Henry James : portraits d'auteurs
p. 315-331
Texte intégral
1Il n'est guère de lieux ni de moments de son œuvre où James, « praticien exemplaire de la représentation1 », ne réaffirme sa conviction de la gémellité qui lie peinture et littérature. Témoin, sous sa plume, la polysémie constamment réexplorée du mot « portrait », qui appartient au vocabulaire technique de l'une et de l'autre discipline. Je voudrais ici porter ma réflexion sur les textes de James qui se réfèrent à la tradition du « portrait littéraire » ou portrait d'homme de lettres, et plus précisément sur la série de nouvelles dont les personnages principaux sont des écrivains fictifs2. Images à lire, bien sûr, plutôt qu'images à voir, ces textes réservent à la thématique du visuel et à la description picturale des personnes un rôle et un traitement qui détournent quelque peu le programme annoncé d'une interchangeabilité des arts.
2Par « portraits littéraires », j'entends :
[les] textes publiés à l'origine dans la presse puis rassemblés en série, chacun lui-même titré d'un nom propre et s'attachant à représenter, en quelques lignes, en quelques pages, une personnalité, un écrivain célèbre. Avant d'être assemblés en ‘galerie’, ces portraits littéraires constituaient une des rubriques les plus populaires des journaux et revues3.
3Comme la plupart des auteurs de son temps, de part et d'autre de la Manche et de l'Atlantique, James s'est abondamment livré à cet exercice. Retenons pour exemple Partial Portraits (1888), un recueil d'essais sur des écrivains français, anglais et américains, vivants ou disparus, qui contient aussi un texte sur le dessinateur George Du Maurier et le célèbre manifeste intitulé « L'Art de la Fiction ». Plus originales sont l'abondance et la cohérence des fictions dans lesquelles James dramatise la pratique du portrait littéraire. Ces nouvelles occupent un volume entier (plus une partie d'un autre volume) de l'Édition de New York. Dans le sillage de Sainte-Beuve et de ses Critiques et Portraits littéraires (1832), James avait une conception très sérieuse de l'exercice, conception qui a certes évolué au cours de sa carrière mais qui répond à certains critères invariants. Il ne s'agissait ni de dévoiler les détails d'une vie privée, ni de faire valoir l'art pour l'art, mais de décrire et de commenter l'œuvre en tant qu'il procède d'une personnalité particulière. Ceci grâce à une lecture intelligente, sensible, analytique, compréhensive (voir empathique), et surtout très personnelle. Ni biographie, ni éloge, ni satire, pour James le portrait littéraire est la résultante d'une rencontre entre deux individualités créatrices, celles de l'écrivain et celle du critique, affranchies du goût pour le sensationnel comme des exigences moralisantes ou comptables de leur époque. Dans l'essai sur Stevenson, daté de 1887, James exprime des regrets quant à la dégénérescence du genre, et construit en négatif son propre projet de lecture critique idéale.
It has become the fashion to be effective at the expense of the sitter, to make some little point, or inflict some little dig, with a heated party air, rather than to catch a talent in the fact, follow its line, and put a finger on its essence : so that the exquisite art of criticism, smothered in grossness, finds itself turned into a question of ‘sides’ (PP 138).
4De fait, si l'objectif est celui que professe tout portrait littéraire, à savoir atteindre une ressemblance, James a déjà dépassé dans Partial Portraits la position de Sainte Beuve cherchant l'homme dans ses écrits. Ce n'est pas l'homme qu'il traque, mais l'instance créatrice de textes littéraires, et son discours critique porte en germe dans le monde anglo-saxon la future différenciation proustienne entre la personne et l'auteur.
5Discours novateur n'induit pas nécessairement rhétorique nouvelle. James, pour convaincre, réemploie à profusion la vieille métaphore assimilant le portrait-texte et le portrait-image. Dans Partial Portraits, il déclare employer le crayon, l'encre, une palette de couleurs ; les écrivains sont ses « modèles », ils posent, nus ou drapés. Ils sont eux-mêmes les auteurs de « portraits » ; pour représenter « la vie » ils « préparent l'éclairage », « fabriquent des images », « conçoivent le monde sous forme visible » et « dans l'esprit des arts plastiques ».
6La fiction offre un champ d'expression plus vaste et plus libre, dans lequel Henry James ne renie point cette rhétorique mais complexifie les rapports peintre/modèle, ou critique/écrivain, en établissant d'emblée un, voire plusieurs, niveaux de distanciation. Au centre de ces récits se trouvent en effet toujours non pas un, mais deux personnages, un couple formé par un écrivain chevronné et un disciple plus jeune, journaliste, critique, ou écrivain lui-même, parfois exerçant toutes ces activités à la fois. L'autorité narrative est le plus souvent confiée au disciple, qui s'exprime à la première personne, fait remarquable chez un auteur qui se défie du « je » et des dangers de l'épanchement. « The Lesson of the Master » est certes écrite à la troisième personne, mais c'est le disciple qui y assume la fonction de « centre de conscience ». « The Middle Years » et « The Great Good Place » sont les deux seules nouvelles de la série que James ait entièrement fondées sur la vie intérieure de l'écrivain fictif, mais il y est clairement établi que, sans le disciple, l'inspiration créatrice est vouée à la disparition.
7C'est le disciple donc, dans les nouvelles qui nous occupent, qui mène le plus souvent le jeu et dont les multiples figures précisent, au fil de la série, un idéal Jamesien de communion artistique entre l'écrivain et le critique comme lecteur parfait, une relation symbiotique sans laquelle l'œuvre d'art ne peut s'épanouir4. Mû par son admiration personnelle et/ou mandaté par un périodique pour fournir le « portrait » d'un écrivain connu, le jeune homme donc (ce n'est jamais une jeune femme), s'acquitte ou non de cette tâche, cependant le récit n'est pas directement un portrait d'écrivain, mais plutôt la réminiscence d'un épisode particulier de la rencontre entre deux personnages qui écrivent. Cette trame se double presque toujours d'une intrigue amoureuse, créant un triangle dans lequel un personnage féminin devient l'enjeu d'une rivalité inavouée, ou l'agent d'une séparation du couple masculin.
