Chapitre 2. Judith la Sainte
p. 51-77
Texte intégral
1Figée telle qu’en elle-même, Judith la Juive devient très tôt Judith la sainte. En effet, le pur symbole qu’est son nom l’arrache à elle-même pour en faire un signe : du destin d’Israël et de la volonté de Dieu. Elle s’abolit donc en tant que sujet, puisqu’elle n’existe plus que comme effet de la transcendance. De ce fait, la concupiscence qu’elle peut susciter (de la part d’Holopherne) ne compte pas : créature vouée à son créateur, elle ne connaît de désir qu’au service de la Loi. Mandatée par Dieu pour accomplir sa mission, Judith se trouve ainsi dans une étrange situation : présente au monde, mais absente à elle-même. Ève avait provoqué la Chute ; Judith vient racheter la longue théorie des femmes fatales par qui la catastrophe est advenue. Tentatrice, mais au nom de l’Éternel, elle donne à voir l’étrange cheminement qu’adopte parfois la volonté divine pour infléchir le cours de l’Histoire.
Exégèses
2C’est bien dans cette direction allégorique que vont la plupart des commentaires. Dans une première approche, on pourrait s’attendre à ce que les lectures religieuses restent au plus près du texte et que les réécritures littéraires, elles, accèdent à une forme d’autonomie — un peu comme la tête d’Holopherne se détache du corps pour se retrouver sur le créneau. En réalité, les choses sont plus nuancées. Parmi les innombrables commentaires auxquels s’adonnent les exégètes chrétiens1, un certain nombre appréhende le texte dans sa littéralité. Mais il en est d’autres qui, cédant au goût de l’allégorisation, ne cessent de voir en Judith une préfigure, de sorte que sa vérité est alors hors d’elle-même, puisqu’un regard prospectif la désigne comme représentation anticipée de la Vierge et de l’Église.
3Vouée au sublime, Judith constitue alors « le prototype canonique de la virginité militante2 ». Ayant partagé la table, mais non la couche, sortie « de chez Holopherne aussi intacte qu’elle y était entrée3 », elle figure le triomphe du Bien sur le Mal, de la pureté sur la concupiscence. Indifférent au détail du texte, Prudence inaugure la voie des lectures moralisantes. Dans la Psychomachie4, on voit en effet Chasteté (Virgo Pudicitia ) affronter Luxure, fille de Sodome (Sodomita Libido ) : une épée à la main, Chasteté l’emporte, « appuie son glaive sur la gorge [de Luxure] et l’en transperce », tandis que la « courtisane vomit des vapeurs brûlantes, qui s’élèvent d’un sang fangeux ». Or, par sa dimension éthique et eschatologique, ce combat conduit à son terme un autre combat, « historique » celui-là, dont il constitue le dévoilement : au moment de la victoire, Chasteté rappelle ainsi que Judith, qui méprisa « la couche ornée de pierres précieuses du chef débauché, et réprim [a] à coups d’épée sa folie impudique », a « préfiguré » l’époque actuelle, « où la force véritable est descendue dans les corps terrestres pour trancher une tête puissante par les mains de serviteurs faibles » (I, 58-70). Ainsi, tout comme Holopherne vaincu par Judith, Luxure est réduite à l’impuissance par Marie (I, 88). Le Mal vaincu, Chasteté peut alors laver « dans les eaux du Jourdain son glaive infecté », afin d’en éliminer le sang corrompu.
4Judith, la chaste purificatrice, se lit donc naturellement comme une préfigure de la Vierge. Très tôt, saint Bonaventure explique que Judith décapitant Holopherne (« Judith decollavit Holofernem hostem filiorum Israel ») annonce la Vierge coupant la tête du démon (« Maria superavit hostem nostram diabolum5 »). Quelques siècles plus tard, Rutebeuf, dans le « Dit des propriétés de Notre Dame », reprend le parallèle quand il s’adresse à la Vierge à travers une série d’anaphores telles que :
Tu iez Hester qui s’umelie,
Tu iez Judit qui biau se pere, […]
Et Olofernes le compere.6
5Il n’y a donc rien d’étonnant à retrouver dans le Paradis de La Divine Comédie l’héroïne de Béthulie près de Marie, aux côtés d’autres Juives (Paradis, XXXII). En même temps qu’elle se libère de ses attaches textuelles, Judith s’arrache donc à la judéité pour rejoindre l’Église. C’est en ce sens que dans ses Postilles, éditées à plusieurs reprises au XVIe siècle, Nicolas de Lyre relit le mythe :
Judith, per quam significatur Ecclesia[…]. Et Holofernem occidit Judith, id est Ecclesia […]. Per Holofernem significatur Haeresiarcha .7
6Tout est donc prêt pour que la Béthulienne acquière dans le monde catholique un surcroît de légitimité, dès lors que le concile de Trente rappelle son appartenance au canon, pour répondre à son exclusion par les Réformés.
7Dans La Course à l’abîme, Dominique Fernandez pastiche d’ailleurs avec talent ce goût de l’annexion, quand tel Monsignore se livre, face à la Judith du Caravage, à une véritable démonstration :
Il soutint pour finir qu’au-delà de son exceptionnelle vérité historique, son tableau valait par la puissance de l’allégorie. La Judith […] n’était pas seulement la libération d’Israël : il voyait en elle la personnification de l’Église. Holopherne, lui, à l’autre bout de l’échelle, incarnait le Démon.8
8Cette lecture allégorique de Judith ne s’achève pas avec la modernité. Léon Bloy ou Paul Claudel reprendront à leur façon le principe de libre annexion, qui conduit à percevoir l’objet à la lumière de sa propre attente. Ainsi, dans Le Symbolisme de l’apparition , Léon Bloy revient sans cesse sur Judith qu’il met, lui aussi, en regard de la Vierge, dans le droit fil de l’Église catholique quand elle « chante que Marie est une “armée rangée en bataille, un habitat terrible, une Judith invaincue, une tour fortifiée et inexpugnable”9 ». La dimension symbolique de Judith fait à ce point partie d’un horizon de culture que Léon Bloy, à l’appui de son propos, peut citer Barbey d’Aurevilly dont un personnage déclare :
Il y a plus beau que de rapporter dans le sac de cuir de Judith la tête coupée d’Holopherne : c’est de rapporter à l’Église une tête vivante qu’on arrache aux ténèbres et qu’on replace dans la lumière et dans la vérité.10
9Dans cette perspective, Judith préfigure la victoire à venir sur l’Ennemi, c’està-dire la venue du Christ. D’où ce face à face étonnant de Judith et du Christ, que Léon Bloy surimpose au face à face avec Holopherne. Par une inversion — qui serait scandaleuse chez tout autre que Bloy —, le Christ en croix devant les Saintes Femmes peut se comparer à une autre scène : « Il était désormais seul à seule et face à face avec Judith, comme un Holopherne cloué dans le lit de sa perdition11 ». C’est que, précise Léon Bloy, le symbolisme de l’Écriture, « infini », autorise toutes les relectures. De ce fait, Béthulie, épisode en apparence secondaire, annonce en réalité le moment essentiel de la Passion :
Dans cette sublime histoire de Judith qui est au point de vue prophétique l’une des pages les plus vivantes de l’histoire de la Sainte-Vierge, Holopherne, le chef très fort, représente à la fois l’antique ennemi des hommes et Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Or Béthulie meurt de soif, à cause du voisinage d’Holopherne. Le texte est si fort que la soif et Holopherne ne font plus qu’un dans l’imagination ou dans la pensée, et c’est précisément ce qui arrive pour notre Sauveur, aussi bien dans la fatigue du puits de Jacob que dans les suffocations de Son supplice. Sa soif divine marche perpétuellement devant Lui comme pour incendier les peuples et voilà que tout le monde prend soif quand Il demande à boire. Il y aurait un livre à faire sur le prodigieux symbolisme de la Soif dans l’Écriture. À toute page de l’Ancien Testament, quelqu’un boit ou demande à boire. Tout le monde y meurt de soif. Et cette soif, comme tout dans l’Écriture, regarde figurativement Jésus ou Marie. Lorsque Judith, splendidement ornée, se tient debout devant la face de cet Holopherne au cœur blessé qu’elle fera mourir tout à l’heure, et qu’elle est sur le point de boire ce vin mystérieux de l’allégresse qui lui a été préparé, elle chante le Magnificat de la délivrance prochaine de son peuple, mourant de soif. Marie chante le Sien, Elle voit prophétiquement Sa Station sur le Calvaire devant la Face Sacrée du véritable Holopherne égorgé par Elle et le vin dont Elle s’y enivre, c’est le vin infiniment capiteux de ses relevailles spirituelles, quand cette Ève accomplie réalise enfin l’antique promesse d’enfanter tous les hommes dans l’inénarrable douleur.12
10Arraché à lui-même, le texte accède à une sur-signification, chaque élément matériel (la soif…) débouchant sur une vérité symbolique. Le plus étonnant touche donc à l’aisance avec laquelle des interprétations de ce type relisent le personnage d’Holopherne. Alors qu’il figurait le Mal absolu, voilà que, par un étrange renversement, il en vient à préfigurer le Christ lui-même, comme si la littérature exégétique subissait la même fascination pour Holopherne que la littérature profane, ainsi qu’on le voit dans cette page de Dieu vivant :
Beth. — À mon sens, Holopherne représente non seulement Dieu, mais plus précisément la troisième hypostase divine. Il tient les cœurs en réserve et l’eau représente toujours le Saint-Esprit de l’Écriture. [...] Pour que soit étanchée la soif à Béthulie, il faudra que Judith tranche la tête du détenteur des eaux et la rapporte en triomphe dans la ville […].
