Virginia Woolf et Dante : l’enfer de Mrs Dalloway
p. 91-106
Texte intégral
1Que vient faire Dante à Londres dans les années 1920 ? Dante est très occupé, à Londres, dans les années vingt. Il n’a pas seulement infiltré le fameux Ulysse de Joyce paru en 1922 – dont on soupçonne Virginia Woolf de le critiquer par jalousie littéraire. Il hante la poésie des Cantos d’Ezra Pound (publiés de 1917 à 1925), et Virginia Woolf recueille de la bouche même de T. S. Eliot que dans certains vers de « The Love Song of J. Alfred Prufrock » se font entendre quelques accents du Purgatoire 1. Dante tient salon à la Tate Gallery, sous les formes que lui a prêtées William Blake entre 1824 et 1827 dans ses illustrations de La Divine Comédie, et il reçoit là toute l’admiration de Roger Fry. Dans le propre salon de Roger Fry, Dante est encore présent, cette fois à travers une réplique du célèbre portrait peint par Giotto, et Virginia Woolf apprend ainsi que, selon la légende, ce portrait aurait suivi la procession des funérailles du poète en 1321 à Ravenne2. Dante figure en bonne place dans la bibliothèque de Lytton Strachey3, dans l’édition française qui a appartenu au Grand Dauphin, bibliophilie oblige, et à en juger par le journal de Virginia Woolf, c’est à elle que Dante a manifesté la plus remarquable fidélité.
2Elle hérite de sa fréquentation par l’intermédiaire de son père. Mais le Dante qu’elle reçoit ainsi est une figure de bibliothèque, un géant que Leslie Stephen appréhende, par exemple, à travers Landor et la sensibilité démodée qui fait de lui « The great master of the disgusting 4 ». Virginia fréquente un autre Dante, qui n’a rien à voir avec cet objet de décoration jugé parfois de mauvais goût. La première lecture dont le journal porte trace, date de novembre 19175 : et on note au passage que cela coïncide avec la lecture que Septimus fait de l’Enfer 6, alors qu’il se trouve en Italie. Ce Dante-là est celui que le chaos de la guerre fait resurgir dans la plupart des jeunes consciences littéraires de l’époque. Il n’a plus vocation d’orner les esprits, mais de les aider à requestionner le monde, à reposer la question du sens, à remettre l’écriture dans un axe que Dante lui-même a voulu prolonger et repenser. Dante a lui aussi choisi d’assumer un héritage colossal, et il a montré comment repenser l’expérience humaine à l’ombre d’un grand poète.
3Aucune lecture ne revient de façon aussi obsédante que La Divine Comédie dans le journal de Virginia Woolf. La période qui correspond à l’écriture de Mrs Dalloway, celle qui nous intéresse ici, ne concerne que la première des nombreuses apparitions de Dante dans le journal de la romancière. Mais il me semble que cela éclaire sur l’impact de cette première lecture de savoir qu’elle en a suscité trois autres. Woolf reprend La Divine Comédie de 1930 à 1931, comme contrepoids à l’écriture des Vagues 7. Période de lecture fort longue, de plusieurs mois, comme chaque fois. Lecture lente et méditative. En 1917, elle avait commencé en novembre et fin décembre, elle dépassait péniblement le milieu du Purgatoire, en se plaignant de ne pas avancer plus vite. Mais justement, le Purgatoire est la partie qui engage directement une réflexion sur l’art considéré comme un relais entre le visible et l’invisible, entre l’humain et le divin. chaque relecture, elle recopie des passages en italien dans son journal : traces d’un enchevêtrement particulier de la lecture et de l’écriture. Elle se lance dans une troisième relecture en 1934 et 1935, en se remettant à l’italien, comme elle l’avait fait en 1930, pour lire Dante dans le texte. Et comme en 1930, elle fait un parallèle entre la force de cette lecture et l’effort que représente l’écriture :
I cant [sic] read Dante of a morning after the struggle with fiction. I wish I could find some way of composing my mind – it is absurd to let it be ravaged by scenes ; when I may not have read all Dante before I – but why harp on death 8 ?
4On ne trouve des paroles aussi fortes, dans le journal, qu’à propos de Proust, et il n’y a là nul hasard lorsqu’on sait la dette avouée de Proust envers Dante, dans la Recherche du Temps Perdu. Enfin, Virginia Woolf reprend La Divine Comédie en octobre 19409, pour une dernière relecture à l’image de la première : dans un autre contexte de guerre, comme si Dante était décidément le compagnon le plus sûr pour la traversée de ce siècle.
