Le roman d’Homère. IV. La genèse du roman
p. 135-164
Texte intégral
1Inachevé, constitué de fragments plus ou moins contradictoires de différents auteurs, de différentes époques, le roman d’Homère ne se laisse pas analyser comme on peut le faire des ensembles clos habituellement appelés « roman ». Il a un début et une fin — celle-ci est même le point sur lequel on s’accorde le mieux —, mais peu d’éléments pour relier ce début à cette fin. Tout se passe comme si Homère n’avait fait que naître et mourir, et composer des poèmes. La dimension temporelle, où se déploie tout roman, est en effet peu présente dans les Vies d’Homère : font seules exception la Rivalité d’Homère et d’Hésiode (Vie II) et surtout la Vita Herodotea (Vie I).
Le temps du roman
2La progression du temps est indiquée six fois, dans cette Vie I, par l’expression χρόνου δέ προϊόντος ou προϊόντος δέ τοῦ χρόνου (littéralement « du temps [ou le temps] ayant passé »), et une fois par l’expression χρόνου δὲ ἐπιγενομένου (« du temps s’étant écoulé »)1. Ajoutons τότε (« alors ») dans le § 6, χρόνον τε ἐπί συχνόν et έπὶ πολὺν χρόνον (« pendant longtemps ») dans les § 8, 18 et 33, τέως (« sans interruption »), μέχρις ἐπ’ ἐμου (« jusqu’à mon époque ») et άφ’ οὗ ὁ Μελησιγένης ἦλθεν αὐτοῖς (littéralement « depuis que Mélèsigénès était venu pour eux ») dans le § 10, μετὰ τοῦτο (« après cela ») dans le § 15, χρόνῳ δὲ οὐ πολλῷ μετέπειτα (« peu de temps après ») dans le § 17, et, plus précis, τῇ δὲ ὑστεραίῃ) ou τῇ) δέ ὲσαύριον (« le lendemain ») dans les § 18, 23 et 32, ἀνδρούμενος (« étant devenu un homme ») dans le § 5, l’allusion à la fête automnale des Apatouries, dans le § 29, παραχειμάζων (« ayant passé l’hiver ») et ταῖς νουμηνίαις (littéralement « aux commencements du mois ») dans le § 33, ἀρχομένου δὲ τοῦ ἔαpoς (« au début du printemps ») dans le § 34, sans oublier, au début, « lorsque Cumè l’Ancienne … fut fondée » (5. a., § 1), malheureusement sans autre indication.
3Le temps, strictement linéaire, n’est donc pas quantifié. Il reste vague, sauf dans le récit du séjour à Samos (13. a. = § 29-33). Les faits sont situés les uns par rapport aux autres, sans aucune référence externe qui permette de les dater, sans que leur durée soit précisée. Le temps social, celui que l’on peut mesurer, celui que l’on peut compter à partir d’un événement tel que la fondation des Jeux olympiques, n’existe pas, ou plutôt ces autres données chronologiques sont rejetées, non pas seulement à la fin du roman, mais hors du roman, dans une sorte d’appendice venant lui-même après un autre appendice, sur l’origine éolienne du poète (§ 38 = 6. a.).
4L’explication de ce rejet est simple : il ne s’agit là que de supputations d’érudits — sont nommés dans d’autres Vies ceux des écoles d’Aristarque et de Cratès (6. c. ; 6. d., § 7 ; 6. L et m.), Porphyre (6. e.), Ératosthène et ses disciples (6. f. et 1.), Apollodore et les siens (6. h. l. et m.), Philochoros (6. 1. et m.), Euthyménès, Archémachos, Théopompe, Euphorion, Sôsibios de Laconie (6. m.) —, supputations contradictoires liées au « durcissement », évoqué précédemment, de la légende homérique à l’époque hellénistique.
5Car le roman d’Homère tendit à se faire Histoire. Le temps, d’abord non pas mythique ni même discontinu, mais pratiquement inexistant, le seul élément étant l’existence du poète, déduite de celle des poèmes homériques, y apparut sous sa forme la plus fruste : un début et une fin. Comme dans une notice biographique minimale, celle que l’on peut graver sur une pierre tombale (nom, année de naissance, année de mort).
6Puis vinrent s’ajouter quelques rares éléments détachés : un séjour à Colophon, d’après le premier vers du Margitès, un rapport étroit avec le fleuve Mélès, vraisemblablement à cause de l’adjectif μελησιγενής, parfois le concours de Chalcis, invention presque inévitable dans un monde conscient d’avoir eu deux maîtres, Hésiode et Homère2. Et le travail des enquêteurs, des « reporters », parfois des simples compilateurs qu’étaient les historiens de l’Antiquité3, à commencer par les spécialistes de l’historiographie locale, si actifs à l’époque hellénistique et romaine — rappelons au moins, déjà, le nom d’Éphore de Cumè, au ive siècle avant notre ère —, put rendre continu ce temps discontinu. Entre les deux bornes du début et de la fin, le récit tendit un fil, auquel il fallut accrocher d’autres faits :
Le système narratif est habituellement linéaire. Il consiste invariablement en la juxtaposition, entre un début et une fin, d’épisodes indépendants les uns des autres, dont chacun forme une cellule autonome de contenu anecdotique, qui souvent cristallise autour d’une rencontre et d’un échange de paroles4.
7Mieux, on s’efforça de rendre le temps mesurable et de rattacher le roman d’Homère au vaste ensemble de faits historiques, ou supposés tels, dominé par les grands événements dont on s’accordait à penser qu’ils avaient fait le monde grec : la guerre de Troie, le retour des Héraclides, la colonisation ionienne, la fondation des Jeux olympiques, les guerres médiques, auxquels certains voulurent ajouter des personnages et faits bibliques.
8Encore fallait-il choisir. Ce fut plus d’une fois la colonisation ionienne (5. a., § 1 ; 5. c., § 3 ; 5. m., § 6 ; 6. c. ; 6. d., § 7 ; 6. f. ; 6. g. ; 6.1. ; 6. m.) : Homère serait né ou aurait été conçu au temps de cet événement prétendu, ou bien quatre-vingts, cent, cent cinquante ans plus tard. Non pas seulement parce que tel était l’avis d’Aristarque ou de ses disciples, mais parce que plus d’un auditeur ou lecteur était sensible au fait que la poésie homérique était une poésie d’immigrants ayant pour centres les deux motifs obsessionnels du siège et du retour5. L’hypothèse était donc moins audacieuse que les suppositions, purement gratuites, ayant fait placer le poète au viie siècle aussi bien qu’au viiie, au ixe, au xe, au xie ou au xiie, la seule certitude étant qu’il n’était évidemment pas antérieur à la guerre de Troie ou au siège de Thèbes, eux-mêmes assez mal datés.
9Toutefois cette historicisation n’empêche pas le roman d’Homère, tel qu’on l’observe dans la Vita Herodotea, de se caractériser par une « détemporation », laquelle ne consiste pas dans la confusion des plans temporels, comme dans la légende rapportée par Gérard de Nerval, mêlant l’existence de Jean-Jacques Rousseau à celle d’Henri IV et Gabrielle d’Estrées, mais dans l’absence de repères historiques et sociaux. Son temps n’est pas celui de l’Histoire, sauf, encore une fois, dans l’appendice constitué par le § 38 ; il n’est pas davantage celui du mythe, au-delà (ou en deçà ?) du temps historique, échappant à toute mesure, un temps si l’on ose dire hors du temps. Continu, orienté, linéaire, le temps de la Vita Herodotea n’est ancré — rarement — que dans le monde naturel (les saisons de l’année, celles de la vie, le début du mois, déterminé par le cycle lunaire).
10Combien d’années Homère vécut-il ? Cela même n’est pas dit — sa faiblesse (14. a., § 34 et 36) autorise seulement à conjecturer qu’il mourut âgé, comme l’affirment d’autres Vies (10. d., 14. b. et i.) —, alors qu’est rapportée l’énigme enfantine des tueurs de poux, devinette apparemment sans importance et même hors de propos, puisque, pour l’auteur de la Vita Herodotea, elle n’est pas à l’origine de la mort du poète6.
11Cette historicisation du roman d’Homère est moins visible dans la Vie II, où ne sont pas rappelées les dates proposées par les savants. Une référence au temps social, avec la « fête communautaire » des Ioniens (10. c., § 18), les Délia, qui avaient lieu tous les quatre ans, vraisemblablement à la fin du printemps. Et d’autres expressions indiquent la chronologie relative des faits à l’intérieur du roman : « après avoir composé le Margitès », « après avoir entendu cela » (10. b.), « après ces autres paroles », « ensuite » (11. a., § 12), « après son échec », « puis les Épigones » (10. c., § 15), « après cela » (10. c., § 16), « après sa récitation de l’hymne », « après la fin de la fête » (10. c., § 18), et une précision chiffrée, il est vrai atténuée par un « dit-on » (ὤς φασι), « deux jours plus tard » (14. b.). Mais aussi « en même temps » (5. b., § 5), « vers la même époque » (11. a., § 6), « de nos jours encore » (11. a., § 8), « un certain temps » (10. c., § 18), « alors qu’il était assis » (14. b.). En fait, la seule référence au temps de l’Histoire est le concours de Chalcis (11. a.), peu après la mort d’Amphidamas, lequel aurait été l’une des victimes de la guerre lélantine, dans les dernières décennies du viiie siècle. Car relève du paratextuel l’allusion au « temps du très divin empereur Adrien » (117-138), durant lequel, d’après certaines informations entendues (ὅπερ δὲ ἀϰηϰόαμεν… εἰρημένον, littéralement « ce que précisément nous avons entendu dire qu’il a été dit »), la Pythie aurait fait du poète un compatriote d’Ulysse (5. b., § 3).
