Résumés des articles
p. 341-346
Texte intégral
1Chantal Connochie-Bourgne
Miroir ou Image…Le choix d’un titre pour un texte didactique
2La métaphore du livre de la nature sous-tend le choix fait par certains clercs d’intituler leur texte, tant en latin qu’en français, Speculum/Miroirou Imago/Image. Un déplacement du centre d’intérêt semble ainsi s’opérer, de la nature considérée comme un livre dont le savant déchiffre les signes à la description qu’il en construit. Le livre devient un miroir dans lequel le lecteur peut apprendre à voir le monde et soi-même. Du choix du terme miroir à celui du terme image, un glissement est sensible : si le miroir peut désigner métaphoriquement le texte ou le clerc en train de façonner une image, l’image renvoie plus précisément au contenu du texte. Dans chacun de ces titres se manifestent deux attitudes différentes du clerc réfléchissant sur l’art de lire et dire le monde de la nature et partant de l’homme.
3Denis Hüe
Miroir de mort, miroir de vie, miroirs du monde
4Après enquête lexicale rapide sur les dimensions philosophiques et morales du terme sont envisagées des œuvres du xiiie au xve siècle ayant pour titre « miroir ». La dimension encyclopédique du mot apparaît dans le Speculum majus de Vincent comparé avec l’Image du Monde de Gossuin de Metz. Le Speculum apparaît comme un centon, un montage de citations. Le Miroir de Mort de Chastellain, œuvre lyrique du milieu du xve siècle, apparaît, au-delà de son discours personnel, comme une reprise de genres, de motifs, de structures existantes. Le Miroir de Molinet, lui, s’organise comme un contrepoint de l’œuvre de Chastellain. Le miroir réfléchit, ne serait-ce que par facettes, les textes, les savoirs et les genres antérieurs. La réécriture, au début du xvie siècle, de l’Image du Monde de Gossuin en un Miroir du Monde par François Buffereau, en fait la preuve : la réécriture souligne et éclaire l’emploi des sources et des citations, par des reprises textuelles et des mentions marginales : c’est peut-être un des traits distinctifs de ce que l’on pourrait appeler le « genre » miroir.
5Denis Hüe
Un Miroir des Dames à la Renaissance
6Au xvie siècle paraissent de nombreux ouvrages intitulés Miroirs, qui sont le plus souvent des reprises de textes plus anciens. Une œuvre fait exception, le Miroir des Dames d’Isambert de Saint-Léger, ouvrage offert à Marguerite de Navarre qui, s’il est effectivement une traduction du traité composé au xiiie siècle par Durand de Champagne, en est aussi la refonte. La traduction en français d’un ouvrage ancien renvoie à la modernité, tout comme les références au miroir comme objet d’un savoir technique. Mais, symétriquement, l’usage des autorités, l’utilisation d’un manuscrit sur parchemin, l’enluminure de dédicace nous renvoient à des modèles idéologiques anciens. La transition entre Moyen Âge et Temps modernes se dessine dans cette évolution du miroir, qui révèle l’évolution du livre autant que celle des mentalités.
7Stoyan Atanassov
Miroirs aux roses. Du Nom de la rose au Roman de la Rose : un parcours labyrinthique à travers le motif du miroir
8 Le Nom de la rose d’Umberto Eco, titre presque éponyme du Roman de la Rose, n’a apparemment rien à voir avec le poème allégorique de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun. Le best-seller de la postmodernité grouille de citations voilées ou explicites, mais ne laisse percevoir la moindre référence au Roman de la Rose . Pourtant si on lit la fiction d’Eco comme une initiation narrative à l’art du roman, on ne manquera pas de s’apercevoir de nombreux échos en provenance du Roman de la Rose . Pour les capter, nous avons emprunté un labyrinthe avec pour guide principal le motif du miroir.
