La voix de Mélusine
p. 73-82
Texte intégral
1Félix Mendelssohn entend à Berlin, en 1833, l’opéra de Konradin Kreutzer, Melusina, sur un livret de Grillparzer. L’œuvre lui déplaît, principalement l’ouverture que le public a redemandée da capo. C’est ce qu’il écrit à sa sœur Fanny, et cela l’incite à une réécriture1. Il veut produire une œuvre « mehr inwendig » [plus intérieure] : ce sera Die Schöne Melusine, une « ouverture » qu’aucun développement ne poursuit. Il faut voir dans cette démarche une rupture avec les usages de l’opéra italien auquel on reproche l’absence de continuité, l’attachement au mot, le défaut de raconter au heu de « caractériser », comme le remarquait Schumann, qui appréciait fort cette œuvre de Mendelssohn2. Il s’agit, en s’opposant à un « primiuvisme3 » qu’incarne Kreutzer, héritier de l’opéra du xviiie siècle, de constater la faillite de l’union de la poésie et de la musique qui était jusqu’alors le fondement esthétique du théâtre lyrique et de postuler que la musique est un langage en soi. Pour cette raison, il préfère au texte de Grillparzer déjà très dramatisé et organisé, la Sehr Wunderbare Historie von der Melusina que Ludwig Tieck a donnée en 1800, récit mêlé de chants organisé simplement, proche du texte original de Thüring von Ringoltingen. Mendelssohn redonne à la musique un pouvoir qui lui avait été retiré depuis longtemps, celui d’expression et de lieutenance du chant.
2Devenu musique, le chant de Mélusine a perdu toute articulation, voire toute signification, et devient par là, comme le disait encore Schumann, « poétique ». N’étant plus différencié musicalement de ce qui est évocation d’événements, mouvements des corps ou bien émotions, le chant n’est plus pressenti comme tel par l’auditeur : tout semble taillé dans un même tissu. Et pourtant cet auditeur se trouve emporté vers le centre de gravité de l’œuvre : plus d’une demi-mesure de silence où tous les instruments se sont tus et où seuls quelques sons à l’alto demeurent, en un écho léger, avant que ne commence un mouvement dolce espressivo 4. Dans cette forte césure où le son vient à manquer, toute l’énergie de l’œuvre se trouve rassemblée. Que donne à entendre ce silence – il est possible de le deviner, puisque la musique, dans son déroulement, reste fidèle à la fable – sinon le cri de Mélusine quittant la vie terrestre, plus fort que tout chant de sirène et plus étrange qu’un son modulé, montant de l’au-delà « comme la voix masquée d’une Puissance d’outre-tombe, l’écho, venu d’un très lointain ailleurs, et qui retentit mystérieusement ici-bas5 » ? Il n’est pas hasardeux qu’en cette période où l’esthétique musicale se transforme soit convoqué le motif de Mélusine. S’y croisent en effet deux régimes de la voix : d’une part la magnificence du chant qui appelle et séduit, d’autre part l’anéantissement qu’amènent les paroles que Raymond prononce et dont le cri terminal de Mélusine est la marque certaine.
3Elle est en effet du parage des sirènes, nixes et ondines, avec lesquelles on va la confondre, et en tire le pouvoir d’entourer de langage les êtres et les choses. C’est la même voix merveilleuse que celle de sa mère Présine qu’Elinas, lors de la première rencontre, pensa d’un ange. Mais lorsque Mendelssohn compose, ce n’est plus la voix enchanteresse, levant tous les obstacles et construisant un monde, qu’il entend. Mélusine n’est plus alors la magicienne que l’opéra de l’Ancien Régime s’était plu à mettre en scène6, l’une de ces fées dont les prestiges occupèrent les scènes de la Foire7, ou une Armide dont les maléfices échouent du fait de son amour. En elle, s’élève l’autre voix, « plus intérieure » : le cri, « une déhiscence » écrit Zumthor8, causant effroi et attrait par « cette hétérogénéité en nous que manifeste le son de la voix ». Dans notre Mélusine il s’est glissé de l’humain. Au reste, si l’on observe les fondements du mythe, le motif du cri terminal a toute son importance : dans Jean d’Arras, « cri si merveilleux et si douloureux que chacun en pleurait de pitié », comme dans Couldrette « un cry merveilleux ; moult étrange et moult douloureux : et moult piteux était le cry9 », et dans Thüring von Ringoltingen : « eynemm grossen hellen schrey gar zu mal erbermlich10 ». Et à l’époque moderne, la fable se résout à cette simple profération, dans le texte de Brantôme « un cri très aigre et très effroyable11 », repris par Moreri dans l’article « Luzignan », et par Ballet dans sa Dissertation sur Mélusine (1771)12. Etrange cri, rauque, disharmonieux, « aussert umelodios13 », et profondément humain, savoir pitoyable. Rien de semblable aux hurlements de la diabohque femme draco chassée par les rites chrétiens du De nugis curialium de Gautier Map14 !
