V. La chanson du xviie siècle : un divertissement chanté, d’esprit « satyrique », « burlesque » ou « galant »
p. 99-133
Texte intégral
Place de la chanson dans les Arts poétiques et dans l’œuvre des poètes
1La place de la chanson dans les Arts poétiques évolue au cours du xviie siècle. Tous sont influencés par la doctrine de Malherbe. Or celui-ci a en vue la grandeur d’une poésie qui doit coïncider avec les aspirations nationales et la politique royale : la poésie pour lui est essentiellement oratoire1. Il a de l’aversion pour les « fictions poétiques2 » et la pure fantaisie qui caractérisaient la chanson. Condamnant la pièce de Philippe Desportes, Métamorphoses, dans son recueil des Bergeries, il la qualifie de chanson, alors que l’auteur ne lui a pas donné cet intitulé – contrairement à ce qu’il a fait pour d’autres pièces du recueil – et qu’il ne semble pas qu’il y ait eu de mise en musique :
Toute cette chanson est impertinente et pleine d’imaginations qui ne veulent rien dire3.
2Le terme de chanson est ici associé à des termes fortement dépréciatifs. Il n’est pas étonnant que la place accordée à la chanson soit de plus en plus limitée dans les arts poétiques du xviie siècle. Colletet, dans L’Ecole des Muses, en 1664, ne fait que reprendre les propos de ses prédécesseurs. Il la rapproche toujours de l’ode, dans les mêmes termes que Sébillet, et note :
La Chanson & l’Ode diferent seulement, en ce que la Chanson ne se compose de tant de couplets, & est de plus inconstante forme & façon : Son sujet plus commun est Venus, ses enfants et les Graces : Bacchus, ses pots & ses douceurs : le nombre des Vers, leur espece, & la disposition des rimes sont libres4.
3Boileau ne s’attarde guère sur ce type de production et va même jusqu’à lui contester son appartenance au domaine de la poésie, déclarant dans son Art poétique de 1674 :
Gardez qu’un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l’Auteur altier de quelque chansonnette
Au mesme instant prend droit de se croire Poëte5.
4Michel Mourgues, dans son Traité de la poésie française qu’il publie en 1685, consacre tout un chapitre à la chanson, mais souligne aussi qu’elle est désormais inséparable de la musique :
Les Chansons en France beaucoup plus qu’ailleurs, sont une sorte de Poësie toute différente des autres, & qui doit faire un article à part.
Ce qu’on appelle Chanson est un petit Ouvrage de vers fait pour être chantez. […]
La principale Regle est de proportionner les paroles, & même le sujet à l’air. Cet heureux accord demande dans le Poëte quelque goût & quelque oreille pour la Musique.
Comme l’élegance & la naïveté sont une des plus grandes beautez d’une Chanson, c’est sur tout à quoi l’on doit s’étudier. Mais en ceci la nature est un plus grand maître que l’art. Toutefois quoiqu’il soit vrai de dire qu’un Poëte, toutes choses égales, doit mieux faire une Chanson, qu’une personne qui n’a pas de talent pour la Poësie ; il faut toutefois se garder de croire qu’on soit Poëte pour avoir bien réüssi dans une Chanson. Nous avons des Vaudevilles d’un naïf exquis, dont les Auteurs n’étoient pas apparemment de grands Poëtes6.
5La chanson a ainsi suivi l’orientation d’une partie de la poésie qui, à partir de la fin du xvie siècle, est devenue de plus en plus liée aux circonstances de la vie mondaine, tant à la cour que dans les salons7. À la cour, on sollicite les poètes pour les chansons des ballets – divertissements à la mode –, les chansons à danser, et les comédies comportent souvent des intermèdes chantés8. Isaac de Benserade doit ainsi sa réputation et sa situation à la Cour aux vers qu’il écrivait pour les arguments des ballets présentés devant le roi, dont Lully composait la musique. La chanson de Malherbe, Cette Anne si belle… fut aussi composée pour un ballet, celui de Madame, du 19 mars 16159. Les ballets font également leur apparition dans les comédies et sur trente pièces de Molière, quatorze s’accompagnent de ballets. Ceux-ci, accompagnés de chansons, figurent d’abord en ouverture et en fermeture de la pièce ou des actes, comme dans Monsieur de Pourceaugnac ou dans Les Amants magnifiques, puis à l’intérieur même de ceux-ci, faisant partie intégrante de l’action, comme dans Le Bourgeois gentilhomme.
6Dans les salons, à côté de la conversation, qui se révèle « un grand genre littéraire oral10 », on pratique beaucoup la poésie et la musique. Les vers de circonstance, recueillis par écrit, sont mis en musique ; on compose également des chansons, dont les paroles peuvent être ajustées sur une mélodie en vogue, comme le montre cette réplique de Lysandre dans Les Fâcheux de Molière :
Comme à de mes amis, il faut que je te chante
Certain air, que j’ai fait, de petite courante,
Qui de toute la cour contente les experts,
Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers. (i, 3.)
7et toutes ces productions sont collectées dans de très nombreux recueils.
8La question de terminologie est complexe11. Il n’y a tout d’abord pas que les chansons qui soient chantées : les idylles ou églogues, les élégies font l’objet de mises en musique. Mais d’une part, ces productions ne sont pas, contrairement aux chansons et aux airs, destinées d’emblée à la musique, d’autre part, dans les traités de poésie, ces « genres » sont toujours traités à part, de même que les rondeaux, triolets, etc.
9Dans la première moitié du siècle, les « airs de cour » prennent le relais des vaudevilles avec lesquels ils se confondent plus ou moins, comme le prouve l’introduction d’un recueil publié à la fin du siècle précédent, en 1571, chez Adrien Le Roy et Robert Ballard et qui commence par ces mots :
Ce petit opuscule de chansons de la cour, beaucoup plus légères, que jadis on appeloit voix de ville, aujourd’hui airs de cours12…
10Furetière définissait l’air de cour en disant que c’était « une chanson qu’on chante à la cour ». On constate que les publications d’airs de cour de l’époque englobent indifféremment les airs d’inspiration noble et les compositions bachiques. À partir de 1650-1660, l’air de cour laisse progressivement la place à ce qui va être bientôt nommé l’air sérieux. C’est une courte pièce vocale composée le plus souvent d’une ou deux strophes poétiques et qui nécessite un effectif réduit – une ou deux voix généralement accompagnées par un théorbe, quelquefois par un clavecin. Aux compositions polyphoniques de l’air de cour, très en vogue sous Henri IV et Louis XIII, on préfère alors ces petites pièces, plus adaptées à la relative exiguïté des ruelles. Mais le terme ne disparaît pas totalement du langage des musiciens13 ainsi que de celui des poètes14 et l’« air de cour » est la dénomination générique la plus large.
11Les recueils ont donc pour titre soit « airs », « airs de cour », « vaudevilles » ou « chansons15 ». Du point de vue du texte, airs et chansons recouvrent la même réalité : c’est ainsi que dans le premier recueil des Poésies de Madame Deshoulières publié en 1688 par la veuve de Sébastien Mabre-Cramoisy, ne figurent que des chansons et dans le second recueil publié en 1695 chez Jean Villette, ne figurent que des airs ; or les unes et les autres renvoient à des formes similaires. Il semble que, du point de vue musical, certains fassent une différence et que l’« air sérieux » soit d’une facture plus complexe que la « chanson légère ». C’est ainsi que Robert Ballard, dans l’avis « Au Lecteur » qui ouvre le XXIIe Livre de chansons pour danser et pour boire de 1663, expose le souhait suivant :
J’espere que ceux qui font profession de montrer à chanter, trouveront dans ce Livre dequoy se satisfaire, n’y ayant presque point de Chansons qu’ils ne puissent enseigner à leurs écoliers, comme estant presentement à la mode, autant & plus que les grands Airs, où toutes les voix ne peuvent pas atteindre16.
12Les recueils, qui fleurissent dans la première moitié du xviie siècle17, indiquent très rarement le nom des poètes qu’ils mettent en musique18. Comme le souligne Georgie Durosoir dans son ouvrage sur L’Air de cour en France :
Cette indifférence du temps à l’identité du poète, cette négligence qu’il y a à le nommer […], s’explique partiellement par la surabondance poétique qui caractérise la première moitié du xviie siècle. La manie rimailleuse confond dans un même anonymat les innombrables auteurs de « bouts rimés », stances ou odes et les poètes chevronnés et quasiment professionnels19.
13Quand, dans la seconde moitié du siècle, le nom des poètes est mentionné, sans doute parce la publication d’œuvres sans le nom de leur auteur avait été reprochée à Ballard20, cela est signalé par l’éditeur comme une particularité du recueil : ainsi le Recueil des plus beaux vers qui ont été mis en chant, avec le nom des auteurs. Seconde et nouvelle partie de Ballard, paru en 166821.
14Cet anonymat s’explique aussi sans aucun doute par des considérations de bon ton : il était mal vu pour un aristocrate, surtout s’il s’agissait d’une femme, d’afficher clairement que l’on était l’auteur d’airs sérieux ou que l’on écrivait de la poésie galante22. Les poètes réputés ne semblent pas faire grand cas de ces productions liées aux événements mondains. Scarron a écrit un poème, avant-propos de son premier recueil, dans lequel il s’adresse à ses vers qui veulent absolument se faire imprimer malgré lui :
Ha ! vrayment petits Vermisseaux,
Faut bien que vous vous trouviez beaux,
D’oser faire voir vos Guenilles.
Hélas ! vous n’estes que Chenilles.
Petits enfants ecervelez,
Sçavez-vous bien où vous allez ?
Vostre entreprise est bien hautaine,
D’aller courir la pretentaine.
A peine estes vous avortez
Et desja dehors vous sortez,
Et desja vous courez les rues.
Revenez, Rimes malotrues,
Revenez dans mon Cabinet
Et laissez là Toussaint Quinet,
Quoy qu’il vous prie & qu’il vous presse
D’aller faire jouer sa Presse23.
