Maurice Rostand
Paris-Midi, 4 juin 1944
p. 196
Texte intégral
1C’est une nouvelle œuvre de l’auteur des Mouches et, comme dans tout ce qu’il écrit, on subit une extraordinaire atmosphère, le climat presque irrespirable de Sartre : il semble que depuis longtemps – j’excepte l’Antigone d’Anouilh – nous n’ayons pas senti la présence au théâtre d’une pareille intelligence. Que l’œuvre soit opportune ou consolante, je ne sais, mais elle existe terriblement et elle constitue peut-être une date du théâtre.
2Ce Huis clos se passe dans une chambre sans glace, sans abat-jour, dont la seule fenêtre est un mur ; les seuls êtres qui y soient admis sont trois humains, qui viennent de mourir : un déserteur, une femme damnée de Baudelaire, une coquette infanticide, et, dans cet enfer symbolique qui n’est que la vie continuée, chacun aura les deux autres pour bourreaux. Non, l’enfer ce n’est pas de brûler indéfiniment mais de ressasser ce qui a été, ce qu’on aurait pu être, de remuer éternellement une vie sur laquelle on ne peut plus rien. Un instant, l’un des damnés voudra s’échapper, aller vers les flammes, plus supportables… Il frappera contre la porte sans espérance… En vain ; il faudra reprendre le supplice et éternellement les trois damnés s’entre-déchireront.
3Une angoisse presque intolérable, une sensation qui fait mal, émanent de cette œuvre trouble. Pour Sartre, comme pour plusieurs nouveaux écrivains d’aujourd’hui, la vie elle-même semble un enfer : il n’y a que Dieu qui pourrait donner une réponse au vertige d’exister.
4On ne saurait imaginer une mise en scène plus intelligente que celle de Rouleau. Et Gaby Sylvia, avec un talent fait de coquetterie et d’astuce, Vitold avec une rare puissance, Tania Balachova, avec une profondeur remarquable, répètent leur enfer dans cette pièce sans issue.
5Paris-Midi, 4 juin 1944.
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