4Le xviiie siècle finissant a retend de tels cris : celui d’Armide, lorsque dans l’opéra de Gluck, Renaud s’enfuit, reste encore mêlé de chant, enrubanné de vocalises où l’on ne quitte pas les contrées du merveilleux ; mais celui de Don Giovanni, qui n’est plus qu’un bruit humain, énonce la spontanéité de l’eros, face à l’ordre absolu du divin. Ce sont là encore des cris que l’art peut rendre. Celui de Mélusine, que Mendelssohn choisit de rendre par un silence, est du domaine de l’ineffable, et expression suprême de la perte ; perte de l’amour conjugal et maternel, de l’humanité et de la faculté de mort : paradoxalement, Mélusine crie de ne s’éteindre jamais, de ne plus être humaine, de ne plus entendre le thrène que porte en lui chaque mortel. Un cri d’une violence qui est celle de la mort, et la marque même de l’humanité, comme une voix : « un être révoqué » selon Hegel. Non pas langage qui en est le tombeau, encore moins chant, mais fruit d’une fabrication interne : des rythmes intérieurs se fabrique cette voix – en cela elle peut sembler profondément maternelle – qui est révélation de l’existence et en même temps de la mort, comme un epos, et par cette expression, Mélusine devient une sorte de muse de la poésie, dont la marque suprême dans la musique de Mendelssohn est le silence.
5Ce que met en lumière la réécriture de Mendelssohn, c’est à la fois l’affirmation de cette voix interne et le constat de la perte d’un chant dans lequel jusque là était clos le monde. On peut se souvenir que le propos de Zumthor dans La lettre et la voix était de montrer la perte de l’oralité, à la fin du Moyen Age. Et le thème de Mélusine apparaît précisément alors qu’à la fin du xve siècle se révèle la précarité de la voix et la déchirure de l’être tiré entre la postulation divine, l’harmonie du chant, et la voix, le souffle humain. Plus précisément, Mélusine apparaît comme la capacité de l’être humain à émettre un cri – fait d’animalité – dans un univers soumis absolument au régime des choses divines. Il y aurait donc, entre la fin du Moyen-Age et la période romantique, lorsque Mendelssohn compose, une éclipse de la voix qui n’apparaît plus que filtrée par l’harmonie, période pendant laquelle Mélusine est pour ainsi dire oubliée. On pourrait donc sous ce jour considérer que la naissance de l’opéra, en 1600, par le privilège donné au chant, la partie angélique de l’être humain, lorsque la vocalité se glisse dans la loi des nombres, accédant ainsi à un ordre cosmique, constitue un reniement du cri. Les cordes de la lyre lui sont une prison. Il subsiste cependant, dans le lamento, une expression individuelle, incarnée le plus souvent par Orphée qui, en quelque sorte, succède à Mélusine ; et mieux dans le urlo francese, mentionné par Rousseau, ou bien dans l’appel d’Orphée à Eurydice, qui est un chant à l’orée du cri, ce qui, dans Gluck, séduit les Encyclopédistes15 ; dans la pratique du chœur, aussi, qui, par la confusion des voix, apparaît comme le rassemblement des cris, un océan de voix qui serait profondément humain par les traces d’epos qu’il contient16.