8Hors texte, James commente cette série de nouvelles, dans les « Préfaces » à l'Édition de New York, comme une série de portraits dont les modèles fictifs obéissent à une double justification. Tout d'abord la fiction est invention du réel : « en quoi consiste l'œuvre du peintre de la vie intelligent, sinon précisément à aider à faire naître de la sorte les vraies significations ? » (CL 243). Ensuite, chacun de ces modèles est inspiré de sa propre expérience :
Je n'aurais […] pas probablement accumulé ces illustrations si je n'avais eu le sentiment de quelque chose d'interchangeable, ou peut-être même de presque indiscernable, entre ma propre aventure générale et l'illustration plus ou moins vivante où je devais voir s'épanouir si fréquemment cette expérience (CL 244).
9Le corpus jamesien de portraits littéraires (critique, fiction et autocritique) dessine ainsi un schéma en boucle : James-auteur critique ses récits, qui peignent des critiques, qui peignent des auteurs, qui sont des « illustrations » de ce que James a vécu en tant qu'auteur. Transposé au plan visuel comme la rhétorique jamesienne nous y invite, un tel schéma suggère des voiles successifs, une stratégie de la réserve et de la pudeur, plutôt que le voyeurisme d'une exposition.
Partial Portraits : le refus de l'icône
10« L'appellation même de ‘portrait littéraire’ », remarque Hélène Dufour, « implique que le texte doit faire ‘image’ à lui seul » (165). On constate qu'en fait de visuel, ni la « contamination du lexique pictural5 », ni le contrat générique annoncé par le terme « portrait », n'induit d'attachement particulier au rendu de l'apparence. En effet, Tourgueniev est le seul des artistes présentés dans Partial Portraits à qui James consacre une description physique. Cette exception s'explique par la mort récente de l'écrivain et l'émotion ressentie par James à cette occasion. Il s'agit d'un « portrait-souvenir », micro-genre où l'évaluation des œuvres littéraires est inséparable du sentiment d'affection éprouvé par le critique pour l'auteur. L'essai sur Tourgueniev se plie donc au cérémonial des morceaux de bravoure attendus : le portrait physique et moral, la première rencontre, la description des lieux intimes. Les images ainsi convoquées ressortissent d'une double démarche d'anamnèse et de projection, qui lie les deux hommes dans le passé et dans la postérité.
11Cette exception mise à part, les hommes et les femmes de Partial Portraits y apparaissent sans visage et sans corps. James insiste pour ne considérer les caractéristiques physiques de l'écrivain que comme représentation métaphorique des caractéristiques de son écriture. L'annonce, dans l'essai sur Stevenson, d'un « effort pour fixer un visage et une silhouette… sur la toile du critique » est immédiatement clarifiée par l'expression « saisir un tempérament littéraire », et la suite du texte montre que « visage » et « silhouette » doivent se comprendre comme « talent ». De même que l'ample « drapé » qui dissimule la nudité du modèle n'est autre que le style de l'écriture de Stevenson, et c'est rien moins que le dictionnaire qui lui tient lieu de garde-robe6. Avec la métaphore de l'habit, Henri James propose ici sa propre version du style comme marque ou empreinte (étymologiquement, rappelle Philippe Hamon, « style » vient du stylet, du poinçon utilisé pour griffer la tablette de cire). James introduit un effet de décalage ironique par rapport à une certaine imagerie qui définit le style comme « la signature de notre personne apposée sur une idée… nos armoiries, notre empreinte, notre effigie7 ». Dans l'essai sur Stevenson, le style n'identifie pas plus l'écrivain que l'habit ne fait le moine, il est néanmoins matière, « plastic material », et aussi tissu, pli, draperie ; il masque autant qu'il révèle. James s'engage dans la tendance qui s'éloigne des thèses physiognomonistes héritées de Balzac pour s'intéresser à « une corporalité de la notion même de style8 ».
12Tout auteur, donc, est « l'homme de son œuvre9 », selon une formule rebattue et radicalisée dans les milieux littéraires de l'époque ; la lecture seule, et non les traits du visage, révèle la personnalité. James se montre également très sélectif quant à l'environnement et aux relations de l'écrivain. S'il compose par exemple des vignettes sur telle vieille tante puritaine ou sur telle figure oubliée du transcendantalisme, c'est afin d'éclairer la formation intellectuelle d'Emerson ; le reste n'est que potins pour rubrique mondaine, donc hors du champ du critique littéraire.
La prosopographie dans les nouvelles
13Les fictions centrées sur le couple écrivain/critique ou maître/disciple s'appliquent à reformuler, voire à marteler les théories sur la littérature et la critique littéraire exprimées par James dans ses essais. La frontière générique est si poreuse que certaines affirmations des essais, se retrouvent parfois mot pour mot dans la bouche d'un personnage fictif. Le St George de « The Lesson of the Master » rappelle le Daudet de Partial Portraits. Ray Limbert (« The Next Time ») s'adresse à ses employeurs du journal The Blackport Banner dans les mêmes termes que James lorsqu'il présente sa démission au New York Tribune, quelque vingt ans plus tôt. Logiquement, on observe dans les récits la même réticence que dans les essais à fournir une image visuelle des personnages-écrivains. Certes, l'économie de la nouvelle ne se prête pas aux développements descriptifs, cependant il est signifiant que les narrateurs s'adonnent plus fréquemment et plus copieusement à la description physique de personnages secondaires qu'à celle du « modèle » dont la nouvelle se veut le portrait, ou qu'eux-mêmes, en tant que personnages-journalistes ou critiques, sont chargés de représenter par écrit.
