Avec les républicains bretons
p. 143-157
Texte intégral
1On connaît la lenteur avec laquelle Renan en est arrivé à admettre la République. Il ne sera pas inutile de commencer par rappeler les principales raisons d’une telle circonspection. Ne serait-ce que pour montrer d’abord que pour être un « Républicain du lendemain », comme il dit1, la conversion n’en était pas moins prévisible et la conviction n’en sera pas moins nette. Et ne serait-ce que pour montrer par là l’influence qu’auront exercée sur lui, à des époques décisives, deux Républicains bretons, Jules Simon et François-Marie Luzel. Celui-ci, tout en nous éclairant le mieux sur son illustre ami, nous aidera, en même temps, à comprendre cette première étape qui, de 1870 aux élections de 1881, voit, d’où l’appel à Renan, la difficile consolidation de l'idée républicaine en Bretagne.
2Le retour au pays, en 1884, du philosophe, est un moment aussi ambigu que significatif. Car s’il n’eut, comme nous le verrons en second lieu, qu’à se muer en agent et acteur du régime auprès de ses concitoyens, les effets ne seront pas encore à la mesure des ambitions avouées. Il sait très bien que c’est pour sa spécificité que la Bretagne, par quoi j’entends essentiellement la Basse-Bretagne, c’est-à-dire la bretonnante, fait toujours, malgré des résultats, problème.
3De la mort de Renan en 1892 à l’apothéose du 13 septembre 1903, nous assistons au double mouvement de la franche adhésion et, avec l’intervention des « Bleus » qui se constituent pour forcer les bastions, d’un reflux. Mais il s’agissait de contester moins la nature du régime que sa politique anticléricale. C’est pourquoi l’érection et l’inauguration de la statue de Tréguier, lieu où vont se cristalliser les oppositions, entrent tout logiquement dans cet exposé sur « Renan et les Républicains bretons ». Nous étudierons en troisième lieu ce rôle posthume joué par Renan.
4Certes, la Troisième République ne s’est pas imposée facilement, et la question du régime dominera la décennie 1870-1880. On peut dire que jusqu’en 1878, Renan, pour sa part, même si dès 1872 une évolution s’amorce, se préserve et se réserve. D’abord, d’instinct, il se méfie des instincts populaires qui peuvent déboucher sur l’incendie général (voir la Commune) ou accoucher d’un César (voir Napoléon III). En vertu de quoi, cet esprit des Lumières, façonné en outre par l’éducation cléricale, ne peut envisager qu’un progrès garanti par l’élite. Fatalement le suffrage universel lui fait horreur et peur, mais moins, en définitive, pour le principe que parce que le peuple n’est ni prêt, ni préparé, qu’il le sent encore trop matérialiste. Et il faut aussi, autre constante, bien du temps pour pouvoir apprécier un régime. Enfin, notre philosophe est affligé du sympathique complexe que j’appellerais de « fidélité » : c’est ainsi qu’il n’a jamais trahi ses nombreuses amitiés péri-napoléoniennes ou que la noble tradition, dont sa mère lui inculqua le respect, le fait rêver de quelque monarque constitutionnel éclairé. Même si le cas de Renan n’est pas simple, que c’est, avant tout, un philosophe, force est de constater que l’auteur de La Réforme intellectuelle et morale se sent, se veut trop Prospéro pour le céder si aisément à Caliban. Mais enfin, en voyant le nouveau régime si bien tenir, donc se légitimer, Renan est bien obligé de choisir.
5Or notre « Républicain du lendemain », s’il se définissait ainsi en 1878, l’année même de Caliban, c’était, nous le savons, pour opposer à la témérité des impulsifs la détermination du sage, ou, si on veut, pour revendiquer la foi des ouvriers de la onzième heure. Car ce « lendemain » était trop lourd en lui des actions de la veille et des rêves de l’avant-veille ! Comment, d’une part, oublier, à travers la brume ouatée d’une éducation cléricale et maternelle dont il vient justement d’inaugurer l’évocation, la famille paternelle et républicaine, au point que la mère elle-même, la bonne Manon, se républicanisait à son tour ? Comment, d’autre part, ne pas retrouver à plaisir le temps héroïque de La Liberté de penser où l’échappé du séminaire, le témoin lucide de 1848, s’exaltait avec Berthelot à l’avenir ? Comment, enfin, être si révolutionnaire dans la pensée et demeurer réactionnaire dans la pratique ? D’autant plus que l’action politique est aussi pour Renan un corollaire de la pensée philosophique, et si un mot pouvait le définir, ce serait bien celui de « libéral ». En 1869, il s’était présenté aux législatives de Meaux au titre du « Tiers Parti ». Mais après le Quatre Septembre, si tout a changé, la question reste aussi simple : comment, et où, être encore un « libéral » ?
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6Qu’on veuille bien excuser cette présentation à traits simplistes. Mais comme, parmi les Républicains bretons, l’Histoire va attribuer à Renan une place toute particulière, il fallait commencer par lui, en s’efforçant de donner quelque idée de son itinéraire politique. Or l’un des premiers hommes que nous allons y rencontrer, à ses côtés, est Jules Suisse dit Jules Simon2. Par-delà les vingt ans de l’Empire, ce Breton de Lorient assure la plus émouvante transition entre 1848 et le Quatre Septembre. Dans l’ouvrage qu’il a consacré à son idole, Léon Séché dit que dès sa sortie du séminaire, le jeune Renan, encore en soutane, était allé lui demander son appui : démarche confirmée par le bienfaiteur lui-même3. Toujours est-il qu’en 1847 Renan collaborait à La Liberté de penser justement, dont Simon était l’un des responsables. En privé, Renan n’estime guère Simon tant son « fanatisme cavaignacquiste » le hérisse4. Il doit, du moins, à ce « fanatisme » d’avoir vu tel passage politique de son compte rendu du Cosmos de Humboldt tiré à 500 000 exemplaires pour la propagande dudit Cavaignac5. En tous cas, ses relations avec Simon ne se relâcheront jamais, qu’il se met à fréquenter assidûment. Nouvelle affinité, malgré tout : Simon représente Lannion à la Constituante. Mais bien des contacts ont dû se nouer avec ces hommes de 1848 qui resurgiront en 1870. Je pense au vieux Glais-Bizoin6 qu’on retrouvera au Gouvernement provisoire, l’« enfant terrible » de l’opposition à l’Empire, et chez qui Renan, en 1868, rentrant de son premier retour en Bretagne, passera la journée à Saint-Brieuc7. Au Gouvernement provisoire, nous retrouverons naturellement notre Jules Simon dont l’un des premiers actes, en octobre, sera de restituer à son camarade sa chaire au Collège de France. Nous reverrons souvent Simon en Bretagne aux côtés de Renan à qui, à sa mort, il consacrera un bel éloge8.
