Chapitre 4. Théories de la parodie et pratique contemporaine
p. 87-117
Texte intégral
1Dans son acception traditionnelle, la parodie relève très exactement de la même logique que le double « psychologique » : elle est considérée comme une forme inférieure, au mieux critique, de son original. En période post-coloniale, nous l’avons vu, le double n’est pas seulement manifestation surnaturelle ou expression pathologique d’un sujet clivé, il peut aussi représenter une alternative, une voie de sortie hors d’identités imposées, que les causes du dédoublement soient d’ordre psychologique ou qu’elles soient dues à une situation impérialiste ou patriarcale, interne ou externe : la figure du double en somme se dédouble, relançant par là même la machine à fictions identitaires. Elle se dédouble même d’une autre manière, puisque le phénomène n’affecte plus seulement les personnages, mais la fiction romanesque elle-même dont elle révèle les doubles fonds, les motifs élidés. Tout se passe comme si ce qui auparavant était localisé au niveau du personnage (la marque d’aliénation, le dédoublement), était déplacé vers la fiction romanesque : lorsque la fiction du « moi idéal » n’est plus soutenue par une foi commune, lorsque les identités dévoilent leur caractère factice, le texte devient le lieu où s’opère et se lit leur pétrification, le lieu où échapper à cette pétrification aussi. Lorsque le roman cesse d’être gouverné par le réalisme mimétique, le double comme thème cesse de masquer que le double est aussi figure et fonction de la production de sens et le redoublement du roman classique devient alors ligne de fuite, par la parodie : donnant du jeu, la parodie permet d’échapper à la nostalgie de l’unité perdue avec le référent. En cela, elle n’est certainement pas pur jeu formel.
2Nous l’avons dit, dans la littérature romantique ou moderniste, si les doubles prolifèrent, c’est que le processus de dédoublement témoigne d’une pathologie qui affecte les personnages (et parfois les auteurs) confrontés à un milieu (social, culturel, politique, impérial) répressif ou coercitif. Dans la littérature contemporaine nourrie des théories freudiennes sur l’inconscient, et tout particulièrement en contexte post-colonial, avec l’abandon de l’idéal de l’unité du sujet (désormais posé comme une fiction), le double comme pathologie des personnages est envisagé comme un point de départ qui demande à être renégocié. En quelque sorte, on passe du dédoublement comme thème au redoublement comme technique. S’ensuivent plusieurs conséquences :
- la figure du double est portée à son point ultime où elle se sépare de l’original (et du souci de l’original) pour prendre autant de champ que possible par rapport à lui,
- la copie/le double prend alors le pas sur l’original et c’est le double qui devient centre d’intérêt,
- enfin, à une époque où la subjectivité se conçoit avant tout par rapport au discours, le lieu où, dans la « fiction », s’opère la pétrification du sujet à laquelle le redoublement va se donner pour tâche d’échapper est systématiquement identifié comme le « classique ». Il peut alors être redoublé en différence à travers la parodie :
Pastiche and parody are not simply the new games Europeans play, nor the most recent self-indulgence of a Europe habituated to periodic fits of languid despair, but offer a key to destabilisation and deconstruction of a repressive European archive. Far from endlessly deferring or denying meaning, these same tropes function as potential decolonizing strategies which invest (or reinvest) devalued « peripheries » with meaning2.
Dédoublement, redoublement
« to repeat in order to produce difference 3. »
3Dans la littérature de langue anglaise contemporaine, on constate une fascination générale pour les « classiques » qui pose des questions identitaires non seulement à travers le redoublement des personnages mais aussi à partir du redoublement des textes. Ce qui revient à dire que l’individu ne peut être saisi en dehors de son contexte culturel et historique et surtout qu’il ne peut être saisi en dehors du rapport qu’il entretient (délibérément ou non) avec les discours qui, à travers les textes canoniques, pérennisent ce contexte et participent à son maintien. Déterminer les limites individuelles relève alors de ce qu’Edward Said nomme « affiliation » par opposition à la « filiation » naturelle, et en l’occurrence cela relève d’une affiliation à caractère littéraire qui, en contexte post-colonial, donne à voir le sujet à la croisée entre son héritage naturel (ce que ses parents lui transmettent en termes de gènes) et un héritage culturel coloré par l’héritage naturel. Si la question des limites du sujet et de son unité se pose, ce n’est donc pas en termes essentialistes mais plutôt à partir de son rapport à l’autre et au groupe, médiatisé par le rapport aux textes, aux discours dominants et à la langue – même s’il est vrai que cette question d’affiliation est le plus souvent métaphorisée en termes de filiation, justement. En fait, il semble que lorsque l’auteur s’inscrit dans le paradigme dominant (comme c’est le cas pour Defoe, Dickens et à un degré moindre pour Brontë), il lui est facile de conserver l’illusion d’une autonomie assez importante par rapport à ce paradigme. Dans le cas contraire (celui des femmes, des colonisés ou nouvellement décolonisés), il a besoin de redéfinir sa position par rapport au paradigme dominant et de donner à voir ce processus de redéfinition. L’individu est alors perçu et défini surtout en termes de positionnement par rapport à un groupe et la figure du double interroge ce positionnement en termes d’inclusion dans un discours littéraire, celui du groupe : littéralement, lorsqu’un personnage est l’objet d’un dédoublement, le processus pointe un problème d’inclusion dans le paradigme dominant.
4C’est ce que montrent Gilbert et Gubar à propos de la position des femmes, et si la situation de tous les auteurs en contexte post-colonial ne peut être exactement superposée à celle des femmes, les points de convergence sont toutefois suffisamment nombreux pour autoriser un parallèle. Significativement, personnages et auteurs sont acteurs (de leur histoire à l’intérieur de la fiction pour les uns, d’une renégociation du genre romanesque pour les autres) dans la mesure où ils sont lecteurs du monde et de la manière dont il prend forme dans des textes qui relèvent du paradigme dominant. Derek Attridge commente cette situation à propos de Foe et de son inscription (subversive) dans le canon :
[…] constructing and sustaining an identity, making sense of one’s own past, establishing an intelligible relationship with one’s fellows, are all in part a matter of telling one’s story (the story of who one is, was, and aspires to be) in such a way as to have it accepted and valorized within the body of recognized narratives – with their conventions of plot, character, symbolization, moralization, etc. – that are part of the cultural fabric, and therefore part of our individual systems of judgment and interpretation4.
5Le phénomène peut sembler très sophistiqué, et il témoigne certainement d’une perte de naïveté, du fait que l’individu a cessé de croire à la transparence du monde dans lequel il évolue, à la possibilité d’un accès direct à ce monde, non médiatisé par le regard et le discours de l’autre.
6La parodie sert alors à dramatiser le sentiment de pétrification : elle donne à voir le risque (refaire la même chose), la solution trouvée (refaire en différence, en laissant apparaître les flottements de sens). Dans le contexte post-colonial, comme d’ailleurs dans « The Secret Sharer » et pour des raisons qui ne sont pas très différentes (renégocier une image de soi problématique), le choix de redoublement en différence à travers la parodie relève d’un processus qui engage l’auteur, par l’intermédiaire d’une renégociation esthétique du romanesque, dans un processus d’affirmation politique. Le double devient ainsi « instrument of self-exploration and self-realization5 » et cesse d’être seulement la manifestation littéraire d’une pathologie. Et la parodie comme instrument de ce redoublement cesse d’être uniquement le jeu formel et codifié décrit par Gérard Genette6 pour devenir une méthode d’« exploration » et (paradoxalement) d’« accès à l’autonomie » pour reprendre l’expression de Keppler7. En d’autres termes, on peut mettre en regard deux mouvements qui mettent en jeu la figure du double : le dédoublement qui affecte les personnages, et relève généralement de la pathologie (qu’elle que soit sa cause) et le redoublement qui affecte des textes et constitue une forme d’affirmation d’un auteur ou d’une communauté.
7Dans la culture occidentale, la juxtaposition de deux objets entraîne immanquablement une évaluation hiérarchique. On retrouve d’ailleurs ce mode d’évaluation dans la parodie traditionnelle, envisagée avant tout comme critique d’un original dont elle souligne ironiquement les limites ou les défauts. Or la parodie en contexte contemporain refuse justement ce mode de hiérarchisation pour sortir original et « double » de ce type de relation8. C’est ce qu’explique Gordon E. Slethaug dans une étude consacrée à la figure du double dans la littérature postmoderne américaine9 dans laquelle il insiste sur l’influence de penseurs comme Jacques Derrida ou Michel Foucault qui soulignent les limites de ce mode de hiérarchisation hérité de Socrate et Platon et qui, au-delà du double-personne, utilisent la figure pour montrer que toute répétition, tout redoublement, introduit une variation et produit donc un sens nouveau ou tout au moins un surplus de sens qui prend naissance dans les « fissures10 » de l’original : entre les deux sens, original et second, choisir relève alors de l’indécidable et perd sa pertinence.
8Dans une telle optique, le redoublement, qu’il soit fidèle ou infidèle d’ailleurs, est un enrichissement du sens et non une opération de soustraction, et consacre l’avènement d’une logique fondée non plus sur la hiérarchisation mais sur la juxtaposition et l’écart : « […] the double […] is simultaneously divided and joined, used and refuted11. » C’est bien sûr là la conjonction de coordination qui compte en ce qu’elle marque l’avènement du paradoxe et de l’instabilité et installe une tension entre opposés auparavant conçus comme mutuellement exclusifs. Ce type d’approche permet de comprendre ce qui motive le passage du double-personnage au double-roman puisqu’elle envisage la question du double du point de vue du langage :
Unendingly multiplicitous and duplicitous, language is the medium in which the structure of contraries must be joined and bridged but in which difference must be recognized. […] Foucault’s warning against either the binarily separated or the paradoxical extends to his discussion of self and other, subject and object, and difference and repetition. One is never altogether separate from the other or object, but neither is one ever united with it12.
9La conséquence principale d’une telle approche est de faire apparaître le caractère idéologique de ces hiérarchies et de remettre en cause leur légitimité : le double n’apparaît plus alors comme un simple sous-produit de l’original et n’est pas moins légitime. Se trouve initié ce que Slethaug nomme « un dialogue de l’hésitation13 » où c’est l’opposition qui fait sens, où les conceptions dualistes ou psychologiques du double s’effacent, tandis que le passage au redoublement comme technique littéraire et outil linguistique déstabilise complètement nos habitudes de lecture, tout particulièrement en inscrivant le processus critique au cœur de la fiction :
The concept of the double has broken loose from its traditional literary and psychological moorings […]. The literature of the double increasingly speaks of man’s employment of, and skepticism about, traditional modes of systematizing, classifying, categorizing, and structuring.