« Effets de réel » et « langue de bois »
12L’histoire de tueurs de poux, que les Vies II à X et déjà, peut-être, Alcidamas présentent « durcie », voire fossilisée en un épisode essentiel, mais passablement incroyable ou ridicule, de la biographie homérique, constitue dans la Vita Herodotea ce que Roland Barthes appelait un « effet de réel », « effet » qui est le « fondement de ce vraisemblable inavoué qui forme l’esthétique de toutes les œuvres courantes de la modernité »7. Autres « effets de réel » dans les passages où sont évoqués le peuplier noir de Nouveau-Mur (9. a., § 10), le président du Conseil de Cumè, qui, probablement embarrassé, vient s’asseoir à côté d’Homère (10. a., § 14), la présence, à Kébrèn, d’une industrie sidérurgique, et la chute d’une pomme de pin, événement en lui-même insignifiant, sur lequel oblige pourtant à se focaliser une remarque, à première vue gratuite, sur le nom de ladite « pomme » (10. a., § 20).
13Apparaît donc bien la volonté, non sans rapport avec l’historicisation évoquée précédemment, de situer Homère dans une réalité banale, humaine, terrestre. Il est un homme à l’exceptionnel talent poétique, mais soumis à l’obligation de gagner sa vie et qui connaît l’échec, la maladie, devient aveugle et dépendant d’autrui, se laisse berner par un Thestoridès, et pour finir est moins subtil que de jeunes pêcheurs vraisemblablement illettrés. Mais cette réalité n’est qu’apparence, « effet » ; le vraisemblable tient lieu de vrai. Le choix des noms (Thésée, Phèmios, Mentor, Mentès, Tukhios, Glaucos et tant d’autres, parlants) l’indique immédiatement : la Vita Herodotea est essentiellement une fiction. Et le rationalisme, l’esprit critique de son auteur ne l’empêchent pas de relever souvent de la « langue de bois ».
14Consommatrice elle aussi d’ » effets de réel », qui contribuent à son efficacité, la « langue de bois » connut en Grèce un développement particulier du fait de l’importance de la rhétorique et des mythes politiques plaçant les cités sous un auguste patronage.
15La rhétorique, pendant d’une dialectique elle-même considérée comme l’art d’argumenter en opposant un raisonnement à un autre, est en effet un art de la parole agissante, de la parole efficace, dût-elle n’être pas toujours véridique. Elle prétend surtout démontrer en usant de l’enthymème, « la plus décisive des preuves », lequel est pourtant un syllogisme dont les prémisses ne sont que probables. Celles-ci se réduisent à des « opinions générales » (ἒvδoζα/endoxa) pouvant se contredire. Et les orateurs formés à l’art de parler recourent aux « idées reçues et universelles » (τὰ ϰοινὰ ϰαὶ ϰαθόλου), souvent moins aptes à convaincre les foules que les arguments, plus proches d’elles et concrets, des orateurs incultes. D’où la nécessité de retenir, autant qu’on le peut, les « idées reçues et universelles » prônées par les hommes qui décident, dont l’autorité est reconnue8.
16Cette importance accordée au vraisemblable et à l’autorité — celle, par exemple, d’Homère, si souvent cité par les orateurs —, fait de la rhétorique un des domaines où prospéra la « langue de bois ». Qu’il s’intéressât à l’action politique ou à l’éloquence judiciaire ou qu’elles lui fussent indifférentes, tout Grec formé dans les écoles, au ve siècle avant J.-C. ou à l’époque d’Isocrate, comme encore au temps de la seconde sophistique — et l’on n’a pas oublié que quatre des Vies d’Homère, dont les deux plus importantes, peuvent dater du iie siècle de notre ère —, était pourvu d’une culture laissant place à la conscience de la relativité des connaissances et des opinions, à une distinction imparfaite entre vrai et vraisemblable. Le savoir s’accompagnait du doute ; aucun absolutisme intellectuel jusqu’au triomphe du christianisme, qui, s’il accepta l’école antique, ne cessa de s’opposer à la culture classique et son esprit9. On croyait sans trop croire, une certitude en valant une autre, l’essentiel étant que la prétendue vérité du moment fut utile. Les sophistes n’étaient pas seuls à le croire.
17Le recours à l’autorité la moins contestable, au plus prestigieux des oracles ne donnait pas lui-même une véritable certitude : le dieu — Apollon — avait manqué pour le moins de clairvoyance en « médisant » lors de l’invasion perse, et volontiers cultivait une prudente équivoque, sans que l’on s’en étonnât beaucoup. Et comment choisir, quand, au iie siècle de notre ère, on pouvait lire à Delphes, gravé dans la pierre, un oracle faisant d’Ios la patrie de la mère du poète et le lieu où il devait mourir (4.1. ; cf. 10. b.), et recueillir dans le même sanctuaire un oracle en faisant un homme d’Ithaque, fils de Télémaque (5. b., §3) ?
18Paul Veyne le dit justement, toujours à propos des mythes grecs :
les modalités de croyance renvoient aux modes de possession de la vérité ; il existe une pluralité de programmes de vérité à travers les siècles, qui comportent différentes distributions du savoir, et ce sont ces programmes qui expliquent les degrés subjectifs d’intensité des croyances, la mauvaise foi, les contradictions en un même individu. […]
Pour les contemporains de Pindare ou d’Homère, la vérité se définissait, soit à partir de l’expérience quotidienne, soit à partir du locuteur, qui est loyal ou trompeur ; des affirmations qui restaient étrangères à l’expérience n’étaient ni vraies, ni fausses ; elles n’étaient pas mensongères non plus, car le mensonge n’en est pas un quand le menteur n’y gagne rien et ne nous fait aucun tort : un mensonge désintéressé n’est pas une tromperie. Le mythe était un tertium quid,, ni vrai, ni faux10.
19Le roman d’Homère était un autre tertium quid ; sa vérité n’était que rhétorique ou, si l’on préfère, de convention. Mais s’en étonnera-t-on quand, dans l’Antiquité, au Moyen Âge, voire au xvie siècle, la vérité historique se réduisait elle-même à « une vulgate que consacr[ait] l’accord des esprits au long des siècles ; cet accord sanctionn[ait] la vérité, comme il sanctionnait] la réputation des écrivains tenus pour classiques11 » ?
20Il suffisait qu’on y pût croire un peu, ou davantage, fut-ce en passant vite sur certaines difficultés, en faisant semblant d’admettre qu’il arrive aux fleuves d’engendrer des hommes ou aux génies d’exister et de s’unir à des mortelles, ce que l’on dut faire d’autant plus facilement que
L’histoire est aussi un roman, avec des faits et des noms propres, et nous avons vu qu’on croit vrai tout ce qu’on Et pendant qu’on le lit ; on ne le répute fiction qu’après, et encore faut-il qu’on appartienne à une société clans laquelle l’idée de fiction existe12.
21Passons aux mythes politiques. La constitution de l’empire d’Alexandre et des monarchies hellénistiques, puis l’extension de l’imperium populi Romani, en réduisant le pouvoir des cités, ne pouvaient qu’inciter ces dernières à trouver en retour une assise historique, à chercher dans le passé des raisons de croire à leur grandeur, des motifs de fierté. Et quel plus beau motif de fierté pour elles, quel plus sûr brevet d’hellénisme qu’avoir vu naître Homère ou, tout au moins, avoir été honorées de sa présence ?
22Samos et surtout Chios, où des Homérides s’étaient faits les gardiens de l’héritage, étaient à l’évidence des îles homériques ; Colophon était non moins évidemment une ville homérique, grâce au Margitès ; Smyrne également, si l’on voyait dans Mélèsigénès le nom de celui qui était né du Mélès ou auprès du Mélès. Et les habitants d’Ithaque pouvaient alléguer la connaissance que le poète semblait avoir de leur île, outre l’importance accordée à Ulysse. Mais il suffisait, pour les rejoindre, que l’on pût citer un petit poème tel qu’en inspira Nouveau-Mur, la « fille aux grands yeux de Cumè » (9. a., § 9), Cumè qui, elle-même, entendit jouer un rôle majeur dans la biographie homérique, comme la modeste île d’Ios. L’une sortait de l’obscurité en devenant la « matrie » d’Homère et le lieu où il reposait ; l’autre, la grande cité éolienne, trouvait le moyen de faire pièce aux prétentions ioniennes et d’occuper une place de choix dans l’histoire littéraire en devenant la ville natale à la fois de la mère d’Homère et du père d’Hésiode. Et que dire de ces autres prétentions, surtout égyptiennes, dont on a vu le succès, notamment au temps de Clément d’Alexandrie (4. m.), c’est-à-dire, à nouveau, au iie siècle après J.-C. ?
23Antimaque et Nicandre de Colophon, au ive et au iie siècle avant J.-C., faisaient d’Homère un de leurs compatriotes ; Éphore de Cumè le réclamait indirectement pour sa ville, dans son Histoire locale (4. d., i. et g. ; 5. c., § 2). La valeur de tels auteurs interdit de mépriser ces revendications en y voyant les marques d’une simple vanité collective. Ce que l’on cherchait avant tout, à travers cette « idéologie des origines », c’était une identité plus forte, un ancrage dans le passé.
Ce qu’il y avait d’étrange, en effet, dans cette historiographie locale, c’est qu’elle se réduisait aux origines : elle ne racontait pas la vie de la cité, les souvenirs collectifs, les grands moments. On en savait assez lorsqu’on savait quand et comment la cité avait été fondée ; une fois née, la cité n’avait plus qu’à vivre sa vie, qu’on pouvait présumer comparable à ce que peut être une vie de cité et qui serait ce qu’elle pourrait. Il n’importait : une fois que l’historien avait raconté sa fondation, la cité était épinglée à sa place dans l’espace et le temps ; elle avait sa fiche d’identité13.
24Pas de difficulté pour les Athéniens, qui se prétendaient autochtones, et donc antérieurs, voire supérieurs à tous les autres Grecs — Démosthène et Hypéride ne se firent pas faute d’utiliser à ce propos la « langue de bois »14 —, mais également liés à la déesse Athèna, dont ils tenaient leur nom. Et les gens de Thèbes pouvaient invoquer Cadmos et le dragon, dont les dents, semées, auraient produit les premiers habitants ; ceux de Delphes rappelaient la présence alternée, dans le sanctuaire, d’Apollon et de Dionysos, la lutte du premier et d’Héraclès pour la possession du trépied, la mort du serpent Python. Ce n’est donc pas un hasard si des villes aussi importantes qu’Athènes et la Thèbes de Béotie (malgré la Thébaïdé) occupent une place réduite dans le roman d’Homère, si Delphes est citée uniquement dans la Rivalité d’Homère et d'Hésiode : leur auto-chtonie ou leurs monstres chtoniens les rattachaient à la terre de Grèce ; on répétait depuis longtemps que les dieux s’étaient penchés sur elles15. Mais Ios, par exemple, et toutes ces villes, parfois puissantes, de la nouvelle Grèce d’Asie ? Elles ne pouvaient mieux faire que lier directement leur fondation à la colonisation dite ionienne, souvent mise au compte de Nèleus, ou se prétendre d’une manière ou d’une autre la cité d’Homère, « signe national de reconnaissance de toute la grécité16 », ou moins souvent d’Hésiode, voire des deux à la fois.
