La rencontre du féminin dans Coming through Slaughter ou du statut du phallus au temps de l’Autre qui n’existe pas1
p. 365-380
Texte intégral
1Dans une œuvre théorique qui tentait de définir le rôle du psychanalyste à partir d’un savoir sur l’émergence du sujet de la science moderne permise par les avancées philosophiques de Descartes, Jacques Lacan situait le réel comme impossible et appuyait ses positions au moyen d’un discours subversif sur l’incommunicabilité entre les sexes :
S’il y a solidarité – et rien de plus à avancer – entre le non-rapport des sexes et le fait qu’un être soit parlant, c’est là façon aussi valable que les errements de la conscience, de situer le supposé chef-d’œuvre de la vie, elle-même censée être idée reproductrice, quand aussi bien le sexe se lie à la mort.
Dès lors, c’est dans les nœuds du symbolique que l’intervalle situé d’un non-rapport est à repérer dans son orographie laquelle, de faire monde pour l’homme, peut aussi bien se dire mur, et procédant de l’(a) mur2.
2Au cours d’une conférence à Yale, il affirma très brutalement : « La vérité vraie est qu’entre homme et femme ça ne marche pas3. » À l’heure de la destitution des figures de l’Autre comme garantie de la vérité4, l’énigme du sexe reste donc entière et le brouillage des frontières entre les deux « genres » tenté par le discours postmoderne ou par certaines approches féministes a parfois contribué à mettre en valeur les impasses sur lesquelles ils butent, notamment quand ils valorisent la jouissance féminine au risque d’aller dans le sens d’une déroute des semblants. Il nous semble pour notre part que la distinction des plans réel, imaginaire et symbolique opérée par Jacques Lacan et une lecture attentive de ce que la psychanalyse entend par le concept de phallus permet précisément de dépasser les apories auxquelles ces théories ont conduit. L’analyse du très beau texte de Michael Ondaatje, Coming through Slaughter, qui ancre justement la question de l’irréductible béance du désir au cœur même d’une réflexion sur la sexuation et sur la sexualité, sera peutêtre l’occasion d’éclaircir certains malentendus sur la fonction du phallus et sur le pouvoir de subversion du féminin dans le langage. Le personnage central de Coming through Slaughter est en effet le vecteur imprévu d’une mise à l’épreuve de la dévalorisation du signifiant du désir à l’heure où les semblants s’effondrent et où la jouissance de l’objet conditionne le rapport du sujet au désir5.
L’art selon Bolden ou la mise en scène de la fonction phallique
3 Coming through Slaughter est un texte insolite dont la construction typiquement postmoderne masque les enjeux pour mieux déplacer les attentes éventuellement trop arrêtées de son lecteur. L’éclatement narratif brouille les pronoms personnels et les personnages, la figure de l’auteur implicite qui survit à l’époque narrée et celle des autres protagonistes, aujourd’hui disparus. Biographie d’un cornettiste américain du début du xxe siècle, l’ouvrage met en effet en scène à plusieurs reprises son auteur, qui confie s’intéresser au musicien davantage pour ses failles et sa folie que pour sa musique qui n’a jamais été enregistrée :
Why did my senses stop at you ? There was the sentence “Buddy Bolden who became a legend when he went berzerk in a parade…”What was there in that, before I knew your nation your colour your age, that made me push my arm forward and spill it through the front of your mirror and clutch myself ? Did not want to pose in your accent but think in your brain and body, and you like a weatherbird arcing round in the middle of your life to exact opposites and burning your brains out so that from June 5, 1907, till 1931 you were dropped into amber in the East Louisiana State Hospital. (CTS, p. 135)
4Plus qu’il ne tente de capturer l’Art dans son essence, le biographe met en valeur le caractère inouï de la création pour faire ressortir l’étrangeté du désir humain et le poids de la fantasmatique du sujet sur ses actes. Le récit s’ouvre en effet dès les premières pages sur l’irrationnel du désir au cœur du réel, opposant aux visées rationalistes du discours de la science (CTS, p. 0) et au topos de la fuite du temps et de la déchéance humaine (CTS, pp. 2-4) la figure dressée d’un musicien dont la réputation semblait acquise :
He was the best and the loudest and most loved jazzman of his time, but never professional in the brain. Unconcerned with the crack of the lip he threw out and held immense notes, could reach a force on the first note that attacked the ear. He was obsessed with the magic of air, those smells that turned neuter as they revolved in his lung then spat out in the chosen key. The way the side of the mouth would drag a net of air in and dress it in notes and make it last and last, yearning to leave it up there in the sky like air transformed into cloud. He could see the air, could tell where it was freshest in a room by the colour. (CTS, p. 8)
5Objet du regard, incarnation du phallus, signifiant hors sens, vide, qui s’extrait du réel et capte l’imaginaire d’une époque au point de donner sens à la quête de l’auteur implicite un demi-siècle après sa mort, Buddy Bolden endosse aussi le rôle du père qui sait tenir face à un objet de jouissance, musical, qu’il ne contrôle pas tout à fait. Il symbolise à la fois la figure du maître avec laquelle personne ne saurait rivaliser et cette silhouette aimable que l’on reconnaît par sa capacité à accomplir ce que personne n’oserait tenter, ainsi que l’admet Webb au-delà de sa possible jalousie ou de son incompréhension (CTS, p. 36). Chaque fois qu’ils sont cités, les admirateurs du cornettiste manquent de mots pour exprimer l’effroi que leur inspire son énergie :
God I was at that first parade, I was playing, it was a very famous entrance you know. He walks out of the crowd, struggles through onto the street and begins playing, too loud but real and strong you couldn’t deny him, and then he went back into the crowd. Then fifteen minutes later, 300 yards down the street, he jumps through the crowd onto the street again, plays, and then goes off. After two or three times we were waiting for him and he came. (CTS, p. 33)