15Maynard, Madame Deshoulières, non plus que Voiture ne se préoccupent d’éditer leurs œuvres qui ne sont publiées que tardivement : pour eux, l’écriture est un simple prolongement de la vie mondaine. Malherbe parle ainsi d’une « méchante chanson » qu’il écrivit pour un air que le marquis d’Oraison lui avait proposé24 et que finalement, peu satisfait de l’air, il alla proposer à l’un des grands compositeurs de l’époque, Pierre Guédron. Le qualificatif dont Malherbe affuble son poème montre bien que pour le poète lui-même ce type de création est secondaire. Mais ces chansons étaient à la mode : 15 pièces de Malherbe furent mises en musique et 8 étaient destinées à un air25. Le plus souvent en effet, l’air préexistait à la chanson : soit il était donné avec la commande de la chanson, comme on le constate dans l’anecdote de Malherbe, soit c’était une mélodie déjà à la mode. Le texte de la chanson était alors précédé de la mention du « timbre », c’est-à-dire du vers du refrain ou du premier couplet original écrit en tête de la chanson pour désigner l’air, celui-ci constituant le fredon26 : la précision « Sur l’air du branle de Mets », « Sur l’air des Landriry », « Sur l’air Daye dan daye », « Sur l’air des Lanturlu », « Curé de Môle » ou « Pont-breton » – ces deux derniers termes faisant référence à des variétés de couplets27 de chansons populaires – précède ainsi plusieurs chansons de Voiture. Corneille, quant à lui, voyait dans l’obligation de se conformer à un air préexistant un frein qu’il refusait d’imposer à sa Muse :
Cent vers lui coûtent moins que deux vers de chanson ;
Son feu ne peut agir quand il faut qu’il s’applique
Sur les fantasques airs d’un rêveur de Musique,
Et que pour donner lieu de paraître à sa voix,
De sa bigearre quinte il se fasse des lois,
Qu’il ait sur chaque ton ses rimes ajustées,
Sur chaque tremblement ses syllabes comptées,
Et qu’une froide pointe à la fin d’un couplet
En dépit de Phébus donne à l’art un soufflet :
Enfin cette prison déplaît à son génie,
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie,
Il ne se leurre point d’animer de beaux chants,
Et veut pour se produire avoir la clef des champs28.
16Cette poésie chantée est donc à la fois considérée comme une production mineure et estimée essentiellement pour son accompagnement musical. Dans le Roman bourgeois, Furetière va jusqu’à déclarer que c’est celui-ci qui masque la médiocrité de celle-là :
[…] il faut qu’ils [i.e. les petits poètes] soient mis en Musique pour être bien estimez. – Assurement [interrompit Charrosselles] ; c’est pour cela que vous voyez tous ces petits Poëtes caresser Lambert, Le Camus, Boisset, & les autres Musiciens de réputation […]. Outre que la beauté de l’air est une espece de fard qui trompe & qui esbloüit : Et j’ai vu estimer beaucoup de choses quand on les chantoit, qui estoient sur le papier de purs galimathias ; où il n’y avait ni raison ni finesse29.
Diversité de la chanson
17La chanson continue à se caractériser par sa diversité. C’est ainsi que Michel Mourgues propose de distinguer les types suivants de chansons :
Il y a des chansons sérieuses, c’est-à-dire dont l’air & le tour du Vers ont quelque chose de grave ; le sujet doit y répondre. Il y en a de badines, et pour le tour et pour l’air ; c’est sur tout en celles là que les François excellent : Enfin, il en est de tendres et galantes. L’on divise d’ordinaire les Chansons d’une autre maniere, sçavoir en Chansons Bacchiques, Chansons Satyriques, & Chansons pour ou contre l’Amour. Mais cette division prise du côté des sujets n’est pas tout-à-fait juste, puisqu’on fait de très jolies ou de tres-belles Chansons sur des sujets qui ne sont ni Bacchus, ni l’Amour, ni la Satyre30.
18Avant lui, dans Le Songe d’Hésiode, « parcours cavalier des “progrès” de la poésie depuis ses origines31 », Madeleine de Scudéry présente ainsi la production de chansons en France à son époque :
En ce même temps on chantera mille aimables chansons en France, qui contiendront agréablement toutes la morale de l’amour, et ce sera principalement en ce siècle-là, qu’on verra un caractère particulier de la poésie galante et enjouée, où on mêlera ensemble de l’amour, des louanges et de la raillerie ; mais ce sera sans doute de la plus délicate, et de la plus ingénieuse, car il y a bien de la différence entre divertir, et faire rire. Cependant il y aura plusieurs poètes qui confondront la poésie galante et enjouée, avec la poésie burlesque […]. Il y a pourtant une grande distinction à faire de l’une à l’autre […]32.
19Comme le fait remarquer Delphine Denis33, Madeleine de Scudéry prend soin de récuser l’assimilation entre burlesque et poésie galante, que permettaient les recueils contemporains. On groupait en effet, à partir des années 1640, sous le chef de « vers burlesques » des pièces enjouées, badines, d’invention plaisante, libre de toute codification générique et métrique. De fait, si, dans l’entourage de Madeleine de Scudéry, on goûte alors un burlesque tempéré, d’inspiration marotique, si l’on apprécie les inventions plaisantes de Sarasin ou de Scarron, la forme « basse », dégradée, de cette esthétique se voit très vite et très vigoureusement condamnée. Comme l’écrit Boileau dans son Art poétique :
Imitons de Marot l’élegant badinage,
Et laissons le burlesque aux Plaisans du Pont-Neuf34.
20Vers 1649-1650 avait en effet paru une série de textes violemment orduriers ou irrespectueux, comme La Passion de Nostre Seigneur en vers burlesques, et surtout les Mazarinades. Parmi ces dernières figurent les œuvres de quelques poètes, comme Marigny, Scarron, Sarasin, Verderonne et Blot, dont on peut citer la chanson, fameuse à l’époque, « Mazarin, ce bougeron » :
Mazarin, ce bougeron,
De Paris chasse les cons.
C’est un renégat,
Un bougre d’ingrat,
De les avoir en hayne ;
Il n’eust jamais esté qu’un fat
Sans celui de la Reyne,
Lon la,
Sans celui de la Reyne35.
21Mais l’essentiel de cette production « satyrique » tient en des chansons « bâclées par les « poitastres » du Pont-Neuf36 », comme celle ci-dessous, qui se chantait sur le même timbre que la précédente, et qui en reprend aussi le thème :
Il fout nostre régente
Et luy prend ses écus,
Et le bougre se vante
Qu’il l’a foutue en cul.
Faut sonner le tocsin,
Din guin din,
Pour pendre Mazarin37 !
22Dans toutes ces chansons, que leur auteur en soit identifié ou non – et l’on se doute bien que la prudence incitait à l’anonymat – les conventions graphiques concernant la rime subissent quelques légères entorses, notamment quand se trouve à la rime un mot… inusité dans le domaine poétique38. On ne s’attardera pas davantage sur cette production qui reflète simplement les réalités sociales du moment, non plus que sur les autres chansons populaires de l’époque, parce que peu de préoccupations d’ordre poétique président à leur création.
23Nous nous attacherons en revanche au développement de deux types de chansons qui deviennent très en vogue au xviie siècle : la chanson badine – celle en laquelle « les François excellent » et qui, « ingénieusement badine et divertissante », peut être qualifiée de « galante et enjouée39 » – et la chanson bachique qui, quand elle n’est pas « rampante », ni trop « grossière40 », tient de ce burlesque tempéré apprécié même des salons mondains.
24On trouve de nombreux exemples de cette inspiration badine chez Vincent Voiture avec qui renaît, selon Pellisson, une poésie « gaie et folâtre », comme celle« du temps de Marot et de Mellin de Saint-Gelais », et pleine de la « liberté de notre ancienne poésie41 ». Elle lie avec humour mythologie, compliments galants, actualité et potins :
L’un meurt qu’à sa fantaisie,
Il ne s’avance à la Cour,
L’autre meurt de jalousie ;
Et moy, je me meurs d’Amour.
Promethée est à la chaisne,
Et becqueté d’un Vautour,
Il ne meurt de cette peine,
Et moy, je me meurs d’Amour42.
25Le ton badin et léger est renforcé par l’utilisation de formes de couplets à la mode, tant dans le peuple que dans l’aristocratie, et comportant le plus souvent un refrain :
Madame vous trouverez bon,
Qu’on vous escrive sur le ton,
De Landrirette,
Qui court maintenant à Paris,
Landriry43.
26Une lettre de l’abondante correspondance de Voiture montre clairement que les plus grands noms de la noblesse aiment à chanter ce type de chansons, dont la variété des terminologies prouve le succès :
Madame la Princesse, Mademoiselle de Bourbon, Madame de Vigean, Madame Aubry, Mademoiselle de Ramboüillet, Mademoiselle Paulet, & Monsieur de Chaudebonne, & moy, partismes de Paris, sur les six heures du soir, pour aller à la Barre, où Madame de Vigean deuoit donner la collation à Madame la Princesse […]. Nous chantasmes en chemin vne infinité de Sçauans, de Petits-doits, de Bonsoirs, de Pon-Bretons44.
27Voiture s’inspirait également45 du poète espagnol Gongora, qui avait pétrarquisé mais aussi composé des « romances46 » et des chansons de style populaire, auxquels Voiture emprunte à plusieurs reprises thèmes et refrains, comme dans la chanson J’avois de l’Amour pour vous… :
J’avois de l’Amour pour vous,
Charmante Sylvie,
Mais vos injustes courroux
Ont refroidy mon envie,
Je sçais aymer constamment,
Mais si l’on n’ayme esgalement,
Ma foy je m’en ennuye47.
28inspirée de la Letrilla suivante, dont Voiture a repris le refrain sous une forme simplifiée :
Que por quien de mí se olvida
en fuego amoroso pene
no me conviene ;
que los regalos que hago
me paguen con un desden
no me está bien.
Que me desvele adquiriendo
sólo el gusto de mi dama,
cuando elle se está en la cama
a sueño suelto durmiendo ;
que me esté desvaneciendo
por una desvanecida
que de mí solo olvida,
y con ciento se entretiene,
no me conviene48.
29La « Muse grossiere » que « le vin […] inspire […]49 » se rencontre quant à elle dans la chanson bachique qui se développe à partir du deuxième tiers du siècle et se chante au sein des sociétés du même nom, florissantes dans ce xviie siècle qui en compta au moins quinze50.
30Cette veine bachique chez les poètes est attestée, entre autres nombreux exemples, par les vers de Coquette bouteille :
Racan, Maynard, Gombaud, Saint-Amant, Théophile,
Corneille, Scudery, Tristan, Metel, Rotrou,
Ont plus puisé chez moi de trésors par un trou
Qu’Ilion n’en perdit cessant d’être une ville.
Par moi Faret, Beys, Colletet, Benserade,
Desmarets, Marechal, Saint Alexis, Du Ryer,
L’Etoile, Maître Adam, Robinet, Pelletier,
Avoisinent les cieux d’un autre air qu’Encelade51.