14James exprime dans Partial Portraits une conviction qui peut expliquer sa réticence pour la prosopographie : l'homme de lettres n'est pas identifiable par son apparence (« there is no such thing in general as the air of the novelist », 39). Aussi bien, le jeune visiteur de « The Author of ‘Beltraffio’ » se laisse-t-il abuser par l'image qu'il s'est forgée d'avance de « la guilde des artistes et des hommes de lettres » (306), tandis que les lecteurs de la nouvelle sont, eux, invités à reconnaître en Mark Ambient un gentleman britannique très conventionnel. Les autres écrivains fictifs font l'objet de descriptions elliptiques et vagues. Par exemple, ils ont tous en commun des yeux « extraordinaires » ou « plaisants », ou un « beau visage lumineux ». Philippe Hamon appelle cela « l'adjectif synthétique euphorisant », qui fait état du manque de savoir faire du narrateur10. Ou bien ils font l'objet de prétéritions, de stratégies d'évitement, comme ici à propos de Ray Limbert dans « The Next Time » : « those to whom his face was familiar can easily imagine what it must have been when it still had the light of youth (192)11 ». Enfin, par instants, il semble que Henry James se livre à quelque clin d'œil lorsqu'on croit, fugitivement, reconnaître sa propre silhouette : c'est Dencombe dans « The Middle Years », « the quiet old convalescent in the great tweed cape (58)12 » ou encore Frank Saltram dans « The Coxon Fund » qui, bien que James affirme voir en lui « un vague reflet de Coleridge » ressemble néanmoins à son créateur :
suddenly… there was projected against this clearness the image of a massive, middle-aged man seated on a bench, under a tree, with sad, far-wandering eyes and plump white hands folded on the head of a stick (174)13.
15Tout ici, la soudaineté, le lexique du théâtre d'ombres (ce que voit le narrateur n'est pas un homme, mais l'image projetée d'un homme) fait penser aux apparitions éclairs que fera plus tard Hitchcock dans ses films et qui ne cessent de ravir les spectateurs. L'effet souligné est celui d'une illusion d'optique, peut-être le produit de l'imagination du lecteur qui traque Henri James à chaque page ; en tous cas c'est un procédé qui relève plus de l'auto-ironie que du portrait physique de personnage fictif.
16Dans l'ensemble, la prosopographie d'écrivain n'est pas absente mais fragmentaire, diffuse, courte et imprécise. Parmi diverses fonctions, elle véhicule une forte charge ironique à l'encontre des narrateurs et contribue à l'établissement d'une complicité intellectuelle directe entre auteur et lecteurs, mais en aucun cas elle ne donne lieu à un effet-tableau. Point de ressemblance avec tel ou tel chef d'œuvre de la peinture historique ou fictive : lorsqu'il est fait mention d'un peintre réel ou d'un genre pictural connu, c'est toujours à propos d'un personnage secondaire féminin. Le narrateur de « The Author of ‘Beltraffio’ » ne voit dans les personnes et les lieux qui l'entourent que des imitations d'œuvres d'art. Ainsi, la sœur de l'écrivain Mark Ambient, avec ses « postures à la Michel-Ange » et ses costumes moyenâgeux, « peut fort bien passer pour un Rossetti », tandis que Mrs Ambient évoque pour lui un Gainsborough, un Lawrence ou un Reynolds14. Ces assimilations relèguent à un rang accessoire l'objectif de caractérisation et fonctionnent avant tout, elles aussi, comme outils de l'ironie jamesienne en direction du narrateur tout en composant à travers lui une satire en demi-teinte de l'esthétisme, mouvement initié en Angleterre par Walter Pater dans les années 1870. La satire se radicalise à mesure que James se démarque de ce mouvement et de son avatar le décadentisme. Ainsi, onze ans plus tard, la veuve noire en son boudoir rose, dans « The Real Right Thing », devient-elle « some ‘decadent’ colored print, some poster of the newest school15 » (481).
17Si nul écrivain jamesien ne ressemble à un tableau ou à un genre existant, il ne se prête pas non plus sans dommage au cérémonial du portrait peint. Cette vogue fait l'objet d'une page satirique très drôle dans « The Death of the Lion » où le peintre mondain, Mr Rumble, « journaliste de la toile », est vu comme un dompteur à califourchon sur la vague de notoriété des animaux de cirque que sont ses modèles, et ses cadres comme les cerceaux bigarrés au travers desquels sautent ses fauves. En aucun cas le portrait peint n'honore l'écrivain, c'est ainsi que plusieurs des héros de James refusent jusqu'à leur mort de poser pour qui que ce soit, peintre ou photographe.
18Contrairement à la pratique de James pour d'autres types de personnages, la description de l'écrivain ne fait jamais l'objet d'un agencement pictural. Nulle embrasure de porte, nulle loge d'opéra en forme d'écrin ne vient créer l'impression d'un cadre. L'écrivain n'arbore pas les attributs de son art : libres de plume ou de papier, ses doigts ne portent que des cigarettes d'où s'exhale une fumée oisive. Dans la disposition du texte pas de changement de régime, dans le langage descriptif pas de termes métapicturaux, et le lexique du peintre est paradoxalement moins abondant dans la prosopographie que dans les discours sur la théorie de la fiction.