7Cependant ce n’est pas le politique célèbre qui m’intéresse le plus ici, mais un homme sans mandat. Moins connu est sans doute François-Marie Luzel, le folkloriste, que Renan connaît depuis le 28 août 18589, qu’il aidera tant qu’il peut dans ses collectes de manuscrits bretons, qui est pour lui eur Breizad, eur breur (un Breton, un frère)10. Renan et Luzel sont presque du même âge, presque du même pays. A part quelques excursions à Paris, Luzel n’a voyagé, pérégriné que par la Basse-Bretagne. Républicain en 1848, il se présente aux élections pour n’obtenir que huit voix. Il n’en continuera pas moins à battre et faire campagne, mais pour le service des autres désormais. Sa correspondance donne un aperçu de l’ampleur de la tâche à accomplir et des difficiles débuts de la Troisième République en Bretagne. Non que les Bretons eussent le fond moins républicain que d’autres. Que de discours, à cet égard, entendrons-nous répétant qu’il faut se défier des préjugés entretenus dont le plus courant consiste à faire de la Bretagne un pays de Chouans ! Toujours est-il que deux spécificités demeurent, dont il faut tenir compte, tant on fait son possible pour les entremêler : celle de la religion, celle de la langue. Encore devrons-nous distinguer entre les générations, celle des « Bleus » à venir n’ayant plus la même optique que celle des Renan, Simon, Luzel. Pour le premier point, qui est de ravir aux prêtres leur autorité, Luzel a de l’espoir en constatant, comme il l’écrit à Renan le 14 juin 1878, un « discrédit du clergé même dans les populations rurales » ; d’autres sont plus réalistes, tel Henri Mauger11 dont Le Lannionnais, vieille feuille républicaine de 1848 ressuscitée dès 1870, sonne hebdomadairement la charge. Il faut, en outre, multiplier les réseaux des notables : les intermédiaires sont en effet, poursuit Luzel dans sa lettre, « maires, notaires, médecins et riches propriétaires ». Pour le second point, qui est de toucher les masses paysannes, on ne peut y réussir qu’en utilisant leur langue. « Tous les journaux du Finistère, écrit Luzel à Renan le 5 mars 1876, se sont mis à faire du breton à qui mieux mieux ». Lui-même prêche d’exemple dans L’Echo de Morlaix mais citons surtout Le Finistère, le premier grand journal républicain du département, et dont le fondateur n’est autre qu’un de ses grands amis, et qui le sera de Renan, le nouveau député de Quimper, Louis Hémon12.
8La situation dans les Côtes-du-Nord, et particulièrement dans le pays de Renan, est plus préoccupante que dans le Finistère. Et cela est d’abord imputable aux Républicains eux-mêmes car ils y manquent d’organisation et de chef. Il est à noter que, dès 1871, d’après un échange de propos entre Luzel et Renan, ce dernier avait été sollicité par, entre autres, les Lannionnais13. Ainsi, au tout début, alors que nous connaissions l’attentisme du sollicité, « des journaux » avaient pensé à Renan ! Curieux destin tout de même que celui d’un homme que l’Histoire récupère avant l’heure, en attendant de le faire après ! Il faut absolument que Renan se présente à Lannion ! 14 juin 1878, 29 juin, 15 mai 1879 : trois appels de Luzel, et avec l’argument décisif que, pour la première fois en Bretagne, grâce aux invalidations, les Républicains sont majoritaires à 22 contre 1914. Mais une condition demeure : que Renan vienne au pays, se montre et parle aux électeurs. Et, sait conclure Luzel, « certainement, après vous avoir vu et entendu, ils diraient : il a l’air d’un bien brave homme, et non tel que nous l’ont présenté nos prêtres ; nous voterons pour lui ». La réponse du 29 juin 1878 est, pour notre propos, exemplaire. Car c’est bien là, dans ces retrouvailles fraternelles, voire familiales avec les cousins Morand15, que Renan a arrêté sa position autour des quatre points suivants : « adhésion formelle à la République légale ; égards extrêmes pour le passé ; accueil empressé fait à tous les éléments qui veulent servir loyalement le pays, sans arrière-pensée dynastique ; guerre, en revanche, à ceux qui rêvent des levées de boucliers et des 16 mai »16.
9Mais Renan ne se présentera pas, pas plus que, malgré des velléités, ailleurs, au Sénat17. L’action de Luzel l’a du moins aidé à se révéler plus politiquement républicain et a contribué à son retour au pays, même s’il n’en est pas l’instigateur18. Mais à ce moment-là, la situation des Républicains s’est à nouveau dégradée. La même question des libertés religieuses auxquelles se rattache la politique scolaire de Jules Ferry est la cause principale d’un reflux que la Bretagne est la seule à connaître. Aux élections de 1885, les Conservateurs y sont à 40 quand les Républicains se retrouvent à dix. On constatera une remontée en 1889 mais les Conservateurs sont toujours à trent-et-un contre seize. C’est donc dans ce contexte que, de l’été 1884 à l’été 1891, Renan, revenu pour les vacances en Bretagne, développe son action.
