Chapitre III. Une pluralité de trajectoires
p. 75-109
Texte intégral
1La place consacrée par les historiens de la vie religieuse française aux carrières concordataires, envisagées comme la succession des postes occupés par un prêtre, demeure faible. Les rares analyses statistiques d’ampleur portent sur des diocèses étrangers1. La base de données constituée, qui permet de connaître les itinéraires cléricaux courants et le rythme des mutations de part et d’autre de la frontière linguistique, comble en partie cette lacune. Sous le régime concordataire, les prêtres diocésains exercent trois types de fonctions : les tâches paroissiales, qui occupent la majorité des ecclésiastiques, les fonctions non-paroissiales – professeurs, précepteurs ou aumôniers –, et les fonctions réservées à l’élite du clergé comme celle d’évêque, de vicaire général ou, à un degré moindre, de chanoine.
Le cursus honorum paroissial
2Le système hiérarchique mis en place par le Concordat modifie l’organisation paroissiale par rapport au xviiie siècle. Sous le régime concordataire, les paroisses sont desservies par trois types de prêtres : les vicaires, placés sous l’autorité d’un chef de paroisse, les recteurs, parfois appelés aussi desservants ou succursalistes, et les curés, placés à la tête des cures, lesquelles correspondent pour la plupart aux chefs-lieux de canton.
Le sas vicarial
3En Bretagne, « pays des vicaires » par excellence2, le vicariat est tout au long du xixe siècle, un point de passage presque obligé. Parmi les 1775prêtres devenant chefs de paroisse entre 1811 et 1905, seuls 4 % d’entre eux au maximum dans le diocèse de Saint-Brieuc et 2,6 % dans le diocèse de Vannes n’avaient jamais rempli cette fonction. La carrière de vicaire, prélude à celle de desservant, est par conséquent étroitement liée aux opportunités d’accès au rang de succursaliste3. Or, comme le montre le graphique ci-dessous, celles-ci fluctuent au cours de la période concordataire.
4Comme dans la plupart des corps de fonctionnaires, la rapidité de l’avancement et les perspectives de carrière sont liées à la morphologie du corps4. L’horizon se bouche ainsi brutalement pour les prêtres ordonnés dans les années 1820, ce qui se répercute sur le rythme des carrières paroissiales, comme le montrent les statistiques ci-après :
5Deux périodes peuvent être isolées au cours du xixe siècle. La première, qui va de la mise en place du Concordat au milieu du xixe siècle, correspond à l’augmentation de la durée moyenne d’attente pour devenir desservant. Dans les deux évêchés, l’attente d’un prêtre ordonné dans les années 1830 est le triple de celle d’un clerc devenu prêtre dans la première décennie du xixe siècle, sauf dans la partie gallèse du diocèse de Vannes, où le délai initial était supérieur. À partir de la fin du premier tiers du xixe siècle, les parcours du type de celui de Gilles Homo (1781-1821), ordonné en 1810, vicaire de Plumieux pendant six ans et desservant d’Illifaut à partir de 1816, sont révolus. À la manière d’Ange Tanguy (né en 1801) devenu prêtre en 1826, et recteur de Mérillac en 1850, les jeunes prêtres doivent désormais patienter plusieurs décennies comme vicaires. Cette évolution se ressent de part et d’autre de la frontière linguistique. Toutefois, les délais d’attente demeurent nettement inférieurs en Basse-Bretagne, particulièrement dans le diocèse de Saint-Brieuc, où le manque de prêtres bretonnants perdure.
6Note55
7La seconde phase, qui s’ouvre vers le milieu du xixe siècle, correspond à une période où la durée de l’attente n’évolue guère, et demeure exceptionnellement élevée, sauf pour les prêtres bretonnants de l’évêché de Saint-Brieuc. À titre de comparaison, les ecclésiastiques ordonnés entre 1830 et 1840 dans le diocèse du Mans, qui ne figure pas parmi les plus pauvres en prêtres, devenaient desservants en moyenne treize ans après leur ordination6. Le contraste est encore plus saisissant avec le jeune diocèse de Saint-Hyacinthe, au Québec, où 58 % des prêtres ordonnés entre 1821 et 1880 deviennent chef de paroisse avant leur quatrième année de prêtrise7 !
8La durée de vie moyenne d’un prêtre breton n’excédant guère 60 ans, le vicariat perd son caractère transitoire pour devenir une étape qui occupe plus de la moitié de la carrière d’un ecclésiastique. Au cours de la seconde moitié du xixe siècle, l’attente d’un poste de desservant ne diminuant guère, une rotation plus rapide est privilégiée par les deux administrations épiscopales. La carrière de Jean Le Clézio (1820-1884), prêtre francophone du diocèse de Saint-Brieuc, constitue un itinéraire de vicaire typique de cette époque. Il est envoyé comme vicaire à Plumieux entre 1848 et 1851, à Plouha entre 1851 et 1852, à Saint-Donan de 1852 à 1857, puis à Loudéac, avant de diriger la paroisse gallèse de Sainte-Anne-du-Cambout à partir de 1865. Si, dans le diocèse de Saint-Brieuc, la rotation accrue des vicaires peut être vue comme la conséquence de l’arrivée de Mgr Le Mée, elle intervient dans le diocèse de Vannes au cours du long épiscopat de Mgr de La Motte, signe que ces changements étaient nécessaires pour prévenir d’éventuelles frustrations ou pour éviter un attachement excessif à une paroisse ou à un confrère. Les mutations fréquentes rappellent au prêtre qu’il reste au service de l’Église, soumis à l’autorité de son évêque.
9Les disparités observées de part et d’autre de la limite linguistique se retrouvent dans les itinéraires des vicaires. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, le manque de prêtres bretonnants oblige l’évêque à limiter l’expérience vicariale avant de confier une paroisse à un jeune prêtre. En moyenne, les vicariats sont donc plus courts et moins nombreux pour les brittophones dans l’évêché de Saint-Brieuc tout au long de la période concordataire.
10Dans le diocèse de Vannes, le nombre moyen de vicariats occupés par un jeune prêtre avant sa promotion comme desservant est également inférieur en Basse-Bretagne. Une situation nouvelle apparaît toutefois à la fin du xixe siècle. Les ecclésiastiques bas-bretons ordonnés à partir des années 1860 demeurent dans un vicariat en moyenne deux ans de plus environ que leurs confrères gallos. La géographie paroissiale constitue peut-être un élément d’explication à cette fréquence de mutations plus lente. Les grandes paroisses du pays bretonnant requièrent probablement des ecclésiastiques qui connaissent le terrain tandis que la faible superficie de nombreuses paroisses gallèses génère plus facilement l’impatience et l’ennui. D’autre part, la répartition des clercs en Basse-Bretagne est plus difficile à réaliser qu’en Haute-Bretagne : les contrastes Armor/Argoat ou villes ouvrières/villes bourgeoises et l’existence de pays au particularisme culturel marqué comme la Haute-Cornouaille ou le Pays Pourlet limitent les mutations.
11Ces moyennes masquent toutefois d’importantes disparités. La mutation d’un vicaire ne correspond pas au fait qu’il ait atteint un seuil tem porel. Il n’existe pas de plan de carrière prédéfini pour l’ensemble du clergé. À l’exception des bretonnants du diocèse de Saint-Brieuc, dont les vicariats sont en moyenne plus courts, les prêtres vannetais et briochins ignoraient si leur placement correspondait à une parenthèse éphémère d’un ou deux ans dans leur carrière ou s’il signifiait le début d’une immobilité de plus de quinze ans. Cette incertitude renforçait encore le caractère discrétionnaire du pouvoir de l’évêque qui disposait de ses vicaires comme il l’entendait.
12Quelques ecclésiastiques, même, ne connaissent pas d’autres fonctions que le vicariat au cours de leur carrière. Dans l’évêché de Vannes comme dans celui de Saint-Brieuc, le pourcentage maximal de prêtres qui demeurent vicaires toute leur vie se trouve dans la génération ordonnée entre 1821 et 1830 (respectivement 31 % et 18 %). Souvent, la stagnation de la carrière s’apparente à une sanction. Guillaume Bertrand (1795-1866), ordonné en 1821, est par exemple interdit d’exercer tout ministère en 18578 alors qu’il est vicaire de Plestan depuis 34 ans. Joseph Sauvage (né en 1789), jugé comme un « sujet très médiocre9 » à sa sortie du séminaire en 1831 ne parvient pas davantage à obtenir de rectorat, après 28 années de sacerdoce comme vicaire. À partir de la génération ordonnée entre 1831 et 1840, la part des prêtres qui meurent vicaires décroît, sans toutefois passer sous les 10 %, d’autres horizons s’ouvrant aux prêtres qui se lassent d’une attente excessive. Cette stagnation massive et inconfortable des vicaires, est une des originalités des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes.
Le rectorat ou l’illusion de la stabilité
13L’augmentation de l’attente pour devenir recteur entraîne un vieillissement des desservants, comme le révèlent les graphiques présentés à la page suivante.
14À partir des années 1840, dans les deux évêchés, la plupart des nouveaux desservants sont des prêtres quadragénaires. Le rectorat tend alors à se transformer en fonction de fin de carrière, qui succède à un long vicariat. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, 95,5 % des prêtres qui deviennent desservants pendant la période concordataire quittent en effet un vicariat. Au fur et à mesure que les fonctions se diversifient dans le clergé, cette part baisse un peu au cours du xixe siècle, mais elle est encore de 83 % dans la décennie 1891-1900. Cette proportion ne descend également jamais sous 80 % dans l’évêché de Vannes.
15Les graphiques ci-dessus traduisent en outre la standardisation des rythmes de carrières paroissiales au cours du xixe siècle. Alors qu’une nomination précoce ou tardive à la tête d’une succursale est toujours possible au début de la période concordataire, elle devient rare au fil des décennies. Un système de promotion à l’ancienneté, qui exclut toutefois les mauvais vicaires, semble alors se mettre en place, peut-être pour limiter l’impatience des jeunes prêtres et ne pas leur donner le sentiment d’injustice. Dans la seconde moitié du xixe siècle, le bon prêtre est davantage récompensé par une bonne paroisse que par une promotion rapide à un rectorat.