19Remarquons le cas particulier de « The Lesson of the Master ». Le disciple Paul Overt y commet la même erreur que son confrère de « The Author of Beltraffio » en croyant qu'un romancier doit avant tout ressembler à un romancier. Il ne sait que penser lorsqu'il voit Henri St George pour la première fois et lui trouve l'air d'un prospère agent de change. Voici le compte-rendu de leur deuxième rencontre :
He saw more in his face, and he liked it the better for its not telling its whole story in the first three minutes. That story came out as one read, in little installments (it was excusable that Overt's mental comparisons should be somewhat professional), and the text was a style considerably involved — a language not easy to translate at sight. There were shades of meaning in it and a vague perspective of history which receded as you advanced (224)16.
20La métaphore filée employée ici, soulignée par le métadiscours réflexif entre parenthèses, assimile à rebours le visage de l'écrivain, non pas à une image visuelle, mais à une page de fiction, énigmatique, presqu'illisible, en tous cas susceptible d'appeler à une lecture erronée. Avec cette description le narrateur emboîte le pas à une tendance française qui procède à une « identification entre l'homme et l'œuvre ». Dufour cite comme exemples le portrait de Chapelain par Gautier : « quelques grandes rides scientifiques pleines de Grec et de Latin » ou celui de Heine, qui a « des lèvres harmonieuses ‘assorties comme deux belles rimes17 ». Le déni du visuel et l'appropriation du descriptif par la métaphore textuelle reformule à l'évidence le manifeste selon lequel, chez l'écrivain, il n'y a rien à voir, et tout est à lire.
21Deux nouvelles de James dramatisent ce credo sur le mode comique. C'est d'abord « The Death of the Lion » où le discret Neil Paraday, après avoir été « découvert » par un journal en quête de nouveautés, fait l'objet d'une soudaine vogue dans les milieux les plus huppés. Il devient, selon une imagerie elle aussi bien installée à l'époque, le « lion » de la « ménagerie » artistique, animal noble et adulé mais vite remplacé lorsqu'il gît mourant dans un château où aucun des invités réunis en son honneur n'a jamais lu la moindre ligne de ses œuvres. Parallèlement, pour protéger le maître, le narrateur-disciple entreprend de le soustraire aux regards de ses admirateurs, de l'y soustraire si littéralement et si absolument que Miss Hurter, la seule personne qui aime Paraday pour ses livres, se demande si l'écrivain est laid ou difforme. Le narrateur offre sa personne, comme suppléant, ou « représentant » de Paraday aux regards de la jeune fille, et la conclusion de la nouvelle suggère que ses motivations n'étaient pas toutes littéraires. Le ton général est celui de la comédie, mais le texte pose en filigrane le problème théorique de la représentation critique en jouant sur trois significations différentes du verbe « représenter » (montrer, se substituer à, mettre en scène) :
Let whoever represent the interest in his presence, I should represent the interest in his work — in other words in his absence. These two interests were in essence opposed18 (95).
22La monstration, l'exhibition, est le rôle des bienfaitrices et des journalistes, de même que la mise en scène. L'écrivain ici est offert en spectacle, mais la scène n'est plus qu'une « parade » (comme le suggère le nom, « Paraday ») sous un chapiteau de cirque. Le rôle de médiation, d'ambassade revient au critique, même s'il échappe à la sagacité du personnage que sa médiation s'est transformée en substitution.
23La nouvelle « The Coxon Fund » explore la même problématique en des circonstances inverses : le narrateur-disciple ne réussit pas à « exhiber » le maître rétif, Frank Saltram, qui s'obstine à rester introuvable chaque fois qu'il est supposé donner une conférence. Pour consoler la potentielle admiratrice et mécène, déçue de ne pas voir le grand homme, il en décrit la laideur physique (il est vieux, obèse et informe). Ce qu'il y a à « à voir », chez Frank Saltram, c'est, paradoxalement, son discours parlé, en tant qu'il reflète son esprit.
The exhibition of a splendid intellect… The sight of a great suspended, swinging crystal, huge, lucid, lustrous, a block of light, flashing back every impression of life and every expression of thought19 ! (133)
24Il faut remarquer la métaphore du cristal car James figure plus souvent l'esprit de l'artiste comme une plaque de métal précieux. Philippe Hamon a relevé le phénomène qui fait de « la stylistique générale du xixe siècle… une sorte de stylistique des empreintes fonctionnant par ajustements réciproques : l'écrivain est une sorte de 'plaque sensible' recevant les impressions et les empreintes du monde extérieur, et il les reproduit dans son œuvre, par creusements et par « reliefs », lesquels creusements et reliefs s'imprimeront à leur tour en symétrie… dans le cerveau du lecteur ‘impressionnable’20 ». L'esprit de Saltram ne possède pas cette capacité. Le globe de cristal, contrairement au métal poli, reflète sans se laisser marquer. La métaphore choisie pointe le défaut sous le dithyrambe, elle indique le manque fondamental qui condamnera Saltram à la stérilité.
Visibilité et statut de l'écrivain
25La question de la visibilité de l'écrivain, rendue littérale dans les anecdotes sur Saltram et Paraday, est un avatar de celle, capitale pour James, de la place du romancier dans la société. Cette question se pose chez lui de manière récurrente en termes d' « éminence », d' « importance », de « grandeur », de « supériorité », de « distinction ». Il faut, pour que l'écrivain vive et continue à créer, que son importance soit reconnue, que son talent lui assure un statut et que son œuvre perdure après sa mort. Comme le souligne Da Rosa, l'obscurité, même librement acceptée, tue l'artiste et saborde sa postérité21. C'est la thématique principale de « The Next Time », dont on comprend aisément le rapport avec les souffrances de James devant les limites de sa propre notoriété. Pour exister socialement et pour assurer sa gloire posthume, l'écrivain doit-il se donner à voir ou se donner à lire ? La frontière n'est pas si nettement tracée et elle constitue l'un des thèmes fondamentaux de la série de nouvelles étudiées ici. Le portrait littéraire a bien sûr pour objectif d'œuvrer à la reconnaissance et de son rédacteur et de son modèle, c'est pourquoi, comme le note Hélène Dufour, les recueils de portraits littéraires ressemblent parfois à un « échange de bons services » et constituent des équivalents de « l'annuaire d'un club littéraire (25) ».