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10Commençons par rappeler les faits, ou plutôt les festivités19 :
11 2 août 1884 : banquet de Tréguier au « Lion d’Or » orné aux armes de la République ; 150 convives ; discours, chansons20 et toasts ; présence de tous les Républicains du canton ; du député de Saint-Brieuc Armez21 ; et télégramme des députés républicains bretons retenus à « l’Assemblée nationale, 1 h 15 du matin » ;
1217 août 1885 (veille des élections d’octobre) : banquet de Quimper sous les halles ; 200 convives ; tous les Républicains du département sont là autour de Louis Hémon et de Armand Rousseau, président du Conseil général, sous-secrétaire d’Etat aux colonies22 ; à signaler la présence de Berthelot ;
13 7 août 1888 : soirée culturelle à Lannion avec présidence et discours de Renan ; conférence par le professeur-écrivain breton Anatole Le Braz23 sur le poète Brizeux récusé désormais par les monarchistes puisque les Républicains ont eu l’idée de lui dresser une statue24 ;
14 8 et 9 septembre 1888 (les élections sont pour l’an prochain) : double manifestation dans le Morbihan, la première pour l’inauguration à Pontivy de la statue du docteur Ange Guépin25, cette conscience morale de la gauche en Bretagne, et suivie d’une retraite aux flambeaux et d’un banquet ; la seconde pour l’inauguration à Lorient de la statue de Brizeux ; le tout avec la participation du député républicain Paul Guieysse26 et de l’autre enfant du pays, l’ancien Président du Conseil, le célèbre Jules Simon ;
15 11 septembre 1891 : apothéose des fêtes de Bréhat organisées par Armand Dayot de Paimpol, ancien élève du petit séminaire de Tréguier et futur inspecteur général des Beaux-Arts27 ; défilé, fanfare, salves ; banquet populaire aux municipalités républicaines des environs et à tous les Républicains en vue de la contrée (je me contente de citer) ; danses et luttes bretonnes sur le pré, récompenses décernées par le héros du jour, Marseillaise.
16A toutes ces manifestations de caractère officiel, relatées par les journaux, y compris nationaux, comme les Débats ou Le Temps, il faudrait ajouter toutes ces interventions d’ordre privé sans lesquelles il n’est pas de survie en politique, que Renan s’efforçait de mener à terme, et qui montrent combien vous êtes obligeant et influent. Voici un extrait du palmarès : secourir le nécessiteux, et le pharmacien Célestin Soisbault, qui faillit être député de Lannion, sert d’intermédiaire28 ; faire attribuer le bureau de tabac espéré29 ; sur prière de l’ami et député Armez recommander une payse pour un prix de vertu30 ; faire obtenir la légion d’honneur à Luzel31, le grade d’Officier d’Académie à Charles Le Gac, son notaire et maire de Tréguier32, ou à Adolphe Paban, le rédacteur-en-chef du Finistère 33 ; installer, comme nous l’a si bien conté Henriette Psichari34, à Louannec, dont dépendait Rosmapamon, la première école primaire et la confier à Marie Blanchard qui n’avait d’autres titres à présenter que ses exceptionnelles qualités. Mais beaucoup plus que ces menus services, qui font désormais partie de la panoplie du bon républicain, puisque le pouvoir central dispose et sait disposer de la manne, ce qui nous retient, c’est l’action personnelle de Renan dans la propagation de la foi républicaine en son pays breton. Elle était d’autant plus urgente que, comme il l’avait aussitôt écrit le 24 septembre 1885 à Berthelot, « la désorganisation du parti républicain en ces parages est complète ».
17Aussi les événements rapportés tout à l’heure, qui ne devaient, au départ, que prolonger les « dîners celtiques », sont-ils, par le fait même, devenus de véritables manifestations républicaines avec tout le saint appareil : décorum, officiants regroupant élus et militants ; la communion des banquets, la liturgie des discours, l’élévation des toasts, et, à l’occasion, la kermesse populaire. Dussent d’autres régions en bénéficier, ces fêtes bretonnes méritent assurément la palme dans la consécration cultuelle, tant il s’agissait d’y laïciser le cérémonial ecclésial. Quant aux discours, ou plutôt aux sermons prononcés dans cette chaleur communicative qui donne l’impression que notre philosophe, ou plutôt notre « curé manqué », n’a jamais été aussi content de vivre que là, au milieu de ses ouailles, avec les siens, on en dégagera une triple leçon.
18D’abord les Bretons eux aussi ne sont venus tard à la République que parce qu’ils sont, au fond, des « modérés », des « girondins », et surtout pas de ces « attardés » ou « affreux réactionnaires »35 que vous autres, qui ne les connaissez pas, vous vous affligez d’imaginer. A l’image de leur célébrant, ils n’ont attendu d’être des « Républicains du lendemain » que pour mieux l’être « de raison ». Le boulangisme, constatera Renan rassuré, ne semble pas avoir prise sur eux36. Nous ne serons pas étonnés, en second lieu, de voir l’orateur insister sur ce qu’une tradition aussi vivace peut apporter au monde nouveau : sachons entrer dans la République française sans rien perdre de nos valeurs originelles, de notre culture propre. Revient enfin, de ville en ville, en leitmotiv, la question de la tolérance. Plus la droite est intolérante, plus il faut être tolérant. Plus la gauche est anti-cléricale, plus il faut, comme le souligne avec force le discours de béatification du franc-maçon docteur Guépin, exalter la valeur d’« éducatrice incomparable » de l’Église catholique37. Et Renan ne clamait son « nous sommes très religieux »38 que pour que la République sût faire, à son tour, fructifier cette richesse.
19Mais en son for intérieur, et par-delà la parade, Renan ne laissait pas d’être travaillé par un pressentiment qui tempérait singulièrement son optimisme naturel et la convivialité du moment. Il craignait, comme il l’écrivait à Berthelot le 24 septembre 1885, c’est-à-dire à la veille de la lourde défaite d’octobre, de voir désormais « l’ouest tout entier massé dans une opposition qui serait de très mauvais augure ». Il a, en tous cas, fait de son mieux pour avoir tort. Il va se mettre à avoir tort, en effet. Mais jusqu’à quand ?