Aleph. — On peut discerner dans le livre de Judith un ordre grandiose. Nous avons vu dans Holopherne Dieu ennemi du genre humain en tant que pécheur : c’est le Père. Les eaux, symbole du Saint-Esprit, ont été ramenées à Béthulie par la mort d’Holopherne qui figure la mort de la Deuxième Personne. L’arrivée de la tête d’Holopherne dans Béthulie, c’est le Christ apportant le Paraclet.13
11À ce dernier exemple, on comprend que la modernité n’a pas le privilège des lectures plurielles : quoi que raconte le texte, la signification véritable est arrêtée d’avance, puisque chaque événement de l’Histoire fait retentir un propos connu depuis toujours.
Heureux comme Dieu en France
12En comparaison de ces « réécritures » exégétiques, les premières réécritures littéraires semblent timides. On sait que le mythe de Judith commence à inspirer des textes à partir du Xe siècle avec un poème anglo-saxon, Judith, dont il reste les trois cent cinquante derniers vers, en vieil anglais14. On y voit les fêtes données au camp des Assyriens, le meurtre, le retour à Béthulie, la bataille, et la louange à Dieu. Quant aux textes qui suivent, ils affichent la même fidélité au modèle, que ce soit L’Ancienne Judith, « ballade » du XIIe siècle en franco-rhénan, ou La Nouvelle Judith, poème didactique composé vers 1140 dans lequel le récit est précédé d’un long exposé sur la protection accordée par Dieu à ceux qui croient en lui.
13Même quand la scène s’empare du motif, l’écart reste insignifiant par rapport au texte biblique. Le théâtre devient assez vite, pour le mythe, un lieu privilégié et ce dès la fin du XVe siècle quand Jean Molinet compose Le Mystère de Judith et Holofernés15, première partie du Mistere du Viel Testament, mystère très particulier où « la vraie religion est la religion juive16 » et où on ne voit ni Dieu, ni les anges, ni le Diable, pas plus que le Paradis ou l’Enfer. Les contraintes dramatiques imposent sans doute certains infléchissements, mais à ces détails près Le Mystère de Judith et Holofernés serre au plus près le texte de la Bible, dont il constitue le plus souvent une « translation », parfois une traduction, et, dans un cas, une citation directe17. Sur le mode allégorique, la première partie de la pièce développe longuement l’approche des Assyriens et met en parallèle trois villes différentes correspondant à trois attitudes différentes face à la menace : la défense désespérée (Esdrelon), la capitulation honteuse (Mésopotamie, ici comprise comme le nom d’une ville), et la résistance victorieuse (Béthulie). Plus intéressant sans doute est le changement de ton. Il faudra surmonter plusieurs siècles de dignité tragique pour retrouver, chez certains modernes, un tel sens du comique au sein même du sacré : dès le début, les généraux de Nabuchodonosor apparaissent comme des soldats fanfarons, les soldats Turelututu et Granche-Vuyde comme des personnages craintifs et paillards puisque pour eux Judith vaut par sa façon de « bien porter lance en l’arrest » (v. 2262) ; quant à Vagao, pourtant moins naïf, il a sans le savoir le mot pour rire quand il suggère à Judith de faire, pendant la nuit, « ung beau petit Holofernés » (v. 2130) — conseil qu’elle suit à la lettre, en le décapitant.
14Chez les modernes, pareille tonalité servirait à un détournement. Ici, au contraire, la truculence va de pair avec l’orthodoxie. Ainsi, Nabuchodonosor affirme d’emblée sa prétention à être adoré comme un dieu, et c’est donc en terme de croyance que doit se lire un conflit temporel. S’il y a guerre, c’est bien parce que les Hébreux refusent d’adorer la « pourtraicture et ymaige » (v. 1014) du roi. Dans ces conditions, le choix est bien entre la mort et l’« idolâtrie », terme obsédant dans la bouche des Juifs (« Vuydez, vuydez, faulx idolatres ! », v. 780 ; « Idolastres pires que chiens », v. 538). Peu importent donc les facéties d’un Turelututu : le combat qui se joue à Béthulie engage le salut du monde.
15Mais la fidélité au modèle est avant tout perceptible dans la figure de l’héroïne. Comme il en ira pendant plusieurs siècles, Judith est bien ici la main de Dieu (« J’ay faict l’executoire,/Executant la divine justice. », v. 2273-74), puisqu’elle permet d’échapper à une soumission terrestre par abandon au Tout-Puissant (« A mercy il nous convient mettre/Et submettre/Au Dieu d’Israël, nostre maistre », v. 636-38). En cela, Judith va donc continuer l’action du Tout-puissant, car le monde a besoin d’être sans cesse sauvé de l’anéantissement. Le geste de Judith peut donc se lire comme une recréation qui, une nouvelle fois, arrache l’univers au chaos. De ce fait, la question du meurtre ne fait pas dilemme. Même si Judith prend à un moment des accents cornéliens (« Le tueras-tu ? Ha ! Non feray ! », v. 2215), il n’y a pas de vrai débat : ce qu’elle doit faire, « Dieu le veult » (v. 2119).
16Or, dans une perspective chrétienne, ce mouvement de l’Histoire constitue l’Ancien Testament en passage obligé, mais qu’il convient de franchir afin d’accéder au terme véritable. C’est là une des ambiguïtés des Judith d’Ancien Régime, que l’on retrouve ici. Dans ce texte médiéval, les Hébreux suscitent la sympathie, mais au fond parce qu’ils sont bien peu israélites, à l’image de Judith qu’Eliachin loue d’être « si ferme et catholique » (v. 2418). Elle que la Bible nous montre infléchissant les événements subit de plein fouet les aléas de l’Histoire. « Catholique » en 1500, dans un mystère, Judith se retrouve « protestante » en 1574, dans la tragédie biblique de Du Bartas18. Les conflits religieux du XVIe siècle donnent en effet à Judith une dimension nouvelle. Tandis que les protestants retirent Judith de leur canon et rejettent le culte marial, la Contre-Réforme, elle, remet à l’honneur la justicière de Béthulie et la Vierge, dont elle est une préfigure. Ceci explique la faveur nouvelle dont Judith bénéficie dans la peinture du XVIe siècle et surtout dans les premières décennies du XVIIe. Comme l’écrit Annie Mavrakis :
après que, grâce au tableau magistral du Caravage, les ressources du sujet eurent été pleinement perçues, quelques peintres importants, comme Véronèse ou Le Tintoret, reçurent commande de Judiths. Puis la production, d’abord limitée, s’étendit : certes les œuvres ne correspondent que partiellement à des contenus « contre-réformistes », l’effet de mode ayant certainement joué [...] ; mais ces Judiths ont le point commun d’être majoritairement des représentations « en contexte »19.
17Des Judith « en contexte », c’est-à-dire en train de décapiter Holopherne ou de rapporter la tête coupée. Retrouvant toute sa pertinence, Judith s’éloigne alors de sa dangereuse jumelle, Salomé, qui l’avaient peu à peu contaminée20.
18Mais tandis que l’Église catholique se réapproprie l’héroïne — au plan théologique et iconographique —, les Protestants se reconnaissent en celle qui illustre le refus de toute compromission, avec, à la clef, la victoire du faible sur le fort, des vrais croyants contre les idolâtres, de la foi contre le « monde ». Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Judith se retrouve si souvent dans la littérature réformée, de Du Bartas à B. G. (de Genève), en passant par d’Aubigné, pour qui la France contemporaine se comprend à l’aune de Béthulie21.
19L’identification est aisée, en effet, entre les Protestants menacés et les Hébreux assiégés. Dans les deux cas, une petite communauté se perçoit comme dépositaire de la vraie foi, face à une multitude idolâtre. Et alors que « dans la Bible, Holopherne ne sait guère qu’il est l’ennemi de Dieu », « dans La Judit, il devient un Nemrod ou un géant montant à l’assaut du Ciel22 ». Et c’est bien la disproportion des forces qui rend l’histoire exemplaire. Plus que toute autre version, La Judit de Du Bartas illustre la puissance de Dieu, seul véritable « auteur », à même de s’affranchir des lois naturelles qu’il a lui-même instaurées (l’épouse stérile qui devient féconde, la pluie qui tombe d’un ciel sans nuages, etc.), et de sauver la créature (la pièce rappelle la conversion de Paul et le rachat du bon larron).
20Dans La Judit de Du Bartas, Holopherne est assurément un « payen », qui invoque la Sibylle (II, 412), Neptune, Jupiter (III, 182) et prétend instaurer un culte nouveau (« Avons-nous autre dieu que le grand roy des roys ? », II, 419). Mais cela seul entraîne-t-il sa perte ? Il est certain que le Dieu d’Israël peut :
D’un souffle renverser tous les roys de la terre
Qui osent comme [lui] lui faire ouverte guerre (II, 385-387)
21rappelle Amon à Holopherne. Mais il ne suffit pas de s’afficher comme victime pour mériter le salut. Encore faut-il la conscience de son indignité et la foi en une clémence imméritée. Alors que les Hébreux déplorent l’injustice de leur sort, Judith, elle, reconnaît que :
[…] nos énormes vices
Devrayent estre punis de plus apres supplices (I, 159-160)
22et que si Dieu choisit de sauver Israël, c’est en souvenir de
[…] l’authentique accord
Avec Abram passé […] (I, 161-162).