26Avec « John Delavoy », James met en fiction un phénomène de plus en plus répandu à son époque et contre lequel il a vigoureusement lutté, il s'agit de la tendance à faire figurer un portrait peint ou un portrait photographique de l'écrivain en exergue de son portrait littéraire. L'écrivain John Delavoy, mort deux ans avant le début de la diégèse, jouit d'un timide regain de popularité dont Mr Beston cherche à faire profiter le journal qu'il dirige, une publication à grand tirage judicieusement intitulée The Cynosure (Le Point de Mire). Il faut préciser que dans la seconde moitié du xixe siècle « la mort de l'homme de lettres passionne », et que « le portraitiste a un rôle de rédempteur, il est celui qui combat les injustices de la fortune et de la gloire22 ». Mr Beston se met donc en quête d'une plume qui lui fournirait des détails « personnels », sur le grand homme. « He wants… anecdotes, glimpses, gossip, chat ; a picture of his ‘home-life’, domestic habits, diet, dress, arrangements — all his little ways and little secrets23 » (428). Nous sourions, mais Mr Beston figure ici une volonté d'ancrage dans le réel tout à fait en vogue à l'époque. Le narrateur, un jeune critique admirateur de Delavoy, soumet à Beston un article que tout concorde à faire percevoir comme un parfait exemple de critique jamesienne. Il y analyse, sans détour de convenances, les œuvres de Delavoy et leur sujet principal : les relations entre les sexes. Malgré l'approbation éclairée de Miss Delavoy, la sœur du défunt, Mr Beston refuse de publier l'essai, au prétexte qu'il est « indécent ». James formule ici une nouvelle fois son agacement pour l'hypocrisie victorienne et puritaine des pays anglo-saxons. Parallèlement, il existe du maître, qui a toujours refusé de poser devant un photographe ou un peintre, un portrait au crayon, exécuté de son vivant par Miss Delavoy. Même s'ils travaillent en réalité à des objectifs plus personnels, les deux hommes s'affrontent en de longues joutes oratoires quant à la manière d'assurer à John Delavoy une visibilité et une lisibilité posthume. Leurs dialogues sont truffés de malentendus sur les sens des termes « portrait », « image », « sujet », « ressemblance », « rendu », « dévoilement », « exposition ». Pour Mr Breston, rendre « visible » est à prendre au pied de la lettre, c'est pourquoi les traits du visage ainsi que les objets et les lieux familiers revêtent une si grande importance. Ils doivent être reproduits à des milliers d'exemplaires pour assurer une « réverbération » (un terme très fréquent chez James à propos de la presse) et placer un portrait iconographique de l'écrivain sous les regards de tous. Par l'excellence de son article, le critique conquiert l'amour de la jeune femme, mais aucun journal à grand tirage n'accepte son « portrait littéraire » de John Delavoy, tandis que le croquis au crayon se trouve, lui, exposé dans les pages du Point de Mire. Le portrait dessiné subsiste donc comme seule représentation reconnue et effective de l'écrivain. La fiction se fait ici paradigme du destin que suivra historiquement le portrait littéraire : dès la fin du siècle, il se verra supplanté, grâce aux progrès des techniques de diffusion, par l'image, photographique le plus souvent, et par les interviews, donnés soit par l'écrivain soit par ses proches. L'écrivain alors, explique Hélène Dufour, « se donne à voir et parle directement24 ».
Le bureau de l'homme de lettres
27La réticence à la description visuelle s'assouplit quelque peu lorsqu'il est question des lieux privilégiés de la rencontre avec l'artiste, et en cela Henry James se conforme volontiers à l'une des constantes du portrait littéraire au xixe siècle, qui charge de sens la description de la pièce où s'effectue la création. Philippe Hamon a étudié le statut de l'atelier d'artiste et de ses avatars, comme le bureau de l'homme de lettres, dans ce qu'il appelle « l'iconotope du siècle25 ». Chez James, comme chez la plupart des auteurs de son époque, le bureau fournit un passage obligé du portrait, où chaque détail d'architecture, de décoration, de lumière, de contenu, porte la marque de la personnalité de son occupant autant qu'il informe cette personnalité. Comme l'atelier, le bureau est, dans les termes de Philippe Hamon,
[le] lieu de transformation du réel en représentations, de signes en consignes, lieu de ‘fabrique’ artisanale d'objets esthétiques,… décrit dans un texte littéraire il se présentera donc naturellement comme un lieu de reformulation de formules, un lieu de collage et de réécriture entre des discours normatifs, où le discours théorique… critique… éthique… esthétique… et technique interfèrent et se substituent sans cesse les uns aux autres. En cela le topos est bien trope, lieu de transfert du sens26.
28Avec quelques variantes, les descriptions de bureaux d'hommes de lettres, dans les récits de James, assument des fonctions somme toute assez traditionnelles. Pour les lecteurs des journaux où se multiplient les portraits littéraires, le bureau est le lieu de la rencontre avec la vie privée de l'homme célèbre, là où le voyeurisme peut se parer de vertus intellectuelles. La satire jamesienne fustige sans retenue cette hypocrisie, témoin le discours hilarant du journaliste Mr Morrow dans « The Death of the Lion » :
‘I was shown into the drawing-room, but there must be more to see – his study, his literary sanctum, the little things he has about, or other domestic objects or features. He wouldn't be lying down on his study-table ? There's a great interest felt in the scene of the author's labours. Sometimes we're favoured with very delightful peeps. Dora Forbes showed me all his table-drawers, and almost jammed my hand into one into which I made a dash !27’ (90-91).