5Mais pourquoi voyager avec Dante, au point d’apprendre sa langue, de désirer se tenir ainsi au plus près de son esprit, quand on appartient à la culture de Milton ? La question, même posée de cette façon simpliste, s’avère pertinente car les apparences, dans une lecture rapide Mrs Dalloway, pourraient tromper. Si le nom de Dante n’apparaît qu’une seule fois dans le cours du récit, celui de Milton revient une bonne demi-douzaine de fois, tout spécialement au cours de la réception donnée par Clarissa Dalloway. Or, la réponse de l’auteur à cette question résonne très clairement dans le journal, cinq ans avant l’écriture du roman, et nous plonge directement dans la texture infiniment complexe de Mrs Dalloway :
The substance of Milton is all made of wonderful, beautiful and masterly descriptions of angels’ bodies, battles, fights, dwelling places. He deals in horror and immensity and squalor and sublimity but never in the passions of the human heart. Has any great poem ever let in so little light upon one’s own joys and sorrows ? [H]ow smooth, strong and elaborate it all is ! What poetry ! I can conceive that even Shakespeare after this would seem a little troubled, personal, hot and imperfect.10
6Woolf prend donc plutôt la main de Dante, et que demande-t-elle à ce guide ? Quelle empreinte cette lecture de Dante a-t-elle laissée dans Mrs Dalloway ? Dante, qui chemine toujours accompagné, soutenu par Virgile, accueilli par Béatrice, face à la nudité du monologue de Clarissa, face à Peter Walsh, « the solitary traveller », face à Septimus que personne ne peut plus atteindre. Les traces d’une lecture de Dante ne sont pas d’un contour facile à distinguer, et le journal ne fournit nullement la même sorte de preuve patente que pour The Years. L’univers de Dante imprègne le roman ; on le trouve partout, dans le détail comme dans la globalité du texte.
7L’évidence la plus vague réside sans aucun doute dans le rythme même de la déambulation, dans l’importance accordée au corps et aux affects du marcheur, dans la présence des étoiles, dans l’observation d’un ciel qui demeure visible depuis l’enfer, dans l’obsession d’une attention portée à la transparence ou à l’opacité de l’air, dans une façon de décrire Londres et les bruits de Londres, dans le nombre considérable de métaphores que les deux auteurs empruntent au paysage marin et aux termes de navigation. On peut reconnaître également quelques échos de La Divine Comédie dans la scansion des heures. Le titre originel du roman de Woolf, The Hours, insistait sur cette obsession du temps mesuré par l’horloge : présence si exacte chez Dante, aussi exacte que celle du calendrier. Une obsession du temps qui impose dans les deux œuvres un même sentiment de hâte. Hâte face à la quantité des choses qui restent à faire, hâte banale d’un rythme quotidien de l’existence et, plus profondément, hâte existentielle qui s’exerce contre l’imminence de la mort.
8Cette proximité de la mort, dans le temps et dans l’espace, le côtoiement des morts imprègnent les deux textes que nous rapprochons ici. Jacqueline Risset rappelle que « selon la légende, une apparition fantastique, celle de son cher compagnon d’armes tué dans la bataille, donna à Dante l’idée du grand poème11 ». Cette expérience précède la mort de Béatrice qui viendra renforcer le projet. Trois jours après la bataille, Dante errant sur le site du combat aperçoit son ami blessé qui lui raconte comment il fut tué et ce qu’il advint de lui après la mort. Détail qui renvoie le lecteur de Mrs Dalloway très directement à la présence obsédante de Evans mort lui aussi sur un champ de bataille, aux côtés de Septimus, et qui ne semble plus quitter ce dernier : le rappel obsédant de la présence de Evans revient neuf fois au cours du roman.
9Tour cela suffirait certainement à établir une sorte de parallèle schématique. Mais voilà que cette présence diffuse du texte de Dante se trouve renforcée, relayée dans une infinité de détails qui induisent une lecture particulière du roman de Woolf. L’exemple le plus éclairant est assurément le nom de Septimus, car cet exemple montre comment les emprunts à Dante sont volontiers brouillés et toujours réinterprétés. La voix narrative livre une remarque au sujet de ce nom : « London has swallowed up millions of young men called Smith ; thought nothing of fantastic Christian names like Septimus with which their parents have thought to distinguish them » (MD, p. 94).
10Remarque trompeuse qui présente ce nom comme une vaine originalité, dans la phrase même qui montre Septimus avalé à l’image des damnés au centre des neuf cercles de l’Enfer. Londres se substitue au Lucifer à trois têtes, dévoreur infatigable des âmes qui glissent inexorablement dans ses mâchoires. Certains critiques ont fait remarquer, à propos de ce nom dont le personnage se trouve si curieusement affublé, que Virginia Woolf était le septième enfant du couple Stephens, tous mariages confondus. Mais au-delà de cette allusion possible, et au-delà de ce que le nom retient des consonances d’une langue morte, il faut peut-être prendre au sérieux une référence infiniment plus probable au septième cercle de l’Enfer. Le deuxième giron du septième cercle rassemble « les violents contre eux-mêmes », les suicidés « changés en arbres qui parlent et se lamentent12 ». Le premier giron de ce septième cercle montre, notons-le au passage, les « violents contre leur prochain », plongés dans un fleuve de sang bouillant qui peut fortement rappeler quelques gribouillis de Septimus : « little faces laughing out of what might perhaps be waves » (MD, p. 162). Mais revenons au giron des suicidés ; le Chant XIII se termine ainsi :
Mon compagnon alors me prit la main
et me conduisit au buisson qui pleurait
à travers les blessures qui saignaient vainement.
[…]
Quand mon maître se fut arrêté devant lui,
il dit : « Qui étais-tu, qui par tant de branches
souffles avec ton sang un douloureux discours ? »
Et lui à nous : « O âmes qui venez
pour voir la souffrance barbare
qui m’a ainsi dépouillé de mes feuilles,
receuillez-les au pied du lugubre buisson,
[…]
Moi je fis un gibet de ma propre maison. »
11Septimus, véritable voyageur de l’invisible, qui dialogue avec Evans, qui voit les arbres comme des êtres vivants, et qui pour finir se jette d’une fenêtre de sa maison concentre un faisceau de références à ce septième cercle de l’Enfer et nous invite donc à nous pencher sur la manière dont l’univers de Dante infiltre le texte de Woolf, et sur la transmutation que Woolf fait subir à la structure éminemment linéaire du voyage de Dante.
