Une trajectoire politique
p. 51-65
Texte intégral
1On invoque souvent, à propos de Louis Guilloux, la figure du « témoin » ayant su livrer une image vraie de la classe qui l’a vu naître et concilier dignement appartenance au peuple et réussite littéraire. Cette mythologie quelque peu convenue de « l’écrivain du peuple » resté « fidèle à ses origines », occulte le plus souvent certains phénomènes que les sociologues connaissent bien. Elle tend en particulier à minimiser la dimension potentiellement traumatique de tout trajet social ascendant d’une certaine ampleur. Des travaux de Richard Hoggart (« The uses of literacy », 19572) aux études récentes de Claude F. Poliak sur l’autodidaxie, en passant par les textes de nombreux romanciers3, le « déclassement par le haut » a pourtant souvent été analysé. Vincent de Gaulejac dans La Névrose de classe (1987) identifie ainsi plusieurs de ses effets :
L’enfant en ascension sociale est conduit à utiliser un autre langage, à acquérir d’autres habitus, à intégrer un autre monde, provoquant une dissonance à la fois cognitive, existentielle et sociale dans les relations avec ses aînés. La distance sociale, qu’elle se traduise par un éloignement progressif ou non, réactive l’ambivalence, provoque des malentendus, alimente une culpabilité de part et d’autre.
2Du côté de l’enfant, cette culpabilité s’enracine « dans le sentiment d’avoir trahi les fidélités originaires4 ». Le passage dans une autre classe provoque en effet chez le sujet une « rupture d’identification » :
l’enfant abandonne les figures d’identification dominantes dans lesquelles ses parents se reconnaissent, pour adopter des figures nouvelles que les parents perçoivent comme étrangères, parce qu’elles sont des références situées en-dehors de leur classe d’appartenance. [...] La rupture d’identification passe par le désinvestissement des modèles intériorisés qui deviennent indifférents, par l’abandon des références idéologiques, culturelles, institutionnelles, qui les sous-tendent5.
3L’ascension sociale s’accompagne alors d’un travail de « dé – liaison » : parents et enfants ne sont plus « attachés » par des références communes, même s’ils peuvent préserver leurs « rapports affectifs ». Impliquant l’« intériorisation conflictuelle de références qui viennent d’univers sociaux différents6 », le passage d’une classe ouvrière à une catégorie intellectuelle condamne aussi le Moi à une forme aiguë de dédoublement. Partagé entre un habitus populaire, marqué par les valeurs « viriles » de l’action et de l’effort physique, et un habitus intellectuel, caractérisé par des valeurs plus « féminines » (la lecture et la réflexion), l’autodidacte devient un observateur de lui-même :
Ce dont je souffre, témoigne un instituteur d’origine paysanne, c’est de cette aptitude à me dédoubler, à me pencher à chaque instant sur moi-même pour me regarder vivre [...] au lieu de regarder la foule sans m’y mêler, de se détacher d’elle, il faudrait s’y replonger et vivre sa vie7.
4Notons d’emblée, que, dans le cas d’un écrivain comme Guilloux, cette expérience du déclassement revêt une dimension particulière, d’une part parce qu’elle débouche sur une écriture qui prend dès l’origine le peuple pour sujet, d’autre part parce que ce choix même vient infléchir favorablement sa trajectoire au sein d’un champ littéraire fortement marqué, entre 1925 et 1935, par le débat sur la littérature prolétarienne. S’il est important de ne pas négliger les différentes facettes du parcours de Guilloux, c’est aussi parce qu’elles peuvent fournir une clé utile pour la compréhension de certains aspects idéologiques de son œuvre : la délimitation, en fonction de motifs qui lui sont propres, d’un espace populaire centré sur l’artisanat, tout autant qu’une certaine vision de l’Histoire, perçue comme un processus de corruption, sont deux aspects qu’il faut envisager en tenant compte de la façon dont l’auteur de La Maison du peuple a vécu ses déplacements dans l’espace social et plus spécifiquement dans le champ littéraire. Ce schéma ne doit toutefois pas être réduit à des déterminismes sommaires : l’une des richesses de l’œuvre de Guilloux est précisément d’avoir servi à un travail identitaire, et d’avoir mis en question certaines de ses propres représentations.
Saint-Brieuc - Paris
5Il n’est pas inutile de rappeler les conditions dans lesquelles s’effectue la trajectoire ascendante de Guilloux. Bon écolier à qui une maladie infantile interdit l’atelier, il est présenté à l’examen des bourses grâce à l’insistance de son instituteur. Admis au lycée de Saint-Brieuc, il change d’univers social au cours de son adolescence et perd progressivement contact avec ses anciens camarades8. Guilloux se rapproche de milieux liés à la bourgeoisie. Il fréquente, dès 1917, Jean Grenier et Georges Palante, philosophe, collaborateur du Mercure de France et professeur au lycée de Saint-Brieuc. A la faveur des mouvements de populations provoqués par la guerre, il rencontre bientôt Waldemar George, critique d’art, et Lucien Jacques, au contact desquels naîtra sa fascination pour la capitale.
6Première trace de culpabilité à l’égard d’un parcours scolaire qui l’éloigné de son milieu d’origine, Guilloux renonce à sa bourse en classe de seconde pour tenter de gagner sa vie par lui-même. « J’avais deux sœurs qui travaillaient, j’étais le bourgeois de la famille », avançait-il pour expliquer cette décision. Guilloux ressent alors nettement l’acquisition d’un savoir scolaire comme une faute morale :
La première fois que j’ai parlé anglais devant mon père, j’ai eu l’impression de le trahir,
7confiera-t-il à Dorothée Letessier9.
