Chapitre 1. Le scripteur
p. 23-57
Texte intégral
1La Villemarqué est bien entendu l’auteur du Barzaz-Breiz, cette personne qui en est à l’origine, qui l’a conçu et dont la biographie peut fournir certaines explications quant à la production de l’ouvrage, mais pour une première lecture, je préfère appréhender La Villemarqué comme celui qui a écrit le texte et lui a donné une forme, c’est-à-dire comme un scripteur. Cette dénomination fixe l’attention, non sur l’origine du texte, mais sur la forme qu’il prend, sur l’écrit lui-même. Cela permet d’observer La Villemarqué à travers la forme et la consistance qu’il a données au texte, et de laisser l’écrit dévoiler l’auteur et non l’inverse.
Une machinerie complexe
2Lorsqu’on a le Barzaz-Breiz entre les mains pour la première fois, qu’on y jette un coup d’œil, qu’on le feuillette, le texte paraît être d’une organisation très claire et l’on anticipe déjà sur le sérieux de l’ouvrage. Le texte est en effet jalonné de mots tels introduction, parties, section, argument, notes, conclusion, typiques de la structuration d’une argumentation. Des chiffres romains ponctuent l’ensemble de façon régulière, ce qui garantit l’impact visuel et donne une impression de classement, voire de classification. On sent qu’on a sous les yeux un ensemble qui se veut d’allure très organisée.
3Puis le Barzaz-Breiz est découpé en unités, elles-mêmes subdivisées en plusieurs parties1. Après la page de titre et la dédicace, une préface ouvre le texte. Puis suit une unité très imposante : l’« Introduction ». Elle est composée de dix parties indiquées par un numéro en chiffres romains. Ensuite viennent trois unités intitulées respectivement « Première partie. Chants mythologiques, héroïques, historiques et ballades », « Deuxième partie. Chants de fêtes et chants d’amour » et « Troisième partie. Légendes et chants religieux ». L’organisation de chacune de ces trois unités est très régulière, les chants se succèdent et la présentation ne varie pas2. S’il arrive qu’un chant soit présenté sous forme de fragments ou en plusieurs morceaux, ils sont séparés par des chiffres romains3. L’ensemble est coiffé d’un appendice composé de la « Complainte de la dame de Nizon » et d’un « Épilogue4 ». La composition de l’ouvrage est très structurée, basée sur une sorte d’armature où chaque portion de texte prend sa place dans l’ensemble. De plus l’épilogue ne clôt pas l’ouvrage : une table des matières permet d’avoir une vue d’ensemble sur l’agencement du texte et les partitions musicales de certains des chants ont été placées en fin d’ouvrage, apparaissant d’ailleurs comme en dehors de l’œuvre, à la façon des annexes. La présence même d’une table des matières et d’annexes rappelle les codes et les pratiques des ouvrages scientifiques.
4Concernant le ton adopté par le scripteur, l’impression première que procure la lecture du Barzaz-Breiz est celle d’assurance et de fermeté. Et cette impression vient du ton particulier qu’il emploie, de ce ton scientifique qui semble draper l’œuvre dans sa totalité et qui lui donne sa couleur du début jusqu’à la fin. Plusieurs éléments concourent à cet effet. Le premier de ces éléments est l’ensemble des formules typiquement scientifiques qui foisonnent dans le texte et renforcent l’impression de sérieux de l’entreprise. Le champ lexical de la démonstration et de l’argumentation scientifique abonde dans le Barzaz-Breiz : prouver, juger, préciser, comparer, étudier, opinion, science, critique, observation, méthode, etc.5.
5D’autre part, le ton où il a placé ses relations est tout de suite donné dans le préambule par la liste des personnes que le scripteur remercie : leur nom et leurs hautes fonctions donnent une certaine autorité au texte de La Villemarqué et montrent bien les relations que semble avoir le scripteur avec le monde littéraire et savant. Il s’agit entre autres, dans la première édition, de « MM. les membres du comité historique de la langue et de la littérature françaises, qui ont trouvé ce recueil digne de paraître sous leurs auspices », de « M. Fauriel » qui en a fait, semble-t-il, un compte rendu très positif, de « M. Villemain » président du comité sus-cité et ministre de l’instruction publique, de « M. Bunsen » qui n’est rien moins que l’« ancien ministre du roi de Prusse à Rome », et de « MM. Grimm6 » par exemple. De plus, dès la deuxième édition, le scripteur ne manque pas de mentionner les échos dont son livre a fait l’objet. Augustin Thierry a par exemple fait « aux poésies bretonnes l’honneur de les citer dans ses admirables récits de la conquête de l’Angleterre7 ». Mais ce n’est pas tout :
À l’exemple de MM. Fauriel et Augustin Thierry, la presse française et la presse étrangère, pleines d’un dévouement étonné, annoncèrent le recueil aussitôt son apparition : l’autorité d’un critique français hors de ligne, M. Magnin, dans le Journal des Savants ; celle de deux critiques étrangers de mérite, M. Milmann, dans le Quaterly Review, M. Keller dans la Gazette d’Augsbourg, contribuèrent puissamment à lui aplanir les voies de la publicité. Les tribunes de l’enseignement ne tardèrent pas à seconder elles-mêmes l’action protectrice de la presse. À Paris, M. Ampère, l’ingénieux et savant professeur du collège de France ; en province, M. X. Marmier, auteur de recueils charmants de traditions populaires ; à Berlin, un professeur de littérature dont tout le monde sait le nom [...]8.
6On note que les critiques mentionnés par La Villemarqué sont tout à fait dignes d’estime et que M. Magnin n’écrit d’ailleurs pas dans n’importe quel journal puisqu’il s’agit de celui des savants, mot qui revient d’ailleurs deux fois dans le paragraphe. Ce vocabulaire, ajouté aux noms et fonctions des personnes citées, ainsi que le petit tour d’Europe que fait faire le scripteur impressionnent le lecteur qui est ainsi naturellement tenté de placer le Barzaz-Breiz parmi les ouvrages scientifiques de qualité.
7Autre élément frappant relativement au ton scientifique de l’ouvrage : l’utilisation des notes de bas de pages. Elles jouent un rôle essentiel entre le texte et le lecteur. Elles montrent que le scripteur a les preuves de ce qu’il avance ; les notes sont le garant de la véracité des affirmations du texte9. Le nombre de notes de bas de pages est très grand dans le Barzaz-Breiz : de 299 notes en 1839, le scripteur passe à 436 en 1845 et à 370 dans la version de 1867. Si l’on y regarde de plus près encore, si l’on examine quel type de notes figure dans le texte, on constate qu’elles ne sont pas toutes des notes de références, mais que certaines sont ce qu’on appelle des notes résiduelles. Pour six d’entre elles en 1839, elles sont en fait des marques d’estime ou des remerciements : Alfred10 et Pol de Courcy11, Charles de Blois12, Sharon Turner13 et Fauriel14 font partie de ces personnes. Toujours dans les notes résiduelles, 50 fournissent des informations supplémentaires comme par exemple la traduction en français de certains mots bretons ou la mention d’un proverbe ou d’une coutume en lien avec le thème évoqué. Jusqu’ici, rien n’est vraiment différent des procédures scientifiques. Par ailleurs, l’examen des notes de référence est très révélateur quant au fonctionnement du scripteur. Celui-ci cite plus de 100 auteurs différents, des ouvrages de nature et de domaines variés, montrant ainsi sa vaste érudition. il enrobe son propos et surtout sa personne d’un appareil référentiel et donne du sérieux à son travail en citant César, Strabon, Hérodote, Montaigne, Marie de France ou Creuzer et Grimm : le tour d’horizon se veut large, à la fois dans l’espace et dans le temps.
8Mais si cet appareil complexe est porteur de références et d’informations, ce n’est pas tant sur le sujet traité, que sur le scripteur lui-même. Il y a un déplacement de l’objectif : il permet surtout au lecteur d’avoir accès à une certaine image du scripteur, une image sérieuse et une caution scientifique. Cet appareil mis en place ne sert pas uniquement à convaincre. Convaincre de quoi ? On n’en est pas encore au message et pourtant on ne reste pas indifférent à ces aspects du texte, tout nous prépare à le recevoir comme une argumentation de haute qualité. La Villemarqué use à ce niveau-là de rhétorique et le lecteur qui a l’impression d’être convaincu est peut-être séduit par l’image que se forge le scripteur.
9Une analyse plus précise des notes de bas de page est éclairante. En 1839, 16 % des notes de référence sont des références du scripteur à son propre texte. En 1845, ce pourcentage va même jusqu’à 19 % : une référence sur cinq est une auto-référence. On sait que l’une des tâches des notes de bas de page, en plus d’attribuer à César ce qui appartient à César, est sa fonction rhétorique15 : le lecteur prend acte de la présence de notes et considère le texte comme non fictionnel. Le texte est basé sur des faits, sur des références, et possède un garant extérieur. Or, on vient de le voir, ce garant normalement extérieur, est dans le Barzaz-Breiz en partie une auto-référence, ce qui ne manque d’affaiblir la caution de véracité.
10D’autre part, la présence du scripteur et de son propre texte à l’intérieur même du texte est fortement marquée. En plus du bas des pages, le scripteur occupe aussi la partie haute de cette structure dédoublée. Il ne fait pas le choix de l’absence, ni celui d’une présence ponctuelle pour donner son avis. Au contraire, en multipliant les marques de sa présence et en ne s’éclipsant pas de l’énoncé comme le font la plupart des auteurs de textes scientifiques16, il se rend omniprésent et donne à sa voix une place de choix dans le texte. Cela apparaît entre autres au travers des pronoms sujets qu’emploie le scripteur17 : les pronoms « nous » et « on » qui apparaissent en deuxième et troisième positions après le « il », sont les principaux pronoms qu’utilise La Villemarqué pour s’exprimer en prenant position dans son énoncé. Si l’on considère l’ensemble des marques de cette voix, le nombre moyen de marques de présence de La Villemarqué dans son texte (dans le haut des pages) dépasse les 1 100 occurrences18. Cette présence de l’auteur est donc très visible, elle est considérable et permanente, ce qui en fait une voix incontournable de l’ouvrage et montre que, contrairement à l’impression de recul et de non-intériorité que peut donner le ton scientifique affiché, il y a bien un point d’intersection et un engagement fort entre le scripteur et ce qu’il écrit.
11Il est pour le moment encore difficile de dire si toutes ces modalités énonciatives sont constituantes d’une rhétorique de persuasion ou d’une rhétorique de séduction. Le scientifique dans le Barzaz-Breiz sert-il la démonstration ou le démonstrateur ? La communication est-elle orientée vers le référent, le contexte, ou vers le destinateur19 ? La fonction principale des énoncés est-elle référentielle ou émotive20 ? Si l’on ne peut nier une tentative de persuasion, on ne peut rejeter l’idée qu’elle passe aussi par une rhétorique – consciente ou non – de séduction.
12La voix érudite du scripteur semble draper le texte et le lecteur a l’impression que toutes les idées et les prises de parole convergent pour former un unisson. Or un examen précis du texte révèle que, derrière cette voix, les prises de parole sont plurielles. On pourrait même parler de polyphonie, car elle est en effet assurée, en plus de l’érudit, par le peuple, d’une part, et par les nombreux auteurs que le scripteur cite, d’autre part. La Villemarqué utilise de très nombreuses citations qu’il insère dans son discours, principalement dans l’introduction, mais aussi dans certains arguments et notes qui entourent les chants. Quatre grandes sources de citations se détachent particulièrement du texte : les auteurs antiques ou anciens, quelques auteurs contemporains, les bardes et le peuple. Le narrateur leur passe la voix comme on passerait aujourd’hui un microphone dans une salle de conférence. Diodore de Sicile, Ausone ou Nennius sont longuement cités. Certains auteurs contemporains de La Villemarqué prennent pleinement la parole dans le Barzaz-Breiz : ce sont Fauriel, Ampère, Augustin Thierry, Walter Scott et les frères Grimm. Les bardes Taliesin, Aneurin, Gwenc’hlan et Lywarch-Hen en font de même : le lecteur a donc le privilège de ces témoignages particulièrement rares et anciens. Enfin, le peuple a également droit à la parole, à travers la voix d’un paysan, d’un poète, d’un vieillard, l’évocation d’une légende, d’un proverbe ou d’une chanson. Et les guillemets sont toujours présents, montrant ainsi que le narrateur fournit au lecteur une retranscription qui se veut fidèle de la parole orale du peuple. On peut donc déjà parler de polyphonie, de combinaison de voix qui transmettent au lecteur des échos variés dans leur style et dans le temps.