25Ainsi s’explique la place du poète dans ce que Paul Veyne appelle une « historiographie de faussaires, où tout est inventé à partir d’indices minuscules ou de l’imagination de l’auteur17 ». Mais avait-on prouvé qu’Homère n’était pas né sur la rive du Mélès ? Avait-on même prouvé qu’il n’était pas le fils du Mélès ou celui d’un génie participant au chœur des Muses (5. c., § 3) ? Et si c’était vrai ? Après tout, puisqu’on le disait…
26La « langue de bois » doit une part de son efficacité à cette question sans réponse (et si c’était vrai ?), une autre part à l’attente des auditeurs ou lecteurs, à un besoin souvent non formulé ou mal formulé, dont la force annihile très largement l’esprit critique : on croit ce qu’on veut croire, tous les prédicateurs et propagandistes le savent. Et les prétentions d’Ios ou même de Kenkhréai et Gruneion (4. f.), de certains Égyptiens, notamment de la Thèbes « aux cent portes », peut-être des barbares plus ou moins hellénisés d’Amastris, n’étaient pas plus ridicules que la volonté de trouver une origine troyenne à la monarchie franque, illustrée par la Chronique dite de Frédégaire (viie siècle) et bien d'autres ouvrages, comme le Spéculum historiale de Vincent de Beauvais, jusqu’aux Illustrations de Gaule et Singularités de Troie de Jean Lemaire de Belges (1510 - 1513) et à la Franciade de Ronsard (1572), auxquels il faut ajouter au moins — car cette invention n’est pas propre à la France — l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth (1138).
27À tout prendre, il était moins difficile d’accepter le roman d’Homère, surtout dans sa version « hérodotéenne » : si cela n’est pas vrai, cela est bien trouvé, devaient penser déjà les plus incrédules.
Les lieux
28Le roman d’Homère s’est donc en partie constitué autour de quelques lieux où il apparaissait immédiatement que le poète aurait vécu. Puis l’historiographie locale, grâce à la liberté donnée par l’emploi de certaine « langue de bois », permit d’ajouter d’autres villes. Mais le prétendu concours poétique de Chalcis d’Eubée permit d’en ajouter encore une, un peu inattendue, et l’auteur de la Vita Herodotea ne se fit pas faute d’innover.
29On trouve en effet dans cette Vie et, à un moindre degré, dans la Rivalité d’Homère et d’Hésiode, un chapelet de cités, l’itinéraire qui mena le poète de Smyrne à Ios, de la naissance à la mort. Toutefois l’auteur de la Rivalité d’Homère et d’Hésiode, quelque professeur ou savant modeste du iie siècle, part de faits réels ou crus tels (le prétendu concours de Chalcis, les sacrifices pratiqués régulièrement à Argos, l’existence d’une statue d’Homère dans la même ville, avec son inscription, celle d’autres inscriptions, dont la dédicace d’une coupe offerte au sanctuaire apollinien de Delphes) et de l’œuvre homérique (l'Iliade, les hymnes, le Margitès, mais aussi de courts poèmes) pour reconstituer le chemin de cette existence. Aux inévitables Smyrne, Chios et Colophon, il ajoute en effet Delphes et sa région, où le poète aurait longtemps séjourné (10. b. et 10. c., § 15), Aulis, peut-être lieu de sa rencontre avec Hésiode (5. b., § 5), puis Chalcis d’Eubée (11. a.) et à nouveau Delphes, où l’Iliade et l’Odyssée auraient, apparemment, été composées (10. c., § 16), Athènes, Corinthe, Argos, puis Délos (10. c., § 16-18), et finalement Ios (14. b.), Ios où il devait pourtant se garder d’aller et où l’on s’étonne de trouver Créôphulos (10. b. et 14. b. ; cf. 14. d.) : l’auteur a manifestement éprouvé de la difficulté à rattacher la fin d’Homère au reste de sa vie.
30Celui de la Vita Herodotea adopte une tout autre méthode. Au pur travail de compilation il préfère le récit (μῦθος/muthos), dont les lois premières sont l’unité et la continuité18. De Smyrne à Ios, l’itinéraire supposé du poète est toujours réglé par une claire nécessité, justifié, tendu vers un but. Les faits ou textes allégués ne font qu’illustrer le propos. Il part également de plus loin, en faisant précéder l’histoire d’Homère d’une préhistoire : avant Smyrne il y eut Cumè, avant Cumè il y eut la Magnésie (5. a., § 1). Et Homère (ou Mélèsigénès) ne quitte la nouvelle Grèce d’Asie que pour aller mourir à Ios et pour accompagner Mentès dans un voyage qui le mène très loin vers l’occident. Smyrne, donc, puis différents lieux, dont Ithaque, où il séjourne auprès de Mentor, l’Espagne et l’Étrurie (9. a., § 7). D’autres lieux encore, dont Colophon, où il perd la vue et décide de revenir chez lui, à Smyrne (9. a., § 8). Départ pour Cumè (à cause de difficultés matérielles), arrêt à Nouveau-Mur, pour de véritables débuts poétiques (9. a., § 9-10). Arrivée à Cumè, en passant par Larissa, et séjour (9. a., § 11-14). Mais, n’y étant pas reconnu à sa juste valeur, il s’en va et gagne Phocée, où il reste jusqu’à la découverte de l’indélicatesse de Thestoridès, qui le conduit à se rendre à Chios (9. a., § 15-17). Après un passage obligé par Érythrées, arrivée sur la côte de l’île (9. a., § 17-19), où il passe par le lieu-dit Le Pin et la demeure de Glaucos avant de séjourner longuement à Bolissos, puis dans la ville même de Chios (9. a., § 20-28). Encore un départ, cette fois-ci pour la vieille Grèce, où l’appelle son talent. Mais il ne peut aller que jusqu’à Samos et Ios, où il meurt (9. a., § 29-36).
31L’auteur de la Vie II recentre donc partiellement l’existence d’Homère sur la Grèce d’Europe, en donnant à Delphes une importance que justifie la présence du fameux sanctuaire d’Apollon, sans oublier la propagande delphique et l’usage qu’elle fit, à la fin du vie siècle, des figures prestigieuses d’Hésiode, Archiloque, mais également Homère :
il est certain que Delphes ne peut renoncer, à un moment donné, à essayer, pour le moins, de l’attirer dans son orbite. Mais la popularité du vieux poète est beaucoup plus ancienne, antérieure, en tout cas, à la diffusion panhellénique de la renommée du grand sanctuaire19.
32Au contraire, l’auteur de la Vie I localise la plus grande partie de la même existence en Asie, dans un triangle ayant pour sommets Cumè, Samos et Chios : seules, parmi les grandes villes homériques, Colophon et surtout Ios restent hors de ce triangle, dont l’emplacement s’accorde avec le seul fait indiscutable, de caractère géographique, que laisse apparaître l’Iliade.
33Samos et Cumè retiennent tout particulièrement l’attention. La première, uniquement citée par la Vita Herodotea, peut devoir sa présence à deux faits : Fauteur n’ignore pas que, pour aller de Chios vers, par exemple, Athènes, à une époque où la navigation se réduit habituellement à du cabotage, le plus sûr est de descendre vers Samos avant d’aller vers l’ouest, en passant par l’île d’Ikaria et les Cyclades. Et surtout il n’ignore pas la poésie homérique de Samos, quoiqu’il la réduise à deux courts poèmes et deux chansons de quête, intéressantes mais sans commune mesure avec l’Iliade ou l’Odyssée. Homère a composé ses grandes œuvres à Chios, des œuvres un peu moins grandes à Smyrne et Phocée, des œuvres encore moins grandes à Samos, mise en somme, à ce point de vue, sur le même plan que le modeste village de Bolissos. Cette hiérarchisation, à rapprocher du déplacement de Créôphulos (12. d. et e. ; 14. i. ; surtout 14. b. et d.), des railleries que Platon et Callimaque se permirent à son encontre, de l’oubli total de Samos dans les autres Vies d’Homère, est assurément remarquable.
34Tout différent est le cas de « Cumè l’Ancienne » (5. a., § 1). Absente de la Vie II, la grande ville éolienne est en effet citée dans les Vies I, III, IV, V, VI, VII et IX. On en fit même une des sept villes où le poète aurait eu sa « racine » (4. u.). Toutefois, dès le ive siècle avant J.-C. au plus tard, on douta qu’elle eût vu naître Homère. Peut-être même cette idée est-elle secondaire, doublement secondaire, parce que très vraisemblablement inspirée de l’histoire du père d’Hésiode (Les Travaux et les jours, v. 633-639) et née d’un raccourci ou plutôt d’un abus : Éphore, bien qu’originaire de Cumè, y faisait naître seulement Crithèis, la mère du poète (5. c., § 2 ; cf. 4. d., e., f., g., i., puis 5. a., § 1-2 et 5. k.).
35Cumè, avons-nous dit, est la ville des débuts et des départs. Ajoutons qu’elle est la ville des occasions manquées, qui n’a pas su ou pu devenir le berceau de la grande poésie « épique », celle d’Hésiode et Homère, comme si pesait sur elle une malédiction (cf. 10. a., § 14-15). Son destin était d’être trop raisonnable et prudente — ne s’obstina-t-elle pas à respecter des lois archaïques, « par trop simples et barbares »20 ? -—, et par là inférieure à Smyrne, sa prétendue colonie (5. a., § 2), où même des commerçants et armateurs, comme Mentès, pouvaient protéger les poètes. Et pourtant — l’auteur de 1a Vita Herodotea y insiste, avec des arguments de médiocre valeur (4. a.) — Homère pouvait toujours être considéré d’origine éolienne au iie siècle de notre ère. Cela, vraisemblablement, du fait de sa langue, où l’on pensait que les éléments ioniens, majoritaires, s’étaient superposés à un substrat éolien.