16Quelle que soit l’époque, au moins 75 % des prêtres concordataires étudiés ne desservent pas plus de deux paroisses dans leur carrière. Cette relative stabilité n’est toutefois qu’apparente. L’âge moyen du décès des prêtres des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc demeurant proche de 60 ans sur l’ensemble de la période concordataire, le temps passé par un ecclésiastique au rang de desservant diminue à mesure que le délai pour accéder à cette fonction augmente. La durée moyenne d’un même rectorat tend ainsi à se réduire, comme le montre la comparaison de deux générations de recteurs :
17Même si aucune règle ne semble prévaloir quant à la cadence des mutations, le temps moyen passé dans un même rectorat est environ deux fois moins important pour un succursaliste qui entre en fonction entre 1860 et 1869 que pour un desservant muté de 1830 à 1839. La conjoncture ne rendant pas inéluctable une telle évolution, il semble qu’il faille surtout y voir une emprise croissante de l’épiscopat sur le clergé. Le climat de suspicion créé par l’opposition entre un clergé ultramontain et des évêques gallicans10, le poids des municipalités et des notables qui sollicitent des mutations sous la IIIe République limitent en outre les longs rectorats. L’itinéraire de Julien Le Potvin (1826-1883), qui est successivement vicaire de Ploërdut entre 1850 et 1853, de Bubry de 1853-1867, et desservant de Locmalo (1867-1871) puis de Noyal-Pontivy (1871-1883), est ainsi particulièrement représentatif des carrières paroissiales de la seconde moitié du xixe siècle.
18Pour les prêtres qui avaient gravi sans encombre les premières marches du cursus honorum paroissial et s’étaient fait remarquer positivement par leurs supérieurs, demeurait l’espoir d’être nommé à la tête d’une cure. Davantage encore qu’une promotion rapide à un rectorat, l’accès à la fonction de curé signifiait au xixe siècle la réussite de la carrière.
Curé : le couronnement de la carrière paroissiale
19La nouvelle hiérarchie paroissiale issue du Concordat établit 37 cures dans le diocèse de Vannes, dont 14 francophones et 23 bretonnantes, et 48 dans le diocèse de Saint-Brieuc (24 en Haute comme en Basse-Bretagne, en tenant compte de la cure d’Étables ajoutée en 1821). Dans le diocèse de Vannes et de Saint-Brieuc, respectivement 8,7 et 11,8 % des ecclésiastiques ordonnés entre 1802 et 1880 deviennent curés pendant la période concordataire. La forte densité de cures en Bretagne permet toutefois à un pourcentage de prêtres légèrement supérieur à celui d’autres diocèses de devenir curé. Dans le diocèse de Belley, à la population cléricale pourtant moins nombreuse, seuls 6,7 % des ecclésiastiques ordonnés entre 1823 et 1904 peuvent par exemple se prévaloir de cet honneur11.
20La faible part des ecclésiastiques distingués se conjugue à l’inamovibilité de la fonction pour faire du poste de curé un statut envié et recherché. Y accéder était d’autant plus un honneur réservé à l’élite du clergé paroissial que la nomination intervenait souvent après plusieurs décennies de prêtrise, comme le montre le tableau ci-dessous.
21Le déficit de prêtres dans les deux premières décennies du xixe siècle se lit dans l’accès relativement rapide à la fonction de curé jusqu’à la fin des années 1820. Comme pour les desservants, les promotions sont retardées dès les années 1830 et la mobilité ralentit à partir des années 1840 de part et d’autre de la limite linguistique. Le profil du futur titulaire évolue. Alors que les promotions rapides des années 1810 et 1820 avaient entraîné les nominations de plusieurs curés trentenaires – ce dont la structure par âge de 1827 porte la trace – la structure par âge de 1857 révèle que, trente ans plus tard, le curé est souvent un prêtre âgé de plus de 50 ans (cf. l’annexe n° 3).
22Trois fois sur quatre, un rectorat précède l’accès à une cure, comme le montrent les statistiques ci-après :
23Note1212
24L’itinéraire passé du nouveau curé ne diffère guère d’un bout à l’autre du xixe siècle. Néanmoins, quelques évolutions sont sensibles dans le temps : les nominations de vicaire au rang de curé deviennent rares à partir de la fin des années 1830 – les évêques préférent alors promouvoir des prêtres ayant déjà dirigé une paroisse13 – et la fréquence des passages de l’enseignement à la gestion d’une cure augmente. Ce changement ne résulte pas d’une politique nouvelle ; il est davantage la conséquence de la place plus importante des professeurs, professeurs et économes dans le clergé diocésain, à mesure que la direction d’établissements scolaires est confiée à des prêtres.
25L’inamovibilité de la fonction donne au curé une stabilité qui tranche avec l’incertitude pesant sur les vicaires et les recteurs. Parmi les 241 prêtres devenus curés entre 1802 et 1905 dans le diocèse de Vannes, 220 n’occupent qu’un seul poste ; vingt sont changés de cure une fois, et un seul deux fois. Les proportions sont similaires dans le diocèse de Saint-Brieuc : 277 curés restent fidèles à leur paroisse sur 328, tandis que 48 occupent deux postes de curés et trois prêtres passent dans trois cures différentes. Les rares mutations de curés se font à la demande de ceux-ci. Jean-François Le Jan (1791-1860), lassé par la lutte pour l’indépendance des trèves de Bégard, dont il était curé depuis quinze ans, sollicita son changement auprès de l’évêque et fut nommé curé de Perros-Guirec en 183814. Jean-Louis Le Goueff (1812-1871), fatigué de parcourir l’immense cure de Sarzeau, manifesta aux vicaires capitulaires son désir de la quitter et obtint également satisfaction en étant envoyé dans la ville d’Auray en 186515.
26Pour quelques rares prêtres, la fonction de curé ne marque pas la fin de la carrière. La plupart deviennent alors chanoines (13 cas dans le diocèse de Saint-Brieuc, 12 dans celui de Vannes), ce qui s’apparente à une mise à la retraite honorifique. Pour d’autres, devenir curé peut être un excellent tremplin, comme le montrent les itinéraires de Louis Épivent (1805-1876) et de Jean-Louis Mando (1850-1900), deux curés de la cathédrale de Saint-Brieuc devenus respectivement évêque d’Aire et Dax en 1859 et d’Angoulême en 1899. Leur parcours illustre le caractère stratégique de l’obtention de la cure de la cathédrale, qui permet de se faire apprécier de la bourgeoisie urbaine et d’étendre ses réseaux. Jean-Louis Mando pouvait en outre bénéficier de l’appui de son frère Eugène, élu député en 1898. Qualités personnelles, activité féconde, réseaux de relation : les exemples proposés laissent entrevoir les facteurs de distinction au cours de la période concordataire.
27Le cursus honorum paroissial est donc gravi de deux façons différentes de part et d’autre de la fin du premier tiers du xixe siècle : aux promotions rapides de la première partie de la période concordataire, succède l’allongement des attentes, conjugué à l’instabilité accrue. Le rythme d’avancement dans la carrière paroissiale est alors sans doute l’un des plus lents de France. Jacques-Olivier Boudon évoque dans le Dictionnaire du second Empire la masse des desservants en attente d’une cure16. Pour les diocèses de Saint Brieuc et de Vannes, il faudrait plutôt parler des cohortes de vicaires qui espèrent devenir recteur, même si l’engorgement est moins spectaculaire dans la partie brittophone du premier.
28La multiplication des fonctions non-paroissiales, qui offrait de nouveaux itinéraires, permit de limiter quelque peu le blocage des carrières.
L’exercice de fonctions non-paroissiales
29En mettant de côté les postes de direction occupés par l’élite du clergé et qui méritent à cet égard un traitement particulier, il existe trois types de fonctions non-paroissiales : précepteur ou chapelain au service d’un particulier, professeur ou surveillant dans une structure éducative, et aumônier auprès d’une communauté. L’absence de hiérarchie clairement établie entre elles différencie ces fonctions, qui n’ont pas vocation à se succéder les unes aux autres, à la différence des postes paroissiaux. Au xixe siècle, il n’existe donc pas de « carrière non-paroissiale », comme il y a une carrière paroissiale, marquée par différents échelons identifiables. Connaître les fonctions paroissiales suppose donc de savoir, pour chaque type de poste, à quel moment il s’insère dans l’itinéraire du prêtre et ses répercussions sur celui-ci.
Le service d’une famille
30Les ecclésiastiques employés par un particulier se divisent entre chapelains, chargés de dire la messe dans une chapelle privée et d’accompagner spirituellement la famille propriétaire, et précepteurs, dont la fonction consiste à assurer l’éducation d’un ou de plusieurs enfants.
31Dans le diocèse de Saint-Brieuc, le placement de prêtres au service d’une famille semble atteindre son apogée dans les années 1870-1880 (26 % des nominations recensées se font au cours de cette décennie). Le diocèse de Vannes confirme cette chronologie puisque neuf des vingt précepteurs retrouvés sont nommés au cours des années 1880. Deux principaux facteurs expliquent cette chronologie. Le premier est les perspectives de carrière. La fréquence des placements comme précepteur ou chapelain augmente brutalement dans les années 1830, quand les jeunes prêtres ordonnés voient la perspective d’une promotion rapide s’éloigner. Elle atteint ensuite un seuil minimal dans les années 1850, soit quand le départ de la génération ordonnée sous la Restauration libère de nombreux postes, et croît jusque dans les années 1870, au cours de laquelle sont ordonnés les jeunes clercs qui connaissent le plus long délai d’attente pour devenir desservant au cours du xixe siècle. Le préceptorat est donc un moyen pour les évêques de limiter l’engorgement des carrières paroissiales.
32Le second facteur explicatif est la conjoncture politique. La demande d’ecclésiastiques de la part des familles semble maximale au début de la IIIe République. Or, la plupart d’entre elles sont anti-républicaines. Sur 66 familles identifiées, 46 au moins appartiennent à l’aristocratie. La consultation des listes de membres de l’Association bretonne17 – une association conservatrice qui promeut l’agriculture et l’archéologie – révèle en outre qu’au moins 19 d’entre elles en font partie. Pour elles, la présence d’un ecclésiastique à leur service est un signe de distinction et l’affirmation d’une culture chrétienne contre la République18.
33Sur les 125 précepteurs et chapelains dont le lieu d’exercice est connu, 22 % sont placés hors de leur diocèse d’origine, à l’instar du Dinannais Jean-Louis Caharel (1852-1913), futur supérieur du grand séminaire de Saint-Brieuc, qui passe dans le diocèse d’Orléans au service d’une famille originaire de la même paroisse que lui19. Ceux qui restent dans le diocèse de Saint-Brieuc sont très inégalement répartis sur l’ensemble de l’évêché, 78 % des précepteurs et des chapelains recensés qui exercent dans le diocèse de Saint-Brieuc « desservant » en effet des familles qui vivent en Haute-Bretagne. Hénon, au sud de Saint-Brieuc, est la paroisse qui reçoit le plus grand nombre de précepteurs et de chapelains. Les familles Lorgeril, Catuélan et Gouzillon de Bélizal, emploient au moins douze précepteurs et chapelains au cours du xixe siècle. Cette dernière semble s’attacher le service d’un prêtre en son château des Granges sans discontinuer de 1854 à 1886, date à laquelle Pierre Amice (1850-1928) est chargé de l’éducation du jeune fils de Louis, lequel était conseiller général depuis 1872 et député royaliste depuis 187620.