8D’abors surveillant au lycée, il exerce ensuite divers petits métiers, avant de parvenir à se fixer en 1919 dans la capitale, où il espère rattraper son retard culturel10 Guilloux va connaître, dans l’espace spécifique du champ littéraire, les problèmes « d’ajustement social » qui, si l’on en croit Richard Hoggart, se posent de façon particulièrement aiguë pour les boursiers d’origine populaire
dont la réussite scolaire a été juste suffisante pour les couper de leur classe d’origine, sans leur ouvrir l’entrée dans une autre catégorie sociale11.
9A la recherche d’une place dans les milieux intellectuels, Guilloux rencontre en effet les difficultés des écrivains provinciaux désargentés en quête d’une réussite parisienne. Il est notamment contraint pour gagner sa vie, de solliciter la presse12. A Paris, ses origines provinciales ne sont d’ailleurs pas son seul handicap. Prolétaire dépourvu de titre universitaire, souffrant de ne posséder qu’une culture encore limitée, il fait figure de marginal au sein même du groupe des « vorticistes »13. Selon André Chamson, Guilloux s’identifiait pourtant avec une arrogance maladroite à la figure du « grand intellectuel » :
Très « homme de lettres », il était souvent le contraire de ce qu’il aurait voulu paraître14.
10Du provincial timide qui fait ses premiers pas dans le salon de Daniel Halévy en 1925, à l’auteur Gallimard qui manque de peu le Goncourt pour Le Sang noir, Guilloux va pourtant effectuer un trajet ascendant assez spectaculaire. Celui-ci prend appui sur les caractéristiques spécifiques du champ littéraire des années trente : il s’adosse au contre-champ régionaliste dont les réseaux ont déjà favorisé l’émergence d’un certain nombre d’auteurs provinciaux d’origine populaire, comme Emile Guillaumin ou Charles-Louis Philippe15, et profite directement du débat sur la littérature prolétanenne qui anime le champ entre 1925 et 193516. Amorcé dans la revue Monde d’Henri Barbusse, relayé par « le prolétarien » Henry Poulaille et sa revue Nouvel Âge (1931), bientôt confisqué au détriment de ce dernier par le P. C. et sa puissante AEAR17, ce débat place les écrivains d’origine populaire en son centre. Il offre à certains – dont Guilloux – une visibilité inattendue et des tribunes prestigieuses (Monde d’Henn Barbusse, Europe de Jean Guéhenno ou Commune, organe de l’AEAR).
11Dans ce contexte, Guilloux sait faire des choix décisifs. Il se défie tout d’abord du rôle d’écrivain prolétarien – payant à court terme, coûteux à long terme – que le très iconoclaste Poulaille essaie de lui faire jouer. Amplement évoqué en 1930 dans l’anthologie-manifeste Nouvel âge littéraire, il est sollicité pour figurer au comité de rédaction de la revue Nouvel Âge, que Poulaille lance en 1931 avec le concours de Georges Valois, ancien éditeur de l’Action Française. Acceptant d’abord de participer au comité, Guilloux se rétracte ensuite. Il entend – et l’expression est significative – « rester libre aux yeux du public »18. Sa signature n’apparaîtra finalement que dans deux numéros : une fois pour une note de lecture, une fois à l’occasion de la publication de Feux-follets.
12Guilloux adhère en revanche à l’AEAR en 193319 avant de participer en 1935 au Congrès Mondial des écrivains Antifascistes, qui en émane, et d’accepter des responsabilités au journal communiste Ce Soir. Il suit en fait un parcours comparable à ceux d’autres auteurs d’abord proches de Poulaille, mais détenteurs d’un certain capital social ou scolaire20 et, de ce fait, plus enclins à jouer le jeu de hiérarchies en place. Comme Eugène Dabit ou Jean Giono, Guilloux se rapprochera ainsi de Jean Guéhenno, qui incarne, face à l’autodidacte brouillon qu’est Poulaille, le versant « respectable » et cultivé de la réflexion sur la littérature prolétarienne21. Tous trois convergeront vers l’AEAR, à un moment où celle-ci dispense la légitimité littéraire et parviendront à négocier un passage chez Gallimard. Ces choix imposent aussi une certaine discrétion : Guilloux n’aura ni la liberté hautaine d’un grand intellectuel établi comme Gide, ni celle, tonitruante, d’un outsider comme Poulaille, partisan intransigeant du « refus de parvenir22 », qui n’hésitera pas à évoquer en plein Congrès des écrivains antifascistes le cas de Victor Serge, alors détenu en URSS. La position intermédiaire qu’occupe Guilloux au milieu des années trente explique certainement en grande partie son mutisme à son retour d’URSS, alors même que de nombreux aspects de ce voyage l’avaient, comme Gide, profondément choqué.