23L’Histoire ne relève donc pas de l’anthropologie mais de la théologie. Les nombreux rappels du passé, comme ces références à Samson (II, 299-300), Ahod (III, 428-429) ou Jahel (III, 439-442), n’ont pas seulement valeur d’exemples : il s’agit d’attester une alliance et donc de relire l’Histoire comme preuve concrète d’une présence. Dans cette perspective, le réel compte pour peu :
La victoire ne gist au bon cœur des gendarmes,
Au nombre des chevaux, au tranchant fil des armes :
Ce ne sont qu’instruments dont l’Eternel se sert
Pour coronner les bons d’un laurier toujours vert. (I, 313-316)
24Peu importe alors que tout l’univers se soit « conjuré pour destruire/Et leur race et leur nom », il « ne leur a peu rien nuire » (II, 351-352) tant qu’a été maintenue l’Alliance ; et au contraire, « ils ont este ployés/Sous le barbare joug » « aussi tost qu’ils se sont devoyés/Du sentier du Seigneur » (II, 353-354). La vraie faute, et au fond la seule, touche donc à l’oubli ; du coup, Judith est avant tout une figure de la mémoire, c’est-à-dire de la présence. Chez elle, la vertu se décline d’ailleurs au quotidien puisque les actes les plus humbles participent du sacré (tisser, mais des scènes de l’Écriture ; chanter, mais les louanges de Dieu). Chaque instant scelle donc à nouveau l’Alliance, en une création continue. Comme le souligne André Baïche, il n’est pas ici de « période indifférente » : « le repos, loin de nous donner l’occasion de rompre provisoirement notre chaîne, peut maintenir cette tension religieuse ». C’est que « nos mœurs ne sont […] point indifférentes : non qu’elles suffisent à assurer en nous la venue de Dieu, mais elles créent l’atmosphère propice à sa présence23 ».
25L’intérêt de la pièce tient justement à cet équilibre entre les deux ordres. Cette figure de la foi qu’est Judith reste pleinement humaine, par sa fragilité, ses doutes, sa crainte de ne pas savoir/pouvoir répondre à l’attente. Jusqu’au dernier moment, des soupçons la traversent : peut-on profaner les lois de l’hospitalité en tuant son hôte (VI, 108-110) ? s’affranchir de toute règle en tuant un prince (VI, 114-115) ? Du coup, seule la foi est à même de résoudre le dilemme de la fin et des moyens. On sait comme les exégètes ont achoppé sur ce point. Or, la Judith de Du Bartas, modèle de piété, accepte au nom du plus grand Bien le recours à la ruse et à la séduction. Comme la beauté est un don de Dieu, le piège constitue l’accomplissement d’un projet divin :
Fay, fay donc, ô bon Dieu que ses charmés espris
Dans les tours annelés de mes cheveux soyent pris ;
Fay que mes doux regards servent d’autant de fleches
Pour faire dans son cœur mile amoureuses breches ;
Fay que ce peu de grace et ce peu de beauté
Que tu m’as departy trompe sa cruauté ;
Fay que de mes propos le flatteur artifice
Surprenne de ses laz sa renarde malice. (IV, 21-28)
26En accordant ainsi la lettre du texte et les principes de l’éthique, en nous donnant à voir une héroïne en harmonie avec elle-même, indifférente à tout autre sentiment que la foi, La Judit de Du Bartas procède ainsi à une épuration, morale et esthétique, à rebours de ce qui se produit au long des deux siècles à venir.
27Tout au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les réécritures de Judith subissent en effet une tension. Nul problème à célébrer la toute-puissance de Dieu ; mais comment intégrer à l’esthétique classique un récit qui heurte à ce point la sensibilité et ignore l’art de l’intrigue ? Tandis que la peinture privilégie volontiers l’horreur de la décollation (Le Caravage…), la scène « classique » interdit de représentation un motif de ce genre. De là un jeu de caché-montré destiné à suggérer l’horreur sans la donner à voir. Mais une autre contrainte menace, presque plus redoutable : chez un Molinet ou un Du Bartas, l’action conserve sa linéarité biblique. Or, pareille absence de ressort dramatique n’est bientôt plus de mise, de sorte que des « péripéties » viennent souvent brouiller le motif principal. Péripéties d’autant plus vaines que la puissance de Dieu confère une sorte d’inanité aux artifices humains.
28En ce sens, la pièce qui se joue le mieux de ce conflit est à coup sûr la Célinde (1629) de Baro, grâce aux libertés qu’accorde l’esthétique baroque. Désignée comme un « poème héroïque », cette tragi-comédie reste dans l’histoire littéraire en tant que premier exemple, sur la scène française, de théâtre dans le théâtre. Une pièce première, romanesque, raconte les amours contrariées de Célinde et Lucidor, pour qui leurs parents ont d’autres projets. Célinde va devoir ainsi épouser Floridan, mais tout bascule le jour des noces quand les jeunes gens interprètent une pièce, Holopherne, désignée comme une « tragédie ». Face à Floridan-Holopherne, Célinde-Judith pousse le jeu à sa dernière extrémité. Au lieu de simuler, elle frappe Floridan-Holopherne d’un vrai coup de poignard, pense l’avoir tué et proclame alors qu’elle est l’épouse de Lucidor. Après de multiples péripéties (Floridan n’est que blessé, etc.), l’amour finit par triompher, puisque nous sommes ici dans l’univers du drame, donc aussi du roman.
29Par son caractère duel, la pièce peut ainsi tenir deux discours antinomiques et servir deux esthétiques. Au sein de la tragi-comédie (en prose), une tragédie (en vers) célèbre la puissance de la foi. Comme dans la Bible, il s’agit là de se défendre
Des coups injurieux d’un barbare qui veut
Nous rendre à son exemple Idolatres s’il peut (III),
30et là aussi Dieu a tout pouvoir puisque :
[...] ses moindres mouvements
Feroient d’autres Soleils et d’autres Eléments. (III)
31Nous voilà près de la Vulgate. Sauf que tout ceci n’est que « feinte » puisque le propos apparent dissimule une parole secrète. Et nous reviendrons dans un développement ultérieur sur cette étrange pièce, première à rompre tout lien avec le religieux et à laisser libre cours à l’expression du désir.
32Mais si ce double jeu est aisé dans une œuvre dialogique, il en va autrement quand il faut concilier les contraintes esthétiques et l’orthodoxie religieuse. À un niveau moral et théologique, les Judith des XVIIe et XVIIIe siècles semblent audessus de tout soupçon. C’est ce qu’écrit l’abbé Boyer dans la Préface de sa Judith :
Toutes les histoires peuvent-elles fournir rien de plus élevé et de plus propre pour la grande tragédie que l’histoire de Judith ? n’y voit-on pas le merveilleux et le pathétique dans toute sa force ? […] Où peut-on trouver une plus violente opposition d’intérêts et de devoirs, et un plus grand contraste de sentiments et de passions ?24
33À une époque où les dieux commencent à se retirer du monde et où une distance se creuse peu à peu entre la terre et le Ciel, les Judith procèdent à un rappel à l’ordre. Figure de la résistance à l’invasion des païens, Judith peut figurer aussi bien la résistance à l’irruption des idées nouvelles. C’est que contrairement à un discours humaniste, l’homme, ici, n’est pas la mesure de toute chose puisque sa vérité est hors de lui. L’héroïne de l’abbé Boyer le dit bien :
Mon mérite, Ozias, est tout dans ma faiblesse,
Quand la main du Très-haut relève ma bassesse,
C’est par lui, c’est pour lui que je sens dans mon cœur
Se former un projet si nouveau, si terrible…
Mais au Maître du Monde, il n’est rien d’impossible. (I, 3)
34Le salut ne réside donc pas dans la tekné, dans les « arts », mais dans la foi, au point que se pose la question de l’homme et de sa nécessité :
Pour le [i . e .Holopherne] faire périr, pour en purger la terre,
Le Ciel, le juste Ciel n’a-t-il pas son tonnerre ? (ibid., III, 8)
35En ce sens, le propos de Judith prend à contre-pied un projet d’affranchissement, puisqu’elle invite à résister tout autant à l’hybris d’Holopherne qu’à l’impiété en chacun des cœurs ; puisque le salut ne peut venir de quelque « mouvement » extérieur (les combats, les ruses…) mais du seul « mouvement » intérieur :
Présentons au Très-haut un humble sacrifice,
Les cœurs humiliés désarment sa justice
Hébreux, brisons nos cœurs, et non nos vêtements.
Pleurons, non pas nos maux, mais nos égarements !25
36En un siècle où les nouvelles idoles se multiplient, Judith propose donc au croyant de faire retour sur lui-même, et d’affronter les séductions du monde.