13Mais cette polyphonie ne s’arrête pas là : les chants du Barzaz-Breiz vont faire entendre au lecteur la voix du peuple21. La voix du peuple breton est la deuxième grande voix du Barzaz-Breiz. L’érudit, revenant de sa tournée de collectage, propose au lecteur un choix de chants populaires bretons. Ce n’est donc pas à la voix brute du peuple breton qu’on a affaire, ce n’est pas le peuple breton qui s’exprime directement et spontanément, mais c’est une mise en voix de ce peuple. Les choix opérés par le scripteur et l’agencement des chants les uns par rapport aux autres donnent déjà un sens à cette voix. Ce n’est évidemment pas le peuple qui a ordonné et organisé l’ensemble, mais bien le scripteur. Il le dit d’ailleurs lui-même explicitement dans le préambule de l’ouvrage lorsqu’il décrit sa méthode de travail :
Toutes [les chansons], quoique très intéressantes pour les chanteurs, ne l’étaient pas au même degré à mes yeux ; les unes étaient curieuses au point de vue de l’histoire, de la mythologie, des vieilles croyances ou des anciennes mœurs domestiques ou nationales ; d’autres n’offraient qu’un intérêt purement poétique ; d’autres n’en présentaient sous aucun rapport : j’ai donc été forcé de faire un choix22.
14Ce choix consiste en une organisation des chants les uns par rapport aux autres, mais également en un tri. Certains chants que La Villemarqué a collectés sont passés sous silence, ils ne méritent pas qu’on s’y attarde. Donatien Laurent, en comparant les notes de chants figurant dans les carnets de La Villemarqué avec les chants publiés, a montré qu’il a systématiquement laissé de côté les chants grivois et les satires contre la noblesse et le clergé locaux23. La vision que le lecteur aura du peuple breton et de la teneur de ses chants est donc faussée ou du moins orientée.
15Ceci confirme bien l’idée déjà formulée dans l’introduction selon laquelle le texte du Barzaz-Breiz n’est pas constitué de chants populaires commentés, mais bien d’idées illustrées par des chants. La Villemarqué appartenant à la petite noblesse du pays ne souhaitait pas prendre en charge tous les types de chants du peuple breton, un tri s’imposait afin que les chants choisis correspondent bien à ses idées et illustrent ses opinions. On comprend ainsi quel sens La Villemarqué a donné à son travail : même si la collecte a précédé la formulation des idées, lorsqu’il s’est agi de mettre le texte en forme, c’est bien des idées qu’il est parti et c’est ensuite qu’il a choisi ses chants, et non l’inverse, sinon se seraient imposés des commentaires sur des chants remettant en cause la droiture d’esprit du peuple breton et son respect envers la noblesse et le clergé.
16Introduire des chants populaires, c’est introduire une nouvelle voix, mais c’est aussi introduire de l’existence, du vivant. Et ceci entre tout à fait dans le cadre de la nouvelle historiographie romantique de la génération 1820-1830 qui a influencé La Villemarqué. Depuis le début du xixe siècle et suite aux bouleversements engendrés par la Révolution française, la réflexion historique a beaucoup avancé. Une nouvelle génération d’historiens que l’on peut qualifier de romantiques développe de nouvelles méthodes, les applique et les revendique clairement en opposition aux traditions historiographiques du xviiie siècle. Sismondi24 est l’un des premiers à refuser que l’histoire continue d’être morale et généralisante comme au siècle précédent. Il revendique le détail dans les descriptions et la nécessité de recréer la couleur locale pour rendre l’ouvrage vivant25, car qui dit texte vivant dit texte attractif, donc instructif. Si Sismondi théorise plus qu’il n’applique ses préceptes, c’est surtout avec Villemain26 et Augustin Thierry27 que le tournant définitif va avoir lieu. Ils vont en effet mettre en application cette exploitation du pittoresque. Pour être belle, une œuvre doit faire revivre le vieux temps28. Il s’agit de faire attention aux détails, aux menues particularités29, et pour cela d’utiliser, par exemple, des documents d’époque30.
17Si Walter Scott, en proposant des romans faisant revivre pleinement le passé, est l’auteur qui a fait franchir le pas à tous ces historiens de l’école classique à l’école romantique, il est un autre auteur, moins connu, qui n’a pas laissé Augustin Thierry indifférent : Sharon Turner31. Thierry a été fasciné par la grande quantité de détails fournis par l’auteur et par les poésies originales des bardes et scaldes insérées dans son ouvrage. Il faut des témoignages « vrais ». Si le nom de Turner n’apparaît pas dans les éditions de 1845 et 1867 du Barzaz-Breiz, il est cité deux fois dans la première édition en 1839. Au regard de l’utilisation que fait La Villemarqué des chants bretons, il semble évident qu’il a été fortement imprégné de l’ouvrage de Turner intitulé A vindication of the genuineness of the ancient British poems32.
18La Villemarqué n’utilise pas la narration pure à la Prosper de Barante33, il ne cherche pas à brosser un tableau en s’incarnant dans les personnages du passé, il opte plutôt pour la méthode de Sharon Turner, qui, plutôt que d’observer le monde à travers les yeux des personnages, les fait apparaître sur la scène, met en scène des poètes populaires qui chantent d’anciennes chansons. Ces poètes vont ainsi jouer le rôle de relais entre l’auditeur/lecteur et les personnages anciens qui parlent dans la chanson : le lecteur touche du vrai et peut ainsi ressentir exactement la façon de penser et de vivre de ces personnages. À chaque chant le lecteur découvre à la fois la voix d’un paysan qui chante et un petit drame, une nouvelle intrigue mettant en scène divers personnages34. On a ainsi affaire à un relais de voix et à des situations en abyme. Le scripteur, l’homme de science, met en voix ses trouvailles en publiant des chants populaires bretons, lesquels sont de petites pièces de théâtre dans lesquelles s’expriment des personnages d’époques plus ou moins reculées. Les personnages se succèdent, les faits se multiplient, les aventures aussi. Et chaque voix s’exprime sur un mode différent, dans une perspective et avec une distance à l’énoncé qui sont à chaque fois particulières35. L’énonciation ne provient donc pas d’un pôle unique. Le lecteur passe d’une strate à une autre, d’une histoire à une autre, et à chaque fois, la focalisation, le temps et le lieu changent. Toutefois, le lecteur est accompagné dans ce périple.
19En effet, si le Barzaz-Breiz est abondant en cloisons et en éléments de structuration, il l’est également en médiations : elles sont assurées par le scripteur qui donne ainsi à cet ensemble polyphonique une impression de cohésion. Que ce soit entre les parties de l’introduction ou entre les chants, une médiation est presque toujours assurée. Et c’est le scripteur qui se charge d’orchestrer ces différentes parties du texte. Dans l’introduction, le lecteur n’a qu’à se laisser guider dans l’argumentation, il n’a qu’à suivre le sens de la visite ; la suite du texte ne pose pas plus de difficulté. En effet, les chants du texte ne sont pas simplement juxtaposés : on ne passe pas d’un chant à l’autre sans transition. Il y a toujours médiation, mais elle est ici d’un autre ordre : le scripteur n’a plus pour rôle d’annoncer la suite ou de résumer ce qui vient d’être dit pour créer une continuité et une unité d’ensemble. Sa simple présence joue alors ce rôle, elle représente la voix du spécialiste, la voix de l’érudit qui réapparaît avant et après chaque chant, avant et après chaque intervention de la voix du peuple. Le lecteur est ainsi guidé, il entre dans un chant par l’argument et en ressort par les notes. Il n’est pas laissé seul face au chant, on le conduit, on le dirige. Les arguments et notes sont des sortes de sas d’entrée et de sortie qui permettent de passer d’un chant à un autre en revenant à chaque fois dans le monde du scripteur. Dans l’introduction, chaque partie étant de même nature, le lecteur passe de l’une à l’autre par de simples ponts, le passage est de nature horizontale. Dans la suite du texte, plutôt que de proposer une juxtaposition de chants populaires, entre lesquels le passage se ferait difficilement par de simples passerelles pour les lecteurs érudits de l’époque qui découvrent ce nouveau matériau, le scripteur opte pour un sas de transition avant et après contact avec le nouveau milieu. Le passage est alors assuré verticalement, une remontée en surface est assurée par le scripteur entre chaque plongeon dans les chants populaires.
20Finalement, la polyphonie est bien l’une des caractéristiques énonciatives du Barzaz-Breiz. Mais elle n’exclut en rien l’impression d’unisson chez le lecteur, l’impression que toutes les voix disent la même chose, qu’il n’y a que l’instrument qui change. C’est en fait le scripteur qui assure cet unisson, qui est le chef d’orchestre de cet ensemble et qui fait en sorte d’accorder les voix entre elles. La voix scientifique donne ses idées, parfois au travers de la voix d’autres érudits cités, et la voix du peuple illustre ces idées. Tout converge grâce au scripteur et particulièrement grâce à la voix érudite. Elle présente une description focalisée de la poésie populaire, une description conduite. Elle fait faire au lecteur un tour guidé36 de cette poésie. Elle ne dit pas « voici un chant », puis « en voici un autre », mais « pour comprendre l’histoire du peuple breton, vous lirez tel chant, puis vous lirez celui- ci dont je vais expliquer tel thème, puis celui-là qui coïncide avec ce que dit untel de tel détail ». C’est de ce parti pris du scripteur au travers de l’homme scientifique que naît l’unisson par-delà la polyphonie.
21De ce premier regard jeté sur le fonctionnement de l’œuvre ressort chez le lecteur une impression de texte agencé à partir de parties bien délimitées, bien cloisonnées, mais cependant qu’on a liées pour en faire un tout d’apparence cohérente, un tout qui se veut cohésif, et duquel rejaillit déjà l’importance du scripteur. Un scripteur qui porte le peuple à bout de voix37 et dont l’une des positions, celle de l’érudit, domine le texte.
D’un masque à l’autre
22Malgré la teinte uniforme que donne le ton scientifique au discours, le scripteur n’apparaît pas seulement sous le masque du scientifique dans le texte. Il combine un grand nombre de voix sociales. Et à chaque fois qu’il change de rôle, son style et son lexique changent. J’ai déjà indiqué que le scripteur use de pronoms personnels différents pour marquer sa voix, passant du « je » au « nous38 » et n’hésitant pas non plus à faire usage du neutre « on » pour apporter une nuance de désengagement ou de collectivité. De plus, une analyse plus centrée sur le pronom « nous » révèle qu’il ne recouvre pas toujours le même contenu sémantique : il peut renvoyer à un « je », un « je + la communauté scientifique », mais aussi à un « je + vous » ou à un « je + les Bretons ». En poussant encore plus loin l’analyse, on remarque que le « nous » qui renvoie au « je », c’est-à-dire au scripteur seul, est l’expression de voix différentes. Il me paraît donc important de mieux cerner les fonctions et les discours du scripteur, la raison de cette multiplication, de cet éparpillement ou de cette superposition des voix.
L’explorateur et le chercheur d’or
23Dans le préambule, le « je » qu’utilise La Villemarqué se rapporte à l’activité de collectage du scripteur. La majeure partie du préambule du Barzaz-Breiz est constituée du récit, étape après étape, de la période de la vie du scripteur pendant laquelle il a été « sur le terrain », en Bretagne. Il propose au lecteur un récit à la fois explicatif et remémoratif. En plus d’expliquer en quoi a consisté son travail, il fait le récit de ses rencontres et de ses trouvailles. Il se rend lui-même présent en se montrant dans son travail.
