Chapitre 3. Esthétique
p. 183-204
Texte intégral
1Mon approche du domaine de l’esthétique ne se veut pas systématique, elle ne concerne pas la science du beau comme concept général de philosophie, ni même comme théorie du beau chez La Villemarqué puisque là n’est pas son propos. Tout comme il n’élabore pas de théorie métaphysique, politique ou sociale, le Barzaz-Breiz n’est pas un traité d’esthétique. Toutefois, les conceptions particulières de l’auteur en la matière transparaissent dans son expression ; il attribue très fréquemment des propriétés esthétiques à divers objets, ce qui révèle une attitude mentale spécifique soucieuse de manifester ce type d’expériences au lecteur, notamment et principalement en matière de poésie populaire.
Journal intime
2Jusqu’à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle, la vision du beau était unilatérale et dépendait presque entièrement des critères de la beauté classique élaborés à partir des modèles grecs puis de ceux du Grand Siècle. Il n’était pas pensable de faire entrer tout le reste dans le domaine du beau, on ne pouvait le qualifier que de barbare. Depuis la seconde moitié du xviiie siècle, des travaux d’historiens, de préhistoriens, d’archéologues et d’ethnographes commencent à nourrir la pensée de certains auteurs qui ne tardent pas à faire éclater les cadres de cette représentation en élargissant prodigieusement le champ d’exercice de l’esthétique et de l’idéal artistique. L’idéal classique est réduit à n’être plus que l’une des formes historiques de l’art et les critères esthétiques se multiplient pour faire place à d’autres types de beauté1. La poésie populaire entre alors en scène sous la plume d’érudits, Herder et Macpherson les premiers, qui tombent sous le charme. En France, Mérimée, bien que plus tardivement, exprime ce déplacement des frontières de l’esthétique et l’ouverture sur de nouveaux critères comme le naïf, le naturel ou le charmant, qui le font aller jusqu’à rendre synonymes la poésie et la poésie populaire2.
3Dans le Barzaz-Breiz, La Villemarqué fait usage d’un grand nombre de termes en rapport avec des catégories esthétiques : de 305 occurrences de ces termes en 1839, il passe à 485 en 1845, puis à 533 dans la dernière édition. Il ne cesse donc, d’édition en édition, d’agrémenter ses propos de jugements esthétiques, ce qui montre bien l’état d’esprit et l’attitude sensibles de l’auteur. Ces termes qualifient parfois une action, parfois une passion. Certains, tel « gracieux » ou « dramatique », se rapportent d’une manière générale au sensoriel et à l’émotionnel, mais on y trouve aussi un certain nombre d’entre eux en rapport au rationnel, comme « noble » par exemple, ou d’autres, comme « sublime », qui comportent une connotation morale ou religieuse. Bref, le panel des termes est très large et la présence parmi eux du « naturel » ou du « mystérieux » révèle les influences nouvelles dont s’est nourri l’auteur.
4On ne peut manquer par ailleurs de noter la très forte fréquence de la catégorie « poétique » qui compte à elle seule entre un quart et un tiers des occurrences en lien avec les jugements esthétiques. Selon le contexte d’emploi de ces occurrences, le sens penche davantage du côté du jugement poétique ou du côté de la simple qualification, une chanson étant une production poétique, mais elle n’est jamais une simple description typique, elle porte toujours une charge plus ou moins grande de valeur esthétique, elle est l’objet privilégié du beau dans le Barzaz-Breiz. Il apparaît clairement que la poésie et le poétique occupent le centre de l’œuvre et qu’il s’agit de cerner les valeurs que lui attribue l’auteur par rapport à d’autres termes comme le beau et l’artistique. L’absence presque totale de termes en rapport avec le ridicule, l’ironie ou le grotesque augure d’une tendance à placer ailleurs que dans le dénigrement les critères négatifs du jugement esthétique.
5L’une des premières particularités de la poésie populaire est d’offrir un visage tout différent de ce qu’on considérait jusqu’alors comme l’art. Elle n’est pas l’œuvre privilégiée d’un seul homme, mais le bien commun de tout un peuple. Elle n’a pas d’auteur, seulement des transmetteurs. Certes, il y a bien des créateurs, mais ils sont anonymes et le plus souvent l’auteur donne l’impression que les chansons naissent de l’air du temps, tout comme le droit. La poésie populaire est à l’art ce que la coutume est au droit. Ce principe de collectivité est souligné à plusieurs reprises par l’auteur du Barzaz-Breiz3. Ce qui l’attire, c’est que cette poésie englobe les « œuvres de plusieurs milliers de poëtes rustiques inconnus les uns aux autres et même séparés par les siècles4 » et que, même si certaines personnes passent pour être des compositeurs privilégiés, comme les meuniers ou les tailleurs, on peut « attribuer indifféremment nos chansons à la masse5 ».
6L’appropriation d’un chant par le peuple et le classement d’une poésie dans la catégorie de la poésie populaire ne peuvent se faire que si le chant reflète l’esprit du peuple. Un improvisateur solitaire qui crée une chanson sans tenir compte de cela ne peut connaître que l’écueil :
On ne crée pas plus un morceau de poésie populaire, disent excellemment MM. Grimm, et surtout on ne le fixe pas plus dans la mémoire de tout un peuple, qu’on ne crée a priori, et qu’on ne fait parler une langue à une nation entière. Tenter d’improviser en pareil cas, est une entreprise extravagante, dans laquelle il faut désespérer de réussir. L’homme qui veut faire isolément de la poésie populaire, en tirer de son propre fonds, échoue habituellement, on pourrait presque dire inévitablement, dans la tâche qu’il s’est proposée6.
7C’est dans le fond de l’âme du peuple que se trouve la source de cette poésie. Chaque compositeur tâche de coller au plus près à l’intériorité du peuple, de mettre en mots ses sentiments, et ainsi « ce sont les goûts, les instincts, les passions de la foule qu’il suit ; il exprime ses idées, il traduit son opinion, il s’identifie complètement avec elle7 ».
8Ainsi, un chant populaire dévoile l’intimité du peuple. On peut, en les mettant bout à bout, y voir son journal intime, comme le pense Novalis8. La Villemarqué précise que, vus dans leur ensemble, les chants populaires d’un peuple « retracent, en effet, le tableau fidèle des mœurs, des idées, des croyances, des opinions, des goûts, des plaisirs, des peines et des sentiments du peuple breton aux différentes époques de sa vie9 ». Il affirme par ailleurs que la poésie populaire, « née du peuple, vivant recueillie et protégée par le peuple », est la « confidente intime de ses joies et de ses larmes ; harmonieux et fidèle écho de son âme ; dépositaire, enfin, de ses croyances et de son histoire domestique et nationale10 ». L’intériorité et l’intime deviennent chez La Villemarqué une valeur esthétique et ceci apparaît par exemple dans les remerciements qu’il adresse en début d’ouvrage à Sophie Pannier, l’amie de l’italien Silvio Pellico, à qui il attribue un « esprit fin, délicat, bien fait pour saisir les beautés intimes de la poésie populaire11 ».
9Cette charge contre le néoclassicisme constitue de la part de l’auteur un rejet net de ce qui lui a été inculqué au collège, d’une partie de son héritage scolaire. La Villemarqué a fait ses classes au collège des Jésuites de Sainte-Anne-d’Auray, aux petits Séminaires de Guérande puis de Nantes12. Renan, qui a suivi quelques années plus tard le même type d’enseignement à l’école ecclésiastique de Tréguier et au petit Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, précise dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, qu’« au lendemain de la révolution de 1830, l’éducation [qu’il y reçut] fut celle qui se donnait, il y a deux cents ans, dans les sociétés religieuses les plus austères13 ». L’étude du latin occupait une très grande place et la littérature française, pour le peu qu’elle était abordée, « finissait à l’abbé Delille14 ». Chateaubriand faisait peur, on se moquait de Lamartine, Hugo était inconnu15. C’est en référence à des auteurs classiques ou néo-classiques que Renan ou La Villemarqué ont appris à trouver certaines choses belles et d’autres laides, et dans le Barzaz-Breiz, La Villemarqué se détache clairement de cette esthétique gréco-latine qui l’a nourri pendant sa jeunesse, pour adopter certains des nouveaux critères de l’époque romantique.
10L’intériorité que valorise l’auteur comme source du beau se décline par un ensemble de critères. Le premier d’entre eux est celui qui loge le beau dans le sentiment et l’émotion, et non dans l’esprit. Dans ce temple du sentiment, « point de réflexions16 ». Cela va de la « manière de sentir17 », aux « rustiques effusions18 », à l’« effusion d’un sentiment vif et personnel19 », ou aux « tendres pensées20 » ; les chansons d’amour tiennent de la « poésie intime, personnelle et sentimentale21 ». L’auteur avoue d’ailleurs que « ce sont les croyances et les sentiments qui [l’]ont charmé par leur énergie ou par leur grâce22 ». Le charme opère : grâce, douceur et délicatesse voient leur champ d’action prendre de l’ampleur dans les raisons qu’expose l’auteur à son attachement à ces poésies, car à propos de certaines d’entre elles, il affirme qu’« il est impossible d’exprimer avec plus de délicatesse un sentiment plus doux23 ». Cet ancrage dans le sentiment que La Villemarqué met en avant n’est pas sans rappeler l’apologie que fait Chateaubriand dans le Génie du Christianisme des puissances émotives de l’homme et du ressourcement du christianisme dans les exigences primitives du cœur24.