6Les apparitions de Mélusine sur la scène lyrique sont les jalons d’une quête de la voix. En 1719, on la rencontre dans l’opéra comique de Mouret et Fuselier17. L’intrigue assez banalement présente une anecdote pastorale dans laquelle elle a les pleins pouvoirs d’une fée sans prétention à l’humanité. Mais elle est la grande maîtresse des voix, qu’elle conserve dans des bouteilles, particulièrement « les moules tant regrettés du récitatif de Lully et des vers de Quinault », ce qu’on découvre avec la jeune héroïne Sylvie, dans l’Isle Perdue18. La levée du maléfice – l’immobilisation des héros – est marquée par la visite des amants chez l’horloger de vérité d’amour, où l’on retrouve le temps, mais aussi un carillon, voix mêlées qui sont comme des voix multiples, des voix premières où se retrouve un lieu d’harmonie. Mélusine est alors devenue un personnage complexe : fée méchante, qui confisque les voix et en même temps les préserve. Elle est au centre d’une rêverie de l’ailleurs, d’un heu semblable à quelque île lointaine où se retrouvent les principes de l’utopie, alors fort en vogue sur les tréteaux de la Foire. Elle a donc perdu toute qualité humaine, devenue immortelle, dans un temps sans début ni fin qui peut annoncer la fileuse qu’elle deviendra au xixe siècle19. Ce sentiment de perte qui occupe les esprits sous la Régence, le xviiie siècle va s’efforcer de le combler20, sans grand résultat : les « accents » de Rousseau qui ne sont autres que les inflexions fondamentales d’une parole sourcée aux entrailles de l’individu sont plutôt une chimère philosophique. A l’aube du xviiie siècle, c’est une autre perte, due au bel canto, au règne de la vocalise, laquelle reste une voix de surface ne pénétrant pas, et au goût pour la musique instrumentale. N’est-ce pas cette perte que constate Arnim, pour son héros : « Dans l’instant, je fus prêt à me faire enlever les nageoires, cet emblème du règne de la mère fondatrice, Mélusine21 » ?
7Et dans l’opéra de Kreutzer-Grillparzer, le cri de Mélusine est bien faible. Le livret, plutôt qu’un drame, constitue une métaphore de la fonction poétique. La jeune femme rencontrée à la fontaine recherche l’amour de Raymond22 ; elle n’est qu’écume et rêve, une créature errante, ne connaissant pas la mort : « car il nous manque ce qui vous console, la Mort23 ». Et l’empire de Mélusine, autre utopie, est celui des essences et des vérités ; ainsi par cet amour accepté et son installation dans le royaume de Mélusine, Raymond, qui est ici une figure du poète, connaîtra ce qu’il ne peut que supposer, et verra ce qu’il peut à peine imaginer. On peut penser, en considérant d’autres écrits du poète Grillparzer, que ce monde est celui de la musique, de la pure musicalité dans laquelle l’opération poétique est conviée à s’engloutir. Mélusine est en effet une créature musicale ; elle ne possède guère la langue humaine : « je connais peu ta langue24 » ; elle paraît dans la didascalie zur Musik dans ce mélodrame, et toujours environnée d’instruments25, lorsque par l’anneau magique, Raymond la fait apparaître. Une telle poésie deviendrait musique et ne serait plus signe de l’âme, mais l’âme elle-même. Cependant, dans ce lieu,
Le calme et l’impassibilité naissent
Dans le Royaume de Mélusine
Et les jours s’écoulent
A jamais semblables26.
8Ainsi, ce qu’exige une poésie des essences, que représente Mélusine, c’est l’extinction d’une voix corporelle au profit d’un engloutissement dans une mort où il perd toute humanité : son nom, sa renommée. Raymond va un moment résister27, car c’est là un heu de la monstruosité, monde de chaos que seule la présence d’un miroir vient ordonner. Face au corps couvert d’écailles de Mélusine, se dresse Berta, la terrestre, et Raymond est confronté à un choix tout faustien. Il hésite donc à recevoir le baiser de la serpente, à pénétrer le royaume des ombres, heu de savoir absolu en même temps que d’un immobile bonheur, monde sans ombre et sans lumière28 où il n’est plus rien d’humain, puisque le cri que pousse Mélusine lorsque Raymond la voit par une fente29 est lointain, venu des coulisses, et simplement dramatique30.