[…] The desire for central unity, internal coherence, and narrative consistency in literature has by and large been replaced by the awareness that multiple and contradictory ideas, themes, and structures coexist in a text14.
La parodie : questions de définition
10Le processus est d’autant plus intéressant qu’il va à contre-courant des points de vue habituels sur la parodie et permet d’en redéfinir les enjeux. En France, les pratiques apparentées à la parodie (pastiche, caricature, etc.) souffrent d’une image généralement négative et sont perçues comme exercices de style oscillant entre pédanterie, parasitage, signes de décadence : le soupçon de plagiat n’est jamais loin. Dans La parodie, Daniel Sangsue cite Octave Delpierre qui, en 1868, définit la parodie comme « l’amusement des littératures vieillissantes qui commencent à ne plus respecter leurs plus belles œuvres15 », amusement qui, révélant des « procédés » littéraires, menace de réduire la littérature toute entière à n’être que cela, « procédé ». Avec les travaux de M. Bakhtine16 et grâce à leur influence, la parodie regagne une certaine légitimité, puisque le concept de dialogisme souligne l’inscription des textes dans un contexte social et politique et fait du roman le genre où s’exprime un « déjà dit » qu’il s’agira de contester, transformer, caricaturer, styliser.
11Pour Bakhtine, cela ne signifie pas que tout a été dit, mais que le roman comme genre se définit par son plurilinguisme, son « hétéroglossie » : il est donc quasiment parodique par nature. Et même si Bakhtine ne manifeste pas une grande considération pour la parodie moderne, par opposition à ses manifestations médiévales et renaissantes, la pratique parodique est pour lui inscrite en quelque sorte dans le genre. Mais dans la plupart des cas, les théoriciens envisagent la question d’un point de vue psychologique et s’efforcent de mettre à jour les motifs plus ou moins inavouables qui ont pu pousser l’auteur de parodie à une telle pratique, confondant ainsi parodie et plagiat, reprise affichée comme telle et volonté de tromper le lecteur. Ainsi Charles Grivel dans un article intitulé « Le Retournement parodique des discours à leurres constants17 » très représentatif du point de vue dominant, part de l’idée que la parodie relève du désir (d’être l’autre, de l’asservir ou de se l’approprier) et dénombre neuf points qui selon lui expliquent sa pratique : parodie comme symptôme d’un désir refoulé, cannibalisme, tentative de désappropriation voire d’annulation de l’autre, jalousie, lutte contre le pouvoir dominant, manifestation d’agressivité qui « soustrait de l’être à l’autre » et « radie l’originalité de l’autre ». Il conclut en suggérant que, tel l’arroseur arrosé, le parodieur est finalement l’objet propre de sa parodie, ce en quoi il rejoint les analyses beaucoup plus positives de Michelle Hannoosh qui ne considère pas la parodie comme un symptôme de décadence mais insiste au contraire sur ce qu’elle nomme « a self-reflexive quality [of parody]18 » :
Implicating itself in its challenge to the parodied work, it suggests its own potential as a target or model text. From a theoretical perspective, it suffers from no selfdelusion but rather flaunts the fact that it is as vulnerable and tenuous as the parodied work. It necessarily provides for a critique of itself and does not, as Barthes charged, neglect to call itself into question19.
12Là où Grivel voyait la parodie comme une pratique stérile qui finalement discrédite ce qu’elle produit, Hannoosh envisage son ambivalence et son caractère dialogique comme des atouts qui permettent le renouvellement de la production littéraire. Peut-être est-ce effectivement parce que l’influence de Bakhtine et des formalistes russes s’est fait sentir plus tôt dans le monde anglo-saxon que la parodie y est perçue de manière moins négative qu’en France où elle demeure déconsidérée. Et cette différence d’évaluation se reflète d’ailleurs dans la terminologie et son utilisation. Originellement, la parodie est un « contre-chant » ou un chant « à côté » du chant original (para + ôdé), comme le soulignent aussi bien Sangsue que Bouillaguet20 – d’où son caractère critique et la prééminence apparemment incon-testable accordée à l’œuvre source. Mais après tout, ne pourrait-on imaginer une parodie plus intéressante, réussie, élégante que ce qu’elle parodie ? Ce serait remettre en question les notions d’originalité et de propriété21 héritées du Romantisme. Prise entre la logique classique qui conçoit la parodie comme instrument critique servant à dévoiler des procédés, et la logique romantique qui nourrit des fantasmes d’originalité absolue, la critique française a tendance à dévaloriser la parodie parce qu’elle la perçoit comme une mise en danger d’une part de la figure de l’auteur et d’autre part des compétences du lecteur confronté à l’identification de l’hypotexte ou de la parodie en tant que parodie.
13Dans la logique de ses analyses structurales de la « transtextualité », Gérard Genette s’efforce dans palimpsestes de catégoriser les rapports entre hypo-et hypertexte, et de donner une typologie des « mimotextes » (parodie, pastiche, faux, travestissement, charge, etc.22), selon que le texte source est transformé ou simplement imité, pour en faire apparaître les fonctions (ludique, satirique, sérieuse). Mais aussi fines et utiles ces distinctions soient-elles, elles renforcent surtout le sentiment que toutes ces variantes ne sont que des exercices de style finalement stériles, voire puérils. Et elles manquent finalement la caractéristique principale de la parodie en contexte post-colonial qui est de donner du jeu. Les catégories rigides lui conviennent donc mal, puisque son objectif est d’échapper à la réification opérée par ces catégories, qu’elles soient envisagées en terme de pratique poétique (parodie, pastiche, palimpseste, etc.) ou en termes de classification et d’évaluation des textes, les « classiques » constituant l’étalon. Surtout, la parodie en contexte post-colonial oblige à réviser l’approche psychologique traditionnelle et à la réinsérer dans le contexte sociologique et politique qui lui sert de support. La conséquence immédiate est que les critiques anglo-saxons qui travaillent autour de cette pratique ont une approche beaucoup moins rigide des concepts : pastiche ou parodie23 ? Ce n’est peut-être pas l’essentiel24 :
Deriving from the Ancient Greek παρωδὶα, parody has accumulated a range of differing meanings in its long history. […] it is used as the generic term for a range of related cultural practices, all of which are imitative of other cultural forms, with varying degrees of mockery or humour. In Greek and then Latin usage, parodia signified a specific form of mock poetry or ode, which used the manner and diction of the high forms and appplied them to a trivial topic. But it also denoted a more widespread and more neutral practice of quotation and allusion. In neoclassical usage (seventeenth and eighteenth centuries), parody could mean no more than an extended allusion to another writer included in a longer work. The predominant modern usage defines parody as a mocking imitation, but this usage is contested, with various efforts to return it, first, to a more neutral or neoclassical usage in which the element of mockery would be absent – in which case parody would be more like the practice of imitation (Linda Hutcheon, a Theory of parody. The teachings of 20thCentury art Forms, 1985), and, second, to reconnect it with the fully comic practice of parody to be found in Rabelais’s or Sterne’s writing (Margaret Rose, parody : ancient, Modern, and postmodern, 199325).
14Ce que la critique anglo-saxonne tente de mettre à jour, ce sont en fait les spécificités de la parodie en contexte post-moderne ou post-colonial par rapport à sa pratique classique et la manière dont elle cristallise les enjeux de la période. Les deux critiques auxquelles Dentith fait référence font particulièrement date, avec des centres d’intérêt et des analyses qui parfois divergent ; à ce groupe s’ajoute Michelle Hannoosh. Toutes trois insistent sur le caractère ambivalent de la parodie qui oscille entre reconnaissance d’œuvres culturellement fondamentales et de leur influence, et volonté de renouveler leur lecture, non par simple goût du nouveau mais parce que ces mêmes œuvres affectent la modernité (ou la post-modernité, la période post-coloniale) et que les parodier permet de révéler comment elles l’affectent et peut-être d’échapper au caractère mortifère de cette influence. La répétition ne peut se concevoir qu’en différence et la parodie apparaît comme un outil de mutation des formes littéraires.
15La dimension métafictionnelle de la parodie contemporaine (post-moderne et post-coloniale) représente le centre d’intérêt principal de Margaret Rose : selon elle, la parodie fonctionne comme un miroir tendu à la fiction, la parodie n’étant pas seulement critique ou remise en question du texte parodié mais suggérant nécessairement de soumettre le texte parodique au même processus critique, en un mouvement toujours susceptible d’être poursuivi. Michelle Hannoosh pour sa part insiste sur le fait que, contrairement à l’opinion qui prévaut généralement, le lecteur de la parodie n’a pas nécessairement besoin de connaître le texte parodié. Cela lui permet de mettre en exergue les enjeux de la réception :
Parody by nature preserves the original in itself and is therefore self-sufficient, capable of being understood even when the details of the parodied work (original or target, when these are distinct) are lost or unknown. In practical terms, identification of the model may certainly clarify aspects of the parody and enhance our appreciation of the distortion, but it is not essential to an understanding of it. […] Therefore in theory we do not need to know the original in order to understand the parody, which retains of the original what is relevant to itself. This raises two points which demand clarification. First, the self-sufficiency of parody does not mean that we can (or should) reconstruct the original from the parody’s distortion, but merely that we can discern from it those aspects of the original which are mocked by the parody. Second, it does not follow that knowledge of the original is useless ; on the contrary this may facilitate understanding, especially of details, as experience attests. But this point in no way contradicts the theory ; the parody may be understood as a parody, and its object perceived, without knowledge of the original26.
16De ce point de vue ressortent clairement deux éléments importants : le fait que ce qui compte là, c’est la parodie plus que l’original, et que sa pratique ne peut donc être assimilée à un simple exercice critique qui prendrait forme littéraire, et l’idée que la parodie ne permettra pas nécessairement de « reconstruire l’original », que la distorsion entre les deux peut être importante et que la parodie ne colle pas forcément à son hypotexte, comme le souligne Anthony Wall qui insiste sur le fait que « déparodiser l’hypertexte ne rend pas l’hypotexte. La parodie ne peut être l’affaire de la simple application (telle que la conçoit Genette dans palimpsestes) de procédés purement mécaniques. […] De ce fait elle est non annulable27 ».