36La présence, en revanche, de Chalcis, dont il n’est guère question en dehors de la Rivalité d’Homère et d’Hésiode, s’explique par l’influence d’une biographie apparemment solide, celle du premier poète censé parler ouvertement de lui et des siens, sur une autre, beaucoup plus incertaine. La ville est entrée dans le roman d’Homère à cause de l’interprétation abusive d’un passage d’Hésiode, et le concours n’est qu’une invention, vraisemblablement en rapport avec le travail de mise en ordre et d’enrichissement de la légende homérique auquel on se livra au ive siècle, s’il n’a pas été imaginé par Alcidamas, ce qui en ferait dater l’apparition de la première moitié du ive siècle ou de la fin du ve.
37Cependant la querelle, le duel poétique — Hésiode et Homère, Hésiode et Leskhès de Pyrrha, ce même Leskhès de Pyrrha et Arctinos de Milet, et l’on penserait tout aussi bien à Sapphô et Alcée, Pindare et Bacchylide, Callimaque et Apollonios —, paraît avoir été un topos souvent repris dans les écoles, qu’Aristophane transposa dans les Grenouilles. Et n’avons-nous pas un bel exemple d’ekphrasis dans le « tableau » de Philostrate (5. m.) ? La rhétorique, évoquée plus haut à propos de la « langue de bois », la rhétorique scolaire, a donc pu enrichir directement le roman d’Homère en faisant naître des récits ou en proposant des situations topiques.
38Revenons aux deux extrémités du voyage. Il serait difficile de ne pas remarquer d’abord l’opposition, dans le roman d’Homère, entre le point d’arrivée, quasi sûr, et celui du départ, si discuté. Le poète devait mourir à Ios, mais il pouvait naître partout : Lucien exagérait à peine en parlant de Babylone.
39Pourquoi devait-il mourir à Ios ? Ce qui a été dit, ou plus exactement répété, à la fin du chapitre précédent ne dispense pas d’y revenir. Car Ios, également, a passé pour le lieu de naissance de la mère du poète. Mieux, pour sa « matrie », sa « cité-mère » (μητρόπολις/mètropolis). Cette île, qui semble n’avoir jamais compté plus de quelques centaines d’habitants, où l’on a retrouvé moins de cinquante inscriptions, dont aucune n’est antérieure au ive ou, peut-être, au ve siècle avant J.-C., occupe ainsi dans le roman d’Homère une place que seules Chios et Smyrne peuvent lui disputer. Non pas, certes, à cause de sa richesse, de sa puissance, du rôle qu’elle a joué dans l’Histoire. Pas davantage parce que la « langue de bois » aurait eu, pour elle, une efficacité particulière. La gloire d’Ios, officialisée par le plus fameux sanctuaire panhellénique (celui de Delphes), semble la dépasser, ne pas s’expliquer uniquement par le désir banal de se signaler au milieu d’autres cités. À la différence de Cumè, elle est d’abord l’île du retour ou, tout au moins, celle où l’on arrive pour n’en plus partir. Également celle où la vieillesse le cède à la jeunesse, où tout le savoir du monde ne vient pas à bout de la malice d’humbles pêcheurs, où le poète redevient faible comme un enfant, avant de tomber ou de se laisser glisser pour reposer sur, puis dans la terre maternelle.
40Et cette terre maternelle porte un nom que l’on pouvait difficilement mettre en rapport avec la flèche (ἰóς), le poison ou la rouille (également ἰóς, sans rapport avec le précédent), ou certain démonstratif (ἰóς, féminin ἴα), non plus qu’avec la violette (ἴοv), mais faisant penser à la famille de mots en rapport avec l’Ionie. L’existence de l’anthroponyme Δωρίων à côté de δώριος (« do-rien »), d’Αἰολίων/Αίοliôn (« fils d’Aiolos » ou, si l’on préfère, d’Éole, l’ancêtre mythique des Éoliens) à côté d’αἰóλιoς/aiolios (« éolien »), ne pouvait, au demeurant, qu’inciter à rapprocher Ἴος de Ἴων (Ion, le héros, neveu d’Aiolos, auquel les Ioniens auraient dû leur nom). L’Ionienne, voilà ce qu’une étymologie incertaine permettait de voir dans l’île d’Ios, en suggérant que celle-ci était, non pas la terre que les Ioniens rêvaient de gagner un jour, mais une sorte de point focal vers lequel tout, pour eux, convergeait.
41Pourtant ce point focal n’était-il pas Délos, lieu, dès l’époque géométrique, d’un culte essentiellement réservé aux Ioniens, leur grand centre religieux avec le Panionion du cap Mycale ? L’auteur de la Rivalité d’Homère et d’Hésiode évoque, au reste, la « fête communautaire » où notre poète aurait chanté l’hymne à Apollon délien, avant d’être admis dans la communauté des Ioniens (10. c., § 18). Thucydide le sait bien, qui se réfère à cet hymne délien, pour lui authentiquement homérique (III, 104) :
Il existait déjà dans l’ancien temps un grand rassemblement, à Délos, des Ioniens et des habitants des îles environnantes. Ils y assistaient avec femme et enfants, comme à présent les Ioniens aux fêtes éphésiennes.
On y faisait un concours gymnique et artistique, et les cités envoyaient des chœurs.
42Mais l’île natale d’Artémis et Apollon n’avait nul besoin de la naissance ou de la mort d’un poète pour l’illustrer. Et surtout la purification du sanctuaire et de ses environs sur ordre de Pisistrate, entre 540 et 528, puis celle de l’île entière en 426, avec interdiction d’y naître ou mourir, auraient empêché d’y placer la mort du poète ou obligé d’admettre que son tombeau, comme tous les autres (à une exception près), avait été déplacé vers l’île, toute proche, de Rhénée. Homère ne pouvait, au mieux, qu’être passé par Délos.
43Le rapport qu’une réflexion, même sommaire, sur son nom faisait établir entre Ios et Ion, et donc l’Ionie — rappelons que telle est l’opinion d’Étienne de Byzance —, à moins d’admettre que, né dans la ville de la myrrhe (σμύρνα/smurna), Homère était mort dans l’île de la violette (ἴov), comme le suggère Plutarque21, doit pourtant être précisé. Le foyer dont nous parlions indirectement est en effet purement virtuel ou, si l’on veut, conceptuel. Disons mieux : il est purement légendaire, sans plus de rapport avec l’île réelle d’Ios que le séjour des dieux avec le mont appelé l’Olympe, où nul n’imaginait Zeus vivant dans la neige et les éboulis22.
44Homère l’Éolien, voire l’Égyptien, le Chypriote, le Romain, le Syrien, le Chaldéen, Homère d’Ithaque ou de Cumè, Pylos, Argos, Mycènes, etc. devait être devenu ionien, comme l’indiquait la langue de ses poèmes ; il devait avoir été accueilli, reconnu par les Ioniens. À l’occasion de leur fête communautaire, à Délos ? Éventuellement. Mais il fallait plus qu’une sorte de naturalisation, et même plus qu’une « appropriation d’Homère par l’empire athénien, comme porte-parole, de manière explicite au festival panhellénique des Délia à Délos et de manière implicite au festival panhellénique des Panathénées à Athènes23 ». En faisant lui aussi mourir le poète à Ios, l’auteur de la Rivalité d’Homère et d’Hésiode confirme la nécessité de son assimilation, de son intégration finale dans la terre ionienne représentée par Ios. Il n’est même pas exclu qu’il y ait quelque chose de significatif dans le fait que, d’après le même auteur, Homère soit mort dans cette île alors qu’il voulait se rendre à Thèbes, la grande ville béotienne, et donc éolienne.
45Mais son lieu de naissance ? Certaines prétentions, qui semblent extravagantes, prouvent à quel point le poète était devenu, surtout à l’époque impériale, le garant du caractère hellénique d’un peuple, d’une cité.
Ce n’est ni par droit du sang ni par droit du sol que les Grecs d’Egypte se rattachaient à la civilisation hellène, mais grâce à la culture qu’ils avaient reçue et conservée,
46constate André Bernand24, et les poèmes homériques, lus, copiés, récités, restaient la base de l’éducation à la manière grecque. Les éditions particulières auxquelles furent attachés les noms de Marseille, Sinope (au bord de la mer Noire), Chypre et la Crète, à côté de Chios et Argos, avaient ainsi pour but essentiel l’affirmation de la fidélité à l’héritage hellénique.
47Toutefois, si Naucratis avait été dès le milieu du vie siècle avant J.-C. un important comptoir commercial panhellénique, si les Lagides avaient fait plus tard d’Alexandrie la capitale intellectuelle et artistique du monde grec, Thèbes « aux cent portes », l’ancienne capitale du Moyen et du Nouvel Empire, était encore, au début de l’ère chrétienne, avec Edfou, Memphis et Sais, la plus égyptienne des villes d’Égypte. Et pourtant on y fit naître Homère, que l’on dit même, sans plus de précision, égyptien.
48De fait, le poète évoque assez longuement l’Égypte dans les chants IV, XIV et XVII de l’Odyssée — vraisemblablement sans la connaître, si l’on en juge par ce qu’il dit de l’île de Pharos (IV, v. 354-357). Hérodote rapporte également les propos de prêtres égyptiens concernant Hélène, Ménélas et Alexandre-Pâris (II, 113-120). Et les Thébains pouvaient s’autoriser de deux allusions homériques (Iliade, IX, v. 381-384 et Odyssée, IV, v. 126-127). Mais, s’il est vrai que, pour ne rien dire des descendants de colons grecs ou macédoniens, nombre d’Égyptiens aisés, dans les villes, étaient hellénisés, la théorie de l’origine égyptienne d’Homère paraît bien relever d’un autre genre de « langue de bois », en rapport avec une sourde opposition qui expliquera, plus tard, la facilité de la conquête arabe. Plus question de se réclamer de l’hellénisme ; c’était à l’hellénisme de se réclamer de l’Égypte : Hérodote n’assimilait-il pas déjà les dieux grecs à des divinités égyptiennes ? N’était-il pas allé jusqu’à sembler faire des prêtres de ce pays des sortes d’oracles en leur demandant « si les Grecs parlent ou non à tort et à travers lorsqu’ils racontent les événements d’Ilion » (II, 118) ? Il n’en reste pas moins que le seul fait allégué, l’usage égyptien d’échanger des baisers, ne convainc pas plus que ceux destinés à prouver une origine romaine (4. g.). Et les noms prêtés aux parents égyptiens d’Homère, Aithra et Dmasagoras, ou Ménémachos (5. b., § 3 ; 5.1. ; cf. 4. p., v. 4 ?), ont la particularité d’être grecs.