Un parcours inquiet
13On perçoit que cette trajectoire ascendante repose sur des dynamiques diverses. Dispositions subjectives, sens du « jeu » littéraire et hasards biographiques, s’y combinent avec des facteurs historiques ou sociologiques. Le développement du système des bourses, le « coup de hache » démographique de la guerre, ou encore la montée en puissance du PC, jouent un rôle dans l’émergence de la génération d’écrivains autodidactes à laquelle Guilloux appartient23. Quoi qu’il en soit, ce parcours n’est pas vécu dans la sérénité. L’ascension sociale, et l’accession à la dignité intellectuelle, sont clairement perçues par lui comme une compromission : se rapprocher de la bourgeoisie, fut-elle intellectuelle, c’est collaborer avec l’ennemi, fuir sa propre identité vers le haut, s’éparpiller dans de vains désirs. Si Guilloux s’est progressivement approprié un ethos bourgeois24, s’il sait opérer des choix adroits, il ne peut s’empêcher de percevoir les liens qui le rattachent désormais aux intellectuels comme la marque d’une dégradation. Apparent paradoxe, ceux-ci forment à ses yeux une « race si triste, si étrange et si douloureuse », qui n’a « pour partage que la haine et point l’amour ». L’univers intellectuel, dont il sollicite une reconnaissance, reste perçu comme âpre et immoral25. La nouvelle Feux-follets, qui décrit l’agonie d’un écrivain idéaliste, victime du cynisme des milieux littéraires, traduit bien l’état d’esprit de Guilloux à l’égard de ces derniers.
14Trace de l’« inadaptation fondamentale » qui marque, selon Richard Hoggart, les rapports du déraciné à sa classe d’adoption, cette relation conflictuelle aux intellectuels traduit aussi un sentiment de culpabilité qui peut, en l’espèce, renvoyer à une problématique des enjeux de la représentation littéraire du « populaire ». En lui-même, le projet initial de Guilloux apparaît comme l’expression d’un désir de rachat. L’auteur analysait d’ailleurs La Maison du peuple comme l’expression d’une solidarité avec le monde de son père. Mais, témoigner par l’écriture, prendre le peuple pour sujet, publier, c’est aussi s’enfoncer plus avant dans l’espace intellectuel, creuser encore le fossé qui sépare des valeurs initiales, et entériner, en devenant écrivain, la distance qui s’est instaurée par rapport au monde de l’enfance. C’est même, peut-être, courir le risque de proposer des représentations nostalgiques et pittoresques du peuple, finalement rassurantes à une époque où le PC et la CGTU étendent leur influence sur le prolétariat industriel26. Dès cette époque, Robert Kemp, critique de La Liberté, raille l’aspect convenable, voire infantile, des artisans de Guilloux :
Au fond, j’aimerais pourtant bien Compagnons si [...] M. Guilloux, pour nous attendrir, ne faisait pas ses bonshommes trop gentiment niais, et benêts en parole. C’est mal connaître les prolétaires que de les représenter comme des enfants arriérés. J’en connais beaucoup et que j’aime. Je ne les vois point maladroits et balbutiants comme des bergers des vallées à goitre ; mais vifs, salés, sachant bien ce qu’ils savent, et parlant mieux ! surtout aujourd’hui... Le populaire de Compagnons tend au poncif genre chromo27.
15Autant que ces ambiguïtés du travail de témoignage, c’est d’ailleurs la logique même du champ littéraire qui impose progressivement à Guilloux de rompre avec la revendication d’une appartenance de classe qui lui fait aussi courir le risque d’une fossilisation de son image : l’auteur briochin peut-il durablement rester cet écrivain « sincère et loyal », au talent « discret et réservé »28, voué à l’évocation de ses propres racines provinciales et populaires ? La critique de Nouvel Âge littéraire que Guilloux donne au numéro de novembre 1930 d’Europe, et qui amorce la rupture avec Henry Poulaille, devient – de par ses apories – symptomatique de la complexité de la position de classe de son auteur à cette époque. La survie de Guilloux en tant qu’écrivain passe alors par un certain reniement de ses origines, et par l’affirmation d’une liberté individuelle.
...QUE NOUS IMPORTENT NOS EXPÉRIENCES PERSONNELLES, QUE NOUS IMPORTENT NOS CLASSES ? [interroge Guilloux]. Ayons, une bonne fois, le courage de nous délivrer de ce pesant fatras, de ces pesants mensonges. Le fond du livre de Poulaille est précisément une invitation à nous enfermer dans nos classes. Et c’est cette invitation que nous devons décliner si nous tenons à être ce que nous sommes, à faire de que nous avons à faire […] on exige de nous que nous soyons fidèles. Je demande, au contraire, qu’on soit infidèles. Cette fidélité à nos classes qui est pour nous une tentation, est notre plus dangereux écueil. L’idée même d’une telle fidélité contredit à tout ce que nous voulons être. Il faut un certain courage pour y renoncer, et la hardiesse de se choisir. Car pour nous, être fidèles, c’est là précisément trahir29.
Effets de trajectoire
16Certains travaux de Gérard Mauger ont mis l’accent sur l’importance des trajectoires ascendantes d’auteurs d’origine populaire pour les formes et les contenus de leurs œuvres autobiographiques. Plusieurs réflexes, parfois contradictoires, se font jour chez les transfuges : travail d’effacement du stigmate des origines par la transfiguration populiste, comme chez Rousseau ; mise à distance, rupture et éloignement comme chez Valentin Jamerey-Duval qui « affiche avec dédain son passé paysan », « plébéianisme provocateur » chez le boursier Zola qui choisit « d’exhiber son stigmate » face à une bourgeoisie abhorrée, faute sans doute de parvenir lui-même à s’embourgeoiser facilement30.
17Ce type d’approche peut aussi contribuer à enrichir l’approche politique d’un univers romanesque.