31ou par la Chanson à boire de Saint-Amant : Payen, Maigrin, Butte, Gillot… dont la dernière strophe met en scène le poète lui-même et Faret, déjà cité ci-dessus :
Ainsi chantoient au cabaret
Le bon gros Sainct-Amant et le vieux pere Faret,
Celebrans l’un et l’autre à son tour
La santé du comte de Harcour.
Vivat52 !
32Si les chansons bachique et galante apparaissaient déjà au xvie siècle – on en trouve des exemples aussi bien chez Marot que chez Ronsard –, la nouveauté au xviie siècle est que les allusions mythologiques masquent moins qu’auparavant l’actualité et les realia : ce n’est pas seulement Vénus que l’on adore, mais la « belle Julie », c’est-à-dire Julie-Lucine d’Angennes53, Demoiselle de Rambouillet, et Bacchus cède le pas aux gras plaisirs du cabaret, lestement évoqués, comme dans la chanson de Scarron : Que j’aime le cabaret…, citée ci-dessous. La chanson est davantage ancrée dans son siècle.
Un lieu de fantaisie formelle
Evolution des dimensions de la chanson
33À cette variété des sujets de la chanson répond une égale variété de formes. Si on compare les chansons de Malherbe, Saint-Amant, Scarron, Voiture, Madame Deshoulières, on constate que les chansons peuvent comporter de 5 vers (chez Madame Deshoulières) à 126 vers (chez Voiture). Tandis que Malherbe, Saint- Amant, Scarron et Voiture pratiquent la chanson à plusieurs strophes – on trouve chez eux des chansons de plus de cinquante vers, voire de cent vers, chez les deux derniers –, dans les deux recueils de Madame Deshoulières54, seule une chanson comporte deux strophes, toutes les autres n’étant composées que d’une seule strophe. Les chansons de Madame de la Suze ont elles aussi des dimensions réduites. Ainsi, la Chanson III est composée d’un quatrain en rimes croisées :
Au defaut de ma voix recevez mes soûpirs,
Ils vous diront, Tirsis, en leur langage,
Que si le Ciel secondoit mes desirs,
Je vous donnerois davantage55.
34C’est que, comme nous l’avons vu56, à partir de la seconde moitié du siècle, la tendance musicale est à l’air court, comme le souligne Bacilly dans sa préface de la troisième partie du Recueil des plus beaux vers :
Il est vray que dans ce recueil il y a quantité de vers qui ne soµnt pas nouveaux, mais qui ne tiennent rien du caractère ancien, ni du temps que l’on faisait les airs sérieux à plusieurs couplets, au lieu qu’à présent ils ne passent point deux pour l’ordinaire57.
35Les poètes semblent donc se conformer à la mode et les chansons raffinées, celles qui sont appelées les « airs sérieux », se limitent à quelques vers. On pourrait penser qu’elles seraient alors le cadre idéal pour la pointe. Mais la lecture des chansons et des airs de Madame Deshoulières montre qu’il n’en est rien, ce que confirment d’une certaine manière les propos de Bacilly :
Il faut surtout qu’il y ait du bon sens, sans pointe et mesme sans équivoque, ce qui ne se pratiquoit pas de mesme au temps jadis, où l’on aimait les pointes par-dessus les belles pensées58.
36On est surpris chez cette dernière du caractère récurrent de certaines rimes. Ainsi la rime jour/amour se rencontre dans les chansons Le cœur déchiré par un secret martyre59, Ne pourrois-je donc point connoitre60, la rime jour/retour dans Triomphés, aimable printemps61 et la rime jour/amour/retour dans Charmante Aurore enfin te voilà de retour et dans Cessez de m’agiter nuit et jour :
Charmante Aurore enfin te voilà de retour,
Le Soleil va briller d’une clarté nouvelle.
Flatteur espoir pour mon amour !
Je reverray dans ce beau jour
Iris encor plus tendre & plus fidelle
Espoir flateur pour mon amour62 !
Cessez de m’agiter & la nuit & le jour,
Transports que je crains de connoître,
Tirsis, qui vous fait naître,
N’asservira jamais ma raison à l’Amour,
Mon devoir malgré luy sera toûjours le maître,
Fuyez, mais fuyez sans retour,
Mon cœur en gémissant, vous deffend de paroître,
Fuyez, mais fuyez sans retour63.
37La rime jours/amours se rencontre dans Aimables Habitans de ce naissant feuillage…64 et celle de jours/toujours/amours dans Du charmant berger que j’adore…65. Bocage est associé à volage dans Revenez charmante verdure…66, bocages à feuillages dans Triomphés, aimable printemps…67, feuillage à ramage dans Aimables Habitans de ce naissant feuillage.68. La rime aimé/charmé, présente dans Soyons toujours inexorable…69, se décline en charmer/aimer dans Aimables Habitants de ce naissant feuillage… Les préoccupations musicales de l’époque peuvent expliquer ces choix lexicaux récurrents. Bacilly estime ainsi que
les airs françois ne souffrent que des mots doux et coulans et des expressions familières70
38tandis que Charles Perrault, dans son Parallèle des Anciens et des modernes, justifie de manière plus pratique le retour si fréquent des mêmes mots dans un certain nombre d’airs :
Vous sçavez que la voix, quelque nette qu’elle soit, mange tousjours une partie de ce qu’elle chante, & que quelques naturelles & communes que soient les pensées & les paroles d’un air, on en perd tousjours quelque chose ; que seroit-ce si ces pensées estoient bien subtiles & bien recherchées, & si les mots qui les expriment estoient des mots peu usitez & de ceux qui n’entrent que dans la grande et sublime Poësie, on n’y entendroit rien du tout. Il faut que dans un mot qui se chante la syllabe qu’on entend fasse deviner celle qu’on n’entend pas, que dans une phrase quelques mots qu’on a ouïs fassent suppléer à ceux qui ont échappé à l’oreille. […] Or cela ne se peut faire à moins que les paroles, les expressions & les pensées ne soient fort naturelles, fort connuës & fort usitées71.
39La poésie est décidément soumise aux exigences de sa mise en musique et les repères nécessaires dans ces textes faits pour être repris par tous aboutissent parfois à bannir tout effet de surprise dans une poésie jugée fade par une oreille moderne mais « mellifluente » par les auditeurs contemporains.
Stances et chansons
40La chanson au xviie siècle est néanmoins un des lieux de fantaisie métrique et rimique, ce qui explique sans doute le dédain de Boileau pour celle-là. Même lorsqu’elle utilise des structures « classiques », la chanson leur donne une touche particulière. Ainsi, lorsqu’elle adopte un « tour […] grave », pour reprendre les mots de Michel Mourgues, la chanson s’intitule parfois « stances ». Les deux termes recouvrent-ils une même réalité ?
41Le début du xviie siècle est caractérisé par la grande vogue de celles-ci. Le terme72, issu de l’italien, est employé pour la première fois par Héroet en 1550 puis par Ronsard en 1565 et est alors synonyme d’ottavarima, mot qui désigne la strophe classique de l’épopée italienne de schéma abababcc (= ababab cc ?). Mais son sens devient vite assez flou. Antoine Héroet donne le titre de « Stanse » à une strophe de schéma ababbcbc73 (abab bcbc ?). Laudun déclare en parlant des stances :
Elles se font coustumierement en vers de dix et douze syllabes, et plus souvent de douze que de dix : si quelqu’un en faict de moins que de dix, c’est plustost Ode que Stances74.
42Port-Royal distingue l’ode et les stances en se fondant cette fois sur le nombre des strophes :
Quand il y a quelque nombre considérable de ces Stances, on donne souvent à l’ouvrage le nom d’Ode75.
43Colletet, dans L’École des Muses, souligne le fait que, dans les Stances, « la disposition des rimes [est] plus libre et plus bizarre76 » que dans l’ode. Mais les faits viennent contredire la distinction théorique. Dans les Amours de Tristan, deux poèmes se suivent, Les Justes reproches, composé de 4 huitains d’octosyllabes (aabccbbc77) et Les Vains Plaisirs78, composé de 12 huitains d’octosyllabes (aabcbcdd79) : c’est le premier, donc le plus court, qui est intitulé « Ode », et le second « Stances ».
44Plusieurs poèmes de Malherbe portent le nom de « Stances ». Or celles-ci se caractérisent par des structures métriques autres que celles répertoriées par Laudun.
45C’est le cas de Victoire de la Constance80 et de Que n’êtes-vous lassées… qui ont la même structure strophique et rimique (6s 5s 6s 6s 5s 6s et rimes aab ccb) que le couplet de la « méchante chanson » citée ci-dessus :
Que n’estes-vous lassées,
Mes tristes pensées,
De troubler ma raison ?
Et faire avecque blâme Rebeller mon
Ame Contre sa guerison81 ?
46Les stances de Victoire de la Constance utilisent quant à elles le quatrain à rimes plates, employé par les poètes du xvie siècle dans la chanson anacréontique, mais ici dans une structure hétérométrique82, avec en clausule un vers plus court, l’hexasyllabe, associé à l’alexandrin :
En fin ceste Beauté m’a la place renduë,
Que d’un siege si long elle avoit defenduë :
Mes vainqueurs sont vaincus : ceux qui m’ont fait la Loy
La reçoivent de moy83.
47Quant aux stances Qu’autres que vous soientdesirees… :
Qu’autres que vous soient desirees,
Qu’autres que vous soient adorees,
Cela se peut facilement,
Mais qu’il soit des beautez pareilles
A vous merveille des merveilles,
Cela ne se peut nullement.
Que chacun sous vostre puissance
Captive son obeyssance,
Cela se peut facilement,
Mais qu’il soit un’ amour si forte
Comme celle que je vous porte,
Cela ne se peut nullement84.
48elles comportent deux vers refrain en clausule de chacun des deux tercets de chaque strophe et s’inspirent, comme le signale Ménage85, d’une « Chanson espagnole » de Gongora – une letrilla satirica, chanson irrévérencieuse construite sur une pensée piquante qui se répète à chaque strophe – qui présente la même structure que la chanson de Malherbe et le même refrain. On peut se demander si la variante facilement/nullement chez Malherbe n’est pas un équivalent de la contre-répétition86 bien puede ser/no puede ser du poème espagnol :
Que pida a un galan Minguilla
cinco puntos de xervilla,
bien puede ser ;
mas que calçando diez Menga,
quiera que justo le venga,
no puede ser87.