24Son activité de collectage est caractérisée par une forte pugnacité, voire une certaine frénésie dans l’exploration du pays et de la population : toujours un lieu nouveau à explorer, un nouvel interlocuteur à rencontrer, toujours en voyage, sur la route, dans les quatre coins du pays. C’est une certaine forme de nomadisme que suggèrent ses descriptions :
J’ai parcouru en tous sens, pendant bien des années, les parties de la Basse-Bretagne les plus riches en souvenirs, passant de Cornouaille en Léon, de Tréguier en Goélo et en Vannes, assistant aux assemblées populaires comme aux réunions privées, aux pardons, aux foires, aux noces, aux grandes journées agricoles, aux fêtes du lin ou liniéries, aux veillées, aux fileries ; recherchant de préférence les mendiants, les pillaoueriens ou chiffonniers ambulants, les tisserands, les meuniers, les tailleurs, les sabotiers, toute la population nomade et chanteuse du pays ; interrogeant les vieilles femmes, les nourrices, les jeunes filles et les vieillards, surtout ceux des montagnes, qui avaient fait partie des bandes armées du dernier siècle, et dont la mémoire, quand elle consent à s’ouvrir, est le répertoire national le plus riche qu’on puisse consulter. Les enfants mêmes, dans leur jeux, m’ont quelquefois révélé des trésors39.
25De plus, le scripteur semble être chercheur de chants comme on est chercheur d’or. Le scripteur glisse dans son discours des figures de style qui rappellent tout à fait ce rapport au minerai précieux : il emploie les métaphores du « fruit » et surtout celle du « trésor » pour évoquer sa quête. Le scripteur indique que « nous avons été mis sur la trace de ce chant et du morceau précédent par une dame des environs de Morlaix », puis il tient à remercier son « aimable et modeste guide40 », car c’est bien un « guide » qui est parfois nécessaire pour être mis sur les « traces » du trésor, pour trouver le filon et pouvoir ensuite en mettre quelques « échantillons sous les yeux [des] lecteurs41 ». Et il arrive même que cela aboutisse à la découverte d’une « source intarissable42 ». Le scripteur signale que le gisement est très important, qu’il y a même profusion : « dans la masse des poésies populaires que j’ai entendues, il y aurait matière à plus de vingt volumes43 »44. On note l’emploi que fait le scripteur des figures de style, ne reculant pas devant les hyperboles comme « plus de vingt volumes », « en tous sens », « mille autres exemples45 » ou « mille chansons populaires46 », devant les énumérations sans fin ou les métaphores qui font de son travail une véritable aventure et de l’objet d’étude du chercheur un véritable trésor. Le style imagé de ces passages sert au scripteur à mettre sous les yeux du lecteur une re-présentation plus qu’une présentation de son travail de collecteur. il plante un décor, se met en scène sous les yeux du lecteur et porte non pas le simple masque de collecteur, mais celui d’explorateur qu’il quitte parfois pour celui de chercheur d’or, l’alternance des deux renforçant l’admiration et l’enthousiasme du lecteur. C’est à une véritable dramatisation que l’on a affaire.
Le témoin
26Le scripteur tient, par intermittence, le rôle de témoin. C’est un rôle qui ne nécessite pas de changement de costume, un simple changement de masque, au détour d’une phrase, suffit. C’est une nuance remémorative apportée tout au long du texte à l’explication plus technique du préambule. C’est aussi une nuance de proximité, d’homme de terrain, apportée aux explications historiques « de bibliothèque ». Il n’est pas un compilateur ou l’un de ces chercheurs qui restent enfermés dans leur bureau, au contraire, il manie des documents vivants, des documents parlants et rend compte d’une expérience directe et vécue. Il parsème ainsi son discours de phrases telles « nous avons vu la fontaine au bord de laquelle Azénor était assise47 » ou « nous y avons vu pratiquer les cérémonies funèbres qui s’y pratiquaient alors48 ». Et il insiste également par touches sur les contacts et les liens directs qu’il a eus avec le peuple, sur son rôle de témoin direct et d’auditeur : « mille fois nous avons vu le chanteur s’efforcer vainement de rappeler dans sa mémoire les mots du chant...49 » ou par exemple, à propos d’un chant, « il m’a été chanté dans la paroisse de Melgven, par un mendiant appelé Guillou Ar Gall50 ».
27Ce travail remémoratif le fait aussi livrer des souvenirs très personnels, comme par exemple ses souvenirs d’enfance : « Que de fois ne l’avons-nous pas chanté nous-même dans notre enfance, alors que nous ne parlions d’autre langue que le Breton51 ! », s’exclame-t-il, révélant par là l’engagement passionnel qui le lie à son entreprise, donnant l’impression d’une confidence — ce qui peut surprendre par rapport aux mises à distance qu’instaure par ailleurs le ton scientifique — et surtout imposant au lecteur la conviction que cela est la réalité, qu’on est dans le vrai, qu’il fournit un témoignage authentique52. Ce masque de témoin renforce donc l’impression d’authenticité et de vérité biographique.
L’archéologue et le restaurateur
28L’archéologie a déjà pris un essor important depuis le milieu du xviiie siècle avec l’ouverture des fouilles de Pompéi en 1748. Terrain des spécialistes et scientifiques, Pompéi devient aussi un lieu symbolique, butte témoin d’un passé resté figé, un concentré d’antiquité qui va nourrir des fictions, comme celle de Bulwer-Lytton, Les derniers jours de Pompéi53. Au début de xixe siècle se multiplient les créations de sociétés et de commissions chargées des monuments historiques et de l’archéologie : en 1830, sous le ministère Guizot, est créé un poste d’inspecteur général des monuments historiques (occupé d’abord par Ludovic Vitet puis par Prosper Mérimée), en 1833, la Société d’histoire de France voit le jour, en 1834, c’est au tour de la Société française d’archéologie, et en 1837, de la Commission des monuments historiques. Régionalement aussi se sont développées des sociétés savantes qui ont mis en place des classes d’archéologie. En Bretagne, l’Association Bretonne est née en 1843 et a pour but de redéfinir la place de la province dans la France nouvelle, en favorisant les progrès dans le domaine de l’agriculture54. L’année suivante, une classe d’archéologie voit le jour, montrant ainsi que cette approche constitue la deuxième grande voie de connaissance et d’amélioration de la vie du peuple.
29Baigné dans le contexte général de l’expansion de l’archéologie et investi localement dans ce domaine55, La Villemarqué se fait également archéologue dans le Barzaz-Breiz. Il utilise un grand nombre d’images et de mots se rapportant à ce domaine56. On croirait parfois entendre un spécialiste de l’art antique devant les ruines d’un temple. Certains termes évoquent la dégradation comme « fragment », « morceau », « débris », « incomplet », « altération », d’autres la perfection comme « monument » et « entier ». La Villemarqué utilise aussi l’image de la médaille pour évoquer l’altération que subissent certains chants en passant d’un dialecte à l’autre ou par usure du temps :
On conçoit que dans ces voyages, elles perdent en partie leur cachet, comme des médailles leur empreinte ; toutefois, ce n’est pas au point qu’on ne puisse plus les distinguer ; en les cherchant dans les pays auxquels elles semblent appartenir, on les y retrouve dans leur pureté primitive57.
Si le temps et la circulation ont rendu moins saillant le type de certaines médailles poétiques, si les traits sont un peu plus vagues et les contours moins accentués qu’à l’époque où elles furent frappées, la rude main des siècles n’a pu effacer l’empreinte primitive, toujours distincte et saisissable58.
30Finalement, La Villemarqué emprunte des passerelles entre les deux pôles de la célèbre opposition romantique entre le Nord et le Midi et, en utilisant le vocabulaire et les images de la méthode archéologique, il établit dans le Barzaz-Breiz une équivalence de projet entre les villes et nécropoles ruinées ou enfouies des pays du sud, de la Grèce, de Rome ou de Pompéi, et les chants et croyances ruinés ou enfouis des pays du nord, et tout particulièrement de Bretagne. Pour lui, le matériau change, certes, mais il s’agit de la même entreprise, du même projet de retrouver une civilisation à travers des débris, fussent-ils de pierres ou de chants. Si la méthode fonctionne pour le sud, il n’y a pas de raison qu’elle ne fonctionne pas pour le nord. Le scripteur se déguise ainsi en archéologue du sud avec, entre les mains, un matériau du nord.
31Ce postulat d’équivalence mène le scripteur à agir comme un archéologue face à un fragment de vase, c’est-à-dire à reconstituer les morceaux manquants. À partir d’un morceau de vase, de sa couleur, du matériau, de la forme, on peut décrire le vase dans sa totalité ; de la même façon l’anatomiste et le paléontologue peuvent reconstituer un animal à partir d’une dent retrouvée. Le rôle d’archéologue que se donne le scripteur lui sert à montrer — bien que rien ne le prouve — qu’un chant est analogue à un tesson ou à une dent. Il n’est pas pensable pour La Villemarqué de mettre sous les yeux du lecteur de simples « fragments poétiques59 », des « débris de compositions originales60 ». Il faut tenter de reconstituer le « monument poétique » d’origine, le chant tel qu’il était avant d’être morcelé, fragmenté, cassé ; il faut reconstruire des monuments, les « monuments nationaux de la poésie armoricaine61 ». En bref, il s’agit de retrouver l’état originel du chant à partir des vestiges afin de lui redonner vie.
32Ce travail de restauration des chants est très commun à l’époque, non seulement il est autorisé, mais c’est une méthode de travail recommandée, et cela dans plusieurs domaines. Bürger, dans son article intitulé « Effusions sur la poésie populaire », affirme en 1776 la nécessité de restaurer les chants populaires, de les débarrasser de leurs impuretés pour qu’ils frappent l’imagination du lecteur62. Vers 1870 culmine ce processus qui consiste à redonner vie en reconstituant le monument d’origine avec l’archéologue allemand Heinrich Schliemann qui reconstitue le palais de Minos. Ce n’est qu’avec le positivisme que la vision de ce travail changera : alors que pour La Villemarqué, l’archéologue redonne vie et doit être aussi restaurateur, sa mission consistera, quelques années plus tard, à mettre à jour les fragments sans y toucher. C’est ce changement de conception des méthodes de travail qui est d’ailleurs à la base de la querelle des érudits à propos du Barzaz-Breiz. C’est surtout sur ce point que le bât blesse : le chercheur de l’époque appréciait sans doute ce ménagement et ces aménagements qui faisaient du Barzaz-Breiz un écrin et qui permettaient de remonter le temps, mais dès le dernier tiers du xixe siècle, il est irrité par cette façon de faire, il se sent lésé et dupé, et voit dans cette méthode l’imagination personnelle de l’auteur.
33Le scripteur opère de la façon suivante : il repère la meilleure version du chant qui est pour lui la plus détaillée et réalise un collage de plusieurs morceaux de versions différentes :
Pour avoir des textes aussi complets et aussi purs que possible, je me les suis fait répéter, souvent jusqu’à quinze et vingt fois par différentes personnes. Les versions les plus détaillées ont toujours fixé mon choix [...] L’expérience prouve qu’on n’en saurait trop recueillir de versions. Tel morceau qui paraît complet au premier abord, est reconnu tronqué lorsqu’on l’a entendu chanter plusieurs fois, ou présente des altérations évidentes de style et de rythme, dont on ne s’était pas douté. Les versions d’un même chant s’éclairant donc l’une par l’autre, l’éditeur n’a rien à corriger, et doit suivre avec une rigoureuse exactitude la plus généralement répandue63.
34D’une version améliorée, montée à partir de plusieurs versions, il publie la meilleure version possible du chant, car il croit que cette version a existé64. « Voyez-vous ce vieux meuble que j’ai fait restaurer ? Eh bien, j’ai fait pour le Barzaz-Breiz ce que j’ai fait pour les statuettes qui le décorent, j’ai mis des jambes aux unes, des bras à d’autres… », aurait dit La Villemarqué lors d’une discussion avec François-Marie Luzel et l’abbé Henry, ami et collaborateur de l’auteur65.
35À cela s’ajoute un autre type de restauration : le gommage de certaines maladresses au profit du tact, du goût et de la discrétion66. Cela fait partie des règles de bienséance qu’il n’est pas pensable d’outrepasser à l’époque :
La seule licence qu’il [l’éditeur des chants] puisse se permettre, est de substituer à certaines expressions vicieuses, à certaines strophes moins poétiques de cette version, les stances, les vers, ou les mots correspondants des autres leçons. Telle a été la méthode de Walter Scott ; je l’ai suivie. À ces libertés indispensables se bornent toutes celles que je me suis cru autorisé à prendre, et je présente ces poésies au public, avec la conviction qu’elles portent en elles les marques les plus incontestables de leur authenticité67.