17Cela recoupe deux points soulignés également par Margaret Rose, et qui, en contexte post-colonial, sont fondamentaux. D’une part la parodie n’est pas la satire même si elle peut comporter des éléments satiriques : certes, la parodie post-coloniale (comme la parodie post-moderne) prend pour cible une situation extra-littéraire (sociale, impériale, etc.), mais elle le fait dans le champ littéraire, une œuvre littéraire constituant son support et devenant partie intégrante de sa propre trame. Ce qui informe la parodie post-coloniale, c’est la manière dont la littérature influence la réalité extra-fictionnelle, ce qui l’intéresse, ce ne sont pas d’abord les œuvres du passé mais leur impact sur le présent. La parodie postcoloniale n’est pas nostalgique. D’autre part, la parodie a « deux voix » pour reprendre l’expression de Bakhtine et, dialogique, elle s’élabore dans la dissonance. Or, la dissonance et la superposition ou le tissage de voix engagées dans des rapports de force, c’est justement ce qui caractérise le sujet post-colonial. Deux raisons qui expliquent peut-être la fortune de la parodie en situation post-coloniale, dans la mesure où elle permet de prendre acte du tissage serré et parfois invisible entre réalité et fiction et de le renégocier dans la fiction : le dédoublement effectué par la parodie révèle les enjeux cachés du « classique » et tente de les neutraliser.
18Margaret Rose et Michelle Hannoosh insistant par ailleurs sur le caractère nécessairement comique28 de la parodie, ce sont probablement les analyses de Linda Hutcheon, qui rendent le plus efficacement compte des spécificités de la parodie en contexte post-colonial. L. Hutcheon récuse la nécessité du comique : selon elle, la parodie peut être sérieuse puisqu’elle n’a pas nécessairement pour but de discréditer le texte parodié. Ses théories, même lorsqu’elles font référence de préférence au post-modernisme, éclairent particulièrement bien le recours à la parodie en contexte post-colonial :
[…] the double (literary/historical) nature of this intertextual parody is one of the major means by which this paradoxical (and defining) nature of postmodernism is textually inscribed. […] the notion of parody as opening the text up, rather than closing it down, is an important one : among the many things that postmodern intertextuality challenges are both closure and single, centralized meaning. […] Intertextual parody of canonical classics is one mode of reappropriating and reformulating – with significant changes – the dominant white, male, middle-class, European culture. It does not reject it, for it cannot. It signals its dependence by its use of the canon, but asserts its rebellion through ironic abuse of it. As Edward Said has been arguing recently (« Culture »), there is a relationship of mutual interdependence between the histories of the dominators and the dominated29.
19Étant donné le rejet par Hutcheon du caractère nécessairement comique de la parodie et la proximité de ses analyses du fonctionnement des textes avec celles de Julia Kristeva, on peut se demander si le terme d’intertextualité ne serait pas plus approprié. Mais là encore, le choix de définir le processus de reprise de classiques comme parodie marque bien qu’il s’agit d’autre chose : la notion d’intertextualité pose que tout texte est plurivocal par définition, qu’il se tisse, consciemment ou non, à la trame des textes qui l’ont précédé indépendamment des intentions de son auteur et de la capacité des lecteurs à le déchiffrer comme tel. Or, la parodie implique un choix et une volonté de reprise et de contestation évidemment fondamentale en contexte post-colonial30, et qui sont plus justement définis comme « interdiscursif » qu’intertextuel31 :
[…] this parodic reprise of the past is not nostalgic ; it is always critical. It is also not ahistorical or de-historicizing ; it does not wrest past art from its original historical context and reassemble it into some sort of presentish spectacle. Instead, through a double process of installing and ironizing, parody signals how present representations come from past ones and what ideological consequences derive from both continuity and difference.
Parody also contests our humanist assumptions about artistic originality and uniqueness and our capitalist notion of ownership and property. With parody – as with any form of reproduction – the notion of the original as rare, single, and valuable (in aesthetic or commercial terms) is called into question. This does not mean that art has lost its meaning and purpose, but that it will inevitably have a new and different significance. In other words, parody works to foreground the politics of representation. [… parody] is still tainted with eighteenth-century notions of wit and ridicule. But there is an argument to be made that we should not be restricted to such period-limited definitions of parody and that twentieth-century art forms teach that parody has a wide range of forms and intents – from that witty ridicule to the playfully ludic to the seriously respecting32.
20Elle implique également un positionnement ambigu, à la fois dans et à l’extérieur de la norme romanesque, qu’Hutcheon présente comme le paradoxe de la parodie, son caractère de « transgression autorisée33 ». Lequel positionnement reflète parfaitement celui, inconfortable probablement, mais fructueux, des auteurs de parodies en contexte post-colonial, à la jonction entre plusieurs cultures dont ils perçoivent de ce fait avec acuité les effets positifs ou pervers, et qu’ils s’efforcent de renégocier à leur manière :
Nevertheless, parody’s transgressions ultimately remain authorized – authorized by the very norm it seeks to subvert. Even in mocking, parody reinforces ; in formal terms, it inscribes the mocked conventions onto itself, thereby guaranteeing their continued existence34.
21C’est dans l’espace entre cette affiliation volontaire mais néanmoins conflictuelle et l’alternative que serait le rejet total de la norme que la parodie en contexte post-colonial renégocie les règles romanesques occidentales sans les annuler. Avec pour conséquence une visibilité importante là même d’où elle prétend s’éloigner, puisqu’utilisant les codes littéraires de la tradition occidentale, c’est là qu’elle est le plus lisible.
22En contexte post-colonial, il me semble que le concept de parodie s’articule à celui de « mimicry » que, dans un chapitre de The Location of Culture intitulé « Of mimicry and man : the ambivalence of colonial discourse », Homi K. Bhabha définit en ces termes : « almost the same, but not quite35 », « a complex strategy of [colonial subjection through] reform, regulation and discipline, which ‘‘ appropriates’’the Other as it visualizes power36 », et cela malgré des apparences qui soulignent leur proximité. Bhabha insiste sur le fait que :
The ambivalence of mimicry – almost but not quite – suggests that the fetishized colonial culture is potentially and strategically an insurgent counter-appeal. What I have called its « identity-effects » are always crucially split37.
23Si la « mimicry », mimesis qui a échoué, est ce qui signale involontairement les limites du processus d’assimilation, la parodie est un moyen de résistance explicite, qui signale à la fois l’obligation et le refus d’adhérer à cette imitation imposée de l’extérieur, un « double » subversif de la mimicry imposée par l’oppresseur (« parody as the native’s inappropriate imitations of this discourse, which has the effect of menacing colonial authority38 »). Commentant ce passage de la « mimicry » à la parodie, les auteurs de The empire Writes Back la caractérisent comme « subversion of authenticity as a stage in a process of resistance39 ». À cela se mêle l’idée que l’auteur post-colonial n’a pas de code littéraire ou de langage qui lui appartient en propre40, mais peut-être peut-on avancer que son langage propre est justement, non la « mimicry » ou le plagiat mais la parodie, moins parce qu’elle est intertextuelle (elle n’est pas la seule) que parce qu’elle remet en cause et en jeu la norme imposée (forme, langue, attentes des lecteurs).
Pour en finir avec l’« anxiété de l’influence »
24La question de l’affiliation mène directement à une autre que l’on ne peut s’empêcher d’associer à la parodie, quel que soit d’ailleurs le contexte dans lequel elle est produite et les raisons qui président à sa naissance : il s’agit de l’originalité, ou plutôt de l’absence d’originalité qu’on lui reproche puisque le parodiste se voit généralement accuser de faire au mieux (ou au pire) œuvre de critique, et d’être dans tous les cas un « suiveur », un copiste, un parasite incapable d’affirmer une originalité quelconque ou de faire preuve d’une pensée personnelle. En bref, la parodie n’est qu’un commentaire et l’accusation de plagiat plane toujours à proximité. Or, loin de craindre l’étiquette de plagiaires41 ou de faussaires42, il semble que les auteurs de parodies en contexte post-colonial soient indifférents à cette problématique.
25Cette question de l’influence et des liens si visibles avec l’œuvre ou les œuvres parodiée (s) influe pourtant directement et de manière importante sur la valeur qu’on veut bien ou non accorder à la parodie. Ainsi, dans The anxiety of influence : a Theory of poetry43 dont l’influence a été immense depuis sa publication, Harold Bloom envisage la littérature à partir de la période des Lumières comme une littérature marquée avant tout par ce qu’il définit comme une « anxiété de l’influence » : si auparavant, les auteurs ne se préoccupaient que de style, les notions de Sublime et de génie font de l’originalité une questions centrale à partir de cette période. Naît alors l’idée, angoissante pour les poètes, que leurs précurseurs ont couvert tout le terrain, qu’il ne reste rien d’original et d’inédit à écrire. Confronté à ce constat qui ne peut que le bloquer, l’écrivain n’a qu’une manière d’échapper au silence qui menace, par une lecture déformante que Bloom nomme « misreading » :
Poetic influence […] always proceeds by a misreading of the prior poet, an act of creative correction that is actually and necessarily a misinterpretation. The history of fruitful poetic influence […] since the Renaissance is a history of anxiety and self-saving caricature, of distortion, of perverse, wilful revisionism without which modern poetry as such could not exist44.
26En elles-même, ces influences ne sont pas mauvaises mais nécessaires au poète : elles lui permettent de se forger une personnalité et finalement d’affirmer une discontinuité avec le précurseur (Bloom la nomme « kenosis »). Il justifie donc ces « déformations » dans la mesure où elles sont créatives et permettent à l’auteur second de s’approprier et de dépasser celui qui l’influence :
We need to stop thinking of any poet as an autononous ego, however solipsistic the strongest of poets may be. Every poet is being caught up in a dialectical relationship (tranference, repetition, error, communication) with another poet or poets45.
The strong poet peers in the mirror of his fallen precursor and beholds neither the precursor nor himself but a Gnostic double, the dark otherness or antithesis that both he and the precursor longed to be yet feared to become46.
27Là où la parodie en contexte post-colonial se démarque totalement de ce schéma, c’est dans ce rapport idéalisé au prédécesseur. Bloom envisage en effet la littérature comme un domaine « esthétiquement autonome47 », et totalement indépendant de considérations idéologiques. Son but est de définir un canon qui transcende les modes ou les considérations historiques et serve de point de repère indépendant de tout contexte moral ou politique. On comprend bien qu’une telle position postule l’indépendance de la littérature. Mais ce faisant, Bloom adopte lui-même une position idéologique qui est justement celle dont les auteurs de parodies en contexte post-colonial donnent à voir les effets pervers non seulement dans la production littéraire mais dans la réalité : pour eux, la littérature n’est pas autonome, non parce qu’elle est avant tout un document historique ou sociologique, mais parce qu’elle a une influence dans l’histoire et sur les groupes humains qui tend, sous couvert d’autonomie, à reproduire et pérenniser des situations de domination, voire d’oppression, qu’elle recouvre pudiquement d’un voile « esthétique48 ». En favorisant l’individu, elle tend à effacer ce qui dans le groupe le contraint. Le problème est donc que le point de vue de Bloom est purement occidental et ne permet pas d’envisager la situation des auteurs en contexte post-colonial.