37La menace que constitue, pour une communauté, l’irruption de nouvelles croyances, prend d’ailleurs avec le XVIIIe siècle un retentissement nouveau. C’est ce qui explique, peut-être, le goût pour ces scènes d’idolâtrie, en accord avec le sens du spectacle propre à la tragédie du temps. Dans l’imaginaire collectif, Holopherne est bien le païen, c’est-à-dire celui qui restaure le culte des idoles. Et le théâtre, qui participe lui-même du culte des images, doit tirer parti de semblables scènes. On voit tout ceci, par exemple, dans Béthulie délivrée (1772) de Paul Duhamel où le débat est bien théologique. Holopherne est là au nom du « Dieu des Dieux », son roi, dont il veut faire adorer la représentation : tout comme Judith se considère comme l’instrument de son Dieu, Holopherne n’agit lui-même qu’au nom d’une volonté supérieure. Demandant qu’on apporte « la statue d’or » de Nabuchodonosor, il ordonne alors à chacun de faire acte d’allégeance :
[…] Que tout à moi s’unisse
Pour adorer ce Dieu, que tout genou fléchisse. (III, 3)
38Mais tandis que tous s’inclinent, Osias et Eliacin « demeurent debout », refusant les nouvelles idoles, tandis qu’Eliacin s’écrie : « Nabuchodonosor est homme, et quoique Roi,/Devant le Créateur, il est semblable à moi » (III, 3).
39Contrairement à la Bible, où l’héroïne use d’un double langage de façon à capter la confiance au prix du plus petit mensonge, l’héroïne de Paul Duhamel avance à visage découvert : comme Eliacin et Ozias risquent la mort, elle s’adresse à Holopherne, réclamant la même peine puisqu’elle refuse tout autant qu’eux les pratiques idolâtres :
Je n’adorerai point Nabuchodonosor
Et je foule à mes pieds son simulacre d’or. (III, 4)
40Sur quoi elle renverse la statue. Le veau d’or n’est plus debout ; après avoir quitté l’Égypte, cette caverne aux images, et son Pharaon-dieu, les Hébreux échappent donc une seconde fois à cette « Égypte intérieure » qu’est l’idolâtrie26.
L’homme sans Dieu
41Mais très tôt apparaissent des textes dans lesquels le combat ne se joue pas vraiment entre deux religions. Voir en Holopherne-Nabuchodonosor les représentants du paganisme, c’est encore faire d’eux les hérauts d’une forme de sacralité. Or, l’enjeu va peu à peu se déplacer au cours du XVIIIe siècle à mesure que, dans certaines pièces, l’affrontement entre Judith et Holopherne oppose « l’homme avec Dieu » à « l’homme sans Dieu », c’est-à-dire l’homme qui prétend constituer son principe suffisant. C’est le cas dans la Judith de B. G., protestant genevois qui signe de ses initiales, dont l’Holopherne possède l’outrecuidance de l’homme affranchi de la Loi. Tandis qu’Achior tente de lui inspirer la crainte du Créateur, Holopherne affiche sa démesure :
L’effroi qui te saisit, le trouble qui t’alarme,
N’inspire point la crainte inconnue à mon âme,
D’un lâche comme toi, que la terreur abat,
Je rejette un avis que ma gloire combat.
Quand du sobre avenir je verrais l’interprète
M’annoncer le danger, me montrer la tempête,
Cet avis menaçant ne saurait m’alarmer.
Il y va de ma gloire, ainsi que de ta vie,
De ranger sous le joug la fière Béthulie27.
42On le voit dans ce propos : le combat n’est pas vraiment entre deux religions, car il touche au fondement même du religieux. À travers un lexique cornélien, Holopherne pousse à son comble un projet de maîtrise. Ce que le héros ne supporte plus, c’est la notion même de limite, puisque toute limite, si minime soitelle, réduit à rien son pouvoir. Dotée ici de positivité, la démesure est donc revendiquée comme idéal à atteindre. Face à cela, Judith, figure de la Loi, invite à la « mesure », c’est-à-dire au respect d’une frontière ; face à un projet de « possession », Judith, elle, rappelle à la conscience la nécessité d’une « dépossession » :
Notre culte épuré de toute idolâtrie
Est le premier des biens préférable à la vie ;
Et, fermes dans la foi, les fidèle Hébreux
Ont pour les autres dieux un dédain généreux. (B. G., Judith)
43Ce même débat entre prétention de l’homme à se soustraire à la Loi et foi en la toute-puissance divine réapparaît dans la Judith (1763) de M. L ***, où Holopherne se rebelle devant toute limite :
Aux arrêts de leur Dieu, faut-il que j’obéisse ? (II, 1)
44tandis qu’Amnon l’invite à l’humilité :
Cherchons des ennemis que nous puissions abattre.
Dans tout autre climat je suis prêt à combattre.
Quand je vois contre nous un Dieu se déclarer,
Je ne peux que fléchir, je ne dois qu’adorer. (II, 1)
45Comme annoncé, la fable va donner à voir la toute-puissance de Dieu. Quand Judith se rend au camp des ennemis, sous le coup d’une inspiration, elle ignore la volonté de l’Éternel mais elle sait qu’Il lui parlera le moment venu.
46Contrairement à d’autres versions, où le projet précède l’acte, la Judith de M. L.*** procède, elle, d’un abandon absolu :
Quels seront les secours de la bonté divine ?
Quel est le châtiment qu’au Tyran Dieu destine ?
Par un nuage épais, voîle mystérieux,
Ce grand événement se dérobe à mes yeux. (III, 1)
47Cet abandon sublime réduit ainsi à la part congrue l’autonomie du sujet. On le voit à la façon dont Judith écarte les scrupules moraux qui, quelquefois, retardent son acte. Tandis que Misael28 la met en garde contre un pareil moyen, l’héroïne en appelle à la volonté de l’Éternel dont elle est le bras armé :
Des volontés du Ciel instrument glorieux,
Perdre nos ennemis, affranchir les Hébreux,
Immoler un Tyran, n’est point être perfide
Dans ce hardi dessein, Dieu m’éclaire et me guide. […]
Du Très-haut courroucé, quand la main nous accable,
La foudre qui le sert devient-elle coupable ? (III, 2)
48Dans cette perpective, l’acte n’est rien en soi, car seule l’intention le définit. Libre de toute inquiétude, la conscience en paix, Judith peut alors immoler Holopherne.
Complications
49Dès lors que Dieu constitue le véritable « auteur » de la pièce, le dénouement est joué d’avance. Quand Judith suspend la décision des Anciens et s’en va dans le camp, c’est assurée que la Foi seule entraînera son triomphe. Pareille perspective fonde en principe une esthétique du dépouillement puisqu’il n’y a pas place, ici, pour les péripéties dramatiques. Voilà qui ne poserait aucun problème aux écrivains modernes, sensibles à l’harmonie entre les codes esthétiques et la vision du monde qu’ils impliquent : il faut en effet choisir entre les procédés du théâtre d’intrigue, qui implique pour le sujet une possibilité d’agir sur son destin, et une forme de providentialisme, qui annule toute possibilité pour l’homme de renverser le cours de l’Histoire. En effet, dès lors que le centre se situe hors-scène, les « inventions » dramatiques se trouvent privées d’efficience.
50Or, à ce dénuement esthétique, qu’impliquerait en principe la dimension théologique, les auteurs de l’Ancien Régime ne peuvent se résoudre. Les codes théâtraux imposent leurs contraintes, comme l’avoue ingénument B. G. dans l’« Avertissement de l’auteur » qui accompagne sa Judith :
Le sujet de cette tragédie est tiré du livre de Judith. Et si je me suis écarté dans mon plan de la lettre de l’Histoire, surtout dans le dénouement de la catastrophe, c’est pour m’accorder au goût du théâtre français, qui ne veut que du naturel dans l’action avec les ornements que l’imagination peut lui prêter29.
51Or B. G. a beau être un protestant genevois, son esthétique n’a rien de calviniste, par la réécriture très libre qu’il propose. Tout se passe comme si, dans l’entre-deux de la menace (Béthulie assiégée) et du salut (Holopherne décapité et son armée défaite), l’auteur disposait de la liberté la plus grande : ainsi, chez B. G., le grand-prêtre avertit Holopherne qu’il lui faut immoler Judith s’il veut l’emporter ; Holopherne, pris au piège, offre alors aux Hébreux de les gracier s’ils convainquent Judith de l’épouser. Or non seulement Judith refuse — ce à quoi l’on s’attendait —, mais — ce à quoi l’on s’attendait moins — elle révèle à Holopherne son projet véritable, auquel elle a renoncé tant il est épouvantable :
Seigneur ce n’est pas tout,
Il n’est plus temps de feindre, écoutez jusqu’au bout.
De ma bouche apprenez de quoi j’étais capable
Vous ignorez encor combien je suis coupable.
Tremblez ! J’avais conçu le barbare dessein
De porter par l’amour la mort en votre sein. (V, 5)
52Dans certaines pièces du XXe siècle, il arrive qu’Holopherne connaisse très tôt le projet de Judith et qu’il continue malgré tout le jeu de la séduction et de la mort, comme chez Bernstein : le schéma dramatique continue ainsi de respecter la lettre, mais en subvertissant le sens. Il en va autrement sous l’Ancien Régime. Avec pareil aveu, B. G. se trouve contraint de modifier le dénouement : comme sa Judith se trouve conduite à l’échafaud, il faut qu’Achior et des soldats la libèrent… Sans aller aussi loin, les autres dramaturges rivalisent d’inventivité. L’abbé Boyer (Judith, 1695) imagine que Misael, « amant » de Judith, se rend au camp ennemi et que, fait prisonnier, il croit que l’héroïne trahit, alors même qu’elle fait tout pour lui sauver la vie ; Lacoste (Judith, 1763) accorde à l’héroïne un frère ignoré, avec reconnaissance dans le camp d’Holopherne ; Poncy de Neuville (Judith, 1726) la dote, lui, d’une rivale jalouse qui soulève le peuple contre elle, mais aussi d’une fille adoptive, gardée en otage jusqu’au retour de l’héroïne ; selon Paul Duhamel (Béthulie délivrée, 1772), un « amant » éconduit de Judith souhaite livrer la cité assiégée à Holopherne avec, pour prix de sa traîtrise, l’héroïne elle-même, mais voilà qu’Holopherne, devenu fou d’amour, dénonce ce marché, de sorte que Judith, au beau milieu du camp, est prise au piège entre ses deux « amants » — au sens classique du terme, bien entendu.