36Plus qu’à un dépoussiérage, c’est à un décrassage que procède le scripteur. Il ne se contente pas de polir, il ponce les objets de sa collecte. Pour reprendre une expression de l’abbé Henry68, « M. Th. De la Villemarqué collectionnait les chants populaires, les débarrassait de leur gangue et en formait le riche écrin du Barzaz-Breiz69 ». Cette image de la gangue, qui connaîtra un grand succès chez les commentateurs du Barzaz-Breiz, est tout à fait révélatrice de la conception archéologique qu’avait La Villemarqué de son travail. Si l’on veut voir le précieux minerai et son éclat, il faut le débarrasser de la substance qui l’entoure. Si l’on veut que le Barzaz-Breiz soit un écrin, il faut révéler les bijoux, en faire un trésor.
L’anthropologue et l’étymologiste
37L’anthropologie et l’ethnologie n’étaient pas encore bien définies en 1839, mais un certain nombre d’activités préparaient leur venue : les récits de voyage, ceux des missionnaires ou des marins explorateurs mais dont les comptes rendus de recherches, même s’ils sont empreints de jugements moraux et esthétiques, et qu’ils ont l’allure de descriptions d’amateurs, sont de plus en plus clairement orientés vers les idées d’histoire, de mœurs et de croyances du peuple découvert. La Villemarqué avait peut-être encore en tête les conseils de nature esthétique formulés par Chateaubriand, mais dans le Barzaz-Breiz, il les drape d’un vernis plus scientifique. Un tri des chants est effectué, cependant les critères exposés ne sont plus le goût et le tact, mais l’histoire, la mythologie et les mœurs70.
38Toujours dans le cadre du savoir, c’est par moments une autre facette de ses spécialités que le scripteur met en avant : celui d’étymologiste. Il est vrai que la recherche sur la filiation des mots vit une heure de gloire avec la découverte de l’indo-européen. La Villemarqué, d’après les échanges épistolaires avec Jacob Grimm, manifeste un grand intérêt pour cette science71. Dans le Barzaz-Breiz, à travers la voix du scripteur, il s’en sert comme science auxiliaire, comme outil supplémentaire pouvant appuyer un commentaire. Ainsi lit-on dans quelque page de l’introduction :
La première moitié [Gueinc’h] étant la même dans les deux noms, il ne reste plus que la seconde à trouver. Or, la finale guant a été altérée de la même manière en passant du breton en latin et en français, dans le nom d’Alain Ferguant qui est souvent écrit Fergan, et qu’on prononce Ferjan. Quant au G intermédiaire, c’est une corruption que la basse latinité faisait subir à l’L bretonne ; ainsi, les bardes Gallois du vie siècle écrivaient Malgun, et Gildas à la même époque écrivait Maglocunus ; les deux noms sont donc identiques72.
39De même, il se fait spécialiste de l’histoire de la langue bretonne et s’adonne à quelques comparaisons diachroniques :
Ainsi, elle [la langue bretonne] n’a plus de passif régulier ; pour l’obtenir elle est réduite à recourir aux auxiliaires. Ses substantifs n’ont conservé que deux désinences, l’une pour le singulier et l’autre pour le pluriel. Ses déclinaisons n’ont plus de cas, à proprement parler ; elle les remplace par des prépositions qui indiquent le rapport des mots entre eux. Elle a perdu l’accord, en genre et en nombre, du nom avec l’adjectif, lequel ne varie plus sa terminaison selon que le premier est du masculin ou du féminin, au singulier ou au pluriel ; elle ne met plus guère qu’au singulier les substantifs précédés des noms de nombre [sic] cardinaux ; enfin, elle manque souvent de liaisons grammaticales73.
Le professeur d’histoire
40Les commentaires, notes et éclaircissements divers du Barzaz-Breiz sont caractérisés par la prédominance du ton et du style scientifiques. Le discours ressemble souvent à celui d’un professeur d’histoire. Il est à la fois discours de savoir et discours pédagogique. D’un côté, le « nous » qui renvoie directement à un « je » ou à un « je + la communauté scientifique », est orienté vers la narration de faits historiques, la citation d’autres auteurs ou encore l’explication, le commentaire, l’analyse. Dans ce cas — et cela renvoie à environ la moitié des « nous » du texte — c’est le côté savant du professeur qui ressort. D’un autre côté, c’est dans un but qui se veut pédagogique que le scripteur se fait planificateur : il guide le lecteur dans ses explications, il ne l’abandonne pas dans ses séries d’analyses. « C’est ce que nous allons essayer de prouver74 », « comme nous y reviendrons plus tard, nous n’insisterons pas sur ce sujet75 » ou « les kloer [l’une des catégories de chanteurs] et les prêtres, dont nous parlerons tout à l’heure76 » sont autant d’expressions par lesquelles le scripteur ponctue son texte et qui en règlent la structure et la progression. Ils servent de balisage et donnent l’impression au lecteur d’être dans un rapport enseignant/enseigné. Ce qui exhausse les qualités du scripteur.
41De plus, davantage qu’à l’historien, le scripteur joue au professeur d’histoire : le lecteur a l’impression d’être face au professeur, d’être pris en charge par son discours, d’être même happé dans son discours. En effet, sous ce « nous » qui envahit la démonstration se cachent plusieurs sens dont le « je + vous » qui implique le lecteur et représente environ un quart des « nous » du texte. Alors qu’il n’adresse la parole directement au lecteur qu’en de rares occasions dans le Barzaz-Breiz77, il le fait largement participer à la démonstration : un tel « nous apprend78 », un tel « nous fait observer79 », d’autres « nous signalent80 », et c’est ainsi que « nous les voyons s’asseoir à leur table81 », ou qu’un chant est arrivé « jusqu’à nous82 ». Toutefois, le lecteur n’est pas libre dans cette démonstration. Il est présent, mais sur des rails. Le professeur d’histoire fait un cours magistral et mène le lecteur le long de ses propres découvertes et interprétations.
42La narration n’est pas absente du Barzaz-Breiz83, c’est cependant le discours de type argumentatif et démonstratif84 qui domine largement le propos. Et pourtant Augustin Thierry, l’un des maîtres de La Villemarqué, renonçait à la dissertation et prônait le genre narratif en histoire : « J’ai toujours conservé la forme narrative, dit Augustin Thierry, pour que le lecteur ne passât pas brusquement d’un récit antique à un commentaire moderne, et que l’ouvrage ne présentât point les dissonances qu’offriraient des fragments de chroniques entremêlés de dissertations85. » Augustin Thierry avait également mis La Villemarqué en garde en lui conseillant de ne pas faire une trop longue introduction à son ouvrage86, mais le jeune aristocrate n’en a pas tenu compte. Tout en y mêlant un peu de narratif, La Villemarqué maintient fermement le côté explicatif de son texte. Pour quelle raison ? On ne peut exclure le fait que La Villemarqué arrive dans le monde des savants une génération après Thierry et que les méthodes évoluent déjà un peu, mais cela n’explique pas tout. Faire le choix de la dissertation, c’est faire le choix de mettre quelque chose en valeur par ce moyen. Et quoi ? La Villemarqué aurait pu mettre en narration les faits historiques et les conclusions auxquelles il était arrivé, et ainsi s’effacer derrière ses personnages. Or il ne joue pas à l’historien, il joue au professeur : il veut montrer au lecteur qu’il a quelque chose à lui apprendre. Le lecteur n’est pas assis chez lui dans un fauteuil à lire le récit d’une page d’histoire, il a été installé sur une chaise en classe, et écoute avec déférence la démonstration.
Le décrypteur
43L’objectif principal de La Villemarqué n’est pas la présentation des différents aspects de la poésie populaire, mais la mise en évidence de la continuité de la poésie populaire dans le temps. Et pour cela, il faut établir la base de la démonstration qui est la datation des chants. Lors de son séjour au Pays de Galles en 1837, La Villemarqué note sous la dictée du Baron de Bunsen, diplomate et historien allemand :
Méthode à suivre.
Commencer par rechercher les textes dans les meilleures sources et les épurer, en les comparant ; fixer l’époque à laquelle vivait l’auteur, et l’âge et la date de l’ouvrage. Avant ce travail préalable, on ne peut rien établir de certain, les bases manquant87.
44Or, trouver la date de naissance d’un chant populaire — sauf quand celle-ci est indiquée dans le chant — n’est pas toujours chose aisée. Tout le monde n’est pas à même de le faire. Le lecteur, seul face à un chant, en est incapable. C’est du moins ce que sous-entend le scripteur puisque chaque chant est précédé et suivi d’explications. Seul un spécialiste est en mesure de l’établir. Il faut être initié pour pouvoir comprendre et parfois même décrypter certains aspects des chants. Le scripteur fait part des difficultés qu’il a lui-même parfois rencontrées face à certains chants :
Les habitués de taverne de qui je le [le chant « le Vin des Gaulois »] tiens le chantaient machinalement, pour l’air plutôt que pour les paroles, dont ils ne comprenaient pas les trois quarts. J’ai eu moi-même toutes les peines du monde à débrouiller le véritable sens au milieu d’altérations palpables, et je dois déclarer franchement que ma version et ma traduction ne sont pas toujours assurées88.
45C’est également ce qu’il signale lorsqu’il avoue avoir dû faire appel à un autre spécialiste pour le mettre sur la voie concernant le chant intitulé « La Marche d’Arthur » : « La lettre et l’esprit sont si loin de la manière de parler et de penser d’aujourd’hui ! Je ne les aurais pas toutes comprises moi-même, je l’avoue, sans les lumières d’un savant gallois de mes amis89. » À part ces deux aveux de difficulté, le scripteur a retrouvé la date ou l’époque de création de tous les autres chants du Barzaz-Breiz. Il est par ailleurs évident que ce dernier extrait sert au scripteur à la fois de caution d’honnêteté et d’auto-valorisation, le lecteur n’ayant sans doute pas, quant à lui, un savant gallois parmi ses amis.
46Un bon dépoussiérage a été effectué par l’archéologue, mais cela n’est pas toujours suffisant pour faire apparaître certains traits particuliers des chants qui permettraient de les dater. Il arrive qu’un voile les recouvre. Or ce voile, seul un spécialiste de ce type de matériau est en mesure de le cerner et de le soulever90. De plus, le décrypteur doit être capable de reconnaître les différentes strates qui se sont superposées au fil du temps et des époques, afin de rétablir le sens véritable du chant. Le but est de retrouver le vrai héros qui se cache derrière le nouveau et ainsi de dater le chant : « Qui le croirait ? Les Bretons modernes ont appliqué à leur chef de bandes le plus illustre les strophes composées en l’honneur du héros du neuvième siècle91 ! »
47Tout ce jeu de décryptage est aussi lié à l’idée de fragment. Le décrypteur doit être capable, à partir d’un fragment, de retrouver le monument, c’est-à-dire qu’à partir d’une partie de chant il doit retrouver le chant dans sa totalité, le chant originel. Cette question du décryptage des fragments se pose dans plusieurs sciences, comme je l’ai déjà indiqué : à partir d’une dent on peut déduire l’animal entier, à partir d’un papyrus on peut retrouver une civilisation, à partir de la pierre de Rosette, Champollion retrouve le système d’écriture hiéroglyphique. Ce dernier vient d’annoncer depuis quelques années seulement, en 1822, qu’il déchiffre les hiéroglyphes92. Après plusieurs siècles infructueux quant à la compréhension de ce système d’écriture, cette découverte réactualise la question du fragment et relance l’idée que le fragment est porteur de secret, qu’il est une énigme à comprendre, qu’il nécessite forcément une interprétation.
48Le lecteur du Barzaz-Breiz se rend vite compte que sans les interprétations, les explications, les clés qui donnent accès au chant non crypté, il aurait fait une lecture bien plus superficielle des chants. Le rôle de décrypteur que se donne le scripteur est de faire jaillir des expressions obscures, des intrigues décousues et des sens confus que contiennent les chants, des œuvres qui ont non seulement du sens, mais une profondeur de sens. Il s’agit de trouver derrière le sens propre le sens figuré, derrière les paroles le sens moral ou spirituel. Le fragment incite effectivement à l’herméneutique. Cela rappelle les interprètes chrétiens de la Bible : « Chaque parole de la Bible doit être comprise secundum historiam et secundum spiritualem intellectum93. » On retrouve bien le raisonnement de l’Église catholique, par opposition à l’Église protestante, à propos de l’écriture sainte. Plus que dans un contexte intellectuel, il faut replacer ce raisonnement dans un contexte culturel, celui de l’aristocratie bretonne de l’époque et celui des catholiques devant la montée du protestantisme. Le scripteur, en se donnant la fonction de déchiffrer ou décrypter les chants, leur conférant ainsi une profondeur insoupçonnée, en fait un recueil de valeurs ; et en reprenant le raisonnement de l’Église catholique ne convertit-il pas son Barzaz-Breiz en un texte sacré ? En tout cas, il fait de lui le Champollion de la poésie populaire bretonne, celui qui détient la clé des chants. Et il devient au fil du texte celui qui porte ce savoir.