9Mélusine dans ce royaume des ombres où l’amant tente de pénétrer offre à coup sûr un voisinage avec Eurydice comme le soulignait J. Kohler en 189531. D’ailleurs, les deux mythes fusionnent, cette même année 1833, dans 1’ » opéra romantique » de Wagner, Les Fées en 3 actes et 7 tableaux. Le poème est tiré d’une pièce de Gozzi, La Donna serpente 32 : une fée éprise d’un mortel pour lui veut renoncer à l’immortalité mais il faut que, malgré sa cruauté, il garde confiance ; il succombe et doit baiser la fée changée en serpent pour lui rendre sa beauté. Histoire toute mélusinienne. Mais dans le livret de Wagner, c’est par la beauté de son chant que l’amant redonne vie à celle qui est changée en pierre, et Raymond donc devient un Orphée. Mélusine-Eurydice représente dans ce cas « l’art musical dans ses raisons les plus profondes » que le poète Orphée tente de saisir selon la tradition sans y réussir d’où le fait qu’il « demeure triste, retenant la voix musicale sans la raison33 ». Mais dans l’opéra de Wagner il y réussit cependant et rend sa femme Ada à la vie. On aurait ainsi, en cette année 1833, une autre trace du triomphe de la musique dans laquelle s’est engloutie la voix, car il n’est plus que voix de l’âme et c’est dans la musique que la poésie trouve sa pleine réalisation34.
10Hoffmann constate la disparition de l’opera séria et en même temps de ce que « l’union de la poésie et de la musique peut donner à la scène de plus grand35 ». Il écrivait dans la Première Lettre sur la musique à Berlin, en 1814 :
Mais n’est-ce pas aussi un signe des temps, que la musique instrumentale, dans son audace grandissante et son essor toujours plus hardi, terrasse le chant d’un coup de ses ailes formidables ! Le son, débordant de l’énergie primitive d’un Titan, brise les chaînes du Verbe – mais la vox humana doit-elle se taire tout à fait devant cet esprit formidable qui, tel un mage puissant, conjure tous les sons cachés dans la nature entière comme un secret jalousement gardé – cette vox humana, écho fidèle des premiers bruits naturels, qu’enveloppe encore le souffle de la mère créatrice, et où vibre le mystère suprême qu’elle pressent en son sein36.
11A la même époque, Rossini renonce à la musique du fait de la décadence du chant, du chant fluide et morbido, après Guillaume Tell : « ces mutilés qui ne pouvaient suivre d’autre carrière que le chant furent les fondateurs du cantar che nell’anima si sente et leur suppression fut à l’origine de l’affreuse décadence du beau chant italien37 ». Peu à peu s’épuise le cri de Mélusine, qui ne peut plus s’exprimer que par le silence dans Mendelssohn, qui bientôt donne les Lieder ohne Worte (les Romances sans paroles) ; la vox humana définitivement a laissé place à la musique38.
12Mélisande est une autre Mélusine si l’on se réfère au dictionnaire de Moreri. Elle meurt sans qu’on s’en aperçoive – « Je n’ai rien entendu… si vite… si vite… tout d’un coup… Elle s’en va sans rien dire » –, parmi des personnages un peu durs d’oreille, parce qu’à l’écoute du silence, celui de la mort, chez Debussy, bien sûr, comme chez Fauré, Sibelius ou Schönberg. Toutes ces musiques ont cultivé les silences, suspensions, accords sans résolution et extinction quasi totale de la voix, comme si la voix fondamentale n’avait d’autre expression que le néant des sons. La voix silencieuse est, écrit Maurice Maeterlinck, « dans notre âme, une mer intérieure, une effrayante et véritable mare tenebrum où sévissent les étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable39 ».
13De cette douloureuse constation de la perte de la voix qui touche le xixe siècle, Mélusine dent le rôle d’emblème : elle est celle, muse, grande déesse de la terre dont la voix n’est plus audible, et que les poètes, après que la poésie s’est libérée de la musique et même a tenté de l’enclore, vont tenter de faire entendre à nouveau, guetteurs du silence. Telle est l’entreprise de Leopardi qui écrit dans Vita abozzata di Silvio Sarno :
quando sognai di Maria Antonietta e di una canzone da mettergli in bocca nella tragedia che allora ne concepii la quel canzone per esprimere quegli affetti ch’io aveva sentiti non si sarebbe potuto fare se non in musica senza parole40.