49Un certain nombre de ces « stances » sont d’ailleurs désignées sous le terme de « chanson » dans le commentaire qu’en fait Ménage. C’est le cas de Victoire de la Constance88 qui de plus a tout de suite été mis en musique dans un recueil d’Adrien de Launay ayant pour titre La Fleur des chansons amoureuses où sont comprins tous les Airs de Court89 et des Stances : Que n’êtes-vous lassées… qui furent elles aussi imprimées dans un recueil d’airs de cour de P. Ballard avec un air de Guesdron90. On ne sait si le titre était donné par l’auteur ou par l’éditeur91, mais il semble que la présence de vers courts, d’une structure originale ou d’une forme de refrain, à laquelle s’ajoute la mise en musique d’un poème, incitent les contemporains de Malherbe92 à rebaptiser le poème « chanson », tandis que, de son côté, le poète, en donnant à ces pièces la dénomination de « stances », suggère qu’il s’agit d’une production plus noble qu’une « méchante chanson93 ».
Des mètres et des strophes inusités
50Le quatrain hétérométrique en rimes plates évoqué ci-dessus se retrouve dans plusieurs autres chansons de l’époque, comme chez Tristan. L’association d’octosyllabes et d’un vers de quatre syllabes donne ainsi une allure légère à la chanson suivante :
Belle Prâlin, je vous promets
De me souvenir à jamais
Des devoirs dont vostre merite
Me solicite94.
51légèreté qui peut être renforcée par des effets de refrain lié à la clausule, comme dans cette chanson de Voiture :
Les demoiselles de ce temps,
Ont depuis peu beaucoup d’Amans,
On dit qu’il n’en manque à personne,
L’année est bonne.
Nous avons veu les ans passez,
Que les Galans estoient glacez,
Mais maintenant tout en foisonne,
L’année est bonne95.
52Une structure de quatrain extrêmement originale se trouve dans la Chanson à boire de Saint-Amant citée ci-dessus96, puisqu’il est entièrement en rimes masculines et de schéma métrique 8s 6-7s 3-6s 3-6s. L’ennéasyllabe est une rareté dans la poésie française avant le xixe siècle, que l’on ne rencontre que dans la chanson précisément, généralement césuré 3-697. Une chanson de Malherbe en présente une autre occurrence, dans une structure de quatrain elle aussi exceptionnelle, en rimes plates féminines alliant ennéasyllabes et décasyllabes (3-6s 3-6s 4-6s 4-6s) :
Sus debout la merveille des Belles.
Allons voir sur les herbes nouvelles
Luire un esmail dont la vive peinture
Deffend à l’art d’imiter la nature98.
53Le quintil, strophe quasiment inusitée à cette époque en dehors de la chanson et du rondeau99, apparaît à plusieurs reprises chez certains poètes comme Saint-Amant, Scarron, Voiture ou Madame Deshoulières, ainsi dans cette chanson composée d’un seul quintil :
Pourquoy me reprocher, Silvandre,
Que je vous promets tout pour ne vous rien tenir ?
Helas, c’est moins à moy qu’à vous qu’il s’en faut prendre !
Pour remplir vous desirs, j’attens un moment tendre :
Que ne le faites-vous venir100 ?
54Malherbe, en revanche, ne le pratique pas. Voiture l’intègre dans une structure hétérométrique très particulière, puisque, dans la chanson Notre Aurore vermeille…, les quintils sont composés d’hexasyllabes sauf pour le second vers qui est tantôt un vers de deux syllabes, tantôt un vers de trois syllabes, sans qu’il y ait alternance régulière 3s/2s/3s/2s d’une strophe à l’autre, ce vers court venant faire écho au premier hexasyllabe :
Nostre Aurore vermeille
Sommeille,
Qu’on se taise à l’entour,
Et qu’on ne la resveille
Que pour donner le jour.
Vostre beauté divine,
Assassine
Nos cœurs par ses beaux yeux,
C’est la belle Lucine,
Le chef-d’œuvre des Cieux101.
55Il apparaît également dans des structures à refrain, comme dans la chanson suivante de Scarron :
Philis me traitte avec rigueur ;
Mon cœur, jour & nuit, en soûpire.
Ne vous affligez pas, mon cœur :
Ce n’est pas un trop grand malheur ;
Il ne faut que luy dire.
Bien souvent, ce qui nous fait peur,
Un moment apres nous fait rire ;
Philis pourra changer d’humeur :
C’est alors qu’il faudra, mon cœur,
Tout faire & ne rien dire102.
56C’est dans les chansons à boire, notamment celles de Scarron que se rencontrent les strophes les plus inusitées, comme le neuvain, le onzain ou le douzain.
57En même temps qu’à ces strophes rares, les poètes ont recours à des mètres inusités à l’époque. Nous avons vu ci-dessus le cas de l’ennéasyllabe. On y rencontre également l’hendécasyllabe de structure 6-5, associé à des hexasyllabes et à des pentasyllabes, dans une chanson de Voiture :
L’Amour sous sa loy (5s)
N’a jamais eu d’Amant plus heureux que moy ; (6-5s)
Benit soit son flambeau, (6s)
Son carquois, son bandeau, (6s)
Je suis amoureux, (5s)
Et le Ciel ne voit point d’Amant plus heureux103. (6-5s)
58Le vers de treize syllabes que l’on trouve césuré 6-7, dans la chanson à boire de Tristan, peut aussi avoir une structure 5-104, comme dans la Chanson à boire de Scarron : Que de biens sur ma table… :
Que de biens sur la table
Où nous allons manger !
O le vin délectable
Dont on nous va gorger !
Sobres, loin d’icy ! loin d’icy, beuveurs d’eau bouillie !
Si vous y venez, vous nous ferez faire folie.
Que je sois fourbu, chastré, tondu, begue-cornu,
Que je sois perclus alors que je ne boiray plus105.
59Le xviie siècle utilise ainsi dans ses chansons des mètres dont on trouvait des occurrences dans les pastourelles et les refrains des chansons médiévales106 et qui ont souvent disparu à la fin du Moyen Âge. Leur retour est sans doute dû à l’accompagnement musical, comme le souligne A.-Ph. de la Croix dans L’Art de la Poësie françoise et latine, publié en 1694 :
On doit entendre par les Chansons, une espece de vers irreguliers, qui ne sont propres qu’à chanter, à cause qu’ils ont un nombre de sillabes diferent de celui des vers reguliers ; ou bien parce que souvant ils n’ont de la poësie que la rime, de sorte que les vers à chanter sont des vers masculins de neuf, onze et treize sillabes, ou des vers feminins de dix, de douze, de quatorze et quelquefois de quinze sillabes107.
60On remarque néanmoins que ces vers comportent une césure semblable sur toute la chanson, césure qui définit des cadences régulières et usuelles de 5, 6, 7 ou 8 syllabes, contrairement à ce qui se passe dans la poésie du xixe siècle, qui, lorsqu’elle emploie ces vers inusités, ne leur donne généralement pas de césure régulière108. C’est ainsi que l’on peut rapprocher le vers de 13 syllabes à structure 5-8 de l’association de pentasyllabes et d’octosyllabes – mais inversée – que l’on trouve dans la chanson de Malherbe citée ci-dessous109 : Ils s’en vont, ces roys de ma vie…
61Plus la chanson aura un style trivial ou « burlesque », une tonalité plaisante, plus sa versification sera fantaisiste. C’est ce que suggère Madeleine de Scudéry dans Le Songe d’Hésiode, quand elle déclare, parlant des poètes burlesques :
Ainsi sans affecter de style particulier, ils iront tantôt haut et tantôt bas, selon que la rime ou leur caprice le voudront110.
62Lorsque Scarron s’inspire de Ronsard, ses combinaisons hétérométriques111 mêlent les vers les plus usuels – octosyllabes, hexasyllabes, décasyllabes et alexandrins :
Bois, rochez, fontaines, vallons,
Fiers torrents qui venez, par bons,
Vous perdre dans la plaine,
Lieux écartez, que ma mourante voix
A si souvent fait tesmoins de ma peine,
Je vous la viens conter pour la dernière fois112.
63Mais dans les chansons à boire, il multiplie les structures inusitées et les associations de mètres différents. Ainsi, la Chanson à boire suivante combine l’octosyllabe (vers 1), le décasyllabe césuré 5-5s (vers 2), le vers de 14 syllabes (7-7s) (vers 3 et 6), le pentasyllabe (vers 4) et l’heptasyllabe (vers 5, 7 et 8) :
Si l’on me voit devant Mardicq,
Me puisse venir la teigne ou le tic ;
Bon à faire à Gassion d’estre friand de batailles ;
Un coup de canon
N’est, ma foy, ny beau ny bon :
Il vaut mieux dedans Paris manger perdereaux & cailles,
Que d’aller au Pays bas
Et de n’en revenir pas113.
64La créativité métrique débridée dans la chanson bachique s’explique sans doute, outre le fait que ces vers sont destinés avant tout à être chantés, par la raison que ce genre réservé est aussi une forme de libertinage érudit et formel.
65Les chansons à danser, comme la courante, comportent elles aussi des combinaisons métriques complexes, s’appuyant sur la musique. On en peut juger à travers la Courante de Monsieur de Maulevrier de Scarron :
Bel œil dont les regards ne font qu’harquebuzer
Et qui faites par jour plus de cent trous,
Comment donc faites-vous
Pour tirer tant de coups ?
En quel amoureux magazin,
Bel œil homicide, bel œil assassin,
Prenez-vous tant de plom
Et tant de poudre à canon ?
Je croy qu’il vous en couste bon.
Je ne donnerois pas de mon cœur un festu
Si l’on est, quand on vous a regardé,
Par un regard dardé Cruellement lardé ;
Car je confesse à haute voix
D’avoir eu l’audace bien plus d’une fois,
De mes yeux étonnez,
De vous regarder au nez,
Que je tiens des mieux façonnez114.
