Poétique et pratique du recueil photo-textuel dans l’œuvre de Sophie Calle
p. 125-132
Texte intégral
1Née en 1953, Sophie Calle est à la fois écrivain et photographe. Considérés séparément, les textes et les photos de Calle, tout en étant également sobres, plats, quasi documentaires, ont le pouvoir de rendre le lecteur-spectateur curieux, fasciné, perturbé. Mais l’essentiel de l’art de Calle réside plutôt dans l’interface virtuelle, espace-temps de va-et-vient, qui s’ouvre pour tout lecteur-spectateur entre les régimes du textuel et du visuel, et ce, à partir de leur simple juxtaposition. Chez Calle, l’idée de l’« art » subit d’ailleurs une respécification décisive. Il s’agira désormais non pas du projet de l’art, de ce « grand récit » (comme dirait Jean-François Lyotard) qui oriente le paradigme moderniste, mais, bien plus modestement, de l’art du projet, ensemble de procédés à base de contraintes, mis en place afin de mener une enquête (accueil/recueil de l’imprévu) plutôt que de réaliser selon un modèle téléologique telle grande idée (liberté de l’homme, autonomie de l’art, etc.). Calle conçoit ses projets en dehors du studio, à même le quotidien, dans la rue, où elle construit des situations programmées qui lui permettront d’étudier les frontières perméables où s’entremêlent le public et le privé, l’infraordinaire et l’extraordinaire, l’art et la vie, le subjectif et l’objectif, l’auteur et l’acteur, soi-même et l’autre. Dans un premier temps, Calle s’exerce à attendre et à observer. Toujours désireuse de recueillir des preuves au fil de son enquête, elle prend des notes et elle prend des photos. On peut dire qu’elle prend des photos comme elle prend des notes, d’où la valeur avant tout indicielle de ses photos. Par la suite, à partir de cette matière première mais déjà double, elle produit une documentation qu’elle organise en un assemblage où se côtoient des textes et des images, souvent accouplés. Son travail est donc « photo-textuel » au sens composite du mot, ce mot dont le soi-disant trait d’union sépare en fait autant qu’il relie. Selon qu’il s’agit d’exposer une installation ou de publier un livre, d’exposer dans un grand musée ou une petite galerie, de publier dans un livre d’art ou un livre de poche, la forme et le contenu de l’assemblage résultant du projet changeront. Rien de définitif dans l’art de Calle.
2La plupart des assemblages de Calle prennent la forme de recueils, et n’oublions pas ici la suggestion de Michel Butor qu’il existe des affinités intéressantes entre l’assemblage publié et l’assemblage exposé (Mélançon, 1975), mise en perspective à laquelle il faut ajouter une belle étude récente d’Olivier Lugon sur l’importance de la série dans la photographie documentaire depuis l’entre-deuxguerres. Non seulement démontre-t-il l’influence décisive du passage à la série sur l’essor de l’édition photographique, mais il dégage aussi tout ce qui entre en jeu dans ce passage de l’image isolée à la série. En fait, le recours de Calle à la série semble confirmer parfaitement l’assertion percutante de Lugon selon laquelle « seul [le] passage à la série résout le paradoxe central de la photographie moderne : la dichotomie entre des prétentions artistiques de plus en plus élevées et des images de plus en plus simples » (2001 : 252).
3En ce qui concerne la théorie générale du recueil, l’approche adoptée dans ces réflexions sur l’œuvre de Calle consistera à reconnaître que le processus de mise en recueil dépend du travail interactif de deux forces, celle de la fragmentation et celle de l’unification. Certes, un tel travail ne manquera pas de produire des structures ou des niveaux de structuration en conflit. Mais y a-t-il lieu de parler d’un écartèlement du recueil ? Les tensions dont témoigne tout recueil ne se laissent-elles pas également concevoir à la lumière de modèles de construction et de relation moins voués à l’irrémédiable, plus aptes à admettre le contrepoids de l’écartèlement ? Entrent en ligne de compte ici des notions dynamiques et paradoxales, celle par exemple de l’opposition complémentaire, couramment active dans les domaines de l’écologie et de la bioéthique, notion visant à déjouer l’alternative unité simple/opposition brute ; ou celle de la « tensintégrité » (en anglais « tensegrity »), néologisme inventé par le philosophe-ingénieur américain Buckminster Fuller, pour rendre compte de structures dont la résistance à la catastrophe serait assurée par leur capacité à tendre vers l’écartèlement. Comme l’explique le philosophe allemand Peter Sloterdijk, « [l] es “tensintégrités”, ce sont des architectures où l’ensemble se tient par la synergie des éléments qui, au fond, ne vont pas ensemble » (2000 : 57). Selon la perspective esquissée ici, il faudrait donc envisager le recueil comme un assemblage dynamisé par une co-présence sinon par une dialectique de la convergence et de la divergence. Évidemment, rien n’empêche que l’on discerne d’un recueil à l’autre des dosages ou des modes d’interaction variés de ces deux forces. Et c’est justement une telle approche qui me conduit à proposer dans le cas de Calle une distinction entre deux types de recueil, le recueil-série et le recueil-collage. L’analyse suivante sera centrée sur deux recueils dont la mise en livre obéit à la même contrainte formelle, contrainte qui prévoit que chaque constituant de l’assemblage consistera en un texte bref et une photo qui occuperont l’espace d’une double page, et pas nécessairement selon une simple division gauche/droite. Un tel dispositif — deux éléments constitutifs mis en regard dans le cadre plié d’une double page — me semble bien mériter le terme de « diptyque photo-textuel ».