34Le contraste géographique est encore plus fort chez les précepteurs, qui sont à 90 % des ecclésiastiques nés dans le pays gallo. En nommant des Hauts-Bretons dans des familles, l’évêque de Saint-Brieuc absorbe une partie de l’excédent de prêtres dans cette partie de son diocèse. En revanche, le service des paroisses exige l’emploi de la plupart des Bas-Bretons. En outre, dans un contexte où l’intégration sociale passe par le français, un précepteur haut-breton est probablement préféré à un brittophone. Les autorités diocésaines n’hésitent alors pas à envoyer des Gallos au service de familles de Basse-Bretagne. Jules Loizel (1857-1927), d’Hénanbihen, est ainsi précepteur à Ploubezre de 1881 à 1884, chez Huon de Pénanster, un député de droite de 1871 à 1881 qui devient sénateur à partir de 1886.
3571 % des ecclésiastiques briochins nommés précepteurs ou chapelains sont placés dès la sortie du séminaire dans la famille qui sollicite leur venue. Pour eux, la fonction s’apparente davantage à un poste d’attente qu’à un tremplin vers une promotion remarquable, car 78 % rejoignent ensuite le ministère paroissial au rang de vicaire. C’est également le cas de dix des seize précepteurs recensés dans le diocèse de Vannes. Les prêtres briochins ne passent en effet que 3,3 ans en moyenne dans un préceptorat, ce qui ne leur permet pas de prétendre à des postes à responsabilité. Le précepteur type est ainsi incarné par Mathurin Chatton (1815-1855) : dès son ordination en 1842, il est placé au service de la famille Saint-Méloix de Taden, où il reste jusqu’en 1845, date à laquelle il est nommé vicaire de Pluduno.
36Le passage par un poste de précepteur ne préjuge en rien de la qualité du prêtre et de sa carrière future, mais il semble que les prêtres placés dans des familles illustres connaissent par la suite une carrière brillante. Jacques Daniel (1838-1909) par exemple, après avoir été précepteur chez le général de Goyon de 1861 à 1863, devient vicaire de la cathédrale, secrétaire de l’évêché, supérieur du petit séminaire de Tréguier puis curé de Dinan-Saint-Sauveur de 1874 à 1909. Un double effet se conjugue probablement. L’évêque prend soin de nommer des jeunes prêtres talentueux dans les familles influentes et celles-ci savent promouvoir les mérites des bons précepteurs auprès de leur hiérarchie.
37Généralement bref, placé en début de carrière et débouchant sur le ministère paroissial, le préceptorat ou le service d’une chapelle privée s’apparente à un vicariat, l’expérience paroissiale en moins. Il ressemble ainsi à la plupart des fonctions exercées dans un établissement d’enseignement.
Exercer dans une structure éducative
38Comme l’envoi d’ecclésiastiques dans des familles, le placement de clercs dans l’enseignement permet d’absorber une partie de l’excédent de prêtres. Mais le nombre d’ecclésiastiques employés dans les établissements scolaires confère à ce placement un rôle d’amortisseur autrement plus important. Au total, au moins 33,1 % du clergé briochin et 17,4 % des prêtres vannetais ordonnés pendant la période concordataire ont été nommés dans des écoles ou des séminaires. Leur part est probablement supérieure encore, en raison des cas qui échappent lors de la reconstitution des carrières.
39Les chiffres proposés dans le tableau de la page suivante, à défaut d’être le miroir exact de la réalité, permettent de mettre en avant l’inégal recours aux prêtres dans les établissements scolaires selon la période et l’évêché.
40Dans le diocèse de Vannes, le nombre de prêtres employés dans l’enseignement est en augmentation régulière mais demeure toujours inférieur au nombre recensé dans l’évêché de Saint-Brieuc. Jusque dans les années 1870, il ne possède qu’un petit séminaire, lequel n’est aux mains du clergé diocésain que depuis 1828. Par ailleurs, les établissements secondaires ouverts après l’adoption de la loi Falloux, de taille plus modeste que dans le diocèse de Saint-Brieuc, exigent peu de moyens humains. Le nombre de professeurs augmente brutalement à la fin de la période concordataire pour couvrir les besoins du nouveau petit séminaire de Ploërmel et de Saint-François-Xavier de Vannes où les prêtres font leur retour à partir de 1880.
41Dans le diocèse de Saint-Brieuc, l’augmentation du nombre d’ecclésiastiques exerçant une fonction dans une structure éducative est beaucoup moins linéaire. Le placement dans un séminaire ou une école secondaire y régule les flux d’ecclésiastiques qui attendent un poste paroissial. Il évite de laisser les prêtres dans l’oisiveté et les maintient dans une atmosphère studieuse qui répond au désir de science en vigueur dans le clergé dans la deuxième moitié du xixe siècle.
42La présence de prêtres dans l’enseignement primaire est à l’inverse relativement rare. Deux expériences pédagogiques nouvelles méritent néanmoins d’être signalées : dans le diocèse de Saint-Brieuc, trente-neuf prêtres au moins exercèrent leur ministère dans une maison pour les sourds et muets, fondée par Samson Garnier dans les années 1830, et le diocèse de Vannes est l’évêché breton où apparaissent les vicaires-instituteurs21 (19 cas recensées entre 1894 et 1905). L’enseignement dans le primaire est généralement une fonction de transition, qui comble l’attente entre l’ordination et la nomination à un vicariat.
43La plupart des prêtres employés dans une structure éducative se rencontrent dans l’enseignement secondaire, dans lequel ils sont surtout appelés à remplir la charge de maître d’études ou de professeur. Les maîtres d’études ou surveillants se rencontrent presque exclusivement dans la deuxième moitié du xixe siècle et ont un début de carrière stéréotypé. La fonction de surveillant est fréquemment confiée au jeune clerc avant son ordination et constitue une transition entre les années d’études et le ministère sacerdotal. Une fois ordonnés, les prêtres échappent dès qu’ils le peuvent à cette tâche ingrate. Ils ne restent ainsi qu’un ou deux ans en poste, occasionnellement trois. Un poste de vicaire les attend ensuite presque systématiquement. Julien Garel (1848-1887), maître d’études au petit séminaire de Dinan avant son ordination, en 1872, puis vicaire à Pléven en 1873, suit ainsi l’itinéraire type des maîtres d’études. Seule une dizaine de prêtres sur plus de 300 maîtres d’études échappe à ce schéma, la plupart devenant alors professeur dans le même établissement.
44La carrière des professeurs placés dans l’enseignement secondaire, si elle n’en est guère éloignée, est toutefois moins stéréotypée, comme le montre le tableau à la page suivante.
45Comme dans le diocèse de Belley22, le temps moyen passé par un enseignant à un même poste dans l’enseignement secondaire diminue au cours de la période concordataire. La multiplication du nombre d’enseignants permet une rotation rapide. Les autorités diocésaines privilégient progressivement un roulement qui donne de la variété aux itinéraires des jeunes prêtres en attente d’une paroisse plutôt que la construction d’une équipe stable menant l’établissement pendant plusieurs décennies. L’idée selon laquelle la majorité des professeurs fait toute sa carrière dans l’enseignement, développée par Pierre Pierrard23, ne correspond donc pas à la réalité observée dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes.
46À l’issue du professorat, deux types d’itinéraires sont possibles. L’entrée rapide dans le ministère paroissial, au rang de vicaire, est la voie la plus fréquente. La carrière de François Dubreuil (1830-1907), ordonné en 1855 alors qu’il est déjà professeur au petit séminaire de Dinan, vicaire de Saint-Potan de 1860 à 1874 et recteur de Lancieux puis de Créhen, en est une illustration. Il représente la carrière type de centaines de prêtres des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes dans la deuxième partie du xixe siècle, pour qui le sas professoral s’ajoute au sas vicarial. Le diocèse de Vannes fait toutefois exception dans la première moitié du xixe siècle, le maintien en poste de professeurs pendant plus de dix ans, conjugué à des possibilités de pro motion plus rapide, permettant à certains prêtres de devenir directement desservant.
47À la différence des enseignants qui intègrent rapidement le ministère paroissial, ceux qui demeurent professeurs plusieurs années peuvent espérer une promotion intéressante, surtout s’ils ont déjà une expérience de vicaire. En 1882, Mathurin Le Provost (1846-1906), dont la carrière se résume alors à douze ans d’enseignement au petit séminaire de Plouguernével, de 1870 à 1882 cumulés à quatre ans de vicariat, est nommé secrétaire de l’évêché en 1882 puis vicaire général en 1886. Il faut sans doute voir ici la promotion d’un intellectuel. Ses propres professeurs louaient en effet ses « dis positions pour les études ecclésiastiques » et ses « talents » tout en regrettant sa voix « faible » et son comportement « un peu raide et géné » dans les cérémonies24. Avant de devenir évêque de Quimper et de Léon, Adolphe Duparc (1857-1946) était resté 18 ans comme professeur au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray, entre son ordination et sa nomination à la cure de Lorient en 1895. Après avoir enseigné pendant plus de dix ans, un professeur est en général récompensé au minimum d’un rectorat.
48Si l’expérience de professeur dans le secondaire peut être un atout pour la carrière, le passage comme enseignant au grand séminaire forme un tremplin autrement plus prononcé. La plupart des professeurs qui entrent au séminaire sont expérimentés mais néanmoins jeunes. Leur nomination à ce poste intervient en moyenne 5,7 ans après leur ordination dans le diocèse de Vannes et 6,5 ans dans le diocèse de Saint-Brieuc. Ce délai a l’avantage de donner un surcroît de maturité aux futurs professeurs avant de les confronter à des séminaristes, sans toutefois risquer un conflit idéologique générationnel.
49Le profil des professeurs nommés dans les grands séminaires ne diffère pas au cours du xixe siècle. Le diocèse de Saint-Brieuc s’appuie sur ses petits séminaires et ses collèges d’où il extrait les meilleurs enseignants. 34 % des professeurs du grand séminaire proviennent des établissements secondaires tandis que 31 % quittent un vicariat. La pratique est différente dans le diocèse de Vannes où les anciens vicaires représentent 73,3 % des professeurs nommés au grand séminaire, les anciens enseignants du secondaire ne formant que 8,9 % des effectifs.