28De la même manière, Lucien Dallenbach, refusant de voir la littérarité « partout à l’œuvre49 » (on éprouverait un certain soulagement à lui donner raison), affirme qu’« il serait absurde de nier qu’intransitif par constitution tout texte n’a d’abord affaire qu’à lui-même50 ». Certes. Néanmoins la parodie (et singulièrement dans les cas que nous avons choisis d’étudier) instaure un degré de transitivité nécessaire et suggère que le texte n’a pas « d’abord affaire qu’à luimême » mais existe dans un schéma d’engendrement qui l’affecte lui autant qu’il affecte son auteur. Et il semble que ce soit pour donner à voir cette situation – et pas forcément dans sa dimension stylistique d’ailleurs, d’où les différences majeures avec le mode parodique traditionnel – que nos auteurs choisissent si volontiers la parodie. Cela remet-il en cause l’idée généralement partagée que le texte littéraire est littéraire parce qu’autonome, se suffisant à lui-même ?
29Il s’agit effectivement d’un choix qui s’inscrit en porte à faux et fait apparaître ce point de vue comme idéologiquement orienté, postulant une séparation rigoureuse entre réalité et art qui – consciemment ou non – transforme l’art en vecteur idéologique, tout particulièrement lorsque les œuvres en cause sont pétrifiées en « classiques » porteurs de vérité. On comprend bien les résistances qu’ont entrainées les « gender studies », accusées de tout mettre à plat, et – comme le regrette Bloom – aboutissant à un brouillage (voire à un rejet absolu) des évaluations. Mais la parodie en contexte post-colonial n’équivaut justement pas à une mise à plat : la visibilité de la reprise est essentielle puisqu’elle contribue à modifier les points de vue (sur les deux textes), à donner à voir ce qui était caché, et que de cette manière elle rend sa place fondatrice à l’œuvre source et reconnaît son influence tout en la remettant en cause. Ce choix n’oblitère en rien la valeur poétique de l’original ou de la parodie, mais il modifie la définition de l’« anxiété de l’influence », qui sort du champ strictement littéraire et reflète une angoisse plus large, ancrée dans les textes mais rayonnant au-delà.
30Il s’ensuit donc que si « anxiété de l’influence » il y a (et il semble qu’assurément, il y a), ses enjeux sont d’une autre nature que ceux définis par Bloom comme relevant d’une sphère « poétique » autonome, coupée des réalités externes, puisqu’ils contestent cette image idéale de l’œuvre d’art indépendante des contingences historiques. Les enjeux relèvent là de la mise à nu de cette influence pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pas seulement poétique. Elle a en effet tout à voir avec la réalité non-littéraire et s’apparente plutôt à ce que S. Gilbert et S. Gubar ont nommé, en réponse à Bloom, et pour caractériser la situation des femmes en littérature, « anxiety of authorship », angoisse d’être « inappropriately authored », angoisse de manipulation dans le champ littéraire mais également au dehors :
As we noted above, for an « anxiety of influence » the woman writer substitutes what we have called an « anxiety of authorship », an anxiety built from complex and often only barely conscious fears of that authority which seems to the female artist to be by definition inappropriate to her sex51.
31En contexte post-colonial, la situation des auteurs s’apparente évidemment, pour des raisons parallèles de rapport à la « norme », occidentale autant que masculine, à celle des femmes et produit des effets similaires, la question étant de se forger une identité qui ne peut pas être simplement « révision » mais qui doit aussi prendre en compte ce que l’original excluait ou refoulait, y compris dans le domaine linguistique52 : d’où des œuvres plus infidèles que la définition habituelle de la parodie ne le laisserait attendre, qui défamiliarisent totalement les textes sources et pourtant les conservent précieusement visibles. Caroline Rody, commentant Wide Sargasso Sea pose le problème de manière intéressante :
Though Rhys clearly aimed at a certain independence, announcing in a 1962 letter that her Antoinette « is not Jane eyre ’s lunatic at all », she also decided, early in the project that, though « it might be possible to unhitch the whole thing from Charlotte Brontë’s novel… I don’t want to do that ». The project to write « not Jane eyre ’s lunatic » into a test that yet stays « hitched » to Jane eyre is a « misreading » that, (p)revising Bloom, desires a complex kind of individuation53 […].
32L’ambiguïté du projet, et la difficulté à le nommer tiennent me semble-t-il à ce rapport particulier à la filiation : il s’agit peut-être de tuer le père (ici, la mère) mais pas de l’annuler. D’ailleurs, l’interprétation psychanalytique habituelle des parodies/réécritures/reprises comme « meurtres du père54 » tombe puisque la filiation fait problème : « enfants adoptés » malgré eux, les romanciers en contexte post-colonial évoluent entre plusieurs « familles », plusieurs cultures, qu’ils ne souhaitent pas nécessairement renier : il ne s’agit ni de nostalgie ni de compulsion de répétition, il ne s’agit même pas d’appropriation de « vertus » littéraires fantasmées. Il s’agit de définir soi-même sa place dans un espace-temps et une langue où les limites entre soi et l’autre posent problème. Manière aussi de poser sa propre origine, donc son originalité. Les questions d’attachement, de filiation et de reconnaissance s’inversent alors : ce sont les enfants qui reconnaissent et acceptent des « parents » plus ou moins légitimes et c’est la nature du lien qu’ils travaillent. Commentant les réactions de critiques qui s’interrogeaient sur l’autonomie de Wide Sargasso Sea par rapport à Jane eyre, Rody insiste elle aussi sur l’affirmation du lien :
None of these critics considers the possibility that a work might be whole – and « strong, » in Bloom’s terms – precisely because of the way it remains overtly connected to another, that we might approve a style of revision other than that which accords with what is generally termed the male model of individuation. In striking contrast to these […] male critics, none of the dozen or more female critics I have read finds it necessary to consider the « crucial » question of the autonomy of Rhys’s text ; most are interested, rather, in the nature of its attachment to Jane eyre. The suggestively grim and awesome imperative that a text « stand and be judged alone » is alien to the model of inheritance implicit in Wide Sargasso Sea55 […].
33Sans entrer dans la polémique sur le « genre » ou le sexe des critiques et la manière dont il influe sur la valeur accordée à la fois à l’originalité et à l’autonomie d’un texte, il semble néanmoins que ce culte est une des choses que les parodies en contexte post-colonial remettent systématiquement en cause : les modes d’évaluation des œuvres ne peuvent qu’en être affectés. Notre lecture aussi. Ce refus de la hiérarchisation si prégnante dans la pensée occidentale et de l’angoisse qu’elle génère immanquablement nous ramène à l’utilisation que fait Jacques Derrida du « double » comme concept lorsque, l’associant aux notions de « répétition » et de « supplément », il remet en question cette vision hiérarchisée du texte « premier » et « second », la citation étant avant tout « mise en mouvement56 », donc porteuse de vie :
Telle écriture qui ne renvoie qu’à elle-même nous reporte à la fois, indéfiniment et systématiquement, à une autre écriture […] Il faut que chaque fois, renvoyant à un autre texte, à un autre système déterminé, chaque organisme ne renvoie qu’à lui-même comme structure déterminée : à la fois ouverte et fermée57.
34L’image de la « greffe » me semble convenir tout particulièrement et permettre de sortir de cette angoisse de l’influence envisagée comme simple calque, puisque la répétition est posée comme nécessaire, en différence et productive : elle reflète en effet la manière dont à la fois l’arbre et le greffon sont « forcés » contre leur nature première pour produire des fruits d’un nouveau genre. Certes, Derrida définit la littérature comme répétition indépendamment du contexte post-colonial spécifique dans lequel nous nous plaçons58. Mais ce concept prend une acuité particulière chez nos auteurs puisque la parodie fait figure chez eux de mise en scène volontaire de la répétition en tant qu’elle témoigne de préoccupations identitaires : manière de dire que leur intention est de rendre le schéma hiérarchique dans lequel ils sont placés malgré eux non pertinent. Edward Said ne dit pas autre chose lorsqu’il pose la différence entre « origine » et « commencement », insistant sur le désir et l’intention et plaçant la créativité dans de nouvelles combinatoires plutôt que dans une originalité mythique et paralysante :
[…] beginning is basically an activity which ultimately implies return and repetition rather than simple linear accomplishment, that beginning and beginning-again are historical whereas origins are divine, that a beginning not only creates but is its own method because it has intention. In short, beginning is making or producing difference ; but – and here is the great fascination in the subject – difference which is the result of combining the already-familiar with the fertile novelty of human work in language. […] The underlying interest of an essay such as this book is its true theme : the community of language and history – from the beginning, despite any one beginning59.
35Réécritures et parodies post-coloniales apparaissent alors comme un des lieux privilégiés où se donne à voir aujourd’hui cette renégociation de l’« anxiété de l’influence », réelle ou mythique puisque les auteurs remettent en question les hiérarchies acceptées, se définissent eux-mêmes comme non-originaux, et affirment avec force que cela n’a rien de honteux. Le mythe romantique de l’originalité, de l’auto-engendrement cède le pas dans des romans qui se veulent ouvertement dialogiques : désinhibée, la parodie post-coloniale oscille entre reprise et écart et refuse de choisir son camp.
36Enfin, un autre aspect de ces reprises facilite la sortie de l’« anxiété de l’influence », puisque tous ces romans se tissent en fait non pas à un seul, mais généralement à un nœud de romans-sources qu’ils entremêlent intimement, ce qui leur permet d’échapper plus facilement à l’influence d’un seul et de prendre une distance supplémentaire. Ainsi, Foe renvoie certes à robinson Crusoe, mais Susan, personnage essentiel, vient, comme nous l’avons vu de roxanna et d’autres romans de Defoe sont également convoqués60. Jack Maggs a bien sûr pour hypotexte principal Great expectations, mais les passages où Maggs raconte son enfance évoquent également Oliver twist et les descriptions des bas fonds de Londres, l’ouvrage d’Henry Mayhew London Labour and the London poor, tandis que Wide Sargasso Sea renvoie explicitement à Jane eyre, mais emprunte également la description du contexte historique en Jamaïque à une nouvelle et un récit de voyage d’Anthony Trollope61. Dans tous les cas, le schéma d’influence unique à caractère pathologique cède la place, la question du plagiat devient caduque et l’auteur apparaît comme le lieu d’influences multiples62 rendues visibles dans la reprise.
Mise en abyme, palimpseste, reprise, révision, déploiement
37Du fait que sa dimension méta-critique est prépondérante, la parodie est souvent confondue avec une mise en abyme. Dans Le récit spéculaire, Lucien Dallenbach donne cette définition de la mise en abyme :
[…] est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient. […] est mis en abyme tout miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit63 […].