66Elle comporte une structure métrique 12s 6-4s 6s 6s 8s 5-5s115 6s 7s 8s. On peut percevoir un 6-4s dans le deuxième vers du premier couplet, mais pas dans le second116 : en fait c’est la musique qui organise le vers. Ainsi, dans la Courante de Balon117, Scarron mêle des décasyllabes de schémas différents, qui se retrouvent à la même place dans les 2 strophes :
str. 1 :
v. 4 : Ce que sur vous ont acquis ses apas. (4-6s)
v. 5 : Une parole, un souspir seulement (4-6s)
v. 7 : Que j’ayme mieux mourir cruellement (4-6s)
v. 9 : Que sa sévérité me fait mourir. (6-4s)
v. 10 : Prenez bien garde à ce que vous ferez (4-6s)
v. 12 : Car devant elle si vous soupirez ; (4-6s, avec césure enjambante)
v. 14 : Sera bien tost suivy d’un repentir. (6-4s)
str. 2 :
v. 4 : Laisse eschapper mon cœur qu’elle avoit pris. (4-6s)
v. 5 : De tant de vœux à cette ingrate offers, (4-6s)
v. 7 : Dans la cruelle prison de ses fers, (4-6s, avec césure enjambante)
v. 9 : Avecque mon amour, le souvenir (6-4s)
v. 10 : Qu’elle publie ma captivité, (4-6s, avec un e postvocalique devant consonne qui est compté)
v. 12 : Il ne m’importe : j’ai ma liberté, (4-6s, avec césure enjambante)
v. 14 : Ne s’exercera plus dessur mon cœur. (6-4s)
67Les vers impairs sont très présents dans la chanson, et le vers de 5 syllabes qui n’apparaissait pas dans la chanson du xvie siècle118 est fréquemment usité en hétérométrie, comme dans cette chanson de Malherbe, Ils s’en vont ces roys de ma vie…, où il se combine à l’octosyllabe :
Ils s’en vont ces roys de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeux,
Dont l’esclat fait paslir d’envie
Ceux mesmes des Cieux :
Dieux ! amis de l’innocence,
Qu’ay-je fait pour meriter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Elle s’en va cette merveille
Pour qui nuit et jour,
Quoy que la raison me conseille,
Je brule d’amour.
Dieux ! [etc.]119
68ou dans le Curé de Môle : Qu’on ne s’épouvante de Voiture, cité ci-dessous120, où à une suite de pentasyllabes succède une suite d’heptasyllabes, vers aussi très représentés dans la chanson.
69D’autres vers encore plus courts sont utilisés, rapprochant les échos rimiques, comme dans cette chanson de Tristan l’Hermite, qui comporte un vers de deux (v. 3) puis de trois syllabes (v. 7), qui riment chacun avec le vers long précédent :
Vous demandez à tous
Pourquoy je suis si triste
Caliste,
Helas ! c’est pour l’amour de vous
Ma langueur
Ne sçait point autre chose
Qui la cause
Que l’excés de vostre rigueur121.
70ou dans cette chanson Madame Deshoulières alliant heptasyllabes et vers de trois syllabes :
A la Cour
Aimer est un badinage,
Et l’amour
N’est dangereux qu’au Village.
Un Berger,
Si la Bergere n’est tendre,
Sçait se pendre,
Mais il ne sçauroit changer.
Et parmi nous quand les belles
Sont légeres ou cruelles,
Loin d’en mourir de dépit,
On en rit,
Et l’on change aussitost qu’elles122.
71ou encore dans cette Chanson à boire de Scarron dont les suites de vers courts en rimes plates rappellent la structure de certaines chansons de Marot123 :
Que j’aime le cabaret !
Tout y rit, personne n’y querelle.
La bancelle
M’y tient lieu d’un tabouret.
Laissons les interests
Des culs, des tabourets ;
La Noblesse
Pour la fesse
Fait prouesse :
En bien beuvant
Taschons d’en faire autant124.
72Les propos de Pierre Perrin, un des créateurs de l’opéra français, montrent que le choix de ces vers courts était lié à des préoccupations musicales. Parlant la manière dont il conçoit la phrase, il écrit :
Je l’ai faite courte et coupée de sens, de césures et de rimes, pour donner plus de repos et d’aisance à la voix, et afin de rendre la phrase capable des répétitions de paroles, que demande la musique pour cadrer à ses répétitions et à ses imitations de chant. J’ai évité les fréquentes élisions particulièrement dans les césures, par ce qu’elles dérobent cette assurance et ce repos à la voix et l’obligent à continuer le chant tout d’une haleine, et travaillent ainsi la poitrine et la voix125.
73Les préoccupations musicales des poètes, soucieux de faire chanter les rimes à intervalles rapprochés, rejoignent celles des chanteurs : la poésie est au service du chant.
Renouveau du refrain
74Le refrain qui était devenu peu fréquent, nous l’avons vu126, à partir de la seconde moitié du xvie siècle, reparaît au xviie siècle, notamment dans les œuvres de Voiture, nouvel émule de Marot et de Saint-Gelais – chez lesquels cette structure de répétition était très présente – ainsi que chez Scarron : chez Voiture, sur 20 chansons étudiées, 9 comportent un refrain, chez Scarron 9 sur 37. Ce retour du refrain s’explique par le fait que, la chanson n’ayant plus qu’une vocation chantée, cette structure reprise en chœur crée de nouveau le lien entre le soliste et l’auditoire.
75Ce refrain prend des formes diverses. Tantôt il a une certaine indépendance par rapport à la strophe, conformément à ses origines127. Il peut ainsi être métri- quement et rimiquement indépendant, comme dans la chanson de Malherbe Ils s’en vont ces rois de ma vie…, citée ci-dessus, où le quatrain du refrain à clausule (8s 8s 8s 6s) diffère et rimiquement et métriquement du reste de la strophe de structure 8s 5s 8s 5s, ou comme dans cette Chanson à boire de Maynard, où le changement du mètre de base, avec le passage de l’octosyllabe à l’heptasyllabe, isole le refrain, de même que le schéma rimique (abab cc) :
Que le plus Sage de la Troupe,
Prene l’esprit du Cabaret ;
Et que le cristal de sa Coupe
Soit vermeil de ce Vin clairet !
Faisons durer la Guerre
De la soif et du Verre128.
76tantôt son système rimique est indépendant du reste de la strophe, son mètre restant lié à celui du reste de la strophe, comme dans cette chanson de Tristan129 :
Philis en la peine où je suis,
Ay-je une place en la mémoire ;
Et m’aimes-tu dans mes ennuis
Comme je t’adore en ta gloire ?
Hélas ! tu sçais de quelle foy
Je t’ay promis de vivre, & de mourir pour toy.
Par tout où Mars conduit mes pas,
Ta belle image m’environne ;
Et mesme au milieu des combats
Je voy ta main qui me couronne,
Et vient recompenser la foy
Dont j’ay promis de vivre, & de mourir pour toy130.
77Mais le plus souvent il est intégré au système rimique du « couplet ». Le retour d’une ou deux rimes de strophe en strophe, crée alors, en plus de la reprise durefrain, un écho sonore au niveau du couplet et de l’ensemble de la chanson, comme dans cette chanson de Voiture, où le refrain court sur un vers et le timbre rimique sur deux (aab cbbC), timbre qui est repris dans l’ensemble des couplets :
Mes yeux, quel crime ay-je commis,
Qui vous rende mes ennemis,
Et qui vous oblige à me nuire ?
Pourquoy cherchez-vous en tous lieux,
Vous par qui je me dois conduire,
L’objet qui seul me peut destruire ?
Quel mal vous ay-je fait, mes yeux ?
Vous sçavez bien que vos plaisirs
M’ont cousté cent mille desirs,
Et qu’ils sont autheurs de ma peine,
Et contre moy seditieux,
Charmez de l’éclat qui vous meine,
Vous ne voulez voir que Chimene ;
Quel mal vous ay-je fait, mes yeux131 ?
78ou dans cette Chanson à boire de Maynard, où le refrain court sur trois vers et les retours de sonorités sur quatre rimes (aab CCB) :
Beuuons de main en main,
Jusqu’à tant que demain
Le iour quitte sa couche ;
Viue ce vin nouueau,
Il est baume au cerueau
Et cannelle à la bouche !
Sire qu’à la santé
De vostre Maiesté,
I’attaque l’escarmouche :
Vive ce vin nouueau,
Il est baume au cerueau
Et cannelle à la bouche132 !
79Le système de refrain peut aussi ne pas intervenir seulement en clôture mais scander le couplet à deux reprises, comme dans les Stances : Qu’autres que vous soient desirees… de Malherbe, qui a emprunté cette structure à Góngora, structure qui eut du succès, car le « timbre » de la chanson de Malherbe fut repris deux fois133. Scarron quant à lui use beaucoup du refrain à variante comme dans le système complexe de la Courante : Adieu ! belle Cloris… où des répétitions de termes se rencontrent à la rime du vers 7 (porte), et se retrouvent ensuite à la fin d’un vers (vers 10 : bien), au début et à la fin d’un autre (vers 12) et dans presque tout un vers (vers 11) :
[5 vers]
Parlez. Car, si je sors,
Ouvrez ou fermez vostre porte :
Il ne m’importe ;
Je seray dehors ;
Et je veux bien
Que le Diable m’emporte
Si, cela fait, vous m’estes jamais rien.
[5 vers]
Je veux absolument
Qu’on ferme jour & nuit la porte
Et qu’on ne sorte
Que tres-rarement ;
Car je sçay bien,
Ou le Diable m’emporte,
Si vous sortez, que je ne tiens plus rien134.
80Chez Voiture, le refrain renforce le style populaire que le poète aime à donner à ses chansons en devenant un simple « tralala135 ». C’est le cas dans trois chansons avec « Landrirette, Landriry » dans Madame vous trouverez bon…136, « Lanturlu, lanturlu, lanturlu, lanturlure » dans Le Roy nostre Sire…137, « Lerela, lerelanlere » dans Le jour que naquit Chastillon…138 :
Le Roy nostre Sire,
Pour bonnes raisons,
Que l’on n’ose dire,
Et que nous taisons ;
Nous a fait deffence,
De chanter Lanturelu,
Lanturlu, lanturlu, lanturlu, lanturlure139.
81Voiture utilise d’autres procédés de répétition propres à la chanson populaire, comme les vers bissés dans son Curé de Môle : Qu’on ne s’épouvante :
Qu’on ne s’épouvante,
Qu’on ne s’épouvante,
De la voix qui chante,
De la voix qui chante.
Je suis l’ame du Serin
Dont l’amour causa la fin
Par une flame cuisante
Qu’il alluma dans mon sein140.
82Il ne faut pas perdre de vue que les systèmes de reprise sont très fréquents dans les mises en musique des poèmes et que même si le texte littéraire n’en comporte pas, l’œuvre musicale peut en créer, comme dans la chanson de Scarron Quand je vous dis que vos yeux m’ont bruslé… où les quatre derniers vers du couplet sont répétés dans les Livres des Airs de différents auteurs de Ballard :
Quand je vous dis que vos yeux m’ont bruslé,
Vous faites l’offencée ;
Quand je vous cache ma pensée,
Vous m’appelez dissimulé !
Helas ! que dois-je faire ?
Si je parle, vous vous faschez,
Et si je me veux taire,
Vous me le reprochez141.
83La répétition, le plus souvent des derniers vers de la strophe, notamment dans les poèmes d’une seule strophe, est donc un procédé récurrent dans ces chansons destinées à être chantées, donnant au couplet une forte clausule et permettant là encore la reprise par l’auditoire d’une partie de la chanson.