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20La décennie qui va de la mort de Renan, en 1892, à l’inauguration de sa statue en septembre 1903 sur la place de Tréguier est, en France, celle de la République triomphante. Les graves crises qu’elle a franchies non seulement l’ont confortée, mais lui ont redonné une vocation. Aussi voit-on, d’un scrutin à l’autre (1893, 1898, 1902) avec l’émergence des radicaux et des socialistes la victoire passer des Républicains dits « modérés » au « bloc des gauches : avec le consensus sur le régime, le vocabulaire a tendance à changer, Républicains s’identifiant à « gauche » et opposants à « Conservateurs » ou « droite ». Qu’en est-il, cependant, en Bretagne ? Ces deux premières consultations qui suivent le fameux « ralliement » des catholiques de 1890 donnent, si on occulte les nuances qui se croisent et se multiplient, les résultats suivants : pour 1893, 12 élus de droite contre 28 Républicains ; pour 1898, 32 Républicains contre 14 élus de droite. Mais à la troisième consultation, en 1902, la Bretagne, exceptionnellement encore, se distingue du reste du pays en élisant 33 hommes de droite contre 10 de gauche. Pour commentaire, citons deux faits bien symptomatiques. Le premier : parmi les élus de la vague républicaine de 1898, on ne comptait qu’une dizaine de Républicains à s’afficher anticléricaux ; le second : l’homme qui, en 1902, a fait peur aux Bretons est un de leurs compatriotes, un de leurs députés, un ancien de 1848, Waldeck-Rousseau39. Tant il est vrai que chez nos Républicains bretons la question religieuse, si déterminante dans l’idéologie du pouvoir, provoque toujours un traumatisme. C’est pourquoi, tandis qu’une minorité se radicalise, la majorité ne peut suivre les nouveaux doctrinaires qu’avec la plus précautionneuse sentimentalité : le cas de Jules Simon était, à cet égard, révélateur. Mais Jules Simon meurt en 1896, un an après Luzel, quatre ans après Renan. Un autre esprit se crée, des hommes nouveaux se mêlent au jeu, l’association des « Bleus de Bretagne » verra le jour en 1899. Pour les adversaires, il ne s’agit plus de combattre la nature d’un régime généralement accepté, mais bien une idéologie qu’ils jugent provocatrice et mortelle. Car l’affrontement se réduira de plus en plus, et la Bretagne est une terre privilégiée pour cela, à l’affrontement du cléricalisme et de l’anticléricalisme. Un affrontement dont Renan mort et statufié symbolisera l’enjeu.
21La municipalité de Saint-Brieuc dirigée par Baratoux n’aura même pas attendu la disparition du philosophe, pour, dès le 11 juillet 1891, décider de donner son nom à une rue de la ville : et déjà l’évêque de fulminer ! Mais c’est évidemment à Tréguier que la grande bataille aura lieu. Le 12 août 1896, le maire, Jules Guillerm, ayant enfin une majorité républicaine, faisait voter l’apposition d’une plaque commémorative sur la maison natale. Ce qui fut réalisé le 24 septembre suivant avec quelques petites festivités républicaines40. Le 12 février 1898, une courte majorité de deux voix se dégageait pour que la Grand’Rue devînt rue Ernest Renan : et cette fois au curé-archiprêtre Le Goff de se déchaîner, de menacer ! Or, pour mener à bien ces opérations, des liens s’étaient noués entre une municipalité consciente qu’il lui était urgent de faire son devoir mais qui avait à tenir compte de la réalité locale et les « Bretons de Paris » animés par Armand Dayot qui poussait à la roue. Il ne s’agissait évidemment là que de préliminaires pour une suite « en majeur » et dont la réalisation allait être favorisée par une double conjonction. D’une part, à Tréguier même s’imposait une jeune personnalité, issue d’une vieille famille noble du lieu, et qui devait avoir une importante carrière politique, conseiller municipal et déjà conseiller général, franc-maçon déclaré, Gustave de Kerguézec41. L’un des premiers actes de celui qui restera pour les Trégorrois « Monsieur le Comte » sera non seulement de demander la suppression de tous les titres de noblesse mais d’être l’instigateur de l’érection de la statue de Renan à Tréguier. Dans la capitale, d’autre part, c’est alors que de l’association des « Bretons de Paris » naissaient les « Bleus de Bretagne ». Comme nous ne disposons jusqu’à présent d’aucune étude sur ces derniers que nous pouvons considérer comme les « nouveaux Républicains bretons », je me permets de leur attribuer les caractéristiques suivantes :
- les fondateurs sont Armand Dayot sus-nommé et le morlaisien Antoine Bott42, l’animateur de la revue ; en 1903, le président en est Paul Guieysse, qui est alors député de Lorient ;
- leur revue est La Bretagne nouvelle, elle dure de 1901 à 1933 ;
- ils sont « bleus » en souvenir des soldats de la Révolution et par opposition aux « blancs » ;
- ils ont, en effet, pour dogmes, l’anticléricalisme et le laïcisme ;
- le centralisme jacobin du mouvement (le siège est à Paris) conduit la plupart à une attitude hostile à tout particularisme, et surtout celui d’une langue bretonne désormais assimilée au passé, au clergé, à un peuple aliéné.
22Le plus grand moment de l’action conjuguée de Gustave de Kerguézec et des « Bleus » a incontestablement été l’érection et l’inauguration de la statue de Renan en 1903. L’histoire est trop connue, qui fait partie de notre légende, pour que j’y revienne à mon tour. Je me contenterai d’y apporter un éclairage particulier, de circonscrire l’événement dans son contexte de républicanisation, d’en tirer un commentaire que j’espère ne pas être que subjectif.
23L’éclairage porte sur la statue même. Notre Armand Dayot était le mieux placé et inspiré pour savoir utiliser la statuaire comme moyen de la propagande républicaine et centralisatrice. Si l’inauguration de la statue de Duguesclin à Dinan fut un prélude muet, celle de Hoche à Quiberon lui donna, en tant que délégué du ministre des Beaux-Arts, l’occasion du rendez-vous l’année suivante à Tréguier pour celle de Renan : après l’ennemi implacable des Chouans, celui des prêtres ! Au Breton Jean Boucher43, prix de Rome, favori de Dayot, de s’exécuter au plus vite. Le bronze de Renan aura, on le sait, outre le matériau, la double particularité d’être assisté de la Vierge de la Raison et d’être situé, encore avait-on songé au cloître !, à l’endroit même du reposoir de la Fête-Dieu, à l’ombre même de la cathédrale gothique. Pour continuer sur le registre iconographique, n’ayons garde d’oublier, là-bas, dans le parc de la Baronnais, sur les quais, face à la rivière qui descend à la mer, en tenue de combat, les statues de granit entourant le calvaire dit de « protestation » ou de la honte, au pied duquel on peut lire en breton, en latin, en français, l’inscription : « celui-là était vraiment fils de Dieu », le tout devant être inauguré en grande pompe le 19 mai, jour de la saint Yves 1904. Restera (c’est le sujet qui ouvre le dernier roman de notre compatriote Henri Pollès, Sur le fleuve de sang vient parfois un beau navire), lorsque le collège où Renan fit ses études aura été interdit, à détruire les murs de son magnifique jardin pour le transformer en place de « la République » avec, au beau milieu, mais il n’y est plus depuis longtemps, un buste doré de « Marianne ». Oserais-je dire que Pollès dit que les ennemis disaient que cette « Marianne » était le fruit des amours de Renan et de la « gourgandine sévère » debout derrière lui, sur l’autre place ?
