Cataractes et résurgences
p. 205-220
Texte intégral
1Je voudrais simplement aborder ici le mystère de l’eau, dans ses ruissellements, ses apparitions et ses disparitions, et cela à partir, d’abord, du livre si beau d’Athanase Kircher, Mundus Subterraneus1, en concluant avec une courte évocation de Léonard de Vinci et de Pierre Perrault.
Mystère de la source
2Je ne distinguerai pas entre source et fontaine (fons), même si l’on dit que la source est le nom que l’on donne quand on ne voit pas l’eau surgir et s’étaler dans un quelconque bassin. Isidore de Séville, lui, définit ainsi la source : « La source (fins) est la tête d’une eau naissante, comme si elle répandait l’eau2. »
3Le livre V du Mundus est consacré à la nature, à la propriété des lacs, fontaines et à leur origine dans le monde souterrain3. La première chose à dire est qu’on ne peut discuter la parole de Dieu (Ecclésiaste). « Tous les fleuves pénètrent dans la mer, et la mer ne gonfle pas, les fleuves retournent aux lieux d’où ils sortent, pour de nouveau couler. » Il s’agira en fait d’adapter, ou de concilier, Aristote et la Bible. Il y a quelques difficultés quand même, car le Philosophe refuse l’idée que la mer soit à l’origine des fleuves et des fontaines4. On commence donc par des hypothèses (suppositiones), qu’il faut accepter. En voici quelques unes :
- Le « géocosme » est transpercé d’innombrables cavernes remplies d’eau, de feu, d’air, pleines aussi de passages, de siphons, de conduits, fissures, pores, non seulement à la surface de la terre, mais aussi dans le fond des mers et des océans.
- Le flux et reflux de la mer causés par le soleil et la lune, en même temps que le mouvement très violent des vents qui agite la mer, permettent une pression incroyable pour pousser les eaux au travers de tous les conduits de la terre.
- Dans ces cavernes et abîmes, il faut ajouter la peur du vide qui produit d’étonnants effets pour attirer l’eau vers le haut.
- Les conduits qui transportent l’eau n’ont pas les mêmes formes selon la latitude et la nature des lieux.
4On ne peut donc attribuer l’origine des fontaines à une seule cause. En fait Kircher en propose dix, que je n’énumérerai pas toutes.
5La première renvoie à Aristote qui réduit l’origine à deux causes :
- la résolution de la vapeur dans les fourneaux intérieurs des montagnes, condensée par le froid du lieu ;
- les pluies qui pénètrent les conduits de la terre et, cherchant un chemin pour sortir, créent les fontaines.
6Kircher donne ici le texte des Météorologiques, dont, à juste raison, il dit que son obscurité a créé bien des conflits. Ce texte d’Aristote est toujours cité et le point de départ des discussions chez quasiment tous les auteurs.
7Météorologiques, I, 350a :
« La plupart des fontaines se trouvent dans le voisinage des montagnes et des lieux élevés. Dans les plaines, à l’exception des fleuves, il n’y a d’eau que dans un tout petit nombre de fontaines. En effet les lieux montagneux et élevés, pareils à une éponge, aux pores serrés, suspendue en l’air, filtrent l’eau et la distillent (la laissent passer goutte à goutte) en une multitude de points. Car ils reçoivent une grande quantité de la pluie qui tombe ; qu’importe, en effet, que la surface du sol soit creuse et incurvée vers le bas ou vers le haut et convexe ? Dans les deux cas, elle doit contenir la même quantité de matière, et ils refroidissent la vapeur qui s’élève et la condensent de nouveau en eau. »
8Il suffit de lire Isidore pour mesurer l’influence d’Aristote :
« Or la mer ne grossit pas quand elle reçoit tous les fleuves, toutes les sources ; en voici la cause : d’une part sa propre grandeur ne ressent pas les eaux qui la pénètrent ; ensuite l’eau salée (amara) consume la douceur des affluents ; ou bien encore les nuages eux-mêmes attirent à eux beaucoup d’eau ; ou bien une partie, les vents l’emportent ; une autre, le soleil la sèche ; enfin c’est que ce grossissement est filtré à travers certains pores de la terre, et, faisant le trajet inverse retourne à la tête des fleuves et aux sources5. »
9A priori Kircher n’est pas hostile à ce type d’explication (parmi d’autres). La difficulté est d’expliquer d’où viennent ces vapeurs qui vont se résoudre ; comment l’imbibition des pluies et la distillation des gouttes pourrait-elle fournir une telle masse d’eau ? D’autre part, Kircher n’est pas prêt à donner son accord à l’hypothèse de la rareté des sources dans les plaines. Mais, comme d’habitude, le Philosophe6, dit-il, procède de manière abstraite et métaphysique ; tandis que lui, Kircher se dirige d’abord vers les causes proches. Il s’agit donc d’une question de méthode ; et nous verrons à l’œuvre celle de Kircher.