12Dans Mrs Dalloway comme dans le poème de Dante, les arbres parlent, les oiseaux se font parfois comprendre certes, mais dans une géographie de l’invisible radicalement transformée. Le roman porte trace d’une nostalgie certaine de cette représentation dantesque aux contours nets, mais ce que Woolf appelle, dans le roman, « the map of the world » (MD, p. 162) appartient aux égarements de Septimus et n’est plus là que pour suggérer le chaos. Septimus entend les paroles des arbres comme au septième cercle de l’enfer, mais il comprend aussi les oiseaux qui, chez Dante, appartiennent en propre au paradis.
13Pour explorer la construction de ce chaos apparent sur lequel repose le roman, un détail crucial du récit peut nous servir de point de départ. Il s’agit de cette petite phrase qui revient quatre fois (MD, p. 6, 54, 104, 205) en accompagnement du son de Big Ben « The leaden circles dissolved in the air ». On peut y voir un écho considérablement amplifié du « son ovale » de la cloche de Combray (on sait l’impact de l’univers proustien sur Woolf). Mais Proust et Woolf ont en commun de nourrir leurs perceptions d’une lecture infiniment originale du texte de Dante. Un passage du Chant XXIII de l’Enfer (8e cercle, 6e bolge) montre « les hypocrites, vêtus de chapes dorées doublées de plomb ». Sans s’engager plus avant dans le thème du mensonge, si central dans Mrs Dalloway, on peut signaler cette similitude entre le son de Big Ben et la structure du vêtement des hypocrites, et tout particulièrement dans un passage où Miss Kilman, allégorie vivante de la tartufferie, hante les pensées de Clarissa. Clarissa se trouve décrite à cet instant-là « beaten up, broken up by the assault of carriages, the brutality of vans, the eager advance of myriads of angular men, of flaunting women, the domes and spires of offices and hospitals » ; et on lit soudain : « all sorts of little things came flooding and lapping and dancing in on the wake of [the] solemn stroke [of Big Ben] which lay flat like a bar of gold on the sea » (MD, p. 141).
14Même surface étincelante et trompeuse. Et le plomb, métal impur par excellence, qui renforce chez Dante la force de gravité des corps, se mélange ici à l’air de Londres, à la transparence et à la légèreté de l’air. Woolf emprunte à Dante une imagerie de l’impureté, et la redouble selon le principe même qui distingue le pur de l’impur : « Incomposé et indissoluble vont de pair13 ». Big Ben rappelle inlassablement, projette dans l’espace, l’évidence d’un temps dont l’essence serait l’impureté même, le mélange de l’opaque et du transparent14, du lourd et du léger, de l’Enfer et du Paradis, selon le canon d’une imagerie médiévale.
15Les trois parties tellement distinctes de La Divine Comédie qui séparent sans mélange l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, se trouvent dans le roman de Woolf, sans cesse mêlées et refondues. On ne peut pas se laisser tromper par la position initiale de l’expression de Clarissa : « What a lark ! What a plunge ! » (MD, p. 5), et la position finale de ce que Clarissa appelle « the party’s splendour » (MD, p. 202), même si le rideau qui se soulève à l’arrivée de chaque invité arbore un décor imprimé des plus éloquents puisqu’il est baptisé « the birds of Paradise » – « Paradise » avec une majuscule dans le texte. Même si, dès les premières lignes du roman, la lumière qui doit illuminer la soirée se présente comme un espoir (on pense à des expressions comme : « she would kindle and illuminate », p. 7 ; ou : « And so on into the flare and glare. », [MD, p. 180]). Même si on trouve des images et des métaphores liées au feu et à l’ascension dans les gribouillis de Septimus comme dans l’ensemble du texte, et qui pourraient figurer l’entre-deux d’un Purgatoire à l’image du modèle dantesque. Même si l’heure à laquelle Septimus se rend chez le Dr Bradshaw est l’heure à laquelle se termine le voyage de Dante au Purgatoire : « Et le soleil plus lent et plus flamboyant/se tenait sur le cercle de midi15 ». Chez Woolf, l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis se côtoient dans une proximité toujours plus subtile, et la phrase qui semble certainement la plus représentative du projet sous-jacent concerne justement la question des limites : « The doors would be taken off their hinges » (MD, p. 5), lit-on dans la troisième phrase du roman. Voilà précisément ce que Woolf va faire subir aux trois compartiments de La Divine Comédie.