6La maîtrise de Bolden a toutefois son envers. Virtuose à la fois incompris et prodigue, qui, par la sienne, suscite la jouissance de son public, il se révèle aussi marqué par une certaine ambivalence aux connotations explicitement sexuelles. Tout comme d’autres personnages masculins, Bolden rêve de jouir de toutes les femmes, tâche impossible s’il en est. Il se marie avec Nora après avoir couché avec ses sœurs (CTS, p. 19) mais est aussi fasciné par les prostituées (CTS, p. 116-118), couche avec elles sans le dissimuler (CTS, p. 108), a une liaison avec Robin, la femme de Jaelin (CTS, p. 56 ; p. 58-59 ; p. 65-66), rêve de faire l’amour avec une femme dans un bus (CTS, p. 85) ou encore embrasse vigoureusement la petite amie de Crawley sous les yeux de ce dernier (CTS, p. 101). Résumé tout à fait parlant de ses fantasmes, il affirme : « I desire every woman I remember. » (CTS, p. 99). De cette jouissance qui le taraude, Bolden ne veut rien savoir bien qu’elle resurgisse toujours dans les moments les plus inattendus et qu’elle soit la matière même de son art, lieu privilégié de la sublimation, qui a de surcroît une valeur symptomatique. Son mariage avec Nora étonne ses proches au début de l’ouvrage (CTS, p. 19) ; l’événement est cependant décrit non seulement comme l’occasion de masquer les liaisons antérieures du protagoniste avec les sœurs de sa femme mais aussi comme un alibi qui lui permet d’étranges échanges avec sa belle-mère : « Now he was formally married to one of [the sisters], the veil of suspicion had been removed from the mother’s eyes, and the two of them would hold great drunk conversations together. » (CTS, p. 19). Les références à la virilité de Bolden sont en outre toujours inquiétantes, reliées aux thèmes de l’alcool et de la violence (CTS, p. 6). Son métier de coiffeur semble être un moyen de jouer avec l’image des autres hommes, au moment du rasage notamment :
I can look at a face and tell how long ago it was shaved. I work with the vanity of others. […] I see them watch their own faces for the twenty minutes they sit below me. Men hate to see themselves change. They laugh nervously. This is the power I live in. I manipulate their looks. (CTS, p. 43)
7Par ailleurs, il accueille toute forme de confession dans un salon de coiffure qui a des allures de bordel : « One large room with brothel wallpaper left over from Lula White Mahogany Hall. » (CTS, p. 6) et devient l’incarnation du père jouisseur évoqué par Freud dans Totem et tabou6 :
He persuaded men out of ten year mustaches and simultaneously offered raw steaming scandal that brought up erections in the midst of their fear. (CTS, p. 6)
[…] he reacted excessively to the stories his clients in the chair told him, throwing himself into the situation, giving advice that was usually abstract and bad. The men who came into N. Joseph’s were just as much in need of confession or a sense of proportion as a shave and Bolden freely gave bizarre advice just to see what would happen. » (CTS, p. 37)
8Lorsqu’il quitte Nora pour vivre avec Robin Brewitt dans le foyer qu’elle partage avec son mari, il est décrit telle une menace sexuelle : « Robin came round the corner at the other end. She was naked except for the sheet wrapped round her waist and trailing at her feet. […] She saw him and stopped, awkward, not knowing what to do. » (CTS, p. 29). Au fil du texte, le mystère Bolden n’en finit pas de se compliquer. Nora, par exemple, exprime sa surprise quand elle apprend que Bolden a pu prendre le bateau avec les Brewitt (CTS, p. 28). Le personnage franchit les tabous sans état d’âme : de même qu’il recherche le corps de sa bellemère avant tout pour hériter de son patrimoine (CTS, p. 21), il semble prêt à dissimuler un meurtre pendant l’un de ses concerts (CTS, p. 38).
9Pour autant, le texte ne semble pas condamner Bolden. Quand le cornettiste décide de vivre avec Robin au risque de briser la vie de Jaelin, le mari de Robin, le texte pointe comment le talent de ce dernier éclot à cette occasion :
Three of us played cards all evening and then Jaelin would stay downstairs and Robin and I would go to bed, me with his wife. He would be alone and silent downstairs. Then eventually he would sit down and press into the teeth of the piano. His practice reached us upstairs, each note a finger on our flesh. The unheard tap of his calloused fingers and the muscle reaching into the machine and plucking the note, the sound travelling up the stairs and through the door, touching her on the shoulder. The music was his dance in the auditorium of enemies. […] God, to sit down and play, to tip it over into music ! To remove the anger and stuff it down the piano fresh every night. […] The music was so uncertain it was heartbreaking and beautiful. Coming through the walls. The lost anger at her or me or himself. Bullets of music delivered onto the bed we were on. (CTS, p. 90)
10Ce glissement paradoxal sur le plan éthique touche au cœur de ce qui se dérobe au texte, à savoir la jouissance à l’œuvre chez le sujet de l’inconscient au-delà des péripéties qui gouvernent son existence. L’auteur implicite démontre ainsi que Bolden fascine aussi par son ambiguïté et par son audace dans un paysage où le désir est banni. Son écriture fait émerger le lien qui se noue entre l’Art et le sexe et met à jour le fond de jouissance à la source du geste esthétique. Elle invite de ce fait à mesurer l’écart entre la pratique musicale ostentatoire de Bolden et l’exigence de pudeur dont elle se fait l’écho mais aussi à interroger la fonction de la sublimation au regard des identifications imaginaires auxquelles le sujet est aliéné. Elle met en question le phallus face à une jouissance féminine, innommable dans les deux sens du terme.