49On rapprochera cette nouvelle attitude, si compréhensible dans un pays tel que l’Égypte et une ville telle que Thèbes, où subsistaient d’innombrables témoins d’un passé glorieux, de la tendance, qui n’est plus exceptionnelle au iie siècle, à faire passer la sagesse et la littérature grecques après celles des Hébreux, même au point de vue chronologique. Tatien et Clément d’Alexandrie en donnent la preuve (6.1. et m.). Et certains, en dehors des milieux juifs ou chrétiens, pensaient, vers le milieu du iiie siècle de notre ère, que la philosophie avait été inventée par les barbares perses, babyloniens ou assyriens, indiens, celtes et égyptiens25.
50Laissons cela, qui relève essentiellement d’un préjugé antihellénique ou, ce qui revient au même, antipaïen, pour revenir en Grèce. Une ville, surtout, passa dès le ve, voire le vie siècle avant J.-C., pour avoir vu naître Homère — tel était l’avis de Stèsimbrotos de Thasos et peut-être Pindare, comme celui d’Éphore, pourtant originaire de Cumè (4. g. et i. ; 5. c., § 2 ; cf. 4. d. et o., 5. a., § 2-3, 5. i. et j.) — : nous parlons de Smyrne, dont les habitants auraient été les premiers à défendre cette prétention (4. b., § 2), avant, probablement, de susciter la réaction de ceux de Chios et Colophon.
51Ville éolienne devenue ionienne, ce qui pouvait expliquer déjà l’aspect composite de la langue homérique, et d’où l’on voyait le « Mimas26 battu des vents » sous Chios, et le haut de la « rocheuse Chios » elle-même, à gauche, Smyrne était en effet la mieux placée pour sembler la ville natale du poète auquel la déesse avait chanté la colère d’Achille. Manquait cependant une preuve. Elle vint d’un poète.
52Faut-il parler à nouveau de la « langue de bois » ? Ou d’une véritable erreur, d’un contresens sur un néologisme exactement comparable au μελησίμβροτος de Pindare, mais pouvant sembler parallèle à l’adjectif διογενῖς, synonyme de δῖον γένος, expression qu’une étrange confusion avait fait comprendre « descendance de Dios », en donnant un père à Hésiode ? Quoi qu’il en soit, le nom qu’Homère aurait reçu en naissant, selon les témoins les plus fiables, et qui n’est pas attesté par ailleurs, paraît bien avoir été d’abord un hapax poétique, l’épithète μελησιγενής/mélèsigénès, où l’on comprend que des habitants de Smyrne aient cru ou pu trouver le nom du Mélès.
53Il faut donc le constater à nouveau : le roman d’Homère est redevable à la biographie hésiodique. C’est à l’inévitable rapprochement des deux poètes que sont dus à la fois le concours de Chalcis et le lieu le plus vraisemblable de la naissance d’Homère, à quoi beaucoup ajoutaient le nom de son père, au prix d’un à-peu-près linguistique et d’un abus du texte hésiodique, dont le premier ne peut guère avoir été commis avant le vie siècle : il a fallu qu’Hésiode eût un père clairement identifié pour qu’Homère pût trouver le sien.
Les personnages
54Un personnage principal, Mélèsigénès-Homère27, originaire d’une cité avec laquelle Chios et Colophon, puis tant d’autres villes, tentèrent de rivaliser sans disposer des mêmes armes, malgré la présence des Homérides dans la première ; un début de généalogie, avec Mélès ou Maiôn. Voilà qui constituait un point de départ. Restait à trouver un point d’arrivée. Ce fut l’île d’Ios, à cause d’une prétention qui en fit même, apparemment, l’un des lieux de naissance d’Homère, mais surtout parce qu’une étymologie vraie ou fausse permettait de la rapprocher des Ioniens. Il n’y avait plus, dès lors, qu’à relier le commencement à la fin, la patrie à la « matrie », tâche dont se sont acquittés, chacun à leur manière, les auteurs des Vies I et II.
55Encore fallait-il donner de la chair à ce roman, créer une vie, un monde, autour du personnage principal. Des pirates, des enlèvements, des amours plus ou moins extraordinaires auraient été parfaits. Mais ces éléments, tant prisés par les romanciers grecs contemporains des Vies I à IV, sont absents du roman d’Homère, à la notable exception du passage de la Vie III (5. c., § 3) dans lequel Aristote est cité, ou plus exactement paraphrasé. Il faut l’accepter : le roman d’Homère n’est guère romanesque. Aucun naufrage, aucun péril ne menace la vie du poète — seulement la chute d’une pomme de pin et les aboiements des chiens de Glaucos (10. a., § 20-21). Il ne fait que voyager sans encombre et séjourner dans diverses villes en tâchant de gagner sa vie par ses compositions et son enseignement. Seule une partie de l’existence de sa mère aurait peut-être été digne d’un roman.
56Sa vie privée se réduit, pour nous, à un mariage tardif avec une femme anonyme, dont seraient nées deux filles, également anonymes, dont l’une aurait épousé un homme de Chios, lui aussi anonyme (12. a., § 25). Les précisions données par Hésychios de Milet et Jean Tzetzès (12. b. et c.) sont en effet plus que suspectes, indépendamment de leur caractère tardif, et les deux fils ajoutés par eux ne méritent pas qu’on s’y arrête. Cette femme, ces filles, ce gendre sans nom restent des ombres, ils n’existent pas vraiment. Et le peu qu’on apprend du gendre est simplement destiné à confirmer que, malgré l’avis — semble-t-il — de Pindare, les Chants cypriens ne sont pas d’Homère et n’ont donc pu être donnés en guise de dot à Stasinos de Chypre : on a vu que telle était l’opinion d’Hérodote.
57Reste la fille qui mourut « sans avoir été mariée », ce qui doit signifier également « sans avoir eu d’enfant ». La remarque, apparemment anodine, rappelle discrètement que, même pour l’auteur de la Vita Herodotea, il n’est pas d’autres Homérides que ceux de Chios, descendants d’une fille du poète et d’un homme apparemment sans importance, mais citoyen de la ville. Un autre rameau, qu’on localisera volontiers à Samos, a bien existé, mais il est demeuré stérile. On le voit donc : le passage traite de l’œuvre homérique et des successeurs du poète plutôt que de sa vie privée.
58Quant à sa vie sociale, elle paraît s’être réduite à l’exercice du métier de maître d’école — maître d’école particulier, puisqu’il enseigne ses propres œuvres et, très tôt, a pour auditeurs des adultes cultivés « pour cette époque » (9. a., § 6) : Hésychios de Milet ne le fait intervenir dans l’assemblée de Smyrne, à propos d’on ne sait quelle guerre (7. b.), que pour justifier l’une des étymologies proposées du nom Homère. Il n’a pas été un citoyen actif, comme Sophocle ; il n’a pas été un soldat, comme Archiloque ou Eschyle ; il n’a pas été mu par des passions partisanes, comme Alcée ou Théognis ; il n’a pas côtoyé les grands, comme Anacréon, Simonide, Pindare, Bacchylide et quelques autres, ou même Phèmios et Dèmodocos, dans l’Odyssée ; et les écoles qu’il a dirigées, notamment à Smyrne et à Chios, n’avaient rien de commun avec celle qu’on prête à Sapphô.
59Mais les autres personnages ? Certains, on l’a vu, surtout dans la Vita Herodotea, sont empruntés à l’œuvre (Phèmios, Mentès, Mentor, Tukhios, voire Glaucos et Crèthôn, et bien évidemment Télémaque ou Polucastè/picastè ; également Thamyras/Thamyris) ; d’autres appartiennent à la tradition mythique (Poséidon, Thoôsa, Apollon et le daimôn devenu Daèmôn puis Alèmôn, Calliope et la nymphe Méthônè ; Orphée, précédé par une lignée remontant au moins jusqu’à Linos, par l’intermédiaire d’Oiagros et Piéros) ; d’autres sont plus ou moins historiques (Nèleus et Médon à Athènes, les fils de Midas, Panèdès, frère du feu roi Amphidamas, sans oublier Créôphulos et Stasinos de Chypre) ; d’autres encore rattachent Homère à Athènes (Aithra, voire Thésée), Argos (Humèthô), la Béotie (Ismèniès) ou le monde dorien (Dôriôn) ; d’autres enfin ont un aspect quasi allégorique, tant leurs noms sont parlants. Ce que disent ces noms parlants ? Le charme de la langue homérique (Philoterpès, Khariphèmos, Euphèmos, Harmonidès, Euépès), la sagesse et la science du poète (Épiphradès, Idmonidès, Thémistô/Thémistè, Métis et Eumètis), sa gloire et sa « droite » naissance (Eucléès, Cluménè, Ithagénès, Cléanax) ou son courage (Ménémachos), voire sa place dans la cité (Dèmagoras, dont Dmasagoras peut être un avatar).
60Nous laisserions de côté les anonymes (les chasseurs de poux, les marins qui transportent le poète, ses élèves et auditeurs, le Samien qui l’invite au festin de sa phratrie, cette prêtresse au verbe haut, etc.) s’il n’y avait parmi eux l’homme de Chios, mais aussi la femme, les filles, le gendre d’Homère et son serviteur, simples silhouettes à peine entrevues, sur lesquelles on voulut parfois, tardivement, apposer un nom (Arsinoè ou Arsiphonè, Gnôtor/Gnôstor ou Pastor, Skindapsos ou Buccôn). La transparence de ces derniers est en effet d’autant plus remarquable qu’ils ont été infiniment plus proches du poète que Glaucos, Tukhios ou même Mentor. Plus proches du poète ? Rectifions immédiatement : ils ont été plus proches de l’homme, non de l’artiste, considéré simplement comme un précepteur, un père, un beau-père, un mari. Aussi pouvaient-ils importer moins que Pronapidès, dont on se demande où Diodore de Sicile l’a trouvé (8. c. ; cf. 8. b.).