9Hélène Bouget
Le Miroir de vie et de mort : une enluminure du Vrigiet de Solas
10Le Vrigiet de Solas est un manuscrit des xiie-xive siècles composé de dix-neuf enluminures centrées autour de la figure de l’arbre. C’est un ouvrage moral et didactique fondé sur la métaphore arborescente : le verger des plaisirs est celui de la connaissance et de la doctrine chrétienne, et l’arbre devient le support d’un enseignement. Mais le manuscrit reproduit également un Miroir de vie et de mort, variante de l’arbre des vices, qui dénonce l’orgueil, le péché capital. Le miroir possède une double fonction : de dénonciation, la principale, et d’avertissement, et s’oppose en cela à d’autres miroirs présents dans le manuscrit. Ces derniers surplombent une tour de sagesse, variante de l’arbre des vertus, et fonctionnent comme autant de modèles à l’usage des Grands de ce monde.
11Anne-Marie Legaré et Fabienne Pomel
Les miroirs du Pèlerinage de Vie humaine. Le texte et l’image
12Dans la trilogie construite sur une logique du miroir, le Pèlerinage de Vie humaine accorde dans le texte et ses enluminures une place importante au miroir. Au seuil du récit, le miroir où apparaît la Jérusalem céleste joue une fonction médiatrice et proleptique. Le miroir se fait l’emblème de la représentation indirecte, du livre ou de la cité céleste. Son mode d’insertion dans l’image varie. Repris sur le bourdon du pèlerin, il joue un rôle mémoriel et exemplaire, en liaison avec le Christ, mais se trouve rarement représenté, sauf dans le manuscrit de Genève ou les bois de l’édition Husz. Quant au miroir de Flatterie associé à l’écho et à la sirène, il incarne le leurre, à l’inverse du miroir de conscience proposé par Agiographe, qui reflète la véritable image de l’homme déformé par le péché. Ce nouvel épisode de la seconde rédaction décline de façon originale l’association du livre et du miroir.
13Mireille Séguy
« Ne pas me voir devant ses yeux ». Spécularité et identité dans leLivre de Caradoc
14Le Livre de Caradoc occupe une place singulière dans le récit où il s’insère (La Première Continuation), et plus largement dans la littérature arthurienne dont il prend la plupart des attendus à rebours. Le présent article tente de montrer que cette notion de singularité se trouve également au cœur de la diégèse, et plus précisément au cœur de la constitution identitaire d’un héros qui oscille entre défaut et excès de singularité. Les thématiques, les figures et les structures spéculaires que multiplie le récit apparaissent d’abord comme des chambres d’écho de cette problématique identitaire et fournissent des pistes pour en préciser le sens. Mais elles constituent aussi et peut-être surtout des moments de crise pour la machine narrative, dont le mouvement est menacé par le même danger que celui qui guette le héros de l’histoire : l’enlisement dans la duplication à l’identique. Les structures en miroir qu’accumule le récit manifestent dès lors la difficulté de l’entreprise consistant à « continuer » une tradition littéraire en voie de cristallisation, mais fournissent également l’occasion d’expérimenter les voies possibles de l’invention au sein de cette tradition.
15Christine Ferlampin-Acher
Alexandre et le miroir. Réflexions autour du mythe du conquérant dans le Roman d’Alexandre en prose
16Le Roman d’Alexandre en prose est une traduction du xiiie siècle de l’Historia de Preliis . À partir de réflexions centrées sur la geste d’Alexandre dans son ensemble, à la fois comme miroir de la nature, miroir de la morale, de l’histoire, voire de la science, comme générant de nombreux jeux de reflets entre auteur, lecteur et personnage, et suscitant, du fait de la translatio et en particulier de la traduction, de fréquents renvois spéculaires, on est amené, dans une deuxième partie à montrer que le héros du Roman d’Alexandre en prose est sans reflet, sans image, sans père, voire sans véritable fils, sans double, même divin ou monstrueux : si le miroir n’est guère présent comme objet, il peut métaphoriser efficacement et l’écriture romanesque et l’échec d’Alexandre.