53On le voit, le mythe de Judith se trouve contaminé par les dérives du théâtre au XVIIIe siècle, peu à peu gagné par des motifs romanesques, ouvert de plus en plus au pathos, à mesure que se modifie l’horizon d’attente. Mais il en va de Judith comme des héros grecs : peut-être cette hybridité esthétique reflète-t-elle au fond un vacillement de la vision du monde. Le mythe de Judith suppose, entre le sacré et le profane, à la fois un partage des territoires et une réelle proximité ; il exige que la vérité de l’homme se situe hors de l’homme et que l’Histoire ne découle pas de la volonté (la mètis, la tekné…) mais seulement de la foi. En ce sens, le mythe prend à contre-pied l’idéologie des Lumières, si bien que le conflit, à cette époque, entre une éthique tragique et une esthétique romanesque apparaît comme une « formation de compromis ».
Christ et Antéchrist
54L’équivoque prend fin avec la Révolution française, comme bien d’autres choses. Le motif de la décollation acquiert alors une actualité nouvelle, tout comme se trouve soudain exalté, avec une force oubliée depuis longtemps, le thème de l’héroïsme sacrificiel. Le schème narratif garde donc sa prégnance, au point qu’il existe une version étonnante de Judith, cette Charlotte Corday ou la Judith moderne, sur laquelle nous reviendrons dans l’étude de la dimension politique. Mais dans les premières décennies du XIXe siècle s’achève le temps de la tragédie classique, païenne ou sacrée. C’est donc à travers une esthétique nouvelle que le mythe reprend vie, ou plutôt se diffracte. Au cours de ce siècle, on assiste en effet à un écartèlement : un peu comme il en est allé d’Holopherne, le motif se sépare de lui-même à mesure que l’horizon religieux s’éloigne et que le thème acquiert une existence propre.
55Cette autonomisation du motif est lisible dans la peinture, qui procède à une « découpe ». Voilà longtemps, déjà, que les peintres connaissent Judith, mais les tableaux anciens étaient en principe au service du texte, respecté dans sa lettre et dans son esprit. Or, à mesure que le substrat théologique s’effrite, le mythe retrouve une légitimité en se dotant de résonances nouvelles — ou bien en laissant apparaître en clair ce qui était jusque-là murmuré. Nous reviendrons longuement sur l’émotion de Stendhal, Hebbel ou Flaubert face à telle Judith ; retenons seulement que le succès du motif constitue un indice ambigu, et que si Judith « revient », au XIXe siècle, c’est surtout pour de « mauvaises » raisons. Mais en contrepoint, avec le retour d’une inquiétude spirituelle oubliée des Lumières, on voit le personnage envahir la littérature religieuse, débarrassée cette fois des afféteries de la tragédie néo-classique.
56Ainsi, le motif se dédouble, à mesure que deux lectures parallèles se mettent en place, érotique et théologique, les textes se situant sur un versant unique ou préférant au contraire jouer de l’entre-deux.
57Le retour des lectures allégoriques à la fin du XIXe siècle peut donc se comprendre comme la réponse à une menace, et la volonté d’arracher le motif aux dérives dont il est l’objet. Si un Léon Bloy, comme on l’a vu, choisit, dans Le Symbolisme de l’apparition, de relire le texte à la seule lumière de la Foi, c’est sans doute qu’au même moment, la littérature fin-de-siècle est en train de faire de Judith une jumelle de Salomé. Tandis qu’un Jean Lorrain voit en Judith une figure du désir, Léon Bloy, lui, relit l’épisode de Béthulie comme récit anticipé de la Passion. Alors que la Bible insistait sur les contraintes physiques qui ponctuent le siège (la soif des assiégés) et alors que les contemporains redonnent au corps la primauté qu’il avait perdue, Léon Bloy ne cesse d’abolir les pesanteurs de la chair. Ici, la soif n’existe donc pas comme telle, puisque Béthulie assoiffée devient symbole christique, Léon Bloy percevant le Sauveur comme animé d’une « soif divine » venue « incendier les peuples ». En retour, Judith ignore les dangers de la séduction, qui occupèrent une telle place au long des siècles. « Splendidement parée », « debout devant la face de cet Holopherne qu’elle fera mourir tout à l’heure », elle « est sur le point de boire le vin mystérieux de l’allégresse qui lui a été préparé » : en répandant le sang elle va délivrer son peuple de la soif, puisque l’assassinat d’Holopherne constitue une représentation anticipée de la Cène. Où Flaubert voyait une Salammbô, Léon Bloy, lui, perçoit en Judith la préfigure de Marie, cette « Judith du Ciel », qui veut que « tout Son peuple ait soif comme Elle pour le désaltérer, non plus du sang des troupeaux, mais de tout le sang d’Holopherne égorgé par Elle30 ». Dans ce système d’échos, tout se répond ; et de même que Judith préfigure classiquement la Vierge, Holopherne en vient, selon Léon Bloy, à annoncer par sa mort sanglante le sacrifice suprême de la Passion. Par un renversement absolu des signes, le Christ et l’Antéchrist se répondent, puisque Marie voit « prophétiquement » la station qu’elle connaîtra sur le Calvaire « devant la Face Sacrée du véritable Holopherne31 », cet « Holopherne » venu sauver le monde par son sang.
58Il faut attendre Claudel, et l’occasion d’un débat avec Jean Giraudoux, pour que le mythe, retrouvant une dernière fois sa dimension sacrée, suscite à la fois le scandale et l’espérance. Dans l’entre-deux-guerres, la cause de Judith commence à être entendue : au fil des réécritures, la Juive de Béthulie n’a cessé de s’éloigner du canon et de prendre une allure de plus en plus inquiétante ; de là sans doute cet effort ultime, chez les tenants de l’orthodoxie, pour l’arracher à ses démons, comme si, par un renversement des rôles, c’est elle qui était maintenant assiégée, et elle qu’il fallait délivrer.
59Alors que la fin-de-siècle semblait avoir définitivement « liquidé » la dimension transcendante et réduit Judith à la seule question du désir, certaines lectures reprennent, sur le tard, le dialogue avec l’invisible dont le texte est porteur. Mais au XXe siècle, ce dialogue change de nature, ou plutôt il reprend en des termes nouveaux une interrogation ancienne. On a vu de quelle façon l’affrontement de Judith et d’Holopherne a été perçu, traditionnellement, comme le combat de deux religions et de deux visions du monde. Curieusement, le XXe siècle redécouvre cette approche, mais au prix d’un renversement complet suscité par la fascination toute moderne — et littéraire — pour le « paganisme » et la primitivité. Les Judith de Bernstein32 et de Giraudoux33, si proches par bien des aspects, ont ceci de scandaleux qu’elles brouillent les repères et remettent en cause le partage établi du « Bien » et du « Mal ».
60Ainsi, Bernstein ouvre sa pièce en sacrifiant aux idées reçues, puisque chez lui comme dans la Bible, l’ennemi apparaît comme le Mal absolu :
L’armée de Nabuchodonosor est un monstre comme le Monde n’en enfantera plus. Ce qui grouille là-bas vient de la terre entière. Jusqu’au pays de la soie, le généralissime a fait recruter des guerriers jaunes qui lui coûtent leur pesant d’or. (I, 3
61Et comme dans la Bible, un affrontement collectif se transforme en duel. C’est alors que le texte prend visage nouveau. Quand, à l’acte I, Judith « interpelle » un Holopherne qu’elle n’a encore jamais vu, elle imagine que derrière le général redouté se cache un homme, et qui vit dans l’angoisse :
Et toi, Sinistre, comment es-tu ? (un silence). Un peu grand ?… As-tu jamais su que tu es seul ? Connais-tu une autre solitude que celle du chef et du conquérant ? Es-tu, le soir, désespéré ?… Dis, Toute-puissance ! As-tu déjà cligné aux astres à travers les larmes ? (I, 5)
62Par ce changement de plan, le débat quitte le terrain politique ou historique pour l’ordre existentiel. Holopherne n’est plus ici une image de la démesure, mais de l’humanité réduite à sa finitude.