18Sans revenir ici en détail sut la sensibilité idéologique qui marque l’œuvre de Guilloux31, rappelons toutefois ses thèmes les plus saillants. On y rencontre tout d’abord une idéalisation des valeurs de l’artisanat et une célébration des petites communautés traditionnelles (la famille, l’atelier, le syndicat) au sein desquelles l’individu s’épanouit sans rompre le lien avec autrui. Selon des motifs symétriquement opposés, Guilloux met ensuite violemment en cause la bourgeoisie : peuplée d’êtres individualistes et matérialistes, elle est dotée de puissants appareils étatiques de propagande (l’école et le système politique) destructeurs des communautés naturelles. Marquée par l’esprit des années trente dans sa critique du « désordre établi », la sensibilité de Guilloux rappelle aussi Proudhon et l’anarcho-syndicalisme. Elle se teinte toutefois d’un certain traditionalisme : aux antipodes de l’eschatologie marxiste, Guilloux ne cesse de se référer à un mythe de fondation, spirituel et pré-révolutionnaire, dont l’histoire éloigne, mais dont l’âme survit encore chez les artisans et chez certains aristocrates32.
19La conception de l’Histoire qui sous-tend ce système de représentations, autant que le rôle symbolique dont est investi le monde artisanal, refondateur possible de la Cité, traduisent les liens qui unissent ces thématiques à la trajectoire de Guilloux. L’Histoire se fractionne chez lui en deux blocs séparés par la guerre : avant 1914 le monde artisanal subsiste et cristallise les motifs d’un idéal populiste ; après la guerre tout l’espace social semble envahi par les valeurs bourgeoises. Avec 1917, commence en effet pour Guilloux « le temps des assassins » : dans son œuvre, le peuple n’existe plus désormais que comme une entité dégradée et « massifiée », représentée par les chômeurs, les réfugiés, ou les foules moutonnières et presque embourgeoisées, qui applaudissent les démagogues en 1936. Aucun mythe positif de remplacement ne se construit autour du prolétariat industriel qui reste absent de l’œuvre de Guilloux.
20A bien des égards, cette organisation binaire de l’évolution sociale peut être envisagée comme la transposition d’un parcours social où s’opposent deux époques, deux identités, deux modes de relation à la société. Dans l’imaginaire de Guilloux, la guerre semble séparer le « populaire » du « bourgeois », l’âge d’or de la Chute, comme elle sépare, dans l’ordre biographique, l’enfance de l’adolescence, l’innocence de la culpabilité, l’harmonie de l’antagonisme dans le rapport à autrui. Accompagnant ces différents avatars, l’école cristallise une agressivité qui s’explique en partie par son rôle de passerelle sociale. On peut alors envisager Le Sang noir, qui décrit une journée de 1917 dans un lycée de l’arrière, comme le roman où se rencontrent les différents espaces : voulant évoquer une période charnière de l’évolution du monde, Guilloux prend instinctivement pour sujet une institution au sein de laquelle s’est déroulé, à la même époque, son propre basculement d’une identité à l’autre.
21Se profile aussi, derrière cette sensibilité historique, un mode de relation littéraire au peuple dont la notion de « témoignage », souvent employée à propos des romans de Guilloux, occulte la complexité. Les formules proposées par Vincent de Gaulejac pour caractériser la relation d’Annie Emaux avec l’univers de son enfance sembleraient plus justes : l’écriture lui permet de se « distancier tout en comblant cette distance, [de] réparer une trahison pour mieux se sentir à sa place, [d’]entériner une rupture en affirmant son alliance originaire »33.
22Devenu lointain dans la vie de Guilloux, le peuple des artisans réapparaît dans on œuvre, transfiguré par un lent travail de deuil : figure chaleureuse, enraciné dans une tradition, incarnation de la fraternité ; le peuple de Guilloux répond aux aspirations d’un intellectuel
sans abri et sans racines [qui] connaît la pire des solitudes, celle qui grelotte de froid et de peur34.
23Associé par de multiples liens à l’épisode de la fondation miraculeuse de la Cité, ce peuple possède lui-même les caractéristiques d’un mythe d’origine. Prolongeant, un peu comme chez Lamennais, la pureté des premières communautés chrétiennes, il est le point de départ, dans l’œuvre, d’une lente détérioration historique ; il est aussi, dans la vie de Guilloux, l’origine sans cesse recherchée, parfois sur un mode mystique35, d’une trajectoire vécue sur le mode de la culpabilité.
Exorcisme et prise de distance
24S’il ne faut pas méconnaître l’importance des effets de champ ou de trajectoire qui se mêlent pour modeler le parcours littéraire de Guilloux ainsi que de nombreux aspects de son œuvre, il faut aussi voir que cette dernière est profondément marquée par une vocation socioanalytique36 qui rend possible un retour de l’auteur du Jeu de Patience sur certains effets de sa trajectoire.