50La durée pendant laquelle les professeurs restent en place varie peu d’un diocèse à l’autre : 7,4 ans à Saint-Brieuc, 7,7 ans à Vannes. Jeunes, en fonction pour une durée généralement comprise entre cinq et neuf ans, le profil des enseignants du grand séminaire de ces deux évêchés bretons est semblable à celui des professeurs du grand séminaire de Strasbourg25. À l’issue de ce passage au grand séminaire, une carrière prestigieuse attend la plupart des enseignants :
51L’importance des desservants dans les deux diocèses ne doit pas tromper. Cette nomination vise généralement à donner une expérience paroissiale à l’enseignant avant de l’appeler à une cure. Louis Picaud (1806-1883) passe ainsi deux ans comme desservant de Limerzel de 1855 à 1857 avant de devenir curé de Guer. Les professeurs de grand séminaire fournissent en outre un vivier de qualité pour les évêques à la recherche de prêtres susceptibles de diriger un collège ou un séminaire.
52L’impact du passage dans une école pouvait ainsi varier d’un prêtre à l’autre selon la fonction occupée, l’établissement et la stabilité de l’ecclésiastique. Offert aux clercs intellectuellement dignes de la fonction, le professorat était un tremplin pour la suite de la carrière. Les aumôneries pouvaient elles aussi conduire aux postes plus prestigieux, par un chemin plus reposant.
Le service d’une communauté
53L’évolution numérique des aumôniers au service d’une communauté civile ou religieuse suit la même courbe que celle des professeurs. En 1805, l’état ecclésiastique du diocèse de Vannes ne mentionne le nom que d’un aumônier, Jean-Marie Dano (1761-1833), aumônier de l’hospice de Lorient26. Leur nombre augmente ensuite régulièrement tout au long du xixe siècle, passant à 14 en 183527, à 32 en 1863, puis à 49 en 1892, avant de décroître légèrement pour descendre à 41 en 190528. Le diocèse de Saint-Brieuc en compte pour sa part 9 en 1812, 20 en 1838, 34 en 1867 et 62 en 1888 ; les effectifs d’aumôniers, limités à 45 ecclésiastiques en 1905, y connaissent aussi une petite diminution à la fin de la période concordataire29.
54Pour les aumôniers comme pour les professeurs, cette augmentation résulte de la concordance de deux facteurs, qui touchent l’offre et la demande. La modification du paysage religieux30 entraîne l’apparition de nouveaux besoins au moment où les évêques cherchent des débouchés pour les prêtres en attente d’une nomination.
55Le profil des aumôniers, sans être bouleversé, évolue au fil du siècle, comme le montre le tableau statistique ci-après.
56Au début de la période concordataire, l’aumônier est un prêtre jeune. Pour 17 prêtres briochins, c’est même le premier poste à la sortie du séminaire. Le temps qui sépare l’ordination de l’entrée en fonction comme aumônier s’allonge ensuite. De plus en plus, la fonction d’aumônier devient une sortie de carrière, même si ce n’est jamais automatique. Les quatre aumôniers qui se succèdent à l’hôpital de Vannes de 1850 à 1888 ont ainsi 5, 11, 31 et 18 ans de sacerdoce.
57La fonction d’aumônier, fréquemment cumulée avec celle de vicaire au début du xixe siècle, nécessitait des prêtres susceptibles d’accomplir un travail soutenu, donc plutôt jeunes. Ensuite, la dissociation des deux charges est fréquente et les aumôneries deviennent des havres de repos pour les ecclésiastiques fatigués, comme le curé de la paroisse Saint-Malo de Dinan, Pierre Gaultier (né en 1832), qui devient aumônier d’une communauté de religieuses en 1896 en raison du mauvais état de sa santé31.
58Une fois nommés, les aumôniers restent à la même place environ dix ans en moyenne, soit une à deux années de plus que les professeurs. Leur stabilité s’érode quelque peu à la fin de la période concordataire, en raison de l’augmentation des décès en fonction, consécutive au vieillissement des aumôniers à leur nomination. Mais ici encore, l’adaptation prévaut : un prêtre qui souhaite finir sa carrière comme aumônier en a l’opportunité tout au long du xixe siècle, mais le déplacement peut intervenir rapidement si l’administration épiscopale pense qu’il serait plus utile ailleurs.
59Pour les prêtres qui poursuivent leur carrière après avoir été aumônier, cette expérience constitue un bon ascenseur :
60Quels que soient l’établissement ou la congrégation fréquentée et la période d’exercice, le rectorat est le destin le plus fréquent des aumôniers qui quittent leur poste. François Le Guyader (1844-1899), trop jeune pour diriger une paroisse après dix années d’enseignement et deux ans de vicariat, est en revanche promu recteur de Merville en 1887, après avoir été aumônier de l’hôpital de Lorient pendant huit ans. Les aumôniers de l’armée de terre, peu nombreux dans des diocèses qui fournissent principalement des aumôniers de marine, peuvent également espérer un rectorat à leur sortie de fonction, si celle-ci intervient en début de carrière. Le service des armées servit ainsi de tremplin entre le vicariat et le rectorat pour Louis Dupré (1848-1911), aumônier militaire à Dinan de 1898 à 1904. Mais les aumôneries ne conduisent pas de façon certaine vers une promotion. Le placement comme aumônier de quelques prêtres qui font scandale montre que la nomination à une aumônerie peut être aussi une mise à l’écart.
61Ainsi, même si aucun modèle ne régit l’ensemble des carrières, quelques tendances se dégagent : le préceptorat, la surveillance et l’enseignement dans le secondaire ont la même répercussion dans la carrière qu’un vicariat, tandis que les professeurs de grand séminaire et les aumôniers peuvent espérer une place prestigieuse à la fin de leur fonction. Pour les prêtres concordataires, les fonctions non-paroissiales forment rarement un objectif à atteindre. La plupart finissent leur carrière comme recteur ou curé de paroisse. Pour eux, la multiplication des fonctions non-paroissiales au cours du xixe siècle a constitué une alternative au vicariat, et a permis de leur donner progressivement plus d’autonomie et de responsabilités. Pour une minorité jugée particulièrement compétente, l’exercice de fonctions non-paroissiales a en outre pu constituer une opportunité de se distinguer et d’accéder aux plus hautes fonctions.
L’élite du clergé
62Dans le diocèse de Saint-Brieuc comme dans celui de Vannes, la composition des conseils épiscopaux est largement inconnue. Les comptes rendus des séances32, très inégaux, ne révèlent que rarement la liste des membres : les deux vicaires généraux, trois chanoines, les deux curés briochins et le supérieur du grand séminaire sous l’épiscopat de Mgr Le Mée, les deux vicaires généraux et les chanoines Souchet et Le Breton sous l’épiscopat de Mgr Martial, et les deux vicaires généraux, quatre chanoines et les deux curés briochins sous l’épiscopat de Mgr Bouché, dans les années 1880. Ces rares exemples révèlent qui sont les prêtres appartenant à l’élite du clergé : les curés de Saint-Brieuc – précédemment étudiés en fonction de leur appartenance au clergé paroissial – les supérieurs, les chanoines et les membres de l’administration diocésaine.
Les supérieurs d’établissements scolaires
63D’emblée, les fonctions de supérieur et de directeur doivent être différenciées. Au xixe siècle, le terme de directeur désigne en effet un professeur chargé d’encadrer moralement et religieusement les élèves et non un clerc responsable des destinées d’un établissement. Seul le supérieur, qui garde autorité sur les directeurs et les professeurs, peut ainsi sans conteste être intégré dans l’élite diocésaine.
64Le profil des supérieurs varie quelque peu selon l’établissement qu’ils dirigent. L’expérience semble avoir été un critère déterminant dans le choix des prêtres à la tête des grands séminaires. Dans les deux diocèses, les supérieurs d’écoles secondaires avaient en moyenne 15 années de prêtrise avant de se voir confier les rênes d’un établissement. Pour les sept supérieurs du grand séminaire de Saint-Brieuc, 21,1 années séparent leur nomination à ce poste de leur ordination. Au grand séminaire de Vannes, les supérieurs ont en moyenne 19 années de sacerdoce lors de leur entrée en fonction. Du début à la fin du xixe siècle, leur ascension se fait à une vitesse similaire.
65Quel que soit leur établissement d’exercice, les supérieurs sont pour la plupart d’anciens professeurs (cf. le tableau ci-après).
66Les supérieurs sont avant tout recrutés parmi l’élite des professeurs. Au total, au moins 76,5 % des supérieurs du diocèse de Saint-Brieuc et 86,2 % de ceux ayant dirigé les établissements vannetais ont eu au préalable une expérience dans l’enseignement sous le régime concordataire. Choisir un prêtre à la tête d’un séminaire est donc un moyen pour l’évêque de récompenser les professeurs les plus méritants. Pierre Mando (1810-1896), au caractère « excellent, ingénu, uniforme », à la « très bonne » piété et au « bon jugement33 » est le modèle du bon prêtre au milieu du xixe siècle, époque au cours de laquelle il fait carrière au petit séminaire de Tréguier. Si l’évêque a en théorie un pouvoir discrétionnaire sur les nominations de supérieurs, il consacre souvent un état de fait qui conduit l’un des professeurs à se distinguer des autres, que ce soit par son charisme ou par son expérience. Un recrutement endogène permet en outre de confier la responsabilité d’un établissement à un clerc qui connaît l’école ou le séminaire pour l’avoir fréquenté.
67Toutefois, davantage encore pour les supérieurs que pour les autres fonctions, tout déterminisme est à exclure. Alors que les carrières paroissiales se standardisent quelque peu au fil du siècle, les itinéraires des supérieurs diffèrent fortement d’un individu à l’autre. Plus qu’un profil de carrière, les évêques veulent des hommes de confiance. L’arrivée ou le départ d’un prêtre à la tête d’un séminaire dépend ainsi de sa proximité intellectuelle ou politique et de la qualité de ses relations avec l’évêque, comme le montre l’exemple de l’affaire Jaffré au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray. Jean Jaffré (1819-1896), un ecclésiastique aux qualités intellectuelles remarquables, avait été nommé supérieur en 1851 à la mort de Jean-Marie Le Blanc, un autre esprit brillant dont il était le bras droit34. En choisissant un proche parmi les professeurs, Mgr de La Motte rendait ainsi hommage au supérieur précocement disparu. Mais en 1863, une grave crise éclata entre l’ultramontain Jean Jaffré et son évêque bonapartiste Mgr Dubreuil. Les querelles personnelles se superposèrent aux divergences politiques et ecclésiologiques35.