11Le deuxième argument en faveur de la valeur de l’intimité et de l’intériorité est encore plus profondément inscrit dans le fond du peuple puisqu’il est en rapport à son inconscient : l’instinct. L’inné, l’instinctif et le spontané jouent un rôle très important dans la définition de la poésie populaire et du beau chez La Villemarqué. L’auteur est subjugué par le sentiment poétique instinctif qui caractérise le peuple breton et affirme que les « gens du peuple, en Bretagne, [sont] généralement doués d’un génie poétique assez remarquable25 ». Ce dernier point est d’ailleurs repris et argumenté par Renan en 1854 dans La poésie des races celtiques26. Cette image, déjà devenue un lieu commun dans le premier tiers du xixe siècle, porte l’idée d’absence totale de préméditation ou d’intention. Elle renvoie à l’image d’une poésie qui naît d’elle-même, qui jaillit instinctivement et spontanément du fond du peuple. Pour l’auteur, la poésie populaire est « sans frein, sans autre règle que son caprice, souvent sans conscience d’elle-même, jetant comme l’oiseau ses notes à tout vent, à tout propos, sur tout sujet27 ». Une émotion vécue se traduit « instinctivement en une de ces chansons de danse improvisées28 », car l’âme populaire est « pressée par un besoin instinctif de confier à quelque monument traditionnel le souvenir des événements qui surviennent, les émotions qu’elle éprouve, les dogmes religieux ou les aventures des héros de son culte29 ». L’expression ressemble beaucoup à celle d’un autre amateur de chants populaires, Wilhelm Grimm, qui évoque les chanteurs en ces termes : « ceux qu’une force et qu’un besoin intérieur poussaient à cela, c’est-à-dire ceux qui étaient poètes, chantaient les héros de la nation30 ». Ce rapport à la poésie est inné, les gens du peuple mettent leurs émotions en chansons « par un instinct naturel à tous les poëtes vraiment populaires31 », et ils « sentent, disent-ils, instinctivement qu’ils doivent se conformer rigoureusement au ton32 ».
12Ces pulsions qui semblent se dérober au contrôle de la volonté et de la raison sont également signalées dans le Barzaz-Breiz par l’utilisation assez fréquente des verbes « éclater » et « échapper » : tout comme les insurrections du peuple breton qui éclatent spontanément par réflexe d’auto-préservation, ses sentiments éclatent aussi, comme par exemple « sa haine [qui] éclate avec une violence nouvelle33 ». La Villemarqué décrit « le premier cri qui s’échappe au jour de la bataille, de son cœur où la foi du Christ commence de germer34 », c’est un hymne à la résignation chrétienne, puis « le même sentiment éclate en ses paroles quand la peste désole sa patrie35 ». Évoquant le personnage de Gwenc’hlan, l’auteur raconte qu’« au milieu de ses cris de vengeance, une plainte toute personnelle échappe quelquefois au vieillard aveugle et malade ; comme toujours, l’invincible nature gémit36 ». Illustrant une autre époque de la vie des Bretons, il rapporte que « leur cœur alors laissa échapper ce chant sublime37 ». il semble que le sublime du chant vienne en grande partie du fait qu’il échappe à tout contrôle rationnel et qu’il soit une expression spontanée. Dans le texte, l’énergie ne produit pas de la force mais du beau.
13Le dernier critère associé à l’intériorité est le principe d’oralité. Les quelques occurrences d’« écrire » et d’« imprimer » sont écrasées sous l’imposante présence des mots dérivés d’« oral » mais surtout de « chant38 ». De plus, les emplois d’« écrire » se rapportent la plupart du temps à l’auteur lui-même — il parle de « celui qui écrit ces lignes39 » –, à des auteurs du Moyen Âge ou des écrivains contemporains. En fait, jamais l’écrit n’est associé à la poésie populaire ou à un chanteur populaire : il y a incompatibilité de principe. Pour qu’une poésie appartienne à la tradition populaire, elle est nécessairement et exclusivement orale. L’auteur dit avoir interrogé un grand nombre de personnes et précise que « le degré d’intelligence de ces personnes variait souvent ; mais ce que je puis affirmer, c’est qu’aucune d’elles ne savait lire40 ». Cela fait partie des principes mêmes que dégage La Villemarqué et il insiste sur le fait qu’il faut toujours se souvenir « que nos chanteurs ne savent ni lire ni écrire, et qu’ils n’ont par conséquent aucun autre moyen de transmettre à la postérité les événements de leur temps, que de les mettre en vers aussitôt qu’ils se sont passés41 ». Les seuls qui puissent écrire sont les kloers, ces écoliers-chanteurs, mais « par un instinct naturel aux poëtes vraiment populaires, les kloer dont nous parlons chantent, mais n’écrivent jamais42 ». Pour La Villemarqué ce fait ne relève pas uniquement d’un manque de capacité à écrire, mais bien d’un principe, d’un instinct, d’une forme innée de composition.
14L’auteur bâtit au fil du texte une opposition nette entre l’oral et l’écrit, c’est- à-dire encore une fois entre le Nord et le Midi ; il sépare clairement le monde des livres de celui de la tradition orale43, distingue les versions écrites des versions orales44, l’histoire écrite de l’histoire populaire45, évoque les chants des bardes des ve et vie siècles dont, dit-il en reprenant les mots de Giraud de Barry, « la plupart sont traditionnels ; très peu sont écrits46 ». Il reprend la vision romantique novatrice de l’oralité comme source de connaissance au même titre que l’écrit en montrant que l’on peut tirer des chants populaires des compléments à l’histoire, des précisions, des éléments parfois primordiaux que les sources écrites ne fournissent pas, et il inverse même les rapports de force entre le prestige de l’écrit et de l’oral puisqu’à plusieurs reprises il aime mettre en avant le fait que là où l’oral conserve des informations, l’écrit est absent. Ainsi cite-t-il un homme du peuple : « Afin que vous n’oubliiez pas ces choses qui n’ont jamais été consignées en aucun livre, nous les avons tournées en vers, pour qu’elles soient chantées dans les églises47. » Et cela vaut aussi pour l’ensemble de l’histoire du peuple puisqu’« il est vrai qu’elle n’est point enregistrée dans les Cartulaires et les Chroniques, qu’elle n’est pas écrite ; cependant elle existe dans les poésies populaires et traditionnelles48 ».
15Cette distinction entre l’écrit et l’oral n’est que le paravent d’une autre ligne de séparation fondamentale dans la conception de La Villemarqué : celle entre le naturel et l’artificiel49. En fin d’ouvrage La Villemarqué cite Chateaubriand qui qualifie la poésie traditionnelle de « chant naturel de l’homme50 ». Cette poésie resplendit de « beautés naturelles et originales51 ». On retrouve souvent « les mêmes épithètes naturelles52 » et « son allure brusque et sans transitions est parfaitement naturelle53 ». Le naturel fait donc partie des critères qui permettent à La Villemarqué de définir le beau. L’artificialité est, quant à elle, l’apanage de l’écrit, celle des « œuvres artificielles [...] qu’on ne chante point, mais qu’on lit, et qui par conséquent ne sont pas populaires ». L’auteur pense d’ailleurs qu’« on s’égarerait en cherchant dans la poésie traditionnelle et populaire, les traces d’un progrès semblable à celui qui règne dans la poésie écrite et artificielle54 ». La plupart du temps l’artificiel renvoie au laid : l’auteur crée des jeux d’oppositions entre le naturel, le charmant, le touchant, le délicat et le sensible, d’une part, et l’artificiel, le plat, le monotone, voire la lourdeur et le mauvais goût, d’autre part55.
16Sa défense de l’oralité se transforme d’ailleurs en critique systématique des imprimeurs et de leurs chansons personnelles sur feuilles volantes, critique que l’on retrouve aussi chez Nodier par exemple56. Il se plaît ainsi à comparer les versions orale et écrite d’un même chant et à dénigrer le travail des imprimeurs : « il [ce chant] m’a été chanté par une vieille femme de Bignan. Les imprimeurs bretons l’ont tronqué, selon leur habitude, dans les versions qu’ils en ont données au public57. » Ces attaques, qui visent certainement directement l’imprimeur mor- laisien Alexandre Lédan, spécialisé dans la conception et la vente de chansons sur feuilles volantes58 et perçu par La Villemarqué comme une sorte d’antéchrist, se font parfois très virulentes tant au niveau du jugement esthétique qu’au niveau du principe même d’édition de chansons populaires que La Villemarqué considère comme subversif car remettant en cause les fondements naturels de cette poésie59. Ainsi décrit-il l’attitude résistante des écoliers-poètes :
On dirait qu’ils redoutent, par leurs chastes œuvres, le sort de ces chansons bâtardes que vendent, sous leur nom, dans les foires des villes, aux servantes et aux valets, les estimables libraires qui en sont les auteurs. Les kloer préfèrent le siège rustique, mais solide, que leur élève dans son cœur l’habitant des campagnes, au piédestal que la publicité, par l’entremise des imprimeurs, offre à ses courtisans ; et ils ont raison. La mémoire de l’ouïe, comme disent les Maximes de la Sagesse des bardes de l’île de Bretagne, est, en effet, bien autrement fidèle aux poëtes populaires que la mémoire des lettres. Écrire et se faire imprimer, ce serait pour eux renoncer à être appris par cœur, et à entendre répéter leurs chants de génération en génération60.