61Le roman d’Homère est donc celui d’un auteur, plus précisément, ajoute Gregory Nagy, d’un auteur en train de créer ou d’interpréter son œuvre :
On constatera que dans les périodes pré-panathénienne et panathénienne de la réception homérique, telle qu’elle est racontée dans les Vies, Homère n’est pas présenté comme un auteur au sens d’écrivain, mais simplement comme un artisan qui « crée » des chants/poèmes ; ces derniers sont actualisés par leur récitation, si bien que ces chants/poèmes lui sont attribués. Homère est un « auteur », mais le droit à cette appellation […] dépend de la performance de ses chants/poèmes et non du texte écrit28.
62Restent quelques personnages. Certains (Homurès ou Omurès, Ortès ou Drès, Aithousa, Mnèsigénès, et même Mélanôpos et Thestoridès) ne méritent pas qu’on y revienne ici. Mais Apellis/Apellès/Apellaios, Crèthèis, Maiôn, Mélès, que les témoins les plus nombreux et les meilleurs disent le père, la mère et le grand-père d’Homère ? Maiôn, Mélès, mais aussi Crèthèis, aux noms vraisemblablement préhelléniques, comme celui de Smyrne, confirment l’enracinement du poète dans la terre maionienne. Non point une origine barbare, et plus précisément lydienne — certains ont commis l’erreur (5. c., § 3 ; 5. k.), en ignorant que les Lydiens n’avaient pas toujours occupé le littoral égéen29 —, mais son autochtonie. Homère est l’homme de ce pays vers lequel tant de Grecs devaient affluer à leur tour ; il est inséparable de la colonisation grecque de l’Ionie et de l’Éolie ; c’est avec raison que Martial parle encore, à son propos, d’une « poésie maionienne » (3. o.).
63Apellis/Apellès/Apellaios, quant à lui, est nommé dans les Vies II, III, V, VI et VIII (5. b., § 4 ; 5. c., § 2 ; 5. d., § 4 ; 5. e. et f.). Et surtout il était cité par Stèsimbrotos et les historiens Hellanicos, Phérécyde et Damastès, au ve siècle, puis par Charax de Pergame. On ne peut donc le dédaigner. Mais que faire de lui ? L’étymologie du nom, qui nous éclairerait peut-être, est inconnue. Il semble, en effet, que l’on doive exclure un rapprochement avec Ἀπέλλων = Ἀπόλλων (Apollon) en Crète et à Amyclées, et même avec ἀπέλλαι (« enclos » ou « assemblées », dans des inscriptions laconiennes et le dictionnaire d’Hésychios ; cf. ἀπελλεῖν, glosé par le même Hésychios αποκλείει, « fermer », « arrêter », d’où « exclure », et le sacrifice dit des ἀπελλαῖα, à Delphes), bien que son dérivé Ἀπελλαῖος ait désigné un mois de l’année à Delphes et à Épidaure, mais également en Lydie30, comme Ἀπελλαιών à Tènos, l’une des Cyclades : la modestie de la place laissée à Delphes et surtout à la Doride et aux Doriens dans le roman d’Homère suffirait à le rendre invraisemblable. Un rapprochement avec ἀπέλ(λ)ητος (« antagoniste »), dans un fragment d’Eschyle (F 415 Radt), ou avec ἀπελλόν (« peuplier noir », d’après Hésychios) ne vaudrait cependant pas mieux, et les noms d’Apellanôn, Apellas, Apelléas, Apellias, Apellicôn, Apellicos, Apellikhos ou Apelliôn ne nous apprennent rien.
64Toutefois ce constat d’ignorance permet une hypothèse, il est vrai facile : celui que l’on disait habituellement le père de Maiôn ou de Crèthèis ne serait-il pas, comme eux, un personnage emprunté à la tradition locale, un personnage « maionien » ou pouvant sembler tel ? Et l’hésitation de nos sources entre Apellis, Apellès et Apellaios ne serait-elle pas due au caractère étranger du nom, que l’on s’efforça d’adapter en grec ? D’où la répartition des personnages constituant la généalogie d’Homère en trois groupes : (1) au plus près de lui, avec un aspect d’authenticité mais une certaine obscurité, les « Maioniens » ; (2) très loin, des ancêtres prestigieux et pour tout dire mythiques, dont les « chanteurs » Linos et Orphée ; (3) entre eux, comblant avec Mélanôpos un vide de plusieurs siècles, reliant surtout le mythe à la prétendue réalité, des hommes au nom trop clair, trop parlant, pour n’avoir pas été inventé.
La genèse du roman d’Homère
65Comment ces personnages, ces lieux, sont-ils devenus ceux d’un roman ? Car la « langue de bois » et les prétentions de tant de cités ne sauraient tout expliquer. Un roman suppose un auteur, éventuellement collectif ; et il suppose une fin ou, tout au moins, un point de départ, fut-il aussi mince qu’un fait divers lu dans la presse, qui permette de nouer quelque part l’une des extrémités du fil. Le point de départ du roman d’Homère ? Il est dans l’œuvre même, une œuvre où, longtemps, le Margitès ne fut pas moins important que l’Iliade et l’Odyssée : l’auteur, si évidemment présent, malgré sa discrétion, aurait d’abord essayé sa plume avant d’entreprendre de chanter les héros. À elle seule cette mise en perspective, quoique malaisément conciliable avec l’attribution du Margitès à « un vieillard, un aède divin », suffisait à créer un avant et un après, en entrouvrant l’espace temporel où pourrait se déployer un roman, s’ordonner les éléments d’un muthos.
66Mais d’autres poèmes devaient y trouver place, à commencer par la Thébaïde, d’autres poèmes dont on savait plus ou moins sûrement qu’ils étaient d’Arctinos de Milet (Le Sac d’Ilion), Antimaque de Téos (Les Épigones), Leskhès de Pyrrha (La Petite Iliade), Stasinos de Chypre (Les Chants cypriens), Agias de Trézène (Les Retours), voire de Créôphulos de Samos (La Prise d’Oikhalid), ou encore Cunaithos de Chios, dont l’hymne délien ne peut pas être antérieur au milieu du VIe siècle. Le mariage de l’une des filles d’Homère avec Stasinos, sa visite à Créôphulos, n’ont pas d’autre origine que le désir de justifier une double attribution.
67L’œuvre était là, inégale, disparate. En dehors de l’lliade et de l’Odyssée, de la Thébaïde, du Margitès, elle pouvait même être d’Homère ou d’un autre, d’Homère et d’un autre, sans que l’on en fût, apparemment, beaucoup gêné, encore qu’Hérodote ait déjà voulu clarifier la situation. Parce qu’il y avait, immédiatement sensible, la même présence tutélaire ; parce que tous ces poèmes étaient homériques, ce qui voulait dire écrits dans la même langue noble et composite, mais aussi porteurs d’une même sagesse indulgente et noble.
68Cunaithos, bien placé pour cela, nous le décrit dans les vers 169 à 173 de l’Hymne homérique à Apollon. Mais il aurait pu ajouter que ce « chanteur » aveugle de Chios voyait plus loin que les autres et qu’il était un vieillard : cela est dit dans le premier vers du Margitès. Les connaissances du poète de l’Iliade et, peut-être plus encore, de l’Odyssée semblent aussi témoigner d’une expérience des êtres et des choses et de nombreux voyages jusque dans l’occident mystérieux, sans oublier l’Égypte, ne pouvant qu’avoir été le fruit du temps (cf. 10. d., où le réalisme de Proclos lui fait ajouter qu’Homère devait être fortuné).
69La figure d’Homère était dessinée dans son œuvre, si nettement que les artistes anciens ou modernes l’ont tous reproduite de façon presque identique. Et, qu’on la considérât comme purement allégorique ou bien réelle, elle ne pouvait laisser indifférent. Homère suscitait l’admiration, qu’accompagna, d’abord chez ceux qui le servaient, un désir de le mieux connaître : ceux-là même qui en faisaient une simple figure allégorique souhaitaient que cette figure fût enrichie pour devenir parlante.
70Nous ne savons pas quelle image se faisait d’Homère Callinos, à une époque où le roman, s’il existait, devait se réduire à peu de choses. Et Alcman, Tyrtée, Archiloque, Stésichore, Sapphô, Alcée, Simonide, ou déjà le propriétaire de la coupe de Nestor, ainsi qu’il est convenu d’appeler le skyphos d’Ischia auquel nous devons l’une des plus anciennes inscriptions grecques (vers 720)31 ? Cunaithos lui-même voyait-il dans celui auquel il s’assimilait un véritable auteur ou la figure allégorique de l’aède ? Nous ne savons donc pas quel degré de réalité ils accordaient au vieux poète, dont l’incarnation doit n’avoir été achevée qu’au ve siècle, avec la participation d’historiens et de spécialistes de qualité. Quoi qu’il en soit, cette incarnation paraît avoir été facilitée par un événement fortuit, auquel son importance oblige à revenir : la naissance involontaire, sous la plume (ou plutôt le calame) d’un poète, de Mélèsigénès, naissance postérieure à celle de Dios, le prétendu père d’Hésiode, et que l’on peut donc situer sans trop d’imprudence au vie siècle avant J.-C.