16Clarissa, qui désire répandre la lumière déjà contenue dans son prénom, Clarissa est aidée par Lucy, et ce doublet lumineux n’est pas sans rappeler deux personnages importants du Paradis et du Purgatoire dantesques que sont respectivement Sainte Claire et Sainte Lucie16. Mais Clarissa pourrait presque être rebaptisée, pour les besoins de notre démonstration : « Clarissa but Dalloway ». Elle porte en elle l’image même du Paradis dantesque dans son goût prononcé poulies fleurs17, mais la notion de « dallying 18 », à mi-chemin entre le vagabondage superficiel, le frôlement, le manque d’engagement, la lenteur excessive, introduit un repli au cœur du rayonnement. L’Enfer, chez Woolf, est tapi dans les replis du Paradis, et inversement. « The leaden circles » contrarient indéfiniment la linéarité du temps et celle du texte. Le lecteur dont l’esprit aurait été façonné par l’univers de Dante doit, à la lecture de Mrs Dalloway, se livrer à une véritable géologie de la vague, ou si l’on préfère, il doit se faire orpailleur :
Many a time had she gone, at Bourton when they were all talking, to look at the sky ; or seen it between people’s shoulders at dinner ; seen it in London when she could not sleep. (MD, p. 204)
17Une présence furtive du Paradis, se trouve confinée au cadre spatial de l’interstice qui demeure son seul territoire. Le Paradis appartient à la fraction de l’espace comme du temps, et sa lumière se réduit à l’éclair : c’est la lumière d’un instant. Le Paradis ne s’atteint pas, il survient.
18La phrase citée à l’instant correspond justement à quelques secondes de bonheur des plus saugrenues et inexplicables : Clarissa vient d’apprendre la mort de Septimus, sa soirée se trouve gâchée par l’irruption de la mort – « The party’s splendour fell to the floor », p. 202 - et subitement, on lit : « Odd, incredible ; she had never been so happy. » (MD, p. 203). Une petite phrase du tout premier paragraphe du roman pourrait faire figure de ce que l’on nomme en musique une altération placée à la clé : « the flap of a wave, the kiss of a wave ». Nulle versatilité dans cette formule, mais plutôt la transposition sensorielle de la composante la plus métaphysique du roman : le mélange des strates multiples du temps dans la mémoire d’un même instant, d’une même émotion, et le mélange de ces strates avec un hors-temps indicible qui serait le lieu même de la mort.
19Le passage où Clarissa s’apprête à observer son visage dans le miroir convient à illustrer notre propos. Avant d’apercevoir son reflet, elle ressent d’abord « a sudden spasm, as if, while she mused, the icy claws had had the chance to fix in her » (MD, p. 41). On reconnaît dans cette image, appliquée à l’âge et à la maladie, le Lucifer glacé et griffu de Dante. Puis, dans le miroir, pris ici comme le véritable instrument de méditation qu’il a longtemps été dans le contexte monastique19, elle voit « the delicate pink face of the woman who was that very night to give a party ; […] composed so for the world only into one centre, one diamond, one woman ». Or, ce qui relève de l’Enfer appartient au domaine du ressentir et se trouve perçu par d’autres, ailleurs dans le roman : les remarques sur son âge de plus en plus marqué dans ses traits émaillent le récit. Ce qui relève du diamant, de la transparence – et qui n’apparaît que dans le miroir, domaine par excellence de l’invisible – participe de l’indicible, d’un manque du langage.
20Pareillement, dans les dessins de Septimus, figurent des cercles vides qu’il dessine à l’aide de pièces de shilling, comme s’il délimitait l’irreprésentable parmi les gribouillis évocateurs de l’Enfer et du Purgatoire :
little men and women brandishing sticks for arms, with wings […] on their backs, […] suns and stars ; zigzagging precipices with mountaineers ascending roped together, […] sea pieces with little faces laughing […] the map of the world.
21Septimus circonscrit le pur au cœur même de l’impur. « La pureté ressemble à la mort, qui est elle aussi une sorte de pureté et qui est à notre être comme le rien est au tout20 ».
22Comme le texte de Dante, le texte du roman met en scène, littéralement, la frontière à la fois de l’écriture et du langage, la limite de la vision propre à l’entendement humain. Dante ne cesse de prendre le lecteur à témoin de l’impossibilité où il se trouve de rapporter ce qu’il a vu. Et là encore, dans les images que Woolf et Dante utilisent pour rendre compte de cette limite, il faut souligner quelques frappantes similitudes.
23On sait, par ses écrits autobiographiques, que Woolf associait la compréhension que l’esprit humain peut avoir du mystère de l’existence à la connaissance d’un alphabet dont l’humanité ne posséderait que quelques lettres. On peut bien sûr rappeler la façon dont les progrès de Dante au Purgatoire sont symbolisés par l’inscription progressive de lettres sur son front21. Mais le parallèle le plus intéressant me semble suggéré par les lettres qu’un petit avion déploie dans le ciel de Londres et de Mrs Dalloway. Les passants tentent de décrypter, dans ces lettres mystérieuses, un message, ils les prononcent avec gravité ; elles ne désignent, pour finir, qu’une marque de caramel… et cette violente décadence du sens attendu rappelle très curieusement le discours d’Adam au Chant XXVI du Paradis, sur la décadence de la lettre I, qui suffisait jadis à désigner « le bien suprême », c’est-à-dire Dieu.
24Comme chez Dante, la lettre, chez Woolf, se présente comme une métaphore de l’art et ce n’est pas un hasard si Le Purgatoire laisse, dans son journal comme dans Mrs Dalloway, la trace la plus importante. Le Purgatoire de Dante se caractérise par un rideau de feu que le poète traverse encouragé par Virgile ; expérience suivie par une ascension au cours de laquelle Dante traverse des périodes de méditation et des périodes de sommeil. Ainsi que nous le dit Jacqueline Risset :
Lieu de l’intermédiaire, le Purgatoire est en rapport avec la problématique de l’Incarnation, et, par voie de conséquence, avec tous les champs où l’homme se manifeste comme créature incarnée, double, en chemin vers Dieu et la vérité dévoilée, dépositaire d’un savoir précisément intermédiaire et voilé : c’est le champ de l’art22.