Notes de bas de page
1 F. Mendelssohn Bartholdy, Briefe aus den Jahren 1830 bis 1847, Leipzig, 1863 (Lettre du 7 avril 1834 à sa sœur Fanny).
2 Voir H. de Curzon, Ecrits sur ta musique et les musiciens, Paris, 1898.
3 Selon l’expression d’A. Finstein (Schubert, portrait d’un musicien, Gallimard, 1958, p. 355). Schubert, comme Mendelssohn, trouvait la musique de Kreutzer plate et sans surprise ; il avait d’ailleurs quitté la salle lors de la représentation de la Libussa de Kreutzer (1822).
4 Voir Mendelssohn, Die Schöne Melusine, Cranz, n°2057, Bruxelles, sd, p. 30.
5 J.-P. Vernant, « La flûte et le masque. La danse d’Hadès », dans La Mort dans les yeux, Hachette, 1985, p. 55.
6 La Magicienne de M F Halévy et Saint Georges (1858), fait exception. La Mélusine qui y est représentée est toute faustienne : « Meluzine a payé sa puissance infernale au prix de son âme dans l’avenir, et dans le présent de la douloureuse condition d’être belle le jour et laide la nuit ». L’accent est mis sur la spectaculaire transformation : « Cette femme si belle apparut alors à son mari sous la forme effrayante d’un monstre ailé, d’une sorte de serpent de l’espèce des sauriens, qui procédait à la fois du reptile et de l’oiseau » (partition slnd).
7 Au siècle des Lumières, les fées, en effet, n’ont pas déserté les scènes de la Foire. Citons La Fée Acarenne, pantomime (troupe de Colin et Restier, Foire St Laurent, août 1745), La Fée bienfaisante (Panard, août 1736), La Fée Brochure, Opéra Comique (Carolet, juin 1737), La Fée Carabosse, Pantomime (troupe de Mme Sandham, Opéra Comique de la Foire Saint Germain, 1746), La Fée Marotte, Opéra Comique (Attainval, 1734), Les Fées, comédie française (Procope Couteaux et Romagnesi, 1736), Les Fées rivales, pièce italienne (Veronese, 1748) : voir Dictionnaire des théâtres, t.2, Lambert, Paris, 1766.
8 P. Zumthor, La Lettre et la voix, Seuil, 1987, p. 176. A propos de la canso, l’auteur décrit ce phénomène : « une perception à la fois aiguë et obscure d’une sorte d’inconnue […] un quelque chose intervient entre la voix et le langage ».
9 Coudrette, Le Roman de Melusine ou histoire de Lusignan, éd. Eleonor Roach, Paris, 1982, v. 4215- 4219.
10 Thüring von Ringoltingen, Melusine ; In der Fassung des Buchs der Liebe (1587) éd. Hans Gert Roloff, Stuttgart, 1969, chapitre : « Wie Melusin enweg fu°r durch den Luft mit grossem geschrey » [un grand cri clair et bien pitoyable].
11 Brantôme, « M. de Monpensier », dans Mémoires de Messire Pietre de Bourdeille, Sambix, Leyde, 1665-1666, part. 3 : « quand il devait arriver quelque grand désastre au royaume, ou changement de règne, ou mort ou inconvénient de ses parents, […] trois jours avant, on l’entendait crier d’un cri très aigre et très effroyable par trois fois ; […] quand la sentence fut donnée d’abattre et ruiner le château, ce fut alors qu’elle fit ses plus hauts cris et clameurs » (relation d’une visite de Catherine de Médicis).