63Comme pour remédier à cette angoisse latente, le camp d’Holopherne se prépare à célébrer la grande fête de Zakmoukou, c’est-à-dire « l’orgie sacrée », « la fête de la Fécondité », qui tombe comme par hasard le jour même où expire le délai des cinq jours… Ce jour-là, un dieu doit triompher. Un dieu-homme ou un dieu-femme, avec ce que cela implique dans l’imaginaire : si Iahvé l’emporte, Béthulie est sauvée et la Loi, restaurée ; si c’est Ichtaar, « mère des caresses », alors le monde peut changer de face. Sacrifiant à un goût d’époque pour la restitution « archéologique », Bernstein renouvelle le motif ancien du grand combat en posant, face à l’Éternel, non pas Nabuchodonosor-dieu, ce double dégradé, mais Ichtaar, déesse du désir, son autre absolu. Dionysiaque, Ichtaar « a régné sur toutes les putains », rappelle Sisarioch, général assyrien :
Elle est pas commode, la Majesté Ichtaar - Tammouz, l’amant de sa jeunesse, elle l’a détruit par la sauvagerie de ses baisers ! Et l’Oiseau… l’Oiseau Petit-Berger le Bariolé, elle l’aima longtemps ! Et, un jour, elle brisa son aile. (II, Tableau II, 2)
64Divinité dévorante, la « grande déesse », qui conjugue ainsi Éros et Thanatos, n’est donc pas la garante de la Loi, mais le lieu de toutes les transgressions. On mesure l’enjeu du combat : pour Judith, tuer Holopherne, c’est conjurer le spectre du chaos et restaurer le principe d’ordre. Mais en même temps, cette victoire de la Loi sur le Désir a ceci d’ambigu que Judith, par son acte, se rapproche d’Ichtaar. La déesse, on l’a vu, incarne une primauté du féminin sur le masculin, puisqu’elle finit par briser ceux qui l’ont désirée. Or, quand Judith met à mort Holopherne, au terme d’un échange équivoque sur lequel nous reviendrons, elle devient l’une de ces divinités féminines terrifiantes (Méduse…) qui hantent l’imaginaire. Et le texte est si trouble que la Judith de Bernstein donne l’impression de tuer Holopherne pour conjurer sa propre tentation, pour ne pas « passer à l’ennemi », c’est-à-dire dans le camp d’Ichtaar. Ambiguïté d’autant plus remarquable de la part d’un auteur israélite, dont on aurait pu attendre, justement, une sympathie sans équivoque pour l’héroïne.
65Avec une intensité nouvelle, c’est un même combat et une même équivoque que met en scène la Judith (1931) de Giraudoux qui, sur bien des points, emprunte à Bernstein. On sait le goût qui est le sien pour les réécritures : comme à son habitude, Jean Giraudoux reprend le mythe, mais à sa façon, c’est-à-dire en toute liberté. Ainsi, sa Judith, « élue » par la rumeur publique, doit supporter une attente, un peu comme dans Amphitryon 38 Alcmène, l’« élue » de Jupiter, doit se conformer à une demande collective. Judith, elle, résiste, car elle ne voit aucun signe, ni n’entend Dieu l’appeler. Voilà donc une héroïne qui refuse d’abord le « passage de l’humain au héros » (I, 2)34, puis qui, au moment d’accepter l’inéluctable, reproche à Dieu de la déposséder en lui retirant l’initiative :
Pourquoi Dieu a-t-il voulu m’enlever mon mérite en me comblant de gloire ? Ce Dieu, qui a toute l’éternité pour lui, s’amuse à m’enlever mes effets […]. (I, 8)
66C’est que, dans son « orgueil de jeune fille », elle avait « cru Dieu plus modeste » :
Je savais bien que l’idée était de lui. Lui a cru qu’elle était de moi. Il se venge ! (I, 8)
67Par ses contradictions mêmes, pareille phrase pointe ce qu’a de contradictoire une Judith qui se défie de Dieu, refuse d’endosser un rôle qu’elle n’a pas choisi, mais à d’autres moments se dit assurée de son « élection », puisque « le nom de Jéhovah a la chance de commencer par la même lettre » (I, 6). Si elle se rend au camp d’Holopherne, c’est en fait « prête à braver, pour mieux leur obéir, toutes les lois de Dieu » (I, 8).
68Judith joue ainsi de la transgression et de l’obéissance, à la fois soumise et révoltée, bien décidée à sauvegarder un territoire qui lui soit propre. Il faut ici admettre que Dieu s’occupe « de l’ensemble », mais qu’il néglige un peu le « détail », si bien qu’il laisse, par cet écart, la créature libre d’accomplir sa mission tout en servant ses « propres penchants, et les plus bas » (II, 6). Par cette dissociation radicale de la fin et des moyens, Judith creuse une fissure au sein de l’acte même qui devait sceller l’alliance. Avec cette réversibilité propre au sacré, elle en vient même à se percevoir comme une victime de Dieu, « souillée » par Lui dans l’instant où Il l’a regardée (II, 8), comme si cette élection avait mis fin à son intégrité. Pareille ambiguïté rend Judith particulièrement vulnérable. Or, tandis que les Juifs voient le général ennemi comme un véritable « minotaure » (II, 6), l’Holopherne de Giraudoux apparaît comme le représentant d’un paganisme innocent. En une inversion des signes, la figure du Mal devient ici l’image d’un bonheur édénique. Alors que le judaïsme a précipité l’homme dans l’univers du mal et de la faute, Holopherne, lui, croit en la possibilité d’un accord avec le monde, mais à condition de tenir à l’écart les dieux. On connaît le goût qu’a Jean Giraudoux pour le motif du « refuge » (l’île de Suzanne…), c’est-à-dire pour tout ce qui rappelle le microcosme de Bellac. De cette métaphore obsédante, Holopherne propose une version originale puisque sa tente, selon lui, constitue une « clairière », un « îlot », « un des rares coins humains vraiment libres », c’està-dire un endroit où « il n’y a pas de Dieu » :
Les dieux infestent notre pauvre univers, Judith. De la Grèce aux Indes, du Nord au Sud, pas de pays où ils ne pullulent chacun avec ses vices, avec ses odeurs… […]. Mais il est encore quelques endroits qui leur sont interdits ; seul je sais les voir. Ils subsistent, sur la plaine ou la montagne, comme des taches de paradis terrestres. (II, 4)
69Selon la Bible, Holopherne se contentait d’imposer le culte de Nabuchodonosor. De ce fait, on en restait au religieux, puisqu’un Holopherne Antéchrist participait, en un sens, du même monde que Judith. Jean Giraudoux, ce faux modéré, va ici très loin, en confrontant Judith à un dilemme inédit. Choisir le camp de Dieu, c’est, selon Holopherne, se condamner au malheur d’exister, c’est-à-dire se condamner à une existence vouée à la culpabilité et au repentir ; prendre le parti d’Holopherne, le païen, c’est accéder à une plénitude innocente, c’est vivre joyeusement la « mort de Dieu », et donc échapper à tout sentiment de déréliction.
70On connaissait depuis déjà longtemps le pouvoir de séduction d’Holopherne ; l’intérêt de la pièce est que cette séduction excède, et de loin, l’ordre érotique. On comprend alors la défaillance de Judith devant le Tentateur, défaillance dont on ne sait si elle est réelle ou imaginaire puisque la pièce joue jusqu’au bout de l’ambiguïté. À un premier niveau, tout indique que Judith cède à Holopherne :
Et il la prit… Et jamais il n’avait été aussi fort, et elle était si comblée de lui qu’il ne restait en elle aucune place, même pour Dieu… (III, 5)
71L’acte sexuel scelle ainsi un pacte, un renversement des alliances : en se donnant à Holopherne — si elle se donne —, Judith quitte définitivement Israël, et passe dans l’autre camp : c’en est alors fini de Judith la sainte. Mais on ne saura jamais en fait quel est le statut de cette scène, vécue comme « réelle » alors qu’elle relève peut-être du fantasme. Tout se passe comme si Judith, se dédoublant35, n’avait offert qu’un simulacre : une image d’elle aurait donc cédé, alors même que Dieu préservait son intégrité.
72Judith se retrouve ainsi écrasée par un rôle auquel elle n’adhère qu’à contrecour, sans qu’on sache d’ailleurs très bien à quel moment elle « joue ». Assurément, elle ne joue pas quand elle célèbre Holopherne, cet « ennemi de Dieu » qui seul a été « noble et bon » (III, 6) avec elle, et pas plus quand elle crie sa haine de l’Éternel, qui prend « hypocritement » « à son compte » un geste accompli en réalité « au nom d’un autre Dieu que lui » (III, 6). Mais peu à peu, les signes se multiplient qui suggèrent en réalité une présence constante de Dieu à ses côtés : elle comprend alors que sans cesse les « puissances divines » étaient là — préservant son corps, pesant sur son poignard —, qu’elle est donc bien l’« élue » et qu’il ne lui reste plus qu’à jouer son vrai rôle, qui a été écrit pour elle et l’attend.
73Par cette relecture troublante, Jean Giraudoux aura réussi à respecter la lettre tout en subvertissant l’esprit. À l’image d’un monde moderne en proie au doute, sa Judith vacille ; héroïne malgré elle, incertaine quant à la pièce qu’elle a interprétée, elle capitule finalement devant un ennemi plus redoutable qu’Holopherne, contrainte de se ranger au discours général et de se conformer à une attente. Victorieuse et dépossédée. À l’inverse, Holopherne apparaît moins comme le conquérant du monde que comme l’expression d’une nostalgie — celle qu’on éprouve pour les îles vierges et pour un monde d’avant la faute. Sa défaite est donc une défaite pour l’humanité entière, et la victoire de Béthulie une répétition de la Chute.