17Dans le Barzaz-Breiz, La Villemarqué fait éclater les cadres classiques de l’esthétique en qualifiant d’artistiques les compositions écrites et artificielles auxquelles il s’en prend à plusieurs reprises. À propos du travail qu’a effectué Bürger à partir d’une chanson populaire, l’auteur du Barzaz-Breiz dit que « “Les morts vont vite” n’est que la reproduction artistique de la ballade danoise “Aage et else”61. » Il isole donc la poésie populaire de la science et de l’art62. Les valeurs qu’attribue l’auteur à la beauté de la poésie populaire et à l’art ne sont pas les mêmes. L’art recouvre souvent l’idée de beauté comme catégorie, comme forme achevée qui procure un plaisir sensible, comme ordre esthétique, comme perfection qui ne laisse aucune place à la maladresse63. Or dans le Barzaz-Breiz, le beau n’est pas une catégorie, il est une valeur et ne recouvre pas du tout les critères du beau-catégorie. La poésie populaire peut être répétitive et routinière, et pourtant belle. « Quelquefois la nature l’[le chanteur]inspire, à rendre l’art jaloux, mais le plus souvent, enfermé sans guide dans le dédale de la routine, il est impuissant à se faire lui-même des ailes pour s’envoler64. » Il explique qu’Homère, même s’« il sut s’élever jusqu’aux sommets les plus sublimes de l’art », n’en reste pas moins « fort souvent monotone comme tous les poëtes populaires65 ». L’explication en est que
tous les poëtes populaires offrent les mêmes formes, la même allure, les mêmes tournures parasites, les mêmes répétitions, les mêmes épithètes naturelles, pour ainsi dire, stéréotypées. Nous n’en citerons pas d’exemples, ce recueil en offrira un assez grand nombre. Nulle variété dans la combinaison des matériaux qu’ils mettent en œuvre ; leur lyre est un instrument incomplet. Le rébek breton n’a que trois cordes, la guzla servienne n’en a qu’une66.
18La beauté ne vient donc pas de la richesse de langage ou de la forme d’un poème, mais du fait même que le but d’une telle production poétique ne se trouve pas dans la recherche du beau, du fait qu’elle ne naît pas d’une conscience, qu’elle ne trahit pas un souci esthétique et artistique. Le fait même qu’elle ne soit pas belle la rend belle. Ceci renvoie directement à la distinction répandue à l’époque, surtout en Allemagne, entre la Naturpoesie et la Kunstpoesie. Leurs définitions varient selon les auteurs allemands qui les utilisent, mais l’on retrouve chez les uns ou les autres les critères dont s’est inspiré l’auteur du Barzaz-Breiz. C’est Herder qui le premier a lancé cette distinction entre poésie de nature et poésie d’art. Alors que la poésie d’art est réfléchie, subtile, consciente de ses procédés et que sa forme est plus achevée, la poésie de nature possède selon lui une plus grande force intérieure, un élan qui exprime de façon immédiate l’esprit de la nature. Elle est la poésie qui fait comprendre et sentir la vie de l’univers, elle frappe, saisit, est toute en action, donne la parole à tous les éléments. Herder pense que la Naturpoesie est la poésie de ceux qui ont une conception métaphorique de l’univers et pour un peuple elle est l’expression de sa mythologie. Aussi le poète d’art a-t-il tout intérêt à s’en inspirer67. Schelling reprend cette distinction68, puis c’est au tour des frères Grimm d’apporter leur pierre à cette conception. Ils reprennent les idées de réflexion, de primauté de la forme et de production individuelle pour la poésie d’art, et celles d’œuvre inconsciente, impersonnelle et simple de la poésie de nature, simplicité qui lui donne sa grandeur et sa sublimité que la poésie d’art ne peut jamais atteindre69.
19La Villemarqué se situe à cheval entre plusieurs visions, celle de Jacob Grimm qui considère que la poésie de nature est née d’elle-même comme un organisme, celle de Wilhelm Grimm qui n’exclut pas l’existence de poètes porteurs de la voix et de l’âme du peuple, et celle d’Arnim pour qui il existe une poésie contemporaine populaire dans la mesure où elle est acceptée, adoptée et aimée par le peuple70. Arnim introduit l’un de ses propres poèmes dans son recueil Des Knaben Wunderhorn de 1806, tout comme Herder introduit un poème de Goethe dans ses Volkslieder71. De même, La Villemarqué, bien qu’il souligne l’anonymat de la plupart des chants du Barzaz-Breiz, n’insère pas moins dans son texte un chant composé par un prêtre et un autre par un paysan nommé Loeiz Kam tout en précisant qu’il s’est fait l’« écho de l’opinion72 ». Toutefois l’auteur se sent obligé de fournir quelques explications :
On sera peut-être surpris de trouver dans un recueil de chants populaires, où il en est d’antérieurs au xe siècle, une ballade composée par un poëte qui vit encore et sur un événement contemporain. Cependant, nous n’hésitons pas à la publier, quand ce ne serait que comme un témoignage de la persistance du génie poétique en Bretagne73.
20L’auteur du Barzaz-Breiz illustre parfaitement l’une des approches romantiques de l’esthétique et du monde en général, approche peu représentée en France, si ce n’est chez des auteurs comme Nodier, Nerval ou Sand74, mais fortement développée en Allemagne75. C’est l’époque où Nerval montre « qu’il est possible de ne pas rimer en poésie76 ». C’est la période de la découverte de la poésie populaire qui pose soudainement le problème des règles, des normes et des lois poétiques77. L’auteur du Barzaz-Breiz prend clairement position pour la disjonction de la poésie et de la poétique. Pour lui, ce ne sont pas les règles ni la prosodie qui font d’une œuvre une œuvre poétique. Les chants populaires bretons auxquels l’auteur accorde une qualité esthétique très haute sont des productions de chanteurs qui « ignorent ce que c’est que la prosodie78 », qui « ignorent les règles de la versification79 ». Le déplacement de la qualité essentielle du beau et de sa puissance émotionnelle de la perfection de forme à l’expression naturelle prend ainsi place dans la grande remise en question des valeurs classiques, des normes imposées et de la culture par opposition aux civilisations.
21De plus, considérer comme beau ce qui vient de l’intérieur et non de l’extérieur, les émotions et non l’esprit, l’instinct et l’inné et non l’appris, l’oralité et non l’écrit, le spontané et non le réfléchi, l’inconscient et non l’art, c’est abonder dans le sens de la « révolte du ganglionnaire contre le système cérébral80 ». Ces deux systèmes, mis en valeur par les romantiques eux-mêmes, correspondent aux deux pôles de l’homme : le système cérébral qui a le cerveau et la tête pour centre, et le système ganglionnaire ou système sympathique dont l’action est inconsciente et involontaire, et qui dépend du « tissu labyrinthique » des ganglions81. Le système sympathique est le creuset des exaltations, de l’amour, de la religion, il provoque tout autant la volupté que l’instinct meurtrier, « c’est le champ de bataille des bons et des mauvais démons82 ». De là la barbarie du peuple breton dans sa jeunesse, de là les instincts de vengeance, les débordements de force, la puissance de sa révolte et de sa résistance, de là aussi son doux sentiment religieux, le charme et la délicatesse de sa poésie. De là la beauté à chaque fois renouvelée lorsque l’inconscient émerge, bon ou mauvais, de cet organisme qu’est le peuple breton. Les manifestations de ces forces souterraines et indomptées donnent un sens incarné à la vie, alors que le cérébral s’efforce sans cesse de désengager l’esprit du corps ; elles sont la preuve de l’existence du concret, du personnel, du particulier et du local, quand l’esprit tend vers le conceptuel et l’universalité83.
Expressivisme
22Les chants du peuple breton présentent une beauté située à l’opposé de la beauté-catégorie définie par la perfection de la forme et l’achèvement. En terme de catégories, le beau serait même en contraste complet avec le poétique, l’un et l’autre seraient les deux pôles opposés de l’expérience esthétique : le beau renverrait à l’art et le poétique à la poésie subjective et intérieure84. La valeur du poétique tient en partie dans le mouvement qui plonge vers l’intériorité et qui permet la découverte du monde des pulsions inconscientes. Mais ce mouvement n’est que la première partie de la dynamique globale et le poétique gagne aussi en valeur par le deuxième élan qui le compose : le mouvement vers la hauteur.
23Le poétique fait éclater les cadres formels pour faire circuler les sentiments de l’intérieur vers l’extérieur avec une intensité telle qu’il y a jaillissement vers la hauteur. Les romantiques sont bien sûr les hommes auxquels on attribue cette remise en cause et cette explosion des cadres classiques, mais Diderot, bien avant eux, a préparé le terrain sur lequel ils ont bâti leur vision. Pour Diderot, « la poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage85 ». L’appel du philosophe va faire écho lors de la mise en lumière, grâce aux progrès de la science, de l’inconscient chez l’homme, de cette part inconnue de l’homme, de sa part sauvage et barbare. Alors que jusque-là l’homme pensait maîtriser de mieux en mieux la connaissance de l’humanité, s’élève soudainement devant lui une paroi immense derrière laquelle se cache l’autre moitié de l’humanité, l’inconscient. Alors qu’il croyait atteindre son but, celui-ci s’éloigne d’un seul coup de façon prodigieuse. Et cette prise de conscience de la disproportion entre l’espace physique et social de la réalité et l’espace spirituel et ventral de la subjectivité86 attire les érudits vers des régions inexplorées dans lesquelles il peut en effet se produire quelque chose d’énorme.