29Pour les narrateurs-disciples, le bureau est à la fois un lieu d'inspiration et l'endroit propice à une fusion avec le maître, voire à la possibilité de supplanter ou de surpasser son talent. Il est également un sanctuaire où toute intrusion par un autre que lui-même est une agression contre la personne et contre la créativité du maître. Pour le biographe d'un écrivain disparu (je pense ici à « The Real Right Thing »), le bureau est une interface avec l'au-delà, il réunit les objets et les circonstances les plus propres à inviter une « apparition » fantasmatique, ou à tout le moins l'illusion de la présence du mort. Pour l'écrivain lui-même, le bureau est bien entendu le lieu d'origination de l'écriture, aussi n'est-il pas rare que James, dans ses préfaces, décrive ses pièces de travail et leur rôle dans la « germination » d'une graine jusque-là enfouie. Dans les nouvelles, le bureau balaie selon les cas tout l'éventail des topoï de la lutte contre un monde hostile à l'expression du génie : c'est un refuge, une cage, ou un champ de bataille. Dès lors qu'il donne prise au monde extérieur (il faut relire la description de l'amoncellement de papiers qui occupe l'espace chez Georges Dane dans « The Great Good Place »), le bureau tue toute créativité.
30Deux nouvelles du début de la série, « The Author of Beltraffio » et « The Lesson of the Master », fournissent des exemples très signifiants. Dans « The Author of Beltraffio », le bureau est le seul des lieux dans lesquels évolue Mark Ambient qui échappe à l'obsession esthétisante du narrateur et ne soit pas perçu comme l'imitation d'une œuvre d'art. Il faut sans doute comprendre cette particularité comme une suspension de l'ironie jamesienne, l'invitation à une lecture sérieuse. La première description du bureau n'intervient paradoxalement qu'après le compte rendu de la conversation qui s'y est déroulée, et qui a porté comme il se doit sur le « point de vue » du grand homme en matière de théorie du roman. C'est le « discours normatif » dont parle Philippe Hamon. Ce compte rendu se clôt sur l'emphase et l'indéfini du terme « perfection » : « he arrived at perfection, and I don't see how you can go beyond that ». Or le « beyond that », l'au-delà textuel de l'affirmation d'une perfection, c'est précisément la description du bureau. Le passage au visuel fonctionne donc comme réembrayage du texte après le constat de l'impossibilité de l'analyse théorique :
…he arrived at perfection, and I don't see how you can go beyond that. The hours I spent in his study – this first one and the few that followed it ; they were not, after all, so numerous – seem to glow, as I look back on them, with a tone which is partly that of the brown old room, rich, under the shaded candlelight where we sat and smoked, with the dusky, delicate bindings of valuable books ; partly that of his voice, of which I still catch the echo, charged with the images that came at his command28 (323-324).
31La patine des vieux livres et des meubles anciens à la lueur des chandelles est un des leitmotivs jamesiens, elle pose implicitement le topos de l'intime par contraste avec les éclairages modernes et le clinquant des salons. La polysémie du mot « tone » permet un va et vient, de l'apparence des lieux au timbre de la voix du maître, et de la voix du maître à la création d'images. Dans l'autre description du même bureau, plus avant dans la nouvelle, un parfum de vieux cuir vient enrichir l'extase synesthésique. On le sait, le pictural et le temporel s'associent souvent chez James sous l'égide de ce vocable « tone », et s'il n'y a pas ici à proprement parler de « tableau », le passage descriptif emprunte suffisamment de marqueurs picturaux pour qu'on puisse lui appliquer l'analyse suivante d'Évelyne Labbé :
Patine du temps, le ton, en peinture, devient la profondeur métaphorique qui dote le tableau d'une intériorité – et d'une antériorité – imaginaire. Tonalité (voire note musicale, donc préverbale) du temps perdu, il suggère lui aussi que les dérives des figures jamesiennes, moins anarchiques qu'il n'y paraît de prime abord, gravitent en secret autour d'un rapport à l'origine, où langage et image s'abîment ensemble29.
32Une triple nostalgie sourd en effet, me semble-t-il, du passage descriptif en question : celle, propre au narrateur, des entretiens en tête-à-tête avec le grand homme (« as I look back on them ») ; avec elle la nostalgie jamesienne d'un lieu de création idéal, protégé du progrès technique et de la frénésie des avidités sociales ; et enfin une nostalgie des sources de la création artistique, profondeur inatteignable et indescriptible, où l'on rejoint cette « perfection » qui avait contraint au mutisme le discours théorique.
33Dans « The Lesson of the Master », le bureau est le lieu désigné de la « leçon » que St George affirme avoir apprise à ses dépens et dans la douleur avant de songer à la transmettre. Cette « leçon », qui préconise à l'écrivain en herbe le renoncement et le célibat, relève d'un phénomène fréquent dans tout le milieu du xixe siècle, à savoir, selon les termes de Philippe Hamon, « le débat à perdre haleine sur la question de savoir si l'artiste ne doit pas rester vierge, ou chaste, ou célibataire, si la femme ne ‘tue’ pas l'artiste30 ».