25Ce travail trouve tout d’abord sa traduction dans l’émergence de personnages de déracinés au sein de l’œuvre : avec leurs doutes et leurs angoisses, Loïc Nédélec ou Meunier apparaissent évidemment comme des doubles de l’auteur du Jeu de Patience. Mais c’est peut-être vers le personnage de Merlin, dit « Cripure », qu’il faut se tourner pour bien comprendre le besoin d’introspection et de réécriture identitaire qui traverse l’œuvre de Guilloux. Si le philosophe du Sang noir peut figurer, comme l’a noté Anna Boschetti, aux côtés du Bouteiller de Barrès et des petits intellectuels ratés des premiers écrits de Sartre parmi les personnages destinés à jouer le rôle d’exorcisme de l’échec littéraire37, il serait toutefois réducteur de limiter à cela les relations complexes qui unissent le personnage à son auteur. Autant que l’angoisse de l’échec, c’est en effet l’expérience d’un mal-être social lié au déclassement qui rend compte des liens intimes qui unissent Guilloux et Cnpure : l’un et l’autre semblent se rencontrer à l’endroit précis où l’inadaptation du déraciné croise celle du bourgeois déchu. L’auteur briochin parle aussi de lui lorsqu’il évoque les pas maladroits du professeur dans les salons bourgeois d’Angers38, où « chacun s’emploie à oublier sa pénible infirmité39 ». Une douleur commune unit le philosophe cloué au sol par des pieds hypertrophiés et l’écrivain dont le parcours est entravé par le stigmate de ses origines.
26Cripure sert aussi de support à Guilloux pour tenter d’objectiver certains effets idéologiques du déclassement. A l’image de la plupart des écrivains d’origine populaire, Guilloux a vécu son ascension à la culture comme un processus de transmutation sociale. Deux états intellectuels, mais aussi deux états sociaux diamétralement opposés, cohabitent chez les intellectuels transfuges. Ils adoptent fréquemment, comme le note Claude F. Poliack, la « représentation-stigmatisation » bourgeoise de la nature populaire perçue comme « sauvage », « bestiale », « culture des corps opposée à la culture de l’esprit » (on songe ici aux descriptions zoomorphiques du sous-prolétariat du Pain des rêves relevées par Yannick Pelletier40 ou aux Histoires de brigands).
Les métaphores qui marquent le passage d’un état à l’autre et qui émanent de ceux qui ont atteint « l’autre rivage », qui ont « franchi le pas », « passé la ligne », indiquent assez l’image que se font les convertis de ce qu’ils étaient, eux et leurs semblables, et de ce qu’ils sont devenus : passage « des ténèbres à la lumière », « du laid au beau », de la « brutalité à l’humanité », etc.41.
27L’expérience de l’autodidacte est une expérience individualiste : il lui semble s’affranchir des contraintes sociales et réinventer seul son destin42. A l’image de Martin Eden, nietzschéen persuadé d’appartenir à la caste supérieure des hommes libres, le transfuge peut alors être tenté par un aristocratisme hautain.
28Aller ego de Guilloux, ce Cripure « spectateur de lui-même43 », « retranché de la communauté », condamné au « mépris de soi »44 et confronté aux impasses de l’affirmation individuelle, permet à son créateur de disséquer et d’exprimer sa propre souffrance de déraciné, marqué par l’expérience de l’isolement et du dédoublement. Il lui sert aussi à exorciser ses propres réflexes individualistes et jusqu’à la complexité de son rapport à sa classe d’adoption,
cette haine de la bourgeoisie qu’il croyait si naturelle et si fondée [et qui] n’était peut-être qu’une manière de se dissimuler à soi-même et de compenser un certain amour des choses faciles et basses45.
29Manifestation du désir « de se mettre en règle avec soi-même » qui parcourt l’œuvre de Guilloux, Cripure fait alors écho à Nabucet, l’autre grand personnage de déclassé du roman, vigoureux archétype de prolétaire-traître46, et évidente figure-repoussoir pour l’auteur du Sang noir.
30Support d’un travail identitaire dont le personnage de Cripure est emblématique, l’œuvre de Guilloux remet aussi en jeu ses propres modalités de représentation du « populaire ». Le romancier a vraisemblablement très tôt amorcé une réflexion sur cette question. Il rapporte dans Absent de Paris une remarque de Groethuysen pour qui La Maison du peuple donnait « envie d’être pauvre ».
Il est bien évident que je n’avais pas écrit La Maison du peuple pour donner envie aux gens d’être pauvres mais pour les en dégoûter, [note Guilloux]. A quel point j’étais moi-même gagné par la contagion, la remarque de Groethuysen me le fit comprendre. Elle confirma un doute dont j’étais moi-même assiégé, et par là, elle me fut extrêmement profitable. Ce serait entamer un long chapitre que d’entreprendre de dire ici comment je sus mettre à profit cette remarque, et d’autres qui me vinrent d’ailleurs, dans quelle mesure je cédais – continuais à céder – au courant, paresseusement et même lâchement47.
31De fait, loin de camper sur une conception univoque d’une écriture « authentique », comme celle de nombreux représentants de l’école prolétarienne, l’œuvre de Guilloux prend progressivement la mesure des ambiguïtés inhérentes à toute parole sur les « basses classes48 ». Le jeu intertextuel, qui unit Le Pain des rêves au Jeu de patience montre assez que Guilloux ne prétend plus alors produire une représentation authentique des classes populaires. Roman autobiographique, mais très différent pourtant de La Maison du peuple, Le Pain des rêves49 n’est plus pensé comme un témoignage objectif : attribué à Loïc Nédélec dans Le Jeu de patience, il est explicitement présenté comme le regard subjectif d’un déraciné sur ses origines50. Au sein même du Jeu de patience, les épisodes relevant de la « chronique » consacrés à l’évocation réaliste d’un avant-guerre rassurant, sont proposés au lecteur, non plus comme une représentation fiable du réel, mais comme un type de récit parmi d’autres, enchâssé dans un roman qui apparaît lui-même comme une « maison truquée51 ». Peuplée d’images d’Epinal, évocation désuète et ordonnée dont les artifices sont signalés52, la chronique traduit alors le désarroi d’un narrateur tenté par le repli sur le monde de l’enfance.
