Avant-propos
p. 5-6
Texte intégral
1Depuis trente ans, Pathelin a été traduit ou adapté, parfois à plusieurs reprises, en hébreu, néerlandais, italien, espagnol et allemand. L’œuvre, portée à l’opéra-comique (voir Bibliographie [1]), a même servi de thème à une pièce pour orchestre [21], et on ne compte pas moins de quatre nouvelles traductions intégrales en anglais, dont une remarquable, en vers à rimes plates, due au poète écossais Edwin Morgan [71]. À côté de plusieurs travaux et éditions savantes qui bouleversent la connaissance de la tradition textuelle [20, 46, 121], on compte des publications en livre de poche [86, 150] et pour le théâtre scolaire [88, 94] : lecteurs de tous âges, acteurs et érudits trouvent dans Pathelin une matière à délectation et à réflexion. La question de leur survie économique, que Pathelin et Guillemette soulèvent dès le dialogue d’ouverture, nous rappelle que l’œuvre repose sur des enjeux profonds, masqués par l’étiquette de « Théâtre comique » dont on l’a trop commodément affublée depuis le xixe siècle.
2Les lectures de Maistre Pierre Pathelin ici présentées illustrent le renouveau général de la critique : analyse pragmatique du discours (Jonathan Beck, « La mise en scène du faux témoignage ») ; réévaluation des rapports entre cultures savante et vernaculaire, beaucoup moins étanches qu’il n’était admis puisqu’un même formalisme rhétorique façonne les deux types de communication (Keith Bate, « Le Veterator, Pathelin et la continuité de deux traditions », François Roudaut, « La parole et l’échange ») ; mise en évidence du conflit entre « Commerçants et paysans » qui fonde la critique sociale contenue dans Pathelin (Konrad Schoell).
3L’identité de l’auteur est une question très débattue. Estienne Pasquier, qui tenait Pathelin pour un chef-d’œuvre inégalé et disposait d’une information précise sur son origine, ne dit rien à ce sujet (Les Recherches de la France, VIII, 59). Par un ingénieux rapprochement de la célèbre onomatopée (« Bee ») du Berger devant le Juge avec un précédent qui eut lieu dans un débat judiciaire au xive siècle, Bruno Roy enrichit la connaissance de ce procédé de mystification (« Préhistoire du Bee ! ») ; il y trouve une preuve supplémentaire pour cerner l’auteur qu’il propose : Triboulet.
4La réhabilitation des manuscrits La Vallière et Bigot, jusque là mal datés et négligés, renouvelle la connaissance de la tradition textuelle et, partant, l’examen de nombreuses difficultés d’interprétation (Jelle Koopmans « Martin Garant ou Martin Galant ? »). Ne plus isoler un texte, quand il est intégré dans un recueil, des autres composantes de cet ensemble ni des images voire de la musique qui l’accompagnent est une nouvelle orientation de la recherche. Transmis à l’intérieur de recueils (antérieurs de dix ans au plus ancien incunable), ces deux manuscrits posent la question des contextualités explicites. Dans le Recueil La Valliere, Pathelin fut copié avec deux moralités et une farce. Dans le Recueil Bigot, il fut réuni avec des textes de dévotion et de méditation. L’horizon moral appartient à la perspective de chacun des recueils mais aussi, semble-t-il, au projet interne de Pathelin (Michel Rousse, « La fourberie en question », Darwin Smith, Alaistre Pierre Pathelin [156]*). Maurice Accarie, dans un article iconoclaste publié en 1995, avait formulé une conclusion similaire [137].
5Guillemette, Pathelin, Le Drapier, Le Berger et Le Juge sont comme sortis d’un vaste tableau, vivant Miroir de vie humaine dont ils ne seraient qu’un instant acteurs, personnages des gigantesques élaborations écrites ou dramatisées des derniers siècles du Moyen Âge (Fabienne Pomel, « La théâtralité des Pèlerinages »). Des élaborations dans lesquelles il est difficile de distinguer le destin individuel des archétypes communautaires au sein desquels il se déploie, tel un motif tissé sur la trame morale qui sous-tend les actions des hommes. En faisant un apparent détour par les Puys (Denis Hüe, « L’estrade, la Vierge et le podium »), nous pouvons lever le voile sur une confrérie où poètes et dramaturges rivalisaient pour dire, chanter et jouer leur histoire et la vie de leur cité. Et ainsi démêler un peu plus l’écheveau des pratiques qui furent le creuset de Maistre Pierre Pathelin.
Notes de fin
* Notre communication au colloque Pathelin en scène est publiée séparément, en introduction à une édition du manuscrit Bigot (Éditions Tarabuste).
Auteur
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