68Devant l’ampleur de la fronde qui gagnait, l’évêque choisit d’épurer l’en semble du personnel du petit séminaire. Un homme neuf, venu de l’extérieur, avec une expérience lui donnant l’autorité pour relever l’établissement de l’épreuve, s’imposait : Joseph Kerdaffrec (1827-1909), ancien professeur du grand séminaire et aumônier d’une communauté religieuse, fut nommé supérieur en 1863. Le choix d’un Cornouaillais, à défaut d’être volontaire, était une heureuse coïncidence. En nommant un homme issu d’une partie culturellement et religieusement à part dans le diocèse, l’évêque renforçait la rupture. Ce choix se retourna contre son successeur gallo, Mgr Bécel, qui reçut la démission de l’abbé Kerdaffrec, lequel ne supportait pas les faveurs du nouvel évêque envers les Hauts-Bretons36. La durée pendant laquelle les supérieurs restent en fonction (en moyenne de 10 ans dans le diocèse de Saint-Brieuc et de 9 dans celui de Vannes) fluctue donc en fonction des décès, des sanctions ou du souci de maintenir une direction stable à la tête d’un établissement.
69Le sentiment de domination exprimé par Joseph Kerdaffrec n’était pas infondé. Dans le diocèse de Vannes, sur 25 supérieurs entrés en fonction pendant la période concordataire dont l’origine géographique est connue, quinze sont originaires de la Haute-Bretagne. Le déséquilibre est d’autant plus flagrant que, numériquement, les Bretonnants sont plus nombreux et que le petit séminaire de Ploërmel est le seul établissement scolaire de Haute-Bretagne dirigé par les prêtres pendant plusieurs décennies. Parmi les dix bretonnants, figurent de surcroît quatre Lorientais et deux prêtres natifs de Port-Louis, deux villes basses-bretonnes où le bouleversement démographique et social a conduit à l’effacement progressif du breton au profit du français.
70Le même choix délibéré de favoriser l’essor des élites francophones est visible dans le diocèse de Saint-Brieuc. Les bretonnants ne sont que treize sur les 46 supérieurs qui se sont succédé pendant la période concordataire ; aucun n’a dirigé le grand séminaire. D’une part, le sous-recrutement chronique en Basse-Bretagne a probablement encouragé les évêques à puiser parmi les Gallos pour occuper les postes dans l’enseignement. D’autre part, les bretonnants conservent un déficit d’image dans l’esprit de la plupart des évêques francophones. La différence culturelle engendre une méfiance, renforcée par l’indiscipline et l’esprit frondeur de nombreux prêtres bretonnants.
71Dans les deux diocèses, la fonction de supérieur de grand séminaire marque l’apothéose de la carrière locale. Jean-Marie Dubois-Saint-Sévrin (1799-1852), successivement professeur au petit séminaire de Plouguernével, vicaire, professeur au grand séminaire, recteur, curé de Quintin de 1837 à 1841 puis supérieur du grand séminaire jusqu’à sa mort, incarne parfaitement l’itinéraire type des prêtres nommés à cette fonction. En 19 ans, il connaît une ascension remarquable, bénéficiant de la promotion à l’épiscopat de Mgr Le Mée, avec qui il avait noué des liens d’amitié alors que tous les deux étaient professeurs au grand séminaire.
72Les deux seuls postes occupés par les supérieurs des grands séminaires de Vannes et de Saint-Brieuc à leur sortie de fonction sont le vicariat général (2 cas), proposé par exemple en 1898 à Pierre-Emmanuel Dieulangard (né en 1845), un ardent défenseur des œuvres sociales, ou le canonicat (4 cas). De telles mutations sont également possibles pour les supérieurs d’établissements secondaires (2 vicaires généraux et 2 chanoines dans le diocèse de Saint-Brieuc). Mais une nomination dans le clergé paroissial est leur destin le plus fréquent (15 cas dans le diocèse de Saint-Brieuc, 10 dans celui de Vannes).
73L’évaluation de leur action se lit dans leur trajectoire. Les supérieurs indésirables, comme Jean Jaffré ou Pierre Ropers, critiqué par les enseignants de Plouguernével qui se plaignent des relâchements dans la discipline intérieure, sont conduits vers de modestes succursales. Les plus méritants sont ordinairement récompensés par une belle cure où ils peuvent finir leurs jours. La carrière de Mathurin Macé (1801-1862) offre un parfait exemple d’ascension régulière : vicaire à Pleslin en 1827, puis aumônier des ursulines de Dinan de 1838 à 1842, il est alors promu recteur de Pléhérel ; en 1847 il devient supérieur du petit séminaire de Dinan avant d’être nommé, à 60 ans, curé de Ploubalay où il s’éteint un an plus tard. Jean-Charles Charil de Ruillé est son équivalent dans le diocèse de Vannes : vicaire de Lorient, professeur au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray puis supérieur de 1841 à 1849, il finit sa carrière comme curé à Lorient, sa ville natale.
74Offerte à l’élite des professeurs, la direction des établissements scolaires permet ainsi d’accéder aux plus hautes fonctions, quand elle ne clôture pas la vie du prêtre. Comme en témoigne quelques disgrâces, cette fonction sensible n’est pas sans risque dans une carrière. Dans les grands séminaires, les supérieurs, soigneusement sélectionnés et souvent plus âgés, intègrent définitivement l’élite du clergé. À cet égard, ils se rapprochent des inamovibles chanoines.
Les chanoines
75Dans les deux évêchés, les règlements rédigés lors de la mise en place du Concordat consacrent l’affaiblissement du chapitre37. En 1803, les statuts du chapitre de Saint-Brieuc précisent ainsi que les chanoines ne forment plus un corps particulier et qu’ils ne peuvent délibérer qu’avec la permission de l’évêque, lequel détermine les matières à discuter. En outre, leur avis n’a qu’une valeur consultative38. Toutes les précautions sont prises pour protéger le prélat d’une éventuelle immixtion des chanoines dans les affaires diocésaines.
76Même si le canonicat attire toujours par son prestige, son inamovibilité et son confort matériel, la perte de pouvoir par rapport au siècle précédent a provoqué une évolution du profil des chanoines. Alors que l’âge moyen de l’accès au canonicat se situait vers 33 ans au xviiie siècle39, le vieillissement est perceptible pendant la période concordataire.
77Au début du xixe siècle, le manque de vocations et la nécessité de placer les jeunes prêtres dans les paroisses imposent de choisir les chanoines parmi les ecclésiastiques ordonnés sous l’Ancien Régime, alors âgés au minimum de 45 ans. Au cours du quart de siècle suivant, les évêques préfèrent s’entourer d’ecclésiastiques ordonnés sous le régime concordataire et l’âge moyen des nouveaux chanoines diminue nettement. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, le profil de Joseph Botrel (1794-1855), ancien principal du collège royal devenu chanoine en 1834, succède donc à celui de Louis Chantrel (1746-1824), membre du chapitre de 1805 à 1824. À l’inverse, dans le diocèse de Belley, Mgr Devie choisit longtemps ses chanoines parmi les prêtres les plus âgés : les 22 chanoines nommés entre 1827 et 1852 ont ainsi 53 ans. Et à Paris, même si l’âge moyen des chanoines à leur nomination a diminué depuis le début du siècle, il est encore de 55 ans entre 1830 et 184040.
78Leur vieillissement est beaucoup plus net dans la seconde moitié de la période concordataire. L’âge moyen des nouveaux chanoines dépasse alors 53 ans et s’approche de l’espérance de vie des prêtres, signe que le canonicat est devenu un poste de fin de carrière, voire une retraite dorée. Jean Larbitre-Montferrand (1803-1877), par exemple, entre au chapitre de la cathédrale de Vannes à 60 ans, après avoir été vicaire de Lanouée, de Plougoumelen, de Pontivy, recteur de Saint-Caradec-Hennebont de 1846 à 1856 et curé de Locminé pendant sept ans.
79À l’image de cet ecclésiastique, les nouveaux chanoines sont majoritairement issus du ministère paroissial, à la différence des chanoines d’Ancien Régime qui avaient rarement une expérience pastorale41 :
80Parmi les nouveaux chanoines, les anciens curés sont les plus nombreux, comme dans le chapitre de Belley, où ils ne représentent toutefois qu’un quart des prêtres promus à un canonicat entre 1823 et 188042. Les prêtres ayant déjà occupé une fonction réservée à une minorité soigneusement sélectionnée sont sur-représentés.
81Les bretonnants, qui trouvent peu d’appuis dans l’élite cléricale, sont largement sous-représentés dans le chapitre. Seuls sept Bas-Bretons figurent parmi les 64 chanoines briochins dont l’origine géographique est connue. Dans l’évêché de Vannes, les Bas-Bretons ne sont que 21 sur 51, alors qu’ils constituent la majorité du clergé. Cette inégalité se double d’une préférence accordée aux urbains, environ 2,5 fois plus nombreux dans le chapitre que dans l’ensemble du clergé. Le chanoine type est donc un Haut-Breton citadin, qui possède une culture proche de celle de son évêque. Dans les faits, un barrage socio-culturel filtre l’accès au canonicat.
82Pour la plupart des membres du chapitre, le canonicat est la dernière étape de la carrière. Le chapitre n’est donc pas un lieu de formation à l’administration, à deux ou trois exceptions près dans chaque évêché. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, deux chanoines deviennent évêques : Claude de Lesquen (17701855), nommé évêque de Beauvais en 1823 puis de Rennes en 1825 et Pierre Le Breton (1805-1886), promu évêque du Puy en 1863. Ce dernier offrit le vicariat général de son nouveau diocèse à Michel Ménard, un chanoine qu’il côtoyait depuis trois ans, ce qui révèle les solidarités qui se tissent à l’intérieur du chapitre. Le passage de la fonction de chanoine à celle de vicaire général se rencontre à deux reprises parmi les membres du chapitre de la cathédrale de Vannes : Jean-Marie Flohy (1800-1881) passe d’une fonction à l’autre en 1861 et Antoine Fouchard (1807-1875) en 1865.