10Si nous prenons la cause comme générale, on ne peut soutenir que les fontaines proviennent de la vapeur condensée dans les cavernes souterraines. « Nous voyons en effet, et d’expérience fréquente, en des lieux innombrables où des fleuves immenses et des rivières prennent leur origine dans les montagnes, que l’eau se manifeste non par le mode d’une fontaine bouillonnante, mais à l’instar d’un vaste fleuve tout de suite apte à la navigation, comme les sources du Gange, du Nil, du Pô, du Rhône, du Rhin7. »
11Mais pourrait dire un péripatéticien, tout se passe comme dans un alambic géant, dans les cavernes souterraines. Kircher n’est pas ennemi de cette idée. Mais subsiste la question de la quantité. Nous pouvons déjà avancer les conclusions générales, pour plus de clarté : « Prétendre, comme les péripatéticiens, que des fleuves comme le Danube, le Rhin, le Rhône, la Moselle, la Meuse etc. tirent leur origine de la distillation des gouttes à l’intérieur des cavernes souterraines des montagnes, est ridicule. Toutes ces gouttes rassemblées de çà de là au travers des fourneaux des montagnes parviendraient à grand peine à constituer un fleuve8. »
12Il y a sur terre, et sous terre, d’immenses réserves d’eaux qui communiquent par d’immenses ou plus étroites fissures. Pour le comprendre, il faut se rapporter à des modèles expérimentaux.
Modèles réduits expérimentaux
13Nous allons suivre quelques éléments du raisonnement.
141) Démonstration de la vanité de la théorie aristotélicienne.
15Soit le modèle de l’alambic « connu de tous9 ». Ce qui coule dans le conduit D est dérisoire. La théorie d’Aristote sur l’origine des fleuves et des fontaines est donc fausse10.
162) Rôle de la pression (pressura)11.
17L’air sous la pression pousse l’eau et l’élève jusqu’à la hauteur désirée. (Aër pressus premit aquam & expellit in deliberatam altitudinem).
La multiplicité d’explications
18Cette multiplicité n’a rien d’épicurien. Il ne s’agit pas, en effet, de vraisemblance, ni de calmer l’inquiétude. On ne saurait non plus y trouver un excès d'explications. Mais on ne peut épuiser, en effet, les raisons de la nature. « Peut-être quelqu’un pourrait-il m’objecter que l’industrie de Nature est excessive et superflue. Mais qu’il sache que rien dans les mouvements hydrauliques ne se peut faire par art qui ne tire les principes de son opération de l’exemple de la Nature industrieuse (panturgae), et des raisons de la loi éternelle, et qu’il en soit certain, parce que la sagesse de l’Artisan de l’Univers a constitué son art par l’intermédiaire de la nature, rien en vain, mais tout avec la plus grande providence ; comme toutes choses dans ce théâtre de l’Univers, il l’a fait avec un art ineffable dans le monde souterrain12. »
19– Comment les eaux sont attirées vers le haut par la crainte naturelle du vide. Croquis et expérience à l’appui (p. 235). Je passe sur cette raison.
