaissance, selon Bacon. Hont signale également que la nature et la culture, y compris la sociabilité, chez Pufendorf, des notions qui transitèrent vers les débats des philosophes moralistes écossais et, ainsi, vers l’économie politique de la fin du XVIIIe siècle, en particulier chez Adam Smith, sont les matières d’un changement prodigieux, de corruption et de dégénération, mais qui sont aussi perfectibles. Dans cette perspective, osciller entre Napoléon, d’un côté, et la Régénération, de l’autre participerait de la même logique que celle des dangers présentés par les Indiens et les esclaves pour la monarchie.
40 Ibid., t. II, p. 110-111.
41 José Alexandre de Mello Moares, História do Brasil-Reino e do Brasil-Império, São Paulo, Edusp-Itatiaia, 1982, t. 2, p. 407-426. Ce thème de l’oppression et de l’épuisement de la métropole apparaît dans le Manifesto do Príncipe Regente do Brasil aos Governos e Nações Amigas, du 6 août 1822.
42 Ibid.
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