74Pour les tenants de l’orthodoxie, le scandale est ainsi double : à une virginité douteuse répond une foi problématique. Devant pareille profanation, on comprend l’exaspération d’un Claudel et le débat qui s’en suivit. Quand la Judith de Giraudoux est créée, Claudel est alors ambassadeur de France à Washington :
C’est le 19 novembre [1931] qu’il apprend, en lisant Le Temps, à quelle sauce Giraudoux, son précieux collègue du quai d’Orsay, venait d’assaisonner l’histoire biblique. Il écrit aussitôt à Darius Milhaud : cette pièce, dit-il, ajoute « le blasphème à la malpropreté. Judith est une des plus hautes et pures figures d’Israël et l’Église la vénère comme une prophétie vivante de la Sainte Vierge. Je ne la laisserai pas insulter par un misérable sans protester. »36
75En guise de réponse, Paul Claudel compose alors sa propre version du mythe, après avoir relu et annoté l’épisode dans la Vulgate37. Rédigée à la fin de 1931, mais publiée seulement en 193538, cette « Judith » vise à faire réentendre la Vraie Parole. Il y a quelque chose d’un Béthulien assiégé dans la réaction de Claudel face à l’assaut innombrable, comme on le voit dans ces propos à Darius Milhaud :
Pour venger la pure et sublime figure de Judith, je viens de terminer un assez long poème que j’enverrai probablement aux Nouvelles littéraires . Judith est la fleur de la Sagesse de Dieu, que les mystiques juifs appellent Shekinah. La petite ville assiégée sur la montagne, c’est la forteresse où tiennent bon tous les croyants au Dieu d’Israël. Nabuchodonosor et Holopherne, c’est l’énorme vadrouille matérialiste au milieu de laquelle nous pataugeons. L’arme de Judith c’est la bonté et la charité, comme l’indiquent deux versets saisissants de l’admirable texte. La tête d’Holopherne, c’est le butin périodique que l’Église prélève sur les hérétiques, en séparant du corps ce qui l’animait.39
76En une relecture à la fois littérale et allégorique, Paul Claudel fait ainsi de Béthulie le « grand théâtre du monde », du « monstrueux Holopherne » le « Prince » venu « nous réduire une fois de plus », et de Judith « la Femme revêtue de soleil », destinée à arracher l’univers aux ténèbres. Tout imprégné du texte biblique, le poète entre en « sympathie » (« Nous sommes assiégés tous ensemble dans la ville qui est appelée Béthulie ») puisque ce combat, sans cesse recommencé, est celui même que mène Claudel contre les Holopherne de la modernité. Quand la menace est innombrable, l’homme seul ne peut répondre : le poème dit assez, face à la tentation de la désespérance, ce que l’héroïsme de Judith doit à son élection (« Tout cela est accepté et repris par Judith par la grâce qui outrepasse la nature/Une colombe invisible est dans ses yeux et de ses lèvres s’échappe un souffle vermeil »). Face à l’Ennemi se dresse ainsi la « Charité », la « Sagesse de Dieu », puisque tel est le nom que (se) donne Judith quand elle arrive au camp d’Holopherne. Usant, comme la Bible elle-même, d’ambiguïtés lexicales, le texte met en scène un Holopherne qui, face à cette femme, en vient à « perdre la tête », boit pour que le vin « parachève une dissolution », désire que s’opère une « explication liquide », jusqu’au moment où Judith procède à la mise à mort, aidée d’« un Ange puissant ». Alors, la « bête immonde » « rend l’âme dans un flot de matière à demi digérée ».
77Cette reprise de la Vulgate s’accompagne alors d’une « moralité », dans le goût allégorique. Judith revenant dans Béthulie « rapport [e] une tête de plus dans son sac qu’elle destine au Musée des hérésies ». Holopherne devient ainsi l’image — provisoire — d’une menace bien présente, à laquelle de nouvelles Judith doivent sans cesse répondre. Le nom d’Holopherne est en effet légion : évoquant rapidement Nestorius et Calvin, Claudel arrive aux temps modernes, à ces Holophernes beaucoup plus redoutables que sont Darwin, Renan, Nietzsche et « autres croquemitaines ». Ainsi, Claudel perçoit un reflet idéal de lui-même dans cette femme qui s’en revient à Béthulie en agitant « comme une lanterne,/Arrachée aux épaules de Joseph Prud’homme et de Luther, la tête monstrueuse d’Holopherne ! ».
78Son texte achevé, Claudel-Judith espère alors avoir triomphé d’un Giraudoux-Holopherne et refondé Béthulie (ou du moins une Béthulie catholique...). Il ne sait pas, quand paraît « Judith », qu’au même moment Leiris commence à écrire L’Âge d’homme, se contemplant au miroir d’Holopherne. C’est que, dans les années trente, les Judith prolifèrent — et se contredisent. Nous reviendrons sur Michel Leiris, qui arrache définitivement Judith au sacré pour en faire une pure image du désir. Mais l’étrange est que, simultanément, Henri Ghéon entreprend à son tour de réécrire le mythe à travers une pièce40 qui peut se lire, au plan « idéologique », comme un équivalent dramatique du poème de Claudel. À quelques détails près — Hazael amoureux de l’héroïne —, cette pièce procède de la Bible : Béthulie et Nabuchodonosor-Holopherne sont bien là, et cet affrontement met bien face à face deux conceptions du sacré. Tout au long du Prologue retentit la parole de Nabuchodonosor : « Je serai Dieu ! ». La reddition des villes devant l’armée ne constitue donc pas une fin en soi. Si Holopherne « ras [e] les bois sacrés » et « déracin [e] leurs dieux », c’est afin que « le monde n’[ait] qu’un seul maître,/un seul roi, un seul Dieu :/Nabuchodonosor » (Prologue). Comme dans la tradition, ce rêve d’une humanité enfin « réconciliée », par sacralisation d’un homme, rencontre soudain une limite, ces Hébreux qui, eux, révèrent le « vrai Dieu ». Conquérir Béthulie constitue donc bien pour Nabuchodonosor le parachèvement d’un projet, puisque cela revient à s’emparer définitivement du Sacré ; à l’inverse, tout renoncement équivaut à une capitulation absolue, puisqu’à se vouloir Dieu, on se condamne à l’illimité. La puissance toute humaine de l’image — la statue qu’il faut adorer — se heurte soudain à une puissance redoutable dans son invisibilité même. Ainsi que l’explique Achior, ce « Dieu d’un seul peuple » ne ressemble à aucun autre car « on ne le voit pas » :
En vain le chercherais-tu dans son temple,
Il n’a ni membres, ni visages, ni armure, ni glaive.41
79Nabuchodonosor a beau affirmer : « Ce Javeh ne me fait pas peur42 », le combat est inégal entre l’invincibilité des puissances invisibles et la vulnérabilité de la chair.
80La pièce de Henri Ghéon illustre au fond l’inanité du « monde » face à la toute-puissance de la foi. Qu’importe que Béthulie soit assoiffée, puisqu’« une larme de plus peut faire pencher la balance », « cette larme qu’attend Jahveh » (I, 8). Les « ruses » ne servent donc de rien si elles ne procèdent de la croyance, ainsi que le dit Judith aux habitants de Béthulie :
Je veux que vos soupirs, vos invocations, vos adjurations,
Témoins de votre foi autant que de votre misère
[…]
Soulèvent Jahveh de son trône d’ombre
Et […]
Détendent sur nous et déploient l’arc-en-ciel de sa pitié. (I, 8)
81D’ailleurs, c’est bien de Dieu lui-même que Judith reçoit son mandat, quand « la voix de Jahveh, très lointaine », se fait entendre, ordonnant à l’héroïne de se parer (« Tu onduleras tes cheveux et tu parfumeras ton corps », II, 5), de séduire (« Je t’ai gardée belle pour que tu charmes », II, 5), et enfin de sévir (« Je te ferai forte pour que tu frappes », II, 5).
82Par cette double causalité, Judith devient ainsi une nouvelle Ève puisqu’elle est « l’amorce… l’appât… » et qu’elle « tend le fruit » (II, 7), mais une Ève protégée par des Anges. Soutenue de la sorte, Judith ne devrait faillir. Or, un scrupule la tourmente, au moment de tuer : est-on bien sûr qu’à sa façon Holopherne ne cherche pas Dieu ? Et dans ce cas, pourquoi ne pas le convertir (IV, 5) ? Rien d’érotique, donc, — du moins au niveau explicite —, dans cette pitié pour l’ennemi mais cela suffit à faire surgir « l’Ange de la violence meurtrière, le glaive levé43 », pour donner le signal. Au moment où tant de Judith renoncent à leur mission, ou bien la pervertissent, l’héroïne de Ghéon, elle, l’infléchit : si elle s’abandonne aux puissances célestes qui agissent à travers elle (« Je suis prête. Frappez ! », fin de l’acte IV), elle s’unit à Holopherne par la prière :
Ayez pitié de son âme, Dieu implacable !
Et de la mienne. (IV, 5)
83En cela, la pièce relit le mythe dans un sens « moderne ». Le combat n’est plus entre le roi idolâtre et le peuple élu, mais entre l’Ennemi et le monde ; et surtout, au Dieu de colère a succédé le Dieu de charité. Ainsi que le dit Judith après le meurtre :
J’ai compris que tous les hommes sont à plaindre,
Tous à racheter, Hazaël… que le Messie viendra pour tous. (V, 3)
84La tête coupée constitue donc rupture. Judith est vraiment devenue Marie ; Béthulie est sauvée, sans doute, mais cette singularité d’Israël qu’il fallait préserver n’a ici plus lieu d’être. La scène est cette fois le monde, en un reflet inversé du rêve de Nabuchodonosor, quand il voyait la terre entière adorer un seul Dieu.
85Tout comme Paul Claudel, Henri Ghéon nous propose ainsi une Judith canonique et ambiguë. Canonique, puisqu’animée par la foi, elle l’emporte sur le Mal ; ambiguë, parce que sa foi est étrangère à Israël et que son combat excède, et de loin, la seule destinée de Béthulie.