20– On ne peut nier – l’expérience le montre –, que la chute des eaux de pluie et la fonte des neiges jouent un rôle. Mais la perpétuité des fleuves et des fontaines ne s’en peut induire13. Evidemment il faut expliquer la perpétuité. Il faut donc d’autres hypothèses.
Comment les fontaines et les sources peuvent-elles se constituer à partir des pluies et des neiges fondues ?
21Les fontaines et fleuves qui ont cette origine s’arrêtent quand il n’y a plus d’eau, quand la fonte des neiges est terminée. « Mais un seul exemple suffira, que j’ai examiné avec soin en l631, dans une source ou plutôt une rivière dans une Vallée close, que vulgairement on appelle Vocluse14. Il se trouve entre Carpentras et Cavaillon, à quatre lieues d’Avignon, une vallée écartée, tout à fait sauvage, et que la vue des roches suspendues rend formidable, dans laquelle on peut voir jusqu’à ce jour une maison, bien qu’elle soit détruite par les injures du temps ; c’est là que Francesco Pétrarque jadis, quand parfois, excité par l’aiguillon poétique des études qui lui étaient familières, il était ravi par l’amour de la solitude, s’est, dit-on, réfugié, pour pouvoir, très loin de tout le tumulte du vacarme des palais, l’esprit plus libre et plus dégagé, accomplir ce qu’il avait conçu dans son esprit. »
22Suit la description d’une grotte, qui, pour la moitié de l’année reste parfaitement sèche, sans aucun vestige d’humidité. Un vrai labyrinthe de méandres secs. Puis à la fonte des neiges qui viennent des monts Dauphiné ou des Alpes, « voici que le conduit par la bouche de la caverne, dans un immense fracas, éructe une si grande quantité d’eau ». On y trouve aussitôt des truites et autres poissons que l’eau souterraine a apportés avec elle.
23Les déluges annuels, les fontes des neiges, obligent à penser que l’eau (ou que de l’eau) se réfugie à l’intérieur de la terre. Les montagnes sont très poreuses et présentent de nombreuses crevasses. Les eaux qui s’insinuent trouvent des lieux de refuge ; quand ces lieux sont trop pleins les eaux pressées par l’étroitesse des récipients sortent nécessairement.
L’analogie avec la circulation du sang15
24La circulation (pericyclosis) du sang est prouvée par de très nombreuses expériences et est incontestable, écrit Kircher. C’est une chose admirable que la même quantité de sang reste au pied un certain temps pour retourner à la tête… « Je prétends que ces raisons d’un mouvement cyclique, ne se trouvent pas seulement dans le corps humain, mais aussi dans l’élément aqueux, soit, ce qui est le même, dans la pericyclosis de l’Océan ». Il faut se référer à Harvey qui a montré que le cœur est le moteur, qu’il y a des valvules dans les conduits. Si l’on compare, à juste titre, les valvules des veines avec des aqueducs souterrains, on trouvera que la même chose arrive en ces lieux.
Les cataractes ou catadupae
25« Forma cataractarum est motus violentus, qui motus vel est impetus, sitque aliquando cum fragore & vehementi sonitu ; vel est tantum molimen ad impetum tendens16. » Telle est l’une des définitions que Herbinius donne dans son livre sur les Cataractes (p. 7)17. Le déluge fait partie de la catégorie des cataractes. J’y ferai allusion plus tard.