L’avocat, le moraliste, l’orateur
49Il arrive parfois que le scripteur change de voix et la charge d’une forte émotion, comme par exemple lorsqu’il emprunte celle de l’avocat ou du justicier. C’est le cas au début du préambule quand il donne par l’exclamative une force presque oratoire à son propos : « Justice aura été faite à tout le monde, on n’aura oublié que le peuple94 ! » C’est l’avocat qui plaide à la cour : « Chose inouïe95 ! » s’exclame-t-il quelques lignes plus loin. À la question de savoir si un chanteur qui fait une chanson sur un sujet qui n’offre pas d’intérêt à la foule peut avoir du succès, il répond avec force : « Mille fois non96 ! » Et toujours sur le ton exclamatif :
et nous, nous qui donnons si souvent l’impulsion à l’Europe, nous n’avons à opposer aux étrangers que des recueils fastidieux, dont nous ont gratifiés des antiquaires allemands, à qui Malbrough s’en va-t-en guerre, et d’autres complaintes dans le même goût, ont paru dignes d’être imprimées97 !
50Le paragraphe qui clôt le Barzaz-Breiz des éditions de 1845 et 1867 constitue l’exemple typique du discours prononcé à la Chambre des députés ou des articles du Moniteur ou du Journal des Débats. On entend la voix du scripteur vibrer d’émotion, le discours se développer selon toutes les techniques de l’éloquence, on imagine presque l’orateur face au public, la main tendue vers le ciel :
Ainsi retranché dans ses mœurs nationales comme dans sa presqu’île ; défendu par sa langue et par son caractère comme par ses montagnes ; dévoué à son Dieu et à sa patrie jusqu’au martyre ; fidèle aux souvenirs et aux traditions du passé jusqu’à la superstition ; coutumier jusqu’à la routine, qui perpétue le mal, il est vrai, mais qui rend le bien éternel, sans rendre le mieux impossible ; enfin, de plus en plus humain, moral, honnête et sociable, à mesure que la religion et que l’éducation l’éclairent et le forment, le Breton, toujours le même par le cœur, depuis douze siècles, toujours le front calme et serein, s’avance d’un pas ferme et sûr au milieu des tombeaux, pleins d’échos, de ses pères, vers un point rayonnant du ciel que lui montrent au loin l’Espérance et la Foi98.
51Il endosse à nouveau le costume d’avocat dans l’exemple suivant où il se fait plutôt résigné et moraliste que défenseur actif : « Il est triste de songer que l’on n’a encore rien fait dans l’intérêt des classes pauvres de nos campagnes ; que leur état n’a point été amélioré ; qu’elles souffrent toujours ; que leur vie est un long tissu de misères qui les a enveloppées au berceau et doit leur servir de linceul99. » Le scripteur semble jouer de ces changements de décors. Il met sous les yeux du lecteur une scène à l’auberge, une autre dans un cabinet d’étude, puis en classe, au barreau et parfois à la Chambre.
Le peintre de genre
52Il arrive aussi que la voix se fasse pinceau et que l’énoncé tende vers le pictural. Le scripteur devient alors peintre de genre, comme le montre ce passage :
À l’issue des vêpres sort la procession. Rien de plus magnifique à voir, rien d’imposant, de touchant et de majestueux à la fois, comme ces rangs serrés d’hommes aux longs cheveux, aux costumes variés et bizarres, le front découvert, les yeux baissés, le chapelet à la main, que suivent des troupes de jeunes filles, dans leurs plus beaux habits de fête, qu’on prendrait pour des chœurs de vierges célestes ; comme ces bandes de rudes matelots, qui viennent les derniers, nu-pieds et en chemise, pour accomplir le vœu qui les a sauvés du naufrage ; comme cette multitude innombrable précédée par mille bannières, qui s’avance en priant le long de la grève, et dont les chants se mêlent aux roulements de l’Océan100.
53Le scripteur ponctue ainsi son texte de pauses picturales. Le lecteur a alors sous les yeux de véritables tableaux, des scènes de la vie rurale qui rappellent fortement les tableaux de Jules Breton, Adolphe Leleux, Jean-Baptiste-Jules Trayer ou Alfred Guillou réalisés dans la seconde moitié du xixe siècle, puis ceux de Lemordant ou Mathurin Meheut au début du xxe siècle. On note que le scrip- teur, quand il est peintre de genre, donne une tonalité sentimentale à ses tableaux. Elle n’est en rien nostalgique, au contraire, mais elle est chargée d’une certaine affectivité. Que ce soit le rythme binaire et ternaire de cet extrait qui donne de l’ampleur à la description, ou le vocabulaire et les images d’autres passages, la description n’est pas neutre. Le scripteur touche le lecteur à chaque tableau en créant une respiration sensorielle et sentimentale.
Le romancier et poète
54Le scripteur joue aussi le rôle du romancier et se laisse parfois aller à quelque envolée lyrique dans le style du René de Chateaubriand, comme dans cet exemple : « Un mot, un signe, un geste, un regard imprudent, que sais-je ? parfois le son d’un instrument sauvage qui s’éveille au fond du vallon, le [le kloer] font éclater tout à coup101 » ; ou encore :
La mère de Silvestik avait aussi son nœud de rubans ; mais il ne lui ramena point son fils ; la colombe messagère de la colline ne lui rapporta qu’un rameau d’espérance trompeuse, que le vent des tempêtes devait effeuiller et flétrir avec ses derniers beaux jours et ses dernières joies de mère102.
55Si le scripteur livre parfois ses impressions personnelles (« Nous ne connaissons en aucune langue de ballade aussi touchante sur ce sujet103 »), il aime aussi jouer sur l’esthétique des descriptions ou avec le style figuré : la ville de Quimperlé est décrite comme une « jolie petite ville » qui « semble flotter sur les eaux d’Isol et d’Ellé, comme une corbeille de feuillage et de fleurs sur un étang104 ». Il évoque dans l’introduction le « mystérieux et poétique hymen, dont nos pères ont recueilli les fruits105 ». Et on ne compte pas les harpes, cordes, fruits, branches, oiseaux qui servent à évoquer les chants. De plus, le scripteur se réfère à quelques reprises explicitement au monde de la littérature. Il affirme avoir suivi l’avis d’un maître, M. Sainte-Beuve, qui lui a indiqué « que la discrétion, le choix, sont le secret de l’agrément en littérature106 ».
Le Breton
56L’étude menée jusqu’ici des rôles du scripteur dans le Barzaz-Breiz montre qu’ils sont très variés et que si le scripteur sollicite beaucoup la raison et le raisonnement du lecteur, il n’hésite pas non plus à faire vibrer ses sentiments en déplaçant l’objectif du référent à la poésie lorsqu’il use du langage figuré, c’est-à-dire de la fonction référentielle à la fonction émotive, lorsqu’il laisse échapper, au milieu d’une argumentation, un sentiment personnel107. Mais ce n’est pas tout. La personne passionnelle108 apparaît sous d’autres facettes dans le Barzaz-Breiz.
57L’un des autres rôles (ou identités) sous lesquels veut apparaître le scripteur figure aussi dans le « nous » : c’est celui de Breton. Sur un total de 523 « nous, nos, notre, nôtre[s] » employés dans l’édition de 1839 par exemple, 85 signifient « nous, les Bretons » ou même « nous, les Bas-Bretons », c’est-à-dire plus de 16 % des « nous » du texte. ce pronom « nous » qui donne une teinte uniforme et savante au texte renferme donc aussi une part relativement importante de passion et d’identification forte à la Bretagne : il évoque « nos chanteurs populaires », « nos barz ambulants », « nos kloer », « nos compositeurs de ballades », ainsi que leurs productions, « nos chants populaires », « nos ballades », « nos cantiques », « notre poésie populaire », etc. Il fait également le tour de « notre nature bretonne », « notre langue », « nos droits », « nos traditions », « nos mœurs », « nos vieux usages », « nos croyances vénérables » que l’on trouve « chez nous », dans « notre Armorique », dans « nos campagnes », et se réfère pour cela à « nos pères » et à « nos aïeux ». Le scripteur se place donc lui-même parmi les Bretons, mais il s’en déclare en même temps propriétaire. La volonté du scripteur d’appartenir au peuple breton trahit aussi sa volonté que le peuple breton lui appartienne. En disant, non pas « les paysans de chez nous », mais « nos paysans », il revendique une certaine paternité sur les Bretons du peuple, trahissant la mainmise idéologique de la noblesse de son époque sur le peuple.
58L’insistance avec laquelle le scripteur se dit Breton donne l’impression qu’il se définit comme porteur d’une identité différente de l’identité française. Si cela est vrai dans la plus grande partie du texte, cela ne doit pas faire oublier qu’il se fait aussi Français dans le préambule. Alors qu’il utilise principalement le « je » dans cette partie du texte, il emploie six « nous » dont cinq révèlent clairement sa position de Français, par rapport aux autres identités européennes :
Il est vrai qu’elle [l’histoire du peuple] n’est point enregistrée dans les Cartulaires et les Chroniques, qu’elle n’est pas écrite ; cependant elle existe consignée dans les poésies populaires et traditionnelles ; on n’avait qu’à les réunir. Voilà ce que nous aurions dû apprendre, il y a longtemps, des étrangers. [...] et nous, nous qui donnons si souvent l’impulsion à l’Europe, nous n’avons à opposer aux étrangers que des recueils fastidieux, dont nous ont gratifiés des antiquaires allemands [...]109.
59Cependant, il ne faudrait pas penser qu’être Breton et être Français sont deux identités à mettre sur le même plan pour La Villemarqué. Être Breton est quelque chose d’inné, quelque chose que l’on reçoit avec la vie, en naissant. Être Français, par contre, renvoie à l’acquis, à une construction sociale. Les deux identités ne sont pas contradictoires pour La Villemarqué, mais elles sont d’ordres différents. En tout état de cause, être Breton semble nécessaire pour ressentir les choses. Puis il faut allier le savoir à la familiarité avec le milieu, il faut avoir un pied dans les deux mondes, être à la fois érudit et Breton. On retrouve ici l’idée contenue dans le mot allemand « Geist » très répandu à l’époque, notamment par Herder qui développe les concepts de Zeitgeist, Volksgeist et Nationalgeist, et émet l’idée que l’appartenance à un groupe est l’un des besoins fondamentaux de l’homme110. Le concept de « Geist » renferme l’idée d’un lien au lieu, de quelque chose qui ne s’explique pas, mais qui se ressent. Ne peut comprendre que celui qui a le Geist, celui qui est de cet endroit et qui en sent l’esprit, l’âme. « Comment un homme comprendrait-il une chose dont il ne porterait pas le germe en lui111 ? », dit aussi Novalis. De la même manière, quelques années plus tard, l’abbé Henry, ami et aide de La Villemarqué, souligne aussi l’importance d’allier le savant et le populaire, dans la préface de la première édition de Bleuniou Breiz112. Mais déjà dans le Barzaz-Breiz apparaît cette idée, par exemple à propos du choix du transcrip- teur de la musique, des airs sur lesquels sont chantées les chansons :
Je publie aussi les airs originaux de la plupart de ces poésies ; je les ai pareillement recueillis de la bouche des paysans Bretons, et M. Jules Schaëffer, de l’Académie royale de musique, les a notés avec une scrupuleuse exactitude, et ce sentiment particulier qu’un Breton seul pouvait y mettre113.
Le fils
60Le tour des principaux rôles que se donne le scripteur dans le Barzaz-Breiz n’est pas encore clos. Il en est un autre qui a son importance et qui dévoile un nouvel aspect de la personne du scripteur : le fils. À plusieurs reprises, il est le fils de, il se présente comme l’enfant de. On note d’ailleurs qu’il ne parle à aucun moment de son père. Ce fils est l’enfant de sa mère. Le contraste entre l’autorité du chercheur et son identité de fils surprend, il donne l’impression de dissonances, car il fait se côtoyer le discours d’extériorité et d’objectivité avec des passages de type clairement autobiographique.
