Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
11989, année de grande commémoration. Sur l'initiative de Philippe Hamon, le Centre d'Histoire et d'Analyse des Textes (CHAT.), formation de recherche de l'U.F.R. Lettres et Communication de l'Université de Haute-Bretagne, a sollicité une interrogation très ouverte, et très internationale, sur les formes littéraires et artistiques de la célébration commémorative. Les quinze communications ici réunies en sont l'écho.
2Tombeaux, stèles, …ces monuments qui fixent (pour quelle éternité ?) dans la rigidité de la pierre ou du bois, les traces de ce (celui) qui a disparu, peuvent être aussi des édifices de mots ou de sons. L'expression littéraire et la musique ont toujours eu partie liée avec les gestes collectifs qui entourent la mort. La pratique rituelle du “tombeau lyrique”, dans l'acception la plus large du terme, n'est pas si désuète qu'il pourrait sembler, comme le montre le corpus étudié par Marie-Claire Mussat qui nous conduit jusqu'en 1988.
3Les célébrations institutionnelles contribuent à l'élaboration de mythes ou de légendes qui s'emparent parfois du défunt notoire dès les premières heures suivant sa disparition. Elles ne sont pas toujours sans préjudice comme le montrent Colette Hélard-Cosnier à propos de Marie Bashkirtseff et Lanie Goodman lorsqu'elle évoque de redoutables “chasseurs d'hommes de plume”. Mais de tels dommages se trouvent peut-être équilibrés par la sacralisation que la littérature a reçue en échange des protocoles funéraires auxquels elle s'est associée depuis le dix-huitième siècle, ainsi que nous le fait voir l'article de José-Louis Diaz. Le texte littéraire commémoratif est, en soi, révélateur de changements de registres et de ruptures épistémologiques. Michelle Garnier-Butel rejoint ce regard anthropologique à propos de la musique, lorsqu'elle analyse la diversité formelle à laquelle a conduit le geste social de la célébration, associant le plus souvent les formes architecturales, musicales et littéraires.
4L'usage de ces grands objets commémoratifs que sont les hymnes réserve parfois d'étonnantes surprises comme le prouve la fortune de notre chant national en Allemagne présentée par Hinrich Hudde. La manière dont se constituent les “monuments de paroles” que sont les hommages, panégyriques, épitaphes et autres “toasts funèbres” est un précieux témoignage sur l'image première d'une oeuvre dans le cercle restreint de son public immédiat, ainsi que cela apparaît, à propos de Théophile Gautier, dans l'étude de Michaël Pakenham.
5Les actes de célébration posthume sont parfois étrangement différés lorsque, par exemple, Roger Vailland rédige en 1956 un Eloge du Cardinal de Bernis sur lequel Michèle Touret s'est interrogée. Un autre mode de distanciation s'illustre par les Stèles de Victor Segalen, inspirées d'antiques monuments chinois, où le mimétisme commémoratif n'est pas exclusif d'une recherche novatrice intense comme le démontre Marc Gontard. Mais les célébrations littéraires voilent souvent des mobiles plus obscurs telle la captation d'héritage de biens symboliques (l'exemple de la relation Dumas-Nodier exposée par Daniel Sangsue est ici très parlant). Elles empruntent parfois des voies perverses, anticipatrices et fondamentalement ambiguës, lorsque certains textes privés, comme la Correspondance de Flaubert et de George Sand, étudiée par Bernard Bray, semi-publics comme les lettres de Céline et ses interviews que Luc Rasson a rassemblés, ou plus délibérément fictionnels, comme les oeuvres de Raymond Roussel dont Pierre Bazantay révèle certains arrière-plans, permettent de parler d'“auto-commémoration”, ainsi que cela fut souvent le cas au cours de ce colloque. Tout texte, inscrit dans le procès intertextuel, n'est-il pas, par ailleurs un jeu de mémoire, et un acte de co-mémoration ? C'est ce que révèle encore la typologie des titres analysés par Michelle Noailly, et selon une autre perspective, l'étude des Tombeaux romanesques chez Marcel Proust et Roger Martin du Gard présentée par Jean-François Massol.
6L'analyse de ces rituels, ostensibles ou déguisés, s'est révélée hautement heuristique, et a éclairé d'une lumière neuve les interrogations sur les rapports de la modernité et de la tradition, de la mémoire et de la création.
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