4Comme exemple d’un recueil-série, j’ai choisi d’examiner L’EROUV de Jérusalem, publié en 1996. Pendant un séjour à Jérusalem, Calle s’intéresse à l’erouv, c’est-à-dire à ce « mur imaginaire » encerclant la ville sous la forme de poteaux connectés par des fils d’acier. Extension symbolique des murs qui entouraient traditionnellement les maisons ou les villages, l’erouv élargit le territoire privé à l’intérieur duquel le citoyen a le droit de porter des objets pendant le sabbat. Comme l’explique Calle dans un texte documentaire résumant les aspects pertinents de la loi juive : « l’erouv n’a de sens que pour les religieux, il est invisible aux autres » (1996 : 10). Fait suite à ce texte une série de photos, en noir et blanc, de poteaux individuels sur fond de paysages banlieusards (mi-urbains, mi-ruraux) et de ciel. Plus précisément, il s’agit d’une série divisée en 2 séquences de 14 photos chacune, car Calle y enchâsse une deuxième série, cette fois de 14 diptyques photo-textuels, intitulée Les stations : titre qui, en renvoyant aux 14 stations de la croix, indique l’un des principes de structuration majeurs du recueil (3 séquences de 14 éléments). Cette série enchâssée relève, quant à elle, d’un projet parallèle dont le point de départ consiste en une question simple mais lourde d’implications pour ceux qui accepteraient d’y répondre : « J’ai demandé à des habitants de Jérusalem, israéliens et palestiniens, de m’emmener dans un lieu public ayant, à leurs yeux, un caractère privé » (1996 : 27). Calle se retrouve ainsi à Jérusalem dans l’une de ses zones frontalières de prédilection. Forte de sa question, elle s’engage à laisser parler certains habitants de la ville et à photographier le lieu où se serait déroulé l’épisode raconté. La réalisation plastique du projet prend la forme de diptyques photo-textuels, dans lesquels chaque texte correspond à l’un des récits enregistrés par l’artiste-sondeuse, alors que chaque photo contiguë faite par celle-ci offre une prise de vue (toujours en noir et blanc) du lieu en question : rues vides, façades de bâtiments, collines parsemées d’arbres et d’immeubles.
5Il s’agit donc d’un « recueil dans le recueil ». Les conditions fondamentales de celui-ci en tant qu’assemblage simultanément convergent et divergent sont remplies de diverses manières : jeu conjonctif/disjonctif entre photo et texte, continuité thématique émergeant d’une discontinuité narrative (mais sans annuler celle-ci), et, en ce qui concerne la production du texte, un mélange d’hétérogénéité et d’homogénéité, puisque chaque micro-récit provient de la voix enregistrée d’un autre, avant de passer par la transcription et la traduction, et de subir de telles modifications que le texte final sera bien de Calle. D’ailleurs, il faut noter ici la présence d’un diptyque autrement — et secrètement — « divergent » qui, tout en relevant du projet, constitue de façon peu apparente une exception, voire une infraction, aux protocoles proprement documentaires de ce projet. Calle a admis, lors de certains entretiens, qu’à plusieurs reprises elle a inséré dans ses projets en série un élément purement fictionnel, un « mensonge ». Et ceci moins dans un but de provocation que parce qu’elle avait été un peu déçue par les résultats du projet. Ainsi, dans le cas des Stations, un texte de fiction (au lecteur de deviner lequel) se substitue au récit idéal que Calle espérait recueillir, mais que personne en fait n’a pu lui fournir. Par conséquent, la série est moins homogène qu’elle ne paraît. Une systématicité première se laisse perturber par une sorte de systématicité seconde — en ce sens qu’il s’agit d’une rupture du contrat documentaire récurrente dans l’œuvre de Calle.