61Le scripteur se place comme héritier et continuateur du travail de sa mère :
Quant à l’idée du recueil lui-même, le mérite de l’avoir conçue ne me revient pas en entier, il était commencé plusieurs années avant ma naissance. Voici quelle en a été l’origine :
Ma mère, qui est aussi celle des malheureux de sa paroisse, avait, il y a près de trente ans, rendu la santé à une pauvre chanteuse mendiante ; émue par les prières de la bonne paysanne, qui cherchait un moyen de lui exprimer sa reconnaissance, et l’ayant engagée à dire une chanson, elle fut si frappée de la beauté des poésies bretonnes, qu’elle ambitionna parfois, depuis cette époque, ce touchant tribut du malheur, et souvent l’obtint ; plus tard elle le sollicita, mais ce ne fut plus pour elle-même.
Ainsi est née cette collection [...]114.
62En 1867, ce rappel sur le travail de sa mère prend la forme d’une dédicace :
À
ma tendre et sainte mère
marie-ursule feydeau du plessix-nizon
comtesse de la villemarqué
Boed a rea d’ann neb en doa naon,
Ha louzou d’ann neb a oa klaon.
Le temps passé, p. 399115.
63Cette dédicace est réitérée et détaillée dans la préface, et le scripteur y exprime un sentiment profond, une affection, voire une dévotion pour sa mère. C’est un attachement quasi religieux que révèle ouvertement ce passage qui forme en ce début de Barzaz-Breiz un concentré de passion et renvoie au lieu de la sédentarité par rapport au nomadisme évoqué plus haut :
Un sentiment que je n’ai pas besoin d’exprimer m’inspira l’idée de ce livre où mon pays s’est peint lui-même et qui l’a fait aimer. En le réimprimant, peut-être pour la dernière fois, sans cesser d’être sous le charme des premiers jours, je le dédie à celle qui le commença, bien longtemps avant ma naissance, qui en enchanta mon enfance, qui fut pour moi une de ces bonnes fées que la légende place auprès des berceaux heureux.
Ma mère, — qu’on pardonne ces redites à la piété d’un fils, — ma mère, qui était aussi celle des malheureux, avait rendu la santé à une pauvre de la paroisse de Melgven. Émue par les regrets de la pauvre femme, qui ne savait comment la remercier, n’ayant rien à lui offrir que des chansons, elle la pria de lui en dire une, et fut si frappée du caractère original de la poésie bretonne, qu’elle ambitionna depuis et obtint souvent ce touchant tribut du malheur. Plus tard elle le sollicita, mais ce n’était plus pour elle-même.
Telle a été l’origine en quelque sorte domestique, j’oserais dire presque pieuse, de la présente collection dont j’ai trouvé les plus belles pièces écrites vers les premières années du siècle sur des feuilles du cahier de recettes où ma mère puisait sa science médicinale116.
64La fonction de fils ne pouvait être passée sous silence, d’autant plus qu’elle augmente dans le texte d’édition en édition, passant d’une mention en 1839, à trois en 1845 et à six en 1867. C’est d’ailleurs aussi en 1867 que le scripteur insère un chant dont le personnage principal est sa mère117, en appendice, après le chant « Le Paradis » qui constituait jusque-là l’apothéose du parcours que l’auteur faisait faire au lecteur. Le fils se confie : « je n’ai pu entendre celle [la chanson] qui forme l’appendice de ce recueil sans avoir les yeux mouillés118 », signale-t-il dans la préface. Puis, en présentation de l’appendice, il relate le jour où deux paysannes lui ont chanté ce chant dont sa mère est l’héroïne : « les couplets — elles le voyaient bien — tombaient comme des larmes de mon cœur119 ».
65Ce n’est donc pas une seule voix, mais plusieurs voix qui portent le discours dans le Barzaz-Breiz. La pluralité de facettes et de rôles auxquels a affaire le lecteur révèle un scripteur-kaléidoscope : explorateur, chercheur d’or, témoin, anthropologue, archéologue, restaurateur, professeur d’histoire, décrypteur, étymologiste, avocat, moraliste, orateur, peintre de genre, romancier, Breton, fils en sont les principales références. Chacune de ces voix sociales ayant bien sûr son style, son lexique, son ton, ses images. Et chacune de ces voix sociales provoquant chez le lecteur une série d’effets allant de l’intérêt, à la conviction, au charme, à l’enthousiasme, au respect, à l’admiration ou à l’émotion.
66C’est une véritable dramatisation du scripteur qu’opère La Villemarqué, en faisant de lui un personnage mis en scène. Le lecteur est comme au théâtre. Le scripteur se démultiplie en changeant de rôle, en se présentant derrière des masques variés, dans des décors les plus divers, endossant un nouveau costume adapté à chaque circonstance. Il se construit grâce à un casting de choix dont l’orchestration est assurée par une technique de « collage » des différents rôles qui se croisent, se superposent ou se confondent parfois et qui aboutit progressivement à une image globale à la fois visuelle et mentale. Car les différents rôles convergent vers quatre grandes fonctions essentielles à cette construction : le scripteur transmet du savoir (professeur d’histoire, étymologiste, archéologue, etc.), il transmet de la justice et de la morale (orateur, avocat, moraliste), mais aussi du sensible (peintre, romancier) et enfin de l’identitaire (Breton, fils).
67C’est l’autorité conjuguée des différentes voix sociales qui porte l’ensemble du discours du scripteur. L’impression d’éclatement, voire de dissonance, qui apparaît dans l’analyse précise des rôles du scripteur, ne se ressent pas à la lecture. Il en ressort plutôt une impression d’homogénéité. Le lecteur perçoit le scripteur comme un personnage miroitant, brillant par son importante autorité. Par cette pluralité des rôles, le scripteur ne s’éparpille pas, au contraire, il gagne en lumière, il augmente l’effet produit sur le lecteur. Plus que brillant, il est d’ailleurs éblouissant, à tel point qu’il aveugle le lecteur. Ce dernier est frappé d’admiration, de respect et d’émotion, il est fasciné par la séduction qu’opère l’image du scripteur sur lui.
68Le ton scientifique qu’adopte le scripteur donne une impression de fermeté, mais aussi de recul et d’extériorité du scripteur par rapport au texte. Or le scripteur multiplie les marques de sa présence dans le texte, il s’y engage très fortement et souvent passionnément. Comment le scripteur peut-il être à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de son texte ? Comment se combinent le recul et l’engagement dans le Barzaz-Breiz ? Sur quelle logique repose cette apparente contradiction ? Il me semble que La Villemarqué utilise une rhétorique de séduction et non de persuasion. L’homme de science et son ton scientifique sont l’instrument d’une opération de séduction. Le ton d’un ouvrage scientifique, d’une part, et la forte présence du scripteur, d’autre part, ne peuvent cohabiter que si l’on considère que le scientifique n’est qu’un instrument parmi d’autres, que si le scientifique est subordonné à la mise en scène du scripteur. La Villemarqué, alors âgé de 23 ou 24 ans, joue à celui qui sait, il joue à l’érudit, tout comme il joue au justicier et au poète.
L’invention vraie
69Le scripteur affirme à plusieurs reprises être porteur de vérité et fournir des chants authentiques : « je présente ces poésies au public, avec la conviction qu’elles portent en elles les marques les plus incontestables de leur authenticité120 », annonce-t-il dans le préambule. Or, depuis les études de Francis Gourvil et de Donatien Laurent, on mesure bien dans quelles proportions La Villemarqué a remanié les chants qu’il a publiés. On sait qu’il a largement quitté le rôle d’archéologue pour entrer dans celui de restaurateur et qu’il a largement restauré pour pouvoir décrypter. Comment faut-il alors interpréter ces paroles ? La Villemarqué savait évidemment qu’il remaniait et modifiait les chants. Doit-on comprendre la parole du scripteur comme un mensonge et considérer La Villemarqué comme malhonnête ? Doit-on penser que la dramatisation et la séduction du scripteur ont été mises en place pour masquer ces manipulations de chants ? Ou doit-on persister à croire en l’honnêteté de La Villemarqué et en la sincérité de la parole du scripteur ? Croire que la parole du scripteur est sincère, c’est accepter de penser que le restaurateur de chants est motivé par la présentation de chants authentiques. C’est forcément accepter que la restauration entre dans la définition que se donne La Villemarqué de l’authenticité.
70Le terme de « réalité » (et ses satellites « réel » et « réellement ») tend à évoquer deux grandes tendances dans le Barzaz-Breiz : la première est la réalité dans le sens de réalisme et d’exactitude, la seconde est celle qui marie la réalité à l’histoire, aux faits, aux événements, à ce qui s’est passé, par opposition à la fiction. Les mots « authenticité » et « authentique » apparaissent dans des contextes plus larges, ils se rapportent aussi à la poésie et englobent un champ sémantique différent. Le scripteur, en reprenant les idées de Ferdinand Wolf, décrit la poésie populaire comme « plus vieille, plus authentique et plus originale que partout ailleurs en Europe121 ». La présence des autres adjectifs ne trompe pas dans cet extrait : est original ce qui est vieux, ancien, ce qui vient de l’origine, et est authentique ce qui est conforme à l’original. Les trois adjectifs appartiennent à la même sphère sémantique et sont presque synonymes. L’authenticité ne renvoie donc pas à la réalité ou à un quelconque respect du chant tel qu’il a été entendu et auquel il ne faut rien ajouter ou retrancher, mais à l’origine de tel ou tel chant. On comprend alors mieux l’assertion suivante de l’argument précédant le chant de la « Submersion de la ville d’Is » : « Voilà tout ce que l’histoire authentique et contemporaine nous apprend de cette ville, de ce prince et de ce moine122. » C’est bien de l’histoire de l’époque qu’il s’agit, de cette histoire à son origine, l’adjectif « contemporaine » fonctionnant presque comme un doublet. Il y a un rapport d’équivalence entre les adjectifs suivants qui finissent par former un tissu reflétant l’authenticité des chants : « original », « originel », « primitif », « antique », « authentique », « vieux », « ancien ». Fournir un chant authentique, c’est pour le scripteur fournir un chant ancien ; apporter les preuves de l’authenticité d’un chant, c’est apporter les preuves de son ancienneté.
71Contrairement aux deux autres termes, celui de « vérité » recouvre un contenu sémantique plus diversifié : la vérité s’oppose aux fables, une vérité peut être aussi une règle, un principe. On note par ailleurs que le terme « vraiment » apparaît souvent à proximité des mots « original » et « primitif ». Mais l’idée de vérité renvoie aussi à l’origine : le scripteur signale par exemple que « la couleur n’est pas moins vraie ; elle est bien de l’époque123 ». Cependant, le concept de vérité renvoie à l’abstrait : « Mais pour errer très-probablement quant au fait, la légende rustique n’en est pas moins, je crois, dans le vrai par l’idée124 », annonce le scripteur dans les notes de la légende de Saint Ronan. La vérité trouve son essence dans l’idée et non dans le fait et diffère en cela de la réalité. On touche ici un point important de la vision de l’auteur : la réalité et la vérité ne sont pas équivalentes. La vérité se trouve au-delà de la réalité. La vérité d’un chant se trouve au-delà de sa réalité actuelle, elle se trouve dans son origine.
72Pour La Villemarqué, la réalité ne se présente que sous forme de fragment, de débris. Or ce qui importe, c’est la vérité, c’est le monument d’origine. La vérité est à « découvrir », elle se cache derrière la réalité, derrière les mots, derrière les symboles, derrière les fragments. La vérité est unitaire alors que la réalité est fragmentaire. Le fragment cache, certes, mais il trahit parfois, car il garde en mémoire, gravé en lui, la cohérence originale : « Le portrait n’est qu’ébauché, sans doute, mais il est frappant de vérité125 », explique le scripteur en conclusion. De là l’importance du décrypteur qui doit saisir la vérité sous le voile de la réalité : « la vérité s’y trahit sous l’expression naïve et la tournure bizarre des idées126 ». À lui de déceler ces bribes de vérité pour reconstituer le monument d’origine — l’Ur-chant — c’est-à-dire, pour le scripteur, le monument dans sa totalité. Le Barzaz-Breiz est la monumentalisation d’une collection de chants. La résurrection du sens qui tend vers la fabrication de continu à partir du discontinu explique pourquoi La Villemarqué a modifié, arrangé et inventé des chants. une phrase du chanteur populaire Yann ar Gwen révèle la façon dont il percevait le travail qu’effectuait La Villemarqué sur les chants qu’il a eu l’occasion de lui chanter : « An autro a redresso ane/Le Monsieur les redressera127 », déclare-t-il. C’est en effet à une entreprise de redressement, de reconstruction de monument que s’est livré l’auteur.