38Selon Dallenbach, qui parle de Gide, la mise en abyme est un roman dans le roman et un roman du roman. Il établit de ce fait trois modes de réduplication :
[…] la réduplication simple (fragment qui entretient avec l’œuvre qui l’inclut un rapport de similitude), la réduplication à l’infini (fragment qui entretient avec l’ouvre qui l’inclut un rapport de similitude et qui enchâsse lui-même un fragment qui…, et ainsi de suite) et la réduplication aporistique (fragment censé inclure l’œuvre qui l’inclut64).
39Or, le phénomène d’inclusion n’est pas la caractéristique de la parodie en situation post-coloniale, et particulièrement pas en période contemporaine puisque le redoublement implique au contraire une dissociation et que la parodie renvoie à une œuvre apparemment absente. Les trois romans cependant posent explicitement la question de la réduplication, celle des personnages, celle des situations, celle des textes ou de fragments de textes. Mais sur les trois types de réduplication définis par Dallenbach, la parodie post-coloniale botte en touche. Elle n’est jamais réduplication simple, dans la mesure où elle remet en question non la possibilité d’un rapport de similitude, mais son acceptabilité : ce dont tous les personnages font l’expérience, c’est du risque de réification qu’ils courent à rester proches de leur original, voire du non-sens de l’entreprise dans le cas de Cruso qui est l’antithèse du héros de Defoe, paradigme du capitalisme et du colonialisme naissants :
Cruso kept no journal, perhaps because he lacked paper and ink, but more likely, I now believe, because he lacked the inclination to keep one, or, if he ever possessed the inclination, had lost it. […]
« I will leave behind my terraces and walls », he said. « They will be enough. They will be more than enough. » And he fell silent again. As for myself, I wondered who would cross the ocean to see terraces and walls, of which we surely had an abundance at home […]
What benefit is there in a life of silence ? […]
« Which is easier : to learn to see in the dark, or to kill a whale and seethe it down for the sake of a candle ? » There were many tart retorts I might have made ; but, remembering my vow, I held my tongue. The simple truth was, Cruso would brook no change on his island65.
40Significativement, ce que, tant qu’elle est sur l’île, Susan ne comprend pas et conteste dans l’attitude de Cruso, c’est ce qui l’éloigne le plus de son modèle : son inappétence pour le système capitaliste, sa logique d’économie de gestes et de paroles. Et c’est elle qui reprend à son compte la logique de profit que Crusoe aurait si bien comprise, mais dont son double marque la limite : « They will be more than enough. » Hors de la société capitaliste, isolé sur une île déserte qu’il se garde de confondre, contrairement à son original, avec l’autre île qui étend son pouvoir sur le monde (l’Angleterre), Cruso dévoile l’absurdité de la logique d’appropriation et de rentabilisation élevée au rang d’idéal de débrouillardise – y compris dans ses conséquences écologiques désastreuses (une baleine pour une bougie). Le lecteur contemporain comprend que Cruso préfère finalement mourir que réintégrer cette logique d’excès, de bruit et de mouvement dont l’île le protégeait. Bien loin de l’ascétisme de Cruso, le discours de Susan sur l’île est en revanche marqué par le désir de retour vers la logique de robinson Crusoe. Il la conduit chez Foe qui lui aussi envisage les « histoires » comme des biens de consommation dotés d’un plus ou moins grand potentiel spéculatif et elle comprend finalement que de ce profit-là, elle ne tirera pas la satisfaction qu’elle attend. Il y a beaucoup d’ironie à constater que Foe, dont on pourrait en suivant les reproches faits traditionnellement aux parodies, dire qu’il capitalise sur la notoriété de robinson Crusoe, travaille justement cette logique spéculative à partir de robinson Crusoe et montre à quel point ce n’est pas la sienne, à quelle point ce n’est, de manière plus générale, pas celle des reprises en contexte post-colonial dont l’objectif est de frustrer le lecteur en attente d’un texte similaire.
41Un peu comme Susan, Maggs est, dans Jack Maggs, le personnage qui souhaite le plus réintégrer la logique (mélodramatique) de Dickens. Il rentre en Angleterre à la recherche de Pip, mais trouve (ou plutôt, pour son bien ne trouve pas) Phipps : le héros de Dickens (généreux quoiqu’encombré de préjugés dont son père adoptif le délivre) est absent et Phipps qui se terre est apparemment frappé de mutisme. Premier signe que la réduplication, si elle tente de rejoindre l’original, se trompe de cible. Maggs est prêt à se sacrifier pour un fantasme : il ne connaît même pas le vrai visage de Phipps, qui, prudent ou doté d’une grande clairvoyance autant que d’un sens de l’ironie sûr, lui a envoyé un portrait du Prince de Galles.
42La parodie joue également sur la possibilité de réduplication à l’infini, et là aussi la fin de Foe qui rejoue plusieurs fois l’entrée du lecteur dans le texte/les textes (celui de Foe, celui de Susan, celui de Defoe) souligne à quel point toute reprise est un point de fuite hors du texte dupliqué, une fenêtre ouverte vers un « autre » de l’original :
Bringing the candle nearer, I read the first words of the tall, looping script : « Dear Mr Foe, At last I could row no further. »
With a sigh, making barely a splash, I slip overboard66.
43La lecture tend à désenchâsser le texte du contexte qui le produit : le double ainsi produit se trouve livré à lui-même dans une dérive incontrôlable par son original.
44De la même manière, Jack Maggs est aussi un roman sur le roman, mais il est surtout un roman sur l’impossibilité de réécrire le roman à l’identique une fois qu’il a été lu : Oates écrit The Death of Maggs sous les yeux de Maggs et cette proximité garantit justement que le personnage ne se laisse pas « assassiner » par celui qui tente vainement de se transformer en son auteur et à qui il refuse ce statut : c’est parce qu’il lit les pages d’Oates alors qu’il n’était pas censé le faire que Maggs prend conscience du danger qu’elles représentent pour lui et qu’il sort finalement de la logique sacrificielle de Dickens.
45Enfin, la parodie se joue de la logique de l’inclusion que suppose la mise en abyme puisque ni l’original ni le double ne se contiennent mutuellement. Envisagés comme deux discours, ils s’entrelacent et se répondent, se font écho et se brouillent, mais aucun ne contient l’autre. C’est peut-être Wide Sargasso Sea et Jane eyre qui en donnent l’exemple le plus convaincant puisque Wide Sargasso Sea débouche logiquement dans Jane eyre que Rhys charge de réaliser le rêve d’Antoinette/Bertha : mettre le feu à Thornfield Hall. Pourtant, Jane eyre ne contient pas Wide Sargasso Sea, pas plus qu’il n’en épuise la nécessité : il en ouvre à peine la possibilité. Leur contact est nécessaire mais demeure liminaire, chacun se déployant dans un espace-temps différent. Dans tous les cas, ce qui sépare la parodie de la mise en abyme, c’est l’existence matérielle de deux textes. Le second peut bien prendre naissance dans ou contre le premier, il finit toujours par trouver une raison d’être propre qui le détache de son original et leur assure ce statut ambigu : être liés, faire sens de manière asymptotique et pourtant tendre à l’autonomie.
46C’est aussi la raison pour laquelle je préfère le terme de parodie, malgré les attentes « comiques » que le terme suscite généralement – et qu’il ne remplit pas nécessairement, nous l’avons vu avec Linda Hutcheon –, à celui de « révision » utilisé par Adrienne Rich. L’une des questions fondamentales attachée à la parodie est en effet celle de l’évaluation hiérarchique, qui soulève d’ailleurs des difficultés sémantiques : pourquoi en effet parler de parodie pour des œuvres qui s’éloignent volontairement de l’acception habituelle ? C’est que le terme de parodie place l’écart linguistique et le paradoxe au cœur de l’entreprise, contrairement à d’autres qui opèrent un choix, comme révision ou réécriture67. On révise pour améliorer, on réécrit ce dont on n’est pas satisfait et que la seconde version doit faire oublier ; le concept de révision suggère la création d’un palimpseste qui entraînerait une illisibilité du texte premier, ce qui n’est pas l’intention de nos auteurs qui cherchent à expliquer, faire comprendre, proposer une alternative mais pas à effacer ou remplacer :
Re-vision – the act of looking back, of seeing with fresh eyes, of entering an old text from a new critical direction […] Until we can understand the assumptions in which we are drenched we cannot know ourselves. […] We need to know the writing of the past, and know it differently than we have ever known it ; not to pass on a tradition but to break its hold over us68.
47Le terme est important car il place le processus du côté de la « vision », de l’imaginaire, et souligne le rôle fondamental de l’acte de lecture, mais il suggère aussi la superposition des deux textes et le remplacement de l’un par l’autre ; or il ne s’agit pas de remplacer une vérité par une autre tout aussi infaillible.
48C’est d’ailleurs ce qu’affirment toutes les parodies puisqu’il y a systématiquement partage de la parole entre plusieurs personnages. Comme le souligne Caroline Rody parlant de Christophine dans Wide Sargasso Sea, « [i] n this black woman’s voice Rhys’s revision suggests the need to hear voices that would revise it in turn69 ». Bien sûr, la parodie comporte une dimension de révision, et trouve même sa raison d’être, sa justification dans ce désir de révision. Mais réviser, c’est remplacer le texte précédent, dans un mouvement de retour à lui ou dans une logique de palimpseste, qui ne rend pas exactement compte des aspects essentiels de la parodie en période post-coloniale : elle ne vise pas à remplacer ou annuler les classiques, mais à les prendre comme point de départ d’un processus identificatoire. Et si la parodie n’est pas seulement révision, c’est qu’elle est plus préoccupée d’elle même que de son original. C’est du côté du redéploiement qu’il faut la placer et c’est dans le paradoxe qu’elle opère, ce que souligne Linda Hutcheon lorsqu’elle la définit comme « repetition with critical distance that allows ironic signalling of difference at the very heart of similarity70 ».