25L’art s’y présente, en effet, comme le moyen d’appréhender le divin, comme le langage par lequel s’exprime la part appréhendable du mystère. Dante se définit lui-même comme le « scribe de Dieu ». Son expérience est inséparable de son projet d’écriture, du souci permanent de rendre compte. Dante fait une expérience de poète confronté à l’essence même de son art : il parle et fait parler les morts. Il raconte pour faire partager ses terreurs et ses éblouissements. Il désire à son tour illuminer le lecteur. En témoignant, il participe à la cohérence d’un tout, il devient lui-même un intermédiaire essentiel entre les morts et les vivants. La nécessité, pour les morts, de demeurer dans la mémoire des vivants constitue l’une des remarques les plus récurrentes de La Divine Comédie.
26On trouve dans le roman de Woolf, quelques emprunts repérables, me semble-t-il, au Purgatoire de Dante. Le plus frappant se rapporte assurément à la voiture mystérieuse que Clarissa remarque depuis la boutique de la fleuriste et qui est tour à tour aperçue avec fascination par une foule considérable de personnages secondaires. Voiture à la fois visible et mystérieuse, dont l’occupant demeure indiscernable, dont la destination est inconnue, et qui inspire aux passants un sentiment étrange :
But now mystery had brushed them with her wing ; they had heard the voice of authority ; the spirit of religion was abroad with her eyes bandaged tight and her lips gaping wide. But nobody knew whose face had been seen ». (MD, p. 17)
27Or, cette voiture se signale pour la première fois dans le récit et à l’attention de Clarissa de la même manière exactement que Dieu se manifeste pour la première fois à Dante lors de son ascension du Purgatoire : par une explosion qui répand l’effroi. Dans le roman, il s’agit d’un pneu qui éclate ou d’un raté. Au Purgatoire, c’est une secousse du sol qui produit le même effet d’imposer, du dehors et brutalement23, l’existence du mystère au plus profond de l’être :
[N]o mathematical instrument, though capable of transmitting shocks in China, could register the vibration ; yet in its fullness rather formidable and in its common appeal motional ; for in all the hat shops and tailors’ shops strangers looked at each other and thought of the dead ; of the flag ; of Empire.
28Mais l’élément le plus important d’une lecture du Purgatoire reste la méditation que Woolf mène, dans Mrs. Dalloway, sur l’art et sur l’écriture. Toutes les formes d’écriture, presque, du livre non écrit à celui qui décrit platement le réel, y sont recensées : Clarissa s’est toujours sentie incapable d’écrire (MD, p 135) mais s’intéresse à l’art (MD, p. 194) ; Sally Seton a des tournures d’expression poétiques (MD, p. 205) inspirées de ses lectures ; Septimus avait, dans sa prime jeunesse, une vocation de poète (MD, p. 94) et rêvait de se mesurer à Shakespeare ; Peter Walsh travaille à un livre dont on ne connaît pas le sujet et qu’il ne parvient pas à terminer (MD, p. 64 & 206) ; Richard Dalloway ambitionne de relater l’histoire illustre de la famille Bruton (MD, p. 122) ; Miss Parry, enfin, a publié autrefois un volume inégalé sur les orchidées de Birmanie (MD, p. 197). Et cette réflexion va de pair avec la question du rapport au mystère de l’existence.
29Le rapport de ces personnages à la religion ou la croyance apparaît avec autant de précision : « Not for a moment did she believe in God » (MD, p. 33), lit-on à propos de Clarissa, dont on apprend qu’elle aussi, comme Septimus, a vu la mort frapper à ses côtés : elle a vu mourir sa sœur Sylvia écrasée par un arbre. Le nom de cette sœur, qui renvoie à la forêt, souligne ce point de rencontre entre l’expérience de Clarissa et celle de Septimus dans leur confrontation avec la réalité de la mort. Et lorsque Clarissa se voit portée par ses amis, Clarissa « being laid out like a mist between the people she knew best, who lifted her on their branches as she had seen the trees lift the mist » (MD, p. 12-13), on voit transparaître une conception qui traverse toute La Divine Comédie et que Dante formule ainsi : « œuvre de nature est que l’homme parle24 ». À travers la profonde similitude qui s’établit entre Clarissa l’athée et Septimus qui martèle « there is a God ! » (MD, p. 28), Woolf s’amuse de la façon simpliste et ordinaire de poser le problème du mystère. Le texte annule toute différence entre celui qui croit et celle qui ne croit pas.
30Illustration de ce dépassement à travers les pensées de Peter Walsh. « By conviction an atheist » (MD, p. 63), il médite sur « The Death of the Soul » (MD, p. 65) en termes strictement dérivés de l’expérience et de l’observation de soi :
he is taken by surprise with moments of extraordinary exaltation. Nothing exists outside except a state of mind, be thinks ; a desire for solace, for relief, for something outside these miserable pigmies, these feeble, these ugly, these craven men and women. (MD, p. 63-64).