24Ce tournant dans l’histoire de la connaissance a pour conséquence une prise de recul sur la façon de considérer l’homme. Alors que la philosophie classique et la philosophie des Lumières placent l’homme au centre de toute réflexion et donnent la vérité comme accessible par la raison, l’époque romantique est marquée par un changement d’échelle : l’homme n’a plus une position privilégiée, il n’est qu’un élément parmi d’autres de la nature naturante. il n’est pas qu’esprit, il est aussi corps et toutes ses expériences se font à la fois par l’esprit, le corps et les sens. On assiste donc à un élargissement de la perception qui devient anthropocosmomorphique87. On passe d’une vision humaniste classique à une vision cosmique baroque88.
25La nature est alors perçue comme la source de la voix intérieure, des sentiments et de la vérité qui est en l’homme. Certains, surtout chez les romantiques français, pensent que cette voix est celle du vrai Moi et de ses sentiments authentiques ; d’autres comme Blake ou Wordsworth y voient l’impulsion de la nature en l’homme, c’est-à-dire d’un ordre plus grand dans lequel il se situe. Herder et Goethe développent l’idée que le poète n’exprime pas seulement son propre Moi, mais une réalité plus large89. L’influence de Rousseau est ici bien présente : d’une part dans l’idée de l’harmonie qui caractérise la vie de l’homme dans la nature vue comme cadre global et d’autre part dans l’idée que cette harmonie est à chercher dans son intérieur. Cette forme d’expression et de réalisation de la nature dans l’individu peut être appelée expressivisme90.
26Avec le tournant expressiviste de l’époque romantique on assiste à une individuation radicale qui met en avant l’originalité et la spécificité de chacun. Herder affirme que « chaque être humain a sa propre mesure, pour ainsi dire, un accord qui lui est particulier de tous ses sentiments les uns avec les autres91 ». L’élément nouveau apporté au concept d’individuation est l’idée que la façon dont on doit vivre dépend de cet accord original, que chacun doit suivre son chemin après avoir découvert qui il est92. Cette vocation d’originalité individuelle est transposée chez Herder sur le terrain des cultures et des peuples, perçus, eux aussi, comme des organismes ou des individus. Chaque peuple ayant sa propre façon d’être humain, il doit la manifester et s’abstenir de l’imiter ou de l’imposer à tout autre peuple93.
27L’art occupe une place centrale dans le tournant expressiviste car c’est par cette activité que l’homme réalise le mieux sa nature. Amorcé depuis le début du xviiie siècle, le passage de la mimésis à l’expression n’est que l’illustration du phénomène expressiviste dans le domaine de l’art94. On ne cherche plus à imiter la nature qui nous entoure, on va puiser au plus profond de soi-même pour exprimer sa nature originale, sa propre façon d’être humain. La créativité et l’originalité artistiques deviennent alors les nouveaux critères esthétiques, le pouvoir d’auto-formulation expressive étant mis en lumière.
28La Villemarqué, héritier de ce bouillonnement intellectuel, voit dans les chants populaires bretons un Nous qui révèle malgré lui son intimité, donne une image de son âme, mais il y voit aussi un Nous qui exprime encore davantage. Au travers des chants, le peuple breton dévoile ce qu’il y a de caché dans la nature et dans sa nature. Ses chants sont surchargés de sens. Certes la monotonie caractérise souvent les chants populaires, mais les critères esthétiques du poétique ne se trouvent pas dans la beauté formelle. Au contraire, ce qui les rend esthétiques provient du fait qu’ils sont bien davantage que des objets esthétiques : ils sont chargés de symboles et l’attirance de l’auteur pour ces chants vient du fait qu’ils contiennent plusieurs types de valeurs qu’il s’agit de retrouver. Car, dit La Villemarqué, « si les chants qu’on vient de lire offrent quelque intérêt poétique ou historique, ils ne me semblent pas moins intéressants et moins instructifs, au point de vue philosophique et moral95 ». L’auteur rappelle qu’il n’a pas ménagé ses soins pour mettre en lumière cette palette de valeurs et « pour rendre le recueil à la fois plus complet et digne d’un intérêt vraiment littéraire et philosophique96 ».
29La Villemarqué souhaite faire partager son expérience et sa découverte, au- delà de la monotonie des chants, de forces insoupçonnées. Le peuple breton, dont les « vices ont le même caractère d’énergie sauvage que ses vertus97 » et qui se trouve « dans toute la vigueur de ses mœurs primitives98 », témoigne par ses chants d’une « expression énergique et fidèle d’une nationalité99 ». On y trouve un « chant de guerre énergique100 », un chant dont la mélodie « éminemment énergique et martiale101 » ne laisse pas indifférent, un autre chant dont l’expression « à la fois brève, énergique et sombre102 » impressionne. La Villemarqué cite Augustin Thierry qui voit dans le chant du « Tribut de Noménoë » une « peinture énergiquement symbolique de l’inaction prolongée du prince patriote et de son brusque réveil, quand il jugea que le moment était venu103 ». Il évoque aussi une traduction de chants populaires bretons par Turquety104 « dont le talent, aussi gracieux qu’énergique, reflète le double caractère de la poésie bretonne105 ».
30L’admiration de La Villemarqué pour cette force et cette énergie se voit souvent doublée de l’expression d’une certaine crainte. Le poétique se fait alors à la fois attirant et effrayant. Les chanteurs populaires utilisent des « mots terribles106 », évoquent des « divinités terribles107 », l’auteur rappelle la « vengeance terrible108 » du peuple breton, les « terribles et sanglantes épreuves109 » auxquelles il doit faire face. Ce sentiment de terreur et de menace que procurent les chants se ressent aussi dans l’emploi surprenant de certaines expressions par l’auteur du Barzaz-Breiz. Ainsi l’auteur signale-t-il que le peuple breton est caractérisé par « une organisation puissante » et « une imagination dévorante110 », qui devient dans l’édition de 1867 une « imagination de feu111 ». Dans ses chants, il retrace des faits « avec une concise et effrayante énergie112 ». Le chant du « Carnaval de Rosporden » propose un tableau « empreint de puissance et d’horreur113 ». Le cri de vengeance de Gwenc’hlan est d’une « férocité sublime114 ».
31Cet alliage particulier de types d’émotions antithétiques chez La Villemarqué atteste de la valeur sublime qu’il accorde aux chants populaires bretons. L’auteur lui-même invite à cette caractérisation esthétique puisqu’il emploie le mot « sublime » à plusieurs reprises. Il évoque un « chant sublime115 », une « prière sublime116 », une « nature triste et sublime117 », une « sublime et mélancolique image118 », la « sublime audace119 » d’une action, la « résignation sublime120 » des Bretons, ou encore la tristesse des Bretons qui s’exprime dans leurs chants « d’une manière tantôt sublime et tantôt naïve, mais toujours frappante121 ».
32La dimension menaçante situe le sublime bien au-delà du beau, au-delà du beau intense, du majestueux et du grandiose, car il contient une part qui échappe à la maîtrise du monde, qui implique une dimension religieuse. Alors que le gracieux et le grandiose flattent les sens, le sublime menace par la présence d’éléments sensoriellement et rationnellement non maîtrisés. Le sublime mène donc aux frontières du sacré et marque ainsi un mouvement vers la hauteur. Ce qui entraîne La Villemarqué à franchir à plus d’une reprise le pas du vocabulaire du sacré et du secret qu’il fait cohabiter avec le sentiment de la peur que suscite cette dimension mystérieuse. Il raconte par exemple sa rencontre avec un montagnard et relate leur échange à propos de certains chants :
Les chants nationaux dont je lui avais étourdiment jeté à la tête un vers ou le titre, étaient précisément ceux auxquels il attachait le plus d’importance ; ils lui offraient souvent je ne sais quoi de mystérieux et de sacré qui l’impressionnait d’autant plus qu’il ne les comprenait pas toujours tout entiers ; il voyait au fond une certaine doctrine politique secrète et terrible dont il ne se rendait pas bien compte, mais qu’il entourait, avec la tradition, d’un respect superstitieux122.
33Dans le tableau suivant, La Villemarqué utilise la même fusion de la puissance, du magique et du sacré en décrivant la performance extraordinaire d’un chanteur dont la description, qui n’est pas sans rappeler celle des Hurons dans Le Dernier des Mohicans de Cooper, laisse place à des traits surnaturels :
Lorsque les blancs campaient, il charmait la veillée militaire par ses récits, ou menait leurs danses autour du feu du bivac [sic] : la facilité avec laquelle il improvisait était prodigieuse : « il paria une fois, me disait un ancien chouan, qu’il eût chanté une chanson à danser de sa façon, dont le premier couplet devait commencer au lever de la lune et le dernier finir au chant du coq ; tous les danseurs étaient rendus qu’il dansait encore : la vertu du chant était en lui ; sa haute taille, sa force extraordinaire, ses longs cheveux noirs qui s’échappaient de dessous son chapeau quand il se battait, ses yeux qui brillaient comme deux vers luisants, le faisaient prendre par les bleus pour. ce qu’il n’était pas, sûrement, car c’était lui qui nous disait tous les jours la prière du soir. [...]123. »
34La fascination de La Villemarqué tient beaucoup à cette dimension sublime, sacrée et surnaturelle qui, « chose extraordinaire », produit des scènes dans lesquelles « les pères, sans le comprendre, continuent d’enseigner à leurs enfants, qui ne l’entendent pas davantage, le chant mystérieux et sacré qu’enseignaient les druides à leurs ancêtres124 ». Si bien que l’auteur accorde une place importante au surnaturel dans les chants populaires. Le fantastique, le mystérieux et le merveilleux sont perçus comme porteurs de sens caché, comme les révélateurs de parts d’humanité enfouies.