17Stéphanie Vincent
Jeux de miroir dans deux récits gémellaires : Floris et Lyriopé (xiiiesiècle) etGillion de Trazegnies (xvesiècle)
18C’est à travers deux récits du Moyen Âge que nous verrons la problématique du miroir et de l’identité. Le premier, Floris et Lyriopé, est un roman en vers du xiiie siècle de Robert de Blois. C’est une réécriture originale du mythe de Narcisse selon Ovide, avec pour principal sujet la rencontre entre ses parents. Le second, Gillion de Trazegnies, roman anonyme en prose du xve siècle, est une variante du thème du « mari aux deux femmes » agrémentée de celui des jumeaux. On est face, avec ces romans, à deux types de gémellité. Les jumeaux Floris et Florie sont tellement semblables qu’ils échangent leurs identités, alors que les jumeaux de Trazegnies ont des caractères bien distincts. Il y a aussi une spécularité entre les parents et les enfants, et cela introduit les notions d’hérédité et de fatalité. En outre, la structure narrative de chacun de nos récits est un véritable jeu de reflets : des épisodes se font écho ou fonctionnent comme miroirs proleptiques, trompeurs ou non, d’une partie du récit. Mais à travers les personnages en miroir, se joue surtout la question de l’identité : l’identité sexuelle, notamment entre les « triplés », Floris, Florie et Lyriopé, et l’identité lignagère, détruite par Narcisse, ou édifiée par les jumeaux de Trazegnies.
19Bruno Roy
Archéologie de l’amour courtois : note sur les miroirs d’ivoire
20Les miroirs d’ivoire à motifs sculptés, que certains musées conservent en plusieurs exemplaires, nous permettent de reconstituer un aspect de la « culture matérielle » engendrée par l’idéologie courtoise. Le catalogue de R. Koechlin (1924) les a classés en plusieurs catégories, sans toutefois dégager la « syntaxe » qui lie entre eux les motifs sculptés illustrant les étapes de la relation amoureuse. Cette Note propose, comme clé de lecture, les scènes com une couronne de fleurs tressée par l’amant et l’amie, et en arrive à la conclusion que ces scènes érotiques représentent une synthèse originale de deux façons de voir l’amour : l’amour idéalisé de la lyrique courtoise et l’art d’aimer ovidien, d’inspiration plus réaliste.
21Michèle Gally
Le miroir mis en abyme.
Les Échecs amoureux et la réécriture du Roman de la Rose
22Les Échecs amoureux composés à la fin du xive siècle sont une réécriture inventive du Roman de la Rose, entre aventure amoureuse à la Guillaume de Lorris et explication du monde à la Jean de Meun. La substitution d’une partie d’échecs entre le narrateur/amant et une dame à la fontaine de Narcisse et la découverte des rosiers, entraîne des changements importants d’ordre poétique et métaphorique. Le jeu d’échecs ne renvoie pas à la même représentation du monde que le miroir des eaux, le mythe de Narcisse tend à s’effacer au profit d’une vue directe et d’un affrontement. Cependant, comme si le discours amoureux ne pouvait quitter le mythe, le miroir fait retour au cœur de la partie, porté par un des pions en lequel se reflète l’échiquier dont la beauté fascine le joueur.
23Julia Drobinsky
Effets de miroir dans La Fontaine amoureuse de Guillaume de Machaut :
texte et iconographie
24Dans La Fontaine amoureuse de Guillaume de Machaut, alors même que l’objet-miroir n’a de présence que métaphorique, les effets spéculaires se multiplient tant dans le dédoublement des personnages (le poète et le prince échangent leurs fonctions dans le processus de création littéraire) que dans la structure générale de l’œuvre. Celle-ci s’organise en effet en deux grands ensembles dont chacun est subdivisé en deux sous-parties. Ces quatre épisodes, où alternent états de demi-sommeil et de songe diurne, entretiennent entre eux de nombreux rapports de reflets inversés et d’échos. Sur une échelle plus réduite, l’analyse détaillée de l’épisode majeur qu’est le songe révèle qu’un principe de symétrie complexe régit l’organisation des niveaux énonciatifs superposés : autour du pivot central que constitue la série des récits mythologiques, les passages d’un niveau à l’autre peuvent se lire comme les pendants les uns des autres. Cette construction symétrique se retrouve dans l’iconographie du dit. Les cinq miniatures qui illustrent la séquence du songe dans les BnF ms. fr. 1584 et BnF ms. fr. 22545 jouent sur l’inversion des positions corporelles des dormeurs, comme pour refléter la mise en abyme textuelle en isolant la séquence, par des signes visuels forts, du reste du cycle iconique. Pourtant, le reflet est ici déformé : les images se cantonnent dans un seul des trois niveaux énonciatifs emboîtés, ne rendant que partiellement compte du texte. Il reste que, sous-tendue par la spécularité visuelle, la séquence iconique se prête à une lecture autonome, sans le recours au texte.