26Dans son Mundus subterraneus Kircher commence son étude sur les cataractes par une citation d’Aristote. Le monde est en perpétuel changement ; témoin ce que dit Aristote dans ses Météorologiques 351a : « Il faut admettre que ces changements se produisent selon un certain ordre et une certaine périodicité. Ce qui est le principe et la cause, c’est que l’intérieur de la Terre, comme le corps des plantes et des animaux, a une période de maturité et une période de vieillissement. A cette différence près que chez les plantes et les animaux ces changements n’ont pas lieu parties par parties mais que c’est nécessairement l’individu tout entier qui arrive à maturité, puis dépérit. Pour la terre, au contraire, ces changements ne se produisent que pour certaines parties sous l’influence du refroidissement et de la chaleur18. »
27Le Père Kircher ne retient que l’idée de changement, citant aussi Lactance, Sénèque, et, bien entendu, Ovide (Met. I), et Valerius Flaccus19.
28Il a donné plus haut l’exemple de la cataracte (catadupa) du torrent Velino, qui prend sa source dans les Apennins, traverse la plaine de Rieti, qu’il a formée en créant le lac Velinus (fig. 1), et se précipite d’une hauteur de cent quinze mètres à la cascade des Marbres20. Kircher procède toujours de la même façon. D’abord l’observation. Comme pour des raisons de dévotion il se trouvait dans la région, en l’année 1658, il en profite, mu qu’il est par curiositate et desiderio videndi, pour voir cette très célèbre cataracte d’Italie. Le fleuve, dans un immense élan en forme d’arc, se rue vers un gouffre très profond, d’environ 300 pieds, terribles strepitus, murmur, vehementia ; si l’on ne s’évanouit pas, on peut du moins être assourdi. « horrendum omnino spectaculum, infernum diceres, spumis gurgitibus… ».
29Les explorateurs de cette montagne, d’où tombe la cataracte, se sont échinés à en trouver l’explication.
30« Je prétends, écrit Kircher, qu’il n’y a aucune autre explication aux effets prodigieux produits dans cette montagne, que la raréfaction et la condensation de l’air, ce que je montre ainsi » :
311) la montagne est creuse ce que les indigènes attestent,
322) toute la surface de cette montagne de pierres est pleine de canaux, de fissures.
333) l’expérience avec la pila (fig. 2) :
34Soit une boule de bronze très solide avec un col très étroit avec un petit trou comme une pointe d’aiguille. Jeter cette boule à demi pleine d’eau dans le feu, puis dans l’eau froide et de nouveau la placer sur des charbons ardents. La vapeur tente de sortir par le trou très étroit et finit par s’échapper avec le plus grand bruit et la plus grande violence.
1. Le lac Velinus, A. Kircher, op. cit., p. 115
35On est un peu surpris par l’expérience proposée. Ce qui intéresse Kircher est moins la chute d’eau que le bruit assourdissant de l’air, des vents, l’aspect impressionnant en somme. Comme le dit La Souda21 faisant allusion à l’Ister (Danube inférieur) et à ses cataractes : « Les cataractes, roches dans le fleuve Ister, à l’instar d’une montagne, dans toute la largeur, née sous l’eau ; sur ces roches le fleuve tombe, et reflue avec un terrible bruit ; et, grondant sur les roches, et les surmontant, il produit des tourbillons, des bouillonnements et des charybdes, agité en cercle par le flux. Enfin le fleuve en ces lieux, ne diffère pas beaucoup du détroit de Sicile. »
2. L’expérience avec la pila, Kircher, op. cit., p. 117
Léonard
36Comme le rappelle l’excellent Kenneth D. Keele22, l’eau était l’élément qui fascinait Leonardo, surtout parce qu’il est visible, à la différence de l’air, et « qu’avec l’aide de marqueurs ses mouvements pouvaient être tracés selon des modèles géométriques ». En fait, continue-t-il, « la circulation de l’eau impressionnait Leonard comme le fondement de la “vie” du monde. Il s’approcha, sans le résoudre, du problème d’une circulation similaire dans le corps humain. Il est dans la nature de l’eau d’être toujours à la recherche des lieux bas quand il n’y a pas d’obstruction. Elle est prompte à s’élever en vapeur et brouillard, et, convertie en nuages (par le froid), elle retombe en pluie parce que les petites parties du nuage se réunissent pour former des gouttes ».