35Le voyage dans l’esthétique selon l’auteur du Barzaz-Breiz se poursuit donc dans le vaste champ du surnaturel qui enveloppe les chants populaires et qui les élève de la confidence de l’âme du peuple aux hauteurs du sacré par le truchement de l’expressivisme. il consacre la totalité de la sixième partie de l’introduction aux agents surnaturels présents dans les chants et les traditions bretonnes. Il atteste qu’« il est impossible [...] de déterminer la date des chants dont ils sont le sujet » ; la plupart des chants mettant en scène des agents ou des données surnaturels sont placés au début de la partie sur les chants historiques que l’auteur a rangés par ordre chronologique, ce qui les ramène à des temps insondables de l’histoire. La Villemarqué tâche de montrer ainsi que le peuple breton est englobé dans un tout et qu’il exprime encore puissamment des parts oubliées de l’humanité. Il souhaite remythiser ces croyances en leur rendant leur substance et leur signification religieuse, en luttant contre leur démythification qui en fait des superstitions absurdes ou des histoires pour enfants125.
36Par ailleurs, La Villemarqué alimente ses jugements esthétiques en exploitant le vocabulaire attaché au mystérieux et au fantastique dans des occasions autres que celles qui mettent en scène des agents surnaturels. Il associe parfois le mystérieux et le sacré126 ; il le coordonne aussi avec le poétique lorsqu’il décrit l’union du génie des bardes de l’île de Bretagne et de la muse de l’Armorique, « loin des villes, dans la solitude : mystérieux et poétique hymen, dont nos pères ont recueilli les fruits127 ». Cela ne semble pas dénué de charme puisque lorsqu’« il s’enveloppe d’ombres discrètes », « le mystère prête à son œuvre un charme nouveau128 ». Le côté obscur ressurgit à plusieurs autres endroits dans le texte ; il semble même le thème principal auquel renvoie la notion de mystère. L’église qui trône sur la colline où a lieu l’improvisation au soleil couchant est entourée d’« ormeaux pleins de mystère et d’ombre129 », l’histoire de Iann Marek est « enveloppée de merveilleux nuages130 », les vers de Loeiz Guivar « ont un caractère sombre et fantastique131 », la deuxième partie du chant sur Iannik Skolan est « fantastique, vague et obscure132 », la voix d’Héloïse est comparée à un « son lugubre, fantastique et sauvage133 ». Ainsi, le vague et l’obscurité qui s’ajoutent au mystère créent une atmosphère d’indéfini, tout comme l’évocation des agents surnaturels participe de ce climat qui signale au lecteur qu’il se trouve aux frontières du réel et d’un autre monde.
37Cette atmosphère secrète et pourtant lourde de sens que crée par endroits La Villemarqué doit être comprise comme la queue de la comète d’une science nouvelle née au xviiie siècle avec Vico, l’étude du symbolisme des mythes, et qui a fini par devenir chez de nombreux romantiques l’étude des signes de la nature « qui est signifiante sans intention de signifier134 ». C’est en effet Vico, dans la Science nouvelle135, qui le premier a repensé la nature des mythes et a proposé à partir de là une herméneutique des civilisations136. Ce Newton de la science des cultures dénonce la position cartésienne selon laquelle les comportements des hommes ne dépendent que de motivations rationnelles et pense au contraire que l’irrationnel est riche de fonctions, que chaque religion, institution, tradition ou langue porte la marque des valeurs communes d’une culture et que les mythes constituent l’intelligibilité de cette culture, que les mythes reflètent le genre de vie d’un peuple à un moment donné137.
38Herder, indépendamment de toute filiation directe, exprime aussi l’idée que l’homme ne vit pas que dans la nature physique, mais dans un monde culturel dont tous les aspects sont des significations humaines et que « la mythologie de chaque peuple est la conséquence naturelle et logique de l’aspect sous lequel il a entrevu la nature138 ». C’est au chercheur de retrouver ces indications d’humanité sédimentées et de restituer le sens des mythes, mais aussi des traditions et des chansons populaires pour compléter le travail des historiens et des antiquaires139. L’objectif étant de mettre en lumière
une histoire philosophique des rêves éveillés, une explication génétique du merveilleux et de l’aventure, à partir de la nature humaine, une logique du pouvoir poétique, conduite à travers tous les temps et tous les peuples, à travers les formes de la fable, des Chinois aux Juifs, des Juifs aux Égyptiens, aux Grecs, aux Normands — combien grandiose, combien utile140.
39En France, il faut attendre 1825 pour qu’une traduction française de la Symbolique141 de Creuzer soit éditée, 1827 pour que les Français découvrent l’œuvre de Vico par la traduction de Jules Michelet et pour que Quinet fasse connaître celle de Herder. Le xixe siècle hérite aussi de l’intérêt renouvelé pour la Bible et pour Homère amorcé à la fin du siècle précédent : on se demande si Homère est un auteur ou un compilateur de poèmes populaires, si les évangélistes sont des auteurs ou des conteurs de traditions orales, on cherche les marques créatrices des peuples qui ont produit ces textes, certains les décryptent comme des messages secrets et sacrés142. Et cet ensemble intellectuel dont Vico et Herder sont les sources donne à la poésie populaire un statut de langage symbolique, « qui parle, mais surtout par ce qu’il ne dit pas, par la puissance qui s’exprime à travers lui143 ». Il fait en outre de toutes les manifestations et de tous les actes d’un peuple un événement et un symbole, il en sanctifie chaque geste. C’est donc bien dans un foisonnement d’orientation sacralisante que s’inscrit la deuxième partie du mouvement esthétique que met en place l’auteur du Barzaz-Breiz.
Alliance du terrestre et du céleste
40L’intériorité ou intimité populaire qui renvoie au domaine terrestre ne franchit jamais la limite du vulgaire ou de la niaiserie ; de même, l’expressivisme et le sacré qui renvoient au céleste ne tombent jamais dans la mièvrerie. Tous deux sont affectés d’une puissance, d’une vigueur et d’une énergie qui les protègent de la fadeur et de la vulgarité. Cette force étonnante trouve une explication dans le troisième élément qui entre dans la conception de l’esthétique chez La Villemarqué : le lien. Il semble que l’auteur attribue un effet amplificateur à la fusion des deux premiers éléments et d’une manière générale à la conjugaison du terrestre et du céleste. La poésie populaire est ainsi douée d’une grande valeur esthétique car elle est un point de contact qui reflète une rencontre de valeurs et surtout qui les dépasse.
41Les métaphores végétales que l’auteur utilise fréquemment pour qualifier la poésie populaire offrent l’image la plus révélatrice d’une double attache, à la fois au sol et au ciel. Le poétique cristallise, sous ces métaphores, une alliance de la force de l’enracinement et de la magie du rayon céleste. Parmi les termes du champ lexical du végétal employés dans le texte, un tiers des occurrences est exploité dans un sens métaphorique et une grande majorité de ces occurrences désigne la poésie populaire. La Villemarqué en parle comme d’une « couronne de fleurs sauvages144 » et sa mère, avant lui, s’intéressait à ces « chants dont elle a recueilli la fleur145 ». Par ailleurs, dans un souci d’assimilation à la beauté florale, l’auteur qualifie les chansons que chantent certaines pauvres femmes de « seules fleurs dont elles puissent orner le seuil qui les reçoit146 ». L’influence de la botanique et de la biologie sur ces propos se fait également sentir lorsqu’il prétend être en mesure de retrouver la matrice originelle à partir de chants chantés à son époque et dit pouvoir « juger de la semence par les fruits147 ».
42Si l’auteur semble jeter à la volée quelques métaphores d’agrément qui permettent de mettre en valeur la beauté de la poésie populaire, ces images prennent pleinement sens à partir de quelques assertions plus explicites quant à la profondeur de l’identification de la poésie à une plante. Ainsi insiste-t-il particulièrement sur la matrice du peuple breton et les dispositions sentimentales premières qui nourrissent sa production chantée, en proclamant que « les chants populaires ressemblent à ces plantes délicates qui ne se couronnent de fleurs que lorsqu’elles ont été semées dans un terrain préparé d’avance148 ». Le mouvement qui va du sol vers le ciel ou de l’intérieur vers l’extérieur exclut tout mouvement inverse qui proposerait l’intégration d’un élément extérieur dans le sol breton149 et coupe court à toute possibilité d’expression en dehors de ce sol. C’est pourquoi l’auteur précise qu’« on dirait qu’il est des souvenirs nationaux comme des plantes délicates qui ne peuvent vivre et fleurir qu’aux lieux où elles ont vu le jour150 ». On retrouve dans l’assertion de l’auteur du Barzaz-Breiz les mots des Grimm dont l’influence sur La Villemarqué est sans conteste et pour lesquels « la poésie populaire est comme ces plantes délicates qui ne peuvent que languir sur une terre étrangère et dont le germe ne se féconde pas si l’air natal ne vient pas caresser leur feuillage151 ».