24Pardonnez cette conclusion du pire aloi. Mais elle illustre aussi, à sa façon, que ce qui était bien en jeu, en 1903, c’était d’imposer définitivement la République avec son idéologie. Qui n’était conscient de vivre, en ce 13 septembre, à Tréguier, des moments historiques qui dépassaient singulièrement le cadre local ? Mais comment les ressentir ? D’une part, la pensée libre symbolisée par Renan est identifiée à l’idéologie républicaine du moment ; d’autre part, les Républicains sont minoritaires en Bretagne et majoritaires dans le reste du pays. Mais en Renan ils ont trouvé la caution idéale et l’intermédiaire fondamental. Et, par l’intermédiaire des « Bleus » d’Armand Dayot, Républicains minoritaires bretons et pouvoirs publics vont collaborer de toutes leurs forces pour réussir une démonstration éclatante. Mais en même temps il faut bien reconnaître que l’hommage à rendre au génie risquait d’être dévié de son objet propre au profit d’une idéologie dont la présence active du Président Combes montrait assez le sens. Il serait pourtant aussi faux qu’injuste de réduire les manifestations renaniennes à de la propagande à grand spectacle44, de ne pas être sensible à la réalité de ce grand souffle libérateur et à l’élan de la fête. Les Trégorrois, municipalité en tête, et les Bretons, au fond d’eux-mêmes, et beaucoup le montraient, n’étaient pas peu fiers de voir ainsi célébrer une telle gloire de leur pays. J’ajouterai que parmi eux il y avait des gens comme Le Goffic, un monarchiste ! Mais toute idéologie divise et doit dominer. C’est pourquoi ces manifestations imposeraient l’idée, soutenue par un appareil imposant, aussi forte que claire, d’un pouvoir républicain dans sa double fonction de l’anticléricalisme et du jacobinisme, ces deux leviers pour le monde nouveau. Il suffit, à cet égard, de feuilleter le livre préparé par les « Bleus » des « Fêtes de Renan à Tréguier ». Mais ces évocations d’il y a plus de quatre-vingts ans, si elles continuent d’émouvoir le Trégorrois que je suis, c’est aussi qu’avec le recul, je ne puis m’empêcher d’y trouver un côté assez pathétique que je vais essayer maintenant de faire comprendre.
25Je vois ce pathétique, en premier lieu, dans cette volonté de simplification et de dramatisation dont Renan est l’enjeu. La situation est tranchée. Nous avons maintenant d’un côté une République triomphante, et de l’autre, une Bretagne, une Basse-Bretagne, à l’écart, en état de non conformité. Or, la République, c’est l’anticléricalisme, à Waldeck-Rousseau Combes succédant. Comme la Bretagne vote contre le gouvernement par cléricalisme, il faut donc réduire le cléricalisme pour la gagner. A la Bretagne, qui fait problème, toujours la Bretagne !, imposons Renan, un Breton, qui fait exemple ! Non seulement l’auteur de la Vie de Jésus et de L’Avenir de la science est devenu un modèle pour la nation (voir toutes les rues Renan de nos villes) mais, quand il s’agit de la Bretagne, aux vertus du modèle s’ajoutent ici les couleurs d’un autre pathétique. Comme si Renan ramassait en lui le passage dramatique et victorieux de la Bretagne ancienne à la Bretagne éclairée… De là toute cette exaltation, cette apothéose. Or ce qui contribue encore à donner au pathétique plus de résonance, c’est que l’événement se déroule à Tréguier, lieu doublement prédestiné. Car si saint Yves en fit, au xiii e siècle une capitale religieuse, son compatriote Renan en fait, en cette aube des temps modernes, celle de la pensée laïque. Mais on comprend aussi que les opposants se soient alors sentis en perdition. Une peur apocalyptique les saisit devant le destin de la Bretagne et de la religion car, pour eux, les deux étaient indissolublement liées : le jour de l’inauguration, ils s’étaient massés dans la cathédrale au son du « Requiem ». Dramatisation encore, certes, mais qui signifiait en eux drame absolu. A quoi s’ajoutait le drame conjoncturel de la persécution combiste avec la lutte engagée contre les congrégations. Or cet anticléricalisme avait, en Basse-Bretagne, son corollaire : un jacobinisme particulièrement hostile à la langue bretonne ; ce sera l’objet de ma seconde préoccupation.