73La conception de la vérité et de l’authenticité chez La Villemarqué n’a rien à voir avec l’idée du vrai en opposition au faux. En romantique ou héritier de pensées romantiques, La Villemarqué n’adhère pas à ce principe rationaliste. Sa conception repose sur l’idée d’énigme et de monumentalisation. Elle reconnaît la finitude de la perception et s’inscrit contre ce regard limité sur le monde, contre ce qui se borne au discontinu. La querelle du Barzaz-Breiz est née du changement de perception de ces concepts, du basculement sémantique et scientifique important qui s’opère sur les nouvelles normes positivistes. En 1839, La Villemarqué annonçait en préambule qu’il garantissait l’authenticité des chants, c’est-à-dire qu’il promettait de mettre sous les yeux du lecteur des chants dans leur forme d’origine. Mais c’est sur ce point précis de l’authenticité qu’il est remis en cause lors du Congrès celtique international de Saint-Brieuc en 1867. On a alors reproché à La Villemarqué d’avoir publié des chants faux, d’avoir fait imprimer une supercherie. Or on imagine aisément le désarroi de l’auteur face à ce jugement en termes de vrai et de faux puisque son projet était tout autre. Et son silence à ce propos signifie peut-être qu’il n’y a finalement jamais renoncé. Et c’est avec obstination et sur un ton justificatif qu’il répète dans la dernière édition du Barzaz-Breiz : « En tout cas, je n’ai cherché que la vérité128. »
74Cette vision de la vérité, de l’authenticité et de la réalité est typique du mouvement romantique. La connaissance sensible est pour eux un filtre qui cache la vérité autant ou plus qu’elle ne la révèle. Cette conception est complètement en rupture avec celle des Lumières pour qui les sens et la réalité donnent un accès direct à la vérité129. Pour les romantiques, aller au-delà du réel, par les voies de l’irréalisme, n’est en rien se figer dans une position de rejet et de refus de la réalité, c’est au contraire une méthode qui permet de révéler l’authenticité des choses, de rétablir ce que l’esprit a perdu de vue tant il est enfermé dans ses évidences et ses conformismes130. Le sens superficiel masque le sens profond131. Jacob Grimm, dont les pensées ont grandement influencé La Villemarqué, expose sa méthode critique en 1809 dans un compte rendu de l’ouvrage de Von der Hagen et Büsching sur les Deutsche Gedichte des Mittelalters : il explique que le rôle de l’historien de la littérature est de décrire et d’expliquer les transformations successives qu’a subies une légende et de rattacher la version moderne à son origine. De plus, il indique qu’il faut assembler les diverses formes de la légende et les réduire les unes aux autres, en gardant bien en tête le fait qu’elles sont inexactes dans les détails superficiels, tels les noms de personnes, de lieux, les dates, etc., que cela n’est qu’apparence, mais qu’une légende est de toute façon une vérité que l’érudit doit comprendre132.
75Cette vérité-là ne s’atteint pas que par l’esprit. Les penseurs du xviiie siècle ont perdu le contact avec la vérité et la signification de la vérité originaire en étudiant tout à travers le prisme de la raison. Ils sont accusés de « sécheresse d’esprit133 » et de « carence d’humanité134 ». En réaction à ces méthodes, les romantiques se tournent vers les sentiments, le cœur et la passion135. La vérité romantique est vérité humaine, elle change de sens et de valeur : elle doit permettre de comprendre la place de l’homme dans l’univers, dans l’histoire, dans sa relation à Dieu, etc.136. La connaissance passe par l’intellect et la science, mais aussi et surtout par le sentiment, la fiction, la poésie. On célèbre alors les « épousailles de la connaissance sensible et du monde137 ».
76La grande puissance de compassion est pour eux l’imagination, on parle aussi à l’époque de sympathie. Par sympathie, les romantiques entendent un principe de cohésion qui permet de former un tout ; cela peut être, pour un récit historique ou fictionnel, la capacité à imaginer ce qui manque entre les documents et qui permet de recréer l’époque et le lieu, et la capacité à rendre les sentiments des personnages. Pour les historiens romantiques, la science du passé ne s’acquiert que par l’imagination. Elle seule permet de rétablir des liens entre des événements séparés par le temps et l’espace, et rend leurs significations aux choses138. Pour Villemain, il faut être capable de faire une « restitution scrupuleuse du passé, qui exige une pénétration profonde et créatrice de l’esprit du siècle139 ». Pour Augustin Thierry, il faut savoir « continuer » les documents, savoir s’incarner dans son héros, savoir rendre le sentiment humain140. Pour Barante, « il n’y a rien de si impartial que l’imagination : elle n’a nul besoin de conclure ; il lui suffit qu’un tableau de la vérité soit venu se retracer devant elle141 ». Jules Michelet affirme qu’« il faut faire parler les silences de l’Histoire, ces terribles points d’orgue, où elle ne dit plus rien et qui sont justement ses accents les plus tragiques142 ». Pour Wilhelm von Humboldt, l’étude des enchaînements est réservée à la part d’imagination chez l’historien, capacité qu’il nomme l’« anticipation poétique » ; l’historien crée « en donnant forme, sans autre recours qu’au dynamisme qui l’habite143 ». Dans le domaine des sciences naturelles, Buffon, au xviiie siècle, considère déjà le génie comme ce qui organise un espace mental grâce à des intuitions dont il assume la responsabilité, et qui lui permettent de combler les insuffisances du savoir144. La définition de la vérité et le rapport entre réalité et vérité qui se dégagent du Barzaz-Breiz permettent de penser que La Villemarqué a lui aussi pleinement utilisé cette sympathie, cette intuition, cette imagination créatrice de vérité145. C’est en tout cas dans ce cadre-là que l’on peut comprendre la restauration des chants à laquelle il s’est livré.
77Les différents rôles et fonctions du scripteur lui fournissent une autorité qui lui autorise la sympathie : il sait, il est juste, il possède le Geist et il est poète, peintre, romancier. Tous les éléments sont réunis pour que la sympathie puisse fonctionner. L’entreprise de rénovation laisse libre cours à l’imagination. Il est très difficile, voire impossible de définir la nature de cette imagination : dans quelle mesure est-elle logique ou poétique ? scientifique ou créatrice ? Je n’apporterai aucune réponse précise à cette question. Même si aujourd’hui on voit dans cette sympathie une porte grande ouverte à la subjectivité et à l’invention, ce qui importe, c’est finalement de comprendre pourquoi La Villemarqué fournit ce texte au lecteur. Même si ces monuments sont plus ou moins inventés, pour l’auteur c’est de l’invention vraie. La vérité qu’il souhaite mettre en lumière est ainsi triplement amplifiée : premièrement par la monumentalisation des chants, deuxièmement par la traduction-esthétisation en français des chants146, et troisièmement par les commentaires qui sont la surmonumentalisation de la collection, sa dramatisation. De plus, l’important, ce ne sont pas les chants en eux-mêmes, c’est la vérité qu’ils contiennent et que le scripteur dévoile. Les chants de l’œuvre sont pris en charge directement par le scripteur qui les met en voix et s’en sert comme matériau de base de sa propre prestation dramatique. Ils sont des enclaves dans le récit que fait le scripteur. Ils sont une mise en acte(s) de la vérité qu’il expose. La parenthèse de cette expression donne à la formule un double fond : c’est à la fois un découpage dramatique du texte en une succession de parties, et une mise en action du principe de vérité.
Notes de bas de page
1 Je prends ici l’exemple de l’édition de 1867. Les autres éditions ne varient pas dans la présentation générale, sauf en ce qui concerne la place des chants en breton.
2 1) un numéro en chiffres romains sert à classer chaque chant, 2) le titre du chant est donné en français, 3) l’indication du dialecte d’origine du chant apparaît sous le titre, 4) un « argument » précise le cadre de l’histoire contenue dans le chant, 5) le chant apparaît en version française, 6) le titre, le dialecte d’origine et le texte en breton sont présentés comme sorte de note de bas de page en petit corps de caractères, 7) l’unité est close par des « notes » dans lesquelles le scripteur fournit des renseignements complémentaires concernant le chant.
3 C’est par exemple le cas pour les parties qui ont pour titre « Merlin, fragments de ballades », « Lez-Breiz, ou Morvan, fragments épiques », « Iannik Skolan » et « Chants de Noces ».
4 Il n’y avait pas d’appendice dans l’édition de 1839 et il n’était composé que d’une « conclusion » en 1845.
5 Le relevé d’une liste (non exhaustive) des mots de ce champ lexical donne 217 occurrences en 1839, 364 en 1845 et 369 en 1867.
6 BB 1839, Préambule, p. v et vj.
7 BB 1845, Avant-propos, p. xij.
8 BB 1845, Avant-propos, p. xij-xiij.
9 Philippe Carrard, Poétique de la Nouvelle Histoire, Le discours historique en France de Braudel à Chartier, Éditions Payot Lausanne, 1998, p. 146 sqq.
10 BB 1839, Préambule, p. v.
11 BB 1839, Introduction, p. lxxj.
12 Ibidem, p. xxxiij.
13 Ibid., p. vij. Note à la fois référentielle et d’estime.
14 BB 1839, Préambule, p. ij.
15 Philippe Carrard, op. cit., p. 154.
16 La question de la présence de l’auteur dans un texte historique se pose encore aujourd’hui, comme le montre Philippe Carrard à propos de la « Nouvelle Histoire », op. cit., p. 99 sqq. ou Rolland Barthes dans ses Essais critiques IV. Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 158.
17 Pour l’édition de 1839, « il » (686), « nous » (392), « on » (384), « ils » (245), « elle » (236), « je/j’« (123), « elles » (90), « vous » (42), « tu » (10).
18 954 marques en 1839, 1 231 en 1845 et 1 125 en 1867. Le calcul ne prend pas les chants en compte.
19 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, 1969, p. 213-214.
20 Ibid., p. 220.
21 Cf. Stimmen der Völker in Liedern (Les voix des peuples dans les chants) de Herder, 1778.
22 BB 1839, Préambule, p. iij.
23 Donatien Laurent, La Villemarqué collecteur de chants populaires. Étude des sources du premier Barzaz-Breiz à partir des originaux de collecte (1833-1840), thèse, Sorbonne-Brest, 1974, p. 687.
24 Sismondi (1773-1842). Historien français d’origine suisse qui fait ses études à Lyon, voyage beaucoup et côtoie Mme de Staël et le groupe de Coppet par l’intermédiaire duquel il est initié au romantisme allemand.
25 B. Reizov, L’historiographie romantique française. 1815-1830, Moscou, Éditions en Langues Étrangères, s. d., p. 58.
26 Villemain (1790-1870). Connu surtout comme critique littéraire. Il écrit en 1819 son Histoire de Cromwell d’après les mémoires du temps et les recueils parlementaires, titre révélateur de l’importance donnée aux documents d’époque.
27 Augustin Thierry (1795-1856). Disciple, secrétaire et collaborateur de Saint-Simon jusqu’en 1817. Le plus ardent polémiste de l’école romantique.
28 B. Reizov, op. cit., p. 76.
29 Ibid., p. 86-87.
30 Ibid., p. 88.
31 Ibid., p. 121-122.
32 Londres, 1803.
33 Amable-Guillaume-Prosper Brugière, baron de Barante (1782-1866). Son ouvrage sur l’Histoire des ducs de Bourgogne a certainement influencé l’auteur du Barzaz-Breiz puisqu’il est cité deux fois dans les éditions de 1845 et de 1867.
34 BB 1839, Introduction VII, p. lvj.
35 Gérard Genette, Figures III, Seuil, Paris, 1972, p. 183-224.
36 Cf. l’image de la carte et du tour de Linde et Labov, citée dans Carrard, op. cit., p. 47.
37 Expression de Pierre Tranouez, Fascination et narration dans l’œuvre romanesque de Barbey d’Aurévilly, La scène capitale, Paris, Minard, Lettres Modernes, 1987, p. 301-302.