43La métaphorisation, voire la métamorphose, de la chanson populaire en plante ou en arbre invite à attribuer ces productions du peuple à l’énergie de la germination créée par le contact et la fusion des éléments du sol et du ciel, et la puissance de vie qui se développe à la fois à l’intérieur de la terre et vers la hauteur. La Villemarqué affectionne l’idée de renouvellement naturel des plantes et des arbres et l’applique à la poésie populaire en écrivant au sujet des modifications apportées par le chanteur populaire que :
celui-ci ne fait que greffer des tiges nouvelles sur un arbre qu’il a planté, ou qu’accélérer, par une culture plus soigneuse, la pousse de quelques branches moins vivaces, ceux-là ressemblent à la nature, qui, par d’éternels renouvellements, remédie à ses propres pertes. L’arbre de poésie, parvenu à son développement complet, peut donc de temps à autre, quoique vigoureux et plein de sève, laisser tomber des rameaux morts, bientôt remplacés par d’autres ; mais désormais il reste inviolable et respecté152.
44L’emprunt à la vision organiciste de la poésie populaire des frères Grimm est ici flagrant. Les deux Allemands fournissent des explications sur la poésie populaire et leurs transformations :
Quant aux parties et aux détails qui, par l’effet du temps, peuvent s’en détacher et se perdre, ainsi que des branches isolées se dessèchent et tombent de la cime de grands arbres, pleins d’ailleurs de sève et de force, la nature y a pourvu, et là, comme partout, elle prend soin de réparer ses pertes par d’éternels renouvellemens153.
45Wilhelm Grimm reformule ailleurs l’idée :
La poésie s’est comportée ici à peu près comme une plante : la frondaison d’un arbre, qui s’offre en ce moment à nos regards, est née des branches qui se trouvent au- dessous, et celles-ci sont sorties du tronc, qui touche encore la terre ; ou bien lorsque sur l’aloès des feuilles nouvelles poussent, d’autres se fanent au-dessous : on peut dire que les nouvelles sont les mêmes que les anciennes en ce qui regarde leur contenu et leur essence, et la forme seule est nouvelle. La comparaison ne convient pas tout à fait, parce qu’une plante reparaît exactement dans la même forme et l’esprit humain au contraire toujours dans une forme modifiée. Aussi ferai-je mieux de comparer cette transformation des chants avec la transformation de la langue elle-même ou avec celle des hommes154.
46L’auteur du Barzaz-Breiz aime célébrer le rapport d’immédiateté au monde du peuple breton et précisément son innocence, voire son ignorance qui semblent constituer une condition capitale du sentiment du beau. Le champ lexical qui s’y rapporte, à savoir dans le texte les termes d’« innocence », de « naïveté », d’« ignorance », de « simplicité », de « candeur », d’« inculture » et de « confusion », constitue un thème incontournable du texte155. La Villemarqué place la naïveté au rang de sauveur de traces de l’humanité en s’exclamant : « Combien de détails intimes, de particularités de mœurs qui échappent aux historiens la poésie bretonne a sauvés ! comme sa naïveté est précieuse et instructive156 ! » Non seulement les chants populaires possèdent aux yeux des érudits une grande valeur scientifique, mais, plus que cela, ils provoquent chez La Villemarqué une attirance et l’expression de sentiments forts. Il se laisse charmer par leur « adorable simplicité157 », « leur naïve et touchante simplicité158 ». Il décrit un personnage, Salaün, et « son âme pure et innocente159 », il évoque la « poétique naïveté160 » du paysan breton, « les formes les plus naïves et les plus tendres161 » qu’il emploie dans certaines de ses paroles, les « innocentes et pures joies162 » qu’étaient les fêtes religieuses des Celtes. L’auteur aborde l’influence de la religion sur la puissance des sentiments des Bretons et souligne le fait que, « quelquefois, la religion vient, comme par le passé, en modérer les fanatiques écarts, et donner à sa foi guerrière un caractère touchant de naïveté163 ».
47La définition que donne La Villemarqué de la poésie populaire est entièrement orientée vers la distinction entre l’ignorance et la culture, entre l’innocence et la règle. Il affirme que « le principe de toute poésie populaire, c’est l’âme humaine dans son ignorance, dans sa bonne foi, dans sa candeur native ; l’âme, non sophistiquée et “sans cognoissance d’aulcune science ni mesme d’escripture”164 ». C’est une « poésie inculte, sauvage, ignorante165 ». Sous forme de fausse question, l’auteur indique d’ailleurs l’importance du maintien de cette innocence à ses yeux : « mais a-t-il [le paysan] lieu de regretter une ignorance qui lui inspire des accents dont la grâce rustique charme le goût le plus délicat166 ? ». D’une manière générale, La Villemarqué enveloppe son texte d’une conception idéaliste de la naïveté et de l’ignorance, conception qui entre en résonance avec sa vision de la pauvreté. Si l’on perçoit une sorte de bienveillance paternaliste, elle n’est jamais condescendante. Il garde une certaine supériorité sur le sujet dont il parle mais elle n’est jamais teintée de mépris. L’auteur exprime tout simplement ses émotions et fait partager son regard idéaliste sur la beauté de la pauvreté et de l’ignorance, tout comme il le ferait face à un tableau dont la couleur principale serait l’innocence : il décrit donc ce tableau émouvant dans lequel se meuvent un poète populaire qui « remarque naïvement167 » telle ou telle chose, des paysans ou des chanteurs qui font « observer naïvement168 » telle ou telle chose, des kloers d’une « naïveté rustique169 », faisant des chants selon leur « nature ignorante et rustique170 », telle ou telle croyance singulière qui donne à ceux qui la partagent un « accent naïf171 ».
48L’autre élément sur lequel insiste particulièrement l’auteur et qui n’est que la conséquence de l’ignorance et de la naïveté du peuple, tient dans la maladresse et la confusion qui caractérisent parfois certains chants. Rien de sophistiqué et d’élaboré ne peut sortir d’eux et c’est plutôt une certaine « rudesse primitive172 » ou « rudesse pittoresque173 » qui en est la marque. Autre attribut de la poésie populaire : la confusion qu’il peut se produire entre des héros anciens et d’autres plus modernes174, et que l’auteur considère comme « une confusion des plus favorables au rajeunissement du héros primitif175 ». Ce propos n’est pas sans rappeler celui de l’introducteur des Traditions Allemandes des Grimm, qui dit : « Ainsi se rajeunit la tradition qui reste la même en changeant d’objet176. »
49Pour La Villemarqué, comme pour les Grimm, la maladresse et la confusion, tout empreintes d’innocence, sont en fait une signature et même une preuve de l’honnêteté du peuple. L’éloge et la mise en valeur de l’ignorance et de la maladresse sont brandis comme garants d’une bonne foi et d’une sincérité :
C’est dire assez que l’actualité et la bonne foi sont deux qualités inhérentes au chant populaire primitif. Le poëte de la nature chante ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a rapporté, ce que tout le monde sait comme lui ; il n’a d’autre mérite que celui du choix des matériaux et de la forme poétique. Son but est toujours de rendre la réalité ; car « les hommes très-près de la nature, selon la remarque de Chateaubriand [sic], se contentent dans leurs chansons de peindre exactement ce qu’ils voient » ; l’artiste, au contraire, cherche l’idéal ; l’un copie, l’autre crée ; l’un poursuit le vrai, l’autre la chimère ; l’un ne sait pas mentir « et doit à ses naïvetés des grâces par quoi ses œuvres se comparent à la principale beauté de la poésie parfaite selon l’art », comme l’a si bien dit Montaigne ; l’autre s’instruit à feindre et réussit par la fiction177.
50L’auteur clôt le passage par une citation des Grimm qui lui permet de consolider sa position : « cette opinion est aussi celle de MM. Grimm. “Nous pouvons affirmer, assurent-ils, que nous n’avons pu parvenir à découvrir un seul mensonge dans les chants du peuple” ». La Villemarqué avait également précisé précédemment que d’après les Grimm, « le peuple respecterait trop ses chants populaires pour ne pas les laisser tels qu’ils ont été composés et tels qu’il les a appris178 ».
51Le peuple breton tel qu’il se présente sous la plume de La Villemarqué et sous les yeux du lecteur du Barzaz-Breiz se trouve dans une très grande proximité à la nature, car il est toujours au stade poétique de l’évolution de l’homme, c’est-à-dire au stade primitif. Le fait qu’il chante est une preuve de sa primitivité, comme l’ont affirmé Vico dans la Science Nouvelle et de nombreux romantiques après lui. Vico établit que « dans l’enfance du monde, les hommes étaient naturellement poètes179 », que « les premiers langages se sont formés avec le chant180 » et que « les nations parlèrent d’abord en vers et plus tard en prose181 ». Hamann et Herder formulent la même idée que Mme de Staël résume dans De l’Allemagne :
les nations peu civilisées commencent toujours par la poésie, et dès qu’une passion forte agite l’âme, les hommes les plus vulgaires se servent, à leur insu, d’images et de métaphores. Ils appellent à leur secours la nature extérieure pour exprimer ce qui se passe en eux d’inexprimable. Les gens du peuple sont beaucoup plus près d’être poètes que les hommes de bonne compagnie, car la convenance et le persiflage ne sont propres qu’à servir de bornes, ils ne peuvent rien inspirer182.
52Charles Nodier déclare également que, dans les temps primitifs, « rien n’existait que la poésie et l’homme était poète comme il était homme, parce qu’il ne pouvait pas être autre chose183 ». Les Grimm, dont les propos sont repris dans l’introduction à la traduction des Traditions Allemandes, évoquent aussi le sujet :
On a souvent agité cette question : Dans quelles conditions doit se trouver un peuple pour que sa poésie épique prospère et conserve toute sa virtualité ? On pourrait répondre, et c’est là une observation importante, qu’en Allemagne la poésie épique se montre de préférence chez les races dont l’origine remonte à la plus haute antiquité184.