86Jusqu’à la fin des années trente, le mythe ne cesse de revenir sur le grand combat de Béthulie, et malgré toutes les relectures dont il a pu être l’objet, les écrivains catholiques n’en finissent pas de mettre à mort l’Ennemi et de purifier la communauté par le meurtre d’Holopherne : il n’est en effet de catharsis que si le Mal a pu être d’abord territorialisé. Or, au moment où Henri Ghéon rédige sa pièce, un groupe est en train de sacraliser un « homme sans tête », à savoir le groupe « Acéphale44 », conduit par Georges Bataille, et qui comptait entre autres Leiris. Devenue « mythique », la revue Acéphale ne dure finalement que trois ans (1936-1939), mais elle reste fameuse par la façon dont elle unit le sexe, le sacré et la mort. La célèbre couverture ornée de l’homme sans tête, debout, tenant dans la main gauche un poignard, apparaît comme la reprise, démembrée, du lexique fondamental de Judith. La décollation, l’arme…, tout est là, mais dans le désordre. Et si la « victime » participe à ce point du sacré, c’est que pareille image provient en fait d’une intaille gnostique du IIIe ou IVe siècle représentant un dieu acéphale d’origine égyptienne, découverte par Georges Bataille au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale.
87Par un effet de déplacement, tandis que la figure de Judith s’éloigne de nous, ou en tout cas abandonne sa dimension religieuse, un nouvel « Holopherne », ou du moins un homme sans tête, prend sur lui la charge du sacré. Homme sans tête dionysiaque, proche, selon Bataille, du fameux Minotaure45, et voué à une seule quête, celle de l’extase :
L’acéphale exprime mythologiquement la souveraineté vouée à la destruction, la mort de Dieu, et en cela l’identification à l’homme sans tête se compose et se confond avec l’identification au surhumain qui EST tout entier « mort de Dieu ».46
88Un cycle se boucle ici : l’homme sans tête en vient à figurer l’illimité du désir, alors même qu’Holopherne constitue, fondamentalement, une figure de la fini-tude, et d’une finitude qui se refuse à s’admettre comme telle. Si l’épisode de Béthulie a pu fasciner à ce point, c’est qu’il y a là une sorte d’exemplum. Pris au piège de son désir, et donc de l’illusion de sa puissance, un homme se heurte à une frontière, et donc à sa limite. Il pensait dominer le tout ; et donc dès qu’un élément du réel — fût-il infime — lui échappe, il mesure comme son pouvoir n’est rien. En se heurtant à Béthulie, Holopherne se heurte donc à son « humanité ».
89Ainsi que le dit la Judith de Ghéon :
Homme, il connaîtra sa limite et que le seul Dieu règne au ciel. (V, 3)
Notes de bas de page
1 Pour une liste exhaustive de ces références, voir A. M. Dubarle, notice « Judith », in Catholicisme hier, aujourd’hui, demain, t. VI, s. dir. G. Jacquemet, Paris, Letouzey et Ané, 1967.
2 Denis Hollier, « À l’en-tête d’Holopherne », Les Dépossédés, Paris, Minuit, 1993, p. 141.
3 Ibid.
4 Psychomachie, vers 400, Paris, Les Belles Lettres, 1992, I, 40-108.
5 Saint Bonaventure cité par Jaynie Anderson, op . cit., p. 20.
6 « Tu es Esther qui s’humilie,/Tu es Judith qui se pare, se fit belle ;/[…] Et Holopherne est châtié. », Rutebeuf, « Dit des propriétés de Notre Dame », Œuvres complètes II, Paris, « Classiques Garnier », 1990, p. 462-463.
7 Nicolas de Lyre, 1545, cité par Graham A. Runnalls, dans Jean Molinet, Le Mystère de Judith et Holofernés, Genève, Droz, 1995, note p. 260.
8 Dominique Fernandez, La Course à l’abîme, op . cit., p. 365.
9 Léon Bloy, Le Symbolisme de l’apparition, rééd. Œuvres X, Paris, Mercure de France, 1970, p. 41.
10 Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, 1865, cité par Léon Bloy, Inédits, Œuvres XV, Paris, Mercure de France, 1970, p. 83-84. Chez Barbey, ces paroles sont prononcées par l’abbé Hugon, à l’intention de Calixte.
11 Léon Bloy, Le Symbolisme de l’apparition, op . cit., p. 36.
12 Ibid., op . cit., p. 36.
13 Dialogue extrait de Dieu vivant, n ° 1, p. 86 sq., cité par J. Steinmann, op . cit.
14 Composé vers 930, ce texte a été publié en français dans les Poèmes héroïques vieil-anglais (coll. « 10-18 », 1981), avec une présentation d’André Crépin. Le contexte anglo-saxon fait qu’Holopherne, lors du festin, s’enivre avec du vin et de l’hydromel.
15 Jean Molinet (attribution la plus courante), Le Mystère de Judith et Holofernés, vers 1500, rééd. par Graham A. Runnalls, op . cit.
16 Graham A. Runnalls « Avant-propos » de l’éd. Droz, p. 7.
17 Traduction : v. 115-117 = Judith, V, 6-25 ; citation de la Vulgate : v. 877-879. Signalé par Graham A. Runnalls, ibid., p. 22.
18 Du Bartas, La Judit, 1574, rééd. P. U. Toulouse-Le Mirail, 1970, introd. et notes de André Baïche.
19 Annie Mavrakis, Judith et Salomé, une gémellité paradoxale, thèse, Univ. Paris I, p. 201.
20 Ibid., p. 201-203.
21 Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, 1616, V, 381-386 et V, 1275-1278.
22 André Baïche, Introd. à La Judit de Du Bartas, op . cit., p. XL.
23 André Baïche, Introd. à La Judit de Du Bartas, op . cit., p. LXIX et LXX.
24 Abbé Boyer, Préface de Judith, 1695. Cette Judith inspira à Racine une épigramme satirique qui se termine ainsi : « Je pleure, hélas ! pour ce pauvre Holopherne,/Si méchamment mis à mort par Judith. », in Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1962, p. 461.
25 Poncy de Neuville, Judith, 1726, I, 1. Mireille Herr, op . cit., fait remarquer que le vers 3 vient en fait de Joël, II, 13.
26 Je reprends ici les analyses de Jean-Joseph Goux dans Les Iconoclastes, Paris, Seuil, 1978.
27 B. G., Judith, 1745, I, 2, cité par Mireille Herr, op . cit.
28 Sous le nom de Misael se dissimule en réalité Amnon, frère de Judith ! On voit que l’orthodoxie du sens va parfois de pair avec les plus grandes libertés.
29 Cité par Mireille Herr, op . cit.
30 Léon Bloy, Le Symbolisme de l’apparition, Œuvres X, Paris, Mercure de France, 1970, p. 35-36.
31 Ibid., p. 36.
32 Henry Bernstein, Judith (1922), rééd. dans Théâtre, Monaco, Du Rocher, 1997.
33 Jean Giraudoux, Judith (1931), rééd. dans Théâtre complet, Paris, Hachette, « La Pochothèque », 1991.
34 Pour tout ceci, voir Yves Moraud, Judith ou l’impossible liberté, Paris, Minard, 1971.
35 Le principe d’un « dédoublement » avait déjà été évoqué par Le Moyne dans sa Galerie des femmes fortes (1660) : « Mais ce n’est pas cette Judith, que la Vertu, le Zèle et ces Anges ont amenée. C’est une Judith de la façon d’un Songe imposteur, qui a fait d’une héroïne une coquette : et cette Judith coquette et imaginaire sera bien tost abatuë par la vraye et la pudique. L’épée que vous luy voyez à la main luy fera justice de ce songe imposteur. Et toutes ces vaines images seront noyées dans le sang du songeur, et tomberont avec sa tête ». Mais chez Le Moyne le « songe » ne constitue qu’une équivoque temporaire, alors que Giraudoux suscite et entretient l’équivoque.
36 Denis Hollier, Les Dépossédés, op . cit., p. 144. La citation de Claudel renvoie à Paul Claudel -Darius Milhaud, Correspondance ( 1912-1953 ), Paris, Gallimard, 1961, p. 192. Cette phrase est citée également par Claude Roy, « Giraudoux et Dieu », Cahiers Renaud-Barrault, novembre 1961, p. 27.
37 Notes de lecture reproduites dans Paul Claudel, Journal I ( 1904-1932), Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1962 p. 978.
38 Paul Claudel, « Judith », Mesures, 1, janvier 1935, p. 7-17.
39 Paul Claudel-Darius Milhaud, Correspondance..., op . cit., p. 197.
40 Henri Ghéon, Judith, 1937, pub. posth. Paris, Plon, 1952.
41 Ibid., p. 9-10.
42 Ibid., p. 11.
43 La pièce tient d’ailleurs une part de son unité de cette image du glaive, qui forme leitmotiv. Ainsi, Holopherne est entre les mains de Nabuchodonosor « comme un glaive » (II, 4), et même « comme une hache » (II, 4), lui dont le nom commence justement par une « H ».
44 Sur Bataille et Acéphale, voir entre autre Denis Hollier, Le Collège de sociologie : 1937-1939, Paris, Gallimard, rééd. « Folio-Essais », 1995. La revue Acéphale (1936-1939) a été rééditée en fac-similé par Jean-Michel Place (1980).
45 Comme en écho, dans la Judith de Giraudoux, Holopherne devant Judith se compare lui-même à un « minotaure » (II, 6).
46 Georges Bataille, « Propositions sur la mort de Dieu », Acéphale, janvier 1937, p. 20.
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