L’identité masculine à l’épreuve de l’inexistence de l’autre
11L’univers de Coming through Slaughter semble ravagé par une inquiétude à l’endroit du sexe féminin et d’une jouissance féminine qui risquerait de se déréguler. Les femmes sont étalées comme des objets (CTS, p. 12), souvent par des hommes qui craignent de n’être plus rien à l’heure où la destitution de l’Autre de la loi est avérée : « Then we started talking, I wasn’t pushing him now. About my pimping. We always did that. That was our one real connection. Usually it was good talk cos even though he wasn’t involved with the money he was a great hustler. » (CTS, p. 69). Les anecdotes morbides concernant prostituées et souteneurs s’accumulent (CTS, pp. 2-3). Le lien social ne célèbre plus rien sinon sa dérisoire existence, affichant le sexe et masquant toute forme de singularité derrière un écran opaque : « Emma allowed the odd success to encourage others but boasted privately that there was no man she couldn’t win. » (CTS, p. 4). Toute trace de séduction est gommée et l’absence de préliminaires amoureux réduit le rapport entre hommes et femmes au sexuel, c’est-à-dire à une « fin proche et banale : la jouissance, forme immédiate d’accomplissement du désir7 ». La révélation d’Emma (« [she] boasted privately that there was no man she couldn’t win. » CTS, p. 4), communiquée au lecteur, prend d’ailleurs la forme d’une parodie de confidence, caractéristique des liens sociaux dans un univers neutralisé et sans secret. La vacuité ambiante dissimule mal l’évanouissement progressif de tout désir. Si elle reflète d’éventuelles aspirations à réguler une jouissance féminine que le semblant phallique ne cerne qu’imparfaitement, les références à la féminité n’en sont pas moins obsédantes, inter-dites, et sont associées au risque d’une ruine généralisée : « It was elsewhere in town, in the brothel district of Storyville, that one made and lost money […] » (CTS, p. 3), « […] no matter how much you took with you, you would lose it all in paying for extras […] » (CTS, p. 4)8.
12Tout l’intérêt du parcours de Bolden est de se situer en porte-à-faux vis-à-vis des valeurs de son temps même s’il semble parfois y adhérer. Séduit par une femme qui croit encore au marchand de sable alors que ses enfants n’y croient plus (CTS, p. 9), il s’efforce de rappeler la prévalence chez l’humain de l’univers fantasmatique et du poétique sur le désir de savoir pour dénoncer l’objectivation des femmes et s’opposer au seul règne de la jouissance. Il dénonce par exemple l’exclusion des prostituées à matelas parce qu’elles ne correspondraient plus aux critères établis (CTS, p. 116-118). Ses fuites et ses errements mêmes s’expliquent par sa volonté de se démarquer de la jouissance contemporaine à partir d’un savoir sur le manque dans l’Autre qu’il met en œuvre dans sa musique. Il confie à Webb qu’il cherche à ouvrir sa musique sur le chaos qui constitue à ses yeux l’essence de l’existence : « We had no order among ourselves. I wouldn’t let myself control the world of my music because I had no power over anything else that went on around me, in or around my body. My wife loved Pickett, I think. I loved Robin Brewitt, I think. We were all exhausted. » (CTS, p. 97-98). Il tente de toucher aux limites du beau et d’intégrer dans sa musique la violence qui traverse la société qu’il habite. Il met en relief ce qui échappe au musical et au narratif :
On his last night Webb went to hear Bolden play. Far back, by the door, he stood alone and listened for an hour. He watched him dive into the stories found in the barber shop, his whole plot of song covered with scandal and incident and change. The music was coarse and rough, immediate, dated in half an hour, was about bodies in the river, knives, lovepains, cockiness. Up there on stage he was showing all the possibilities in the middle of the story. (CTS, p. 38)
13Il ne s’agit donc pas d’un art sans contrainte, ainsi que le signale le personnage de Franck Lewis : « But there was a discipline, it was just that we didn’t understand. We thought he was formless, but I think now he was tormented by order, what was outside it. » (CTS, p. 32). Quant à sa relation avec Robin, elle témoigne aussi de son espoir de trouver dans la tendresse et dans le sexuel un refuge contre la jouissance. Il s’efforce en effet d’attraper des « lichettes de jouissance » (Lacan) sans s’effondrer dans le corps de sa partenaire :
Lying here. Kept warm by her dress and my shirt over us. I am dry and stuck to her thigh. Joined by the foam we made. By the door, and the light and the air from the hall comes under the door. Sniff it. She hasn’t taken one step further into my room. Dear Robin. I remember when I shook against you. The flavour of mouth. We are animals meeting an unknown breed. The reek, the size, where to find the right softness. Against this door. Coiled into each other under the brown and white cloth. Trying to come closer than that. A step past the territory. (CTS, p. 59)
14La pratique de la musique est son seul autre recours pour ne pas perdre pied (CTS, p. 56).