53Le langage poétique comme langue des origines faisait donc déjà partie de la panoplie de la subjectivité romantique lorsque La Villemarqué a découvert le peuple breton. C’est d’ailleurs sans doute ce genre de topoï, incontestables à l’époque, qui enthousiasma le jeune érudit et lui fit reconnaître la charge sacrée et divine du peuple breton porteur, lui aussi, de la première langue de l’humanité, et cette conservation mystérieuse d’un lien à la genèse qui l’éclaire d’une lumière céleste.
54Il semble que la poésie populaire, « enfant de la nature dans toute la force du terme185 », ait des qualités esthétiques dans la mesure où elle est garante du vrai. Le beau devient splendeur du vrai. Et le vrai découle de l’honnêteté, de la sincérité et de la bonne foi du peuple qui possède ces qualités car il est un produit de la nature. L’opinion de La Villemarqué sur le poétique et l’esthétique s’articule autour de la notion du vrai, de cette valeur qui ne peut naître que dans la nature et de la terre, et que ne peut jamais atteindre un artiste puisqu’il n’est pas issu du peuple. Ce dernier invente, crée, feint ou imite, mais dans tous les cas les qualités esthétiques que confère La Villemarqué à ses productions n’atteignent pas la hauteur de celles de la poésie populaire. La connaissance et l’analyse éloignent des critères de beauté de l’auteur du Barzaz-Breiz. Le raffinement est perçu comme synonyme d’artifice, d’artificiel, de factice, de faux et donc de faible qualité esthétique. Mme de Staël dans De l’Allemagne exprimait déjà cette idée dans ses développements sur les Chansons populaires de Herder : « La littérature cultivée devient si promptement factice, qu’il est bon de retourner quelquefois à l’origine de toute poésie, c’est-à-dire à l’impression de la nature sur l’homme avant qu’il eût analysé l’univers et lui-même186. »
55L’imposante place qu’a pris la nature dans la pensée des xviiie et xixe siècle trouve sans doute en partie ses sources dans le nouvel esprit qui s’est développé autour du piétisme et que des auteurs comme Hamann, Herder, et d’autres préromantiques allemands ont relayé dans d’autres domaines de la pensée. De la recherche d’un nouvel esprit religieux, d’une foi plus intime, plus directe, non imposée par une autorité, naissent plusieurs courants dont l’un, le piétisme, forme une sorte de réseau international d’affinités spirituelle par lequel les écrits de Chateaubriand ont sans doute été influencés. Le courant piétiste propose de retrouver la source chrétienne perdue à cause de l’institution, de chercher Dieu dans les cœurs et de redonner une place aux sentiments, à la subjectivité et à la nature187.
56La Villemarqué, héritier de ce tournant piétiste188, joue des valeurs esthétiques et fait prendre une revanche au peuple breton. Jusque-là méprisé ou oublié, le peuple breton du Barzaz-Breiz présente sous la plume de son auteur un visage tout autre. Il renvoie désormais à l’image suprême du beau. Le centrage sur la nature qui assure la conjugaison en son sein de l’enracinement dans le sol et de la lumière du ciel, permet des références au vrai, à la perfection et à la pureté originelles. En fait, l’intensité de la beauté réside dans le fait qu’elle englobe non seulement l’ordre esthétique, du gracieux au sublime, mais aussi l’ordre aléthique et éthique189. C’est donc la nature, comme symbole de la fusion du vrai et du bon, qui garantit le beau chez La Villemarqué.
Notes de bas de page
1 Robert Blanché, Des catégories esthétiques, Paris, J. Vrin, 1979, p. 17-18.
2 Par exemple Prosper Mérimée, Ballades et chants populaires de la Roumanie, recueillis et traduits par M. Alexandrini, Paris, 1855, publié dans le Moniteur universel, n° 17, 1er janvier 1856, cité par Claude Millet, op. cit., p. 18.
3 BB 1845, Temps Passé, t. II, p. 269 ; BB 1845, Introduction IV, p. XXX, etc.
4 BB 1867, Préface, p. VII.
5 BB 1839, Introduction IV, p. xxx.
6 BB 1845, Introduction IV, p. XXXI. Voir Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xv.
7 BB 1839, Introduction IV, p. xxviij.
8 Ricarda Huch, op. cit., t. I, p. 50.
9 BB 1845, Conclusion, p. 473.
10 BB 1839, Introduction III, p. xviij.
11 Ibidem, Préambule, p. vj.
12 Francis Gourvil, op. cit., p. 8.
13 Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, Gallimard, éd. de Jean Pommier, 1983, p. 82.
14 Ibid.
15 Ibid., p. 21 et 82.
16 BB 1839, Introduction VII, p. lvj.
17 BB 1845, Avant-Propos, p. xvj.
18 Ibid., Chants de Noces, t. II, p. 193. BB 1845, Temps Passé, t. II, p. 267.
19 BB 1839, Introduction IV, p. xxxiv.
20 Ibid., Introduction III, p. xix.
21 Ibid., Introduction IV, p. xxxv.
22 BB 1867, Préface, p. VII.
23 BB 1845, Hirondelles, t. II, p. 398.
24 Georges Gusdorf, Le romantisme, op. cit, t. II, p. 116.
25 BB 1839, Introduction IV, p. xxx.
26 Ernest Renan, « La poésie des races celtiques », Revue des Deux Mondes, 1854.
27 BB 1839, Introduction III, p. xviij.
28 BB 1845, Temps Passé, t. II, p. 268-269.
29 BB 1839, Introduction IV, p. xxiij.
30 Wilhelm Grimm, Kleinere Schriften, t. I, p. 100. Cité par Ernest Tonnelat, Les frères Grimm. Leur œuvre de jeunesse, thèse, Paris, Armand Colin, 1912, p. 74.
31 BB 1839, Introduction IV, p. xxxvij.
32 Ibid., Introduction VII, p. lix.
33 BB 1845, Introduction II, p. XVI.
34 Ibid., Conclusion, p. 476.
35 Ibid.
36 BB 1845, Introduction II, p. XVI.
37 Ibid., Conclusion, p. 482.
38 1839 : 36 « écrire », 7 « imprimer », 5 « oral » et 352 « chanter ». 1845 : 58 « écrire », 8 « imprimer », 6 « oral » et 491 « chanter ». 1867 : 59 « écrire », 10 « imprimer », 7 « oral » et 508 « chanter ».
39 BB 1839, Introduction X, p. lxxviij. BB 1839, Siège de Gwengamp, t. I, p. 247. BB 1845, Peste d’Elliant, t. I, p. 95. BB 1845, Clerc de Rohan, t. I, p. 285.
40 BB 1839, Préambule, p. iij.
41 Ibid., Peste d’Elliant, t. I, p. 52-53.
42 Ibid., Introduction IV, p. xxxvij.
43 Ibid., p. xxvij.
44 BB 1839, Paradis, t. II, p. 355.
45 Ibid., Chouans, t. II, p. 163.
46 Ibid., Introduction II, p. xj.
47 Ibid., Introduction IV, p. xxvij.
48 Ibid., Préambule, p. j.
49 Conception que l’on retrouve aussi par exemple dans le « Cours familier de littérature » de Lamartine de 1859 qui introduit Miréio du poète provençal Frédéric Mistral : « On peint mal ce qu’on imagine, on ne chante bien que ce que l’on respire. [...] Or, pourquoi aucune des œuvres achevées cependant de nos poètes actuels européens [...], pourquoi ces œuvres du travail et de la méditation n’ont-elles pas pour moi autant de charme que cette œuvre spontanée d’un jeune laboureur de Provence ? [...] Ah ! c’est que nous sommes l’art et qu’ils sont la nature ; c’est que nous sommes métaphysiciens et qu’ils sont sensitifs ; [...] c’est que nous procédons de la lampe et qu’ils procèdent du soleil. »
50 BB 1845, Mélodies, t. II, p. 494.
51 Ibid., Tour d’Armor, t. II, p. 438.
52 BB 1839, Introduction VII, p. lvij.
53 Ibid., p. lvj.
54 BB 1839, Introduction II, p. xxiij.
55 BB 1845, Lez-Breiz, t. I, p. 183.
56 Claude Millet, op. cit., p. 18.
57 BB 1845, Prêtre Exilé, t. II, p. 223.
58 Francis Gourvil, op. cit., p. 55, 129, 137. Et Hervé Peaudecerf, Alexandre-Louis-Marie Lédan (1777-1855) — Un imprimeur breton au xixe siècle (1805-1855), thèse, Rennes II, 2002.
59 Il faut tout de même signaler que La Villemarqué a fait imprimer un livret composé de chants, intitulé Barzaz pe Ganaouennou Breiz et destiné à être vendu aux gens du peuple à un prix modique dans les foires et pardons. Voir Francis Gourvil, op. cit., p. 106.
60 BB 1839, Introduction IV, p. xxxvij.
61 Ibid., Frère de Lait, t. I, p. 179.
62 Ibid., Introduction III, p. xxj.
63 Robert Blanché, op. cit., p. 51-71.
64 BB 1839, Introduction VII, p. lvij.
65 Ibid.
66 Ibid. L’emploi de mots exotiques est à relever : le rebec, ancêtre entre autres du violon, instrument utilisé en Bretagne au Moyen Âge et jusqu’au xvie ou xviie siècle, et orthographié par La Villemarqué selon l’orthographe de Le Gonidec (Dom Le Pelletier indique « rebet » dans son dictionnaire), et la guzla, instrument de la famille du violon, utilisé chez les peuples dalmates.