26Ici encore, les choses sont trop claires. Puisque Bretagne égale religion et que Bretagne égale langue bretonne, il faut lutter contre cette dernière qui n’est plus considérée que comme le véhicule de la foi et qui a, en outre, l’inconvénient de maintenir une brèche dans l’unité de la langue française. Empressons-nous de dire que rien de tel n’a été proclamé, et ne pouvait l’être, aux manifestations de 1903. Mais le décret Combes qui instituait la délation et interdisait l’usage du breton dans les églises sous peine de sanction financière datait du début de l’année (16.1.1903). Telle était bien l’idéologie du pouvoir, maintenant relayée par une administration vigilante et des instituteurs missionnaires. Telle était bien, malgré de fortes exceptions comme A. Le Braz, l’idéologie aussi des « Bleus » et de leur revue La Bretagne nouvelle, et qui seront à leur tour dépassés par Yves Le Fèbvre (1875-1934) et sa Pensée bretonne, organe philosophique, artistique et littéraire de la Bretagne républicaine (1912-1925). Déjà le père de ce Gustave de Kerguézec dont je signalais le rôle décisif dans l’érection de la statue de Tréguier avait écrit sous l’Empire une brochure qui n’était que l’envers du décor merveilleux et sympathique des Souvenirs d’enfance et de jeunesse : la seule façon pour lui d’arracher ce « sale trou » de Tréguier (« Toullous » dans le texte), microcosme de la Basse-Bretagne, à la crasse et à l’obscurantisme, était d’écraser l’infâme, c’est-à-dire les curés et la langue bretonne45. Il allait, plus que Luzel, plus que Renan, inspirer la majorité des nouveaux Républicains bretons. Leur action, si compréhensible qu’elle pût être historiquement, tant cet anticléricalisme jacobin ne trouvait à se nourrir que de ce cléricalisme bretonnant, et qu’il pouvait, en effet, apparaître comme une issue à la situation économique et sociale, ne va pas non plus sans quelque pathétique. Car ils étaient sincères et de foi aussi, ces militants, qui identifiaient ainsi République et anticléricalisme, langue bretonne et réaction, en donnant ainsi priorité à l’idéologie, ou l’idée46, sur la réalité locale. Mais par le fait même le fossé se creusait, chez les Bretons eux-mêmes, entre les partisans de l’école de Dieu et ceux de l’école du diable ; de là aussi ce malaise qui devait perdurer à travers le siècle entre les Bretons et l’Etat français. Mais ce républicanisme extrême allait, malgré tout, bientôt se refréner, se contester de lui-même. Ainsi Armand Dayot, qui s’était tant démené, ne réussira pas à faire agréer par ses camarades sa candidature à la députation des Côtes-du-Nord47. Mais, en attendant, Renan, qui avait fait de son mieux, avec tant de fermeté et de grâce, pour amener ses compatriotes à la République, était plus que jamais devenu un objet de division : Renan tel qu’en lui-même la République de 1903 l’avait suffisamment changé. Mais pouvait-il, dans ces circonstances, en être autrement ?
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27C’est à Renan tel qu’en lui-même que je voudrais, au terme de ce parcours politique, emprunter deux leçons. Expérimentées dans cette Bretagne dont il connaissait admirablement la sensibilité, qui n’est autre que de la pudeur, elles sont de portée générale. De quoi s’agit-il ? D’abord, que la meilleure politique est dans la « modération ». En second lieu, que la politique est une démangeaison, et alors on n’y peut rien. A l’un des derniers « dîners celtiques », Renan se prit à reprendre la légende des « Sept Dormants » pour l’actualiser ainsi, et Waldeck-Rousseau était à ses côtés ce soir-là :
28« C’étaient des frères, ensevelis dans une crypte bretonne, plongés dans un sommeil profond, mais hanté de rêves, de visions, de cauchemars peut-être. Impatients d’un réveil, toujours ajourné, les Sept Dormants, à de certaines époques, éprouvaient des sursauts et brusquement changeaient de position, de gauche passaient à droite, pour reprendre ensuite leur première position, sans que, pour cela, leur sommeil fût moins agité, sans atteindre le repos complet, le bien-être absolu qu’ils cherchaient tantôt à droite, tantôt à gauche48. »
29Conférence prononcée au Collège de France
Etudes renaniennes, 1985, n° 61
Notes de bas de page
1 O. C., X, 786, lettre du 28.12.1878 à D. Rebité : « je suis bien un républicain du lendemain, ce qui n’empêche pas que je crois être un ami sincère de la République ».
2 Jules Simon (Lorient 1814 – Paris 1896). Ce professeur, écrivain, homme politique, jouit de son temps d’une notoriété considérable.
Principaux faits de sa carrière politique : élu en 1848 représentant des CDN à l’Assemblée Constituante. Député de la Seine (1863-1870). Représentant en 1871. Ministre le 4.9.1870. Ministre de l’instruction publique dans le cabinet Thiers 1871-1873. Le 16.12.1875, il est à la fois élu sénateur inamovible et Académicien. Président du Conseil et ministre de l’intérieur du 13.12.1876 au 16.5.1877.
3 Léon Séché, Jules Simon, sa vie et son œuvre, Paris, E. Le Chevalier, 1898. Jules Simon, Souvenirs personnels, 1903. Nombreuses allusions aux relations E. Renan – J. Simon mais pas toujours fiables.
4 O. C., IX, 1145, lettre du 24.11.1848 à Henriette Renan. Cependant, les 25 lettres inédites de Simon à Renan de la collection « Scheffer-Renan » témoignent d’une longue et solide amitié entre les deux hommes.
5 La Liberté de penser, revue fondée par Jules Simon et Amédée Jacques, deux professeurs à l’École Normale en 1847. Renan en fut un des premiers collaborateurs et en sera un des plus fidèles. Pour l’histoire du Cosmos, voir la lettre à Henriette du 24.11.1848 citée plus haut. Rappelons qu’en 1848 Renan donne sa voix à Lamartine.
6 Glais-Bizoin (Quintin 1800 – Saint-Brieuc 1877). Député des CDN (Loudéac) de 1831 à 1849 et de 1863 à 1869. Membre du Gouvernement de la Défense nationale le 4.9.1870. Rappelons le rôle des « Républicains bretons » dans ce Gouvernement provisoire : outre Glais-Bizoin et Jules Simon, le général Trochu, de Belle-Ile-en-Mer en est le Président, le général Le Flo, de Lesneven, est ministre de la Guerre et E. de Kératry, député du Finistère, est préfet de police de Paris.
7 O. C., X, 487. Lettre du 28.9.1868 à Luzel : « après avoir passé un jour avec M. Glais Bizoin à la tour de Cesson ».
8 Le Temps, octobre 1892 : Fragments dans René d'Ys, 382. Mais citons encore, sur les campagnes républicano-bretonnes de Renan et Simon, le joli mot de ce dernier : lui était « le biniou », et l’autre « la bombarde » (Quatre portraits, 210).
9 François-Marie Luzel (Plouaret 1821 – Quimper 1895). Contrairement à O.C. (X, 149) la lettre de Renan du 1-8-1853 n’est pas adressée à Luzel. Voir l’article « Renan-Luzel ».