37Le corps de la terre, selon Léonard, « comme celui des animaux, est traversé de réseaux de veines toutes reliées entre elles et faites pour donner vie et nourriture à la terre et à ses créatures. Elles viennent des profondeurs de la mer, et après de nouveaux cycles, doivent y retourner par les rivières que forment ces veines en jaillissant à la surface23 ».
38L’eau ne peut pas descendre plus bas que le niveau de la mer. À ce moment, elle est morte, comme la lagune de Venise. Pourtant l’eau monte jusqu’au sommet des montagnes. Cela ne se peut faire sans la chaleur vitale du premier vaisseau, comparée à la chaleur du cœur. C’est la chaleur qui fait monter l’eau (comme le sang. Voir l’effet du soleil et les insolations, maux de tête etc.). Ayant atteint les sommets des montagnes (et de l’homme) l’eau et le sang s’écoulent des vaisseaux rompus. L’eau monte aussi du pied de la vigne jusqu’à ses rameaux coupés et s’écoule. L’eau est mue d’un mouvement perpétuel de rotation ; elle ne reste jamais en repos ; « Thus ; Leonardo depicts a circulation of “humours" in the earth, in plants and in man. » « Ainsi Leonard dépeint une circulation des humeurs dans la terre, dans les plantes et dans l’homme. » Ce concept de la circulation ne se modifia pas jusqu’à ses dernières analyses anatomiques. « Léonard pensait l’eau comme le sculpteur de la forme de la surface de la terre. Les montagnes, les os de la terre apparaissent. Il fondait ses théories sur deux sources : les inévitables Météorologiques d’Aristote » (I, 14, texte que nous avons cité avec le Père Kircher) ; et l’observation, par exemple celle du Danube et de l’Arno24.
39Léonard réfutera par la suite ses propres opinions. « Le niveau de la mer vient des feux qui existent au centre du corps de la terre25. » Dans un texte proche Leonardo assimile le mouvement de l’eau à ce qui est distillé dans un alambic ou une cornue. « Les gouttes d’eau sont composées de la vapeur d’eau qui percute le sommet de l’alambic. » Dans le Codex Leicester 28 r il rapproche ce nouveau principe du mouvement du sang chez les animaux… « La chaleur du feu engendrée à l’intérieur du corps de la terre, chauffe les eaux enfermées à l’intérieur, dans les grandes cavernes et autres lieux ; et cette chaleur fait bouillir l’eau, la fait passer à l’état de vapeur et gagner les toits des dites cavernes […] ; où venant en contact avec le froid, l’air est immédiatement changé en eau comme on voit que cela se passe dans une cornue, et retombe formant la naissance des rivières. »
Microcosme, macrocosme
40En fait, écrit Léonard, « the earth, we can say, has a spirit of growth ; sa chair est le sol, ses os sont les strates successives des roches, qui forment les montagnes ; son sang les veines des eaux ; le lac de sang qui s’étend autour du cœur est son océan. Sa respiration est la croissance et la décroissance du sang dans ses pouls, le flux et le reflux de la mer ; et la résidence de son esprit nutritif se trouve dans les feux dans les diverses parties du monde, comme dans les mines de souffre et les volcans tels que l’Etna en Sicile26 ».
41Nous avons rappelé plus haut que le déluge doit être mis dans la classe des cataractes. On pense évidemment à la superbe description du déluge dans le Traité de la peinture, et au dessin (fig. 3) :
3. Déluge, une trombe d’eau. W.12380 Windsor, Bibliothèque royale reproduit in « Traité de la peinture », op. cit., p. 137.