71Dès lors, en effet, Homère cessa d’être seulement la figure transparaissant dans l’œuvre homérique, complétée par ce que pouvait suggérer ce nom — l’Otage ? l’Aveugle ? l’Accompagnateur ? —, pour trouver un père et une patrie, mais également un autre nom, Homère devenant un surnom. Les « choses dites » — on se rappelle que l’expression est de Platon —, puis les choses écrites, furent de plus en plus nombreuses, grâce (1) aux possibilités données au déploiement de la légende par ces éléments nouveaux, dans un temps plus continu, (2) aux prétentions de tant de cités, désireuses de ne pas laisser à Smyrne, ou à Smyrne et Chios, le monopole homérique, (3) à la « langue de bois » mise au service et de cette légende et de ces prétentions, (4) au travail des spécialistes de la poésie homérique, dont Théagénès de Rhègion, dans la seconde moitié du vie siècle, est le plus anciennement connu, (5) à celui des historiens, point toujours désintéressés, qui tâchèrent de mieux situer Homère dans l’espace et le temps en « historicisant » le roman d’Homère, (6) aux rhapsodes — Ion d’Éphèse assure que l’interprétation de la pensée du poète pour ses auditeurs est la partie de son art qui lui a donné le plus de travail32 —, à commencer par les Homérides, dès avant le vie siècle33 : en témoignent Isocrate et Platon, le premier évoquant même ce qui, d’après certains Homérides, aurait été à l’origine de l’Iliade (l’apparition nocturne d’Hélène), (7) à l’historien auquel nous devons la Vita Herodotea et à l’auteur de la Rivalité d’Homère et d’Hésiode, sans oublier, peut-être, Alcidamas.
72Des événements tels que l’instauration des grandes Panathénées, où l’on récitait les poèmes homériques « en en respectant l’ordre et la continuité »34, et l’entrée desdits poèmes, rapportés d’Ionie entre 561 et 514, dans la bibliothèque fondée par Pisistrate à Athènes, la plus anciennement connue avec celle de Polycrate35, ou tels que la copie peut-être faite à Samos pour les Spartiates, auprès des successeurs de Créôphulos, durent également contribuer au développement d’une vive curiosité pour l’auteur, désormais officiel, de poèmes si étroitement liés à l’identité grecque, et surtout ionienne.
73Mais les conquêtes Alexandre devaient encore élargir cette curiosité à d’autres que les Grecs de Grèce ou de la côte égéenne, surtout à la population gréco-macédonienne d’Égypte et aux Égyptiens hellénisés, qui eurent même tendance à s’approprier le poète au début de notre ère, en orientant le roman dans une autre direction. Le désir d’abaisser l’hellénisme païen pour mieux grandir la sagesse biblique permit également de lui ajouter quelques lignes, avant que certains Modernes ne l’enrichissent à leur tour.
Chronologie
74Nous ne pouvons pas affirmer en toute certitude que le roman d’Homère existait avant le vie siècle avant J.-C., où apparut l’ » homme de Chios » mais aussi, probablement, avec Mélèsigénès, un début de généalogie et de géographie homériques. Car nous ne savons rien d’un quelconque travail antérieur de mythification ou d’invention concernant le poète.
75Les ve et ive siècles furent ensuite, dans le prolongement des ouvertures du vie, une époque riche en « choses dites » sur Homère, une légende qui s’enfla et prit corps jusque dans un lieu aussi inattendu, à première vue, que l’île d’Ios. Aristote (5. c., § 3 ; cf. 5. f.) dut en effet recueillir une légende locale, bel exemple de ce que l’imagination romanesque peut produire lorsque s’y ajoute le besoin de paraître plus que l’on n’est, servi par une efficace « langue de bois ». Le pseudo-Plutarque de la Vie III nous a gardé l’un des plus remarquables exemples de cette activité fabulatrice, et l’un des plus anciens, puisqu’il a toute chance de dater du ve siècle avant J.-C.
76Mais la légende a nourri un roman qui, en s’enrichissant et s’organisant, a semblé de moins en moins fictionnel. D’où la volonté de l’ancrer définitivement dans le factuel, et d’abord dans le temps, en situant Homère par rapport à l’événement auquel chacun sentait qu’il était lié (la prétendue colonisation ionienne), et en actualisant le lien, non moins probable, naturel, presque évident, qui devait le rattacher au père de la grande poésie, Orphée. Neuf noms entre ceux des deux poètes (5. b., § 4 ; 5. e.), soit un écart d’environ 300 ans. Lui seul importait, les noms eux-mêmes étant destinés à occuper l’espace temporel, à combler un vide en disant aussi les qualités qui avaient dû passer, durant ces trois siècles, du premier poète au dernier.
77Le roman pouvait alors sembler à peu près fixé. Les quatre siècles suivants ne lui apportèrent, à notre connaissance, que des retouches concernant notamment l’époque d’Homère et celle de la guerre de Troie. Aristarque et Cratès, son rival de Pergame, furent au iie siècle avant J.-C., avec leurs disciples, de ceux qui le reprirent. L’école du premier se signala même triplement, nous dit-on, en divisant l’Iliade et l’Odyssée en vingt-quatre chants (3. b.), en situant Homère au temps de la colonisation ionienne (6. c. ; 6. d., § 7 ; 6. L et m.), et en le prétendant athénien (4. c. et i.). Cela, non point pour complaire aux habitants d’une ville qui s’était déjà suffisamment illustrée, mais parce que Ὃμηρος/ Homèros ne pouvait exister que dans le dialecte attique ou la koinè : Ὃμηρος/ Omèros, aurait-on dit normalement en Ionie, et Ὃμαρος/Homaros ou Ὃμορος/Omaros partout ailleurs.
78On peut toutefois douter que les travaux de ces érudits aient compté beaucoup en dehors du monde des savants et amateurs de poésie. Le roman d’Homère que nous lisons est le leur, mais qu’en était-il dans l’ensemble d’une population souvent peu lettrée, ne connaissant guère le poète que grâce à l’école élémentaire et à la tradition orale ? Se souciait-on de son époque précise ? Se souciait-on même beaucoup de son origine lorsqu’on n’était pas soi-même issu de l’une de ses prétendues villes natales ? La statue, fort belle paraît-il, que Ptolémée IV Philopatôr fit placer dans le temple édifié sur son ordre pour Homère, entre 221 et 205 ou 204 avant J.-C., statue représentant le poète assis, avec autour de lui ses prétendues villes natales36, semble révélatrice : point n’était besoin, pour le peuple alexandrin, de choisir entre Colophon, Smyrne, Chios, etc. ; Homère était de partout où l’on se réclamait de lui ; il était le poète que toutes les villes grecques honoraient, fussent-elles très loin de l’Ionie.
79Mieux — et cela nous conduit au iie siècle de notre ère —, bien des cités, non plus grecques, mais simplement hellénisées, à la population mêlée, se dirent homériques. Le cas de l’Égypte est, à cet égard, exemplaire. Car on ne peut balayer d’un revers de main le renseignement fourni par un homme tel que Clément d’Alexandrie (4. m.), ni sourire ou ironiser seulement en lisant tel passage, cité dans l’introduction, du roman d’Héliodore. Et l’Homère chaldéen d’un disciple de Cratès, l’Homère syrien de Méléagre (4. k.) ? Le relatif effacement de l’ensemble hellénique dans l’empire romain du temps, mais aussi les progrès du christianisme, ne pouvaient, en effet, rester sans conséquence pour le roman d’Homère. Quoique toujours admirées, la langue, la culture, la civilisation, la littérature des Grecs étaient devenues celles d’un peuple dépendant de Rome, comme les Égyptiens ou les Syriens. Et comment la sagesse humaine, simplement humaine, des poètes et philosophes grecs, ignorant toute divinité transcendante, aurait-elle égalé une vérité révélée, une sagesse prétendue divine ?
80On parlera donc d’un tournant du iie siècle. Les Grecs n’avaient plus depuis longtemps le monopole d’Homère. Et ils n’étaient plus la référence (ou la référence unique) en ce qui concernait les arts et les Lettres ; malgré la vigueur du stoïcisme, leur pensée ne s’imposait plus de la même façon aux esprits cultivés ; l'hellénisme semblait vieux et récent à la fois. Récent parce que moins ancien que la civilisation de l’Egypte pharaonique et, croyait-on, celle de la Bible ; vieux parce que partiellement inactuel, inadapté au monde nouveau, trop rationnel pour bien répondre, surtout, aux interrogations de peuples en quête de spiritualité.
81À partir du moment où chacun, fût-il « barbare » (mais ce mot avait-il encore un sens ?), put faire d’Homère son poète, celui-ci ne fut plus uniquement l’aède enraciné à la fois dans la terre de Maionie et celle d’Ionie. Il appartenait à tous, dans un monde considérablement élargi. Plutôt que de chercher un brevet d’hellénisme lorsqu’ils le faisaient naître chez eux, les habitants de la Thèbes égyptienne voulaient donc plutôt « égyptianiser » le poète grec, en niant par là même une acculturation multiséculaire.
82Amour-propre national, retour du religieux avec le nouveau « testament » d’abord offert dans l’Orient juif, puis très vite en Égypte, redéfinition de l’image du monde connu, dans un empire dont la tête était lointaine, si son administration était partout présente, purent donc influencer un roman si évidemment associé à l’hellénisme et à un paganisme déjà très affaibli. Encore faut-il remarquer le silence des Vies, dont plus d’une est elle aussi du iie siècle, sur ces prétentions égyptiennes ou autres. C’est qu’il y eut en fait deux versions du roman d’Homère : celle des savants et biographes, soucieux d’exactitude : et de logique, bien que leur conception de l’Histoire n’ait pas toujours été la nôtre — les Vies I et V sont, à cet égard, les plus intéressantes —, et celle, orale et collective, toujours vivante, qui ne perdit jamais son aspect légendaire.
83Les siècles suivants devaient peu apporter au roman d’Homère, dans un Empire qui se scinda définitivement en deux parties. Homère, de moins en moins lu en Occident, y fut presque oublié :
Omers qui fu clerc merveillos
E sages e escientos…,
84Benoît de Sainte-Maure, l’auteur du Roman de Troie, n’en sait rien de plus, comme l’auteur anonyme du Roman de Thèbes, également vers le milieu du xiie siècle. Pourtant, on ne cessa jamais de le lire et de l’étudier dans l’Empire byzantin, ou plus exactement de lire et d’étudier l’Iliade et l’Odyssée, les Hymnes et (en guise de récréation ?) la bataille des grenouilles et des souris, qui nous sont ainsi parvenus, quand disparaissaient même la Thébaïde et le Margitès. Eustathe de Thessalonique fit également des deux premiers poèmes, au xiie siècle, un commentaire dont le succès fut grand, encore dans la France du xviie siècle37. Et, comme son contemporain Jean Tzetzès, il ajouta quelques compléments, de faible intérêt, au roman d’Homère (5. 1. et 8. d. ; cf. 6. o. et 12. c.).