10 O. C., X, 228, lettre du 28.3.1858 à Luzel : « Vous me trouverez en tout vrai Breton, et, comme vous le dites vous-même, eur Breizad, eur breur »
11 Henri Mauger, issu d'une vieille famille de Lannion. Il a fait reparaître en 1870 Le Lanionnais qui datait de 1848. Ce journal est remarquable par son républicanisme et son anticléricalisme. Devenu Lannion républicain, il a duré jusqu’aux années 1970. 11 y a quelques lettres de Renan à Mauger. Le journal fait de nombreux comptes rendus des manifestations renaniennes. En 1890, Renan y fit paraître sa réponse aux insinuations des Goncourt sur son antipatriotisme, Le Lannionnais, 26.11.1890, cf. O.C., X, 1023, lettre à J. Morand.
12 Louis-Hémon (Quimper 1844-Paris 1914). Député de Quimper de 1870 à 1885 et de 1889 à 1912. Sénateur de 1912 à 1914. Fondateur-Directeur du Finistère. Au banquet de Quimper en 1888, il répondra au discours de Renan sur le thème « esprit breton et démocratie française ». Voir au Centre de recherche bretonne et celtique de Brest, la thèse de L. Trébaol sur Louis Hémon.
13 O.C., X, 554, lettre du 11.3.1871 à Luzel : « je n’ai voulu faire aucun acte de candidat, quoique divers journaux m’aient porté ». Voir aussi lettres de Luzel à Renan 21.9.1870, 14.3.1871. Voir enfin René d’Ys, Renan en Bretagne, Paris, Emile-Paul 1904, 219.
14 Pour les résultats complets des élections à la députation en Bretagne, et pour la confrontation avec les résultats nationaux, voir l’ouvrage de référence de Jean Pascal, Les Députés bretons de 1879 à 1983, Paris, PUF, 1983.
15 Les Morand sont de la famille maternelle de Renan. La tante Morand, du manoir de Trovern en Trébeurden (10 km de Lannion) laisse un merveilleux souvenir à Renan (cf. O. C., X, 485, 519). Elle est la grand-mère de Joseph Morand, dit Joson, ami personnel de Renan. Le fils deviendra maire de Lannion où il y a une rue Joseph Morand.
16 O. C., X, 755-757.
17 A Marseille, fin 1873 et à Paris, en 1884.
18 Cet instigateur fut un autre Trégorrois, Narcisse Quellien, le barde.
19 L’ouvrage de René d’Ys (cf. note 13), de 1904 justement, contribue à l’exaltation de « Renan en Bretagne ». Mais il donne, aux chapitres VII et IX, le détail de ces manifestations avec la liste des principaux participants. C’est donc également un livre de référence sur les « Républicains bretons ».
20 Parmi les chansons alors chantées, je tiens à citer une chanson en breton qui est une si vive satire de « L’avarice des prêtres » (le breton n’était pas encore tout à fait considéré comme une aliénation) que Renan en fut gêné. Elle est de Guyomar, dit Guillaume Job, barde breton et maire de Trédarzec, la commune du « Broyeur de lin » des Souvenirs. Elle fut éditée sur feuille volante par H. Mauger. En voici, par exemple, deux strophes :
AVARISTED AR VELEIEN
Ne quei vel gouir veleien nem gonduont breman,
Direction an ine a seltont vel netra ;
Ne de nemert eur moyen da vean muioc’h sur
Da gaç ar bobl ignorant herve ho flijadur
Roet d’ho corf er bed-man, poan a pansion fal,
Debret iod a patates, banalio souben sal,
Reit oh arhant d’ar person, henes o implio
Da bourvein vit e servij ar pes a voellan vo.
LA CUPIDITÉ DES PRÊTRES
Ce n’est pas comme de vrais prêtres qu’ils se conduisent à présent.
La direction des âmes, ils la considèrent comme rien (du tout).
Ce n’est (pour eux) qu’un moyen d’être davantage certains
De conduire le peuple ignorant selon leur (bon) plaisir.
Donnez à votre corps en ce monde de la peine et un méchant ordinaire,
Mangez de la bouillie et des pommes de terre, de la soupe salée,
Donnez votre argent au recteur, celui-là l’utilisera
A procurer pour son usage tout ce qu’il y a de meilleur.
21 Louis Armez (Paris 1838 – Plourivo 1917). Député de Saint-Brieuc de 1876 à 1885 et de 1889 à 1917. Maire de Plourivo en 1871. Conseiller général de Paimpol. Notons que Plourivo jouxte Plounez dont le Lédano est le berceau des Renan.
22 (Paul-)Armand Rousseau (Treflez 1835 – Hanoi 1896). Représentant du Finistère de 1871 à 1876. Député de Morlaix de 1881 à 1885. Élu sénateur de 1895 à 1896. Sous-secrétaire d’Etat aux Travaux publics de janvier à juillet 1882 et aux Colonies d’avril à décembre 1885.
23 Anatole Le Braz (Saint-Servais 1859 – Paris 1922). Voir l’article « Sur les relations Renan-Le Braz ».
24 Cf. lettres des 3 et 6 août 1888 de Le Braz à Renan (Cahiers de l’Iroise) ; lettres du 26 juillet 1888 de Luzel à Renan et réponse de ce dernier le 29, O.C., X, 993. Lettre de Luzel du 14 juillet, à propos de la statue de Brizeux : « Les monarchistes et les cléricaux s’abstiennent (…) surtout parce que ce sont des républicains qui ont pris l’initiative. Tout cela est assez misérable, mais c’est ainsi. »
25 Ange Guépin (Nantes 1805-1873). Médecin philanthrope (secours mutuel, éducation populaire, santé gratuite), franc-maçon, homme politique (préfet en 18170) et grand Républicain, commissaire au Gouvernement provisoire en 1848. Conseiller général de Pontivy où il exerça. Sur Ange Guépin, voir Guy Frambourg, Un philanthrope et démocrate nantais, le docteur Guépin, 1964. J. Simon évoque aussi un autre voyage avec Renan à Lorient au sujet de Victor Massé.
26 Paul Guieysse (Lorient 1841 – Paris 1914). D’une famille protestante, P. Guieysse fut député de Lorient de 1890 à 1910 et Conseiller général de 1881 à 1889. Le sommet : ministre des Colonies dans le cabinet radical Bourgeois, 4.11.1895-29.4.1896. C’est lui qui sera chargé, le 13 septembre 1903, de présenter au nom des « Bleus », dont il est le président, la statue de Renan à la « courageuse » municipalité de Tréguier.