Parodie et filiation : « Ma mère, mon miroir »
49La première étape qui explique le choix de la parodie en contexte postcolonial est évidemment la prise de conscience de l’influence de ce que nous nommons « classiques » dans un espace-temps qui n’est plus celui de l’Empire britannique triomphant : le « classique71 » a laissé une trace partiellement inconsciente et qui influence l’époque contemporaine dans sa production littéraire comme, plus généralement, dans toutes ses représentations idéologiques. Mais parce qu’il est emblématique d’une époque, d’une culture, d’une idéologie de la littérature, le classique porte en lui une dimension mortifère que la parodie tente de neutraliser – ou tout au moins cherche-t-elle à la donner à voir pour s’en désaliéner. La parodie combat l’effet « roman parental72 » que les classiques ont sur la réalité, et donne à voir les liens d’intimité entre fiction et réalité, le fait que la fiction est peut-être un miroir pour la réalité (on pense bien sûr au postulat réaliste du roman du xixe siècle), mais la réalité est parfois aussi menacée de se voir réduite au rang de miroir de la fiction. En termes freudiens, on pourrait probablement expliquer le choix de la parodie comme comportant une dimension œdipienne, les enfants cherchant à se libérer de l’emprise parentale qui les empêche de devenir adultes, si ce n’est que les fils ou filles sont dans ce cas décidément des bâtards et qu’à la question de l’Œdipe s’ajoutent celles de leur place sur la scène « familiale »/romanesque et de la difficulté à définir leur propre identité.
50D’où les questions de filiation et de détachement du « parent » auquel le personnage ressemble ou pas, dont il est censé reproduire la destinée ou pas73. Ces thèmes sont au centre de tous les romans, que ce soit Antoinette et sa mère, Maggs et ses enfants, vrais ou adoptés de force ou Susan et sa vraie-fausse fille. Les relations parents-enfants constituent un problème récurrent dans toutes les parodies post-coloniales ; la question de la reproduction du « classique » rejoint celle de la reproduction humaine :
[…] filiative relationships are replaced by affiliative identifications […], straightforward lines of descent, such as one, at least supposedly, finds in canonical English literature, are replaced by literary genealogies that reject colonial parent figures, or at least only allow such figures to exist as members of an extended, and usually hybrid, ancestral family. […] Problematic parentage becomes a major trope in postcolonial con-texts, where the genealogical bloodlines of transmission are frequently delegitimized by multiple ancestral legacies, usually but not always initiated by imperialism. […] Illegitimacy preponderates, a metonym for both social plurality and the severing of the bloodlines from the supposed colonial father74.
51Soit il s’agit d’échapper à l’image formée par d’autres à partir du « parent » (Antoinette est folle « parce que » sa mère est folle – du moins est-ce le point de vue de Rochester), soit le parent accepte ou refuse des enfants comme siens (Susan et Maggs, Annette). Dans le premier cas, l’enjeu est d’échapper au risque, à la tentation aussi, d’être le jouet d’identifications superposées depuis l’extérieur. Ce détachement se joue à trois niveaux : celui des personnages, des figures de l’auteur, et bien sûr des romans sources. Dans le second cas, une coupure irrémédiable dans la filiation se donne à voir. Jack Maggs montre qu’il n’est pas possible d’adopter un enfant si celui-ci ne le veut pas75, Foe qu’on ne peut non plus se choisir un parent contre le gré de celui-ci : la filiation, qu’elle soit « humaine » ou littéraire est affiliation, affaire de choix plutôt que de génétique76 : « […] what you know of your parentage comes to you in the form of stories […] » dit Susan à celle qui se prétend sa fille (p. 91). Surtout, Wide Sargasso Sea et Foe posent la question de la filiation par les femmes, se séparant là volontairement de l’idéologie dominante du Nom-du-Père et de la transmission de valeurs paternalistes et retournant/dédoublant le topos romanesque du « bâtard » à la recherche d’un père. Dans les deux romans, au contraire de la loi romaine, « mater non semper certissima ». La question devient alors de quelle mère tel personnage est la fille : Antoinette est peut-être « the infamous daughter of an infamous mother », selon Rochester, mais surtout elle est la fille abandonnique d’une mère qui la rejette, comme Susan Barton rejette celle qui se prétend sa fille, et bien sûr dans les deux cas, il y a un blanc, une absence, puisque comme le dit Susan à sa « non-fille » :
You are father-born. You have no mother. The pain you feel is the pain of lack, not the pain of loss. What you hope to regain in my person you have in truth never had. (p. 91)
52À travers cette métaphore de maternité et de paternité, Susan dit très simplement que toute la littérature dans laquelle s’inscrit l’autre Susan est une littérature d’hommes, une littérature « phallique », blanche, européenne et phallocentrique, qu’il y a en quelque sorte une solution de continuité dans la filiation qui ne pourra pas être comblée – puisque c’est le système patriarcal dominant qui définit les relations symboliques mère-fille et leurs enjeux. Pour les personnages, le prix à payer est élevé puisque c’est de leur identité qu’il s’agit, de leur autorisation à exister, cette fois-ci non plus dans le Nom-du-Père mais dans le désir de la mère. Dans Wide Sargasso Sea, Annette préfère Pierre, son fils débile, qui n’a pas d’avenir, à Antoinette qu’elle ignore ou rejette alternativement. Repoussée par sa mère, Antoinette sombre ensuite dans une autre forme d’aliénation au désir de son mari qui la réduit au statut d’objet. Incapable de choisir Christophine, figure maternelle de substitution qui lui permettrait de sortir de la logique impérialiste, coloniale et phallocentrique et d’entrer dans « autre chose77 », Antoinette se retrouve prisonnière dans la mansarde de Thornfield et ne peut s’échapper, à part peut-être dans la mort. C’est à Jane qu’il sera donné de sortir de la logique d’aliénation sexuelle – mais pas coloniale. Dans Jack Maggs, Mercy adopte volontiers les fils de Maggs, et les remet dans le droit chemin. Ce qui ne signifie pas seulement qu’elle leur évite le sort de leur père : elle fait en sorte qu’ils ne confirment pas ce que la métropole « sait » de ceux qu’elle a envoyés peupler la Nouvelle Galles du Sud, que ce sont des « warmints ». Ce faisant, elle relance l’histoire dans une nouvelle direction et ouvre de nouvelles possibilités narratives à la fiction, hors de la logique de répétition. Dans Foe, Susan ne désire pas avoir une fille comme l’autre Susan Barton, mais elle finit en revanche par « adopter » Friday :
A woman may bear a child she does not want, and rear it without loving it, yet be ready to defend it with her life. Thus it has become, in a manner of speaking, between Friday and myself. I do not love him, but he is mine. That is why he remains in England. That is why he is there78.
53C’est évidemment le futur de la littérature romanesque anglo-saxonne qu’annonce ainsi Susan, par cet acte d’adoption forcée mais finalement acceptée : un futur qui souhaite se placer en dehors de la logique phallocentrique, et en dehors de la logique coloniale.
54Ce qui souligne combien les questions post-coloniales rejoignent les questions de genre et ne peuvent progresser séparément. Les trois romans en rendent amplement compte, Wide Sargasso Sea entrelaçant les deux questions intimement tandis que Jack Maggs et Foe font l’un et l’autre entrer des personnages féminins dans des espaces narratifs d’où ils étaient soit exclus, soit marginalisés. Le fait que Susan et Mercy détiennent la clef de l’avenir littéraire (l’une et l’autre se retrouvent dépositaires d’un savoir sur le passé qu’il leur importe de préserver en assurant la survie d’un texte) autant que de la vie des personnages dans les deux romans est évidemment le signe d’une volonté de changer les règles : celles de la filiation et des mythes dans lesquels elle prend racine (celui du Nom-du-Père79 quand il sert de support à une logique impérialiste en premier lieu), à laquelle est systématiquement préférée une affiliation pourtant moins certaine ; celles de la fiction qui s’éloigne de la logique réaliste. Le fait que, dans les deux cas où le processus d’adoption ou d’affiliation est couronné d’un certain succès, les mères se choisissent des fils et non des filles est peut-être plus surprenant. Il semble pourtant qu’il ne vise pas à mettre les « filles » hors circuit, mais à donner à voir le processus comme inclusif. En d’autres termes, il ne s’agit pas de remplacer une exclusion ou une aliénation (celle des femmes) par une autre (celle des hommes), il s’agit de sortir de la logique de domination.
55Nous avons vu que, dans la logique narrative, ce sont les personnages secondaires du roman source qui, encombrés de l’héritage qu’il constitue, tentent généralement de se forger une nouvelle liberté, de sortir de la logique qui les condamne à rester secondaires, à être sacrifiés au personnage principal et à la logique impérialiste dont le roman-source est le véhicule. Mais le double qui se révèle dans la parodie n’obéit pas aux mêmes nécessités selon les contextes et ne parvient pas toujours à se débarrasser du poids de son original. Wide Sargasso Sea, Jack Maggs et Foe présentent trois cas différents. Dans le roman de Rhys, celle qui dans Jane eyre n’est qu’une ombre80 devient le personnage principal tandis que le personnage initialement principal disparaît. Pourtant, Antoinette n’échappe pas au destin qui la mène à une vie de réclusion dans la mansarde de Thornfield Hall. Dans Jack Maggs, les choses sont différentes : Maggs est en quelque sorte un personnage secondaire qui veut rester secondaire et vivre par procuration la vie d’un « gentleman », à travers Phipps, comme Magwitch s’était « acheté un gentleman » dans Great expectations. Le double là commence ses aventures dans le même état d’esprit et avec les mêmes ambitions que son original, et il est poussé par les événements vers un autre destin qui le conduit aussi loin que possible (physiquement, psychologiquement, et du point de vue de sa fonction dans la fiction) de son original. Dans Foe, un personnage qui ne fait pas partie du roman parodié devient personnage central et narratrice de la parodie, tandis que les doubles des personnages de robinson Crusoe rejouent leur destin selon des règles toutes différentes.
56L’une des différences entre les trois romans, qui explique la capacité des personnages de Jack Maggs et Foe à échapper à la logique du roman-source est la manière dont ces deux romans jouent avec la figure de l’auteur tout puissant. Oates et Foe, doubles fictionnels de Dickens et Defoe, sont soumis au même régime que tous les autres, celui de la fiction, et deviennent des personnages. Et il ne s’agit pas seulement d’un règlement de comptes ou de faire tomber telle ou telle icône de son piédestal, mais de remettre en question la toute puissance du grand auteur qui établit des règles auxquelles lui-même n’est pas soumis ou tout au moins qui sont les règles qu’il s’est choisies. Un tel processus souligne certes la différence entre auteur réel et « implied author » : le « grand auteur » est lui aussi une construction fantasmatique, le « vrai » Dickens ou le « vrai » Defoe nous étant à jamais inconnus ; nous ne pouvons que les fantasmer, les recréer comme autant de fictions à caractère historique. Il permet aussi de dévoiler les faiblesses de ces auteurs, et peut-être de les contester plus facilement. Mais surtout, il donne à voir le tissage de la fiction et de la réalité et ses conséquences : lorsque l’auteur devient personnage de fiction, ses choix romanesques peuvent être contestés. Et si les choix de Defoe ou Dickens ne peuvent plus l’être, il est possible de les remettre en jeu à travers ceux de Oates et de Foe : le double de l’auteur est là moins une figuration de son original que du pouvoir (contesté) de tout auteur sur la réalité.