85La redécouverte, en Occident, de l’Iliade et de l’Odyssée, avec l’édition princeps de Dèmètrios Chalcondylès (1488)38, s’accompagna inévitablement d’un regain d’intérêt pour leur auteur, et donc pour les Vies d’Homère, à commencer par la Vita Herodotea, que Madame Dacier suit encore étroitement, en 1711, dans la biographie qui précède sa traduction de l’Iliade39. Les admirateurs du poète ne pouvaient plus, en effet, que relire un roman très ancien, écrit pour d’autres, parfois en tâchant de séparer le vrai du fictionnel. Et ce sont, paradoxalement, les « méchans auteurs, qui n’ayant pû parvenir à faire estimer leurs ouvrages, ont voulu se venger de ce mépris sur les ouvrages les plus estimés », « tous ces aveugles censeurs qui veulent à quelque prix que ce soit critiquer Homere »40), qui ressuscitèrent le roman, et même lui donnèrent une orientation toute différente.
86Car, pour laisser de côté le pamphlet qu’avait été la Poétique de Jules César Scaliger (1561), comme les doutes exprimés par La Popelinière (1599), le père Garasse, en 1625, vit en Homère un « pauvre quement [= mendiant] qui n’eust jamais l’industrie que de faire des chansons inutiles, et qui à peine luy pouvoient faire gaigner sa chetifve et miserable vie », et tel personnage de Charles Sorel, en 1628, parle d’un « vieilleur qui demandoit son pain de porte en porte, et qui vouloit descrire une partie de sa gueuserie sous le nom d’un Prince ». Quelques années, plus tard, en 1635, « le bel esprit du cardinal de Richelieu », l’abbé de Boisrobert, en aurait fait « un miserable rapsodiste » et « un coureur de Cabarets, qui suivoit la fumée des bons échos », une sorte de chanteur du Pont-Neuf méritant tout au plus le titre de « Patron des Menestriers »41.
87Toutefois, à peu près au même moment, « plusieurs Sçavants » émirent aussi l’idée que « les œuvres d’Homere n’ont point esté faites par un Poëte de ce nom », mais ne sont qu’un « ramas de plusieurs pieces de Poésies cousuës et attachées ensemble pour en faire comme une espèce de Roman »42 : on aura reconnu la théorie que l’abbé d’Aubignac reprit et développa en 1664, dans ses Conjectures académiques, avant Charles Perrault, dans le Parallèle des Anciens et des Modernes (1692), celle que l’on attribue encore trop volontiers à F. A. Wolf, dont les Prolegomena ad Homerum ne datent que de 1795.
88La résistance que cette théorie rencontre toujours montre bien la force du roman. Son personnage principal, Homère, s’impose à l’esprit de tout lecteur de l’Iliade ou de l’Odyssée. Et n’est-il pas significatif que, dès avant 1715, on ait pu parler d’un « athéisme homérique »43, auquel Boileau et Madame Dacier s’opposèrent vigoureusement ?
L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger,
89écrivait Voltaire dans Les Cabales (1772), en reprenant un argument cher aux stoïciens, développé par Cicéron. Qu’il nous soit permis de détourner ces vers célèbres. Car cela semblait s’imposer avec l’évidence que la foi peut donner à tout : la perfection, la grandeur des poèmes homériques ont également fait croire à un créateur unique et, d’une certaine manière, plus qu’humain
Notes de bas de page
1 5. a., § 2 et 3 ; 8. a., § 3 et 5 ; 9. a., § 9 et 11 ; 12. a., § 25.
2 Pour Hésiode, cf. Heraclite, fr. 25 Conche = 22 B 57 Diels-Kranz, qui en fait, littéralement, le « maître des plus nombreux ».
3 Cf. Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? (1983), réédition, Paris (Seuil), 1992, p. 26, 44 et 120.
4 Caries Miralles et Jaume Pòrtulas, « L’image du poète en Grèce archaïque », dans Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, sous la direction de Nicole Loraux et Caries Miralles, Paris (Belin), 1998, p. 57.
5 Homère le Compagnon, Paris (CNRS Éditions), 1995, p. 153-156, et L’Épopée. Genèse d’un genre littéraire en Grèce, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 99-100.
6 Pour Marie-Andrée Colbeaux (Raconter la vie d’Homère dans l’Antiquité, thèse de l’Université de Lille III, 2004, p. 537), « le narrateur de la Vita Herodotea a désamorcé ce que les autres biographes d’Homère présentent systématiquement comme un signe annonçant la mort du poète, en introduisant dans son récit une anecdote où le rapprochement du substantif φθείρ et du verbe φθείρω est entravé par l’allusion aux pommes de pin qui portent le même nom que les poux ». Φθείρ/phtheir, souvent rapproché de φθείρειv/phtheirein (« détruire »), désigne en effet le pou, mais également la graine comestible de certains pins, le pignon. Cf. 10. a., § 20.
7 « L’Effet de réel » (1968), dans les OEuvres complètes, III, Paris (Seuil), 2002, p. 25-32.
8 Aristote, Rhétorique, 1, 1355 a 7 ; II, 1395 b 27 - 1396 a 1 et 1402 a 33-34.
9 Cf. Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (1948), nouvelle édition, Paris (Seuil), 1965, p. 458-460.
10 Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, p. 39 et 40 ; cf. p. 89, 127 et 137.
11 Paul Veyne, ibid., p. 18 ; cf. p. 19-20 et 89.
12 Paul Veyne, ibid., p. 113.
13 Paul Veyne, ibid., p. 87.
14 André Bernand, Leçon de civilisation, Paris (Fayard), 1994, p. 54-57. Cf. Nicole Loraux, Les Enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris (François Maspero), 1981, p. 35-73.
15 Cf., pour Athènes, Thucydide, II, 41, 4.
16 Paul Veyne, ibid., p. 73.
17 Ibid, p. 87.
18 Cf. Aristote, Poétique, 1451 a 31-34. Le muthos, pris en ce sens, est donc inséparable du logos hérodotéen, sur lequel on peut voir Pascal Payen, Les îles nomades. Conquérir et résister dans l’Enquête d’Hérodote, Paris (École des Haures Études en Sciences Sociales), 1997, p. 63-66.
19 Caries Miralles et Jaume Pòrtulas, op. cit., p. 47 ; cf. p. 27, 30 et 62, sans oublier Jean Defradas, Les Thèmes de l a propagande delphique (1954), 2e tirage revu, Paris (Belles Lettres), 1972.
20 Aristote, Politique, II, 1269 a 1-3.
21 Cf. Homère le Compagnon, p. 175-176 (passage cité dans le chapitre précédent).
22 On peut voir également ce qui a été dit dans Homère le Compagnon (p. 222-223) sur l’île d’Éole et la géographie mythique et symbolique de l’Odyssée.
23 Gregory Nagy, « L’aède épique en auteur : la tradition des Vies d’Homère », dans Identités d’auteur dans l’Antiquité et la tradition européenne, édité par Claude Calame et Roger Charrier, Grenoble (Jérôme Millon), 2004, p. 63.
24 A. Bernand, op. cit,, p. 335 ; cf. p. 351.
25 Diogènc Laërce, I, 1-10.
26 Actuellement la péninsule de Karaburun.
27 Nous laissons de côté Mélèsagoras, Mélèsianax et même Altès (5. b., § 3 ; 7. c. et d.), dont il a déjà été question.
28 G. Nagy, « L’aède épique en auteur : la tradition des Vies d’Homère », p. 46 ; cf. p. 47-48.
29 Michel B. Sakellariou, La Migration grecque en Ionie, Athènes (Collection de l’institut français d’Athènes, 17), 1958, p. 429 ; cf. p. 477.
30 Supplementum epigraphicum Graecum, 29 (1979), n°1184 (épitaphe d’un certain Charmidès, à Saittai, l’actuelle Içikler, en 152/153 de notre ère).
31 Voir par exemple Annie Schnapp-Gourbeillon, Aux Origines de la Grèce (XIIIe-VIIIe siècles avant notre ère). La genèse du politique, Paris (Belles lettres), 2002, p. 271 et 305-310.
32 Platon, Ion, 530 c.
33 Il semble même que l’on puisse en parler dès le VIIIe· siècle (Homère le Compagnon, p. 166).
34 De telles récitations avaient déjà lieu à Sicyone au temps où Clisthène en était le tyran, dans le premier tiers du VI· siècle (Hérodote, V, 67).
35 [Platon], Hipparque, 228 b-c. Cf. Élien, Histoire variée, VIII, 2.
36 Élien, Histoire variée, XIII, 22.
37 Il figurait dans la bibliothèque de Racine et dans celle de Boileau, qui s’y réfère à plusieurs reprises. Son succès fut même tel, dès l’époque d’Henri IV et de Louis XIII, qu’il put constituer « un obstacle majeur à la lecture et à la compréhension du poète », assure Noémi Hepp, Homère en France au ΧVΊΙe siècle, Paris (Klincksieck), 1968, p. 147-148.
38 Mais la traduction latine de l’Iliade par Lorenzo Valla (1407 - 1457) avait été imprimée en 1474, et celle de Leonzio Pilato remontait aux années 1360.
39 Sur la diffusion de la Vita Herodotea aux xvie et xviiie siècles, voir Noémi Hepp, op. cit., p. 40-42. Cette Vie et celles dites de Plutarque accompagnent déjà l’édition princeps de l’Iliade et de l’Odyssée, comme l’édition aldine de 1504.
40 Anne Dacier, L’Iliade d’Homere traduite en françois,... (1711), Nouvelle Edition revuë, corrigée et augmentée..., I, Paris (G. Martin, J.-B. Coignard et les frères Guérin), 1741, p. 39 et 41.
41 Voir l’introduction de notre édition des Conjectures académiques de l’abbé d’Aubignac (Paris [Honoré Champion], 2010), p. 42-47, où l’on trouvera des compléments et les références.
42 François Hédelin, abbé d’Aubignac, Lettre d’Ariste à Cléonte contenant l’Apologie de l’Histoire du temps ou Defense du Royaume de coqueterie, Paris (Denys Langlois), 1659, p. 46-47.
43 Cf. le texte cité par Noémi Hepp, op. cit., note 286, p. 698.
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