38 Ce dédoublement grammatical permet de distinguer nettement le préambule (ainsi que l’avant- propos dans l’édition de 1845) dans lequel le scripeur utilise le « je » du reste du texte sur lequel règne le « nous ».
39 BB 1867, Préface, p. iv.
40 BB 1839, Merlin, t. I, p. 92.
41 Ibid., p. 57.
42 BB 1867, Préface, p. viii.
43 BB 1839, Préface, p. iij.
44 Gogol dans Les Soirées du hameau fait également dire à l’apiculteur Panko le Rouge, le prétendu auteur de ce recueil de récits populaires d’Ukraine, que « s’il n’y avait pas cette maudite paresse qui me retient d’aller les déterrer, je pourrais bien remplir dix livres comme celui-ci » (Gogol, Les Soirées du hameau (1831), Folio Classique, Paris, Gallimard, 1989, p. 27).
45 BB 1839, Introduction X, p. lxx.
46 Ibid, Fontenelle-Le-Ligueur, t. II, p. 35.
47 Ibid, Azénor la Pâle, t. I, p. 232.
48 Ibid, Frère de Lait, t. I, p. 197.
49 Ibid, Introduction VII, p. lviij.
50 BB 1845, Gwenc’hlan, t. I, p. 29.
51 BB 1839, Fête des Pâtres, t. II, p. 247.
52 Il est toutefois permis de douter de la vraisemblance de l’affirmation de La Villemarqué au sujet du breton comme la seule langue dans son enfance : c’est le français qui était la langue de la famille (Donatien Laurent, op. cit., p. 3). Ce qui renforce l’idée d’image, de représentation, de rôle qu’il se donne. À propos de l’exclamation, voir Robert Martin, Langage et croyance, Les « univers de croyance » dans la théorie sémantique, Bruxelles, Pierre Mardaga Éditeur, 1987, p. 94-95. Sur l’ancrage d’un énoncé dans la réalité par l’ancrage du sujet dans la réalité, voir Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, traduit par P. Cadiot, préface par G. Genette, 1986, (1re édition allemande 1977), p. 56.
53 Edward George Bulwer-Lytton, Les derniers jours de Pompéi, 1834, Paris, Livre de Poche, 1989.
54 Jean-Yves Guiomar, Les historiens Bretons au xixe siècle. Le bretonisme, thèse, Rennes, 1986, p. 190. Bernard Tanguy, Aux origines du nationalisme breton. Le renouveau des études bretonnes au xxe siècle, Paris, 10/18, 1977, t. I, p. 341.
55 Il occupe la direction de la classe d’archéologie de l’Association Bretonne à partir de 1855. Voir Jean-Yves Guiomar, op. cit., p. 314, et Bernard Tanguy, op. cit., p. 342.
56 Plus de 80 occurrences dans l’édition de 1839.
57 BB 1839, Préambule, p. iv.
58 BB 1845, Introduction V, p. xliv.
59 BB 1839, Prédiction de Gwenc’hlan, t. I, p. 1.
60 Ibid., Introduction V, p. xlj.
61 BB 1845, L’Hermine, t. I, p. 335.
62 Erika Tunner, Clemens Brentano (1778-1842). Imagination et sentiment religieux, thèse, Paris, Champion, 1977, p. 245-246.
63 BB 1839, Préambule, p. iij-iv.
64 Même si c’est lui-même qui la fait exister.
65 Lettre de Le Men à d’Arbois de Jubainville, Revue Celtique, t. xxi, 1900, p. 262, citée par Donatien Laurent, op. cit., p. 12.
66 Termes tirés d’une parole de Chateaubriand qui a grandement influencé La Villemarqué dans les années 1835-1836 et qu’il rappelle de la sorte : « Savoir choisir, se borner, s’en tenir à la fleur, faire preuve de goût et de discrétion ; de tact, de discernement ; voilà ce qu’il prêchait aux jeunes faiseurs d’anthologies rustiques ; si vous n’y prenez garde, disait-il, le médiocre étouffera bientôt le bon ; n’oubliez pas la bouquetière Glycéra. » (Voir La Villemarqué, « Les précurseurs de nos études. III : Chateaubriand », Revue des Traditions Populaires, 1888, t. III, p. 419.)
67 BB 1839, Préambule, p. iv.
68 Abbé Henry (1803-1880), disciple de Le Gonidec.
69 Abbé Jean-Guillaume Henry, Préface à la première édition de Bleuniou Breiz (1862), dans Yves Le Berre, La littérature de langue bretonne. Livres et brochures entre 1790 et 1918, 3 volumes, Ar skol vrezoneg — Emgleo Breiz, 1994, p. 556.
70 BB 1839, Préambule, p. iij.
71 Voir leur correspondance, Bernhard Lauer, Bärbel Plötner, Jacob Grimm und Th. Hersart de La Villemarqué. Ein Briefwechsel aus der Frühzeit der modernen Keltologie, Kassel, Sonderdruck aus dem Jahrbuch der Brüder Grimm-Gesellschaft, Band I, 1991.
72 BB 1839, Introduction II (note), p. xiij.
73 Ibid., Introduction VIII, pp. lxj-lxij.
74 Ibid., Introduction II, p. ix.
75 Ibid., p. xvj.
76 Ibid., Introduction IV, p. xxx.
77 10 fois en 1839, 9 fois en 1845, 5 fois en 1867.
78 BB 1839, Introduction II, p. vj, par exemple.
79 Ibid, p. vij, par exemple.
80 Ibid.
81 Ibid.
82 Ibid, p. xj, par exemple.
83 Par exemple : « On raconte qu’une pauvre femme » (BB 1839, Trois Templiers, t. I, p. 162) ou « Au fond de la Basse-Cornouaille, vit, en une chaumière isolée, un pauvre paysan » (BB 1839, Introduction X, p. lxix).
84 Par exemple : « nous prouverons » (BB 1839, Introduction VI, p. liv), « nous indiquerons » (BB 1839, Introduction VIII, p. lxj), « nous avons eu lieu de croire » (BB 1839, Introduction VII, p. lx), « nous avançons que » (BB 1839, Introduction VIII, p. lxij), « nous adoptons leur amendement » (BB 1839, Introduction II, p. xij), etc.
85 Cité par Pierre Moreau, L’Histoire en France au xixe siècle. État présent des travaux et esquisse d’un plan d’études, Études Françaises, 35e cahier, Paris, Les Belles Lettres, s. d., p. 61.
86 Lettre d’Augustin Thierry à La Villemarqué, datée du 18 septembre 1837 : « Vous avez raison de travailler avec soin la préface, mais je crois que le morceau ne doit pas avoir une trop grande étendue. », citée par Pierre de La Villemarqué, La Villemarqué, sa vie et ses œuvres, édition revue et augmentée, Paris, Champion, 1926, p. 28.
87 Archives Keransker, citées par Donatien Laurent, op. cit., p. 9-10.
88 BB 1845, Vin des Gaulois, t. I, p. 75.
89 Ibid., Marche d’Arthur, t. I, p. 88.
90 C’est le cas par exemple du chant intitulé « Prédiction de Gwenc’hlan » dont le nom du héros n’apparaît à aucun endroit, ou du chant « La Peste d’Elliant » qui met en scène un « Barz satel/saint Barde » ; l’auteur du chant populaire indique ainsi le solitaire « sans le nommer », dit La Villemarqué qui dévoile, après un certain nombre de rapprochements et de déductions, le nom du personnage : Saint-Ratian.
91 BB 1845, Alain-Le-Renard, t. I, p. 204.
92 Jean-François Champollion (1790-1832) annonce par une lettre à l’Académie des Inscriptions qu’il lit les hiéroglyphes le 27 septembre 1822.
93 B. Reizov, op. cit., p. 685.
94 BB 1839, Préambule, p. j.
95 Ibid.
96 BB 1867, Introduction IV, p. xxxvii.
97 BB 1839, Préambule, p. ij.
98 BB 1867, Épilogue, p. 534.
99 BB 1839, Laboureurs, t. II, p. 109.
100 Ibid., Introduction X, p. lxxvj.
101 Ibid, Introduction IV, p. xxxvj.
102 Ibid., Retour d’Angleterre, t. I, p. 111.
103 Ibid., Baron de Jauioz, t. I, p. 176.
104 Ibid, Épouse du Croisé, t. I, p. 113.
105 Ibid, Introduction II, p. xj.
106 BB 1867, Préface, p. v.
107 Roman Jakobson, op. cit., p. 213-214 et 220.
108 Roland Barthes, op. cit., p. 158.
109 BB 1839, Préambule, p. j. Ce passage est maintenu dans l’édition de 1845, mais n’apparaît pas en 1867, la préface ayant d’ailleurs été complètement modifiée.
110 Isaiah Berlin, Le bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, traduit par Marcel Thymbres, Paris, Albin Michel, coll. Idées, 1992, p. 241.
111 Cité par Georges Gusdorf, Le romantisme, Paris, Payot, 1982-1983, 1993, t. II, p. 58.
112 « Si cette plénitude de sensations fait engendrer des œuvres remarquables déjà par l’intensité de l’idée et la candeur de l’expression à des hommes qui n’ont que leur sensibilité naïve et fruste, combien n’en doit-il pas être autrement de ceux qui, à cette assimilation de la nature simple et pure, joignent encore une délicatesse plus grande de la sensibilité, les avantages du savoir et les ressources de l’art. pour eux, le débordement d’idées et de sensations, l’illumination soudaine les élèvent à la hauteur de la plus sublime poésie. » (Abbé Jean-Guillaume Henry, « Poetae Minores », Introduction des Bieuniou Breiz, fac-similé dans Yves Le Berre, op. cit., t. III, p. 551-557.)
113 BB 1839, Préambule, p. v.
114 Ibid., p. ij.
115 BB 1867, p. I. Traduction de La Villemarqué p. 399 : « Elle donnait du pain à ceux qui avaient faim, et des remèdes à ceux qui étaient malades. »
116 Ibid, Préface, p. III et IV.
117 Il porte le nom de « Complainte de la Dame de Nizon ».
118 BB 1867, Préface, p. VIII et IX.
119 Ibid., Appendice, p. 319.
120 BB 1839, Préambule, p. iv.
121 BB 1845, Avant-propos, p. xiv.
122 Ibid., Submersion de la ville d’Is, t. I, p. 63.
123 Ibid., Tribut de Noménoë, t. I, p. 198.
124 BB 1867, Légende de Saint Ronan, p. 481.
125 BB 1845, Conclusion, p. 473.
126 Ibid., Fête de juin, t. II, p. 527.
127 Pierre de La Villemarqué, op. cit., p. 75.
128 BB 1867, Préface, p. IX.
129 Georges Gusdorf, op. cit., t. II, p. 25.
130 Ibid., p. 63.
131 Ibid., p. 324.
132 Ernest Tonnelat, Les frères Grimm. Leur œuvre de jeunesse, thèse, Paris, Armand Colin, 1912, p. 83-84.
133 Georges Gusdorf, op. cit., t. I, p. 187.
134 Ibid., p. 228.
135 Ibid., p. 74-75.
136 Ibid., p. 8.
137 Georges Gusdorf, op. cit., p. 210.
138 B. Reizov, op. cit., p. 615.
139 Ibid., p. 98.
140 Ibid., p. 164-165.
141 Ibid., p. 236.
142 Jules MIchelet, Journal, t. I, 1828-1848, 30 janvier 1842. Cité par Geneviève Bollème, Le peuple par écrit, Paris, Seuil, 1986, p. 92.
143 Cité par Catherine Devulder, L’Histoire en Allemagne au xixe siècle. Vers une épistémoiogie de l’histoire, Paris, Klincksieck, coll. Épistémologie, 1993, p. 42.
144 Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’homme au siècle des Lumières, Paris, Payot, 1972, p. 274-275.
145 On note par exemple l’emploi de l’une des techniques liées à la sympathie et particulièrement à la recherche de la couleur locale : l’utilisation des noms propres dans une forme bretonne. Augustin Thierry, Hugo, Chateaubriand, Marmier, Michelet, Dumas, mais aussi Coleridge par exemple en font usage. L’idée de la couleur locale ne passera pas le siècle et les positivistes reprocheront aux romantiques cette manie de transformer les noms propres qui ne sera, pour eux, qu’un jeu de termes exotiques et un ornement vulgaire (voir B. Reizov, op. cit., p. 161-162).
146 La traduction ne « colle » en effet pas toujours au texte.
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