57Car ce que les deux romans travaillent, c’est la manière (certes imprévisible par l’auteur du roman source) dont la fiction influence la réalité ou au moins les représentations idéologiques dans la réalité, l’« effet miroir » entre fiction et réalité81. Confrontés au double de leur créateur, les personnages des parodies prennent conscience du fait que ses choix narratifs ne sont pas les seuls possibles et sont de ce fait en mesure de les contester, ce qu’ils font avec énergie. Cette dimension métatextuelle explicite est absente de Wide Sargasso Sea : Antoinette ne peut contester les choix narratifs d’aucun auteur, et si elle perçoit clairement à quel point Rochester la conduit vers un destin catastrophique, elle ne peut que l’assimiler au vaudou, c’est-à-dire à quelque chose contre quoi elle est impuissante ; son seul moyen de défense est du même ordre, magique : la folie. Les personnages des deux autres romans, confrontés au double de leur « auteur » peuvent combattre ses choix sur le terrain de la fiction, des choix narratifs et idéologiques, tandis qu’Antoinette ne le peut pas. La raison est peut-être celle, bien connue, identifiée par S. Gilbert et S. Gubar dans The Madwoman in the attic et qui tient à un usage sexué de la parodie :
And just as the male artist’s struggle against his precursor takes the form of what Bloom calls revisionary swerves, flights, misreadings, so the female writer’s battle for self-creation involves her in a revisionary process. Her battle, however, is not against her (male) precursor’s reading of the world but against his reading of her. In order to define herself as an author she must redefine the terms of her socialization. Her revisonary struggle, therefore, often becomes a struggle for what Adrienne Rich has called « Revision – the act of looking back, of seeing with fresh eyes, of entering an old text from a new critical direction… an act of survival. » Frequently, moreover, she can begin such a struggle only by actively seeking a female precursor who, far from representing a threatening force to be denied or killed, proves by example that a revolt against patriarchal literary authority is possible82.
58En d’autres termes, si Rhys trouve que le traitement que Brontë fait subir à Bertha est injuste et cherche à réparer cette injustice, elle resterait prise dans un processus identificatoire sexué dans la mesure où Brontë elle-même lui apparaîtrait comme un modèle de résistance au système patriarcal. Elle ne pourrait donc se permettre de la soumettre au type de traitement que Coetzee et Carey font subir à Defoe et Dickens. Sans même parler du fait que Wide Sargasso Sea a été publié en 1966, c’est-à-dire vingt ans avant Foe83.
59Le résultat est que les « doubles » sont tous trois des formes de contestation des romans qu’ils parodient, mais qu’ils ne transmettent pas le même message sur la capacité à sortir de la logique établie par le modèle. Un certain nombre de critiques insistent certes sur le fait qu’Antoinette/Bertha ne connaît pas nécessairement le même sort dans Wide Sargasso Sea que dans Jane eyre et que le roman se termine avant sa mort, laissant la porte ouverte à d’autres possibilités, mais ces possibilités me semblent en réalité extrêmement minces (Bertha incendie la maison, Rochester périt dans les flammes, elle reprend le contrôle de son argent, affrète un bateau et retourne sur son île ?) : la raison en est que Rhys a conçu Wide Sargasso Sea comme une explication de la folie de Bertha et non comme une remise en cause de son sort : si le roman se termine avant qu’Antoinette ne mette réellement le feu à Thornfield Hall, c’est peut-être aussi parce que ce geste sera accompli dans Jane eyre. Ce qui compte dans tous les cas, c’est que Wide Sargasso Sea laisse au lecteur le choix d’interpréter la fin du roman. Car les enjeux politiques pour Rhys ne sont pas les mêmes que ceux de Carey et de Coetzee, même s’ils donnent lieu à une remise en jeu poétique84 tout aussi novatrice – et d’une grande richesse.
60Le processus de redoublement que lance la parodie a donc des conséquences au niveau du texte comme au niveau diégétique : l’objectif de l’auteur est clairement d’investir les failles et les points aveugles du texte-source (dimension critique) pour donner à voir que le « double » (conçu ainsi depuis le centre) n’est pas une ombre, qu’il existe d’autres modes d’être que la norme (romanesque, logocentrique, unitaire) que posent les classiques. La parodie en tant que texte donne à voir la doublure, signale ce qui est caché mais qui « tient » idéologiquement le tissu du texte-source, la dimension idéologique de la littérature. Enfin elle vise à réinscrire la production littéraire, les classiques et elle-même dans une dynamique temporelle : Linda Hutcheon souligne que la parodie est nécessairement double également parce qu’histoire et littérature sont indissociables85. La conséquence est que ce type de parodie ne s’attaque pas vraiment au texte-source, mais à ses effets, à son pouvoir de pétrification, à la manière dont la fiction inter-agit avec la réalité et l’influence. Elle prend en compte le double mouvement dans lequel s’inscrit la fiction : dans les romans-sources, elle prend racine dans la réalité, et revient ensuite vers la réalité qu’elle détermine de manière plus ou moins inconsciente à travers l’ombre portée des classiques. C’est aussi la raison pour laquelle la parodie en contexte post-colonial voit sa dimension satirique par rapport au texte-source minimisée : ridiculiser les limites, faiblesses, petites misères du texte-source n’est pas son ambition première, puisque son but est justement d’échapper in fine au dit texte-source sans pourtant faire comme s’il n’existait pas. Ou comme le dit Michelle Hannoosh :
Unlike satire, [parody] also contributes to the ongoing history and tradition of literature by reworking the original into a new form. In this respect, it may be usefully compared to Bakhtin’s concept of genre, which conserves the past precisely by renewing itself, making itself contemporary, and being reborn in each new work which uses it ; the past, or « archaism », thus preserved in genre is eternally alive and capable of renewal. Like genre as Bakhtin describes it, parody is a present reminder of the past ; it possesses the memory of literature and thus guarantees both the unity and the continuity of the process of literary history86.
61Dans ce processus, compte moins le passé que le flux. Le texte et l’acte de lecture prennent une importance égale.
Notes de bas de page
2 Helen Tiffin, Past the Last Post. Theorizing Post-Colonialism and Post-Modernism, Ian Adam et Helen Tiffin (dir.), Calgary, University of Calgary Press, 1990, p. x.
3 E.W. Said, op. cit., p. 124.
4 Derek Attridge, « The Silence of the Canon » dans J. M Coetzee and the ethics of reading. Literature in the event, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2004, p. 75.
5 C. F. Keppler, The Literature of the Second Self, Tucson, Arizona, The University of Arizona Press, 1972, p. 208. Ou, comme le disent Pierre Jourde et Paolo Tortonese, « […] le double constitue aussi une épreuve à franchir, il invite au dépassement de ce stade de suspension dans le vertige de l’être-non être. Le texte permet de viser cet horizon ontologique où je deviens un autre, il emmène l’écrivain, et avec lui le lecteur, vers ce point imaginaire d’une altérité radicale en laquelle l’identité s’accomplirait. » dans Visages du double. Un thème littéraire, op. cit, p. 183.
6 « Dans la conscience commune, le terme parodie en est venu à évoquer spontanément, et exclusivement, le pastiche satirique, et donc à faire double emploi avec charge ou caricature […] Cette répartition commune répond, consciemment ou non, à un critère fonctionnel, parodie comportant irrésistiblement la connotation de satire et d’ironie, et pastiche apparaissant par contraste comme un terme plus neutre et plus technique. » Gérard Genette, palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Le Seuil, 1982, p. 37-38.
7 C’est aussi pourquoi mon objectif n’est pas uniquement de souligner les points d’articulation des différences entre texte-source et parodie (ou de vérifier à quel point le double en est bien un) mais d’analyser les termes et variations de la pratique de la reprise parodique en contexte post-colonial.
8 J’ai jusqu’ici utilisé à peu près indifféremment les termes « reprise » et « parodie », me servant plus volontiers de « reprise » qui est moins connoté négativement comme sous-littérature. Mais la question de vocabulaire ne doit pas cacher que le processus est de même nature. Les anglo-saxons utilisant très largement le terme « parodie », et les œuvres étudiées ici relevant de la culture anglo-saxonne, il me semble légitime de faire usage de ce terne et peut-être de tenter de le sortir du carcan dans lequel il demeure enfermé en français.
9 Gordon E. Slethaug, The play of the Double in postmodern american Fiction, op. cit. , 1993.
10 ibid. , p. 23.
11 ibid.
12 ibid. , p. 24.
13 ibid. , p. 28.
14 ibid. , p. 30.
15 Daniel Sangsue, La parodie, Paris, Hachette Supérieur, 1994, p. 25. Le terme d’amusement en dit long sur l’impossibilité à considérer la parodie comme une pratique littéraire digne de respect. On trouve le même point de vue moralisateur chez Freud.
16 Mikhail Bakhtine, esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.
17 Charles Grivel, « Le Retournement parodique des discours à leurres constants » dans Dire la parodie, colloque de Cerisy, Clive Thompson & Alain Pagès (dir.), « American University Studies », New York, Peter Lang, 1989, p. 1-34.
18 Michelle Hannoosh, parody and Decadence, Columbus, Ohio State University Press, 1989, p. 17.
19 Ibid. , p. 18.
20 Je ne referai pas l’historique du terme : on se référera à Annick Bouillaguet, Daniel Sangsue, Simon Dentith, et bien sûr Gérard Genette, entre autres. J’aimerais plutôt insister sur les approches différentes des critiques français et anglo-saxon et tenter de comprendre ces différences.
21 La méfiance envers la parodie pourrait effectivement être lue comme un symptôme de l’intégration de la production littéraire dans le système capitaliste, comme le fait F. Jameson qui envisage le pastiche (reproduction sans distance critique et donc sans apport créatif, selon lui) – et non la parodie –, comme signe de capitalisme décadent. Pour Jameson, la distance critique est l’élément créatif qui permet d’échapper à la « logique culturelle de la période post-industrielle ».
22 Gérard Genette, op. cit.
23 F. Jameson fait tout de même exception, mais c’est dans la mesure où sa démonstration se veut elle-même prise de position politique. En outre, Jameson traite du post-modernisme et pas de la parodie en contexte post-colonial.
24 Dans la critique anglo-saxonne, le terme « parody » a généralement valeur générique. C’est aussi la manière dont je l’ai utilisé, non seulement pour simplifier mon propos mais aussi pour éviter ce risque de pétrification dans des catégories trop contraignantes et généralement moralisantes.