67 Ernest Tonnelat, op. cit., 1912, p. 63-64.
68 Ibid., p. 65-66.
69 Ibid., p. 68.
70 Ibid., p. 71.
71 « Das Lied vom Fischer » : Herder, Volkslieder, 1979, II. Teil, I. Buch, Lied 1, Stuttgart, Reclam, 1975, p. 187-188.
72 BB 1845, Ballade de Iann Marek, t. II, p. 249.
73 BB 1839, Complainte de Iann Marek, t. II, p. 171. Voir aussi BB 1839, Prêtre Exilé, t. II, p. 153.
74 Si les points communs entre l’approche du monde de La Villemarqué et celle de Sand sont assez nombreux, c’est qu’ils ont tous deux été influencés par les mêmes personnalités et écrits, mais aussi parce que Sand a beaucoup été influencée par le Barzaz-Breiz.
75 Georges Gusdorf, Le romantisme, op. cit., t. II, p. 245.
76 Gérard De Nerval, Les filles de feu, cité par Claude Millet, op. cit., p. 52.
77 Claude Millet, op. cit., p. 55.
78 BB 1839, Introduction VII, p. lix.
79 BB 1867, Introduction VII, p. LXII.
80 Ricarda Huch, op. cit., t. II, p. 85.
81 Ibid., p. 81-85.
82 Ibid., p. 86.
83 Georges Gusdorf, Le romantisme, op. cit., t. II, p. 241.
84 Robert Blanché, op. cit., p. 82-83.
85 Denis Diderot, Discours sur la poésie dramatique, Œuvres complètes, Paris, Le club français du livre, 1970, t. III, p. 483.
86 Georges Gusdorf, Le romantisme, op. cit., t. II, p. 119.
87 Ibid., p. 143.
88 Robert Blanché, op. cit., p. 129.
89 Charles Taylor, Les sources du Moi, La formation de l’identité moderne, traduit par Charlotte Melançon, Paris, Seuil, 1998, p. 461-463.
90 Ibid., p. 469.
91 Cité par Charles Taylor, op. cit., p. 471.
92 Ibid.
93 Ibid., p. 471-472.
94 Ibid., p. 472.
95 BB 1845, Conclusion, p. 473.
96 BB 1867, Préface, p. IV.
97 BB 1845, Conclusion, p. 475.
98 BB 1839, Carnaval Rosporden, t. I, p. 257.
99 BB 1867, Préface, p. VII.
100 BB 1845, Cygne, t. I, p. 386.
101 Ibid., Marche d’Arthur, t. I, p. 88.
102 Ibid., Peste d’Elliant, t. I, p. 96.
103 BB 1867, Tribut de Noménoë, p. 112.
104 Il s’agit sans doute de Keepsake breton, textes recueillis par Fulgence Girard et Édouard Turquety, lettre-préface de Chateaubriand, Rennes, A. Marteville, 1832.
105 BB 1845, Avant-Propos, p. xiij.
106 Ibid., Conclusion, p. 478.
107 Ibid., p. 474.
108 BB 1845, Jeunes Hommes de Plouié, t. II, p. 20.
109 Ibid., Conclusion, p. 478.
110 BB 1839, Enfer, t. II, p. 347.
111 BB 1867, Enfer, p. 510.
112 Ibid., Submersion de la Ville d’Is, p. 42.
113 BB 1839, Carnaval de Rosporden, t. I, p. 256.
114 BB 1867, Prophétie de Gwenc’hlan, p. 24.
115 BB 1845, Conclusion, p. 482.
116 Ibid., p. 484.
117 BB 1845, Temps Passé, t. II, p. 268.
118 Ibid., Conclusion, p. 483.
119 BB 1867, Chanson du Pilote, p. 362.
120 BB 1845, Temps Passé, t. II, p. 287.
121 BB 1867, Temps Passé, p. 405.
122 BB 1845, Avant-Propos, p. xv-xvj.
123 Ibid., Bleus, t. II, p. 242.
124 Ibid., Séries, t. I, p. 1.
125 Mircéa Éliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 1963, p. 142.
126 BB 1845, Avant-Propos, p. xvj. BB 1845, Séries, t. I, p. 1.
127 BB 1839, Introduction II, p. x-xj.
128 BB 1845, Hirondelles, t. II, p. 398.
129 Ibid., Temps Passé, t. II, p. 268.
130 Ibid., Complainte de Iann Marek, t. II, p. 258.
131 Ibid., Fiancée, t. I, p. 261.
132 BB 1839, Iannik Skolan, t. II p. 138.
133 Ibid., Introduction II, p. xvj.
134 Jacques Rançière, La chair des mots. Politiques de l’écriture, Paris, Galilée, coll. Incises, 1998, p. 27.
135 Giambattista Vico, La Science nouvelle, 1725.
136 Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 82.
137 Ibid., p. 183-184.
138 Herder, Philosophie de l’Histoire de l’Humanité, cité par Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 186.
139 Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 185-187.
140 Herder, Journal meiner Reise im Jahre 1769, cité par Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 185.
141 Creuzer, Symbolik und Mythologie der alten Völker, besonders der Griechen, Leipzig/Darmstadt, C.-W. Leske, 1810-1812, traduit par Joseph-Daniel Guigniaut, Religions de l’antiquité considérées principalement dans leurs formes symboliques et mythologiques, Paris, Treuttel/Würtz, 1825.
142 Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 206.
143 Jacques Rançière, La parole muette. Essai sur les contradictions de la littérature, Paris, Hachette, coll. Littératures, 1998, p. 39-40.
144 BB 1839, Introduction I, p. iij.
145 BB 1867, Complainte de la Dame de Nizon, p. 522.
146 Ibid., p. 519.
147 BB 1845, Conclusion, p. 474.
148 BB 1839, Introduction IV, p. XXX.
149 Voir BB 1845, Introduction IV, p. XXXI.
150 BB 1845, Lez-Breiz, t. I, p. 183.
151 Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xxix-xxx.
152 BB 1839, Introduction IX, p. lxvj.
153 Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xv.
154 Cité par Ernst Tonnelat, op. cit., p. 78. (Briefwechsel der Gebrüder Grimm mit nordischen Gelehreten).
155 Il regroupe 50 occurrences dans le Barzaz-Breiz de 1839, puis 74 et 79 respectivement en 1845 et 1867.
156 BB 1867, Préface, p. vii.
157 BB 1845, Enfer, t. II, p. 460.
158 Ibid., Départ de l’Âme, t. II, p. 439.
159 BB 1839, Notre-Dame du Folgoat, t. II, p. 17.
160 BB 1845, Départ de l’Âme, t. II, p. 448.
161 BB 1839, Introduction IV, p. xxxj.
162 Ibid., Introduction X, p. lxxiij.
163 BB 1845, Conclusion, p. 478.
164 BB 1839, Introduction IV, p. xxiij. Cite Montaigne, Essais, liv. I, chap. LIV.
165 BB 1839, Introduction III, p. xviij.
166 BB 1867, Rupture, p. 470.
167 BB 1845, Aire Neuve, t. II, p. 340.
168 Ibid., Peste d’Elliant, t. I, p. 94, et BB 1845, Introduction X, p. LXX.
169 BB 1839, Introduction IV, p. xxxv.
170 Ibid., Introduction III, p. xxj.
171 BB 1867, Départ de l’Âme, p. 506.
172 BB 1839, Enfer, t. II, p. 347.
173 BB 1867, Submersion de la Ville d’Is, p. 44, cite Tom Taylor, Ballads and Songs of Brittany.
174 BB 1867, Introduction IX, p. LXXI ; BB 1839, Héloïse et Abaylard, t. I, p. 101-102.
175 BB 1867, Lez-Breiz, p. 111.
176 Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xxxvj-xxxviij.
177 BB 1845, Introduction IV, p. XXVIII. Déjà en partie dans BB 1839, Introduction IV, p. xxvij.
178 BB 1845, Introduction IV, p. XXVIII. BB 1839, Introduction IV, p. xxvij. Voir citation des Grimm, dans Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xv.
179 Giambattista Vico, La Science nouvelle, 1725, traduit de l’italien par C. Trivulzio, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1993, p. 79.
180 Ibid., p. 87.
181 Ibid.
182 Mme de Staël, op. cit., 1.1, II, chap. X, p. 206.
183 Charles Nodier, Notions élémentaires de linguistique, 1834, cité par Claude Millet, op. cit., p. 18.
184 Grimm, Traditions allemandes recueillies et publiées par les frères Grimm, op. cit., p. xxix.
185 BB 1839, Introduction III, p. xviij.
186 Mme De Staël, De l’Allemagne, Paris, Flammarion, 1968, t. II, II, chap. XXX, p. 64. Voir aussi Gérard De Nerval, Poésies allemandes, cité par Claude Millet, op. cit., p. 24 ; ou Jules Michelet, La Sorcière, cité par Claude Millet, op. cit., p. 48.
187 Georges Gusdorf, Dieu, la nature et l’homme au siècle des Lumières, op. cit., p. 58-85.
188 Le terme est pris au sens large du terme.
189 Robert Blanché, op. cit., p. 56.
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