« […] parmi les objets emportés par le cours des eaux, celui qui sera le plus lourd ou de plus grande masse s’éloignera le plus des deux rivages. Le mouvement des parties de l’eau qui constituent un tourbillon est d’autant plus rapide qu’elles sont plus proches de son centre. Les crêtes des vagues de la mer, tombant en avant sur leur base, heurtent et frottent les globules (d’écumes) de la surface ; et ce frottement pulvérise l’eau tombante en parties minuscules qui, se transformant en un brouillard dense, se mêle au cours des vents comme une fumée ondoyante et comme un tourbillon de nuages, et finit par être soulevée en l’air et par se convertir en nuages […] Les vagues de la mer qui frappent les pentes des montagnes voisines feront jaillir une écume rapide sur le dos de ces collines, et en retournant elles rencontrent la seconde vague qui arrive, et après un choc bruyant elles reviendront, noyant tout, à la mer d’où elles sont sorties27 […] »
Pierre Perrault
42J’aimerais évoquer le traité De l’origine des fontaines de Pierre Perrault28. « C’est une chose assez étrange, écrit-il, que pas un de ces grands génies29 […] ne se soit encore mis en peine de rechercher sérieusement quelle peut être la cause des fontaines et des sources et n’ait pu être touché de la curiosité de découvrir l’origine de toutes les eaux qu’ils voient couler continuellement sur terre30. » Le traité est précédé d’une Lettre à Huyghens « au sujet des Expériences ». À propos de la pompe, qui est le bon modèle pour lui, Perrault écrit : « je suppose dans la terre des effets semblables à ceux de la pompe, auxquels je donne pour cause principale l’attraction par la crainte du vide […] » et, plus loin, « quelques expériences que l’on puisse faire, l’on ne peut s’y arrêter seurement si le jugement et les sens tout ensemble ne s’y accordent31 ». Dans les expériences, on oublie la proportion. On inventera d’autres instruments plus grands que les pompes actuelles, où l’élévation de l’eau se limite nécessairement à 32 pieds32. Perrault prévient le dédicataire qu’il n’y aura point de « ces grands raisonnements de physique, & de ces subtiles démonstrations de géométrie, dont les savants ont accoutumé d’orner de semblables ouvrages […] ». « Mon dessein a été de parler de ce qui tombe grossièrement sous les sens, sans approfondir ni les causes ni les effets dans leur origine33. » Perrault propose un livre en deux parties. Dans la première, il examine et critique les opinions de quelques prédécesseurs34. La seconde est consacrée à sa propre thèse, qu’il résume ainsi en conclusion de son étude : « Mon opinion est donc que les eaux des pluyes & des neiges qui tombent sur la Terre, sont la cause de l’origine des fontaines. Ce sentiment est le plus ordinaire et le plus suivi. Néanmoins […] différence […] Je crois que la pluie ne pénètre point la terre, ni ne descend point jusques sur cette terre grasse […] Ils croient […] que ce sont les fontaines qui étant assemblées font les rivières, & que s‘il n’y avait pas de fontaines, il n’y aurait pas de rivières, & moi je crois que ce sont les rivières qui font les fontaines35 […] »
Herbinius
43Le livre de Kircher est une merveille, tant pour l’érudition, l’imagination que pour l’iconographie, et son monde souterrain n’a rien à craindre de romanciers modernes. Le livre d’Herbinius, une suite de dissertations, est davantage l’œuvre d’un philologue et d’un « géographe » émerveillé. L’iconographie est superbe, comme on peut en juger au frontispice (fig. 4). Herbinius décrit cataractes externes, souterraines, maelstroms, trombes, et toutes manifestations sous-marines. Ce livre, à lui seul, vaut une étude pour la mise en forme de tous ces phénomènes. Je me contenterai d’en présenter ici, en guise de conclusion, quelques gravures. La figure n° 5 représente la Tour de Bingen (turris hattonia) au milieu du malstrœm du Rhin, la figure n° 6 les chutes du Rhin à Schaffhausen et la figure n° 7 le Charybdis Muscana en Norvège qui se produit au moment de l’inversion de la marée.