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32Face à une tentation, quelque peu stérile, qui consisterait à ériger le goût de la liberté professé par Guilloux en facteur explicatif unique, susceptible de rendre compte de la physionomie de son parcours littéraire ou politique, on note au contraire que l’attention portée aux conditionnements qui pèsent sur sa trajectoire se révèle féconde. Le rôle-clé joué par le PC dans le champ littéraire des années trente éclaire ainsi le paradoxe de l’adhésion à l’AEAR, malgré une hostilité à « tout groupe, à toute école ». Sa marginalité sociologique sur la scène littéraire, sa trajectoire de transfuge, aident, elles, à mieux situer les enjeux du repli progressif sur une modeste action au côté des Secours Rouges, en rupture radicale avec l’espace parisien de l’engagement des intellectuels. Évident témoignage de l’attention portée par Guilloux à la souffrance humaine, ce repli traduit aussi un vif désir de réenracinement et, sans doute, le dépit d’un écrivain condamné par sa position littéraire encore précaire à une réserve frustrante. Nous pouvons ainsi progressivement redéfinir les conditions de l’exercice d’une liberté qui prend peut-être d’abord appui sur l’œuvre. La dimension réflexive de celle-ci n’est pas anecdotique : peu présente dans les textes produits par les autodidactes de la génération de Guilloux, elle peut, au côté d’autres facteurs, contribuer à éclairer l’attitude de l’auteur du Sang noir pendant l’Occupation. Contrairement à de nombreux écrivains issus de la mouvance prolétarienne ou du régionalisme, qui se révéleront sensibles à la rhétorique populiste de la Révolution nationale, Guilloux résiste aux sollicitations d’une presse qui tente d’imposer face à l’écriture « décadente » des « mauvais maîtres » une littérature issue de la province, artisanale et paysanne53. S’il figure bien au nombre des auteurs qui contribueront à donner un semblant de légitimité à La NRF de Drieu54 (des pages du Pain des rêves paraissent dans la revue en 1942), son comportement reste radicalement différent de celui de Poulaille ou de Giono, qui accepteront d’apparaître dans L’Atelier ou dans La Gerbe comme les défenseurs des traditions d’une France artisanale et paysanne.
33La réflexion que Guilloux avait alors engagée ne le conduisait-elle pas à envisager avec plus de scepticisme les fausses évidences du discours pétainiste sur le peuple ?
Notes de bas de page
2 Richard Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, Ed. de Minuit, Le sens commun, 1970.
3 On pense par exemple à Thomas Hardy (Jude l’obscur), Jack London (Martin Eden), Lucien Bourgeois (L’Ascension), Paul Nizan (Antoine Bloyé) ou, aujourd’hui, aux romans d’Annie Ernaux.
4 Vincent de Gaujelac, La Névrose de classe, Paris, Hommes et groupes, 1987, p. 84-85.
5 Ibid., p. 86.
6 Ibid., p. 245.
7 Cette citation de Louis Caubet est extraite du livre de Francine Muel Dreyfus, Le Métier d’éducateur, Paris, Ed. de Minuit, 1983. Cité par Vincent de Gaujelac, op. cit., p. 246.
8 Voir Louis Guilloux, L’Herbe d’oubli, Paris, Gallimard, 1984, p. 134.
9 Pierrick Guinard et Dorothée Letessier, Louis Guilloux, émission télévisée, FR3, Bretagne-Pays de Loire, 1985, 52mn 12s.
10 « Je soupçonnais en les écoutant, qu’ils pensaient en eux-mêmes que si j’avais eu le bonheur de vivre à Paris, il y aurait eu beau temps que j’aurais connu Apollinaire et Dostoïevski. Je sentais vivement que le hasard qui m’avait fait naître dans une petite ville de province, à près de cinq cents kilomètres de Paris, était responsable d’un immense retard dont j’étais la victime », dans L’Herbe d’oubli, op. cit., p. 268.
11 Richard Hoggart, La Culture du pauvre, op. cit., p. 347-349.
12 L’Herbe d’oubli, op. cit., p. 297-303.
13 Guilloux avait co-fondé en compagnie de Jean Grenier, Henri Petit, André Chamson et Georges Duveau, tous diplômés ou étudiants, le groupe des « Vorticistes ». Edmond Lambert, mentor des vorticistes, soupçonnait Guilloux de posséder une culture restreinte. Voir Toby Garfitt, « Les milieux intellectuels des années 20, Guilloux, Grenier, Lambert » dans Louis Guilloux, Colloque de Cerisy, Quimper, Calligrammes, 1986, p. 38.
14 Ibid., p. 42.
15 Daniel Halévy, qui parraine le jeune Guilloux, s’est intéressé aux auteurs déjà promus par le mouvement régionaliste. Dans ses Visites aux paysans du Centre, il s’attarde notamment chez Emile Guillaumin. Sur le régionalisme, voir les travaux d’Anne-Marie Thiesse, notamment Écrire la France, Paris, PUF, Ethnologie, 1991.