15Bolden affirme pourtant que la rencontre du photographe Bellocq a été pour lui salutaire car elle lui a aussi permis de se dégager des identifications stériles auxquelles on le réduisait :
[Bellocq] was a photographer. Pictures. That were like… windows. He was the first person I met who had absolutely no interest in my music. […] You’d play and people would grab you and grab you till you began to – you couldn’t help it – believe you were doing something important. And all you were doing was stealing chickens, nailing things to the wall. Everytime you stopped playing you became a lie. So I got so, with Bellocq, I didn’t trust any of that… anymore. It was just playing games. We were furnished rooms and Bellocq was a window looking out. (CTS, p. 55-56)
16Bellocq passe son temps à photographier des femmes, accueillant l’instant épiphanique où celles-ci se livrent à lui dans leur être même :
One snap to quickly catch her scorning him and then waiting, waiting for minutes so she would become self-conscious towards him and the camera and her status, embarrassed at just her naked arms and neck and remembers for the first time in a long while the roads she imagined she could take as a child. And he photographed that. (CTS, p. 50)
17Le texte révèle cependant le mal dont ce personnage souffre. Estropié, il n’a plus que la photographie pour attraper les bouts de jouissance phallique auxquels il n’a pas le droit dans une société où la différence n’a pas lieu d’être. La photographie remplace les femmes, souvent des prostituées : « Something about the man who carries his profession with him always, like a wife, the way Bolden carried his mouthpiece even in exile. » (CTS, p. 539). Véritable Actéon moderne10, Bellocq espère tout de même y voir la jouissance féminine ; il est en réalité toujours réduit à l’objet regard face aux femmes qu’il réifie : « Snap. Lady with dog. Lady on sofa half naked. Snap. Naked lady. Lady next to dresser. Lady at window. Snap. Lady on balcony sunlight. » (CTS, p. 51). Les photographies apparaissent alors dans leur visée première : un prétexte à une pratique onaniste solitaire : « on the level of fetish, a joyless and private game » (CTS, p. 61). La frustration de Bellocq est telle qu’il détruit la beauté même qui surgirait de son œuvre :
You can see that the care he took defiling the beauty he had forced in them was as precise and clean as his good hands which at night had developed the negatives, floating the sheets in the correct acids and watching the faces and breasts and pubic triangles and sofas emerge. The making and destroying coming from the same source, same lust, same surgery his brain was capable of. (CTS, p. 51)
18Bellocq n’est donc pas le personnage qui pourra donner de nouveaux repères à Bolden, le texte ne laisse pas le lecteur se faire d’illusions sur ce point. À la différence du photographe, Bolden cherche quelque chose du phallus qui aurait valeur de référence pour lui mais, ne le sachant tout à fait, le rate constamment. Il s’enferme dans un discours paranoïaque qui ne laisse plus de place à la vie : « Looked at objectively The Cricket contained excessive references to death. The possibilities were terrifying to Bolden and he hunted out examples obsessively as if building a wall. A boy with a fear of heights climbing slowly up to a tree. » (CTS, p. 1811). Ressemblerait-il aux oiseaux de John James Audubon, décrits et supposés « névrosés » (CTS, p. 19) par la mère de Nora12 :
[Nora’s mother] showed [Bolden] the drawing of the Purple Gallinule which seemed to lean over the water, its eyes closed, with thoughts of self-destruction. You don’t know that ! Shut up, Buddy ! She showed him the Prophet Ibis, obviously paranoid, that built its nest high up before floods came, and the Cerulean Wood Warbler drunk on Spanish Mulberry, and her favourite – the Anhinga, the Water Turkey, which she said would sit in the tree tops till disturbed and then plummet down into the river leaving hardly a ripple and swim off with just its eyes and beak cresting water – or if disturbed further would hide by submerging completely and walk along the river bottom, forgetting to breathe, and so drown. (CTS, p. 19-20)
19Suspicieux quant aux certitudes de son temps, le personnage s’avère de plus en plus agi par des pulsions destructrices qu’il ne peut contrôler :
Once they were sitting at the kitchen table opposite each other. To his right and to her left was a window. Furious at something he drew his right hand across his body and lashed out. Half way there at full speed he realised it was a window he would be hitting and braked. For a fraction of a second his open palm touched the glass, beginning simultaneously to draw back. The window starred and crumpled slowly two floors down. His hand miraculously uncut. It had acted exactly like a whip violating the target and still free, retreating from the outline of a star. She was delighted by the performance. Surprised he examined his fingers. (CTS, p. 10)
20Le clivage qui le sépare de la société qu’il habite va en se renforçant. Il est particulièrement perceptible quand Pickett vient se faire couper les cheveux dans le salon de coiffure où travaille Bolden. Dès le moment où Pickett pénètre dans le salon, Bolden est gêné par ce qui, chez lui, suggère la foi en des certitudes : « Tells me, as always, exactly what he wants. Beautiful people are very conservative. And puts his feet up on the sink as usual. » (CTS, p. 69). Il l’interrompt alors qu’il raconte une blague rebattue. Pickett n’a d’autre recours qu’un sujet de conversation devenu pur rituel et dépouillé de tout sens, le proxénétisme : « Then we started talking, I wasn’t pushing him now. About my pimping. We always did that. That was our one real connection. » (CTS, p. 69). Ne percevant la réalité qu’au travers de l’image que lui renvoie le miroir qui lui fait face, il ne devine pas quels effets ses mots peuvent avoir sur son coiffeur attitré. La logique imaginaire qui oppose les deux personnages anticipe une spirale infernale : Bolden aurait-il été déstabilisé par la référence au proxénétisme qui voilerait une insoutenable allusion à la jouissance féminine ? Il suffit en tout cas au proxénète d’affirmer être l’amant de sa compagne pour que Bolden explose, entaille le corps de son alter ego à coups de rasoir et lui coupe le téton.