4. Herbinius, op. cit., page de titre
5. De cataractis fluvialibus, Turris Hattonia, Bingen, in Herbinius, op. cit., p. 224.
6. De cataractis fluvialibus, Cataracta Scaphusiensis, Rhenus Fluvius, in Herbinius, op. cit., p. 213.
7. De Cataractis marinis, Charybdis Muscana undas […] eructans, in Herbinius, op. cit., p. 131.
Bibliographie
Bibliographie.
Gohau Gabriel, Histoire de la géologie, Paris, La Découverte, 1987.
Herbinius M. Johannus, Dissertationes de admirandis Mundi cataractis supra & subterraneis, eorumque principio, elementorum circulatione, ubi eadem occasione aestus maris reflui… Amstelodami apud Janssonio-Waesbergios, 1678. La première édition : Copenhague, 1670. Ce livre valut à son auteur grande réputation. (Herbinius, savant luthérien, 1633-1676).
Isidore de Seville, Étymologies, Livre XIII, ed. W. M. Lindsay, Oxford, at the Clarendon Press, t. 2.
Keele Kenneth D., Leonardo Da Vinci, Elements of the Science of Man, New York, Academic Press, 1983.
Kircheri Athanasii, Mundus subterraneus, Amsterodami 1664.
Perrault Pierre, Traité de l’origine des fontaines. Publié à la suite des œuvres de son frère Claude (Essais de physique…), Amsterdam, 1727, p. 717 sqq.
Notes de bas de page
1 Athanasii Kircheri, Mundus subterraneus, Amsterodami 1664.
2 Étymologies, XIII, xxi, 6. Cf. bibliographie.
3 P. 226 sqq.
4 P. 229.
5 Étymologies, T. II, XIII, xiv, 3-4.
6 C’est-à-dire Aristote.
7 Op. cit., p. 227.
8 P. 233.
9 Rappelons que l’alambic est d’invention récente. Il s’agit là des « péripatéticiens » modernes.
10 P. 228.
11 P. 230.
12 Op. cit., p. 236.
13 P 236
14 Orthographe de Kircher. P. 236. Ma traduction.
15 P. 240.
16 « La forme des cataractes est un mouvement violent, mouvement qui ou bien est un élan, accompagné parfois de fracas et de bruit violent, ou bien seulement une masse qui va vers l’élan. »
17 Cf. bibliographie.
18 Tr. P Louis, Paris, CUF, 1982. Cf. aussi la traduction de Jean Tricot, Paris, Vrin, 1941.
19 Mundus subterraneus, Liber secundus technicus, ch. XII, p. 76.
20 Op. cit., p. 115 sqq.
21 C’était au temps où La souda s’appelait suidas, que je cite à partir de l’édition latine du xvie siècle, Bâle 1544.
22 Cf. bibliographie ; p. 85-86.
23 Codex Hammer, 4 A, folio 33, verso. (cité par Gohau, op. cit. bibliographie, p. 37).
24 Keele, op. cit., p. 87, fig. 3, 7. Carte du partage des eaux de l’Arno.
25 Je continue de traduire Keele, op. cit., p. 302.
26 Leicester. 34 r. Cité par Keele, op. cit., p. 303.
27 Textes traduits et présentés par André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1987, p. 135-138.
28 Cf. bibliographie.
29 Qui se sont distingués en anatomie, en chimie, en astronomie etc.
30 P. 735.
31 P. 717-718. Je conserve l’orthographe de Perrault.
32 P. 721.
33 P. 731-32
34 En fait l’énumération en est intéressante ; il s’agit de Platon (Phédon), Aristote, Épicure, Vitruve, Sénèque, Pline, Saint Thomas, Scaliger, Cardan, Dobrzenski, Van Helmont, Lydiat, Descartes, Papin (qui a écrit un traité « De l’origine des sources tant des fleuves que des fontaines », Blois 1647), Gassendi, Du Hamel, le Père Schottius, Rohault, le Père François, Palissy.
35 P. 787.
Auteur
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