16 Ce débat a été analysé par Jean-Pierre Morel dans Le Roman insupportable : l’Internationale littéraire et la France 1920-1932, Paris, Gallimard, Bibliothèque des idées, 1985 et par Jean-Michel Péru. Voir notamment « Une crise du champ littéraire français : le débat sur la « littérature prolétarienne » (1925-1935) », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 89, septembre 1991, p. 47-65, ainsi que « Le groupe des écrivains prolétariens : position littéraire et prise de position politique », Itinéraire, n° 12, 1994, p. 27-41.
17 L’Association des écrivains et artistes révolutionnaires a été fondée en mars 1932 par le Parti communiste, afin de promouvoir une « littérature prolétarienne révolutionnaire » qui réponde aux critères définis en URSS par la puissante Union internationale des écrivains révolutionnaires (UIER), constituée au Congrès de Kharkov de 1930.
18 Lettre à Henry Poulaille du 7 septembre 1930. Sur les relations des deux écrivains, voir Jean- Charles Ambroise « Louis Guilloux et Henry Poulaille, chronique d’une rupture annoncée », Confrontation, Bulletin des amis de Louis Guilloux, Saint-Brieuc, n° 6, juin 1997.
19 Cette date, donnée par Jean-Michel Pérus, correspond à la première apparition du nom de Guilloux dans les comptes rendus d’activité de l’AEAR. L’implication de Guilloux au sein de l’association est réelle. Jean-Michel Péru en recense dix-sept signes entre 1933 et 1938. Parmi ceux-ci, deux signatures relevées dans les Feuilles Rouges éditées en 1933 et sept participations à Commune entre 1935 et 1938. Voir « Le groupe des écrivains prolétariens. », op. cit., p. 42.
20 Sur la notion de capital social, voir Pierre Bourdieu « Le capital social », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, 1980, p. 2-3. Giono, comme Guilloux, avait été boursier, Dabit était « parrainé » par Roger Martin du Gard, sous la direction duquel il a écrit Hôtel du Nord. Jean- Michel Peru a noté l’importance du clivage entre boursiers et autodidactes au sein du mouvement prolétarien.
21 Ces ceux pôles s’opposeront vigoureusement au moment de la publication du Pain quotidien : dans Europe de décembre 1931, Guéhenno reproche à Poulaille son écriture désinvolte (« si nous ne parvenons pas à nous rendre maîtres de la technique de l’écrivain, apprenons d’autres métiers »), Poulaille raille dans « Défense d’écrire » le conformisme du clerc Guéhenno (Bulletin des écrivains prolétariens, n° 1, mars 1932).
22 Mais c’est aussi une posture que lui impose le champ.
23 Si Guilloux paraît aujourd’hui être un cas isolé, ou presque, c’est aussi parce que de nombreux écrivains d’origine populaire, ayant souvent joué un rôle dans le champ littéraire des années 30, n’ont guère connu de postérité : qui se souvient aujourd’hui de Lucien Bourgeois, Tristan Rémy, Lucien Gachon, Ludovic Massé, Constant Malva, Joseph Voisin, Francis André, Georges David... ?
24 Nombreux sont les témoins qui, dès cette époque, remarqueront les manières « aristocratiques » de Guilloux. « Près de moi, écrit ainsi Frédéric Lefèvre, une amie qui a eu la chance de rencontrer tantôt Louis Guilloux, et qui a été séduite, me dit : « Comment pouvez- vous appeler écrivain du peuple un homme qui présente d’une manière aussi irréfutable tous les caractères de l’aristocratie véritable ». « De vous à moi... Louis Guilloux », Les Nouvelles littéraires, 30 mars 1930.
25 La citation est extraite d’une lettre à Jean Guéhenno (mars 1931) reproduite dans Plein Chant, n° 11-12, septembre-octobre 1982, p. 177.
26 Cette ambiguïté des premiers textes de Guilloux est lisible dans de nombreuses réactions critiques. Au moment de la publication de Compagnons, La République note ainsi les qualités du livre « dans l’étude d’un milieu modeste où se révèlent toutes les qualités qui font une race forte et durable ». Le Populaire de Nantes parle des artisans de Compagnons en employeur satisfait et attendri : « Ils travaillent dur, sans beaucoup parler », « on fait de l’ouvrage sérieux au plus juste prix », « c’est la vie quotidienne, c’est la mort banale, comme il sied aux pauvres gens » (21 juin 1931). « Puissent les politiques comprendre cette leçon. On voudrait les supplier de faire tout le possible pour ne pas démoraliser ce peuple resté sain » écrit pour sa part Georges Guy-Sand à propos de La Maison du peuple (Le Quotidien du 23 septembre 1927).
27 La Liberté, 1931.
28 Ces citations, extraites du Soir et du Soir de Bruxelles au moment de la publication de La Maison du peuple, pourraient être complétées par de nombreuses autres : Guilloux est alors présenté comme un « maître ouvrier » (Les Nouvelles littéraires, 30/03/33), qui écrit avec « une simplicité qui aide à l’émotion mais qui ne se dépasse pas elle-même » (Le Soir de Bruxelles, 9/1927), le roman apparaît comme une « œuvre robuste, sincère et vraie, une histoire vécue » (L’Étincelle, 15/10/27). Compagnons, de son côté, est perçu comme un petit livre « bien composé, bien écrit » (La République, 21/06/31), « un tableau bien fait », « une petite anecdote franciscaine qui a du charme » (La Liberté), écrit « sobrement et simplement »... On associe alors souvent Guilloux à deux courants littéraires marginaux : le populisme et le régionalisme. Toutes ces citations sont extraites des coupures de presse réunies par Annick Le Chanu, en consultation à la Bibliothèque Municipale de Saint-Brieuc.