21Pickett symboliserait-il pour Bolden l’énigme de la position masculine face à la jouissance féminine ? L’acte de mutilation serait-il une tentative d’inscrire la castration symbolique dans le réel à défaut d’en saisir l’enjeu ? Croyant exposer dans toute sa splendeur le trou qui résumerait le savoir, Buddy Bolden, au fond, s’est tailladé lui-même sans le savoir : Pickett n’est que son image inversée. Il se replie alors sur son moi narcissique ébranlé, regrettant avant tout la subsistance de son amour propre, se coupant de l’Autre et de l’Autre sexe : « And then as Cornish had finally reached the door, Bolden on the floor saying, You know… in spite of everything that happens, we still think a helluva lot of ourselves ! » (CTS, p. 76). Il laisse transparaître ses angoisses face à l’énigme de la pulsion et aux amours contrariées dont il est le témoin et la victime : « We had no order among ourselves. I wouldn’t let myself control the world of my music because I had no power over anything else that went on around me, in or around my body. My wife loved Pickett, I think. I loved Robin Brewitt, I think. We were all exhausted. » (CTS, p. 97-98). Sa position est trop précaire cependant : il ne parvient pas à stabiliser sa jouissance et se réclame de figures du père qui n’ont pas hésité à se détruire pour atteindre leur idéal mais qui, devenues carentes ou impuissantes, ont parfois été susceptibles de coucher avec la femme de leur rejeton (CTS, p. 93-96). Au fond, le texte va au-delà des approches féministes qui fondent leur discours sur une conception imaginaire du sexe car il pointe comment l’art n’est pas/plus tant le lieu d’une appropriation du corps féminin qu’une issue à la dissolution quand le signifiant phallique est réduit à l’organe pénien.
L’énigme du désir au-delà de la jouissance ou vers un autre savoir sur le phallus
22L’ouvrage de Michael Ondaatje atteste d’une fascination pour la jouissance imaginée ou supposée être le cœur de l’art de Bolden, notamment quand son geste sublimatoire élève le corps féminin désiré au rang de la Chose13 :
Then Bolden did a merciless thing. For the first time he used his cornet as jewelry. After the couple had closed their door, he slipped in a mouthpiece, and walked out the kitchen door which led to an open porch. Cold outside. He wore just his dark trousers and a collarless white shirt. With every sweet stylised gesture that he knew no one could see he aimed for the gentlest music he knew. So softly it was a siren twenty blocks away. He played till his body was frozen and all that was alive and warm were the few inches from where his stomach forced the air up through his chest and head into the instrument. Music for the three of them, the other two in bed, not saying a word. (CTS, p. 28)
23Il dévoile l’objet agalmatique dans sa dimension de rien, rappelant par la même occasion que c’est lorsque le sujet chute et se laisse subvertir par l’objet de la pulsion (« Bolden lost himself then. When he saw [Jaelin’s wife, Robin] he nearly fainted. » CTS, p. 27) que son geste sidère14 : « Then Bolden did a merciless thing. For the first time he used his cornet as jewelry. » (CTS, p. 28). Le désir du lecteur d’entendre ou de voir est de fait autant suscité que frustré car c’est par-delà la surface textuelle que l’auteur implicite le conduit, là où les mots n’ont plus cours et où seule l’énigme de la jouissance règne. Est-ce un hasard si l’auteur a choisi comme protagoniste un musicien mort dont la musique n’a jamais été enregistrée ? Au fond, il semble plutôt que son intérêt se porte vers le savoir sur la structure de l’objet cause du désir au-delà de ce que chacun croit en percevoir. Le son du cornet n’y est ni audible ni lisible, de même que le chant des sirènes n’est pas visible pour celui qui contemplerait le tableau de Picasso intitulé Ulysse et les sirènes15. La narration ondaatjienne dit par conséquent l’inattendu et l’inaudible : elle exige une relecture des faits connus de la vie de Bolden. Si elle pose la question du mystère de l’art dans toute son ambiguïté, sans jamais tenter de le lever, sa richesse est ailleurs. Elle détient en effet aussi un savoir sur la perte et sur la mort, là où le sujet de l’énoncé se complait dans la jouissance, c’est-à-dire une intuition quant à la proximité entre la jouissance et la mort. Le texte défait ainsi l’imaginaire romantique associé à la naissance du jazz pour s’en dégager.