83La fréquentation des membres du chapitre à travers les archives permet de distinguer trois types de chanoines. Le premier rassemble les prêtres qui ont été promus à un canonicat en récompense de leurs services passés, grâce à la faveur personnelle de l’évêque. Les secrétaires épiscopaux en sont une excellente illustration. La même logique prévaut dans la nomination de chefs de paroisse âgés au parcours sans faute, tels Polyxène Gancel (1836-1894), successivement vicaire dans une succursale puis dans deux cures, desservant de l’importante paroisse de Pordic, curé de la cathédrale de Saint-Brieuc en 1886 et chanoine en 1890.
84Pour d’autres, plus rares, le canonicat s’apparente à une mise à l’écart honorable. Il constitue ainsi un refuge pour les vicaires généraux qui ne sont pas reconduits dans leurs fonctions. Les exemples de sanctions dorées semblent rares en Bretagne. Les évêques successifs préfèrent réserver les canonicats aux ecclésiastiques méritants et faire du chapitre de leur cathédrale une institution rassemblant des prêtres qui incarnent la réussite pastorale.
85Ces prêtres modèles se rencontrent dans la troisième catégorie de chanoines, promoteurs d’idées et de comportements nouveaux. Davantage qu’une retraite, la nomination à un canonicat est pour eux le moyen de recevoir un traitement régulier tout en consacrant leurs forces à des activités qui ne sont pas rémunérées. L’entrée de Paul Prud’Homme (1810-1882) dans le chapitre briochin en 1853 lui permit de propager le culte marial dans le diocèse de Saint-Brieuc, notamment en développant la confrérie Notre-Dame-d’Espérance43 ; celle de Joseph Le Mené (1831-1923) dans le chapitre vannetais en 1872 lui offrit la possibilité de se consacrer pleinement à ses travaux scientifiques – il était à la fois conservateur du musée archéologique et président de la Société polymathique du Morbihan, dans les bulletins de laquelle il publia 79 articles entre 1873 et 191444.
86Le chapitre cathédral, malgré la diminution de ses pouvoirs, n’est donc pas qu’une institution poussiéreuse occupée par des prêtres inaptes physiquement à tout autre ministère. Offrir des canonicats permet à un évêque de libérer un prêtre. Il peut le faire par respect pour un ecclésiastique méritant arrivé en fin de vie, mais aussi pour assurer un confort matériel à des clercs qui ont besoin de temps pour accomplir leur projet. Dans un cas comme dans l’autre, l’évêque, en offrant sa faveur à un prêtre plutôt qu’à un autre, trouve dans les nominations à son chapitre cathédral un moyen de récompenser ceux qui ont su lui être fidèles et porter ses idées.
Les administrateurs diocésains
87La direction du diocèse repose sur trois types de prêtres au prestige inégal : les secrétaires, dépourvus de tout pouvoir décisionnel mais qui appartiennent néanmoins à la direction de l’évêché, les vicaires généraux et, au sommet de la pyramide, l’évêque.
Les secrétaires
88Les secrétaires se divisent entre secrétaires particuliers de l’évêque et secrétaires de l’évêché, les premiers accompagnant le prélat dans ses déplacements et lui servant de plume pour la rédaction des actes épiscopaux et les seconds, moins liés personnellement à l’évêque, s’occupant des questions administratives et de la correspondance. Cependant, la distinction entre secrétaires particuliers et secrétaires de l’évêché est parfois floue ou artificielle et la carrière des uns et des autres est similaire.
89Au début du xixe siècle, le secrétaire qui entre en fonction est un prêtre jeune. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, les huit secrétaires nommés entre 1802 et 1841 ont en moyenne trois ans de sacerdoce et neuf des dix secrétaires vannetais dont l’itinéraire est connu pendant les quatre premières décennies concordataires n’ont jamais exercé de fonction au préalable. L’évêque qui arrive dans son diocèse et cherche un homme de confiance le recrute fréquemment au séminaire, probablement sur les conseils du supérieur qui connaît ses élèves. Le choix se porte alors sur des jeunes clercs au comportement exemplaire, et les exigences intellectuelles se limitent à la capa cité d’accomplir la tâche demandée. Louis Robic (1779-1829), secrétaire de l’évêché de Vannes de 1808 à 1810, qui est « doux, honnête » mais qui « a besoin d’étude45 », correspond parfaitement à ce profil.
90Comme dans le diocèse d’Arras46, les secrétaires recrutés à partir des années 1840 sont surtout des jeunes prêtres dotés d’une expérience pastorale. Les onze secrétaires du diocèse de Vannes nommés entre 1842 et 1905, comme les treize secrétaires briochins choisis après 1850, avaient en moyenne sept ans de prêtrise accomplis comme aumôniers, professeurs ou vicaires. Signe que les temps ont changé et que le prêtre idéal dont souhaite s’entourer l’évêque n’est pas uniquement une référence comportementale, André du Bois de la Villerabel (1864-1938) est nommé secrétaire de l’évêché à son retour de Rome, auréolé du grade de docteur en théologie et en droit canonique.
91L’origine géographique des secrétaires constitue un indice supplémentaire de leur proximité avec la culture épiscopale. La nécessaire aptitude du secrétaire à être à l’aise dans les milieux côtoyés par son évêque se lit dans la sur-représentation des ecclésiastiques d’origine urbaine (13 sur 24 dans le diocèse de Saint-Brieuc et 11 sur 25 dans celui de Vannes, soit deux fois et demie la proportion observée dans l’ensemble du clergé concordataire). En outre, les évêques concordataires, très majoritairement francophones, ne recrutèrent que quatre Bas-bretons sur vingt-trois secrétaires dans le diocèse de Saint-Brieuc et neuf sur vingt-cinq dans le diocèse de Vannes, soit une part très inférieure au poids réel des bretonnants dans le clergé.
92Fort de son expérience, souvent acquise dans les premières années de son sacerdoce, le secrétaire était généralement promis à une brillante carrière.
93Dans les deux diocèses, un canonicat est le poste le plus fréquemment offert aux secrétaires. Dans l’évêché de Saint-Brieuc, Toussaint Rault (1808-1888), secrétaire de 1836 à 1866, devient chanoine et le demeure jusqu’à sa mort. Paul Gorel, né en 1852, successivement professeur à Saint-Stanislas, vicaire de Muzillac puis de la cathédrale et secrétaire en 1882, suit la même voie dans le diocèse de Vannes en 1889.
94L’apparente absence de prestige de certaines trajectoires masque des promotions futures spectaculaires. Le passage par des fonctions paroissiales banales est souvent le destin de jeunes secrétaires qui connaissent ensuite une ascension brillante. Dans le diocèse de Vannes, les trois secrétaires qui quittent leur fonction entre 1807 et 1810 deviennent vicaires, une nomination probablement destinée à leur donner une expérience paroissiale avant de leur confier de plus amples responsabilités. Quelques années plus tard, ces prêtres ont tous des postes à responsabilité : Louis Robic (1779-1829) devient curé d’Auray en 1821, Yves Louer est nommé supérieur du séminaire en 1832 et Mathurin Nays (1784-1859) curé de Rochefort en 1834.
95Dans le diocèse de Saint-Brieuc, le secrétariat est une voie privilégiée pour accéder au vicariat général puis à l’épiscopat. Entre 1863 et 1906, quatre anciens secrétaires deviennent évêques, alors qu’aucun ne connaît ce destin dans le diocèse de Vannes. Le fait d’avoir été successivement secrétaire et vicaire général ou, comme dans le cas du futur évêque du Puy Pierre Le Breton (1805-1886), secrétaire puis chanoine, garantit une bonne connaissance du fonctionnement de l’administration diocésaine. Faire partir de l’entourage de l’évêque permet en outre de nouer, tant dans le milieu politique que religieux, des contacts qui s’avèrent précieux pour une future pro motion47. La fonction de secrétaire forme ainsi le plus bel exemple de tremplin au xixe siècle.
Les vicaires généraux
96Comme les chanoines, les vicaires généraux se divisent entre titulaires et honoraires. Le vicariat général honoraire autorise le prêtre distingué à participer à certaines réunions du conseil épiscopal mais ne constitue pas un ministère qui occupe à plein temps. En outre, dans la première moitié du xixe siècle, il existe dans le diocèse de Saint-Brieuc des vicaires généraux forains, qui sont des curés ayant reçu les pouvoirs ordinaires d’un vicaire général titulaire sur quelques cantons (entre deux et huit). L’administration diocésaine dispose ainsi de relais fidèles dans l’ensemble du diocèse, à une époque où elle peine à contrôler efficacement la totalité de l’évêché. Cette fonction, comme celle de vicaire général honoraire, est davantage une distinction qu’une étape dans une carrière. L’analyse de la carrière des vicaires généraux doit donc se limiter à celle des deux titulaires.
97Dans les deux diocèses, les vicaires généraux sont traditionnellement issus d’une aire linguistique différente, à l’exception de la période Allain entre 1802-1809 dans l’évêché de Vannes, et de la parenthèse Le Mée entre 1836 et 1841 dans le diocèse de Saint-Brieuc. Si tous les clercs connaissent le français, la présence d’un vicaire général bretonnant dans l’entourage de l’évêque s’avère indispensable pour entrer en contact avec des populations où le bilinguisme est rare. La parité linguistique est donc bien mieux respectée chez les vicaires généraux que chez les chanoines ou les secrétaires.
98L’exigence introduite dans la loi du 18 germinal an X et la nécessité pour le futur vicaire général de bien connaître le diocèse avant de l’administrer impliquent que celui-ci ait, à la différence du secrétaire, une solide expérience pastorale. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, les quatorze vicaires généraux de l’époque concordataire ordonnés au xixe siècle sont prêtres depuis 17,6 ans en moyenne. Dans l’évêché de Vannes, les neuf vicaires généraux répondant à ce profil ont été nommés à ce poste 30,1 années après leur ordination.
99Pendant plusieurs décennies, le vicariat général de Vannes apparaît comme un conservatoire du clergé d’Ancien Régime. Les deux premiers vicaires généraux, François Allain (1743-1809) et Jean-Mathurin Le Gal (1746-1831), sont tous les deux nés dans la première moitié du xviiie siècle. Jean-Marie Baron (1794-1864), qui succède au second en 1831, est le premier prêtre ordonné sous le régime concordataire à remplir cette fonction. L’autre vicariat général reste occupé par un ecclésiastique ordonné avant la Révolution, Benjamin Videlo (1757-1851). Ce prêtre à la longévité exceptionnelle demeure à ce poste jusque sa mort, survenue à l’âge de 94 ans.