12 Dans la Dissertation sur la mythologie française et sur plusieurs curieux de l’histoire de France, Moutard, 1771.
13 E. Maria Mayr, Melusine, Dichtung und Musik, Dissertation, Salzburg, 1993, p. 214 [extrêmement disharmonieux].
14 Cité par ). Le Goff, « Mélusine maternelle et défricheuse », Annales ESC, 1971, 26, p. 587. Map (fin du xiie siècle) raconte l’histoire de « Menno aux grandes dents » dans laquelle la jeune femme s’envole en poussant un grand hurlement (éd. James, Oxford, 1914).
15 Dans le texte de Goethe, Die Neue Melusine, Jünglingsmärchen (1775 – Les Années de voyage de Wilhelm Meister, 1829), le héros entend tout à coup une voix humaine dans le chant de Mélusine, qui joue merveilleusement du luth ; à sa grossière accusation (« que me veut la naine ? »), elle répond par son chant, et pour le narrateur, ce chant devient terrestre, c’est-à-dire compréhensible : « Pour la première fois, la musique me parlait (…) la voix de l’amour blessé » (Trad. Briu, éd. Koie, 1992, Le Serpent vert).
16 E. Mayr ( op. cit. ) décrit ce phénomène : « In der Rolle des Komponisten reizen Franz Grillparzer hier ‘Verse aus einem Epos in Hexametern’ – ihrem fiktiven lockenden Inhalt nach geradezu zur Unterlegung mit realen Noten prädestiniert » [dans le rôle de compositeur, ce sont ici des « vers d’une épopée en hexamètres » qui stimulent Franz Grillparzer à cause de leur contenu fictif et séduisant, juste faits pour y installer des notes réelles], p. 728 (c’est l’opéra de Grillparzer plutôt que celui de Kreutzer).
17 Mélusine, Comédie en 3 actes de Prose, représentée par les Comédiens Italiens, le Dimanche 31 Décembre 1719.
18 I, 12. On y dénonce la perte du « parler gaulois » et l’installation d’un « parler français ».
19 Au xixe siècle, en effet, Mélusine fusionne avec d’autres personnages mythiques. Non seulement les Nixes, Ondines, Lorelei, associations bien connues, mais aussi avec la Marguerite de Faust, (Gretchen am Spinnrade de Schubert en 1814, La Fileuse de Schulz en 1780 et plus proche, de Max d’Ollone, « Mélisande au fuseau » dans Trois poèmes de Tristan Klingsor, en 1922). De cette créature immobile, à la dignité de Parque, s’échappe une plainte, « Mädchens Klage », manifestée par le crissement régulier du rouet, comme si le cri de Melusine ne cessait de se proférer.
20 Signalons aussi les tentatives pour donner une place à Mélusine dans l’ordre naturel. Les femmes marines et hommes marins ne manquent pas dans les dictionnaires. Celui de Trévoux mentionne la « femme d’Edam » en 1490, et celle de la Martinique en 1671. A la première, on apprit à filer ; mais il n’y eut aucune marque qu’elle eût de la voix. Pierre Belon, dans La Nature et diversité des poissons avec leurs pourtraicts représentés au plus près du naturel, en 1555, proposait « le monstre marin ayant façon d’un moine ».
21 L. Achim von Arnim, Mélusine, vers 1820, fragment, trad. F. Rétif, [osé Corti, Collection romantique 59, 1996, p. 32 (Gautier traduit ses contes fantastiques en 1856, et Breton réédite ses contes bizarres en 1933).
22 Dans toutes les adaptions auxquelles est soumis le mythe de Mélusine, le thème du miroir, objet de verre ou fontaine reste présent : dans Mouret, un bouclier-miroir où se voit la personne aimée, et dans Bricaire de la Dixmerie, Mélusine ; Contes philosophiques et moraux (Londres, 1749, p. 227), on trouve une fontaine où l’on va se mirer.
23 F. Grillparzer, Melusina, romantische Oper in drei Aufzügen, dans Sämtliche Werke, Carl Manser, München, 1965, Bd. 3, p. 1167-1201 [I. 184 : denn uns fehlt was euch tröstet, der Tod].
24 Ibid., 1. 150 : [Ich weiß nur wenig deine Sprache].
25 Ibid. v. 313 : « Schlaget die Saiten / Klinget die Leier », [Frapper les cordes, résonne la lyre].
26 Ibid., v. 169-172 : |Ruh und Gleichmut sprießen / In Melusinens Reich, / Und die Tage fließen / Immerdar sich gleich|.