6Ceci dit, comme on peut le constater pour la plupart des travaux de Calle, tout relève d’un seul et même projet ; tout remonte à une seule et même question posée à divers individus en un temps et un lieu précis. Il s’agit donc, dès la conception du projet, de produire une série concertée de textes et de photos (de même que dans le livre en tant que multiple recueil, la composition sérielle trouvera sa finalité dans le caractère déterminant du chiffre 14). Certes, des matériaux sont « recueillis » au nom et au fil de ce projet, et, en fait, il en résulte un « recueil » au sens de forme colligée. Mais le cas de figure qui manque ici, c’est, si je puis dire, celle de la forme collagée, du recueil-collage, c’est-à-dire d’un assemblage dont certains éléments ont leur origine ailleurs. Ce type d’assemblage mettra en valeur ce que l’on pourrait appeler (abusivement) le re-du recueil.
7Parmi les exemples de recueils-collages, relativement rares dans l’œuvre de Calle, je propose d’étudier Des histoires vraies — comme L’EROUV, un recueil à base de diptyques photo-textuels. En fait, le titre du livre recouvre deux recueils photo-textuels, dont le deuxième porte un sous-titre autonome : Le Mari : dix récits (1994 : 43-63). Ce qui suffit pour indiquer que ce « recueil dans le recueil » aurait en tant que série un caractère fermé ou définitif. En me penchant sur la première série, je me propose, par contre, de montrer le caractère ouvert, non-définitif, du recueil-collage. Publié pour la première fois en 1994, à la suite de plusieurs expositions prenant la forme d’installations photo-textuelles, le recueil qui porte doublement le titre Des histoires vraies (titre global, repris comme sous-titre) consiste en un assemblage de seize diptyques, organisés en une séquence chronologique, chacun présentant sous une forme à la fois visuelle et textuelle des matériaux autobiographiques relevant de la vie de Calle (HV : 10-41). Le tout constituerait ainsi une sorte d’« auto-photo-biographie », impression générale renforcée par de nombreux effets de cohérence et d’évolution thématiques. Certains de ces effets sont déjà signalés dans le seul paratexte de ce recueil, une citation du roman Léviathan de Paul Auster, où il est dit que le sujet de prédilection d’un des personnages féminins de ce roman était « l’œil, la dramaturgie de l’œil qui regarde en étant regardé ». Dans les diptyques du recueil en question, cette dramaturgie du regard sera provoquée d’abord par la pudeur qui caractérise la sensibilité de Calle enfant et adolescente. Le troisième diptyque raconte un épisode traumatique subie par Calle à l’âge de 15 ans lorsque, au restaurant, un serveur lui joua un mauvais tour en posant devant ses yeux « une assiette qui contenait une banane épluchée et deux boules de glace à la vanille » (HV : 14). La photo correspondante non seulement reproduit le plat en question, sur fond d’assiette ovale, mais en représente aussi le caractère obscène. La pudeur apparaît ici comme réaction immédiate à une agression visuelle, comme l’indique Calle dans la dernière phrase du texte : « J’ai retenu mes larmes et fermé les yeux ainsi que je le fis des années plus tard, lorsque, pour la première fois, un homme se mit nu devant moi » (HV : 14). En effet, le diptyque suivant présente la photo d’un peignoir, accroché à une patère, à côté d’un texte expliquant que c’est le vêtement qu’acceptait de mettre le premier amant de Calle chaque fois qu’il risquait de se montrer à elle, « nu du côté du sexe » (HV : 16-17).
8Mais Calle nous fera passer, dans les trois diptyques suivants, par un renversement de sa phobie, de sorte que, désormais, la dramaturgie du regard concernera avant tout l’impudeur comme geste ou tentative d’auto-affirmation : tentative faite pendant sa vie brève de strip-teaseuse à l’âge de 27 ans, et pendant la période moins précise où elle posait nue comme modèle pour des cours de dessin. Et il vaut la peine de noter qu’il s’agit ici, comme c’était déjà le cas pour le peignoir, d’un objet « abandonné » par un autre mais gardé par Calle, photo cette fois-ci d’un dessin lacéré à l’aide d’une lame de rasoir par le dessinateur même. Évidemment, cette dramaturgie de l’œil, qu’il s’agisse de l’axe regarder/ne pas regarder ou de l’axe regarder/être regardé, est étroitement liée à une série de questions essentielles : celle de la photographie, celle d’être photographié, celle d’être photographe, et celle de ce qui aurait amené une femme en particulier, Calle, à devenir photographe. C’est ainsi que le recueil intitulé Des histoires vraies reprend à sa manière l’une des préoccupations centrales de l’écriture autobiographique pratiquée par les photographes, à savoir l’exploration des ambiguïtés et des contradictions qui compliquent le rapport du, ou de la, photographe à son médium.