31Et Dante n’est jamais loin :
The solitary traveller is soon beyond the wood : and there, coming to the door with shaded eyes, possibly to look for his return, with hands raised, with white apron blowing, is an elderly woman who seems (so powerful is this infirmity) to seek, over the desert, a lost son ; to seek for a rider destroyed ; to be the figure of the mother whose sons have been killed in the battles of the world. (MD, p. 65)
32Peter Walsh cherche comme le Dante du Purgatoire, dans son sommeil et par le rêve, l’unité des choses. C’est au Purgatoire que Dante, plusieurs fois s’endort et reçoit par le langage voilé du rêve, quelques bribes de la révélation ; et il convient d’insister sur la part commune que Woolf et Dante accordent aux états de conscience propices à la révélation - le mot « révélation » revient fréquemment dans Mrs Dalloway.
33Le roman constitue donc, comme le poème de Dante, une exploration presque exhaustive de l’expérience humaine ou se trouvent posées, cette fois dans l’envers du quotidien, les mêmes éternelles questions : « Love », « universal love » ; « death », « death of the soul ». Exploration menée par Woolf sur le mode du banal, à contre-pied du poème de Dante, mais qui repose sur une même quête du pur dont il revient au poète de révéler la présence au cœur de l’impur. Chez Dante, il s’agit d’une révélation eschatologique ponctuée par les efforts que fait le poète pour se mettre au service de la volonté divine. On voit Dante méditer sans cesse, interroger Virgile et Béatrice sur les raisons de tel ou tel signe ou mystérieux agissement, on le voit accepter de suivre sans comprendre, tendu vers l’espoir d’une fusion absolue entre son vouloir et celui de dieu, fusion dont le poème sera la trace rayonnante livrée à la méditation du lecteur-témoin. La texture même du témoignage de Dante participe de la révélation dans sa composition où tout répond à l’ordre des nombres : Jacqueline Risset souligne la récurrence obsédante du trois et du onze dans la composition du poème.
34Que reste-t-il d’un tel ordonnancement dans le chaos de la prose woolfienne où plus d’un étudiant s’est perdu ? Malgré les apparences, on peut dire que l’essentiel est là, mais dans une combinaison repensée des divers éléments. Est-ce un clin d’œil ? Le onze se retrouve dans la composition de l’ensemble du roman, c’est le nombre de sections séparées par des blancs typographiques de l’édition Hogarth, comme si la totalité du texte voulait se présenter à l’image d’un seul vers d’un poème gigantesque, inappréhendable. Et le trois, ce trois omniprésent du poème de Dante (divisé en trois parties constituées de tercets), le trois se retrouve, tout aussi omniprésent, dans le roman.
35Septimus se tue à trois heures de l’après-midi, Peter Walsh vit sa scène de rupture avec Clarissa à trois heures, mais le trois apparaît surtout comme dans le Paradis de Dante, dans le rythme même de la séquence : Bradshaw conseille à Septimus « rest, rest rest » (MD, p. 107), le choc de Septimus sur le pavé retentit trois fois dans l’esprit de Clarissa : « thud, thud, thud » (MD, p. 202). Une même chose peut s’entendre de trois façons à la fois pareilles et distinctes. Or de telles séquences apparaissent dans le poème de Dante, au Paradis, lorsque la parole frôle justement une limite. Exemple au Chant XXVI, vers 67 à 8425 :
Quand je me tus, un chant très doux
résonna par le ciel, et ma dame
disait avec les autres : « Saint, saint, saint ! »
Et comme une lumière intense nous réveille
par l’esprit visuel qui court à la rencontre
de la clarté qui va de membrane en membrane,
et le réveillé fuit tout ce qu’il voit,
si privée de conscience est la veille soudaine
tant que le jugement ne vient pas à son aide ;
ainsi de ses yeux Béatrice
chassa toute poussière par le rayon des siens
qui resplendissait à plus de mille milles :
d’où je vis alors mieux d’auparavant ;
et, presque stupéfait, je demandai le nom
d’une quatrième lumière que je vis parmi nous.
Et ma dame : « Dans ses rayons
la première âme que la première vertu
ait jamais créée adore son créateur ».
36Le trois est annonciateur de dévoilement. Dans les deux œuvres, la mission de l’artiste, son rôle irremplaçable, réside dans sa faculté de séparer le pur de l’impur. Dante, pour réaliser ce travail à la limite de l’entendement humain, avait forcé le langage, inventé des mots, forgé des structures grammaticales. Woolf, pour sa part invente une construction, force la ponctuation, oublie volontiers la syntaxe, recopie ce qu’il y a de plus fou dans le chaos des pensées ordinaires. On sait par les œuvres autobiographiques, que c’est surtout Leonard Woolf qui réglait les détails de ponctuation avant impression. Mais même si c’est lui et non Virginia qui a mis typographiquemement l’Enfer dans les parenthèses du Paradis, ou le Purgatoire entre tirets, on peut toutefois retenir l’idée d’un enchevêtrement typiquement woolfien de ces trois instances.