24Le texte condamne donc très clairement l’attitude de Webb, archétype du lien social qui aliène Bolden et le pousse à toujours fuir, et démontre comment l’univocité de la loi et sa réduction à la maîtrise phallique ne peuvent que conduire le sujet à incarner le déchet de l’Autre : « All my life I seemed to be a parcel on a bus. I am a famous fucker. I am the famous barber. I am the famous cornet player. Read the labels. The labels are coming home. » (CTS, p. 104). L’équilibre instable de Buddy Bolden est en effet entravé quand Webb le retrouve finalement et le ramène à une société qui n’aspire qu’à entendre à nouveau la musique du célèbre cornettiste, au risque de le détruire (CTS, p. 79). Sans médiation langagière possible et malgré la fatigue dont il fait état (CTS, p. 101), le personnage se retrouve confronté à ce qui a valeur de jouissance pour lui dans toute son horreur. D’abord conçu comme une exhibition du musicien dont l’ego est hypertrophié (CTS, p. 129), le spectacle qui marque le retour de Bolden prend une autre dimension lorsque sont graduellement franchies les différentes frontières entre le public et lui. L’approche d’une danseuse, d’abord perçue comme un miroir (« […] and the girl is alone now mirroring my throat in her lonely tired dance […] » CTS, p. 130), brouille les repères du musicien :
She hitting each note with her body before it is even out so I know what to do through her. God this is what I wanted to play for, if no one else I always guessed there would be this, this mirror somewhere, she closer to me now and her eyes over mine tough and young and come from god knows where. (CTS, p. 130)
25Cette danseuse affolante incarne à l’évidence non seulement l’objet a qui cause Bolden, le féminin réduit à un bout de chair qui touche à l’immonde, « the bitch » (CTS, p. 129), qui réapparaît toujours plus violemment au cours du texte du fait d’avoir été refoulé sans avoir pu être articulé (« She’s Robin, Nora, Crawley’s girl’s tongue. » CTS, p. 130), mais aussi, au-delà, la part de jouissance féminine que tous les personnages masculins de Coming through Slaughter, du proxénète Pickett à l’estropié Bellocq, en passant par un public obsédé par le corps féminin, refusent d’assumer comme l’objet de leur angoisse. Elle est par ailleurs l’objet que la musique de Bolden a pu un temps mettre à distance sous le regard admiratif de ses pairs mais qui détruit le semblant phallique faute que celui-ci se soit stabilisé ou puisse assumer le manque radical qui le définit. La transgression des limites entre le sujet, Buddy Bolden, et l’objet subvertit le discours narratif. Le monologue intérieur, assigné à Bolden, est de plus en plus désorienté. Les mots s’enchaînent sans pause, dissolvent au passage les règles syntaxiques : « […] and the music gets caught in her hair, this is what I wanted, always, loss of privacy in the playing, leaving the stage […] » (CTS, p. 131). Le flux de conscience chante la fusion des corps du cornettiste et de la danseuse : « She still covers my eyes with hers and sees it slow and allows the slowness for me her breasts black under the wet light shirt, sound and pain in my heart sure as death. All my body moves to my throat […] » (CTS, p. 131), avant d’évoquer l’aveuglement final de Bolden : « the music still pouring in a roughness I’ve never hit, watch it listen it listen it, can’t see i can’t see. Air floating through the blood to the girl red hitting the blind spot I can feel others turning, the silence of the crowd, can’t see » (CTS, p. 132). L’aposiopèse traduit l’impossibilité pour le personnage de poursuivre un quelconque récit de son expérience qui touche au hors-sens. Seul le narrateur du roman, qui n’a pas suivi le personnage dans sa chute, peut mettre un voile sur l’horreur : « Willy Cornish catching him as he fell outward, covering him, seeing the red on the white shirt thinking it is torn and the red undershirt is showin and then lifting the horn sees the blood spill out from it as he finally lifts the metal from the hard kiss of the mouth. » (CTS, p. 132).
26La rencontre du sujet avec la jouissance touche à un savoir sur le sujet de l’inconscient qui dépasse l’imaginaire de la diégèse. D’une part, elle a une fonction de catharsis pour l’auteur implicite et pour le lecteur. D’autre part, elle fait émerger un savoir sur l’inéliminable du phallus et sur l’irréductible puissance de subversion du féminin. Le roman se termine bien après le succès du cornettiste et montre celui-ci enfermé dans un hôpital psychiatrique, considéré par ceux qui étaient ses proches comme fou : il aurait perdu contact avec la réalité et sombré dans la démence lors de sa dernière parade. Le texte produit un bougé et modifie cette lecture pour faire jaillir un réel plus complexe. Exclu du lien social, Buddy Bolden n’est-il pas plutôt devenu objet de l’Autre ? Objet de soins et objet d’un supposé savoir psychiatrique (CTS, p. 139-140), il est aussi l’objet sexuel de ses infirmiers (CTS, p. 141). De même, il est l’objet du discours de ceux qui furent ses proches (CTS, p. 152-153) avant de devenir l’objet du discours des historiens (CTS, p. 145-146) et du discours du biographe (CTS, p. 134-135). L’auteur implicite tente d’aller au-delà du discours convenu et décrit Buddy Bolden à l’asile, absorbé par des idées délirantes :
The sun comes every day. Save the string. I put it in lines across the room. I watched him creep his body through the grilled windows. When the sun touches the first string wham it is 10 o clock. It is 2 o clock when he touches the second. When the shadow of the first string is under the second string it is 4 o clock. When it reaches the door it will soon be dark. (CTS, p. 142)
27Il n’essaie pas d’en proposer une interprétation. Il suggère plutôt que quelque chose du délire de Bolden échappe à tout vouloir-saisir et tient de l’invention personnelle, une invention qui n’est peut-être pas sans faire écho au travail du poète. La métaphore solaire de Buddy Bolden ne serait-elle pas, tout simplement, un moyen de pacifier la jouissance de l’Autre et de préserver un semblant de lien à la communauté humaine, de s’assurer aussi d’un reste de barrière phallique pour contrer le silence du réel ? L’expérience de Buddy Bolden prouve peut-être avant tout que le sujet humain est orienté par une cause qu’il méconnaît et qui persiste dans son être même une fois sa supposée raison perdue.