100L’accès du clergé concordataire au vicariat général se double d’une démocratisation de la fonction. Tous les vicaires généraux qui ont commencé leur carrière avant 1789 sont en effet issus de la bourgeoisie urbaine : Allain et Grignon sont fils de médecin, Videlo et Coquerel de notaire. Puis le poste s’ouvre aux ruraux. Parmi les vicaires généraux ordonnés au cours de la période concordataire, seuls deux sur neuf sont nés dans une ville. Dans le seconde moitié du xixe siècle, l’accès au vicariat général de fils de laboureurs comme Jean-Marie Flohy (1800-1881), natif de Réguiny ou de Louis Jégouzo (né en 1837), issu d’une famille de cultivateurs de Noyal-Pontivy, témoigne que la fonction n’est plus réservée à une élite sociale. La démocratisation est plus précoce dans le diocèse de Saint-Brieuc. En 1821, Jacques Le Mée (1794-1858), dont les parents sont cultivateurs à Yffiniac, devient ainsi vicaire général et son successeur nommé en 1824, Mathurin Le Maître (1789-1833), est le fils d’un garde-forestier de La Prénessaye. Au total, dix des quinze vicaires généraux concordataires ordonnés au xixe siècle sont d’origine rurale.
101Si le lieu de naissance n’est plus déterminant pour accéder au vicariat général, le passage par la ville au cours de la carrière demeure primordial. Tous les vicaires généraux briochins et treize des quinze vicaires généraux vannetais ont exercé une fonction, paroissiale ou non, dans une ville. Dans la moitié des cas à Saint-Brieuc et les deux tiers à Vannes, cette ville était la cité épiscopale. Comme dans l’armée ou chez les ingénieurs d’état-major48, l’accès au sommet de la hiérarchie diocésaine ne résulte pas d’une promotion soudaine mais est souvent l’aboutissement d’une distinction précoce.
102L’itinéraire des vicaires généraux se caractérise en outre par la fréquence des passages dans l’enseignement. Onze des vingt vicaires généraux briochins et six des quinze vannetais sont passés par un établissement scolaire, comme professeur ou supérieur. Mais les vicaires généraux sont surtout recrutés parmi les curés (cinq cas dans le diocèse de Saint-Brieuc, six dans celui de Vannes). Expériences pédagogiques et responsabilités pastorales se mêlent parfois comme dans le cas d’Antoine Fouchard (1807-1875) qui fut notamment professeur au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray et curé de la cathédrale. L’exercice de fonctions non-paroissiales dans l’entourage de l’évêque constitue une troisième voie d’accès au vicariat général. Alors que cette promotion est l’apanage des chanoines dans le diocèse de Vannes, elle est réservée aux secrétaires dans le diocèse de Saint-Brieuc.
103Le passage du chapitre au vicariat s’effectue également dans l’autre sens. La plupart des vicaires généraux demeurent en fonction jusqu’à la mort, mais cinq vicaires généraux briochins et trois vannetais deviennent chanoines, à l’instar de Jean-Marie Baron, nommé chanoine en 1861 lors de l’arrivée de Mgr Dubreuil, après avoir été vicaire général pendant trente ans. Pour un vicaire général qui n’est pas reconduit dans ses fonctions par un nouvel évêque, le chapitre offre un lieu de retraite idéal. Dans le diocèse de Saint-Brieuc en revanche, les départs vers le chapitre ne coïncident jamais avec les changements d’évêques. Constant Ollivier (1817-1890), devient chanoine en 1877, avant la fin de l’épiscopat de Mgr David qui l’avait choisit en 1863. Offrir un canonicat permet ainsi à un évêque de changer un vicaire général fatigué ou discrédité, tout en lui proposant une sortie honorable.
104Le vicariat général constitue rarement une rampe d’accès vers l’épiscopat. Ce ne fut le cas que pour deux anciens vicaires généraux briochins, Mgr Le Mée, évêque de Saint-Brieuc entre 1841 et 1858, et Mgr Dubourg, évêque de Moulins en 1893 puis archevêque de Rennes à partir de 1896. Mgr Morelle, promu évêque de Saint-Brieuc en 1906, doit toutefois largement sa promotion à son passé de vicaire général concordataire. La rareté de ces exemples montre que les carrières de vicaire général et d’évêque sont relativement cloisonnées dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes.
Les évêques
105L’étude de la carrière des évêques ne peut être envisagée sous le même angle que celle des autres membres du clergé. À la différence de la quasi totalité des prêtres qui font leur carrière dans un même diocèse, l’évêque est rarement originaire du diocèse qu’il dirige. Il se caractérise ainsi par son appartenance simultanée au corps épiscopal, recruté sur l’ensemble du territoire français, et à un évêché, enraciné dans un terroir. La particularité culturelle des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc invite à se demander si les évêques qui se sont succédé dans ces diocèses marqués par le bilinguisme différaient de l’ensemble de l’épiscopat français du xixe siècle, bien connu grâce à la thèse de Jacques-Olivier Boudon49. S’agissait-il d’évêques au profil social, géographique et idéologique comparable à celui de leurs confrères et/ou à celui du clergé qu’ils devaient diriger ?
106Sur le plan social, les évêques briochins et vannetais, principalement issus de la noblesse puis de la bourgeoisie, sont assurément plus proches de leurs confrères français que de l’ensemble des ecclésiastiques bretons. L’importance de la noblesse parmi les évêques nommés entre 1802 et la Révolution de Juillet, évaluée à 47,1 % pendant le Ier Empire et à 59,6 % sous la Restauration par Jacques-Olivier Boudon50, se vérifie dans les diocèses de Saint-Brieuc et Vannes. Le seul évêque briochin d’origine noble est Mgr Le Groing de la Romagère (1756-1841), successeur de Mgr Caffarelli. Son long épiscopat, s’étirant de 1819 à 1841, en fait un évêque en complet décalage par rapport à son clergé. Dans le diocèse de Vannes, quatre des cinq évêques qui se succèdent de 1802 à 1827 sont des fils de famille noble. Surtout, la longévité exceptionnelle de Mgr de La Motte à la tête du diocèse de Vannes provoque le maintien de la noblesse à la direction de l’évêché jusqu’en 1860, soit plus d’un demi-siècle après le tarissement du recrutement aristocratique.
107Comme dans les autres diocèses français, la bourgeoisie urbaine succède à la noblesse sur le trône épiscopal51. Les évêques briochins Guillaume Martial et Augustin David sont originaires de Bordeaux et Lyon, les deux villes qui donnent le plus d’évêques entre 1830 et 187052. Deux évêques vannetais nommés sous le Second Empire, le Toulousain Louis-Anne Dubreuil et le Bordelais Jean-Baptiste Gazailhan, ont le même profil. Ces quatre évêques nommés en Bretagne cumulent ainsi les différences culturelles avec le clergé rural à la tête duquel ils sont placés.
108Seuls Jacques Le Mée, évêque de Saint-Brieuc de 1841 à 1858 et Jean-Marie Bécel, évêque de Vannes de 1866 à 1897, deux fils de cultivateurs, ne peuvent être rattachés à la bourgeoisie. Dans les deux diocèses, la pro portion de paysans mitrés est ainsi conforme à la moyenne observée en France, où elle avoisine les 20 %53. Avec Eugène Bouché, ils sont les seuls ecclésiastiques promus dans leur évêché, après toutefois une expérience déterminante hors de leur diocèse : Jacques Le Mée passe plusieurs années au séminaire de Saint-Sulpice puis est aumônier de la Maison de la Légion d’honneur à Paris alors que Jean-Marie de La Mennais est vicaire général de la Grande aumônerie ; Jean-Marie Bécel a été précepteur de l’héritier de la famille Saint-Bris à Tours avant de devenir en 1865 vicaire à la Trinité à Paris ; quant à Eugène Bouché, son expérience d’aumônier de marine l’a amené à voyager et l’a fait connaître du ministère des Cultes et de celui de la Marine, comme trois de ses collègues promus évêques entre 1869 et 188554.
109Ces trois évêques ont ainsi des origines sociales et géographiques qui les rapprochent davantage de leur clergé que des autres évêques. Leur nomination est toutefois davantage liée à des motivations politiques, qu’au désir de promouvoir des évêques représentatifs du clergé dont ils ont la charge. En choisissant en 1841 un prêtre du diocèse de Saint-Brieuc comme Mgr Le Mée, les autorités politiques espéraient enraciner la Monarchie de Juillet dans un clergé majoritairement légitimiste55. La même logique prévaut dans les diocèses voisins avec les promotions internes au diocèse de Mgr Graveran à Quimper en 1840 et de Mgr Brossays-Saint-Marc à Rennes en 184156. La Monarchie de Juillet espère alors gagner les faveurs d’une Bretagne demeurée légitimiste. Le Second Empire fait de même en 1866, en nommant évêque Jean-Marie Bécel, sur les recommandations de la princesse Bacciochi – une cousine de Napoléon III qui possède une résidence à Colpo – afin de développer l’adhésion à l’Empire dans le diocèse de Vannes57.
110Sur le plan idéologique, Le Mée, Bécel et le républicain Bouché se rattachent ainsi davantage à l’épiscopat de leur temps qu’au clergé auquel ils appartiennent. En cela, ils ne se distinguent guère des autres évêques concordataires de Vannes et de Saint-Brieuc. Préconisés par le gouvernement, ces évêques se heurtent rarement au régime en place lors de leur nomination. Dans le diocèse de Vannes, Mgr Pancemont, évêque de 1802 à 1807 est choisi pour sa fidélité à Bonaparte, tout comme son voisin briochin, Mgr Caffarelli ; Mgr de Bruc, sacré en 1819, est royaliste. Louis-Anne Dubreuil, comme Jean-Marie Bécel, doit en grande partie sa nomination de 1861 à son gallicanisme impérial.
111Pour ces deux évêques appartenant à la tendance Maret58, idéal politique et ecclésiologique vont de pair : un ultramontanisme affirmé n’était guère compatible avec un attachement à la politique de Napoléon III, accusé par les défenseurs de la papauté de ruiner les États de l’Église. L’offensive gouvernementale contre l’ultramontanisme à partir de 185959 se perçoit dans l’évolution du profil des évêques de Saint-Brieuc. À Mgr Martial, évêque ultramontain qui dirige le diocèse de 1858 à 1861, succède le gallican Augustin David, de la mouvance Dupanloup.
112Dans le diocèse de Vannes, aucun évêque ultramontain n’occupe le siège épiscopal pendant la période concordataire. L’ultramontanisme conquérant60 se heurte au gallicanisme des évêques successifs, en l’occurrence Charles de La Motte, Louis-Anne Dubreuil, Jean-Baptiste Gazailhan et Jean-Marie Bécel. La pénétration des idées ultramontaines chez les prêtres des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc à partir des années 1840 accentue ainsi le fossé culturel séparant l’évêque de son clergé61.