37Le travail de l’artiste se situe donc à une frontière et participe d’une réflexion permanente sur les frontières. Frontières entre les vivants et les morts, entre croyance et non croyance, entre raison et folie, mais aussi, chez l’un et l’autre auteur, frontière entre les individus. Est-il possible d’être purement soi ? Qu’est- ce que le soi ? La question affleure très vite dans le roman :
She remembered once throwing a shilling into the Serpentine. But every one remembered ; […] did it matter then, she asked herself […] that she must inevitably cease completely ; all this must go on without her […] ? (MD, p. 11 )
38Et l’interrogation ne concerne pas que Clarissa. Rezia reprend : « Every one has friends who were killed in the War. Every one gives up something when they many » (MD, p. 74). Frontière dont la question rejaillit sur la structure même du roman, puisque les deux seuls personnages qui ne se rencontrent jamais, Clarissa et Septimus, sont à la fois les plus différents socialement et les plus proches humainement. Les plus proches au point que c’est à travers Clarissa que le lecteur accède à la souffrance de Septimus : « Always her body went through it, when she was told, first, suddenly, of an accident ; her dress flamed, her body burnt » (MD, p. 202). Le texte du roman constitue donc le seul lieu de rencontre des deux personnages, mais rencontre charnelle (« her body burnt »), et livre une sorte de démonstration de la proposition que Clarissa énonce quelques lignes plus loin : « Closeness drew apart ; […] there was an embrace in death ».
39Virginia Woolf a appris de Dante que c’est de la perméabilité de cette frontière entre individus que dépend l’existence même de l’art ainsi que son essence. C’est au 8e cercle de l’Enfer, celui des fraudeurs et des hypocrites, que Virgile dit à Dante : « Si j’étais de verre étamé, je ne refléterais pas ton image extérieure plus vite que je n’accueille celle de ton âme26 ». L’écrivain, à travers toutes les frontières jugées infranchissables, ne s’attaque qu’à une seule qui les regroupe toutes et que l’on pourrait appeler la frontière entre l’unité et le pluriel – synonymes du pur et de l’impur, et synonymes éclairants.
40Ce que Dante nomme « vertu » et qui à son époque reposait sur une vision de la pureté, se réfère à une intelligence particulière des plans divins, à une sorte de fusion (réalisée à la fin de son voyage et de son poème) entre la perception et la vision, entre la Création divine et l’œuvre de la créature (pour reprendre des termes contemporains). Ce schéma d’une traversée des apparences, opérée par un poète d’abord guidé puis devenu guide de la vision, constitue probablement le lien le plus solide entre les deux œuvres que nous rapprochons. La mission que s’assigne Dante lorsqu’il se dit « scribe de Dieu », se laisse aisément rapprocher de la définition que Woolf donne de son travail d’écrivain, si l’on sait désormais comment traiter la question de la croyance. Dans Moments of Being, après avoir parlé du plaisir qu’elle éprouve à transcrire un choc qu’elle a pu ressentir, V. Woolf écrit ceci :
It is the rupture I get when I am writing, I seem to be discovering what belongs to what ; making a scene come right, making a character come together. From this I reach what I might call a philosophy ; at any rate it is a constant idea of mine ; that behind the cotton wool is hidden a pattern ; that we – I mean all human beings – are connected with this ; that the whole world is a work of art ; that we are part of the work of art. Hamlet or a Beethoven quartet is the truth about this vast mass that we call the world. But there is no Shakespeare, there is no Beethoven ; certainly and emphatically there is no God ; we are the words ; we are the music ; we are the thing itself. And I see this when I have a shock 27.
41La pureté ne peut s’atteindre que par l’écriture et dans l’écriture parce que seule l’écriture peut fixer ce que le temps sans cesse rompt et désunit. L’écriture rassemble ce que la mort semble séparer, elle permet seule de retrouver la pureté d’un hors-temps - à l’image de ce que les ans font apparaître sur le visage de Clarissa :
there was beginning to shine through some mild beam, something purified into distinction by years of self-abnegation but obscured again, perpetually, by her distressing gentility, her panic fear… (MD, p. 185)
42De Dante à Woolf s’opère un glissement qui laisserait au lecteur une tâche de plus en plus immense. Comme Dante, Woolf ne met pas le lecteur exactement en situation de lecture, mais plutôt en situation de vision ; elle l’oblige à reconsidérer quelques réglages dans l’angle du regard qu’il pose sur le monde. Mais elle donne au lecteur une place beaucoup plus déterminante dans la texture de l’œuvre car c’est lui, le regard extérieur, qui donnera ou ne donnera pas solidité et cohérence à tous les éléments recensés du chaos. C’est lui seul qui établira ou pas les liens à peine suggérés dans la structure comme dans le détail. Un tout petit exemple fort anodin, un élément du portrait de Peter Walsh, peut ici servir de révélateur : « it was his sayings one remembered ; his eyes, his pocket-knife, Ins smile, his grumpiness… » (MD, p. 5). Il revient au lecteur de trouver que l’élément le plus disparate, le couteau de poche, est justement celui qui donne l’unité de l’ensemble. Tous les points de cette énumération ont en commun d’évoquer l’aspect incisif du personnage. Le même procédé se répercute à l’échelle du récit : la mort de Septimus est racontée trois fois. Une première fois sur le mode tragique, à travers les réactions de Rezia (MD, p. 164 à 166). Une deuxième fois silencieusement, lorsque Bradshaw arrive en retard à la soirée et parle à voix basse dans l’oreille de Richard Dalloway. Une troisième fois simultanément sur le mode vulgaire, lorsque Lady Bradshaw évoque la mort d’un jeune homme comme excuse à son retard (MD, p. 201). On pourrait dire, comme le personnage de Mozart dans la pièce de Peter Schaeffer : « c’est comme cela que Dieu entend le monde ». Il revient au lecteur de réaliser l’harmonie, ou l’unité, ou simplement le lien entre les trois tons de voix.