28La scène finale du roman est ambiguë mais elle confirme le rôle structurant du signifiant du désir dans la psyché humaine. « I sit with this room » est-il écrit (CTS, p. 160). Une telle formule ne permet certainement pas de décider à coup sûr de qui est l’énonciateur : le personnage de Buddy Bolden, l’auteur implicite, l’auteur réel ? De même, l’énonciateur évoque-t-il une pièce réelle, dans laquelle il serait, ou une pièce qu’il imagine, comme celle de Buddy Bolden à l’asile ? Le roman semble avant tout se terminer sur une note conforme à celle qu’aurait souhaitée le cornettiste : « The right ending is an open door you can’t see too far out of. It can mean exactly the opposite of what you are thinking. » (CTS, p. 92). Pourtant, un déplacement a eu lieu ; la métaphore des murs et de la fenêtre remplace celle de la porte16 : « With grey walls that darken into corner. And one window with teeth in it. » (CTS, p. 160). De même, l’image des dents pourrait être l’indice d’un gain de savoir sur la castration. Elle invite dans tous les cas à ne pas suivre Bolden et les autres personnages de l’autre côté de la fenêtre : « Look away from the window […] » (CTS, p. 160). L’image de la fenêtre, structurante, devient métaphore du principe textuel. Elle reprend une métaphore filée tout au long de l’ouvrage pour pointer l’impasse du sujet qui voudrait traverser le voile des semblants et ne plus être dupe du signifiant. L’effondrement de Bolden succède en effet à sa volonté de franchir la barrière phallique que dessine la fenêtre, la brisant d’un coup de poing (CTS, p. 10), ou proposant à Cornish ou à Webb de faire de même (CTS, p. 8 et p. 89), décidant aussi d’en user comme d’une porte : « Went out of the window saying they were probably watching the door » (CTS, p. 74). La fenêtre dans le mur qui clôture le texte est donc une tentative de solution pour confronter les affres de Bolden, mais aussi de Bellocq, dont Bolden disait : « He was a photographer. Pictures. That were like… windows. […] We were furnished rooms and Bellocq was a window looking out. » (CTS, p. 55-56). C’est en effet après avoir passé sa vie à photographier des silhouettes de femmes contre des murs (CTS, p. 50), comme pour maintenir à distance le regard de cet Autre sexe qui l’angoisse et l’observe de sa fenêtre (CTS, p. 127), que Bellocq se suicide finalement : il découvre qu’il n’a pas de mur pour le soutenir (CTS, p. 64). À une logique désirante entre les sexes s’était substituée une logique du pire.
29Le texte de Michael Ondaatje comporte donc bien une dimension éthique qui interroge la destitution du phallus au fondement de la dérégulation de la jouissance contemporaine. Celle-ci s’entrevoit dans la mise en question des limites du discours postmoderne, fragmenté ou fragmentaire, à partir d’un savoir inconscient sur le réel de la jouissance qui traverse la narration. La psychanalyse démontre que le concept de phallus ne désigne pas l’organe pénien en tant que tel mais le manque de signifiant pour décrire la différence sexuelle. Inscrivant davantage un savoir sur le manque que creuse le désir et sur la castration symbolique que sur la puissance masculine, le phallus pointe en effet aussi l’inéliminable du réel que le signifiant ne peut circonscrire entièrement, l’impossible, et de fait les limites de tout discours de la maîtrise. Nier cette fonction du phallus reviendrait à ériger celui-ci dans sa seule dimension verticale ; en poser le rôle structurant peut favoriser la promotion d’un désir plus humain, moins aliéné. À la différence de Webb, l’auteur implicite a decidé de ne pas se dérober au savoir sur le sujet du désir qui le regarde : « Bella watched [Webb’s] flapping body on its way down the stairs and noticing now the damp mark on her right where his sweat had in those few minutes gone through his skin his shirt his java jacket and driven itself onto the wall. » (CTS, p. 153). Il choisit plutôt d’assumer quelque chose de son destin d’humain : « Thirty-one years old. There are no prizes. » (CTS, p. 160). Il devine que tous ces personnages, qui n’avaient pas de mur pour les porter, étaient aussi enfermés dans leur folie ; il déplie un savoir sur la structure du sujet de l’inconscient qui, pour faire trou dans la jouissance, doit assumer un savoir sur son incomplétude. La fonction de l’artiste à l’époque moderne serait-elle à redéfinir ? Le titre Coming through Slaughter porte l’intuition que c’est par la nécessaire perte d’un bout de soi que le sujet accède à l’humanité et évite d’aller tout droit au massacre. Fenêtre sur le réel, l’écrit tire sa consistance d’un reste qu’il n’a certainement pas pour fonction de masquer : d’avoir voulu retenir tout le réel dans leurs filets, les personnages de Coming through Slaughter ont perdu leurs assises. Dès lors, c’est la logique contemporaine qui est interrogée : la mort du Père peut fort bien passer pour libératrice, elle n’est pas moins un autre nom pour désigner le pire. Se pose dès lors la question d’un nouveau nouage qui permettrait, au temps de « l’Autre qui n’existe pas », d’inventer un point de connexion nouveau entre le phallus et le réel pour que le lien entre les sexes soit humanisé.
Notes de bas de page
1 Toutes les citations sont tirées de Michael Ondaatje, Coming through Slaughter (1976), London, Bloomsbury, 2004. Les mentions de pages apparaîtront précédées des initiales CTS.
2 Jacques Lacan, « … ou pire », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 547-552, p. 549.
3 Texte paru dans Scilicet n° 6/7, 1975, p. 7-31, sous le titre : « Yale University, Kanzer Seminar » et lisible sur le site : http://www.ecole-lacanienne.net/documents/1975-11-24b.doc. Sur ce thème du non-rapport entre les sexes, on se réfèrera aussi à la conférence d’ouverture de l’Université Européenne d’été de Julia Kristeva, « Guerre et paix des sexes » (Université Paris 7 Denis Diderot, 11 septembre 2006).