Des irrégularités rimiques peu fréquentes
84Un libertin du temps, Chaulieu, qui « pass[ait] les nuits à table, Entre Bacchus & [ses] amis142 » rend ainsi hommage à Chapelle, autre libertin qu’il considère comme son maître :
Chapelle, par malheur rencontré dans Anet,
S’en vint infecter ma jeunesse
De ce poison fatal qui coule du Permesse ;
Et cache le mal qu’il nous fait,
En plongeant l’amour-propre en une douce yvresse.
Cet esprit délicat, comme moi libertin,
Entre les Amours et le Vin,
M’apprit, sans rabot & sans lime,
L’art d’attraper facilement,
Sans être esclave de la rime,
Ce tour aisé, cet enjouement,
Qui seul peut faire le sublime143.
85Si, selon Chaulieu, la poésie peut se faire « sans rabot et sans lime », cependant, poètes, « rimailleurs et poétereaux144 » se soumettent dans l’ensemble à la tyrannie de la rime. Même au sein des chansons au style populaire marqué, comme chez Voiture et Scarron, les irrégularités propres à la chanson « populaire » sont rares. C’est que la rime demeure une « expresse marque […] de Poésie145 ». Madeleine de Scudéry, dans Le Songe d’Hésiode, blâme le style burlesque quand il se traduit par une elocutio dégradée :
Cependant il y en aura un nombre infini qui croiront qu’il ne faudra que parler comme le peuple et que penser comme lui pour être plaisants146.
86La récupération des chansons qui courent les rues par la « muse galante » ou par un libertinage érudit doit passer par l’effet de décalage que produit une forme élaborée : c’est, quoi qu’en disent les poètes, par cette forme fantaisiste mais respectueuse des canons essentiels de la poésie, qu’ils laissent entendre qu’il y a jeu et non adhésion sans distance aux pratiques populaires. Ainsi chez Voiture147 les rimes n’ont une graphie irrégulière que dans de rares cas, à l’intérieur de chansons comportant un refrain en « tralala » et dans les Ponts-bretons :
J’ay veû Belesbat
Doux comme une fille,
Puis j’ay veû Croisilles
Dans son celibat,
Comme un crocodille
Qui vient du sabbat148.
Lorsque Vigean quitta la Cour,
Les jeux, les graces, les amours,
Entrerent dans un monastere.
Les yeux pleurerent, ce jour-là ;
Ce jour la beauté se voila
Et fit vœu d’être solitaire149.
87Fille/crocodille ne rime que pour l’œil, ce que condamnaient les traités de l’époque. Quant aux rimes fille/Croisilles et Cour/amours seule la graphie est irrégulière car, contrairement à ce qui se passait dans la déclamation150, dans la prononciation courante, les consonnes finales étaient amuïes et « Croisilles » produit le même son que « fille », « Cour » que « amours ». La rime dans la chanson poétique respecte donc les principes malherbiens, contrairement à ce qui se passe dans la chanson populaire :
Il était une fillette
Qui allait glaner :
A fait sa gerbe trop grosse,
Ne peut la lier.
Mon Dieu, qu’elle est godinette !
La saurai-je aimer ?
Par ici y est passé
Un brave chevalier.
Il l’a prié d’amourette ;
Ne l’a refusé.
Mon Dieu…
La fille fut niquette,
S’est mise à pleurer
Et moi je fus pitoyable,
L’a laissée aller.
Mon Dieu…
Quand ell’ fut dedans c’bois
Se mit à chanter :
– Hélas ! où est-il allé
Ce couart chevalier ?
Mon Dieu…
– Hélas ! où est-il allé
Ce couart chevalier ?
Pour un soupir d’amourette
M’a laissée aller151.
88Considérons la chanson que chante Alceste dans Le Misanthrope, qui est présentée comme une chanson populaire :
Si le Roi m’avait donné
Paris, sa grand’ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
« Reprenez votre Paris :
J’aime mieux ma mie, au gué !
J’aime mieux ma mie152. »
89On ne sait si c’est une authentique « vieille chanson » ou une chanson composée par Molière pour la circonstance153. On constate seulement qu’elle comporte une alternance d’heptasyllabes et de pentasyllabes, comme dans la chanson ci-dessus, des assonances (ville/mie) et des rimes imparfaites graphiquement (donné/quitter ; Henri/Paris). Si c’est l’œuvre de Molière, celui-ci a donc copié les pratiques irrégulières de la chanson populaire, puisque, contrairement à un Scarron ou à un Voiture, il veut faire passer sa chanson pour une authentique production populaire. Comme le dit Alceste au vers suivant : « La rime n’est pas riche […]. ». On peut lui opposer la chanson du Médecin malgré lui :
Qu’ils sont doux,
Bouteille jolie,
Qu’il sont doux
Vos petits glouglous ;
Mais mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! bouteille ma mie,
Pourquoi vous vuidez-vous154 ?
90qui a certes une métrique pleine de fantaisie (4s 5s 4s 5s 3-6s 8s 6s 6s) et, dans les quatre premiers vers, une structure propre à la chanson populaire, le rabéraa155. Mais alors que dans le rabéraa de la chanson populaire, la rime b reste « orpheline », ici, elle a son répondant dans les vers 6 et 7 et les rimes a et b sont pures et font alterner terminaison féminine et masculine très régulièrement. On ne sait rien de l’origine de cette chanson mais on peut se demander si ici Molière n’a pas inventé, comme bien plus tard Hugo dans les chansons de Notre-Dame de Paris156, une chanson de style populaire mais à la métrique savante. Ce serait alors un argument pour conclure, dans le cas de la chanson du Misanthrope, à une vraie chanson populaire.
91Dans les chansons poétiques, l’alternance des rimes masculines et féminines est respectée dans la majorité des cas, si ce n’est dans les quatrains à rimes plates. L’alternance peut se faire uniquement à l’intérieur de la strophe et non de strophe en strophe, notamment dans les chansons à refrain. Il en est ainsi dans la chanson de Tristan : Philis dans la peine où je suis… et dans celle de Voiture : Mes yeux, quel crime ay-je commis… citées ci-dessus. C’est encore dans les chansons à boire et à danser que l’on rencontre les plus grandes irrégularités en matière d’alternance de rimes féminines et masculines, comme dans cette courante de Scarron, où seul le vers 1, qui ne rime avec rien a une terminaison féminine :
Ma foy, j’en ay dans l’aisle,
Je suis perdu,
Je suis tout confondu :
J’ay regardé Cloris,
Et la chienne m’a pris ;
Son œil, toûjours vainqueur,
M’en a donné droit dans le cœur :
Ce coup me fait grand mal
Et seroit suffisant d’assommer un cheval.
Elle m’a fait la moue Et m’a traitté,
Sans l’avoir merité,
Plus mal que si j’estois Quelque franc Polonnois.
Tout beau ! tout beau ! tout beau !
Quartier ! quartier ! fi du tombeau !
Soyez un peu plus doux,
O beaux yeux assassins, ou bien nargue pour vous157 !
92Mais d’une manière générale, du point de vue rimique, la chanson des poètes se distingue le plus souvent de l’irrégularité de la chanson « populaire ».
93Ainsi, la chanson poétique du xviie siècle est devenue une activité essentiellement sociale, qu’elle soit chanson à danser, à boire ou air galant. Tandis que les poètes de Marot à Ronsard, tout en recherchant la mise en musique de leur œuvre, affirmaient leur indépendance par rapport aux musiciens, au xviie siècle, la chanson est essentiellement composée de petites pièces destinées à être chantées, qui s’échangent dans la société et auxquelles les poètes eux-mêmes n’accordent pas beaucoup d’importance en dehors de la cour, des salons ou du cabaret.
94La chanson demeure un lieu de fantaisie métrique, comme les fables et les contes de La Fontaine – mais on ne trouve chez ce dernier ni ennéasyllabes ni vers de dimension supérieure à l’alexandrin –, parce qu’elle appartient entièrement au domaine chanté et que la musique permet l’introduction de vers inusités qu’elle accompagne librement. Elle continue d’être un genre en quête de définition qui se dissimule ainsi derrière toutes sortes d’intitulés, puisque madrigaux, odes, stances peuvent également être chantés « sur un air » : genre mineur mais massif, elle investit tout ce qui n’est pas codifié, ce qui explique le flou des définitions qui lui sont appliquées et la diversité des formes qu’elle revêt.
Notes de bas de page
1 Voir Ferdinand Brunot, La doctrine de Malherbe d’après son commentaire sur Desportes (thèse publiée en 1891 par les éditions Masson), Paris, Colin, 1969, p. 151-157.
2 Racan, Mémoires pour la vie de M. de Malherbe, I, lxxi, cité par Ferdinand Brunot, ibid., p. 167.
3 Philippe Desportes, Diverses Amours et autres œuvres meslées, édition critique suivie du Commentaire de Malherbe publiée par Victor E. Graham, Genève, Droz, 1963, p. 189.
4 Guillaume Colletet, Le Parnasse français ou L’École des Muses, Paris, Charles de Sercy, 1664, [Genève, Slatkine Reprints, 1970], p. 59.
5 Boileau, L’Art poétique (1674), chant ii, v. 196 sq., dans Œuvres complètes, éd. Françoise Escal, Paris, Gallimard, « La Pléiade », p. 167.
6 Michel Mourgues, Traité de la Poésie française, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Paris, Jacques Vincent, 1724, [Genève, Slatkine reprints, 1968], p. 281 sq.
7 Voir ci-dessus, p. 83.
8 Voir l’édition des chansons de Scarron à laquelle nous nous référons, et où l’on trouve plusieurs courantes, danse de cour extrêmement populaire sous Louis XIV, un récit de ballet et une sérénade destinée à sa comédie L’Héritier ridicule.
9 Malherbe, Œuvres poétiques, éditées par René Fromilhague et Raymond Lebègue, Paris, Société Les Belles Lettres, 1968, t. 1, p. 199.
10 Voir Alain Genetiot, Poétique du loisir mondain, Paris, Champion, 1997, p. 18.
11 Sur l’air de cour et l’air sérieux, voir Anne-Madeleine Goulet, Poésie, musique et sociabilité au xviie siècle, Les Livres d’airs de différents auteurs publiés chez Ballard de 1658 à 1694, Paris, Champion, coll. « Lumière classique », 2004, notamment son introduction, « Air de cour, air sérieux… : éléments de lexicologie » à laquelle est empruntée la réflexion de ce paragraphe et le suivant.
