Présentation
p. 9-10
Texte intégral
1Le plus gros de l’œuvre de Renan, ce constructeur d’une cathédrale rationaliste, se constitue de morceaux destinés à faire bloc. Le premier livre qui l’a fait reconnaître du public est, en 1857, Etudes d’histoire religieuse, qui est justement ainsi composé. On peut dire que toute sa vie Renan a été fasciné par ce moyen d’expression et de communication qu’est l’article de presse, avec son corollaire qu’est la conférence, forme exponentielle du cours du professeur. Si l’immédiateté de la réflexion impose une mise au point et au net, l’urgence de populariser les plus hautes idées imposait, en même temps, les travaux préalables de l’érudition. Or le genre qui convient le mieux à cette attitude de pensée est bien le genre condensé de l’article et que Renan a manié avec une efficacité et une limpidité parfaites. Au départ, il y a le plus souvent la lecture d’un ouvrage d’Histoire et de philologie, mais le compte rendu va se déployer pour la plus stimulante lecture. Il arrive aussi qu’il s’agisse d’une « question contemporaine » comme sa destitution du Collège de France ou d’un drame national comme le désastre de 1870. Une étude de Renan journaliste reste à faire tant cette activité en phase avec le développement de la presse lui a permis de se révéler à lui-même et à un lectorat de plus en plus vaste. On ne sera donc pas surpris de l’étendue du registre, sujets et tons, ni de l’éventail des revues et journaux où il a publié : Liberté de penser, Journal des débats, La Revue des Deux Mondes... ou encore Le Lannionnais, etc.
2Le même comportement est à remarquer dans la prise de parole. On peut à loisir en rythmer les interventions. Ici, par exemple, les conférences du Collège de France ou d’Oxford ; là les discours de tous ordres jusqu’aux envolées de table des banquets celtiques, etc. Un de ses ouvrages a, du reste, été assemblé sous le titre Discours et Conférences. Quel art de l’adaptation tout cela ne relève-t-il pas, quel art de séduire ! Ce qui suscitera naturellement aussi une réputation de dilettante captieux.
3Mais ne nous y trompons pas. A vie réussie, réussite d’une œuvre. Car le plus étonnant est que, sous les heurts du destin et les réflexes de la pensée, dans la souplesse des comportements et la sinuosité intellectuelle, la vie se construit comme « une œuvre d’art » (le mot est de Renan lui-même), en même temps qu’une pensée s’élabore en massif. Articles et conférences sont autant de « fragments » qui participent de cette construction dans une sorte de mouvement existentiel. Ils sont à leur tour étayés d’ensembles épistolaires. C’est quand ils ont trouvé d’eux-mêmes leur destination que l’auteur les assemble en un ouvrage. Non seulement L’Avenir de la science, La Réforme intellectuelle et morale, Souvenirs d’enfance et de jeunesse sont ainsi construits, mais également Histoire des origines du Christianisme ou Histoire du peuple d’Israël. Comme pour un plan de cathédrale.
4De cette cathédrale je n’aurai été, pour ma part, qu’un épisodique et imparfait desservant. Pourtant l’idée m’est venue, en hommage à la maison natale dont on fête cette année le cinquantenaire de sa transformation en musée, d’emprunter la démarche du maître et de rassembler ici les articles qu’il m’est arrivé de lui consacrer et qui courent sur près d’un quart de siècle. L’entreprise n’était pas sans risque non pas que je craignisse de me comporter en imitateur dérisoire mais parce qu’il s’agissait là d’études occasionnelles, de variations espacées. Un double écueil était inévitable : celui, d’une part, de présenter des fragments qui feraient redondance ; celui, d’autre part, de n’offrir qu’une vision parcellaire, tronquée, de l’homme et de l’œuvre. Ne pouvant y échapper, j’ai préféré en définitive, ne rien changer à ces écrits. Sans compter que chacun d’eux me renvoie à des moments du passé qui ne sont pas sans provoquer quelque émotion. Mais surtout, en les relisant aujourd’hui, avec le recul, je me suis également aperçu qu’ils se remettaient d’eux-mêmes en mouvement et que, composés selon une trajectoire obsessionnelle, ils suivaient la même pente.
5Car le Renan qui m’a toujours intéressé, auquel je n’ai cessé de revenir, c’est moins l’exégète de la foi perdue que l’idéaliste en appel, autant le Celte que le rationaliste. L’image forte, qui compose mon paysage intérieur, reste celle de la déesse Athéna à l’ombre de la cathédrale de Tréguier. Magique confrontation ! Comment le penseur qui les sépare et les oppose ne serait-il pas aussi celui qui les réunit et les illumine ? Rien ne m’a donné une plus haute idée d’un sens à donner à sa vie. On ne peut vivre sans idéal au-dessus de soi. C’est la leçon que je retiens du « sage du Tréguier » qui nourrit d’âme sa raison. De là, tout au long de cet assemblage d’articles au fil des événements, la projection « a posteriori » de : « Renan un Celte rationaliste ».
6 Je remercie le Centre des Correspondances et Journaux Intimes de Brest (UMR 6365) et particulièrement Mesdames Blachère et Dourfer qui ont rassemblé et composé ces articles.
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