4 Sur ce point, voir le séminaire d’éric Laurent et Jacques-Alain Miller, L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique, séminaire 1996-1997, inédit.
5 L’objet de la pulsion est désigné par Lacan sous l’appellation de l’objet a. L’objet a se définit comme « un objet réel, impossible, perdu, qui condense la jouissance du sujet » et qui « trouve sa source dans l’énigme du désir de l’Autre ». Il ne peut « qu’être imaginarisé, il est une construction qui se supporte d’un réel de la jouissance, il est insymbolisable comme tel. Cet objet réel, le reste chu du symbolique, est évoqué par toute image du déchet. », in Sophie Marret, « De l’aporie signifiante à l’impossible à dire : Waiting for the Barbarians de J. M. Coetzee, un roman victime de son propre discours », in Pierre Arnaud (dir.), Regards sur la critique littéraire moderne, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1996, p. 100 et 102. Lire aussi les remarques de Gérard Wajcman sur cet objet cause du désir introuvable et forcément absent dans L’Objet du siècle, Lagrasse, Verdier, 1998, p. 238-239.
6 Sigmund Freud, Totem et tabou (1912-1913), Paris, Payot, 2001.
7 Jean Baudrillard, De la séduction, Paris, Galilée, 1979, p. 47.
8 C’est moi qui souligne.
9 C’est moi qui souligne.
10 On lira sur ce personnage mythique qui a voulu voir la jouissance féminine mise à nu le texte d’Hervé Castanet, « Ovide : Actéon ou le bonheur d’un regard », in Hervé Castanet, Le Regard à la Lettre, Paris, Anthropos-Economica, 1996, p. 11-17.
11 C’est moi qui souligne.
12 John James Audubon, né à Les Cayes sur l’île de St Domingue en 1785 et mort à New York en 1851, était ornithologue et peintre. Il est connu pour avoir été le premier à élever la représentation méticuleuse d’oiseaux au rang d’art. Un certain nombre de dessins d’Audubon ont été reproduits dans Benedikt Taschen, John J. Audubon : Les Oiseaux d’Amérique, avec un texte par Helgard Reichholf-Riehm, Köln, Taschen, 1999. La référence aux oiseaux figés par Audubon dans Coming through Slaughter a notamment pour effet de faire ressortir les traits négatifs d’un Webb qui tente de retenir dans sa toile les autres personnages ou d’un Bellocq qui aimerait que ses photographies contiennent les femmes avec qui il ne peut partager ses nuits.
13 Le concept de la Chose a été élaboré par Jacques Lacan pour cerner la jouissance innommable que symbolise le corps maternel interdit pour le sujet. Impossible, la jouissance de la Chose n’en est pas moins espérée au-delà de la jouissance de l’objet du désir. Jacques Lacan a pu montrer notamment comment, dans l’amour courtois, la Dame était élevée au rang de la Chose : « L’objet, nommément ici l’objet féminin, s’introduit par la porte très singulière de la privation, de l’inaccessibilité. Quelle que soit la position sociale de celui qui fonctionne dans ce registre […], l’inaccessibilité de l’objet est posée là au principe. » In Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre VII : L’Ethique de la psychanalyse (1959-1960), Paris, Seuil, 1986, p. 178.
14 L’objet agalmatique est un autre nom de l’objet cause du désir selon Lacan. Il est le nom donné à l’objet a, une fois paré du voile phallique. Jacques Lacan a développé le concept d’agalma au cours de sa lecture du Banquet de Platon, dans Le Séminaire, Livre VIII : Le Transfert (1960-1961), Paris, Seuil, 1991. Alcibiade en effet est persuadé que Socrate dissimule en son corps l’objet précieux et brillant qu’est l’agalma. Socrate détourne ses avances pour lui désigner le véritable lieu de l’agalma, à savoir le riche Agathon. Par cette manœuvre, il indique la dimension transférentielle de tout amour et amène partiellement le sujet à penser que ce qu’il cherche d’objet amoureux en objet amoureux est un objet essentiellement perdu, depuis son entrée dans le symbolique, à savoir l’objet de jouissance. Socrate dénoue ainsi désir de savoir et quête de l’objet, et montre que le savoir permet de déployer un savoir-y-faire avec le manque dans l’Autre et la pulsion.
15 Sur ce tableau, lire Hervé Castanet, Le regard à la lettre, op. cit., « Pablo Picasso : Voix et regard », p. 127-144.
16 Sur le thème de la fenêtre, on lira le très beau livre de Gérard Wajcman, Fenêtre : Chroniques du regard et de l’intime, Paris, Verdier, 2004. Gérard Wajcman formule son objet en ces termes, qui font écho au travail de Michael Ondaatje : « […] en grand hommage à l’idiot chinois de la fable qui, quand le maître montre du doigt la lune, regarde le doigt, j’invite […] à regarder la fenêtre, à la regarder de près, à ne pas être dans la lune. Appel à détourner notre regard fasciné de spectateur du spectacle vers l’objet réel oublié dans le spectacle, invitation à ramener le regard sur ce qui ferme et ouvre notre regard. » (p. 24-25). Il s’appuie sur une citation de Jacques Lacan tirée du séminaire inédit L’Objet de la psychanalyse (leçon du 11 mai 1966) : « Ce qui est élidé et ce qui pourtant est toujours, c’est ce que j’ai déjà introduit dans le rapport structural du sujet au monde, c’est la fenêtre. » (p. 25).
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