St George was in his shirt-sleeves in the middle of a large, high room – a room without windows, but with a wide skylight at the top, like a place of exhibition. It was furnished as a library, and the serried bookshelves rose to the ceiling, a surface of incomparable tone, produced by the dimly-gilt « backs, » which was interrupted here and here by the suspension of old prints and drawings. At the end furthest from the door of admission was a tall desk, of great extent, at which the person using it could only write standing, like a clerk in a counting-house ; and stretching from the door to this structure was a large plain band of crimson cloth, as straight as a garden path and almost as long, where, in his mind's eye, Paul Overt immediately saw his host pace to and fro during his hours of composition31 (258).
34L'effet-tableau (le maître en son atelier) est ici encore plus manifeste, et ce dès l'ouverture avec le terme « exhibition ». Certes on retrouve dans le bureau de St George le fameux « ton », les reliures patinées et les gravures anciennes dont la simple mention estampille le lieu comme abritant un authentique artiste jamesien. Cependant, l'architecture est étrange : pas de fenêtre mais une verrière dans le toit, un lutrin qui oblige à écrire debout, un tapis rectiligne à arpenter dans les moments de cogitation. C'est, d'après St George, la productivité et non l'inspiration qui règne ici : la pièce, organisée non par ses soins mais par ceux d'une épouse gestionnaire vigilante, est une fabrique de romans à succès, le lieu où se gagnent, au sens financier du terme, le confort familial et le rang social, mais non point la distinction littéraire. Le disciple lui, s'il suit la leçon, devra parcourir le monde pour nourrir sa créativité, le luxe fallacieux de la pièce sans fenêtre n'active que la production de livres sans substance, « de la camelote, de la pacotille », s'exclame St George.
35On le voit, tout comme la description de l'apparence du maître, au début de « The Lesson of the Master », celle de sa pièce de travail fonctionne comme élément de l'ambiguïté fondamentale et non résolue du personnage, entre artiste jamesien et champion du grand tirage. Le lieu est trompeur, tout comme le texte qui s'y fabrique. L'individu n'est pas la somme des éléments de sa « coquille », pour reprendre un terme utilisé par Madame Merle dans The Portrait of a Lady, et si les signes extérieurs ne sont pas à négliger pour leur pouvoir révélateur, seule une approche de sa vie intérieure peut permettre un « portrait » du personnage. C'est la magie de la fiction, mais elle est déniée ici à Henri St George, comme à Mark Ambient et à d'autres, puisque la technique adoptée est celle de la narration par un autre personnage, condamné donc à une vision extérieure. Si le bureau du maître est bien le lieu où l'on discute théorie de la littérature, sa description est le texte où se font jour implicitement les convictions de Henry James sur ce qu'est, non pas un « portrait littéraire » au sens journalistique du terme, mais un portrait en littérature.
36C'est sur cette notion de « portrait en littérature » que je voudrais conclure. À relire l'essai de 1884 « The Art of Fiction », on pourrait penser qu'au travers de l'analogie fiction / peinture Henry James cherche à emprunter de sa dignité à la peinture, art reconnu comme celui de la représentation du réel. Au terme de ce nécessairement lacunaire tour d'horizon des « portraits littéraires » dans les nouvelles de James, on constate au contraire une mise en cause du pouvoir de 'l'image à voir' lorsqu'il s'agit de représenter un écrivain. Cette mise en cause existe d'une part au niveau thématique-diégétique, où le portrait-image est si souvent fustigé, et d'autre part au niveau technique, comme le révèle la méfiance pour la prosopographie.
37Il faut aussi conserver à l'esprit le parti pris constant de l'ironiste, qui se déploie à chaque page : les portraits jamesiens d'hommes de lettres ne sont jamais des tableaux, même s'ils empruntent à la peinture son lexique et de nombreuses références culturelles, et les regards biaisés des narrateurs-disciples se trouvent mis en question par une permanente complicité entre l'auteur et les lecteurs. Seules deux nouvelles de la série économisent l'intermédiaire du narrateur-personnage et invitent les lecteurs dans la vie intérieure de l'artiste dont elles sont le portrait en texte, il s'agit de « The Middle Years » (1893) et de « The Great Good Place » (1900), dont j'ai eu l'occasion en d'autres lieux d'étudier les stratégies de représentation32.
38Le traitement de l'écrivain fictif, personnage par excellence qui se dérobe au portrait à voir, démultiplie la conviction jamesienne, exprimée avec force précisément dans la préface à The Portrait of a Lady, selon laquelle l'objectif de l'écriture n'est pas à chercher dans un rendu de la matérialité du monde mais dans celui de l'aventure des consciences. Écrire le portrait d'un écrivain, pour James, c'est pénétrer le monde intérieur d'une conscience, elle-même créatrice d'autres mondes intérieurs ; c'est briser par l'écriture les limites du visuel et repousser toujours plus loin celles de l'indescriptible et de l'irreprésentable.
Bibliographie
Textes utilisés
The Complete Tales of Henry James, ed. Leon Edel (12 volumes), Londres, Rupert Hart Davis (1962-1964). [CT]
Henry James, Partial Portraits, Londres, Macmillan and Co, 1919. (première édition : 1888). [PP]
Henry James, La Création littéraire, préfaces de l'Edition de New York. Trad. Marie-Françoise Cachin, Paris, Denoël-Gonthier, 1980. [CL]
Travaux cités
Chapman, Sara, Henry James's Portrait of the Writer as Hero. New York : St Martin's Press, 1989.
Da rosa, Marc, « Henry James, Anonymity and the Press : Journalistic Modernity and the Decline of the Author ». Modern Fiction Studies 1997 Winter 43 (4), 826-59.
Dufour, Hélène, ‘Portraits, en phrases’, les recueils de portraits littéraires au xixe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
Hamon, Philippe, Imageries, littérature et image au xixe siècle, Paris, José Corti, 2001.
Labbé, Evelyne, « Henry James. L'in(dé)fini du tableau », Polysèmes n° 4, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1993.