9Ainsi, le recueil que constitue Des histoires vraies aurait apparemment une cohérence encore plus forte que celle qui caractérise L’EROUV, étant donné que le recueil autobiographique possède des qualités chronologiques et narratives aptes à produire un effet d’unité globale plus fort que celui de la simple série. Ceci dit, il faut reconnaître que le recueil Des histoires vraies autorise en même temps une perspective autre, une perspective qui met en évidence des effets de divergence et non pas seulement de convergence. Parmi les éléments censés aider le lecteur à élever le recueil au rang d’œuvre, l’on cite souvent le rôle unifiant du titre. Qu’en est-il alors, dans ce contexte, du titre de Calle ? Non seulement le titre Des histoires vraies souligne-t-il la pluralité, la discontinuité des éléments constitutifs du recueil, mais il nous encourage aussi à prendre en compte le caractère indéfini, voire aléatoire, du recueil. Pour apprécier la force fragmentale, déconstructive de ce titre, on n’a qu’à imaginer des titres comme Des nouvelles ou Des poèmes. En effet, ce que suggère Calle dans ce titre, c’est, pour reprendre les termes narratologiques de Paul Ricœur, qu’il y a dans ce livre une mise en valeur de la « dimension épisodique » au détriment de la « dimension configurante », c’est-à-dire au détriment du niveau narratif où s’effectue la mise en intrigue globale, la « synthèse temporelle de l’hétérogène » (1983a : 103 ; 1983b : 231). C’est donc la pluralité fragmentaire et indéfinie d’un certain nombre de micro-récits, ou de « narratules » (comme disait Lyotard), qui l’emporte finalement sur le grand récit. J’ajoute ici, pour confirmer la part d’incomplétude ou d’extensibilité qu’implique la revendication de l’indéfini, que Calle fit publier en 2002 une nouvelle édition augmentée de ce qu’elle appelle, toujours au pluriel, ses « autobiographies ». Nouvelle édition à laquelle correspond un nouveau titre, également augmenté, et dénotant de façon franche le fait de l’augmentation : Des histoires vraies + dix (2002). L’analyse comparative de ces deux éditions sera pour une autre fois, mais on ne manquera pas de signaler ici que, conforme à son statut de série fermée, le deuxième recueil du livre, Le Mari : 10 récits, ne bénéficie que d’un seul ajout partiel, à savoir une photo qui remplit le seul « trou » de la série originale.
10L’une des raisons pour lesquelles Des histoires vraies semble au premier coup d’œil accomplir mieux que L’EROUVune synthèse de l’hétérogène, c’est que, en tant qu’entreprise autobiographique, le recueil de 1994 se limite en principe à une seule source d’énonciation, là où les textes de L’EROUVs’avèrent être des hybrides, hybrides rendus finalement homogènes, mais ceci sans cacher l’altérité et la diversité de leurs origines. En effet, on peut vite conclure, et avec raison, que les textes des Histoires vraies sont tous de Calle. Et pourtant, à peine parvient-on à cette conclusion qu’il faut reconnaître que la même compétence « lecturale » relèvera, et tout aussi vite, un certain nombre d’infractions au principe d’homogénéité. Du côté des photos, par exemple, il y en a trois qui manquent (trous remplis dans l’édition de 2002). Également, il y en a au moins trois qui sont attribuables à d’autres : à savoir, les deux photos de Calle strip-teaseuse et celle du treizième diptyque, « Le cou », un polaroïd de Calle pris par un homme anonyme. « Je ne voulus pas que ce cliché finît en des mains étrangères, expliquet-elle dans le texte en regard, je demandai à le garder » (HV : 34). Elle hérite donc de cette photo, comme elle a hérité, souvent dans des circonstances traumatiques, de certains objets qui figurent dans les photos du recueil. Inventaire auquel il faut ajouter les photos d’objets offerts par Calle à d’autres, par exemple « La cravate », et, dans le tout dernier diptyque, « Le drap », drap brodé et offert en cadeau à Calle par sa grand-tante mourante, et que Calle finit par donner à un autre : « Je l’offris à mon ami Hervé, alors gravement malade, en souvenir de cette nuit, lointaine déjà, où il avait refusé de partager mon lit. Je l’invitai ainsi à dormir un peu avec moi. Et puis, j’aimais à croire qu’ayant été brodé par une femme devenue centenaire grâce à une volonté farouche, ce drap, auréolé de foi, lui transmettrait sa force » (HV : 40 — il s’agit bien sûr d’Hervé Guibert, mort du sida en 1991). Ainsi, la fin du recueil montre un sujet ténu, sujet figuré ici comme l’intermédiaire ou le lieu de passage d’une force qui n’est pas la sienne, recevant d’un côté, offrant de l’autre. L’anthropologie du don, telle que l’infléchit le travail photo-textuel de Calle, sert donc à mobiliser l’image d’un sujet relationnel, c’est-à-dire d’un sujet toujours ouvert et vulnérable à l’autre, toujours provisoirement situé, et qui, par conséquent, se prête mal à toute tâche visant une « synthèse de l’hétérogène ».