12 Cité par Mathias Tresch dans L'Évolution de la Chanson française, savante et populaire, Bruxelles et Paris, La Renaissance du Livre, 1926, Première partie : Des origines à la révolution française, p. 344.
13 En 1666 paraît un Nouveau Recueil des plus beaux airs de cour, compilation d’airs de différents auteurs par Bénigne de Bacilly (cité par Anne-Madeleine Goulet, op. cit., p. 12).
14 Le sieur Dufour de la Crespelière fait figurer en 1669, dans la dernière section de ses Recreations poëtiques, amoureuses et galantes, ou les joyeux divertissements de la Poësie Françoise, en faveur des Melancoliques, des « airs de cour » et des « airs de cour amoureux » (ibid., p. 13).
15 Voir Georgie Durosoir, L'Air de cour en France 1571-1655, Liège, Mardaga, 1991, p. 45.
16 Cité par Anne-Madeleine Goulet, op. cit., p. 13. Voir également sur ce sujet Théodore Gerold, L’Art du chant en France au xviie siècle, Paris, Librairie Istra, 1921, p. 138-166.
17 Ils se raréfient ensuite, mis en concurrence sévère par les chansons à boire et à danser. Voir Georgie Durosoir, op. cit., 1991, p. 7.
18 On peut, par recoupements, identifier les auteurs d’airs de cour au moment où les poètes éditent leurs œuvres, ainsi que par le biais de recueils collectifs postérieurs qui parfois indiquent les noms des auteurs.
19 Ibid., p. 80.
20 Ibid., p. 43.
21 Cité dans Saint-Amant, Œuvres, édition de Jean Lagny, Paris, Didier, 1967, t. II, p. 140.
22 Voir Anne-Madeleine Goulet, op. cit., p. 44.
23 Paul Scarron, Recueil de quelques vers burlesques, dans Poésies diverses, Paris, Didier, 1947, t. 1, p. 37.
24 Anecdote citée par Georgie Durosoir dans L’Air de cour en France 1571-1655, édition citée, p. 79 et tirée d’une lettre de Malherbe à Peiresc du 12 février 1610 (Malherbe, Œuvres, Ed. Lalanne, tome III, p. 140). De cette chanson, il ne reste que le premier couplet cité dans la lettre, de structure 6s 5s 6s 6s 5s 6s :
Infidèle mémoire,
Pourquoi fais-tu gloire
De me ramentevoir
Une saison prospère
Que je désespère
De jamais plus revoir ?
25 Lila Maurice-Amour, « Malherbe et les musiciens »,xviie siècle, n° 31, avril 1956, p. 296 sq.
26 La plupart du temps, les deux termes sont indifféremment employés.
27 Vincent Voiture, Poésies, Paris, Marcel Didier, 1971, Notice p. 118. En fait, ce sont des mots marquants, placés à la rime d’une chanson en vogue, qui ont été promus types de couplets. Voir Patrice Coirault, Notre Chanson folklorique, p. 464.
28 Corneille, « Excuse à Ariste », Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1980, p. 779.
29 Antoine Furetière, Le Roman bourgeois. Ouvrage comique, Paris, Louis Billaine, 1666, p. 235-237. Cité par Anne-Madeleine Goulet, op. cit., p. 154.
30 Michel Mourgues, Traité de la poésie fançaise, p. 282.
31 Préface de Delphine Denis au Songe d’Hésiode (1658), dans Madeleine De Scudéry, « De l'air galant » et autres Conversations (1653-1684). Pour une étude de l'archive galante, édition établie et commentée par Delphine Denis, Champion, Paris, 1998, p. 187.
32 Ibid., p. 242.
33 Ibid., note 185, à laquelle est empruntée toute la réflexion de ce paragraphe et du suivant.
34 Nicolas Boileau, L'Art poétique, Chant I, v. 94-95. Le nom de « pont-neuf » a été donné à toute chanson écrite sur un timbre, parce que le Pont-Neuf, à cette époque, bourdonnait de chansons, comme celles contenues dans le recueil Chansons folastres des comédiens recueillies par un d'eux et mises au jour en faveur des Enfants de la bande joyeuse pour leur servir de remède préservatif contre les Tristes ditz Melancolicomorboafflatos, Paris, G. Gorju, 1637.
35 D’après le chansonnier Maurepas, BN, fr. 12637, p. 121 ; éd. Lachèvre des Chansons de Blot, p. 19. Cité par Hubert Carrier, Les Muses guerrières. Les Mazarinades et la vie littéraire au milieu du xviie siècle, Paris, Klincksieck, 1996, p. 164.
36 Le mot est de l’auteur du Courrier extravagant, publié en mars 1649 ([829], Mazarine, M 10456, p. 7). Cité par Hubert Carrier, op. cit., p. 186. La vocation chansonnière du Pont-Neuf est avant tout politique et durant la Fronde, le Grand Condé, qui avait été chansonné après son échec devant Lérida, avant de donner l’assaut à Paris, encourage ses troupes en leur criant : « Enfants, gare les Ponts-Neufs ».
37 Citée par Marc Robine, Anthologie de la chanson française, Paris, Albin Michel, 1994, p. 92.
38 On en trouve plusieurs exemples, notamment dans les chansons de Blot où « couilles » – qui apparaît d’ailleurs sous la forme « c… » – rime avec « pouille », « cons » avec « bougeron » (cité par Hubert Carrier, op. cit., p. 184) : les « poitastres » ne sont pas des poètes et se moquent des traités de l’époque qui interdisent de faire rimer un pluriel avec un singulier (voir Michel Mourgues, Traité de la poésie française, p. 72).
39 Madeleine De Scudéry, Le Songe dHésiode, p. 243.
40 Ibid., p. 242.
41 L'Esthétique galante. Paul Pellisson, Discours sur les Œuvres de M. Sarasin et autres textes. Textes réunis, présentés et annotés sous la direction d’A. Viala, par E. Mortgat et Cl. Nédélec avec la collaboration de M. Jean, Toulouse, Société de Littératures Classiques, 1989, p. 69.
42 Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. 106.
43 Vincent Voiture, op. cit., « A Madame la Princesse, Sur l’air des Landriry », t. 1, p. 98.
44 Lettre X de Voiture à Monseigneur le cardinal de La Valette (Paris, Librairie des Bibliophiles, 1880, t. 1, p. 39). Citée par Fritz Nies, « Chansons et vaudevilles d’un siècle devenu « classique » » dans Dietmar Rieger, op. cit., p. 54. Pour le sens de ces termes, voir ci-dessus, p. 101.
45 Par suite d’un séjour en Espagne en tant qu’émissaire de Gaston d’Orléans.
46 Voir ci-dessous, p. 142.
47 Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. 90.
48 Góngora, Letrillas, « Letrillas atribuidas », lxiv, avant 1604, édition critique de R. Jammes, Paris, Ediciones hispano-americanas, 1963, p. 340. La letrilla est une chanson spirituelle, souvent satirique chez lui.
49 Boileau, L'Art poétique, chant II, v. 192, dans Œuvres complètes, p. 167.
50 Voir Frédéric Charbonneau, « Amitiés bachiques », dans xviie siècle, octobre-décembre 1999, n° 205, p. 749-763. Les femmes en sont exclues car l’inspiration de ces chansons peut être salace, voire pornographique.
51 Cité par André Trofimoff, Rimailleurs et poétereaux, Paris, Chambriand, 1951, p. 201.
52 Saint-Amant, Les Œuvres (1629), dans Œuvres, I, p. 278.
53 Voir la Chanson de Voiture, Nostre Aurore vermeille…, dans Vincent Voiture, op. cit. t. 1, p. 85-86.
54 Madame Deshoulières, Poésies, première partie, Paris, Veuve Sébastien Mabre-Vramoisy, 1688 ; Poésies, seconde partie, Paris, Jean Villette, 1695.
55 Madame la comtesse De La Suze, Poésies, Paris, Charles de Sercy, 1666, p. 55 sq.
56 Voir ci-dessus, p. 101.
57 Cité par Théodore Gérold, L’Art du chant en France au XVIIe siècle, p. 138.
58 Bénigne De Bacilly, Remarques curieuses sur l'art de bien chanter et particulierement pour ce qui regarde le chant français, Paris, 1668, cité par Théodore Gérold, op. cit., p. 141.
59 Madame Deshoulières, Poésies, deuxième partie, p. 42.
60 Ibid., p. 31.
61 Ibid., p. 5.
62 Ibid., p. 363.
63 Ibid., p. 247.
64 Ibid., p. 21.
65 Ibid., première partie, p. 20.
66 Ibid., p. 196.
67 Ibid., deuxième partie, p. 5.
68 Ibid., p. 21.
69 Ibid., première partie, p. 80.
70 Bénigne De Bacilly, op. cit., p. 93, cité par Théodore Gérold, op. cit., p. 141.
71 Charles Pérrault, Parallèle des Anciens et des modernes en ce qui regarde la poésie, tome troisième, Paris, chez la Veuve Jean-Baptiste Coignard et Jean-Baptiste Coignard fils, seconde édition, 1692, p. 140-141, (Genève, Slatkine Reprints, 1979, p. 257).
72 Voir W. Theodor Elwert, Traité de versification française des origines à nos jours, Paris, Klincksieck, 1965, p. 152 et Philippe Martinon, op. cit., p. 454 sq.
73 Antoine Héroet, « Stanse Après qu’il eust fait ce souhait », faisant suite au « Souhait d’un amy vers s’amye » (1550), Œuvres poétiques, éditées par Ferdinand Gohin, Paris, Cornély, 1909, p. 148.
74 Laudun D’aigaliers, LArtpoëtique françois (1597), p. 113.
75 Antoine Arnaud et Pierre Nicole, Nouvelle Methode pour apprendre facilement la langue latine, avec un Traité de la Poësie latine & une bréve Instruction sur les Regles de la Poësie françoise, neuvième édition, Paris, Denys du Puis, 1697, p. 807.
76 Guillaume Colletet, Le Parnasse français ou l’École des Muses, p. 48.
77 Du point de vue syntaxique la strophe s’articule en aab ccbbc.
78 Tristan, Les Amours (1638), dans Les Plaintes d’Acante et autres œuvres, Paris, Nizet, 1984, reproduction en fac-similé de l’édition de 1909, Paris, Edouard Cornély, p. 144-148.
79 Du point de vue syntaxique, la strophe s’articule en aab cbc dd. On peut y voir aussi une structure uniquement rimique aa bcbc dd. Ne vaut-il pas mieux considérer le huitain comme un ensemble ?