43Écriture achevée de l’inachevé, et voyage intérieur sans cesse à recommencer : la dernière phrase du roman, la répétition de « For there she was » (expression déjà utilisée p. 85), remet Peter Walsh dans l’Enfer paradisiaque (ou Paradis infernal ?) lié à la présence de Clarissa, dans un plaisir que la répétition ne parvient pas à séparer de la souffrance. La dernière phrase marque un retour brutal à l’impur, à l’impossible mélange pourtant réalisé : « What is this terror ? What is this ecstasy ? » (MD, p. 213). Les dernières lignes lancent un dernier défi au lecteur. La seconde de silence qui suit le texte défait à nouveau des cercles de plomb. Dans ces vagues devenues invisibles, le lecteur verra peut-être, rassemblé alors en un point de silence, ce qu’un autre regard lui aura montré. Ceci concerne également cette présente proposition d’interprétation : je n’aurais jamais aperçu Dante dans les rues de Londres si un autre regard, auquel il me tient à cœur de rendre hommage, ne me l’avait premièrement désigné.
Notes de bas de page
1 Anne Olivier Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 1, 15 novembre 1918, Harmondsworth, Penguin, 1979, p. 219.
2 V. Woolf, Roger Fry (1940), Harmondsworth, Penguin, 1979, p. 234.
3 Michael Holroyd, Lytton Strachey, The New Biography, Londres, Chatto & Windus, 1994, p. 582.
4 Leslie Stephen, Hours in a Library, vol. II, Londres, The Folio Society, 1991, p. 323.
5 A. O. Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 1, 5 décembre 1917, op. cit., p. 84.
6 V. Woolf, Mrs Dalloway, Londres, The Hogarth Press, 1968, p. 98. Les références ultérieures à cette édition apparaîtront dans le texte, sous l’abréviation (MD).
7 A. O. Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 3, 22 décembre 1930, Harmondsworth, Penguin, 1982, p. 339.
8 A. O. Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 4, 11 janvier 1935, Harmondsworth, Penguin, 1983, p. 274.
9 A. O. Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 5, 12 octobre 1940, Harmondsworth, Penguin, 1985, p. 329.
10 A. O. Bell (ed.), The Diary of Virginia Woolf, vol. 1, 10 septembre 1918, op. cit., p. 193.
11 Jacqueline Risset, Dante, Une Vie, Paris, Flammarion, 1995, p. 92. Il s’agit de la bataille de Campaldino qui opposa Guelfes et Gibelins en 1289.
12 Enfer, Chant XIII, vers 129 à 151, trad. fr. Jacqueline Risset, Paris, Flammarion, 1985.
13 Vladimir Jankélévitch, Le Pur et l’Impur, Paris, Flammarion, 1960, p. 12.
14 « La pureté est comme le verre de la vitre, l’invisible qui laisse voir ; la transparence elle-même n’est pas faite pour être vue, mais pour qu’on voie des corps opaques et massifs au travers », ibid. , p. 15-16.
15 Purgatoire, Chant XXXIII, vers 103-104.
16 Paradis, Chant III, vers 98 ; Purgatoire, Chant IX, vers 55.
17 Les fleurs constituent l’un des rares éléments paysagers du Paradis de Dante, décrit comme un « sempiternel printemps » (Chant III, vers 98), un lieu où les âmes sont « fleuries » (Chant XXV, vers 46), Dieu en étant « l’éternel jardinier » (Chant XXVI, vers 65). Et si l’on prenait le temps d’en composer la flore, on se rendrait compte que tous ses éléments se retrouvent dans Mrs Dalloway, non seulement à l’étalage de Mulberry’s (p. 15-16), mais ça ou là dans les métaphores du récit : « [She] felt blessed, purified, saying to herself […] how moments like this are buds on the tree of life flowers of darkness they are, she thought (as if some lonely rose had blossomed for her eyes only) » (p. 33). Par ailleurs, pour des raisons évidentes de cadre, une analyse du bestiaire commun aux deux œuvres a été écartée de la présente analyse.
18 Le verbe « to dally » apparaît deux fois dans le roman (p. 113, à propos de Hugh Whitbread ; p. 180, à propos de Peter Walsh), et sa présence à peine voilée dans le titre suggère que cette notion imprègne la totalité du récit.
19 Quelques images introduisent cette tonalité méditative dans les pages qui précèdent : « she felt like a nun » (p. 33) ; « Like a nun withdrawing » (p. 35).
20 V. Jankélévitch, Le Pur et l’Impur, op. cit., p. 8.
21 Purgatoire, Chant IX, vers 112 ; ainsi que XII-134 ; XXI-22 ; et XXII-3.
22 Purgatoire, Introduction, p. 8.
23 Purgatoire, Chant XX, vers 126 à 129 : « quand je sentis, comme si elle tombait, /trembler la montagne ; un gel me prit/comme il prend celui qui va à la mort ».
24 Paradis, Chant XXVI, vers 130.
25 On trouvera un autre exemple significatif au Chant XXVII, vers 22 à 27 : « ‘Celui qui sur terre usurpe mon lieu,/mon lieu, mon lieu, qui est vacant/à la présence du Fils de Dieu,/a fait de mon cimetière un cloaque/de sang et de puanteur ; et le pervers/qui tomba d’ici, s’apaise en bas’ ».
26 Enfer, Chant XXIII, vers 25 à 27.
27 V. Woolf, Moments of Being, Londres, The Hogarth Press, 1978, p. 2.
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