25Fabienne Pomel
Du miroir-mire de l’amant à l’écrivain miroitier. Les trompe-l’œil de l’imagination dans L’Espinette amoureuse et Le Joli Buisson de Jonece de Froissart
26Dans L’Espinette amoureuseet Le Joli Buisson de Jonece de Froissart, le miroir est intimement lié à la mémoire et au songe, qui autorise pour l’amant une réalisation compensatoire et fantasmatique du désir de présence de la dame. Le miroir est remède à la séparation, mais illusoire voire fatal. Le miroir imageant et parlant métaphorise ainsi la faculté d’imagination amoureuse et littéraire et la mise en scène de l’objet renvoie à la mécanique de l’invention, placée sous le signe du narcissisme. C’est l’écrivain lui-même qui investit la figure du miroitier comme pourvoyeur d’illusions avec le pseudo-mythe de Papirus et Ydorée ou comme maître des jeux spéculaires et de l’intertextualité. Le miroir, alliance de plaisir et de manque, de présence et d’absence, ne renvoie-t-il pas au miroir d’Oiseuse de l’écrivain ?
27Véronique Dominguez
Marie-Madeleine au miroir.
L’édification au spectacle dans le Mystère de la Passion de Jehan Michel (1486)
28L’article veut dégager le paradoxe d’un système dramatique où l’exemplarité, thème important du Miroir littéraire, n’est pas première. Contre-exemple sans faille dans le péché, Marie-Madeleine est « miroir exemplaire » dans la conversion. Qu’en fait la Passion d’Angers, par rapport aux Miroirs de son époque – dont le Miroir de Bonne Vie de Jean Gerson ? Devant sa psyché, la courtisane de Jehan Michel amende sa beauté pour séduire le spectateur. En cela, elle donne l’exemple à Jésus, qui, resplendissant, charme le public de ses sermons. Imiter Marie-Madeleine au théâtre, c’est, pour l’acteur, construire son apparence afin d’exister comme personnage ; et c’est, pour le spectateur, lui accorder l’existence en appréciant sa beauté. L’imiter en chrétien, c’est récuser son péché, et trouver dans sa conversion un modèle. Ici, point d’actor, comme chez Gerson, pour commenter le personnage en moraliste. Une mimesis où la beauté, condition d’existence du personnage, précède son interprétation : telle est l’originalité du Miroir formé par le théâtre édifiant.
29Christine Ferlampin-Acher
Perceforest et ses miroirs aux alouettes
30Dans Perceforest, qui pose les conquêtes d’Alexandre le Grand en préhistoire de la Bretagne arthurienne, la vue joue un rôle essentiel, la civilisation progressive et la Révélation s’affirmant comme passage de l’aveuglement à la lumière. Dans cette vaste somme, le miroir est surtout associé au trouble visuel et au reflet incertain. Si l’ambivalence inhérente au miroir médiéval se retrouve dans les deux miroirs du Temple du Dieu Inconnu, dans le livre V, deux épisodes, construits spéculairement, jouent sur le miroir comme source d’illusions en relation avec le désir, qu’il s’agisse d’un véritable miroir ou d’une fontaine miroitante, le motif de la deception spéculaire liée au désir mortifère se retrouvant dans la Beste Glatissant . Le miroir, qui, dans son ambivalence et son rapport à l’illusion participe à l’écriture du merveilleux, est peut-être l’indice d’une maturation de la conscience romanesque, qui tend de plus en plus à s’assumer comme fiction, et non comme simple reflet.
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