Alain Laubreaux1
Le Petit Parisien, 3 juin 1944
p. 194-195
Texte intégral
1L’affiche théâtrale de Paris nous offre un panorama complet de l’au-delà. Au Vieux-Colombier, on assiste aux affres de trois damnés, tandis que le Théâtre Marist, qui s’est installé à la salle d’Iéna, nous donne dans la vie naïvement contée de saint Gilles le cénobite un avant-goût des béatitudes célestes2. Entre les deux, le Théâtre du Gymnase nous ramène, non pas sur la terre, mais sur les planches, la comédie de M. Robert Boissy étant à coup sûr la moins vraie des trois pièces représentées3.
2Le maître de l’Enfer, dans l’occurrence, est M. Jean-Paul Sartre. Il voit les sombres bords sous l’aspect d’une chambre aux murs tristes, où vont s’affronter et souffrir l’un par l’autre, et pour l’éternité, trois êtres que rien ne devait rapprocher. Le Malin (est-ce que l’auteur se reconnaîtra dans ce sobriquet de Mammon ?) s’est dit, à la manière d’Oreste : « Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder ! » Voilà le drame. Voici ses héros : un déserteur mexicain que les militaires de son pays ont fusillé. Une jeune femme infidèle à son vieil époux et coupable d’un infanticide. Enfin, la Prisonnière. Entendez ce mot au sens que lui a donné M. Édouard Bourdet dans une pièce célèbre, car il est évident que la place d’une femme damnée est en Enfer. Sur le conflit qui va les déchirer tous trois, il conviendrait de les laisser eux-mêmes s’expliquer dans leur langue noire, violente, hachée et bouleversée d’adjectifs. Véritablement une langue infernale, qui rebute l’analyse. Cet homme hanté par les lâches passions qui l’ont guidé sur terre entre deux femmes hantées par l’amour, un amour qui pour chacune d’elles épouse une forme contradictoire, on imagine assez ce que cela devient dans un monde où l’on a oublié de tordre son cou à l’éloquence. Ce ménage à trois est assurément un enfer, et lorsque le rideau tombe on est soulagé à la pensée que si cela doit durer toujours, cela du moins continuera hors de notre présence.
3La mise en scène de M. Raymond Rouleau est assez oppressante et parvient, dans sa simplicité, à dégager une sorte d’angoisse. M. Michel Vitold (l’homme) est un bon comédien qui tire de gros effets de son rôle. Mlle Gaby Sylvia (l’amoureuse) damnerait un saint et Mlle Tania Balachova (la Prisonnière) est satanique à souhait.
4Le Petit Parisien, 3 juin 1944.
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