27 Ibid., 1. 439 : « Und wenn ich : Tätigkeit sagte ? », [Et si je disais : agir ?].
28 Comme le fait remarquer Trol, valet de Raymond : « Ach, und wo kein Schatten / Da ist auch kein Licht » Ibid., 1.359-360.
29 Ibid., I. 686 : « Drinnen ein Schrei », [A l’intérieur, un cri].
30 D’où une étrange discordance dans cet opéra, puisque ce que pressent Grillpartzer, c’est le règne d’une musique à pleine expression. On retrouverait, dans le fragment « über die Oper », le déni d’une poésie dramatique de la part de Grillparzer : « Als Grundregel gelte : Keine Oper solle vom Gesichtspunkte der Poesie betrachtet werden, – von diesem aus ist jede dramatischmusikalische Komposition Unsinn » [aucun opéra ne doit être examiné du point de vue de la Poésie – à partir de celle-ci, nulle composition dramatico-musicale n’a de sens] Tagebuch 619, 1820. Pour L. Tieck, en 1799, dans Phantasien über die Kunst, la musique instrumentale apparaît comme « Höchste poetische Sprache ». Rappelons que le livret était primitivement destiné à Beethoven, qui représente la modernité musicale à cette époque, alors que Kreutzer reprend les traditions de l’opéra (chœurs, union musique et texte), à l’opposé de la pensée de Grillparzer (Meine Erinnerungen an Beethoven, 1844, dans S.W., op. Cit., p. 203). Beethoven aurait composé cette musique, mais à sa mort, il fut impossible de retrouver ses notes. Selon d’autres versions rapportées par L. Mayr (op. cit. ) Beethoven aurait refusé ce livret qui aurait fini par tomber dans les mains de Kreutzer.
31 Der Ursprung der Melusinensage. Eine ethnologische Untersuchung, Leipzig, 1895 : « es ist der Sagenstoff der sich um die Orpheussage schlingt » [c’est la matière qui entoure la légende d’Orphée.]
32 La Donna serpente, fiaba teatrale tragiomica in tre atti da Carlo Gozzi, dans Opere, t. 2, Venezia, 1772.
33 Selon la tradition médiévale de Rémy d’Auxerre. Voir C. Lucken, « Orphéophonie, l’enchantement de la voix et le silence d’Eurydice », Penser la voix, 1987.
34 Voir Hegel : « Das Poetische der Musik, die Seelensprache, welche die innere Lust und den Schmerz des Gemüts in Töne ergießt » [Le poétique sans la musique, la langue des sentiments, qui déverse le désir intérieur et la peine de l’âme dans les sons].
35 E.T.A. Hoffmann, Édits sur la musique, trad. A. Montandon et B. Hébert, L’âge d’homme, Lausanne, 1985, p. 58 (1810).
36 Ibid., p. 222.
37 Dans une lettre à Luigi Crisostomo Ferrucci, 23 Mars 1806.
38 On trouve cependant dans le siècle une belle expression de la voix profonde dans Das Märchen von der schönen Melusine, de II. Hofmann sur un poème de W. Osterwald (op 30, 1875) : « Doch klinget Murmeln dem horchenden Ohr wie Schluchzen, das dringt aus der l iefe hervor, und wenn sie befeuchten Graf Raimunds Gruft, so seufzt es, so seufzt es als wenn aus geheimer Schlucht » [Pourtant, son murmure paraît à l’oreille attentive comme des sanglots qui sortent de la profondeur et quand ils mouillent la tombe du Comte Raymond, ce sont des soupirs, des soupirs comme d’un ravin secret].
39 M. Maeterlinck : « Comment concevez-vous votre Art ? » L’Art moderne, 28 Février 1890.
40 G. Leopardi, Scritti e frammenti autobiografici, Roma, 1995, p. 69 [je rêvais de Marie-Antoinette et d’une chanson à lui mettre sur les lèvres dans la tragédie dont l’idée m’est venue, chanson qui, pour exprimer les sentiments que j’avais dégagés, n’aurait pu se faire autrement que sous forme de musique sans parole].
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