29 Europe, n° 95, 15 novembre 1930.
30 Voir « Les Autobiographies littéraires, objets et outils de recherche sur les milieux populaires », Politix, n° 27, 1994, p. 32-44.
31 Sur la question des représentations politiques dans l’œuvre de Guilloux, voir Philippe Roger, « À rude école : écriture et idéologie chez Guilloux » dans Louis Guilloux, Colloque de Cerisy, op. cit., p. 103-135 et Jean-Charles Ambroise, Une lecture politique de Louis Guilloux, mémoire de DEA d’Etudes Politiques, Université de Rennes I, 1987, ainsi que Henry Poulaille et le mouvement français pour la littérature prolétarienne. Position littéraire, représentations et prises de position politiques, 1925-1944, Thèse de Science Politique, CRAP (CNRS) et Faculté de Droit et de Science Politique, Université de Rennes I, 1998. Ces travaux ont été dirigés par Erik Neveu.
32 Spécifiquement la famille de Lancieux qui incarne, au même titre que la mère Nédélec, « une forme du vieil amour chrétien », et dont un membre est l’historien de la fondation de la cité. Il ne faudrait pas caricaturer ce « traditionalisme ». Développé selon des motifs propres à la sensibilité de Guilloux, il ne renvoie évidemment pas à Maurras...
33 Vincent de Gaulejac, La Névrose de classe, op. cit., p. 91.
34 Nous reprenons ici les termes d’une lettre à Guéhenno, déjà citée, dans laquelle Guilloux décrit la condition des intellectuels. Derrière les formules employées, on perçoit qu’il y parle, avant tout, de son propre malaise de déraciné.
35 Pour s’en tenir à la période qui voit la rédaction et la publication de La Maison du peuple, on ne peut manquer d’être frappé par la convergence qui existe entre la symbolique qui tend, dans le roman, à enraciner le peuple dans un territoire spirituel, et l’état d’esprit de Guilloux qui, au bord de la conversion et de la rupture avec ses amis « vorticistes », retourne s’établir à Saint-Brieuc pour y construire sa « maison » « au son des cloches ». Derrière l’évocation romanesque du passé, se profilent donc, jusque dans la vie de Guilloux, une quête spirituelle et la volonté d’un retour à ses propres origines. Voir Toby Garfitt, op. cit., p. 21.
36 Sur l’utilisation de la notion de socioanalyse en littérature, voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’Art, Paris, Le Seuil, 1992, en particulier le chapitre « Flaubert analyste de Flaubert ».
37 Anna Boschetti, Sartre et les Temps modernes, Paris, Ed. de Minuit, 1985, p. 41-42.
38 Angers, rappelons-le, est aussi la ville où Guilloux s’installe à la fin des années 20 après un mariage bourgeois. Guilloux a confié à Yannick Pelletier : « Entre Palante et moi, il y a Cripure ».
39 Louis Guilloux, Le Sang noir, Paris, Gallimard, Folio, p. 234.
40 Yannick Pelletier, Des ténèbres à l’espoir, Ar Releg-Kerhuon, An Here, 1999, p. 181.
41 Claude F. Poliak, La vocation d’autodidacte, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 17.
42 Jean Guéhenno ne considérait-il pas s’être « échappé », grâce à la lecture, du « monde obscur et humilié où il était né » et avoir « atteint ce point de culture où l’on commence à connaître les plaisirs, le luxe du désintéressement ». Jean Guéhenno, Caliban et Prospero, Paris, Gallimard, 1969, p. 30.
43 L. Guilloux, Le Sang noir, op. cit., p. 245.
44 Ibid., p. 258.
45 Ibid., p. 235.
46 « C’était charmant, les amis d’enfance, mais c’était bavard, ça en savait long sur les. .. origines. Et celui-ci avait eu la vieille manière de lui parler de son père le menuisier, de sa mère, qui tenait un petit commerce d’épicerie... », ibid., p. 65.
47 Louis Guilloux, Absent de Paris, Paris, Gallimard, 1952, p. 141.
48 Ambiguïtés qu’un critique avait résumées d’une formule lapidaire au moment de la sottie de Compagnons « petit livre simple, très simple, un peu trop simple pour avoir été écrit par un simple » (dossier de presse, Bibliothèque de Saint-Brieuc, sans références). Sur ce sujet voir notamment Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Le Seuil, Hautes études, 1989.
49 Voir sur le sujet Jean-Louis Jacob, « Louis Guilloux, continuité et ouverture », Louis Guilloux, Colloque de Cerisy, op. cit., p. 17-34.
50 A certains égards, Le Pain des rêves peut même apparaître comme un pastiche populiste, ce qui confère, au passage, une certaine ironie au fait qu’il ait précisément obtenu, en 1942, le prix fondé par Thérive et Lemonnier.
51 Louis Guilloux, Le Jeu de patience, Paris, Gallimard, t. I, p. 488.
52 Ibid., p. 49-50.
53 Il est par exemple célébré au côté de Pierre Hamp et d’Émile Guillaumin par l’hebdomadaire déatiste Le Rouge et le Bleu.
54 Sur La NRF de Drieu et d’une manière générale sur le champ littéraire sous l’Occupation, voir Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, Paris, Fayard, 1999.
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