27 Armand Dayot (Paimpol 1851 – 1934). Ancien élève de Tréguier, il s’oriente vers les Beaux-Arts dont il devint Inspecteur général en 1905. Il fonda en 1891 « les Bretons de Paris » et en 1899 « les Bleus de Bretagne ». Il écrivit de nombreux ouvrages, en particulier sur l’art. Renanien absolu, il est de toutes les manifestations de ou sur son héros. Il ne réussit pourtant pas, malgré tant d’efforts, à faire une carrière politique.
28 Célestin Soisbault, condisciple d’Ernest Renan à Tréguier où il établit une officine. Ardent républicain, il fut adjoint au maire de Lannion. On a quelques lettres (Collection Scheffer-Renan) de Renan à Soisbault. Sur sa fonction humanitaire, voir René d'Ys, 307-308.
29 Pour le père d’Anatole Le Braz, voir lettre de Luzel à Renan du 17 juin 1891.
30 O. C., X, 959, lettre de Renan à Camille Doucet pour lui recommander Francesca Monbuchon : « elle est, je crois, de Plourivo, mon pays d’origine ». Louis Armez, qui est intervenu pour elle, est de toutes les manifestations renaniennes.
31 O. C., X, 1007, lettre de Renan à Louis Hémon, 12.6.1889. Luzel obtiendra sa médaille en janvier 1890.
32 Lettre de Renan à Charles Le Gac du 31.12.1884 (Collection Scheffer-Renan). Citée dans René d’Ys, 274.
33 Adolphe Paban fit et chanta aussi une chanson à Renan au banquet du 2 août 1884 à Tréguier : « L’âme même de la Bretagne / Visible au milieu de nous » (René d’Ys, 271). Pour sa nomination, cf. lettre inédite (Collection Scheffer-Renan) du Cabinet du ministre de l’instruction publique à Renan, 25 novembre 1884.
34 Henriette Psichari, Des jours et des hommes. Grasset, 1962, chap. II, « Naissance d’une école de village ». Mais d’après les témoignages de l’Académie de Saint-Brieuc, la légende a déjà commencé.
35 Discours de Quimper, dans Discours et conférences, O. C., 1, 8S3-8S9.
36 E. Renan et M. Berthelot, Correspondance, 1847-1892, Calmann-Lévy, 1929, lettre de Renan du 3.10.1888 : « Le boulangisme est une terrible chose. Ces pays-ci peuvent compter comme les moins pris ».
37 Le discours demandé à Renan au banquet de Pontivy n’a pas été recueilli. Voir des passages dans René d’Ys, 343. Renan avait traité le franc-maçon Guépin de « croyant », l’avait comparé à un de nos saints d’autrefois, ce qui suscita l’ire du journal de droite la Revue historique de l'Ouest.
38 Même constante dans la remarquable enquête d’André Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la III e République, Paris, Colin, 1913.
39 Pierre-Marie Waldeck-Rousseau (Nantes 1846 – Corbeil 1904). Député de Rennes 1879-1889. Sénateur de la Loire 1894-1904. Ministre de l’intérieur, 14.11.1881 – 30.1.1882, puis de l’intérieur et des cultes : février 1883 – avril 1885. Président du Conseil et ministre de l'intérieur et des cultes du 22 juin 1889 au 3 juin 1902. La loi sur les associations a été votée le 1er juillet 1901 par 317 voix contre 210. Pour les Bretons, 8 seulement ont voté la loi : Armez, Le Troadec (C.-du-N.), Cloarec, Isnard, Le Bail (Finistère), Jéhanin (Ille-et-Vilaine), Roch (Loire Inférieure) et Guieysse (Morbihan).
40 Voir Le Lannionnais, 26.9.96, « Un premier hommage à Ernest Renan ». Cf. René d’Ys, 401-405.
41 Gustave de Kerguézec (Tréguier 1869 – Tréguier 1955). Député de Guingamp 1906-1920. Sénateur des Côtes du Nord de 1921 à 1939. Conseiller général du canton de Tréguier. Président du Conseil général de 1920 à 1930.
42 Antoine Bott (Morlaix 1857-1939), co-fondateur des « Bleus de Bretagne » et rédacteur-en-chef de La Bretagne nouvelle, hostile aux cléricaux et à la langue bretonne. Lui aussi était protestant. Voir, sur ces problèmes, l’étude d’Yves Le Gallo, « L'anticléricalisme jacobin », dans Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, Paris, Champion, 1987, III, 12-22.
43 Jean Boucher, de Rennes, sculpta aussi, entre autres, La Bretagne et la France pour commémorer, en 1932, l’union de la Bretagne et de la France. Il avait représenté la Bretagne à genoux : la statue fut détruite par un attentat.
44 A titre d’exemple : à l’imitation des images pieuses, la reproduction de la jeune trégorroise en costume local en train de faire sa prière moderne à genoux devant la statue de Renan.
45 Il y aurait toute une étude à faire sur l’anticléricalisme en Basse-Bretagne, dont la fréquence et la virulence sont à noter. Il s’agit ici du vicomte de Kerguézec, propriétaire à Tréguier, qui se prénommait aussi Gustave comme son fils (Tréguier 1828-1897). Sa brochure, sous le pseudonyme de Boisville (transcription bretonne de Kerguézec), avec une adresse à V. Duruy, ministre de l’instruction publique a été publiée en 1879 à Bruxelles. La collection Scheffer-Renan a deux lettres écrites à Renan en mars 1862, après la suspension de son cours. Deux lettres de félicitations où s’exprime le voltairianisme de l’auteur contre les prêtres : « Leur aveuglement est sans bornes puisqu'ils nient la lumière et leur entêtement incurable, puisqu’ils ne veulent écouter aucune raison ».
46 Le discours de Gustave de Kerguézec (cf. L'Evolution des Idées, 1900) montre que ce grand Républicain de Tréguier, socialiste et laïc, essaie de garder à travers son exaltation de « l’idée » une part de l’idéalisme selon Renan. Notons aussi qu’il sera moins hostile que son père à l’égard de la langue bretonne qu’il fera apprendre à sa fille.
47 Léon Dubreuil, Rosmapamon, la vieillesse bretonne de Renan, Paris, Ariane, 1945.
48 René d’Ys, 233-234.
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