11D’ailleurs, l’hétérogène marque aussi le processus génétique de compilation et de composition de ce recueil, fait qui ne se laisse pas nécessairement remarquer à la surface du livre. Par exemple, le micro-récit du tout premier diptyque s’avère être la reprise, légèrement modifiée, d’un passage de La filature, projet réalisé en 1981, alors que la photo mise en regard est contemporaine du projet en cours (repris dans Calle, 1998a : 110-149). De même, les deux diptyques représentant Calle strip-teaseuse sont tirés d’un projet intitulé La fille du docteur, exposé et publié pendant les années 1980 (les 20 photos de la série complète sont reprises dans Le strip-tease (1998c : 19-45)). Et le diptyque « La cravate » fait partie d’une série photo-textuelle, La garde-robe, qui remonte elle aussi aux années 1980, mais qui ne fut publiée intégralement qu’après la parution de ces « histoires vraies », dans le grand recueil Doubles-jeux de 1998 (Calle, 1998b : 8-17).
12Ainsi, le processus d’assemblage de ces « histoires vraies » comporte un recours à des opérations de transfert ou de greffe. À la différence du recueil sériel, assemblage de matériaux issus directement et exclusivement du projet dont il dépend, le recueil décalé témoigne d’une poétique du recyclage et de l’augmentation, comme si Calle envisageait ses archives personnelles sous la forme d’un texte électronique, toujours grandissant, toujours disponible, toujours permutable : en somme, toujours « cliquable ». Couper, coller. Décontextualiser, recontextualiser. Évitant à la fois la synthèse de l’hétérogène et l’éclatement de l’homogène, la pratique du recueil chez Calle ne cesse d’actualiser un penchant, côté série, pour la mise en ordre (pratique de la structure fermée), et une manie persistante, côté collage, de la reprise (toujours re-cueillir) et du rajout (toujours accueillir)1.
Bibliographie
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Ouvrages cités
Calle, Sophie (1994), Des histoires vraies, Arles, Actes Sud.
Calle, Sophie (1996), L’EROUV de Jérusalem, Arles, Actes Sud.
Calle, Sophie ([1981] 1998a), La filature, dans À suivre …, livre IV de Doubles-jeux (coffret en sept volumes), Arles, Actes Sud, p. 110-149.
Calle, Sophie (1998b), La garde-robe, dans Les panoplies, livre III de Doubles-jeux, Arles, Actes Sud, p. 8-17.
Calle, Sophie (1998c), Le strip-tease, dans Les panoplies, livre III de Doubles-jeux, Arles, Actes Sud, p. 19-45.
Calle, Sophie (2002), Des histoires vraies + dix, Arles, Actes Sud.
Lugon, Olivier (2001), Le style documentaire : d’August Sander à Walker Evans 1920-1945, Paris, Éditions Macula.
10.7202/036599ar :Mélançon, Robert (1975), « Entretien avec Michel Butor », Études françaises, vol. XI, n° 1 (février), p. 67-92.
Ricœur, Paul (1983a), Temps et récit I, Paris, Seuil. (Coll. « L’ordre philosophique ».)
Ricœur, Paul (1983b), Temps et récit II : La configuration du temps dans le récit de fiction, Paris, Seuil. (Coll. « L’ordre philosophique ».)
Sloterkijk, Peter (2000), « L’utopie a perdu son innocence » (entretien), Magazine littéraire, n° 387 (mai), p. 54-57.
Notes de bas de page
1 Dorénavant, les renvois à cet ouvrage seront signalés par la seule mention HV suivie du numéro de la page.
Auteur
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