25 Simon Dentith, parody, « The New Critical Idiom », London & New York, Routledge, 2000, p. 193.
26 M. Hannoosh, op. cit. , p. 21.
27 Anthony Wall, « Les Bases cachées de la lecture parodique » dans Dire la parodie, op. cit. , p. 93.
28 « […] the critical refunctioning of preformed literary material with comic effect […] », Margaret Rose, Parody : Ancient, Modern, and Postmodern, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 35 ; « […] the comical reworking and transformation of another text by distortion of its characteristic features […] », Michelle Hannoosh, op. cit., p. 10. Dans son premier chapitre, Margaret Rose effectue elle aussi une typologie de la parodie : elle lui permet de conclure sur l’ambivalence fondamentale de la parodie qui, superposant deux codes linguistiques différents et deux messages, est susceptible de recombinaisons variées.
29 Linda Hutcheon, « Historiographic Metafiction. Parody and the Intertextuality of History. » dans Patrick O’Donnell et Robert Con Davis (dir.), intertextuality and Contemporary american Fiction, Baltimore & London, The Johns Hopkins University Press, 1989, p. 5, 7, 12.
30 Linda Hutcheon explique la différence qu’elle fait entre l’intextextualité telle que la définit Julia Kristeva et la parodie : « Parody would obviously be an even more extreme case of this, because its constraints are deliberate and, indeed, necessary to its comprehension. But, in addition to this extra restricting of the intertextual relationship between decoder and text, parody demands that the semiotic competence and intentionality of an inferred encoder be posited. Therefore, although my theory of parody is intertextual in its inclusion of both the decoder and the text, its enunciative context is even broader : both the encoding and the sharing of codes between producer and receiver are central […] », a Theory of parody. The teachings of 20thCentury art Forms, New York & London, Methuen, 1985, p. 37.
31 « In many cases intertextuality may well be too limited a term to describe this process ; inter-discursivity would perhaps be a more accurate term […] One of the effects of this discursive pluralizing is that the (perhaps illusory but once firm and single) center of both historical and fictive narrative is dispersed. Margins and edges gain new value. The “ex-centric” – as both off-center and de-centered – gets attention. That which is “different” is valorized in opposition both to elitist, alienated “otherness” […] », Linda Hutcheon, « Historiographic Metafiction. Parody and the Intertextuality of History » dans Patrick O’Donnell and Robert Con Davis (dir.), op. cit. , p. 12.
32 Linda Hutcheon, The politics of postmodernism, London & New York, Routledge, 1989, p. 89-90.
33 Linda Hutcheon, a Theory of parody, op. cit. , p. 75.
34 Ibid.
35 Homi K. Bhabha, The Location of Culture (1994), London & New York, Routledge, 2004, p. 122. Bhabha donne comme exemple la différence entre être « anglais » et être « anglicisé » (p. 128).
36 Ibid., p. 122-123.
37 Ibid., p. 129-130.
38 Ashcroft Bill, Griffiths Gareth, Tiffin Helen, The empire Writes Back : Theory and practice in post-Colonial Literature, op. cit. , p. 178.
39 Ibid., p. 179.
40 Ibid., p. 142.
41 Cf. Michel Schneider, Voleurs de mots. essai sur le plagiat, la psychanalyse et la pensée, Paris, Gallimard, 1985.
42 « [le problème de la représentation est] non plus celui de la fiction comme représentation, mais celui à deux étages, de la représentation de soi dans le réel. Or il faut bien voir qu’à travers l’histoire, la représentation a toujours été quelque peu taboue : l’idéal classique lui de la contrefaçon, avec ses automates, ses figures schématiques et mécaniques du moi, portait déjà des connotations diaboliques. […] De là à faire de la fiction, cette représentation par l’écrit, un acte transgresseur, il n’y a qu’un pas […] » Max Duperray dans La Cassagnère, op. cit. , p. 119.
43 Harold Bloom, The Anxiety of Influence. A Theory of Poetry, Oxford, Oxford University Press, 1973.
44 ibid. , p. 30.
45 ibid. , p. 91.
46 ibid. , p. 147.
47 Cf. The Western Canon : The Books and School of the ages, New York, Harcourt Brace, 1994.
48 C’est la théorie de Fredric Jameson dans The political Unconscious.
49 Lucien Dallenbach, Le récit spéculaire, Paris, Le Seuil/Poétique, 1977, p. 67.
50 Ibid.
51 Sandra Gilbert & Susan Gubar, The Madwoman in the attic : The Woman Writer and the Nineteenth Century Literary imagination, op. cit. , p. 51.
52 On pense à la créolisation de l’anglais dans Wide Sargasso Sea ou au silence de Friday dans Foe. J’y reviendrai.
53 Caroline Rody, « Burning Down the House : The Revisionary Paradigm of Jean Rhys’s Wide Sargasso Sea » dans Alice Booth (dir.), Famous Last Words : Changes in Gender and Narrative Closure, Charlottesville, University of Virginia Press, 1993, p. 315.
54 Michel Schneider définit le plagiat comme un passage à l’acte inversant l’angoisse persécutrice d’être dévoré.
55 Caroline Rody, ibid. .
56 Jacques Derrida, La Dissémination, op. cit. , p. 433.
57 ibid. , p. 249.
58 Dans le passage que je cite, il parle de Mallarmé.
59 Edward Said, Beginnings. intention and Method, New York, Columbia University Press, 1985, p. xvii.
60 « On peut reconnaître […] des allusions au Journal de l’année de la peste, à Mme Veal, Dickory Cronke, robinson Crusoé, Jonathan Wild, John Sheppard … Foe n’est donc pas seulement une réécriture de robinson Crusoé, mais un texte qui fait appel à “l’encyclopédie” d’un lecteur anglophone cultivé. », dans Jean-Paul Engélibert, aux avant-postes du progrès. essai sur l’œuvre de J. M. Coetzee, Limoges, Pulim, 2003, p. 75.
61 Je dois cette découverte à une communication de Nicole Terrien qui montre que The West indies and the Spanish Main et « Miss Sarah Jack of Spanish Town, Jamaica » constituent deux sources supplémentaires du roman, sources qui ont permis à Rhys des descriptions vraisemblables de la situation en Jamaïque immédiatement après l’abolition de l’esclavage. Nicole Terrien, « A stich in time… how travel notes and a short story written by Anthony Trollope in 1859 shape the 1839 plot of Jean Rhys’s Wide Sargasso Sea »,http://presses.univ-lyon2.fr/colloques/viewappendix.php?id+61&ap=1&cf=5 (consulté le 07/12/2006).
62 Leur statut n’est pas identique : l’influence des « classiques » est contestée par les reprises, les autres intertextes ont un rôle plus documentaire : il ne s’agit pas de les contester, mais d’y trouver l’information que la distance temporelle avec le classique rend nécessaire.
63 Lucien Dallenbach, op. cit. , p. 18, 52.
64 Ibid., p. 51.
65 Foe, op. cit. , p. 16, 18, 22, 27. C’est moi qui souligne.
66 Foe, op. cit. , p. 155.
67 Ce que ne fait pas le terme « reprise ».
68 Adrienne Rich, On Lies, Secrets, and Silence, Selected Prose, 1966-1978, New York, Norton,p. 35.
69 Caroline Rody, « Burning Down the House : The Revisionary Paradigm of Jean Rhys’s Wide Sargasso Sea » dans Famous Last Words. Changes in Gender and Narrative Closure, op. cit. , p. 308.
70 Linda Hutcheon, a Theory of parody, op. cit., p. 37.
71 On notera cependant que les romans considérés ont tous été écrits par des auteurs dont les racines sont européennes : le terme classique n’aurait pas le même sens (voire pas de sens du tout) pour des auteurs indigènes puisque l’héritage européen ne ferait pas partie de leur culture.
72 J’emprunte la notion de roman parental à Pierre Bayard : « […] l’‘‘ infans’’, avant même sa naissance parfois, se retrouve avoir le statut d’un personnage de roman, acteur d’un texte que d’autres ont écrit et qui risque de le déterminer à son insu. », dans il était deux fois romain Gary, Paris, PUF, 1990.
73 Voir à ce sujet John Thieme, post-Colonial Con-texts. Writing Back to the Canon, London, New York, Continuum, 2001, p. 1-14.
74 John Thieme, op. cit. , p. 7-8. Dans son livre, Thieme souligne que la filiation est un trope récurrent généré par le contexte post-colonial.
75 Le roman, ironiquement, retourne le point de vue traditionnel qui présente la métropole comme une figure maternelle et les colonies comme ses enfants, puisque c’est Maggs qui tente d’adopter Phipps. En d’autres termes, c’est la colonie qui veut adopter la métropole.
76 Ce qui, à une époque où la génétique fait figure de nouvelle « clef » d’interprétation du monde, va singulièrement contre l’idéologie dominante.
77 La plupart des critiques attribuent cette incapacité à son statut de « Créole blanche », coupée de ses racines anglaises comme de la communauté noire par le stigmate de l’esclavage pratiqué par ses ancêtres. Le choix de Christophine règlerait-il les difficultés d’Antoinette ? Rien n’est moins sûr.
78 Foe, op. cit. , p. 111.
79 Ces choix sont particulièrement intéressants, à une époque qui stigmatise le « manque de figures paternelles » et le maternage excessif auquel se livrent les institutions. Il semble que Carey comme Coetzee parient sur la capacité des femmes (du féminin) à « autoriser » autant qu’à materner. C’est d’ailleurs aussi la définition de la maternité (biologique et non-biologique) qui est en jeu.
80 « […] that ghost of a woman who they say haunts this place. », Wide Sargasso Sea, op. cit. , p. 122.
81 De la même manière, dans Fury, Salman Rushdie confronte le personnage principal à ses « créatures » modelées à sa propre image après qu’elles ont échappé à son contrôle et été récupérées par une junte insurrectionnelle : « Here in the Theatre of Masks the original, the man with no mask, was perceived as the mask’s imitator : the creation was real while the creator was the counterfeit ! It was as though he were present at the death of God and the god who had died was himself. » (New York, The Modern Library, 2002, p. 239)
82 Sandra Gilbert & Susan Gubar, op. cit. , p. 49.
83 D. M. Thomas dans Charlotte : Brontë revelations : The Final Journey of Jane eyre (London, Duck Editions, 2000) désacralise totalement Brontë : les enjeux ont changé.
84 Sur la spécificité de la prose de Rhys et son caractère moderniste (voire post-moderne), voir Caroline Rody, op. cit. , p. 313-318.
85 Cf. Linda Hutcheon, « Historiographic Metafiction », op. cit. , p. 5.
86 Michelle Hannoosh, op. cit., 1989, p. 17.
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