113La plupart des évêques briochins et vannetais avaient donc peu de points communs avec leur clergé. Cette distance entre la culture dominante des ecclésiastiques des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes et les valeurs appréciées chez un prêtre susceptible d’intégrer l’épiscopat explique en partie le faible nombre d’évêques concordataires issus de ces diocèses, comparativement à leur exceptionnelle fécondité.
114Certes, Jacques-Olivier Boudon dénombre dix évêques natifs du diocèse de Saint-Brieuc et cinq prélats originaires du diocèse de Vannes62. Ces résultats doivent toutefois être tempérés par l’itinéraire de ces évêques, plusieurs d’entre eux n’exerçant aucune fonction dans leur évêché natal. Aucun ecclésiastique vannetais ayant fait carrière dans son diocèse natal n’accède à l’épiscopat et les prêtres du diocèse de Saint-Brieuc devenant évêque d’un autre diocèse sous le régime concordataire sans avoir quitté le leur au préalable ne sont que cinq.
115Trois profils se succèdent parmi eux. Claude-Louis de Lesquen (1770-1855), nommé évêque de Beauvais en 1823 puis de Rennes en 1840 se rapproche des autres évêques nommés sous la Restauration en raison de ses origines nobles, de son passé militaire et de son légitimisme63. Par leurs origines plus modestes et leur ultramontanisme, Louis Épivent et Pierre Le Breton, promus respectivement évêques d’Aire et Dax en 1859 et du Puy en 1863, étaient plus proches du clergé qu’ils quittaient. Leur bienveillance politique vis-à-vis du Second Empire explique que le régime les ait préconisés en dépit de sa méfiance croissante vis-à-vis des ultramontains64. Le troisième type de prêtres briochins devenus évêques est incarné par Auguste Dubourg, évêque de Moulins en 1883 puis archevêque de Rennes en 1906, et par Jean-Louis Mando, nommé évêque d’Angoulême en 1899. Comme nombre de leurs confrères nommés à partir des années 1880, tous les deux sont des prêtres libéraux, plus conciliants avec la République que la plupart des prêtres briochins65.
116Tous ont eu une expérience pastorale à Saint-Brieuc, à l’image de Jean-Louis Mando, ancien secrétaire, chanoine et curé de la cathédrale, qui cumula les fonctions pouvant constituer un tremplin. Leur itinéraire, comme celui des autres prêtres appartenant à l’élite du diocèse, montre qu’une première nomination prestigieuse place un prêtre sur de bons rails. L’obtention précoce de postes à responsabilité témoigne de la confiance de l’évêque et augure d’une fin de carrière remarquable si une disgrâce ne frappe pas l’ecclésiastique.
117Du point de vue des carrières analysées, trois périodes scandent donc le xixe siècle : la première, qui correspond aux trois premières décennies, est marquée par le manque de prêtres. La plupart des ecclésiastiques n’occupent que des fonctions paroissiales et deviennent relativement vite chefs de paroisse, surtout lorsqu’ils sont Bas-Bretons. Dans le deuxième tiers du xixe siècle, l’abondance des vocations entraîne ensuite un encombrement des carrières exceptionnel à l’échelle de la France, visible notamment dans l’allongement de la durée du vicariat. Puis, la fin de la période concordataire est marquée par une diversification croissante des carrières. La cléricalisation de l’enseignement et l’apparition de nouveaux secteurs pastoraux au xixe siècle sont à lier à l’abondance du recrutement et à l’absence de débouchés.
118L’autre spécificité des carrières cléricales dans les diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc réside dans les inégalités géographiques : les prêtres gallos, dont l’avancement paroissial était plus lent, accédaient plus facilement aux postes prestigieux que les bretonnants.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Rousseau, Louis et Remiggi, Frank W. (dir.), Atlas historique..., op. cit.
2 Lagree, Michel, « Le pays des vicaires », Bretagne et religion, Rennes, travaux de la section « religion » de l’Institut culturel de Bretagne, 1997, p. 37-51
3 Dans le diocèse de Vannes, le nombre de « paroisses à recteur » oscille entre 184 et 238 et dans celui de Saint-Brieuc entre 286 et 354.
4 Charle, Christophe, Les Élites de la République, 1880-1900, Fayard, Paris, 1987, p. 178-185.
5 Seuls sont pris en compte les prêtres qui n’ont pas rempli d’autres fonctions que celle de vicaire avant leur accès au rectorat.
6 Foucault, Pierre, Aspects de la vie chrétienne dans un grand diocèse de l’Ouest de la France, le diocèse du Mans (1830-1854), thèse de troisième cycle, Université de Caen, 1980, p. 266.
7 Hudon, Christine, Prêtres et fidèles..., op. cit., p. 229.
8 AESB, registre des mutations.
9 AESB, 8 CE.
10 Lagree, Michel, « Évêques gallicans et diocèse ultramontain : Vannes (1848-1870) », in L’Ouest et le politique. Mélanges offerts à Michel Denis, Rennes, PUR, 1996, p.113-128.
11 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit., p. 259.
12 La part de prêtres inconnus correspond le plus souvent à des ecclésiastiques venus d’autres diocèses.
13 AESB, 2 CD 5, lettre de Mgr Le Mée à l’abbé Robillard, 28 août 1841.
14 AP Bégard, Cahier de paroisse de Bégard, p. 31.
15 ADM, 1 J 134, Histoire de la paroisse de Surzur, notes manuscrites, p. 56.
16 Boudon, Jacques-Olivier, article « clergé », in Tulard, Jean (dir.), Dictionnaire du second Empire, Paris, Fayard, 1995, p. 304.
17 Bulletin de l’Association bretonne.
18 Mension-Rigau, Éric, L’enfance au château, l’éducation familiale des élites françaises au xxe siècle. Paris, Rivages, 1990, 317 p.
19 Talbourdet, Gaston, « Caharel, Jean-Louis », in Lagree, Michel (dir.), La Bretagne, dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine, Paris, Beauchesne, Institut culturel de Bretagne, 1990, p. 64-65.
20 ADCA, V 538, dossier individuel, Pierre Amice.
21 Lagree, Michel, Religion et cultures..., op. cit., p. 377.
22 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit., p. 250.
23 Pierrard, Pierre, La vie quotidienne..., op. cit., p. 115.
24 AESB, 8 CE.
25 Muller, Claude, Dieu est catholique et alsacien. La vitalité du diocèse de Strasbourg au xixe siècle (1802-1914), Strasbourg, Société d’Histoire de l’Église d’Alsace, 1986, p. 343.
26 ADM, 1 V 31, état ecclésiastique de 1805.
27 AEV, D 7, état du personnel (1824-1864).
28 Annuaire du diocèse de Vannes, année 1864, 1893 et 1906.
29 AESB, M 25.
30 Langlois, Claude, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984, 776 p.
31 AN, F19 2847, dossier Pierre Gaultier (orthographié Gauthier sur le dossier), lettre du préfet au ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, 29 août 1896.
32 AESB, 5 CD 2 et 5 CD 3.
33 AESB, 8 CE.
34 Danigo, Joseph, « Jaffre, Jean », in Lagree, Michel (dir.), La Bretagne..., op. cit., p. 203-204.
35 Mémoires de Joseph Kerdaffrec, manuscrit conservé aux Archives du petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray, 1896, p. 30-38.
36 Ibid., p. 120-126.
37 Charles, Olivier, Chanoines de Bretagne. Carrières et cultures d’une élite cléricale au siècle des Lumières, Rennes, PUR, 456 p.
38 AESB, 2 CH 9, Statuts du chapitre de 1803.
39 Charles, Olivier, Chanoines de Bretagne..., op. cit., p. 38.
40 Boudon, Jacques-Olivier, « Le chapitre et les chanoines de Paris face à la reconstruction concordataire (1802-1840) », RHEF, t. 88, 2002, p. 417-418.
41 Charles, Olivier, Chanoines de Bretagne..., op. cit., p. 42.
42 Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit., p. 264.
43 AESB, fonds de l’archiconfrérie Notre-Dame-d’Espérance.
44 Moisan, André, « Un érudit vannetais, le chanoine Joseph-Marie Le Mené (1831-1923) », BSPM, 1997, t. CXXIII, p. 195-218.
45 AEV, tableau du clergé de Vannes en 1808 dressé par le vicaire général Allain.
46 Hilaire, Yves-Marie, Une chrétienté au xixe siècle..., op. cit., p. 295.
47 Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français à l’époque concordataire, 1802-1905, Paris, Cerf, p. 188-190.
48 Charle, Christophe, Les Élites de la République..., op. cit., p. 191-193.
49 Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français..., op. cit.
50 Ibid., p. 40.
51 Ibid., p. 44-52.
52 Ibid., p. 32.
53 Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français..., op. cit., p. 52.
54 Ibid., p. 234.
55 AN F19 2575, dossier Le Mée, lettre du préfet des Côtes-du-Nord au ministre, 12 février 1841.
56 Lagree, Michel, Mentalités, religion..., op. cit., p. 227-234.
57 Tregouet, Michel, La puissance et les armes politiques du clergé morbihannais (1876-1898), mémoire de maîtrise, université de Rennes II, 1984, p. 58-68.
58 Sur la distinction entre la tendance Dupanloup et la tendance Maret, voir Gadille, Jacques, La pensée et l’action politiques des évêques français au début de la IIIe République, 1870-1883, Paris, Hachette, 1967, 2 tomes, 351 et 334 p.
59 Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français..., op. cit., p. 257.
60 Gough, Austin, Paris and Rome. The Gallican Church and the Ultramontane Campaign, 18481853, Oxford, Clarendon Press, 1986, 276 p. et Horaist, Bruno, La dévotion au pape et les catholiques français sous le Pontificat de Pie IX (1846-1878), Rome, École française de Rome, 1995, 757 p.
61 Lagree, Michel « Évêques gallicans... », op. cit., p. 113-128.
62 Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français..., op. cit., p. 28.
63 Lagree, Michel, Mentalités, religion..., op. cit., p. 222-227, 348-371 et 432-444.
64 AN, F19 2480, dossier Épivent, et AN, F19 2563, dossier Le Breton.
65 Rault-Maisonneuve, Guillemette, « Dubourg, Auguste », in Lagree, Michel (dir.), La Bretagne. Dictionnaire..., op. cit., p. 121-122 et Boudon, Jacques-Olivier, L’épiscopat français..., op. cit., p. 258-261.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008