80 Malherbe, Œuvres poétiques, t. 1, p. 110.
81 Ibid., p. 128.
82 Ronsard avait employé un quatrain en rimes plates de forme 6s 6s 6s 4s dans l’ode De L’Election de son sepulchre :
Antres, et vous fontaines
De ces roches hautaines
Qui tombez contre-bas
D’un glissant pas :
(Ronsard, Le Quatriesme Livre des Odes, dans Œuvres complètes, I, p. 796).
83 Malherbe, op. cit., t. 1, p. 110.
84 Ibid., t. 1, p. 193.
85 Gilles Ménage, Observations dans l’édition des Poésies de Malherbe de 1666, cité dans Malherbe, Œuvres poétiques, t. 2, p. 100.
86 Voir ci-dessous p. 151.
87 Góngora, Letrillas, « Letrillas satiricas », vii, 1581, éd. cit., p. 31.
88 Malherbe, op. cit., t. 1, p. 110.
89 La Fleur des chansons amoureuses où sont comprins tous les Airs de Court, Rouen, Adrien de Launay, 1600, réédité à Bruxelles, par l’imprimerie de A. Mertens, 1865. Cité par Lila Maurice-Amour dans son article « Malherbe et les musiciens », p. 303.
90 Second livre d’Airs de Cour, à quatre et cinq parties, par Pierre Guedron [Dessus et Haute-Contre] (1613), cité par René Fromilhague et Raymond Lebègue dans Malherbe, Œuvres poétiques, t. 1, p. 128 et t. 2, p. 201.
91 Voir Introduction de Henri Lafay, dans Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. liv. Les stances de Voiture, Je me meurs tous les jours en adorant Sylvie… (ibid., p. 42) sont répertoriées dans le recueil Conrart, sous l’appellation de « chanson ».
92 Peiresc, dans une lettre à Malherbe, parle lui aussi, à propos de ces stances de « chanson du refrain cela se peult facilement » (Malherbe, Œuvres poétiques, t. 2, p. 100).
93 Madame Deshoulières utilise les quintils hétérométriques pour des stances.
94 Tristan, La Lyre (1641), publié par Jean-Pierre Chauveau, Paris, Droz, 1977, p. 174.
95 Vincent Voiture, op. cit., p. 107.
96 La structure rappelle l’ode de Ronsard, De L’Election de son Sépulchre, voir ci-dessus note 82.
97 Dans la version de la chanson populaire « Le petit mari » qui est donnée dans la Suite dite d’Offray (1663) du Le Roman comique, on remarque trois ennéasyllabes (vers 2, 3, 7). Mais, dans la mesure où il ne sont pas césurés, on peut plutôt les interpréter comme des octosyllabes comportant une apocope (quest-c que, un fourmi), le premier vers étant un octosyllabe et les trois premiers vers rimant ensemble :
Mon père m’a donné mari.
Qu’est-ce que d’un homme si petit ?
Il n’est pas plus grand qu’une fourmi.
Hé ! qu’est-ce ? qu’est-ce ? qu’est-ce ? qu’est-ce ?
Qu’est-ce que d’un homme,
S’il n’est, s’il n’est homme ?
Qu’est-ce que d’un homme si petit ?
(Scarron, Le Roman comique, Paris, Garnier, 1967, iii, 9, p. 345).
Cependant, dans une version que donne Patrice Coirault, la partition montre que le 2e vers est un ennéasyllabe, et le 3e, de texte différent (« Il me l’a donné, je l’ai pris »), un octosyllabe. Dans une autre version, le 2e vers est : « Qui n’est pas plus gros qu’un’ fourmi », avec une apocope.
L’ennéasyllabe voisine donc avec l’octosyllabe, selon les options prises par le musicien (Patrice Coirault, Formation de nos chansons folkloriques, Paris, Édition du Scarabée, fascicule 2, 1955, p. 324).
98 Malherbe, Œuvres poétiques, éd. cit., t. 1, p. 164.
99 On rencontre chez Madame Deshoulières des stances : Agréables transports qu'un tendre Amour inspire…, composées de cinq quintils (Madame Deshoulières, Poésies, première partie, p. 117-118).
100 Ibid., p. 213.
101 Vincent Voiture, Chansons, xxix, op. cit., t. 1, p. 87.
102 Paul Scarron, « Philis me traitte avec rigueur… », Edition collective de 1654, dans Poésies diverses, t. 2, première partie, p. 152.
103 Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. 79.
104 Les deux structures de vers sont différentes mais elles constituent néanmoins toutes deux un vers de 13 syllabes.
105 Paul Scarron, Suite des œuvres burlesques, op. cit., t. 1, p. 226.
106 Voir Georges Lote, Histoire du vers français, t. 1, Paris, Boivin, 1949, p. 217 sq. et t. 2, p. 56.
107 A.-Ph. De La Croix, L'Art de la Poësie françoise et latine, 1694, p. 133, cité par Georges Lote, op. cit., t. V, Aix en Provence, Publications-Diffusion Université de Provence, 1990, p. 194.
108 Voir ci-dessous, p. 312.
109 Voir p. 117.
110 Madeleine , « De l'air galant » et autres Conversations (1653-1684). Pour une étude de l'archive galante, p. 243.
111 Sur 37 chansons recensées, seulement 4 sont écrites en vers isométriques.
112 Paul Scarron, Troisième partie des Œuvres burlesques, dans Poésies diverses, t. 1, p. 478.
113 Paul Scarron, Seconde partie des Œuvres burlesques, op. cit., t. 1, p. 322.
114 Ibid., p. 222.
115 Si l’on considère qu’il y a une césure « épique », sinon, c’est un 11s.
116 Est-ce un 3-7s ? Cette structure en tous cas n’est pas récurrente.
117 Ibid., p. 225.
118 Marot l’a utilisé uniquement dans ses épigrammes.
119 Malherbe, Œuvres poétiques, éd. cité, t. 1, p. 198.
120 Voir p. 121.
121 Tristan, La Lyre, 1977, p. 33.
122 Madame Deshoulières, Poésies, première partie, p. 145.
123 Voir ci-dessus, p. 70. Scarron reprend une structure similaire dans la Sérénade : Beauté qui m'assassinez, en substituant au neuvain un onzain :
Beauté qui m’assassinez
Et dont l’œil dessur mon cœur s’acharne,
Ta lucarne
Me devroit monstrer ton nez.
Helas ! je suis pour luy
Jour & nuict dans l’ennuy.
Belle aurore,
Je t’adore,
Je t’honore :
Exhibe toy,
Ou bien c’est fait de moy.
(Paul Scarron, Triolets de Saint-Germain, op. cit., t. 1, p. 443).
124 Paul Scarron, Troisième Partie des Œuvres burlesques, op. cit., t. 1, p. 481.
125 Cité par Théodore Gérold, op. cit., p. 140.
126 Voir ci-dessus, p. 80.
127 Voir ci-dessus, p. 42.
128 François Maynard, Œuvres poétiques, Paris, Lemerre, 1888, t. 3, p. 196.
129 Cette structure de sizain a été largement utilisée au xvie siècle, voir ci-dessus, p. 83.
130 Tristan, La Lyre, p. 28.
131 Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. 77.
132 Beuuons de main en main., ibid., p. 288.
133 Voir le commentaire de R. Fromilhague et R. Lebègue dans Malherbe, Œuvres poétiques, t. 2, p. 101.
134 Paul Scarron, La Relation véritable, op. cit., t. 1, p. 407.
135 Voir ci-dessus, p. 65, note 66.
136 Vincent Voiture, op. cit., t. 1, p. 98.
137 Ibid., p. 115.
138 Ibid., p. 121.
139 Ibid., p. 115.
140 Ibid., p. 118.
141 Paul Scarron, Edition collective de 1654, dans Œuvres poétiques diverses, t. II, 1re partie, p. 150 et Livre des Airs de différents auteurs de Ballard, 1658-1606, cité par Anne-Madeleine Goulet, op. cit., p. 187.
142 Chaulieu, « Lettre à M. Rousseau, sur la Direction que M. de Chamillart lui avoit donnée dans les Finances, à Fontainebleau, en 1707 », dans Œuvres, La Haye-Paris, 1774, [Genève, Slatkine, 1968], t. 1, p. 172, cité par Frédéric Charbonneau, « Amitiés bachiques », éd. citée, p 759.
143 Chaulieu, « Epitre à M. le Marquis de la Fare, qui m’avoit demandé mon portrait, en 1703 », ibid., t. 1, p. 225-226.
144 Voir le titre de l’ouvrage d’ André Trofimoff : Rimailleurs et poétereaux.
145 Jacques Peletier Du Mans, Art poétique, p. 286.
146 Madeleine De Scudéry, « De l'air galant » et autres Conversations (1653-1684). Pour une étude de l'archive galante, p. 243.
147 Chez Scarron, on trouve une rime impure dans la Courante : Philis, de vos regards j’ay le cœur tout percé… (Paul Scarron, Troisième Partie des Œuvres burlesques, dans Poésies diverses, t. 1, p. 493).
148 Vincent Voiture, op. cit., p. 119.
149 Ibid., p. 121.
150 Vaugelas s’étonne que les « paroles prononcées en public » demandent « une autres prononciation que celle qu’elles ont en particulier et dans le commerce du monde », ce qui prouve que lorsque paraissent les Remarques sur la langue françoise en 1647, il y a encore une différence de prononciation entre les paroles déclamées et les paroles ordinaires (voir Claude Favre De Vaugelas, Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris, édition de la Veuve Jean Camusat et de Pierre Petit, 1647 [reprint Paris, Droz, 1934], p. 438.
151 « Il était une fillette », Le Recueil des plus belles chansons de danses, Caen, 1615, citée dans La chanson française du xve au xxe siècle, Paris, La Renaissance du Livre, sans date, p. 91.
152 Molière, Le Misanthrope, I, 2, dans Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1972, p. 158.
153 Hugo s’est amusé à en faire un pastiche dans Les Misérables, chanté par Combeferre :
Si César m’avait donné
La gloire et la guerre,
Et qu’il me fallut quitter
L’amour de ma mère,
Je dirais au grand César :
Reprends ton sceptre et ton char,
J’aime mieux ma mère, ô gué !
J’aime mieux ma mère.
(Victor Hugo, Les Misérables, 3e partie, Livre 4e, ch. 5, dans Victor Hugo, Roman II, notices et notes de Guy et Annette Rosa, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 534).
154 Molière, Le Médecin malgré lui, I, V dans Œuvres complètes, t. 2, 1971, p. 233.
155 Voir ci-dessous, p. 155.
156 Voir ci-dessous, p. 187 sq.
157 Paul Scarron, Troisième Partie des Œuvres burlesques, dans Poésies diverses, t. 1, p. 477.
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