Louvel, Liliane, Like Painting…, Poitiers, La Licorne, 1999.
Louvel, Liliane, Texte/Image, images à lire, textes à voir, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Interférences », 2002.
Notes de bas de page
1 Cornelius Crowley, Like Painting, p. 171.
2 principalement « The Author of Beltraffio » (1884, CT vol 5), « The Lesson of the Master » (1888, CT vol 7), « The Middle Years » (1893, CT vol 9), « The Death of the lion » (1894, CT vol 9), « The Coxon Fund » (1894, CT vol 9), « The Next Time » (1895, CT vol 9), « The Figure in the Carpet » (1896, CT vol 9), « John Delavoy » (1899, CT vol 9), « The Real Right Thing » (1899, CT vol 10) « The Great Good Place » (1900, CT vol 11).
3 Définition par Hélène Dufour, Portraits, en phrases, v.
4 Sujet développé par Sara Chapman.
5 Liliane Louvel, Texte/Image, 182.
6 Partial Portraits, 140 (ma traduction).
7 Ernest Hello cité par Philippe Hamon, Imageries, 272.
8 Imageries, 272.
9 Portraits, en phrases, 279.
10 Du Descriptif, 38.
11 « ceux qui ont connu son visage imagineront aisément ce qu’il devait être lorsque l’éclat de la jeunesse y brillait encore » (ma traduction).
12 « ce vieux convalescent discret dans sa grande cape de tweed » (ma traduction).
13 « tout à coup se trouva projetée dans cette clarté l’image d’un homme d’un certain âge, massif, assis sur un banc sous un arbre, le regard errant tristement dans le lointain et les mains, blanches et dodues, croisées sur le pommeau d’une canne » (ma traduction).
14 « The Author of ‘Beltraffio’» (319, 320, 341).
15 « quelque ‘décadente’ gravure en couleurs, quelque affiche du dernier mouvement à la mode » (ma traduction).
16 Il vit davantage de choses dans son visage, et il l’apprécia d’autant mieux que celui-ci ne livrait pas toute son histoire dans les trois premières minutes. Cette histoire se révélait à mesure qu’on lisait, par petits épisodes (on pardonnera aux comparaisons d’Overt d’être quelque peu professionnelles), c’était un texte au style extrêmement complexe, un langage difficile à traduire à vue. Il comportait des nuances de sens et la suggestion d’une perspective historique qui reculait à mesure que vous avanciez » (ma traduction).
17 Portraits, en phrases (279-280).
18 « Que les autres représentent l’intérêt que l’on trouve à sa présence, je représenterais quant à moi l’intérêt que l’on trouve à son oeuvre – en d’autres termes, à son absence. Ces deux sortes d’intérêt étaient fondamentalement opposées » (ma traduction).
19 « La révélation d’un intellect splendide… la vision d’un magnifique cristal suspendu dans un mouvement de balancier, énorme, lucide, bloc de lumière qui vous renvoie en un éclair chaque impression de la vie et chaque expression de la pensée » (ma traduction).
20 Imageries, 274.
21 « Henry James, Anonymity and the Press » (30).
22 Dufour, 236 et 266.
23 « Ce qu’il veut, ce sont des anecdotes, des coups d’oeil, des commérages, des bavardages, un tableau de sa vie quotidienne, de ses habitudes domestiques, de son alimentation, de ses costumes, de son organisation – tous ses petits usages et ses petits secrets » (ma traduction).
24 Portraits, en phrases (19).
25 Imageries, 31.
26 Imageries, 126-127.
27 « ‘On m’a fait entrer dans le salon, mais il y en a certainement plus à voir – son bureau, son saint des saints littéraire, les petites choses dont il s’entoure, les objets, les caractéristiques de son intérieur, que sais-je ! Tenez, ne ferait-il pas par hasard la sieste sur sa table de travail ? Les gens s’intéressent beaucoup au cadre dans lequel les auteurs déploient leurs efforts. Nous avons parfois le privilège de coups d’oeil délicieux. Dora Forbes m’a montré tous ses tiroirs, et il a même failli me coincer la main que j’avais plongée dans l’un d’eux’ » (ma traduction).
28 « …il atteignait à la perfection, et je ne vois pas comment on peut aller plus loin. Les moments que j’ai passés dans son bureau – cette première fois et les quelques autres qui ont suivi, il n’y en eut après tout que très peu – me semblent rayonner, quand j’y repense, d’un ton provenant d’une part de la pièce marron surannée où je nous revois assis, fumant dans la lueur ombrée des chandelles, entourés de livres rares aux reliures sombres et fragiles ; et d’autre part de la voix d’Ambient, dont j’entends encore l’écho, une voix riche des images qu’il convoquait à loisir » (ma traduction).
29 Polysèmes 4, 83.
30 Imageries, 135.
31 « St George était en manches de chemise au milieu d’une haute et vaste pièce – une pièce sans fenêtre, mais au plafond percé d’une large verrière, comme un lieu d’exposition. Elle était meublée comme une bibliothèque dont les rangs serrés d’étagères s’élevaient jusqu’au plafond, surface au ton incomparable, le ton des dorures estompées au dos des livres, interrompue ici et là par quelques dessins et gravures anciennes. À l’opposé de la porte d’entrée se trouvait un grand bureau, si haut qu’on ne pouvait y écrire que debout, à la manière des comptables, et au sol, de la porte à ce meuble, s’étendait une large bande de tissu écarlate assez ordinaire, aussi droite et presqu’aussi longue qu’une allée de jardin, où Paul Overt imagina immédiatement le maître en train de faire les cent pas dans les moments de création » (ma traduction).
32 Communication à la « Henry James Conference », organisée par la Henry James Society, Paris, juillet 2002.
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